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TTLE BOOK
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DICTIONNAIRE '^ '
DE
JBÉOLOGIE CATHOLIQUI
CONTENANT
L'EXPOSÉ DES DOCTRk-LS DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE
COftlHBMcA SOUS LA DIRBCTION DK
A. VACANT
DOCTIOR BN THÉOLOGIE, PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY
COMTIKUB tous CBLLB DB
E. MANGENOT
PHOFESSBOR A L INSTITUT CATHOLIQUI DS PARIS
AVEC LE CONCOURS D'UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS
Fascicule XXVI. Dabillon — Démocratie
PARIS
1
LETOUZEY ET ÀNÉ, ÉDITEURS
m
1.
76^^ Rue des Saints -Pères (VIP)
••
1908
1
TOUS DROITS Rh^SBRVBS
1
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.r
n -1
Google
Imprimatur
Pariflils, die 10 Junii 1908.
f Leo-âdolphus
Archiep. Parisiensis.
LISTE DES COLLABORATEURS DU VINGT-SIXIÈME FASCICULE
MM.
Bareille, ancien professeur de patrologie à l'Institut
catholique de Toulouse.
BERNiLRD, à Paris.
Bigot, curé de Remenauville-en-Haye (Meupthe-et-
Moselle).
Brugker, rédacteur aux Études, à Paris.
Glerval, professeur d'histoire ecclésiastique à llnsti-
tut catholique de Paris.
C0NSTA.NTIN, aumônier du lycée de Nancy.
GouLON (le R. P.), des Frères-Précheurs, à Rome. .
Dauphiîî, à Paris.
DuBLANCHY (le R. P.) de la Société de Marie, professeur
au scolasticat de DilTert-Messancy (Belgique).
EDOUARD d'Âlençon (le R. P.), des Frères Mineurs Gapu-.
cins, archiviste de TOrdre, à Rome.
FoROET, professeur de théologie à TUniversité de Lou-
vain (Belgique).
FouRNERET, professeur de droit canonique à llnstitut
catholique de Paris.
Heurtebize (le R. P.), bénédictin de Solesmes, à Ryde
(Ile de Wight).
Ingold, à Golmar (Alsace).
Largent, ancien professeur d'histoire ecclésistique à
l'Institut catholique de Paris.
MM.
MouREAUf professeur de théologie aux Facultés catho-
liques de Lille.
Oblet, curé de la paroisse Saint-Georges, à Nancy.
Ortolan, (le R. P), des Oblats de Marie-Im maculée, à
Rome.
Palmieri (le R. P.), religieux augustin, à Gracovie.
Petit (le R. P.), des Âugustins de l'Assomption, supé-
rieur de la maison de Kadi-Keui, à Gonstantinople.
Pétridès, (le R. P.) des Âugustins de l'Assomption, à la
maison de Kadi-Keui, à Gonstantinople.
ScHWALM (le R. P.), des Fréres-Prôcheurs, à Nice.
Servais (le R. P.), carme déchaussé, au couvent de
Jambes-lès-Namur (Belgique).
Servière (le R. P. de la), de la Gompagnie de Jésus,
professeur d'histoire ecclésiastique au scolasticat 4e
Hastings (Angleterre).
Vailhé (le R. P.), des Âugustins de l'Assomption, rédac-
teur des Échos (VOrient, à Gonstantinople.
Valton, ancien professeur au grand séminaire île
Langres, à Paris.
YiLLiEN, professenr de droit canonique à l'Institut
catholique de Paris.
CONDITIONS ET MODE DE PUBLICATION
Le Dictionnaire de Théologie catholique paraît par fascicoles de 160 pa^^s (820 colonnes)
représentant la valeur de 8 vol. In- 12 de 300 pages. — Une gravure hors texte tient
lieu de 16 pages de texte.
Le prix de chaque fascicule, rendu fk*anoo, est de 6 fk*. net payahles après la réception
de chaque fascicule.
Les fascicules ne se vendent pas séparément et ne sont fournis qu*aux souscripteurs
à l'ouvrage complet.
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DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
TOME QUATRIÈME
DABILLON-EMSER
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Imprimatur
Parisiis, die 27 mensis Decembris 1910.
t Léo. ADOLPHUS,
Arch. Parisiens.
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DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
CONTENANT
L'EXPOSÉ DES DOCTRINES DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE
COMMBMCB SOUS LA DIBBCTIOlf DB
A. VACANT
nOCTEUK BN THÉOLOGIE, PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY
rONTDîUB SOUS CBLLB DB
E. MANGEXOT
PHonssBCR A l'institut CATROLIQDI D( rARIS
AVEC LE CONCOURS D'UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS
TOME QUATRIÈME
DABILLON-EMSER
PARIS
LETOUZEY ET ANÉ, ÉDITEURS
76"% Rue des Saints -Pères (VIP)
1911
TOUS DROITS RÉSERVÉS
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Harvard Unîvers'ly*
Divinity School Ubrary.
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MB
LISTE DES COLLABORATEURS
DU TOME QUATRIÈME
MM.
Antoine, au Mans (Sarthe).
ÂUTORE (le R. P. dom), chartreux, à la Chartreuse de
Florence (Italie).
Bareille, ancien professeur dé patrologie à rinstitut
catholique de Toulouse.
Bbward, à Paris.
Bigot, curé de Remenauville-en-IFaye (Meurthe-et-
Moselle).
Brucker, rédacteur aux Études^ à Paris.
Chébli (Sa Béatitude M^'), archevêque de Beyrouth, à
Beyrouth.
Chossat (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, profes-
seur de théologie au scolasticat d*Ore Place (Angleterre).
Chollet (Sa Grandeur Msr), ancien professeur de
morale aux Facultés canoniques de Lille, évéque de
Verdun.
Clamer, professeur d'Écriture sainte au grand sémi-
naire de Nancy, à Bosserville (Meurthe-et-Moselle).
Clerval, professeur d'histoire ecclésiastique à Tlnstitut
catholique de Paris.
Constantin, aumônier du lycée de Nanem.
CoULON (le R. P.), des Frères Prêcheurs, professeur à
VAngelicum, à Rome.
Dauphin, à Paris.
Deboye, professeur à la Faculté libre des lettres de Lille.
DuBLANCHY (le R. P.), de la Société de Marie, professeur
de théologie au scolasticat de Differt (Belgique), puis
au noviciat de Moncalieri (Italie).
Edouard d*Alençon (le R. P.), des Frères Mineurs
Capucins, archiviste de Tordre à Rome.
FoNSEGRivE, professeur de philosophie au lycée BufTon,
à Paris.
FoRGET, professeur de théologie à l'Université de Lou-
vain (Belgique).
FouRNERET, professeur de droit canonique à l'Institut
catholique, et vice-ofRcial de Tarchidiocèse de Paris.
MM.
Gardeil (le R. P.), des Frères Prêcheurs, régent du
Collège théologique de Kain (Belgique).
Gastoué, à Paris.
Gaudel, vicaire à la paroisse Saint-Nicolas de Nancy.
Godet, à Rosnay (Vendée).
Heurtkbize (le R. P. dom), bénédictin de Solesmes, à
Ryde (Ile de Wight).
Humbert, à Paris.
Ingold, à Colmar (Alsace).
Largent, professeur honoraire à l'Institut catholique
de Paris.
Le Bachelet (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, pro-
fesseur de théologie au scolasticat d'Ore Place,
(Angleterre).
Levesque, professeur d'Écriture sainte au grand sémi-
naire de Paris.
Merlin (leR. P.), religieux augnstin, à Gand (Belgique).
Michel, professeur de théologie aux Facultés canoniques
de Lille.
MoiSANT, à Paris.
Moureau, professeur de théologie aux Facultés cano-
niques de Lille.
Nau, professeur à l'Institut catholique de Paris.
Oblet, curé de la paroisse Saint-Georges, puis supérieur
du grand séminaire de Nancy, à Bosserville (Meurthe-
et-Moselle).
Ortolan, à Rome, puis à Paris.
Palmieri (le R. P.), religieux augustin, à Cracovie, puis
à Rome.
Petit (le R. P.), des Augustins de l'Assomption, supé-
rieur de la maison de Kadi-Keui à Constantinople.
Pétridès (le R. P.), des Augustins de l'Assomption,
à la maison de Kadi-Keui, à Constantinople.
Quilliet, professeur de théologie aux Facultés cano-
niques de Lille.
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(^oogle
VIII
LISTE DES COLLABORATEURS
MM.
Raymond (le R. P.)* des Frères Mineurs Capacins, pro-
fesseur de théologie au scolasticat de Kadi-Keui, à
Constantinople.
Roland, vicaire à la paroisse Saint-Géraud d'Aurillac
(Cantal).
Sala VILLE (le R. P.), des Augustins de l'Assomption, à
la maison de Kadi-Keui, à Constantinople.
SCHWALM (le R. P.), des Frères Prêcheurs, à Nice (f le
7 novembre 1908).
Servais (le R. P.), carme déchaussé, au couvent de
Jambes-lès-Namur (Belgique).
Serviëre (le R. P. de la), de la Compagnie de Jésus,
professeur d'histoire ecclésiastique, au scolasticat
d'Ore Place (Angleterre).
MM.
Vacandard, premier aumônier du lycée Corneille, à
Rouen.
Vailhé (le R. P.), des Augustins de TAssomption,
rédacteur aux £cAos d*Orient,k Constantinople.
Valton, ancien professeur au grand séminaire de
Langres, à Paris, puisa Tepeapulco (Mexique).
Vernet, professeur d'histoire ecclésiastique i l'Institut
catholique de Lyon et au grand séminaire de Saint-
Paul-Trois-Chàteaux (Drôme).
Verscuaffel, à Paris.
YiLLiEN, professeur de droit canonique à l'Institut catho-
lique de Paris.
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DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
D
DABILLON ou D'ABILLON André fut quelque
temps jésuite, subit riniluence du visionnaire Jean La-
badie, sortit avec lui de la Compagnie de Jésus (1639) et
raccompagna dans ses missions en Picardie, mais ne le
suivit pas dans ses erreurs et son apostasie. Fait grand-
vicaire par Mgr de Caumartin, évoque d'Amiens, Dabillon
accepta ensuite la cure de Magné, près Niort; il mourut
à Magné vers 1661. 11 a publié : La divinité défendue
contre les aUiées, in-8®, Paris, 46il. Il a aussi prétendu
rendre la philosophie plus accessible et en même temps
plus solide, dans son Nouveau cours de philosophie en
français, divisé en 4 parties contenant la logique,
métaphysique, physique et morale, suivant la doctrine
des plus célèbres autheurs, 4 in-8», Paris, 1643. Le
titre courant des volumes porte : La philosophie des
bons esprits. Il a fait paraître à part : La métaphysique
des bons esprits, ou Vidée d'une métaphysique fami-
lière et solide, in-8», Paris, 16i2; La morale des bons
esprits, ou Vidée et abrégé d'une morale familière et
solide, in-8», Paris, 1613. V « auteur célèbre » que Da-
billon déclare suivre de préférence est Ockam, le chef
de recelé nominaliste. On a encore de lui : Le concile
de la grâce, ou Réflexions théologiques sur le second
concile d^Orange, et le parfait accord de ses décisions
avec celles du concile de Trente, in-4«, Paris, 1645.
Xicéron, Mémoires pour servir à Vhistoire des hommes
illustres dans la République des lettres, L xx; Dictionnaire
de Moréri, Paris, 1750, L iv.
Jos. BRUCKER.
DADIKÈSy polémiste grec du xviii» siècle. On en a
fait un comte d'origine Cretoise; il appartenait plutôt à
la famille dalmate des Dadich. En 1770, il composa à
Venise un ouvrage de controverse intitulé : Ilepl twv
xévTC ôtx9op<ûv Tr,; àvaToXixf); xal ôuttxfiç èxxXyjfftaç. Les
cinq points discutés par l'auteur sont la primauté du
pape, la procession du Saint-Esprit, les azymes, le pur-
gatoire et la béatitude des saints. Son livre est resté
inédit.
A. a Demetrakopoulûs, *0f tô^^^o; 'F^Xàç. p. 188.
S. Pétridès.
DAELMAN Chaplee-OhUlain, théologien belge, né
à Mons en 1670. Après de brillantes humanités, il vint
étudier la philosophie et la théologie à l'université de
Louvain, où ses succès le firent vile remarquer. Il y
fut proclamé successivement docteur, « docteur-régent »
DICT. DE THÉOL. CikTHOL.
et professeur ordinaire à la faculté de théologie, et pré-
sident du collège Adrien VI, dit Collège du pape. Il fut
en outre chanoine de Saint-Pierre en la même ville et
chanoine de Sainte-Gerirude à Nivelles, 11 mourut à
Louvain le 21 décembre 1731, après avoir été plusieurs
fois recteur de l'université. La charge rectorale était
alors non une charge à vie, mais une charge simple-
ment semestrielle, le titulaire pouvant du reste être
réélu. Ce détail historique a sûrement échappé aux au-
teurs qui, énumérant les fonctions et les honneurs
auxquels Daelman s'éleva par son talent, concluent en
disant qu'il a devint finalement recteur de l'université ».
Si nous en croyons son épitaphe, d'ailleurs très élo-
gieuse, qui se voit encore dans la chapelle de Sainl-
Charles-Borromée en l'église primaire de Saint-Pierre,
il avait été nommé aux sièges épiscopaux de Namur,
de Gand et de Tournai, et, trois fois, il avait eu la mo-
destie de refuser. La même inscription rapporte sa
mort à l'année et au jour marqués ci-dessus; c'est donc
à tort que certains articles biographiques indiquent la
date de 1730 et que le 31 décembre a été substitué
au 21.
Daelman jouissait, en son temps et dans son milieu,
d*une considération peu commune. Il la devait à la ré-
gularité exemplaire de sa vie, à son caractère aimable
et à son entente des affaires autant qu'à l'ardeur et à
la facilité de son activité scientifique. A celle-ci il jol->«
gnait volontiers les pratiques du zèle sacerdotal, et l'on
a noté qu'il aimait à diriger les études des fils de fa-
mille se préparant à recevoir les saints ordres. On a de
lui un cours de théologie, qui a pour base .et qui suit
l'ordre de la Somme de saint Thomas, sans se trans-
former jamais en commentaire perpétuel, mais en s'at-
tachant plutôt à bien mettre en lumière les thèses et
les difficultés principales. Cette œuvre se recommande
par la lucidité de l'exposition, ainsi que par la solidité
de la doctrine et par une sage défiance à l'endroit des
erreurs jansénistes et quesnellistes. Malgré ses mérites,
elle ne fut publiée qu'après la mort de l'auteur, par les
soins réunis du baron De Raet Vander Voort et de l'im-
primeur anversois Jacques-Bernard Jourel. Sous le lilre
de Theologia seu obsei^ationes theologicsn in Summam
D. Thomœ, elle parut simultanément en deux éditions
dont l'une comprenant 2 in-fol., Anvers, 1735-1737, et
l'autre, 9 in-8», Anvers, 1734-1737. A côté de ce grand
IV. -1
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DAELMAN — DAILLÉ
ouvrage, il est telle notice qui en attribue à Daelman
deux autres, à savoir un « traité recherché » De acti-
bus humanis et des Thèses sur le système de la grâce
en réponse à Jean Opstraet, « Louvain, 1706. » Mais le
De aclibus humanis est certainement celui qui fait
partie intégrante de la Theologia, où il occupe sa place
naturelle suivant le plan connu du Docteur angélique;
et les Thèses sur le système de la grâce semblent bien
être aussi les Thèses et les Qusestiones qui figurent dans
le même ensemble, en guise d'appendice complémen-
taire au traité De gratia. Aux diverses parties de la
Theologia les éditeurs ont joint des Discours de circon-
stance, que Daelman a prononcés pour la plupart à
l'occasion de promotions théologiques. Dans ces haran-
gues officielles et solennelles, l'orateur quitte parfois,
bien que rarement, le domaine de la théologie pour
celui de l'histoire, et l'on sent facilement qu'il est alors
moins à l'aise et moins informé que sur son terrain
habituel; il y parle du reste un latin qui vise manifes-
tement à s'élever au-dessus du latin théologique ordi-
naire, mais dont Télégance n'est pas toujours égale à
elle-même.
De Ram, De laudibua quibus veteres Lovaniensium theologi
efferrt possunt, Louvain, 1848 ; De Smet, art. Daelman, dans
la Biographie nationale publiée par V Académie royale de
Belgique, Bruxelles, 1873, t. iv i>;Piron, Algemeene levens-
beschryving der mannen en vrouwen van Belgie, MaX'mes,
1860.
J. FORGET.
DAGN Placide, bénédictin, né à Sœll le 7 juillet
1745, mort le 2 août 1817, appartenait à l'abbaye de
Fiecht en Tyrol, y enseigna la théologie et y remplit les
fonctions de prieur. On a de lui : Godescalcus ah errore
prsedestinatorum vindicatus, in-8», Inspruck, 1777;
Paraphra^is vaticinii Jacohœi de perennitate scep-
tri Juda, cum assertionibus ex universa theologia
dogmatica publiée propugnandis in ascelerio bene-
dictino Georgimonlano, in-8", Inspruck, 1783.
Hurler, Nomenclator,iBIS5^ t. ui, col. 593; Scriptores ord.
S. Benedicti qui i750'i880 fuerunt in imperio AustHaco-
Hungarico, ln-4', Vienne, 1881, p. 54.
B. Heurtebize.
DAGUERRE Jean, théologien français, né à Lar-
resorre en 1709, mort le 25 février 1785. Malgré la pau-
vreté de ses parents, il alla étudier la théologie à Bor-
deaux sous le Père Chourio, jésuite. Revenu dans son
pays, il fut vicaire à Anglel, puis à Bayonne. Il prêcha
avec succès des missions dans le diocèse et entreprit d'y
établir un séminaire. Il réussit dans cette œuvre diffi-
cile et le séminaire de Larresorre fut terminé en 1733;
il en fut le directeur jusqu'à sa mort. Il fonda en outre
à Hasparren un monastère de femmes auquel il donna
en les modifiant légèrement les règles des religieuses
de la Visitation. Il publia : Abrégé des principes de
morale et des règles de conduite qu'un prêtre doit sui-
vre pour bien administrer les sacrements, in-12, Poi-
tiers, 1773. D'autres éditions de cet ouvrage parurent
en 1819 et 1823 complétées et revues par M. l'abbé Lam-
bert, vicaire général de Poitiers.
Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique pen-
dant le xvni' siècle, 3' édit.. 1855, t. v, p. 471.
B. Heurtebize.
DAILLÉ Jean, DALLAEUS, prédicateur et théolo-
gien calviniste, naquit à Châtellerault le 6 janvier 1594.
Après avoir fait ses études à Saint-Maixent, Poitiers,
Châtellerault, Saumur, il fut choisi par Duplessis-
Mornay pour précepteur de ses deux petits-fils, et fit
en leur compagnie de nombreux voyages à l'étranger;
il se lia d'amitié à Venise avec Fra Paolo Sarpi et
Asselineau. Rentré en France en 1621, il se fit recevoir
ministre, fut choisi en 1626 par le consistoire de Paris
pour pasteur de l'église de Charenlon. Il occupa ce
poste pendant quarante-quatre ans, célèbre par ses
prédications et ses ouvrages de controverse contre les
docteurs catholiques. Il fut modérateur au synode na-
tional de Loudun (1659), le dernier que les Réformés
aient tenu avec la permission du roi. En cette qualité,
il reçut communication de l'interdiction que Louis XIV
faisait aux Réformés de tenir désormais des synodes
nationaux, et s'efforça en vain de faire rapporter cette
décision. Il mourut à Paris, le 15 avril 1670.
Daillé eut, de son temps, une véritable réputation
d'orateur et de théologien ; Balzac l'estimait « un grand
docteur » ; d'après Patin « ceux de la Religion disaien
que, depuis Calvin, ils n'avaient pas eu de meilleun
plume que M. Daillé. n Bossuet avait fait vingt-deu
pages d'extraits de ses ouvrages en vue de les réfutai
Comme théologien, son attitude par rapport à l'autc
rite des saints Pères est remarquable. Dès ses prc
mières publications, il lui consacre un traité spécia
destiné à prouver « que les Pères ne peuvent esti
juges des controverses aujourd'hui agitées entre cei
de l'Église romaine et les protestants : 1» parce qu
est, sinon impossible, au moins très difficile, desçavc
nettement et précisément quel a esté leur sentime
sur icelles; 2« parce que leur sentiment (posé qv
fust certainement et clairement entendu) n'estant j
infaillible, ni hors de danger d'erreur, il ne peut av
une autorité capable de satisfaire l'entendement, (
ne peut ni ne doit croire en matière de religion (
ce qu'il sçait estre assurément véritable. » Traité
remploi, préface. Il reconnaît cependant qu'on (
respecter et étudier les ouvrages des saints Pè
« argumentant de ce que nous y trouverons négat
ment plutôt que positivement. » Cette thèse fut attac
non seulement par les controversistes calholiq
mais par les anglicans Pearson, Beveridge, Cave, \
ton. Cf. Rébelliau, Bossuet historien, p. 50. Dai
revint dans son livre La foy fondée sur les saii
Écritures, où il prétend prouver que tous les do|
chrétiens sont explicitement contenus dans la I
ou du moins peuvent se déduire logiquement des
trines scripturaires. Dans ses dernières années
traîné par le mouvement d'études patristiques qi
anglicans avait passé aux calvinistes français,
connut « que les Pères peuvent être ouïs, non a
juges, mais comme témoins de la tradition de l'
de leur temps, et que les écrivains des trois prc
siècles sont la première et principale partie de
enqueste ». Réplique aux deux livres, c. ii. Kt
sacre plusieurs ouvrages importants à prouver c
dogmes et les pratiques romaines furent incoi
l'Église des trois premiers siècles, ou même p<
ment réprouvés par elle. Cf. Réplique auœ deux
c. \-xxxvii, et les ouvrages indiqués ci-desso\
belliau, Bossuet historien, p. 52.
Il n'existe pas d'édition des œuvres compl
Daillé. Ses principaux traités sont : Traité de l
des saints Pères pour le jugement des diffère
sont aujourd'hui en la religion, Genève, i6ï
latine, Genève, 1636, 1655, 1686; Londres, 167
logie pour les Églises réformées où est proux^e
cessité de leur séparation d'avec l'Église r
Charenton, 1633, 1641 ; Irad. anglaise, 1653; Ira
Amsterdam, 1652; Genève, 1677; La foy fonde
saine tes Éanlures, Charenton, 1634, 1661 ; Ira
Genève, 1660, 1677; De la créance des Itères s
des imccges, Genève, 1641; trad. latine, 1642;
et satisfactionibus humanis, Amsterdam, 164
juniis et quadragesima, Deventer, 1654, 165
tatio de 2 Lalinorum ex unctione scLcrctmenl
matione et exlrema unctione, Genève, 1659 ; l
de sacramentali sive aurictdari L,atino^^i^
sione, Genève, 1661; Réplique da Jeatx JC
deux livresque Messieurs Adam et Cotliby c
contre lui, Genève, 1662; Adversus Lalinorx4,Tï
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DAILLE — DAM
6
religiosi objecta iradilionem, Genève, 4664; Exposition
de Vinstitution de la saincte cène, Genève, 1664; De
cultibus religiosis Latinorum, Genève, 1671. Vingt vo-
lâmes de sermons furent imprimés en divers lieux, de
1644 à 1670.
Bayle, Dictionnaire, art. Baillé; [Â. Daillé], Les detix der-
niers sermons de M. Daillé, prononcez à Charenton le jour
de PasqueSy sixième avril 1670, et le jeudy suivant, avec un
abrégé de sa vie et le catalogue de ses Œuvres, Charenton,
1670; Haag, La France protestante, t. iv, p. 180 sq.; Rébelliau,
BoÊSuet historien du protestantisme, Paris, 1892; Recolin,
Daillé, dans V Encyclopédie des sciences religieuses ; Vinet,
Histoire de la prédication réformée au xvir siècle, Paris, 1860,
p. 182 sq.; Kirchenlescikon, t. v, col. 13il-1342; Realencyclo-
padie, t. nr, p. 427-428.
J. DE LA SeRVIÈRE.
DAINEFF, DAINEFFE Grégoire, né à Liège, doc-
teur en théologie de Tordre des ermites de Saint-
Augustin, enseigna dans Tabbaye de Saint-Hubert. Il
vécut dans la première moitié du xvii* siècle. On a de
lui : Epilome histoHctrum vitœ monasticœ sancti
Augustini, imprimé avec un ouvrage de Jean Gonzalez
de Crltana : De institutione et antiquilate familiœ
S. Augustini, Anvers, 1612. Il composa également : Tra-
ctatus de triplici mundo, divino, angelico et humano;
la I" partie de ce traité De mundo divino a seule été
publiée, in-fol., Liège, 1639.
VaJére André, Bibliotheca Belgica, in-8% Louvain, 1643,
p. 299; Hurter, Nomenclator, 3* édit., 1907, t. m, col. 633.
B. Heurtebize.
D ALBIN Jean, théologien français, né à Toulouse
vers 1590, fut archidiacre de la cathédrale de cette ville.
Controversiste, il a publié : Discours et avertissenienls
salutaires au simple et très chrétien peuple de France
pour connaître les bons et fidèles évangélisateurs des
faux pt*ophètes par une conférence des Écritures sain-
tes et anciens docteurs faite avec les ministres de
Vévangélique réformation touchant le fait et la voca-
tion légitime, in-8», Paris, 1566; Six livres du sacre-
ment de Vautel promue peu* des textes d* Écriture sainte,
autorité des anciens docteurs et propres témoignages
des adversaires de V Église catholique, in-S», Paris,
1566; Opuscules spirituels, in-8«, Paris, 1567; La mat*-
que de VÉglise, in-8», Paris, 1568.
B. Heurtebize.
DALQAIRNS John Dobrée naquit dans Pile de
Gnernescy le 21 octobre 1818, ût ses études à Oxford,
où il fut reçu maître es arts, et devint' scholar au col-
lège d'Exéter. Entré dans le mouvement anglo-catho-
lique d'Oxford, il publia dans V Univers une lettre,
datée du dimanche de la Passion 1841, sur les partis
de rÉglise anglicane. Elle est reproduite dans le Dic-
tionnaire des conversions de Migne, Paris, 1852, col. 443-
448. Il collabora à la traduction anglaise de la Catena
aurea de saint Thomas sur les Évangiles, qui parut avec
une préface de Newman, 4 vol., Oxford, 1841-1845.
Bientôt après, il se joignit à Newman et se retira auprès
de lai à Littlemore. Il collabora à sa collection des
Lives of the English Saints, et y publia une vie de
saint Etienne Uarding, Londres, 1844, qui eut plusieurs
éditions, et qui fut traduite en français. Tours, 1848, et
en allemand, Mayence, 1865, et celles des saints Hélier,
Gilbert, Aelred. Il écrivit dans le Btntish Critic des ar-
ticles sur Dante, les jésuites et l'histoire de la Vendée. Le
29 septembre 1845, il abjura Tanglicanisme à Aston-Hall
entre les mains du P. Dominique, passioniste italien;
il précédait Newman de quelques jours. En 1845, il
était à Langres pour se préparer au sacerdoce auprès
de Tabbé Jovain ; il y fut ordonné prêtre en 1846 et
rejoignit Newman à Rome. Il entra avec lui à TOratoire
de saint Philippe de Néri, et fut un des premiers membres
de la congrégation oratorienne d'Angleterre constituée
en 1847. Il avait pris en religion le nom de Bernard.
A partir da mois de mai 1849, il demeura à la maison de
Londres, employé au saint ministère et à la prédication,
sauf un séjour de trois ans à Birmingham (octobre
1853 à octobre 1856), jusqu'à sa mort, le 8 avril 1876. Il
en avait été le supérieur de 1863 à 1865. Il publia beau-
coup d'articles dans la Dublin Review , entre autres, The
German Mystics of the fourteenth century, 1858, qui
fut publié à part, et dans la Contempomry Review,
1874, t. XXIV, p. 321 sq., un essai : The Personality of
God. Les deux écrits, tout remplis d'onction, qui l'ont
rendu célèbre, sont : 1» The dévotion to the Sacred
Heart of Jésus, avec une introduction sur l'histoire du
jansénisme, in-8o, Londres, 1853; 2« Thelioly Commu-
nion, ils philosophy, theology and praclice, in-12,
Dublin, 1861, dont une traduction allemande a paru à
Mayence, en 1862, et la version française par l'abbé
Godard, forme 2 in-12, Paris, 1863, sous le titre : La
sainte communion.
Dictionnaire des conversions de Migne, Paris, 4852, col. 442-
448, 977-979; Kirchenlexlkon, t. ii, col. 340-3M ; The dictionary
of national biography, Londres, 4888, t. xiu, p. 388-389;
J. Gillow, A bibliographical dictionary of the English catho-
lics from the breach with Rome in i534 to the présent time,
Londres, 1885-1902, t. ii.
E. Mangenot.
DAM. — I. Définition. II. Preuves. III. Gravité.
IV. Durée. V. Inégalités de la peine du dam en enfer.
VI. La peine du dam en purgatoire. VII. Dans les
limbes. VIII. Sur la croix, Noire-Seigneur a-t-il souf-
fert la peine du dam ?
I. DÉFINITION. — Le mot dam, du latin damnum,
perte, dommage, et, par suite, peine, souffrance,
signifie, dans le langage théologique, la peine essentielle
et principale due au péché.
La peine du dam se distingue de la peine du sens,
et cela, dit saint Thomas, de trois manières diffé-
rentes, selon que l'on considère Dieu qui l'inflige, ou
le pécheur qui la subit, ou, enfin, la faute dont elle est
le châtiment.
lo Si Von considère Dieu qui l'inflige, la peine du
dam embrasse toute peine dont Dieu est l'auteur par le
simple retrait qu'il fait de sa présence et de ses bien-
faits, tandis que la peine du sens est l'effet d'une action
affiictivc et positive de Dieu. Ainsi, par exemple, la pri-
vation de la grâce sanctifiante et des dons surnaturels
qui l'accompagnent, se ramène à la peine du dam envi-
sagée sous ce premier rapport. Hujus pœnœ Deus causa
est, non quidem agendo aliquid, sed potius non agendo,
Pœna vero sensus est qum per aliquam actionem infli-
gitur, et hujus , etiam agendo, Deus est auctor. Cf. S.
Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXXVII, q. m, a. 1.
2« Par rapport au pécheur qui la subit, la peine du
dam est toute peine consistant formellement en une
privation, que cette privation soit accompagnée de souf-
france, ou non ; car il n'est pas de l'essence de la peine
en général de causer toujours la douleur. Pour que la
notion de peine soit réalisée, il suffit d'une opposition
à la volonté que les théologiens appellent habituelle,
comme serait, par exemple, la peine provenant de la
privation d'un bien dont on souffrirait, si on la con-
naissait, tandis qu'on n'en souffre point, parce que, de
fait, on ne la connaît pas, ou on ne s'en aperçoit pas.
Cf. S. Thomas, Quœst. disp., De malo, q. i, a. 5, 6; q. v,
a. 3, ad 3"*°. Telle est la peine du dam pour les enfants
morts sans baptême, ou pour les adultes, qui, au mo^
ment de la mort, n'auraient aucune faute grave, en
dehors du péché originel. La privation éternelle de la
vision béatifique est assurément un très grand malheur
pour eux; mais ils n'en souffrent pas positivement, car
l'absence de la justice originelle ne les prédisposait
pas à cette vision béatifique qui dépasse infiniment les
forces et les exigences de la nature humaine. En outre,
ils ignorent qu'ils étaient surnaturellement destinés à
la possession de Dieu, cette vérité étant l'objet de la
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révélation, et cette connaissance venant à l'homme
uniquement par la foi qu'ils n'ont jamais eue.
Cf. S. Thomas, De malo, q. v, a. 1, ad S»"»; a. 2, 3;
S. Anselme, De conceptu virginali, c. xxvii, P. L.,
t. CLViii, col. 461. La peine du sens, au contraire, par
rapport au pécheur qui la subit, consiste en une dou-
leur ou torture positive. Pour ce motif, et vu l'extrême
souffrance qu'elle cause, la peine du dam peut se rame-
ner à celle du sens chez les damnés, qui, à la faute
originelle, ont ajouté des péchés personnels. Ils savent
en effet que, surnaturellement destinés à la gloire
céleste, ils s'en sont eux-mêmes volontairement et
défmitlvement exclus par une faute grave de leur part.
Pour eux la peine du dam est plus terrible même que
la peine du feu éternel. Néanmoins le supplice épou-
vantable dont ils souffrent par la seule privation de la
vision béatifique, est communément appelé peine du
dam, parce qu'il est alors comme la conséquence natu-
relle de l'éloignement de Dieu. Cf. S. Thomas," De
malo, q. v, a. 2; Salmanticenses, Cursus theologicus,
tr. XIII, De vitiis et peccatis, disp. XVIII, dub. i, § 1,
n. 4-7, 21 in-8o, Paris, 1876-1883, t. viii, p. 397-400;
Lessius, De perfeciionihus morihusque dwinis,\. XIII,
De justitia et ira Dei, c. xxix, n. 203, in-8«, Paris, 1881,
p. 503; Suarez, De angelis, 1. VIII, c. v, n. 41, Opéra
omnia, 28 in-4«, Paris, 1856-1878, t. ii, p. 976; Billot,
Disguisitio de natura et ratione peccati personalis,
sive introduclio ad tractatum de pmnitenlia, part. I,
en, q. Lxxxvii, n. 4, in-8», Rome, 1897, p. 76.
3» Enfin, si l'on considère la faute dont elle est le
châtiment, la peine du dam est celle qui correspond à
la faute, en tant que par elle le pécheur se détourne de
Dieu, souverain bien ; par suite, la peine du dam est
infinie, puisqu'elle est la perte irrémédiable de Dieu
qui est le bien infini. La peine du sens correspond à
la faute, en tant que par elle le pécheur se tourne
vers la créature, pour mettre en elle sa fin dernière,
et en jouir en dehors de l'ordre, ou plutôt contraire-
ment à l'ordre fixé par la loi éternelle. Cf. S. Augustin,
Contra Faustam, 1. XXII, c. xxviii, P. L., t. xlii,
col. 419; S. Thomas, Sum. theoL, II* II», q. xx, a. 3;
q. xxxiv, a. 1 ; Salmanticenses, op. cit., tr. XIII, De
vitiis et peccatis, disp. XVII, dub. iv, § 1-3, n. 90-108,
t. vm, p. 389-397; Suarez, loc. cit., c. iv, n. 4, t. ii,
p. 973. La peine du sens, correspondant à la conver-
sion désordonnée du pécheur vers la créature qui est
finie, est elle-même finie, quelque terrible qu'elle
paraisse. Cf. S.Thomas, Sum, theol., I«II», q. lxxxvii,
a. 4; III» Suppl., q. xcix, a. 1.
Prise dans la signification spéciale qu'on lui donne
communément, la peine du dam indique donc le dam-
num par excellence, ou le dommage le plus grand que
l'homme puisse subir, c'est-à-dire l'exclusion définitive
de la vie éternelle, la perte irrémédiable de la béati-
tude suprême, la privation de la vision béatifique et de
la possession de Dieu, la mors secunda, dont parle
l'Apocalypse, xxi, 8, cette mort éternelle que la mort
elle-même ne peut finir, comme s'expriment saint Au-
gustin, De civitateDei, 1. XIX, c. xxviii, P. L., t. xu,
col. 656, et saint Grégoire le Grand, Moral., 1. IX,
c. Lxvi, P, L., t. Lxxv, col. 915. Par suite, chez les
adultes, damnés pour des péchés personnels, la peine
du dam indique aussi le supplice le plus épouvantable
que la créature puisse endurer. C'est dans cette peine
du dam que consiste essentiellement l'enfer, toutes les
autres peines n'étant, par rapport à elle, que comme
des accidents qui en découlent. Cf. Pesch, Prœlectiones
dogmalioB, De novissimis, part. I, sect. iv, a. 3, n. 643,
9 in-8*», Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. ix, p. 317.
II. Preuves. — La peine du dam est nettement
indiquée par les paroles que prononcera le souverain
juge au jour du jugement dernier : Discedite a me
maledicli, in ignem œtemum, Matth., xxv, 41. Si la
seconde partie de la sentence, in ignem /ctcn
fait connaître la peine du sens réservée aux ma
pour toute l'éternité, la première partie, disced
me, maledicli, ne révèle pas moin s clairement la i
du dam qui leur sera infligée : séparation éternel
Dieu qui, en les maudissant, les repousse à j:
loin de sa présence, et leur dit le terrible Nescii
Luc, xiii, 27; Matth., vu, 23; xxv, 12; I Cor., vi,
Ailleurs, la peine du dam est précisée plus er
Jésus-Christ annonce que les maudits seront r
dans les ténèbres extérieures, ejicientur in ten
exteriores. Matth., viii, 12; xxii, 13; xxv, 30. Les
menlateurs font remarquer que, très souvent, la béa
du royaume céleste est représentée, dans TÉci
sous la figure d'un grand festin donné par le r
le père de famille, non au milieu du jour, mais l
ou à la tombée de la nuit. Luc, xiv, 16-24; Apoc,
Le mot SeîTTvov, employé dans le texte original, ne
aucun doute à cet égard. C'était, d'ailleurs, la co
des anciens de faire leurs festins d'apparat, le se
même la nuit, comme en témoigne plusieurs fois
ture elle-même. Judith, vi, 29;xn, 10; Matth., }
Marc, VI, 21; I Cor., xi, 20-21; 1 Thess., v, 7. C
la salle de ces festins était ornée d'une multit
lampes, allumées soit pour la commodité des noi:
convives, soit pour rehausser la splendeur de I
ceux qui s'asseyaient dans la salle étaient envi
d'une très vive lumière; mais ceux qui ne pouv
pénétrer, ou qui étaient violemment rejetés au «
se trouvaient plongés au contraire dans de pr<
ténèbres, qui paraissaient d'autant plus épaiss<
plus éclatante était la lumière de l'intérieur-
cité céleste est illuminée par la lumière infinie
Dieu lui-même. Ceux qui ont le bonheur d'êtn
dans ses murs n'ont pas besoin, pour y voir, des
du soleil, ou des autres astres, car Dieu lui-m
leur soleil. Is., LX, 19-20; Apoc, xxi, 11, 23;
Mais plus vive et consolante est la lumière doi
sent les élus, lumière éternelle, lumière infin
profondes, plus complètes et plus épouvantab
les ténèbres extérieures dans lesquelles sont pi
les malheureux à jamais exclus du festin étern*
bien là, certes, la privation totale de Dieu, la vrs
du dam.
Saint Jean, Apoc, xxi, 11, 23, 24; xxîi, 4^ l
tue ce contraste entre la lumière incréée et l'i
nuit. Il décrit combien le divin soleil, conten
à face, fait resplendir de sa propre clarté l'im
Jérusalem, où tout, pour mieux refléter celle i
rable lumière, est de l'or le plus pur, du crisls
transparent, et dont les murs eux-mêmes ne soi
que des pierres les plus précieuses. Une pui
tache est requise pour habiter cette cité resph
sous la divine lumière qui la traverse de tou
Apoc, XXI, 27. Kt une voix se fait entendre
canes et venefici, et impudici, et homicidœ,
servientes, et omnis qui amat et facit t?iei
Dehors tous les ouvriers d'iniquité. Apoc,
C'est bien là encore l'indication de la peine
Texclusion des maudits, chassés par Dieu L
face, et séparés de lui pour l'éternité.
Cette sévère sentence est souverainement <
car il est de toute justice que ceux qui se se
tairement détournés de Dieu par le péch
restent séparés de lui. Cf. S. Thomas, Sur
MI«, q. LXXXVII, a. 4; Contra gentes, I. III,
Quoique plongés dans de si épaisses tén
damnés ne sont pas cependant privés de 1
leurs facultés naturelles d'appréhension et d
ni des notions acquises, ou même infuses
servent à mieux connaître leur extrême mis
ressentir davantage. Cf. S. Thomas, In 2 V Si
dist. L, q. II, a. 2, q. i; Sum. theoL, II* II»,
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DAM
10
ad S"»" ; III* Suppl., q. lxxxviii, a. 1 ; Compendium
theolog., c. clxxvi; Suarez, De angelis, 1. VIII, c. vi,
n. 9-10, t. II, p. 979-982.
III. Gravité. — La peine du dam est incomparable-
ment la plus terrible de toutes les peines de l'enfer.
Auprès d'elle, le tourment même du feu éternel, si atroce
soit-il, n'est presque rien. Cf. S. J. Chrysostome, Ad
populum Antioch,, homil. xvii, super Matlh., P. G.,
t. LYii, col. 263; S. Pierre Chrysologue, Serm., cxxii,
P. L., t. LU, col. 534 sq. ; Suarez, De angelis, l. VIII,
c. IV, n. 8, Opéra, t. ii, p. 974; S. .Alphonse de Liguori,
Corso di mcditazioni, 2 in-8<>, Turin, 1891, t. ii, p. 580.
Cette peine dépasse inûniment tout ce que Tintelligence
est capable de concevoir ici-bas, et tout ce que le
angage humain sait exprimer. Elle ne peut se mesurer,
dit saint Bernard, que par Tinfinité même de Dieu dont
elle est la privation, hmc enini tanta pœna, quantun
ille, 9. et, par conséquent, elle est grande à proportion
que Dieu est grand. » Cf. Bourdaloue, Carême, Sermon
sur V enfer. Œuvres complètes, 16 in-S», Paris, 1822,
t. m, p. 68. Depuis longtemps les anciens Pères avaient
parlé de même : hœc est tanta pœna quantus ipsemet
Deus. S. Augustin, De civitateDei, 1. XXI, c. iv, P. L.,
t. xu, col. 711 sq. Le supplice du dam est d'autant
plus insupportable que les maudits connaissent mieux
combien est grand et captivant le bien qu'ils ont perdu.
A cette pensée, dont ils ne peuvent se détourner, et qui
les obsède, s'allume en eux un désir immense et à
jamais inassouvi de Téternelle béatitude. Mais cette
infinie beauté de Dieu qui les attire par ses charmes,
fait, par sa pureté sans tache, ressortir davantage leur
honteuse laideur morale. Conscients de ce contraste
qui les accable, ils sont à eux-mêmes un spectacle si
repoussant, qu'ils préféreraient subir tous les tourments
de l'enfer, plutôt que de paraître en ce hideux état, en
présence du Dieu infiniment saint, et dans la société
des élus, qu'ils haïssent pourtant d'une haine inextin-
guible. Cf. Pesch, Prselectiones dogmaticm, De novissi-
mis, sect. iv, a. 3, n. 670, t. ix, p. 328. Ils se voient
donc obligés, malgré les tendances les plus irrésistibles
de leur être, à fuir Dieu, souverain bien, qui seul pourrait
satisfaire leur soif insatiable de bonheur. Et ce Dieu,
pour lequel ils se sentent faits, cette beauté suprême
qui les attire et les repousse à la fois, cet objet de leur
amour à jamais perdu, ils sont contraints, dans des
transports d'une rage infernale, à le détester, le blas-
phémer et le maudire. C'est le tourment d'un cœur
passionné d'amour et rongé par la haine de l'être qu'il
adore, car, dit saint Thomas, les damnés ne souffriraient
pas autant de la peine du dam, s'ils n'aimaient Dieu en
quelque façon, in IV Sent,, 1. IV, dist. XXI, q. i, a. 1,
q. Il; Compend. theolog., c. CLXXiv. Cette peine est
donc la souffrance atroce de l'amour contrarié, méprisé,
transformé en furie, et constamment au paroxysme de
la rage et du désespoir. Cf. S. Augustin, In Ps, en,
n. 8; De civitate Dei, l. XXI, c. m, P. L., t. xxxvii,
col. 1322; t. xLi, col. 710; S. Thomas, In IV Sent.,
1. IV, dist. L, q. ii, a. 1, q. v; Sum. Iheol., II* II",
q. XXXIV, a. 1 ; Bellarmin, De purgatorio, 1. II, c. xix,
t. u, p. 403.
Les damnés souffrent donc comme une espèce de
déchirement de l'âme elle-même, tirée en divers sens
â la fois, par des forces opposées et également puis-
santes. C'est comme un écartellement spirituel, torture
bien plus affreuse que celle qu'ils ressentiraient, si
leur corps était écorché vif, ou coupé en morceaux;
car, autant les facultés de l'âme sont supérieures à
celles du corps, autant est plus douloureux le déchire-
ment profond par lequel elle est séparée d'elle-même,
en étant séparée de Dieu, qui devait être l'âme de son
âme, et la vie de sa vie. Voir Prat, Origène, Paris, 1907,
p. 96-97. Tanto aliquid magis dolet de aliquo lœsivo,
quanta magis est tensitivum. Unde lœsiones qum I
fiunt in locis maxime setisibiHbm, sunt maximum
doîorem causantes. Et quia totus sensus corporis est
ah anima, ideo si in ipsam animam aliquid lœsivum
agat, de necessitate oportet quod maxime affligatur...
Et ideo , oportet quod pœna damni, etiam' minima,
excédât omnem pœnam, etiam maximam, hujus
vitœ. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XXI, q. i, a. 1.
Cf. Pesch, Prselectiones dogmaticse^ tr. III, De novissi'
mis, part. I, sect. iv, a. 3, n. 643, t. ix, p. 317. De ce
déchirement intérieur de l'âme entière, naît une dou-
leur intense dont aucun supplice de la terre ne peut
donner la moindre idée. Cf. S. Thomas, In IV Sent.,
1. I, dist. XLVIII, a. 3. q. m ; Cont. gentes, 1. III, c. cxli;
Compendium theolog., c. clxxiv-clxxviii.
Pour infliger au pécheur le tourment le plus formi-
dable qui puisse être. Dieu n'a qu'à se retirer complè-
tement de lui. Cf. Suarez, De angelis, l. VIII, c. iv,
n. 8, t. II, p. 975. De même qu'il dit au juste : C'est
moi qui serai ta récompense, et elle sera immense,
car rien n'est plus grand, ni meilleur que moi,
Gen., XV, 1; de même il dit au réprouvé : C'est moi
qui serai ton supplice, et je le serai en m'éloignant de
toi, car il n'y a rien de plus terrible, dans les trésors
de ma colère, que cette complète séparation de moi-
même. Alors suivant l'énergique expression de
saint Augustin, Confess., 1. XIII, c. vin, P. L.,
t. xxxii, col. 848, se creuse dans l'âme réprouvée un
abîme sans fond de ténèbres et de lamentables misères;
vide affreux qui la torture bien plus que la faim dévo-
rante, Ps. Lviii, 7; vide angoissant qui éternellement
la tue, sans la faire mourir; car Dieu a fait l'âme
humaine tellement grande que, pour remplir sa capa-
cité infinie, et pour satisfaire son désir illimité de
jouissances, il ne faut rien moins que Lui. Sans Lui,
il ne reste en elle que la capacité infinie de souffrir.
Defluxit angélus, defluxit anima hominis, et indica-
vet*unt abyssum universœ spiritualis creaturse in
profundo tenebroso... In ipsa miseria inquietudinis
defluentium spirituum, et indicantium tenebras suas
ntidatas veste luminis lui, satis ostendis quam
magnam creaturam rationalem feceris, cui nullo
modo sufficit ad beatam requiem quidquid te minus
est, ac per hoc, nec ipsa sibi. S. Augustin, loc. cit.
C'est le dénuement total, l'isolement infini. Tenebrosa
abyssus ipsi sibi est universa mens creata, propter
infinilatem quam habet, non actus seu capacitatis^
seu potentim. Vai autem ei, itei^mque vas, si in hanc
abyssalem vacuitatem defluat et in eo profundatur.
Billot, Tractatus de novissimis, q. m, Ihes. iv, § 1,
in-8°, Rome, 1902, p. 77.
Le langage humain est aussi impuissant pour dire
ce qu'est l'enfer, que pour dépeindre le bonheur du
ciel. L'œil de l'homme n'a point vu, son oreille n'a
point entendu, son cœur n'a point compris ce que Dieu
a préparé de supplices à ceux qui l'offensent, comme
de félicités à ceux qui l'aiment. Is., lxiv, 4; I Cor., ii, 9.
L'enfer nous est aussi inconnu que le ciel.
Objection. — La peine du dam ne paraît pas devoir
être aussi grande, car, tant que nous vivons sur la terre,
nous ne jouissons pas de la vision béatifique, et cepen-
dant nous n'en sommes pas à ce point affligés.
Réponse. — Pour l'homme vivant sur la terre, ne
pas voir Dieu est une simple négation d'un bien qui
ne lui est pas encore actuellement dû, et dont la pos-
session est seulement possible ; mais, pour le damné,
c'est une vraie privation d'un bien dont il a faim et
soif, et dont il ne saurait se passer sans souffrir immen-
sément.
Nous connaissons sur la terre, infiniment moins que
les damnés, le souverain bien qui est Dieu. D'autre
part, nous avons, dans la vue et la possession des créa-
tures qui nous entourent, bien des moyens de nous
distraire de la pensée du bien suprême, et de calmer
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en quelque façon, notre d^sir inné de bonheur. Nous
trouvons donc en elles présentement un dérivatif et une
jouissance. Mais, après la mort, le mode d'être et de
connaître est profondément modifié. Jn futura vita
alius est et essendi et cognoscendi modut, et tant
cito cessante unione ad coi^ruptibile corpus, tam cito
cessât transuertens sensum inconstantia concupiscen-
tim. Billot, Ty'octatus de novissimis, q. m, thés, iv,
§ 1, p. 78. D*abord, tous les biens de la terre sont com-
plètement enlevés aux damnés. Kn outre, ils constatent
que seule la vision de Dieu peut les rendre heureux.
Par toutes les puissances de leur être, ils sont, pour
ainsi dire, orientés vers la possession de ce bien que
toutes leurs facultés, et Tessence même de leur nature
réclament. Bien plus que le poisson n'a besoin d'eau,
ou que nos poumons n'ont actuellement besoin d'air,
les damnés ont un besoin pressant, impérieux, constant,
ininterrompu, de Dieu. Ils ne peuvent, un seul instant,
en détourner leur pensée. Les créatures qui les entourent,
loin de leur apporter un adoucissement, ou même une
simple distraction, ne servent qu'à augmenter leur
torture en contribuant à leur supplice. Cf. S. Chr^sos-
tome, Jn Joa., homil. xxiii; In Heb., homil. xi, xii,
P. G,, t. Lix, col. 137 sq.; t. LXiii, col. 90-95; S. Au-
gustin, Enchindion, c. cxir,.P.i.., t. xl, col. 284; Les-
sius. De perfectionibus mof*ibusque divinis, l. XIII,
c. XXIX, n. 206, p. 506 sq.
IV. Durée. — L'éternité de la peine du dam a été,
sinon formellement niée, du moins mise en doute par
Origène, si toutefois ses écrits, tels qu'ils sont parve-
nus jusqu'à nous, n'ont pas été interpolés. Cf. Petau,
Dogmata theologica, tr. De angelis, 1. III, c. vi, n. 4-13;
c. VII, n. 1-14, 8 in-4o, Paris, 1866, t. iv, p. 101-113;
P. Prat, Origène, p. 99-102. La fin de celte peine et
des autres tourments qui l'accompagnent, était nommée
par les Grecs àTroxaTa^rradi;, ou restitution univer-
selle. A ce moment, les damnés auraient, en tout, été
égaux aux élus et réciproquement. Cf. Petau, op. cit.,
p. 105. Celte erreur monstrueuse, car elle tendait à
assimiler, après un certain temps, les vierges pures
aux prostituées, Lucifer à l'archange saint Gabriel, les
martyrs aux apostats, les apôtres aux démons, etc.,
cf. S. Jérôme, In Matth., xxv, 46, P. L., t. xxvi, col. 197,
fut embrassée et défendue par Théodore de Mopsueste,
par les priscillianistes, et par ces anciens hérétiques
que saint Augustin appelle « les miséricordieux ».
Cf. S. Augustin, De civitate Dei, l. XXI, c. xviii, n. 1;
De hœresibus ad Quodvuttdeum, c. XLiii, xlv, P. L.,
t. XLi, col. 732-736 sq.; t. xuii, col. 33 sq.; S. Jérôme,
In Joa., m, 6, P. L., t. xxv, col. 1142. Afin de se
prévaloir de son autorité, les origénistes l'intercalèrent
enstiitedans les œuvres de saint Grégoire de Nysse qui,
cependant, en plusieurs endroits, enseigne la perpé-
tuité de la damnation. Petau, Dogmata theologica,
De angelis, 1. III, c. viii, t. iv, p. 116. Cf. S. Grégoire
de Nyssei De catechetico, c. xxvi, xxxv; De anima et
resui*rectione, P. G., t. xcviii, col. 34; Photius, Biblio-
thec, cod.233; Nicéphore, H, E., 1. XI, c. xix; 1. XVIL
c. XVII, xviii, P. G., t. cm, col. 4106; t. cxlvi, col. 627
sq.; Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII, De
vitiis et peccatis, disp. XVII, dub. m, § 1, n. 55-60,
t. viii, p. 374-376; Bellarmin, De purgalorio, l. II, c. i,
Opéra omnia, 8 in-4«, Naples, 1872, t. ii, p. 387; Les-
sius. De perfectionibus nwHbusque divinis, 1. XIII,
c. xxv, n. 163, p. 465 sq.; Atzberger, Geschichte der
christlichen Eschatologie, in-8«, Fribourg-en-Brisgau,
1898, p. 409 sq.; Turmel, Histoire de la théologie posi-
tive, Paris, 1904, p. 187-192. Elle fut renouvelée par les
anabaptistes du xvi« siècle, et par les déistes et rationa-
listes de nos jours.
L'Église a solennellement condamné cette erreur à
diverses reprises. Cf. Ib concile de Constantinople,
V« œcuménique, tenu en 553, anathema ix, Mansi,
ConciL, t. IX, col. 395; Denzinger, Enchiridion, n. ii
voir Origénisme au vi« siècle; !!« concile de Nie
VII* œcuménique, tenu en 787; Mansi, t. xii, col. lOî
IV* concile œcuménique de Latran, en 1215; Décrète
1. I, tit. I, De sunima trinitate et fide catholica, c.
Fimiiter, Denzinger, n. 356; Décret d'Innocent IV,
1250, Décrétai., 1. III, tit. xlii. De baptisnio et ej
effectu, c. m, yfajores, Denzinger, n. 341 ; concile
Trente, sess. VI, c. xiv, xxv; sess. XIV, can.
sess. XVII, c. xxvii-xxvHi, Denzinger, n. 690, 1\
Cf. Fr. Diekamp, Die origenist. Streitigkeiten, in-i
Munster, 1897, p. 67 sq.
Les textes de la sainte Écriture ne laissent pas
moindre doute à ce sujet. Toutes les fois qu'il y est fi
mention du châtiment des damnés dans la vie futur
il y est dit que ce châtiment n'aura pas de fin. Disc
dite a me, nialedicti, in ignem œtemum. Matth., xx
41, 46. Si le feu est éternel, la peine du dam de
l'être aussi, car la malédiction ou .la réprobatio
discedite a me, nialedicti, doit durer autant que
feu lui-même, qui n'est qu'une conséquence de cet
malédiction. Tant que les damnés brûleront dans <
feu, ils seront retenus loin de Dieu. Donc la malédi*
tion pèsera éternellement sur eux, et toujours i
auront à supporter la peine du dam. C'est d'ailleui
dans celle-ci que consiste essentiellement l'enfer, i
les peines secondaires sont éternelles, comment
peine principale ne le serait-elle pas? A la peine d
dam, et en premier lieu à elle, s'appliquent donc toi
les passages de l'Écriture qui présentent comme étei
nels.les châtiments des damnés, au même titre que sor
étemelles les récompenses des élus. Qui domtiunt i
ten^m pulvere evigilabunt, alii in vitam œtemaiii
alii in opprobrium ; et, comme portent le texte grec et I
texte hébreu, in abominationeni et contemptum te ta
num^ cl; ovetBiajjLov xa\ at<i;(yvr,v aitoviov, aS'iy l'iN'n^
Dan., XII, 2. La peine éternelle du dam est clairemen
indiquée aussi par saint Paul : Pœnas dabunt ti
intetHtu œtei*nas, a fade Domini et a gloria virtuti
ejus; 8ixr,v tfaouaiv oXeÔpov aîcoviov àno Trpovcaicou w
Kuptou xat ano Tf,c îoÇrj; r^; ta^uo; aùtoû : ils subiron
des peines éternelles loin de la face du Seigneur
II Thess., I, 9. Cf. Apoc, xiv, 11; xix, 3; xx, 10.
Sans doute, le mot éternel, atwvio; en grec, nS**;
en hébreu, a quelquefois dans l'Ancien Testamen
un sens moins rigoureux, et il désigne, alors, un<
période de longue durée, quoiqu'elle doive avoii
cependant une fin. Mais, dans ces cas, la reslrictior
s'impose par la considération du contexte, à tel point
que ces cas peuvent être précisément envisagés comme
des exceptions. Si, dans certaines circonstances parti-
culières, un mot est susceptible d'un sens impropre el
limité, on aurait tort d'en conclure, en règle générale,
qu'on doit toujours le prendre dans ce sens incomplet.
On ne le peut que s'il y a des raisons spéciales de le
faire, manifestant l'intention de l'auteur à ce sujet.
Autrement il faudrait renoncer à toute clarté dans le
langage humain, car il n'y a guère de mots, qui, outre
leur sens propre et naturel, ne puissent aussi recevoir
un sens métaphorique et figuré. Donc, pour garder à
un mot son sens propre, il n'est pas besoin de raisons
spéciales ; il en faut, au contraire, pour le détourner du
sens propre que l'usage et le consentement commun
lui ont constamment donné. Cf. Passaglia, De astet^nitate
pomarum, in-8o, Rome, 1855, p. 10. Or, dans les textes
précités, il n'y a aucun motif de prendre le mot
« éternel » dans un sens métaphorique. Cf. Passaglia,
op. cit., p. 14 sq. Il y en a plutôt pour lui laisser son
sens propre, à moins de supposer que, dans la même
phrase, le même mot soit pris une fois dans le sens
propre, et une autre fois dans le sens métaphorique.
Tous conviennent, en eflet, que lorsqu'il s'agit de la
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récompense des justes, le mot « éternel )> doit être pris
au sens propre, ibunt justi in vitam œteimam.
Matth., XXV, 46; Marc, ix, 42 sq. Mais comment, alors,
et pour quel motif, dans cette même phrase, prendre
le mot « étemel » au sens métaphorique, quand il
s'agit du supplfce des damnés, ibunt in iupplicium
œtemum f Ce serait l'absurdité même, remarque
saint Augustin : Discet^e in hoc uno eodemque sensu :
vita œtema sine fine erit, supplxciuni œtemum fineni
habebit, multuni absurdum est. De civitate Dei,
1. XXI, c. xxiii; Ad Orosium contra priscillianistas et
origenistas, c. vi, P. L., t. xu, col. 736; t. XLii,
col. 673. Cf. S. Jérôme, In Gai., m, 22, P. L., t. xxvi,
col. 367 sq.; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IV,
dist. XLIV, p. II, a. 1, q. i. Opéra omnia, 6 in-fol.,
Rome, 1596, t. vi, p. 569 sq. ; Knabenbauer, In Isaiani,
Lxvi, 24, 2 in-8», Paris, 1^, t. ii. D'ailleurs, dans le
Nouveau Testament, jamais le mot aitovio; n*a le sens
restreint. Il ne se trouve, en effet, que dans les passages
où mention est faite de la fin du monde, terme dernier
de toutes choses, après lequel il n'y a plus à espérer
où à attendre de changement.
Cest toujours en prenant le mot « éternel » dans le
sens rigoureux, que les saints Pères ont interprété ces
textes. Quibuscumque diœerit Doniinus : Discedite a
nie, tnatedicti, in igneni perpetuum, isti etntnt senxper
damnati;et quibuscumque dixerit: Venite, benedicti,
...Ai semper percipiunt regnuni... Aiwvia ik xal àteXeO-
rïjxa napà Bcoy xh àyaOâ, xai lik toûto xa\ ^ o-c£pT)ai;
orjT&v alcovto; xai aTcXe^TYjTO;. S. Irénée, Cont. hsar.,
I. IV, c. xxviii; 1. V, c. XXVII, P. G,, t. vir, col. 1062,
1196 sq. Les autres Pères parlent de même et enseignent
rétemité de l'enfer. Cf. S. Basile, In Isaiani , ii, 31,
X, 20; In Ps. xxxni, P. G,, t. xxv, col. 229, 550 sq.;
t. XXXIX, col. 368, 372; Siméon Métaphraste, P, G.,
t. XXXII, col. 1301 ; S. Grégoire de Nazianze, Oratio XL,
in s. baptisma, n. 36, P. G., t. xxxvi, col. 411, 425;
S. Jérôme, In Jonam, m, 6; Jn Matth., xxv, 46, P. L.,
t. xxv, col. 1142; t. xxvi, col. 197; S. Augustin, De
fide et oper., c. xv, n. 25; De civitate Dei, 1. XXI,
c. xxiii-xxjv; 1. XXII, c. i; i4d Orosium contra priscil'
UanisUu et origenistas, c. v, P. L., t. xl, col. 214;
t XLi, col. 735 sq.; t. XLii, col. 672; S. Fulgence, De
fide, seu de régula verte fidei ad Pelrum diaconum,
c. xuii, n. 84; Dtf remissione peccatorum, 1. II , c. xiii,
XV, XXI, P. L., t. Lxv, col. 564-567, 571 sq., 700-703;
S. Léon le Grand, Set^i., ix. De coUectis, iv, P. L.,
t. Lrv, col. 161 sq.; S. Grégoire le Grand, Moral., 1. VIII,
c. viii ; 1. IX, c. xxxviii ; 1. XXXIV, c. xvi ; Dialog.,
I. IV, c. XLIV, P. L., t. Lxxv, col. 809, 894; t. lxxvi,
col. 796 sq.; t. lxxvit, col. 402. Cf. Benoit Sinsart,
Défense du dogme catholique sur Véternité des peines
de l'enfer, in-8«, Strasbourg, 1748; Petau, Dogmata
theologica, tr. De angelis, I. III, c. vi-viii, t. iv, p. 99-
123; Patuzzi, De futuro impiorum statu, libri très,
in-4<», Venise, 1764; Atzberger, Geschichte der christli-
chen Eschatologie, p. 247 sq., 291.
A ce sujet, les théologiens n'ont aussi qu'une voix.
a. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, XLV,
XLVUl; Sum. theol., III* Suppl., q. lxix, a. 3; q. LXXv,
a. 5; Cont. génies, 1. III, c. xi, c. cxuv; 1. IV, c. xcvi;
Suarez, tr. V, De vitiis et peccatis, disp. VII, sect. m,
n. 2-16, Opéra omnia, t. iv, p. 586-590; Salmanticenses,
Cursus theologicus, tr. XIII, De vitiis et peccatis,
disp. XVII, dub. m, § 1-4, n. 55-90, t. viii, p. 387-389;
Lessins, De perfeclionibus moribusque divinis, 1. XIII,
c. xxv, p. 465-470; Émery, DissefHation sur la mitiga-
tion des peines dés damnés. Œuvres complètes, édit.
Migne, Paris, 1857, col. 1358-1412; Bautz, Die Hôlle,
p. 38 sq. ; Billot, QusBStiones de novissimis, q. m,
thés. Il, 1, in-8», Rome, 1902, p. 50-54.
La durée éternelle de la peine du dam ne répugne
pas en soi. La droite raison, en effet, enseigne que I
Dieu ne peut laisser sa loi sans une sanction suffisante.
La sagesse le demande, car Dieu ne saurait demeurer
indifférent au crime et à la vertu. Or, cette sanction
n'existe pas toujours sur la terre. Très souvent les
pécheurs y trouvent honneurs et richesses, tandis que
les justes n'y rencontrent qu'épreuves et afflictions.
C'est pour beaucoup un sujet d'étonnement et même
de scandale, suivant le mot du psalmiste : Zelavi super
iniquos, pacem peccatorum videns. Ecce ipsi peC'
catores et abundantes in sœculo obtinuerunt divitias.
Ps. Lxxii, 3, 12. Les impies en profitent pour blasphé-
mer la providence, s'obstiner dans leurs péchés, et nier
même l'existence de Dieu. Ps. xin, 1, 2 sq.; liu, 1 sq.
Très souvent cependant l'Écriture annonce que cette
sanction n'est que différée. Noli œmulari in mali-
gnantibus, neque zelaveris facientes iniquitalem.
Quoniam tanquam faenum velociter arescent....
quoniam quimalignanturextemnnabuntur. Ps. xxxvi,
1, 2, 9 sq. Vœ vobis divitibus, quia habetis consola-
tionem vesti'am, Vse vobis qui saturati eslis, quia
esurietis... lugebitis et flebitis. Luc, vi, 24 sq. Cette
sanction aura lieu quand le juge souverain viendra
rendre à chacun selon ses œuvres. Matth., xvi, 27;
Âct., XVII, 31; Rom., II, 6. La sanction due aux pé-
cheurs impénitents est donc réservée pour la vie future.
D'ailleurs, par un certain côté, le péché grave a une
malice infinie. L'injure croît en proportion de la
personne offensée. Or, la personne offensée par le
péché mortel est Dieu, qui est infini. Cette injure,
i nfinie dans son objet, si elle n'a pas été réparée en
cette vie, grâce aux mérites infinis du Verbe incarné,
doit l'être dans l'autre monde. Si le châtiment que
l'homme est capable de subir ne peut être infini dans
son intensité, il peut néanmoins l'être dans sa durée
illimitée. Le pécheur qui meurt en état de péché mor-
tel, mérite donc un châtiment éternel. Cf. S. Thomas, In
IV Sent., 1. II, dist. XLII, q. i, a. 5; Lessius, De perfe-
ctionibus moribusque divinis, l. XIII, c. xxvr, n. 187-
189; c. xxvii, p. 487-496.
C'est donc un sophisme de comparer la durée du
châtiment et celle du péché, en vue de démontrer que,
pour un péché de quelques instants, il n'est pas juste
d'infliger une peine éternelle. Un crime mérite un
châtiment, non en proportion de sa durée, mais de la
malice qu'il renferme. Un assassin qui accomplit son
méfait en quelques instants, n'est-il pas justement mis
en prison pour toute sa vie, ou condamné à mort et,
par conséquent, privé à jamais des biens dont il aurait
pu jouir sur terre ? Jamais la justice humaine n'a cru
devoir limiter la durée du châtiment à la durée du
temps qu'il a fallu pour commettre la faute. Elle consi-
dère la gravité de la faute commise. Souvent d'un acle
transitoire découlent des effets perpétuels, comme la
mort de la victime, dans l'homicide. Cf. S. Augustin,
De civitate Dei, 1. XXI, c. xi, P. L., t. xli, col. 726;
S. Grégoire le Grand, Moral., 1. XXXIV, c. xix,
n. 36, P. L., t. Lxxvi, col. 738; S. Thomas, Smwi. theol,
I» II», q. Lxxxvii, a. 3, ad 1""". Secundum civilem
justitiam, dit ailleurs saint Thomas, qui contra rem-
publicam peccat, societate reipublicœ privatur omnino,
vel per mortem, vel per exilium, nec attenditur quanta
fuerit mora temporis in peccando, sed quid sit contra
quod peccavit. Eadem est autem comparatio totius
vltse prœsentis ad rempublicam terrenam, et totius
astemitatis cul sodetatem beatorum qui ultimo fine
œtemaliter potiuntur. Qui ergo contraultimum finem
peccat, et contra charitateni per qiuim est societas
beatorum, in setemum débet puniri {privatione illius
finis et societaiis), quamvis aliqua brevitemporis mora
peccaveint. Cont. gentes, 1. III, c. cxuv. Cf. Sum. theol,
III» Suppl., q. c, a. i; In IV Sent., 1. II, dist. XLII,
q. i, a. 5; 1. IV, dist. XL VI, q. i, a. 3; Salmanticenses,
Cursus theolog., tr. XIII, De vitiis et peccatis,
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disp. XVII, dub. III, § 2, n. 69-76, 1. viii. p. 380-384;
Bourdaloue, Set^nion pour le XIX* dimanche après
la Pentecôte, Sur l'éternité malheureuse, I'« partie,
Œuvres complètes, t. vu, p. 244-271 ; Monsabré, Exposi-
tion du dogme catholique; L'autre monde, xcviii»
conféreDce: L'enfer: V éternité des peines, in-8«>, Paris,
1889, p. 58-70.
On objectera que souvent ceux qui pèchent mortelle-
ment n'ont pas l'intention de persévérer dans le péché,
mais se proposent de se convertir avant de mourir. Il
n'est pas moins vrai que, par ce péché mortel, ils placent
actuellement leur fin dernière dans le bien créé qu'ils
préfèrent à Dieu, et ils auraient l'intention de persévé-
rer dans ce désordre, s'ils pouvaient le faire impuné-
ment. S'ils se proposent de se convertir plus lard, c'est
uniquement à cause de la crainle set^nliter servilis.
Ils ne détestent pas le péché lui-même, puisque, malgré
cette crainte de l'enfer, ils le commettent. Ce qu'ils
détestent dans le péché, c'est le châtiment qu'il entraine,
comme les damnés, après la mort, ne le détestent que
pour ce motif. Le pécheur, ayant à choisir, choisit le
péché, et il est décidé à y rester toujours, s'il peut le
faire sans inconvénient pour lui. Il a donc renoncé
pour toujours, autant qu'il dépend de lui, au bien in-
créé, afin d'adhérer pour toujours aussi à la créature.
Suivant la remarque si judicieuse de saint Grégoire le
Grand, les pécheurs voudraient toujours vivre, afin de
demeurer toujours dans leurs iniquités. Moral.,
l. XXXIV, c. XVI, P. L., t. Lxxvi, col. 736. Cf. Salman-
ticenses. Cursus theologicus., tr. XIII, De vitiis et pec-
catis, disp. XVII, dub. m, §3, n. 78-82, t. viii, p.385sq.
Ils montrent bien la perversion de leur volonté, en
repoussant, durant leur vie, la grâce de la conversion
qui leur est si souvent offerte, et en différant jusqu'à
la mort leur propre amendement. Quand ils ont quitté
la terre, cette grâce n'est plus à leur portée. Dieu la
leur refuse; mais peuvent-ils justement s'en plaindre,
après l'avoir si souvent méprisée? Celui qui se crève-
rait volontairement les yeux, dit saint Thomas, ne se
priverait-il pas pour toujours de la vue, car il ne peut
se la rendre? De quel droit voudrait-il faire Dieu
responsable de sa cécité ? Dieu peut lui rendre la vue,
sans doute; mais y est-il obligé? Et celui qui se tue,
ne s'enlève-t-il pas pour toujours la vie ? Ainsi le pécheur
détruit volontairement en lui le principe de sa vie
surnaturelle, ou de la béatitude éternelle. Donc, autant
que cela dépend de lui, il se Tenléve d'une façon irré-
parable. Dieu pourrait le lui rendre même après la
mort, mais il n'y est nullement obligé. Cf. S. Thomas,
Sum. theol., I» II', q. lxxxvii, a. 3; Swarez, De angelis,
1. VIII, c. XI, n. 5sq., Opéra omnia, t. ii, p. 1004-1006;
Salmanticenses, op. cit., tr. XIII, De vitiis et peccatis,
disp. XVII, § 3, n. 82-85; § i, 85-90, t. vin, p. 386-389.
C'est de toute justice que celui qui a voulu éternelle-
ment pécher contre Dieu, soit éternellement séparé de
lui, comme le remarque encore le pape saint Grégoire,
Dialog., 1. IV, c. xuv, P. L., t. lxxvii, col. 402.
Cf. S. Fulgence : Pet^ianente in eis injustœaversionis
malo, permanet etiam justœ retribu tionis œleima
damnalio. De fide ad Petrum, c. xxxi, xxxvi, P, L.,
t. Lxv, col. 687, 689. En cela, dit saint Bernard, Dieu
est extrêmement juste; il est l'équité même, la règle
inflexible de la droiture : Deu^ est sequitatis directio
inconvertibilis atque indeclinabilis, quippe attingens
ubique... Reclus Dominus Deus noster, qui et cum
perverso pervertitur. De consideratione, 1. V, c. xii,
n. 25, P. L., t. CLXXxii, col. 802. Cf. Monsabré, op. cit.,
p. 70-76.
Si la peine du dam est éternelle, les maudits éprouvent-
ils, du moins, parfois, des adoucissements? Quelques
anciens ont supposé qu'il en avait été ainsi la nuit de
la résurrection de Notre-Seigneur, et qu'il peut en être
de môme par l'effet des prières des vivants. Cf. Prudence,
Hymn., v, vs. 125 sq., P. L., t. lïx, col. 827
S. Augustin, Enchiridion, c. ex, cxii, P. L., t.
col. 283 sq.; Apocalypse de Paul. Voir t. i, col. i
Mais le même saint Augustin réprouve très sévèrei
cette opinion erronée. De ci vitale Dei, 1. XXI, c. :
P. L., t. XLi, col. 737. Saint Thomas la conda
comme présomptueuse, ne reposant sur aucun fc
ment, et tout à fait contraire à la tradition catholi
Sum. theol., III* Suppl., q. Lxxi, a. 5. Cf. Su
In IT1'^«' parlem Sum. theol., disp. XLIII, sect
n. 10, Opéra omnia, t. xrv, p. 738; Bellarmin, De
gatorio, I. II, c. xviii, Opéra omnia, S in-8o, Na
1872, t. II, p. 406 sq.; Petau, Dogmata theologica,\
De angelis, 1. III, c. viii, n. 16-18, t. iv, p. 119-
Billot, Quœstiones de novissimis, q. ni, thés, m,
p. 69-71. Saint Thomas admet cependant, et la pli
des théologiens admettent avec lui, que Dieu ne pun
les damnés suivant toute la rigueur de sa justice,
que, malgré la gravité de leurs supplices, sur eux a
jusqu'à un certain point, s'exerce la divine miséric
Sum. theol., I", q. xxi, a. 1, ad 1»"; In IV S
1. IV, dist. XLVI, a. 3, ad 1«»; Suarez, tr. V, De
et peccatis, disp. VII, sect. m, n. 15; De incar
q. I, a. 2, disp. IV, sect. m, n. 32, Opéra omnia,
p. 590; t. XVII, p. 137; Bellarmin, De purgatorio,
c. XVIII, ad 2""», Opéra omnia, t. ii, p. 417 ; Mons
op. cit., p. 83 sq.; S. François de Sales, Jraii
l'amour de Dieu, l. IX, c. i. Œuvres complète
in-8«, Paris, 1835, t. vu, p. 113.
V. Inégalité de la peine du dam en enfei
Considérée en elle-même, la peine du dam est la r
pour tous les damnés, car elle est également poui
la privation totale et définitive du bien supi
Cf. S. Thomas, Sum. theol., I» II«, q. xxxvii,
III« Suppl., q. Lxii, a. 3; Salmanticenses, C
theologicus, tr. XIII, De vitiis et peccatis, disp
dub. i,§ 1-5, n.1-25, t. viii, p. 250-260. Mais consi
dans l'affliction qu'elle apporte aux réprouvés,
diffère suivant le degré de culpabilité de chacun c
Plus ils furent coupables, plus ils sont torturé:
elle, car plus profondément ils sont tombés dai
ténébreux et terrible abimede l'âme, dont saint Aug
parle si éloquemment, Confess., l. XIII, c. viii, 1
t. xxxiv, col. 818, et plus ils sentent douloureuse
le vide infini causé par l'éloignement de Dieu
magis in tenebrosa sui ipsius abysso anima dan
profundatur, quo majori sensu afftcitursuœ pote
litatis, sciens ad quam magnam beatitttdinem f
prxordinata; quo etiam longius a terra quiei
sempiternum repulsam se videt, quo magis de se
vacuo et impertransibili chcu) in quod decidil
conscia est. Cf. Billot, QusRStiones de novissimis,
thés. IV, §1, p. 78.
Cela se comprend facilement si l'on songe
même en enfer, il est rendue chacun selon ses œi
Rom., 11, 6. Or, cette correspondance entre le i
ment et la faute commise doit se retrouver surtout
la peine du dam, qui est la peine essentielle et pi
pale de l'enfer. S. Thomas, Cont. gentes, l. III, c.
Plus un damné a péché, plus il s'est détourné de
La peine du dam a pour but précisément de pu
péché en tant que par lui le pécheur se détour
Dieu. Le damné sent donc, en proportion de ses pt
le poids de la malédiction de ce Dieu qui s'éloig
lui à son tour, et qui le chasse de sa présenc
damné souffrira d'autant pius qu'il aura une plus g
faculté et un plus grand besoin de jouir. Les g
reçues et méprisées ont augmenté en lui cette ap
et ce besoin, en pioporlion de leur nombre. Cl
grâce, en elTet, était un appel de Dieu, une invital
le mieux conLdltre et à le mieux aimer. Cela
même temps, une lumière et un moyen pour arri
ce degré de connaissance et d'amour fixé par
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DAM
18
Elle créait donc dans Ta me une plus grande disposition
à celte connaissance et à cet amour, et, par une suite
naturelle, un plus grand besoin de connaître Dieu et
de Taimer. Donc, autant de grâces rejetées par le pécheur,
autant de degrés inassouvis de puissance et de besoin
d'aimer et de posséder Dieu. Chaque grâce méprisée
a creusé davantage l'abîme éternel dans lequel l'âme
s'est plongée. Les plus coupables sont donc plus aptes
à sentir la privation du bien suprême, comme, dans le
ciel, les plus saints parmi les élus sont plus aptes à
jouir de la présence et de la possession de Dieu. La
grâce dont les saints ont profité et qui a porté ses
fruits en eux, a< augmenté leur ressemblance avec
l'exemplaire divin. C'est ce plus ou moins de perfection
dans leur conformité avec lui qui les rend plus ou moins
capables de jouir de la divine essence. De même, le mépris
des grâces et les fautes accumulées ont augmenté, chez les
damnés, leur degré de dissemblance avec l'infinie pureté
et sainteté de Dieu. C'est ce plus ou moins d'opposition
aa bien suprême qui leur en fait sentir davantage la
privation, et différencie en eux la peine du dam. Dieu
est l'essence même de la bonté et de la félicité substan-
tielle, comme dit le pseudo-Denys. De divinis nomini-
bu8, c. I, § 3; c. IV, § 10, P. G., t. m, col. 590, 707. Le
malheur d*en être privé se mesure donc sur le degré
d'opposition que le damné a avec ce bien suprême,
dont les grâces reçues tendaient à le rapprocher, tandis
que ces mêmes grâces méprisées tendent à le repousser
davantage. Cf. Lessius, De perfectionibus nwribusque
divinis, 1. XIII, c. xxix, n. 204, p. 505-507; Suarez,
De angelis, 1. VIII, c. v, n. 9, Opéra omnia, t. ii,
p. 978; Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII,
De vitiis et peccatis, disp. XVIII, dub, i, § 2, n. 7-10,
t. vin, p. 400 sq.
De même donc que les élus, dans le ciel, jouissent
davantage de la vision béatifique, suivant leurs mérites;
de même, les damnés, dans l'enfer, souffrent davantage
de sa privation, en proportion des crimes dont ils se sont
souillés. Cf. Salmanticences, Cursus theolog., tr. II, De
visione Dei, disp. V, dub. i, t. i, p. 251.
C'est l'avis unanime des théologiens, comme ce fut
aussi celui des saints Pères. Cf. S. Basile, In Ps, vu,
5, P. G., t. XXIX, col. 238 sq.; S. Jérôme, Contra Jovi-
nianum, 1. II, n. 25, P. L.,i. xxiii, col. 322; S.Augus-
tin, Epist., CLXVii, n. 4; De hœr,, n. 82, P. L.,t. xxiii,
col. .375; t. XLii, col. 45; Scot, In IV Sent., 1. IV,
dist. XVI, q. i, a. 1; dist. L, q. i, a. 4; S. Thomas,
In IV Sent., 1. II, dist. XXXII, q. i, a.l; Suarez, De
angelis, 1. VllI, c. v, n. 9, Opéra omnia, t. ii, p. 979;
Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII, De vitiis
et peccatis, disp. XVIII, dub. i, § 2, n. 7-10; § 3, n. 10-
22, t. viii, p. 401-408.
VI. La peine du dam en purgatoire. — Les âmes du
purgatoire souffrent-elles la peine du dam ? Si le mot
dam est pris dans son sens rigoureux et absolu, entant
qu'il signifie l'exclusion déûnitive de la vie éternelle,
la perte irrémédiable de la béatitude suprême, il ne
s'applique pas évidemment à l'état des âmes, retenues
en purgatoire. La peine du dam, en effet, est encourue
par le pécheur, parce qu'il s'est détourné de Dieu et a
placé sa fin dernière dans la créature. Or, cette aversion
â l'égard de Dieu n'existe pas dans les âmes saintes du
purgatoire. Un grand nombre d'entre elles n'ont commis
que des péchés véniels qui ne les détournent pas de
Dieu, mais sont simplement un obstacle dans leur
marche vers lui. Quant aux autres qui eurent le malheur
de pécher mortellement, elles se sont repenties durant
leur vie terrestre, et, par conséquent, converties à Dieu
et retournées vers lui. La peine du dam ne saurait donc,
en aucune façon, leur être infligée.
Mais, si, par dam, on entend simplement le retard
apporté â la vision béatifique et à la possession de
Dieu, les âmes du purgatoire y sont certainement sou-
mises, et cette peine est pour elles extrêmement doulou-
reuse. Cf. Suarez, De angelis, 1. VIII, c. xiv, n. 14;
De purgatoHo, disp. XLVI, sect. i, n. 2, Opéra omnia,
t. Il, p. 1038; t. xxii, p. 903. Vu sa nature néanmoins,
elle ne se rapporte pas à la peine du sens, mais à celle
du dam. £ile peut donc, et doit être appelée pœna
damni secundum quid. C'est aussi à la peine du dam
que saint Thomas la ramène. In IV Sent., 1. IV,
dist. XX, q. I, a. 2; dist. XXI, q. i, a. 1, q. m. D'après
les théologiens, la peine du dam absolu est donc la
privation perpétuelle de la béatitude suprême, et le
dam relatif est le retard apporté à la jouissance de ce
bien infini, à partir du moment où, suivant l'ordre de
la providence, on devient apte à le posséder, et où l'on
devrait en jouir. C'est au moment où l'âme se sépare de
son corps, que, dégagée des liens terrestres, et inacces-
sible aux impressions des sens, l'âme sent s'éveiller en
elle cette faim dévorante et cette soif de bonheur, qui,
par une tendance irrésistible, la porte impétueusement
vers Dieu, seul capable de la satisfaire et de la rassa-
sier. Tant que l'âme n'entre pas en possession du bien
souverain après lequel elle soupire de toutes les puis-
sances de son être, elle subit une torture à laquelle
tous les maux de la terre ne sauraient, en aucune façon,
être comparés. Cf. S. Thomas, In IV Sent,, 1. IV,
dist. XXI, q. i, a.l, q. m. La vision béatifique est un si
grand bien, dit Suarez, que la posséder un seul jour,
ou même une seule heure, cause un bonheur dépas-
sant infiniment la joie que procurerait la possession
simultanée de tous les biens de la terre, pendant une
longue existence. La vision béatifique, accordée pendant
quelques instants seulement, serait une récompense
surabondante, et hors de toute proportion, pour toutes
les bonnes œuvres que chacun pourrait accomplir, et
pour toutes les épreuves que l'on pourrait subir
ici-bas. Par suite, le retard apporté à cette jouissance
pour l'âme qui, séparée de son corps, a un besoin im-
périeux de cette béatitude infinie, cause une peine
dépassant incomparablement en amertume et en souf-
france tous les maux de la terre. Les âmes du purgatoire
reçoivent de Dieu les lumières qui leur font comprendre
combien grand est le bien dont elles sont privées. En
même temps, s'allume en elles, pour la beauté infinie
qu'elles connaissent, un amour si intense qu'il leur
rend l'éloignement de Dieu plus pénible et plus terrible
que mille morts. Cf. Suarez, De purgatoHn, disp. XLVI,
sect. m, n. 1, Opéra omnia, t. xxii, p. 917 sq. ; Bellar-
min. De purgatorio, 1. II, c. x, xiv, Opéra omnia,
t. II, p. 401, 403. Leur ardent amour pour Dieu fait
leur supplice. C'est non seulement une faim insa-
tiable et une soif inextinguible de Dieu : c'est une
fièvre de Dieu, fièvre brûlante, d'une incalculable
intensité, car sa grandeur se mesure à celle de l'objet
dont la privation les torture. C'est une douleur d'un
autre ordre que toutes celles de la terre: douleur trans-
cendante, comme est transcendant leur état d'âmes
séparées du corps, état dont nous n'avons actuelle-
ment ni l'expérience personnelle, ni même l'idée, et
qui leur donne la faculté de souffrir d'une manière
toute différente de celle dont on souffre en ce monde.
Cf. Mor Gay, De la vie et des vertus chrétiennes consi-
dérées dans l'état religieux, c. xvii. De V Église consi-
dérée comme objet de la charité, îl^parViey De l^'^glise
souffrante, 2 in-8o, Paris, 1874, t. ii, p. 562-566; Monsa-
bré. Exposition du dogme catholique, xcvii» confé-
rence. Le purgatoire, in-8o, Paris, 1889, p. 23 sq.
Pour être passible de cette peine du dam relatif, ou
secundum quid, il n'est pas nécessaire de s'être détourné
de Dieu par le péché mortel*, comrp.c pour le dam
absolu; mais il suffit de tout obstacle qui se dresse
entre l'âme avide de Dieu et Dieu lui-même. Cet obs-
tacle à l'élan de l'âme vers Dieu qui l'attire avec tant
de force, c'est le péché véniel, ou la peine due encore
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19
DAM
aux péchés mortels déjà pardonnes quant à la coulpe.
C'est ce qui retient loin de Dieu lés âmes jusqu'à leur
entière purification, et les empêche jusque-là de jouir
de la béatitude éternelle. Cf. Salmanticenses, Cursus
théologiens, tr. XIII, Devitiis etpeccatis, disp. XVIII,
dub. I, § 1, n. 6, t. VIII, p. 399 sq. ; Suarez, De purga-
torio, disp. XLVl, sect. i, n. 2-4, Opéra omnia, t.xxii,
p. 309 sq.
Cette peine du dam relatif que souffrent les âmes du
purgatoire, est, cependant, malgré son intensité, bien
différente de la peine du dam absolu dont sont affligés
les damnés dans l'enfer. Pour ceux-ci aucun soulage-
ment ou adoucissement, ni aucune consolation; mais
le désordre, la révolte, le blasphème, le désespoir
éternel. Obstinés dans le mal, ils ne consentent en
aucune façon aux arrêts de la justice divine, et ils
maudissent ce Dieu, pour lequel ils se sentent faits,
et dont la possession pourrait seule leur procurer cette
félicité, que toutes les puissances de leur être exigent
et réclament sans cesse. Les âmes du purgatoire, au
contraire, aiment Dieu et adorent les décrets de sa
justice, même quand ils les font épouvantablement
souffrir. Elles ont la charité et la grâce sanctifiante,
racine et fondement inébranlable de la gloire éternelle,
à laquelle elles parviendront certainement, un jour.
Elles le savent, et cette assurance est pour elles la
source indéfectible d'une immense joie. Au milieu de
leur supplice elles goûtent une paix inaltérable,
inconnue sur terre. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent.,
1. IV, dist. XX, part. II, a. 1, q. ii; Suarez, De purga-
torio, disp. XL VII, sect. m, n. 1-10, Opéra omnia,
t. XXII, p. 931-935; Bellarmin, De purgatono, 1. II,
c. IV, v, XIV, Opéra omnia, t. ii, p. 392-395, 403;
Binet,i)6 Vélat des dmes du purgatoire, c. ii, § 2, La
peine du dam, in-12, Paris, 1863, p. 13 sq. ; Mgr Gay,
op. cit., t. Il, p. 569-572. Si le choix leur était donné,
elles préféreraient rester en purgatoire, plutôt que de
revenir sur la terre, où, cependant, en beaucoup moins
de temps, elles pourraient, et avec infiniment moins de
souffrance, satisfaire à la justice divine; mais où aussi
elles seraient encore exposées à se perdre éternelle-
ment. La joie intense que leur procure la certitude de
leur salut éternel, les aide merveilleusement à suppor-
ter leur souffrance, quoiqu'elle ne la diminue en rien.
Puis, comme elles sont confirmées en grâce, leur
volonté est en tout conforme à la volonté de Dieu. Non
seulement elles acceptent avec résignation ses décrets,
mais elles y acquiescent avec amour et reconnaissance.
Or, une peine volontairement acceptée et subie avec
amour est moins pénible, en raison de son acceptation
et de l'amour qui la fait accepter. C'est un fait d'ex-
périence et une vérité reconnue par les théologiens,
que la peine n'est, à proprement parler, que ce qui
contrarie la volonté : hœc est ratio pœnas quod volun-
tati contrariatur. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV,
dist. XXI, q. I, a. 1, q. iv; Sum. theol., I» II», q. vi,
a. 6; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XX,
part. II, a. 1, q. i. Moins une peine est invo-
lontaire, moins elle contient de pénalité, quantum adi-
mitur de invotuntaHo, tantum tollitur de pœnalitate.
Cf. Suarez, De purgatorio, disp. XL VI, sect. m, n. 3,
t. XXII, p. 917; Binet,2)e Vétat des âmes du purgatoire,
c. II, § 2; c. III, § 1-2, p. 19-24, 27-32, 75-122; Billot,
Disquisitio de natura et ixLtione peccati personalis,
sive introductio ad tractatum de pœnitentia, part. I,
c. Il, q. Lxxxvii, n. 4, in-S», Rome, 1897, p. 77 ; Monsabré,
Exposition du dogme catholique, xcviK conférence,
Le purgatoire, in-8«>, Paris, 1889, p. 23 sq. ; Faber,
Le purgatoire, c. m, in-12, Paris, 1898, p. 32-40.
Cette peine du dam relatif est donc pour les âmes du
purgatoire un mystérieux mélange de souffrances
indicibles, d'inexprimables joies et d'inefTables conso-
lations. Par cela même, il nous est encore plus difficile
de nous en faire une idée, que de la peine du dam
enfer. La souffrance torturante sans consolation
comprend mieux que celle qui tourmente en laisî
subsister, ou mieux en causant une joie à laquelle n
joie de la terre ne saurait être comparée. Sur ce s
on pourra consulter avec fruit le Traité du purgaV
de sainte Catherine de Gênes. Examiné d'abord
l'ordre de l'archevêque de Paris, et approuvé par
professeurs de l'université de cette ville, en If
cf. Galtia christiana, t. vu, p. 181, il le fut ensi
plus solennellement encore par la S. C. des Ri
à l'occasion du procès de canonisation de la sainte
approuvé juridiquement par Innocent XI, le 14 j
1676. Cf. Acta sanctorum, t. v seplembris, p. i
Saint François de Sales et le cardinal Bellarmin
faisaient le plus grand cas. Écrit primitivement en
lien, ce traité a eu de nombreuses éditions en divei
langues. Le bénédictin Lechner en a donné une i
tion allemande, Le&en und Schriften derhl, Kathar
von Genua, in-8®, Ratisbonne, 1859, p. 227 sq. Un abr
assez étendu a été fait par le P. Faber, AU for Jet
or the easy ways of divine Love, in-12, Londres, M
p. 370 sq. ; Tout pour Jésus, c. ix, § 4, in-12, Pa
1882, p. 367 sq. Le P. Marcel Bouix, de la Compag
de Jésus, en a publié une traduction française : Tn
du purgatoire de sainte Catherine de Gênes, in-
Paris, 1883.
La durée de cette peine du dam relatif est abs(
ment inconnue. Quelques auteurs, comme S<
In IV Sent., 1. IV, dist. XIX, q. m, a. 2, et Maldoi
De purgatorio, q. v, ont prétendu que la peine
purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans; mais
raisons qu'ils en donnent ne reposent sur aucun fon
ment sérieux. La peine du dam, même relatif, et
plus terrible que toutes celles de la terre, ils se
mandent comment Dieu l'infligerait plus longter
pour des fautes vénielles qu'on peut si facilem
expier en ce monde par de légères mortifications,
simplement par l'usage des sacramentaux. Ils oubli
manifestement que, durant sa vie mortelle, l'hom
est sous le règne de la miséricorde, tandis que, p
tard, il tombe sous celui de la justice. Mais pourq
fixer dix ans, et non vingt, trente, etc., ou seulem(
cinq et moins encore? Ils en appellent à la bonté
Dieu. Sans doute, Dieu est infiniment bon; il est au
infiniment juste. Les âmes du purgatoire sesoumett*
avec amour à la douleur. Cf. Mo^ Gay, op. cit., t.
p. 569. Elles savent que Dieu étant infiniment p
elles ne peuvent paraître en sa présence et jouir
Lui sans être entièrement purifiées. Cette purificati<
elles la désirent donc avec tant d'ardeur que, pc
aucune raison, elles ne voudraient que leur supplice
moins long ou moins rigoureux qu'il doit être pc
les amener à la pureté à laquelle elles aspirent. £1
souffrent; mais sans se plaindre, ni murmurer. El
sont plutôt extrêmement reconnaissantes à Dieu
leur avoir, par bonté et miséricorde, préparé ces moye
de purification, pénibles, il est vrai, mais qui assun
leur félicité. La prolongation de leur supplice ne le
parait donc pas opposée à la bonté de Dieu. Elle leur
est plutôt une preuve évidente.
Combien durera pour elles ce dam relatif? C'est
secret de Dieu. Seul il connaît la gravité de ces faul
légères, qui ne sont ni une pen-ersion complète
l'être humain par rapport à sa fin dernière, ni u
apostasie totale, mais qui écartent de la voie droite
qui, par suite, ont quelque chose de grave en s<
parce qu'elles offensent l'infinie majesté de Dieu. A Dl
seul il appartient de fixer et l'intensité et la durée (
la peine. Cette durée, il ne nous en a pas révélé
terme. L'Église n'a rien défini non plus ; mais, par
pratique, elle fait comprendre que cette durée peut et
indéfiniment longue, puisqu'elle permet, en faveur d
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DAM
22
âmes soumises à la peine du dam relatif, la célébration
des anniversaires expiatoires de vingt, trente, cinquante,
cent ans et plus. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV,
disl. XXI, q. I, a. 3; Suarez, De purgalorio, disp. XLVI,
sect. IV, n. 6, Opéra omnia, t. xxii, p. 924 sq. ; Bellar-
rain, De purgatorio, 1. Il, c. ix, Opéra omnia, t. ii,
p. 400 sq. Parmi les propositions condamnées par le
pape Alexandre VII, le 18 mars 1666, il s'en trouve une,
la 43'', ainsi formulée : Annuuni legatuni pro anima
relictum non durât pluis quant pei" deceni annos.
Cf. Denzinger, Enchiridion, n. 1014. Voir t. i, col. 746-
747.
D'ailleurs, cette notion du temps que nous avons
pendant que nous vivons sur la terre, les âmes du
purgatoire, séparées du corps, et soustraites à toute
innuence du monde sensible, Tont-elles comme nous ?
Quel rapport a leur vie nouvelle avec le temps qui
s'écoule? Comment peuvent-elles le mesurer et en
appx^cier le cours ? Y a-t-il pour elles une différence
entre une minute et une heure, entre un jour et un
an, entre une année et un siècle? Pour elles, il n'y a
ni jour, ni nuit; ou plutôt tout est nuit. Ce ne sont pas
les ténèbres extérieures des damnés; c'est néanmoins
Tabsence de lumière. Dans ces conditions si différentes
des nôtres, quel moyen ont-elles de se faire une idée
de la nnarche du temps? Cf. Ma' Gay, op. cit., c. xvii,
p. 565 sq. Une âme, plus tourmentée qu'une autre par
cette peine, peut croire en être affectée depuis plus
longtemps qu'une autre qui Ta précédée en purgatoire,
mais qui souffre moins, tant Tappréciation de la durée
est une chose subjective. Pour ceux qui mourront peu
avant la fin du monde, et qui, sans être damnés, auront
cependant à expier beaucoup, Dieu pourra augmenter
rintensité de la souffrance, et leur donner ainsi la
perception d'une durée plus longue. Cf. S. Thomas,
In IV Sent,, 1. IV, disp. XLVII, q. ii, a. 3; S. Bonaven-
ture. In IV Sent,, 1. IV, dist. XLVII, a. 2, q. iv. Tout
ce qu'on peut assurer, c'est qu'au moment du juge-
ment dernier, la peine du dam relatif n'existera plus
pour personne, car, alors, le travail de purification
étant terminé pour toutes les âmes, les humains ne
formeront plus que deux catégories : les damnés et les
bienheureux. Et ceci est de foi. Matth., xxv, 46.
Cf. S. Augustin, De civitate Dex,\. XXI, c. xvi, P. L,,
t. XLi, col. 731.
VU. La peine du dam aux limbes. — 1° Pour les en-
fants morts sans baptême, — Voir t. ii, col. 364-378.
^ La peine du dam pour les justes de V Ancien
Test€mient, avant Vimmolation de Notre- Seigneur, —
Les âmes des justes de l'Ancien Testament furent rete-
nues dans les limbes jusqu'à l'accomplissement de la
rédemption. Tant qu'il leur resta des fautes vénielles à
expier, elles furent évidemment soumises à la peine du
dam relatif. Leur condition ne pouvait être meilleure
que celle des âmes qui souffrent actuellement dans le
purgatoire. Mais quand elles se trouvèrent entièrement
purifiées de leurs fautes personnelles, quel fut leur état?
On doit tenir d'abord pour certain que la vision
béatifique ne leur fut pas accordée avant l'achèvement
de la rédemption par la mort du Christ, sur la croix.
Le sang de Notre-Seigneur était la rançon que deman-
dait pour elles la justice divine, à cause de la faute
originelle. Mais, aussitôt après le sacrifice du Calvaire,
l'âme du Sauveur descendue aux limbes les fit entrer
en participation de la béatitude étemelle. Christus ad
infemum descendens, omnes justos qui oHginali
peccato adstricti tetiebantur absolvit... Et sine aliqua
mora, ad iniperiuni Domini ac Salvatoris, omnes
ferrei confracti sunt vectes, S. Augustin, Serm., ii, de
resurrectione, § 1, 4, P. L,, t. xxxvi, col. 2060 sq. Cf.
S. Thomas, In IV Sent,, 1. III, disl. XVII ; 1. IV, dist. II;
Sum. theoL,ni^, q. XLix,a.5; q. lu, a. 2; a. 4, adl""»,
2««; a. 5; Scot, In IV Sent., 1. IV, dist. II, q. ir; Décré-
tai, 1. III, tit. XLii, De baptismo, c. m. Majores. C'était
la réalisation de la prophétie de Zacharie, ix, H : In san-
guine Testamenti tut emisisti vinclos luos de lacu in
quo non est aqua... Divers manuscrits portent eduxisti
vinctos tuos de lacu. C'est aussi le sens des Septante :
Su èv ariian 8iaôr,xT); trou èÇaiii(TT6iXa; îeo-jjtiou; <rou ix
Xàxxou oyx e*/ovTo; uSwp. Cf. Suarez, In III»»* partem
Sum. theol,, disp. XLII, De loco ac statu animarum
sanctarum ante Christi mortem, sect. i, n. 1-7;
disp. XLIII, sect. m, n. 2-5, Opéra omnia, t. xix,
p. 697-699, 733 sq. ; Billot, De Verbo incarnato, part. II,
c. III, thés. Lv, § 3, in-8», Rome, 1904, p. 496-498.
Avant ce bienheureux moment, dès que les âmes
justes de l'ancienne Loi eurent satisfait à la peine due
aux péchés véniels, ou aux péchés mortels pardonnes,
elles ne soufTrirent plus la peine du dam relatif.
La certitude de leur salut étemel leur donnait une
joie bien plus grande que celle qui apporte tant de
consolation aux âmes du purgatoire. Cf. S. Thomas,
Sum. theol, III», q. lh, a. 5, ad 1«"; Suarez, loc, cit,,
disp. XLII, sect. i, n. 12, t. xix, p. 701. Néanmoins,
comme elles n'étaient pas encore admises à la béatitude
céleste, objet de tous leurs vœux, elles ne cessaient de
soupirer après elle. Ce retard, apporté à leur bonheur,
ne fut pas sans leur causer une vraie tristesse, suivant
le proverbe : Spes quse differtur, affligit animam,
Prov., xiii, 12. Saint Augustin rappelle que ces âmes
saintes attendaient avec angoisse l'avènement du Christ,
dans l'endroit où elles étaient reléguées; et elles le
suppliaient en gémissant de hâter le temps de sa venue:
LacrymabiliobsecrationeChristum orabant, Loc. cit.,
§ 4, P. L.,t, XXXVI, col. 2061. C'est aussi le sentiment
de saint Grégoire le Grand : In ipsis infemi lacis jus-
torum animsR sine toi^\ento tenebantur ; grave tamen
tœdium illis fuit, post solutionem carnis, adhuc
speciem non videre creatoris. Moral, 1. XIII, c. xliv,
P. L,, t. Lxxv, col. 1038. Cf. S. Thomas, Sum. theol,
m*, q. LU, a. 2, ad 2°'» et 4""; Suarez, loc. cil,
disp. XLII, sect. i, n. 12-16, Opéra omnia, t. xix,
p. 701 sq.; Salmanticences, Cursus théologiens, tr. XIII,
De viliis et peccatis, disp. XVIII, § 1, n. 6, t. viii,
p. 400. Tout porte à croire cependant que la divine
providence, par des moyens à nous inconnus, tempé-
rait leur peine, et les distrayait de cette tristesse.
Cf. Suarez, De purgatorio, disp. XLVI, sect. ni,
n. 4, Opéra omnia, t. xvii, p. 917.
3» La peine du dam pour les adultes païens morts
sans autre péché grave que la faute onginelle. —
L'hypothèse qu'un païen adulte n'ait que des péchés
véniels avec la tache originelle, paraît une chimère à
saint Thomas et à beaucoup de théologiens. En eflet,
tout homme, au moment où il arrive au plein usage
de la raison, est tenu, sous peine de péché mortel, de
faire, selon ses forces et ses connaissances, un acte de
charité parfaite envers Dieu, soit d'une façon distincte
et explicite, en le choisissant pour sa fin dernière,
soit d'une manière virtuelle et implicite, en se propo-
sant d'accomplir le bien moral, et de vivre suivant les
lumières de sa raison. Cf. S. Thomas, In IV Sent.,
I. II, dist. XLII, a, 5, ad 7«™; 1. IV, dist. XLV, q. i,
a. 3, ad 6"™; 5um. theol, I* II», q. Lxxxrx, a. 6 ; Quœst,
disp., De malo, q, m, a. 2, ad 8"°» ; De vérifie, q.xiv,
a. 11; Salmanticenses, Cursus théologie., tr. XIII, De
vitiis et peccatis, disp. XX, dub. i, § 1-6, n. 1-45,
t. vin, p. 490-510. Voir Charité, t. ii, col. 2253 sq.
Or, ajoute le saint docteur, si l'homme fait cet acte de
charité envers Dieu, il est justifié. Le péché originel
est efl*acé aussitôt, et Dieu lui enverra un ange, s'il le
faut, pour lui apprendre les vérités surnaturelles indis-
pensables au salut. Mais si l'homme ne fait pas cet acte
de charité envers Dieu, il commet un péché mortel, en
transgressant un précepte grave. Donc, la coexistence du
péché véniel et du péché originel est impossible dans
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23
DAM
une âme. Il n'y a donc pas lieu d'examiner à quelle
peine du dam serait soumis celui qui, au moment de la
mort, se trouverait dans un pareil état. Cf. S. Thomas,
Sum. theol., I» II», q. Lxxxix, a. 6; Suarez, In 7/i»°»
part., disp. XLII, sect. ir, n. 8, Opéra omniaf t. xix,
p. 705; Salmanticenses, Cursus théologie., tr. XIII,
disp. XX, dub, ir, § 1-3, n. 46-70, t. viii, p. 510-521.
VIII. Sur la croix, Notre-Seigneur a-t-il souf-
fert lA PEINE DU DAM? — Certains auteurs semblent le
dire, et s'appuient, pour cela, sur le texte de saint Paul,
Christus nos redennt de maledicto legis, foetus pro
nobis nialedictum. Gai., m, 13. Il ne suftisait pas,
affirment-ils, que Dieu fit sentir la pesanteur de son
bras à Jésus-Christ expirant sur le Calvaire, et portant
dans son âme, comme dans son corps, la peine due
aux crimes de l'humanité entière. Le Père étemel ne
se contenta pas de prononcer un arrêt de mort contre
Jésus qui s'était fait la victime du péché, et de le frapper
par la main des Juifs et des bourreaux. Il parut vou-
loir le réprouver lui-même, en le délaissant, et en
Tabandonnant au milieu de son affreux supplice; d'où
la plainte drchirante de Jésus, qui, jusque-là, n'avait
pas laissé entendre le moindre gémissement : Mon
Dieu! mon Dieu! pourquoi m'avez- vous abandonné?
Matth., XXVII, 46. Ce cri de suprême angoisse s'échappa
des lèvres de Jésus, peu avant son dernier soupir,
circahoram nonam. Que sepassa-t-il, alors, dans Tàme
sainte de Jésus? Éprouva-t-elle quelque chose de ces
tortures épouvantables et mystérieuses du dam, infini
comme le Dieu outragé qui se venge sans pitié sur sa
créature coupable? « Ce délaissement et cet abandon
de Dieu, dit Bourdaloue, est en quelque façon la
peine du dam, qu'il fallait que Jésus-Christ éprouvât
pour nous tous. La réprobation des hommes aurait été
encore trop peu de chose pour punir le péché dans
toute l'étendue de sa malice : il fallait que la réproba-
tion sensible de l'Homme-Dieu remplit la mesure de
la malédiction et de la punition due au péché. Vous
avez dit, prophète, que vous n'aviez jamais vu un
juste délaissé : Aon vidi justum derelictum, Ps. xxxvi,
25; mais en voici un exemple mémorable que vous ne
pouvez désavouer : Jésus-Christ,'abandonné de son Père
céleste, et, pour cela, n'osant presque plus le réclamer
sous le nom de Père, et ne l'appelant que son Dieu, Deus
nieus, ut quid dereliquisti me ?... Toutefois, dans ce
procédé de Dieu, rien qui ne soit selon les règles de
l'équité : jamais mort ne fut plus juste, par rapport à
Dieu qui en a porté la sentence.... Ce n'est point au ju-
gement dernier que Dieu offensé et irrité se satisfera
en Dieu; ce n'est point dans l'enfer qu'il se déclare plus
authentiquement le Dieu des vengeances, Deus ultio-
num Dominus, Ps. xciii, 1; c'est au Calvaire. C'est là
que sa justice vindicative agit librement et sans con-
trainte, n'étant point resserrée, comme elle l'est ailleurs,
par la petitesse du sujel à qui elle se fait sentir, Deus
uUionum libère egit. Ps. xciii, 1. Tout ce que les
damnés souffrent n'est qu'une demi-vengeance pour
lui... ce n'est rien, ou presque rien, en comparaison
du sacrifice de Jésus-Christ mourant. » Bourdaloue,
/««• Sermon sur la passion de Jésus^Christ, I»"» partie,
Œuvres complètes, t. viii, p. 162 sq.
Ces passages et autres semblables des maîtres de la
chaire chrétienne signifient que Jésus-Christ, étant
Homme-Dieu, a pu seul réparer, en toute rigueur de
justice, l'offense faite parle péché à l'infinie majesté de
Dieu. C'est en ce sens qu'ils sont exacts. Mais ils
seraient entachés d'une grave erreur, s'ils exprimaient
que Jésus a été soumis à la véritable peine du dam.
Jamais le désespoir des damnés n'a eflleuré son âme
sainte. Jamais sa nature humaine, unie hypostatique-
ment au Verbe, n'a éé séparée de lui, et, par suite, n'a
.été délaissée par Dieu. La peine du dam relatif ne pou-
vait même l'atteindre, car jamais, même sur la croix
et au moment où il s'écriait : Deus meus, quare 6
liquisti me, Jésus, dans son âme humaine, ne fut ;
de la vision béatifique. Les théologiens affirment
raison que les douleurs de Notre-Seigneur, durai
passion, furent les plus grandes qu'un homme pi
subir, suivant le mot de Jérémie : vos omnes
transilis per viam, attendite, et videte, si est c
sicut dolor meus, quia vindemiavit me, ut locutu
Dominus, in die iras furoHs sui. Lam., i, 12.
cela doit s'entendre des douleurs de la vie prést
Déjà le texte du prophète l'insinue d'une façon s
samment claire, puisqu'il s'adresse à ceux qui
encore in via. Li tradition et l'enseignement th
gique ont précisé, plus tard, davantage encore, ce
de doctrine. Uterque dolor in CfiHsto — sivesem
in corpore, sive interior in anima — fuit n
mus ISTER DOLOR ES PR.ESENTfS VITM. S. Th(
Sum. theol., III», q. xlvi, a. 6. Or, les souffrance
servées, dans l'autre vie, à l'âme séparée de son c
soit en enfer, soit en purgatoire, dépassent toutes
qu'on peut endurer sur la terre, de même que 1;
cité des saints dans le ciel surpasse incomparabli
toutes les joies d'ici-bas : dolor animœ séparait
tientis pertinet ad statum fulursR damnalionis
excedit omne malum hujus vitss, sicut sanc\
gloria excedit omne bonuni pressentis vitœ.
cum dicimus Christi dolorem fuisse niaximun
comparamus ipsum dolori animas separatm. S
mas, loc. cit., a. 6, ad 3»"». Le cri de Jésus,
meus! Deus meus, ut quid dereliquisti me, e>
donc l'intensité de la plus grande douleur qui f
terre, douleur que nous ne pouvons ni comprend
apprécier; mais, de cette plainte, on aurait tort é
clure que sur la croix il ait subi la peine du
Cf. Suarez, In UU'^ part. Sum. theol., disp. X^
sect. IV, n. 41; disp. XXVIII, sect. m, n. 5,
omnia, t. xix, p. 593, 634; Bourdaloue, loi
III* partie. Œuvres complètes, t. viii, p. IJ
Dorner, Geschichte der prolestantischen The
in-8o, Munich, 1867, p. 876 sq.; Monsabré, xvi
férence, Le martyr, in-8«, Paris, 1880, p. 256 ;
Vie de Jésus-Christ, 1. V, c. xi, 2 in-S», Paris
t. II, p. 342; Billot, De Verbo incamato, p
c. III, thés. XLix, § 2-3, in-8«, Rome, 490i, p. 4
Fouard, Vie de Notre-Seigneur Jésus- Christ,
c. VI, 2 in-8o, Paris, 4907, t. ii, p. 387-389.
Suarez, De angelis, 1. VIII, c. iv, v, xv; Commet
ni'" part. Sum. theol., disp. XUI-XLIII; De pu
disp. XLVI, sect. i, iii-iv; disp.' XL VII, sect. m, 0%
nia, 28 in-4% Paris, 1856-4878, t. li, p. 972-978, 1(
t. XIX, p. 697-722, 733-740 ; t. xxil, p. 903-908, 916-924,
Bellaimin, De purgatorio, 1. II, c. iv, ïk, x, xiv; De a
gratias et statu peccatiA. VI, c. i-vii; Concio fJl', Dt
tibus gehennx, Opéra omnia» 8 in-4», Naples, 18
p. 392-396, 400-408; t. iv, p. 232-247; t. vu, p. 338-347
ticennses, Cursus theologicus, tr. XIII, De vitiis et
disp. XVII, dub. ni-iv; disp. XVUI, dab. i-iii; (
dub. i-ii, 21 in-8*, Paris, 1876-1883, t. viii, p. 374-450
Lessius, De perfectiouibus mor,ibusque divinis, l.
justitia et ira Dei, c. xxiv-xxix, De infemo et pœn
rum, in-8«, Paris, 1881, p. 449-538; Petau, Dogmata tt
Tractatus de angelis, 1. III, c. vi-viii, 8 în-4», Paris,
t. IV, p. 99-123; Bourdaloue, Carême. Sermon pour h
de la seconde semaine, Sur l'enfer, II» partie ; Serm<
XIX* dimanche après la Pentecôte, Sur l'éternité ynal
I'« partie. Œuvres complètes, 16 in-8', Paris, 1822-11
p. 65-74; t. VU, p. 244-271; Bail, Théologie affective, c
mas en méditations, II traité, XIII' -XVII* médilatior
Le Mans, 1846, t. v, p. 382-413; Hettinger, Apologie <
tenthums, 5 in-8% Fribourg, 1875, II* partie, c. xv, t.
415; Monsabré, Exposition du dogme catholique. Ce
de N.-D. de Paris. L'autre monde, xcvii* conférenc
gatoire; xcviii* conférence, V enfer, éternité de
XLIX* conférence, Venfer, nature des peines, in
1899, p. 1-147; Hurter, Theologia dogmattcm con
tr. X, sect. I, c. ii-iv, 3 in-8*, Inspruck, 1893, t. m, ]
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25
DAM
DAMASCÈNE
26
Bfllol, Disquisitio de natura et ralione pecccUi personalis
sive introductio ad tractalum de pxnitentia, part. 1, c. il,
q. Lxxxvii, thés, vi-vii, in-8% Rome, 1897, p. 69-73; Quœstiones
denovissimis, q. m» thés, ii-iv, vi-vii, in-8% Rome, 1902, p. 47,
^ 99-110; Pesch, Prœlectiones dogmaticx. De novissimiSt
part. 1, sert, m. De p^rgatoHo, a. 2,n. 601-607; sect.iv, De in-
femo,ti, % n. 624-642; a. 3,n. 642-646, 9 in-8% Fribourg-en-
Brisgau. 1902, t IX, p. 293-296, 306-318; L. Labauche, Leçons
de théologie dogmatique, Dogmatique spéciale. L'homme,
Paris, 1908, p. 387-395.
T. Ortolan.
DAMALA8 Nicolas, né en 1842, à Athènes, devint
en 1860 'professeur extraordinaire à la faculté théolo-
gique de celte ville, et en 1871 professeur ordinaire
d'herméneutique. Il mourut le 21 janvier 1892. Il a
édité en 8 vol. les lettres de Coraï, Athènes, 1881-1891,
et a publié les deux ouvrages théologiques suivants :
i* Ilep^i àpxûv, Leipzig, 1863; 2» IIsp'i tyi; <jxê<xew; tt);
iy^XntTj; éxxXïi<Tia; izphz tyiv ôpOô^o^ov, Londres, 1867.
Il a composé aussi un traité d'herméneutique : * Epjnrjvsîa
tl; T^v xaivTjv StaôritYiv, Athènes, 1876, t. i; 1891, t. ii;
1892, t. ni.
'ESJ(9,iA;, 18^2, XI' année, n. 4, p. 1 ; 'ExxXr.«Tt««Ttxij 'A^Uta,
4892, XI' année, n. 49, p. 387; Aûtx^v lYxyx>.«)n«i5txoy, EjjiKXr.pw;**,
Athènes, 1902, t i, p. 209.
A. PalmierI.
DAMALÉVIS8 Etienne, historien et théologien
polonais du xvii* siècle, né à Warta, dans Tancienne
principauté de Siéradz, aujourd'hui gouvernement de
Kalisz. En 1642, il entra au couvent des chanoines régu-
liers de Klodaw, et mourut le 16 juin 1673 à Trzemes-
zno, dans le grand-duché de Posen. Citons parmi ses
écrits : 1« Conclusiones e theologia morali fundatss in
actibus humanis de peccalis in génère ad dispulan-
dum publiée ptopositœ, Cracovie, 1637; 2« Quœstio
Iheologica de meinto bonorum jiisti operuni, s. 1., 16^;
3» Vitm Vladislaviensium episcoporum, Cracovie,
1642; 4» Séries archiepiscoporum Gnesnensium atque
resgestœ,e vetustis antiquilatum ruderibus coUeclœ,
Varsovie, 1649; 5« Sapienlia sive orbis desiderium
Christi Domini Salvatoris in expectatione partus
gloriosœ Virginis Deiparx, in Ecclesia Polonorum,
Rome, 1652; 6o VitaS. Bogumili, archiepiscopi Gnes-
nensis ex antiquissimis gravium aulhorum chronicis
excerpta, Rome, 1661 ; Varsovie, 1714; Kalisz, 1803.
CbodTBski, Stefan Damalevicz, historyk, przelozony
kanonikon lateranenskich w Kaliszu, Posen, 1872; Encyklo-
pedia Kowdelna, Varsovie, 1874, t. iv, p. 9-12; Estreicher,
BibUografla polska (stolecie xv do xvin), Cracovie, 1897, t. xv,
p. 18-21 ; Wiszniewski, Historya lileratury polskiej, Cracovie,
18è0, t. 1, p. 89, 106; t. v, p. 113; t. viil, p. 152, 164.
A. Palmieri.
i. DAMA8CÉNE. Voir Jean Dahasclin-e.
2. DAMASCÈNE* hiérodiacre au monastère de
Tchoudov a Moscou, polémiste orthodoxe contre les
Latins. On ne connaît rien sur sa vie. On sait seulement
qu'il mourut après 1706. Il a été mêlé à la controverse
sur répiclèse entre les moscovites orthodoxes et les lati-
nisants de Kiev. Dans son livre sur l'Église et ses sa-
crements, Vyklad olzerkvi i o tzerkovnykh inetchakh,
Kiev, 1668, Théodose Saphonovilch, higoumène du mo-
nastère Miklaîlovsky de Kiev, soutenait que les paroles
sacramentelles : Hoc est corpus meum ; Hic est sanguis
nietis, suifisent pour la consécration du pain et du vin.
Le patriarche de Moscou, Joachim, chargea un moine,
nommé Euthyme, de lui répondre, et celui-ci composa
VOslen (AiguilUm) que le patriarche envoya au métro-
polite de Kiev et aux autres évêques de la Petite Russie.
La théorie latine fut rejetée comme fausse, au synode de
Moscou de 1690. Mais ses défenseurs ne gardèrent pas
le silence. Gabriel Domelzky, archimandrite du monas-
tère de Saint-Siméon à Moscou, et plus tard du monas-
tère lourevsky à Novgorod, réfiita VOsten dans son
-oorragc intitulé : Les iOb questions, qu'il soumit à
l'approbation du métropolite Job de Novgorod. Celui-ci
chargea le hiérodiacre Damascène d'examiner ce livre,
et Damascène essaya de résoudre les objections qui y
étaient contenues, dans un traité rédigé en forme de
lettre au métropolite Job, et intitulé : Les i05 ré-
ponses. Il est aussi l'auteur d'une version russe du
IIpoTxuvr,T3tpiov du mont Athos, d'une lettre sur la tra-
duction de la Bible, etc.
Arkhimandrit Gavriil Dometzky i hierodiakon Damaskin,
dans Dukhovnaia Besieda, Saint-Pétersbourg, 1865, 1. 1, p. 20-
31, 58-63; Mirkovitch, O vraneni presuchlchestvlenii sv. Da-
rov, Vilna, 1886, p. 83-85. 231; Stroev. Bibliologhitcheskii
Slovar, Zapiski de TAcadémie impériale des sciences, Saint-
Pétersbourg, 1882, t. XXIX, p. 74-75; Chliapkine, A' iatorii pôle-
miki mejdu Moskovskimi i malorusskimi utcfienymi v
kontzie xvn vieka, Journal du Ministère de l'instruction
publique, 1885, t. ccxu, p. 215-216; Philarète, Obzor russkoi
dukhovnoi literatury, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 259; Léonide,
Athonskaia gora i Solovetzky monastyr Damaskina, Saint-
Pétersbourg, 1883; Jakhontov, lerodiakon Damaskin, russkii
polemist semnadtzatago vieka, Saint-Pétersbourg, 1884; Entzi-
klopeditcheskii Slovar, t. x, p. 62; Smentzovsky, Bratia
Likhoudi, Saint-Pétersbourg, 1899, p. 241; Russkii biogra-
phitcheskii Slovar, lett. D, Saint-Pétersbourg. 1905, p. 54.
A. Palmieri.
3. DAMASCÈNE Dimitri Sëmenov Roudnev, cé-
lèbre théologien et érudit russe du xviii» siècle. Né au
mois de janvier 1737 dans le gouvernement de Toula, il
fréquenta les cours de l'Académie slavo-gréco-latine de
Moscou, et ses études achevées en 1765, il demanda au
saint-synode de suivre les cours d'une université étran-
gère et se rendit à Gœttingue. Recteur de l'Académie de
Moscou en 1778, le 5 juillet 1782, à Saint-Pétersbourg
il fut sacré évêque de Sievsk, et vicaire de l'éparchie de
Moscou. Le 22 septembre 1783, il fut transféré au siège
archiépiscopal de Novgorod, où il travailla avec zèle à
relever le niveau intellectuel de son clergé et à réorga-
niser les études dans le séminaire de son éparchie. En
1794, il donna sa démission et se retira au monastère
Pokrovsky de Moscou où il mourut le 18 décembre 1795.
Damascène Roudnev inaugura sa carrière littéraire à
Gœttingue, par la publication d'une traduction de la
Chronique de Nestor dans VEinleitung in die synchro-
nistische Universalhistorie de Hatlerer, Gœttingue,
1771, p. 979-1000. On a de lui : l" la version latine du
catéchisme du métropolite Platon, Orlhodoxa doctrina
seu compendiuni theologiœ chrislianœ, in usum serenis-
simi principis ac D. D. Pauli Petrowicz, pnncipis
hereditarii omnium Russiai*um, Saint-Pétersbourg,
1774; 2<» il traduisit en latin le traité de la procession du
Saint-Esprit, par Théophane Prokopovitch : Tractaius
de processione Spiritus Sancti, Gotha, 1772, y ajouta
la vie de l'auteur, des éclaircissements, et un chapitre
intitulé : Hislona de ortu et progressu controversim
grœcos intérêt lalinos de processione Spiritus Sancti,
p. 3-128, et VIndex chronologicus scHptorum de
processione Spiritus Sancti ab initio conlroversiœ ad
noétra usque tempora; 3^ il composa un livre précieux
pour l'ancienne bibliographie théologique russe, la
Bibliotheka rossiiskaia ili svîedienie o vsiekh knigakh
V Rossii s nalchala tipographii na sviet vychedchikh,
publié en 1881 à Saint-Pétersbourg par la Société des
amateurs de Vancienne littérature, t. xi, et réédité
en 1891 dans la Tchteniia (Lectures) de la Société
impériale d'histoire et d'antiquités russes, édit. Barsov.
On y trouve la liste des livres imprimés en Russie
depuis 1518 jusqu'à 1785. Il édita aussi, en 12 vol., les
œuvres oratoires du métropolite Platon, Moscou, 1780-
1782; et composa lui-même un recueil de sermons
édité à Moscou en 1783.
Bakmeister, Russische Bibliothek zur Kenntniss des gegen-
wàrtigen Zustandes der Literatur im Russland, Saint-
Pétersbourg, 1779, t. VI, p. 33V-338, 455, 573; Drevniaia
rossiiskaia bibliotheka, édit. Novikov, 1791, t. xvin, p. 100-
105 ; Ambroise (Ornatsky, évèque de Pensa), Istoriia rossiiskoi
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27
DAMASCÈNE — DAMASE P-^
ierarkhii, 2* édit., Kiev, 1827, p. 150, 207, 325; Eugène (métro-
polite), Slovar pisateliakh dukhovnago tchina, Saint-Pé-
tersbourg, 1827, t.i, p. 106-110; Macaire, Istoriia nijegorodskoi
ierarkhii, Saint-Pétersbourg. 1857, p. 160-180; Tchislovitch,
IstoHiaS. Peterburgskoi dukhovnoi Akademii, Saint-Péters-
bourg, 1857, p. 62-68; Sukhomlinov, Istorlia rossiiskoi
Akademii, Saint-Pétersbourg, 1874, t. i. p. 139-183; Gennadi,
Spravotchnyi Slovar o russkikh pisateliakh, Berlin, 1876, t. i,
p. 278; Porphyriev, Istoriia russkoi slovesnoati, Kazan, 1884,
t. II, p. 373-374, 378-379; Philarète, OOzor russkoi dukovnoi
literatury, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 365-366; Smimov, Isto-
riia Moskovskoi slaviano greko-latinskoi Akademii, Moscou,
1885, p. 182, 237, 351-354; Anenlex , Slovar pisatelei sredniago,
novago periodou russkoi literatury, Saint-Pétersbourg, 1887,
p. 113-114; Entziklopeditchesky Slovar, t. x, p. 60-61; Cîoro-
Jansky, Damaskin Semenov-Rudnev, episkop nijegorodskii,
egojizn i trud, Kiev, 1894 (l'ouvrage le plus important sur la vie
et les œuvres de Damascène Roudnev) ; Pravoslavnaia bogos-
lovskaia entziklopediia, t. iv, col. 885-893.
A. Palmieri.
4. DAMIASCÉNE LE STUDITE, le plus populaire
des prédicateurs grecs du xvi« siècle. On a peu de ren-
seignements sur sa vie. Originaire de Salonique, élève
du célèbre Thomas (en religion Théophane) Éléavoul-
cos Notaras, il fut envoyé comme exarque dans la
Petite Russie par le patriarche Métrophane (1565-1572),
puis élevé au siège épiscopal de Lita et Rendina, d'où
le patriarche Jérémie (1572-1579), son ancien élève, le
transféra à la métropole de Naupacle et Arta, où il
mourut en 1577, au témoignage d'un contemporain,
Gabriel Calonas. Voir E. Legrand, Bibliographie hellé-
nique des XV* et xvi* siècles, Paris, 1906, t. iv, p. 165.
Le plus remarquable de ses ouvrages est le Trésor,
BtêXtov ôvo|j.otÇ6|j.6vov ÔTiO-aup^c» l*nn des volumes le
plus souvent imprimés. La première édition date de
1568. Cf. E. Legrand, loc. cit., p. 143. C'est un recueil
de trente-six sermons, suivis de sept discours moraux,
empruntés, sans que cette particularité soit signalée,
au hiéromoine Joannikios Carlanos, grand protosyn-
celle de Corfou, qui les avait publiés, avec d'autres du
même genre, en appendice à son Ancien et Nouveau
Testament, paru en 1536 et plusieurs fois réimprimé
depuis. Les sermons de Damascène ont souvent pour
sujet un fait biblique ou une légende de saint; les
Pères de l'Église y sont assez fréquemment cités, mais
l'auteur est moins préoccupé de faire de la théologie
que d'édiûer son auditoire. Malgré Tenllure oratoire,
le style est simple, et ce caractère n'a pas peu contribué
à augmenter la popularité'de l'ouvrage. La bibliothèque
patriarcale de Jérusalem possède une version turque
du 0Yi<raup6;, faite, en 1731, à Césarée de Cappadoce.
On a encore de notre auteur : !<> un discours sur le
Décalogue, imprimé avec d'autres du même genre en
appendice aux Ma?Y*P^Tai de saint Jean Chrysostome ;
ce morceau occupe, dans l'édition de 1764, les p. 336.
344; 2© un remaniement populaire du Physiologus, dé-
dié à Michel Cantacuzène et imprimé en 1643 à la suite
de l'Hirmologe, Legrand, Bibliographie hellénique du
xviii* siècle, t. i, p. 442; 3® un traité de chronologie
destiné à remplacer le manuel de Michel Chrysokokkès ;
l'opuscule est inédit, mais la bibliothèque du Saint-
Sépulcre à Constantinople en possède, sous le n. 317,
fol. 41-68, le manuscrit autographe, écrit en février
1574; 40 un discours parénélique aux moines désireux
de faire leur salut, conservé dans le Hierosolymitanus
sancti Sabœ 427, fol. 68-76, avec une traduction, due
également à Damascène, du discours aux novices d'Isaac
le Syrien; 5° un dialogue humoristique sur l'état social
du peuple grec entre Damascène lui-môme et le supé-
rieur de Sainte-Anastasie ; signalé déjà par Allatius
dans sa préface aux œuvres de Jean Damascène, ce cu-
rieux morceau se trouve en tête du manuscrit 764 du
monastère d'Iviron au mont Athos; 6» un court poème
élégiaque sur la dormition de la Vierge; imprimé dans
le J^résor à la suite des sermons, il est souvent men-
tionné dans les catalogues de manuscrits; 7» une 11
des empereurs, des sultans et des patriarches de C
stantinople contenue à la suite du Physiologus dans
ms. 462 du métochion du Saint-Sépulcre à Constai
nople ; 8» le ms. 542 du même fonds renferme tre
lettres de Damascène publiées par Manuel Gédéon d
l"Exx).Ti«Tta<TTixTi 'AXr.Ôeia, t. iii, p. 87-91, et reprodi
peu après, avec certains amendements dans le te
par A. Papapoulos-Kerameus, dans les Mémoires
Syllogue de Constantinople, 1886, t. xvii, p. 62-66.
Ph. Meyer.Dw theologische Litteratur der griechischen
che im xvt Jahrhundert, Leipzig, 1899, p. 128-132; M. Géd
loc. cit., p. 85-87, 649-651 ; P. Lavrov, Damascène le Sti
et le recueil intitulé de son nom < Damasking • dans la \
rature jugoslave, dans r Annuaire de la société bistorico-
raire de la nouvelle université impériale russe, Odessa, '
t. VII, section byzantine, iv, p. 305-384.
L. Petit.
1. DAMASE hspape (366-38'»), né à Rome,
fils d'Antoine, qui, d'après une inscription de S. Lon
in Damaso, avait été écrivain, lecteur, diacre et pi
en cette église. Lui-même y servit longtemps; et
croit que Saint-Laurent fut élevé sur l'emplacemei
sa maison paternelle. On a prétendu récemment
Damase était né en Espagne. Benardès et Theca
S. Damaso 1 papa confessore hispanico, Rome, i
Kûnstle, Antipriscilliana, Fribourg-en-Brisgau,
p. 100. Homme d'une grande vertu, d'une intelli^
cultivée, bien vu dans l'aristocratie et spécialement
les grandes dames romaines, il était très estimé
plupart, quoique jalousé par quelques-uns. Il était
cre, lorsque Libère fut chassé par Constance (
alors non contentde faire serment, avec le reste du cl
de ne pas reconnaître d'autre pape que lui, il l'ac
pagna pendant quelque temps. Cependant il ne
pas à revenir, et se rallia au diacre Félix, nommé
par ordre de Constance. De nouveau, il se réunit
hère, quand celui-ci revint de Bérée. Mais cette d
attitude fut pour lui la source de bien des emb
non seulement lors de son élection après la m(
Libère, survenue le 24 septembre 366, maisencort
dant tout son pontiGcat.
En effet, deux partis se formèrent. Les uns, en
intransigeants de tous ceux qui avaient été féli
conduits par sept prêtres et trois diacres, dans k
lique de Jules, élurent l'un d'entre eux, Ursinui
firent immédiatement ordonner par l'évéque de
les autres, c'est-à-dire la grande majorité des fid
du clergé, réunis à la basilique de Saint- Laur
Lucina, acclamèrent Damase. Celui-ci se fit sacr
jours après, selon les règles, par l'évoque d'Ostii
dès le premier jour jusqu'à sa mort, Ursin ne c<
le poursuivre de toutes les manières, soit perso
ment, soit par les siens.
Il eut donc à régler d'abord le schisme de Ronc
les nombreux autres cas de schisme et d'hérésie
posèrent alors, en Occident et en Orient, après 1
ciles de Rimini et de Séleucie. La réaction qi
contre ces conciles où Tarianisme remporta, (
Constance, une victoire qui hâta sa ruine, lui
de fréquentes occasions d'intervenir heureu
contre les derniers tenants et les derniers re
cette erreur. Les malheurs de l'Orient, sous l'er
Valens, lui valurent d'être invoqué comnie ar
comme juge dans ce pays. L'avènement d<
miers princes vraiment chrétiens, tels que Vale
Gratien, Théodose, le concours des plus gran
leurs, tels qu'Athanase, Basile, Grégoire de N
Ambroise, Jérôme, etc., marquent sous son p
l'apogée de la papauté.
1» Schisme des ursiniens. — L'un des eflfets
quables de ce schisme fut d'amener, d*unc ]
empereurs chrétiens à prêter main forte aux d
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DAMASE I"
30
ecclésiastiques, d'autre part, de pousser le pape, les évê-
ques et les conciles à solliciter le secours du bras sécu-
lier. Valentinien, qui aurait voulu d'abord garder la
neutralité entre les divers partis religieux, et se contenter
de sauvegarder Tordre public, dut bientôt se convaincre,
en présence des troubles suscités par eux, qu'il lui
fallait prendre position, et discerner, pour le défendre,
celui qui avait le droit pour lui, de Dainase ou d'Ursi-
nus. Aussi, Yiventius. préfet de Rome, après avoir
laissé pendant trois jours les ursiniens et les dainasiens
s'entr'égorger, reconnut la régularité de l'ordination
de Damase, et décida qu'Ursinus serait éloigné de
Rome avec les deux diacres, Araantius et Lupus. Et
comme les sept prêtres, que ses partisans avaient encore
à leur tête, continuaient leurs assemblées schismatiques,
Damase lui-même s'adressa à l'autorité qui les arrêta
et les conduisit hors de Rome. La suite montra bien
la nécessité de ce recours et de cette intervention. Les
sept prêtres, ayant été délivrés en cours de route, par
leurs Gdèies, s'installèrent dans la basilique de Libère.
Mais, le 26 octobre 366, les damasiens vinrent les y
assiéger et leur tuèrent 137 personnes, dit Ammien
Marcellin, 160, disent les Gesta intei* LibeHum et Fe-
liceni, sans toutefois parvenir à les en déloger. De
nouveaux troubles eurent lieu, quand, au bout d'un an,
Valentinien, sous prétexte de neutralité, permit à Ursi-
nus et aux autres exilés de rentrer à Rome. Le 16 no-
vembre 367, l'empereur dut charger le préfet Prétextât
de les expulser une seconde fois.
Il fit remettre à Damase, qui l'avait réclamée, par
lorgane du défenseur de VÈ^Mse romaine, la basilique
libérienne, qu'ils avaient conservée (fin 367); il chassa
ensuite (12 janvier 368) les prêtres qui présidaient leurs
assemblées, et comme ils continuaient de se réunir dans
la banlieue, spécialement à Sainte-Agnès, et qu'ils y
étaient poursuivis par les damasiens, il finit par leur
interdire non seulement la ville, mais la banlieue elle-
même dans un rayon de vingt milles. Ursinus fut expédié
en Gaule (fin 368) et ce n'est que plus tard (370-372)
qu'il fut permis à lui et aux siens de séjourner dans
l'Italie du Nord.
Ainsi tenus à distance, les ursiniens cherchèrent à
discréditer Damase par des libelles et par des accusa-
tions devant le magistrat. Ils lui intentèrent un premier
procès, connu seulement par une allusion, vers 370.
A Milan, ils troublèrent les offices de saint Ambroise,
ce qui amena une nouvelle intervention de l'empereur.
Enfin ils chargèrent un certain Isaac, juif converti,
d'intenter au pape un second procès devant le préfet de
Rome, pour un crime mal défmi, mais capital, que
certains conjecturent avoir été le crime d'adultère :
accusation bien invraisemblable contre un vieillard de
75 ans. Il parait cependant que le préfet de Rome
menaçait d'aboutir à une condamnation, quand l'empe-
reur Gratien, informé, évoqua 1 afl'aire, renvoya le vieux
pontife absous, exila Isaac en Espagne et interna Ursi-
nus à Cologne.
Damase ne se contenta pas de cette justification : il
convoqua à Rome, en 378, un concile des évêques d'Ita-
lie, pour y examiner son affaire. D'après le libelle des
prêtres Faustin et Marcellin, partisans d'Ursinus, un
concile antérieur, tenu en 367 ou 368, aurait refusé de
condamner Ursinus sans l'entendre. Cette fois, les évê-
ques forent plus catégoriques, et demandèrent à l'em-
pereur d'exécuter les sentences ecclésiastiques contre
les prélats rebelles et de protéger Damase contre ses
ennemis.
.Vous avons encore la lettre du concile et la réponse
de Gratien. Ils rappellent, dit Duchesne, IHstoire
ancienne de l'Église, t. ii, p. 468, que dans une phase
antérieure de l'afTaire d'Ursinus, le souverain avait
décidé, que, la police se chargeant d'éloigner l'auteur
des troubles, il appartiendrait au pape d'instrumenter
contre les évêques qui avaient pris son parti... Cepen-
dant, il pouvait se présenter des cas où l'efficacité des
sentences ecclésiastiques et les services qu'elles étaient
appelées à rendre au point de vue du bon ordre,
auraient été compromis par une abstention trop ab-
solue de la part de l'État. Les évêques demandaient
qu'on leur prête main forte d'abord pour faire compa-
raître les prélats récalcitrants, ensuite pour empêcher
les évêques déposés de porter le trouble dans les
églises que le juge ecclésiastique aurait soustraites à
leur obéissance. On spécifiait le cas des évêques de
Parmes et de Pouzzoles, qui refusaient de se sou-
mettre aux sentences de déposition rendues contre
eux : celui de l'évêque africain Restitutus et de
révêque donatiste de Rome, Claudien. Constant, Epist.
rom. pont., p. 523. Le concile voulut aussi et surtout
mettre le pape à l'abri des accusations de ses ennemis.
A L'empereur, dit-il, a examiné la conduite de Damase :
il doit être interdit désormais aux calomniateurs de le
traîner devant le magistrat. S'il y a lieu à procès, et
que la cause ne soit pas de la compétence du concile,
au moins qu'elle soit portée devant l'empereur en per-
sonne. » En dehors du cas récent, il y a un autre précé-
dent : le pape Silvestre, accusé par des sacrilèges, fut
jugé par l'empereur Constantin.
Gratien, dans son rescrit au vicaire Aquilinus (fin 378),
entra sur tous les points dans les vues du concile.
Toutefois, pour ce qui était du pape, il le laissa en
principe sous la juridiction du préfet de Rome, se
contentant de prescrire de ne point admettre facile-
ment l'accusation ou le témoignage de gens de mœurs
suspectes ou connus comme calomniateurs. CoUectio
Avellana, n. 13, dans Cot^us scriplorum ecclesiasti-
coinim latinorum, t. xxxva, p. 54 sq.
Malgré tout cela, Ursinus continua de s'acharner
contre Damase par ses agents et spécialement par un
eunuque appelé Paschase. En 381, le préfet envoya à
la cour un rapport où tout semblait remis en question.
Mais le concile d'Âquilée, sur la demande de saint
Ambroise, fit une démarche très pressante près de
Gratien et depuis l'on n'entendit plus parler d'Ursinus,
qui dut mourir vers cette époque.
2« Autres schismes. — Damase avait encore d'autres
schismes à éteindre : il invoqua contre eux le bras
séculier, comme il l'avait fait contre Ursinus. A Rome,
les donatistes formaient une église gouvernée par des
évêques de leur pays, et alors par Claudien. Le concile
de Rome en 378 demanda à Gratien son expulsion. —
Il y avait aussi celui des lucifériens, composé de ceux
qui avaient pris, contre les faillis de Rimini, l'attitude
intransigeante de Lucifer de Cagliari et de Grégoire
d'Illiberris, et regardaient l'indulgence, en faveur des
repentants, de Libère, d'Hilaire, d'Athanase, comme une
prévarication. Ils avaient eux aussi un évêque nommé
Aurélius, et un prêtre, fameux ascète, nommé Macaire.
Ils tenaient des réunions privées, faute d'églises, dans
des maisons particulières. Damase les fit poursuivre
par le magistrat. Macaire, appréhendé et bousculé par
le peuple, fut jugé, condamné à l'exil et mourut à
Ostie des suites d'une blessure. L'évêque d'Ostie le fit
inhumer dans la basilique d'Asterius. Damase s'efforça
aussi de faire condamner Ephesius qui avait succédé
comme évêque à Aurélius. Il les fit combattre avec force
par saint Jérôme dans un dialogue, 378-380, Contra
luciferianos, leur reprocha de croire leur petite église
la seule vraie : Ecclesiœ salus in summa sacerdotii
dignitate consistit, etc., c. ix. L'histoire de ces événe-
ments a été racontée tout au long par les prêtres luci-
fériens, Faustin et Marcellin, dans leur Libeîlus pre-
cum ad imp., 383. P. L., t. xiii, col. 81-107.
30 Contre les évêques ariens d'Occident. — En même
temps que les schismatiques, Damase poursuivit les
derniers tenants de l'arianisme, en Occident et en
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31
DAMASE P'
Orient. En Occident, ils n'avaient jamais eu Tapproba-
tion du clergé depuis la tyrannie qu'ils avaient fait
subir à Rimini, ils étaient unanimement détestés et
beaucoup de conciles tenus en différents endroits
avaient affirmé la foi de Nicée : d'autre part, ils
n'avaient plus autant l'appui des empereurs. Damase
réunit à Rome, en 369, un concile composé d'un grand
nombre d'évéques, où furent condamnés Ursace et
Valens avec ceux qui suivaient leurs sentiments. Le
concile écrivit une lettre synodale et saint Athanase,
assemblé avec les évoques d'Ég>pte, écrivit au pape
pour le remercier, et lui signaler aussi Auzence,
évoque de Milan. Episl. ad Afros, 10, P. G., t. xxvi,
col. 1229 sq.
Auxence était plus difficile à attaquer, parce que
Valentinien, trompé par une formule équivoque de foi,
le croyait orthodoxe. Cependant, dans un second concile
de 90 évéques, tenu à Rome sur l'instigation de saint
Athanase, il déclara que le symbole de Nicée était le
seul autorisé, il annula absolument le concile de Ri-
mini, et rappela d'après une lettre des évéques de
Gaule et de Vénétie qu'Auxence avait été déjà antérieu-
rement condamné. Jaffé, n. 232, Confidimus quideni.
Il fit part de cette condamnation aux évéques d'Illyrie.
Toutefois Auxence resta sur son siège jusqu'à sa mort
en 374.
De nombreux conciles provinciaux, encouragés par
ces actes de Damase, accentuèrent le retour à la foi de
Nicée, dans toutes les régions d'Occident. En Afrique,
l'évéque de Carlhage Restitutus demeurait attaché à la
formule de Rimini. C'est à son occasion qu*Athanase
avait écrit sa lettre fameuse Ad Afros et Damase le
somma de comparaître devant un tribunal d'évéques ;
Gratien même lui adressa un rescrit pour l'y contrain-
dre. On dit qu'il ne se présenta point ; mais peut-être
fi'amenda-t-il.
Deux évéques danubiens, Paliadius de Ratiaria et
Secundianus, menacés de déposition, obtinrent de
Gratien qu'ils seraient jugés par un concile œcumé-
nique tenu à Aquilée. Ce concile se tint en 381 sous la
présidence de saint Ambroise, mais sans l'appareil
qu'ils avaient demandé, appareil rendu impossible par
la tenue simultanée du concile de Constantinople et
que Damase lui-même jugeait désormais inutile. Le
concile les déposa et pria l'empereur de faire exécuter
la sentence.
4« Priscilliens. — Damase ne vit que les débuts du
priscillianisme en Espagne et en Gaule. Parmi les
écrits de leur chef, nouvellement découverts, on en
voit un qu'il adresse à Damase, parce qu'il occupe le
plus haut rang et qu'il est le premier entre tous: senior
omnium nostruni es, ailleurs : omnium senior et pri-
nius; il en appelle du concile de Saragosse à Damase
et à son concile. Liber II ad Damasum episcopum,
Priscilliani opéra, édit. Schepss, Vienne, 1889, p. 34-
43. La Fides Damasi et les Formules damasiennes
contre les prisciUianistes seraient, d'après M. Kûnstle,
d'origine espagnole. Antipriscilliana, Fribourg-en-Bris-
gau, 1905, p. 46-58.
5» Les affaires d^Onent. — L'attention de Damase
fut attirée du côté de l'Orient par les évéques orien-
taux eux-mêmes. Ceux-ci étaient sous le règne tyran-
nique de l'empereur Valens : ils étaient troublés par
les quelques évéques ariens qui tenaient, avec la faveur
impériale, les grands sièges, par le schisme malheu-
reux qui divisait les catholiques d'Antioche, plus que
par leurs dissensions doctrinales. Partisans de
r6(jLotouo-(oc ou de l'ôpLoo-Jo-coc, nicéens purs ou quasini-
céens, tous, l'expression mise à part, se sentaient une
même foi, et avaient conscience que pour être bien
réunis entre eux et avec toute Tr-glise, contre les der-
niers survivants de l'arianisme pur, comme pour être
fortifiés contre les attaques de Valens, il suffirait que,
selon son devoir, le chef de TÉglise d'Occident, Vévé
de Rome, vint à leur secours et s'occupât bénignen
de leurs affaires.
Il ne semble pas malheureusement qu'à Rome ma
on ait eu la sensation nette de ce besoin : on se la
impressionner par les vieilles rancunes et défiât
et tromper par des personnages d'Orient, qui n'en
présentaient point parfaitement les sentiments. Dam
en ces questions, ne parait pas avoir eu tout le tact q
montra en d'autres occasions.
On a déjà parlé à l'occasion de saint Athanase
Tarianisme, 1. 1, col. 1841, et à l'occasion de saint Ba
des appels que l'Orient, à partir de 371 , adressa à l'évé
de Rome, pour le solliciter d'envoyer des légats, i
mission de pacifier et de consoler les églises aflli{
de ce pays. Ms*" Duchesne, que nous suivons ici. a tr
de nouveau ce sujet dans son Histoire ancienne
VÉglise, t. ii, p. 400-418. Basile de Césarée, après s'
entendu avec Athanase d'Alexandrie et Mélcce d'
tioche, Epist., lxvi, P. G., t. xxxii, col. 424, dépé
d'abord à Damase le diacre Dorothée qui revint bie
avec le diacre Sabinus de Milan porteur d'une le
synodale du pape. Comme cette lettre paraissait ini
fisante, Basile, par de nouvelles lettres, Epist,, xc-x
col. 472-484, dont l'une signée de trente-deux de ses
lègues, supplia les évéques d'Italie et de Gaule de v(
en aide d'une façon plus efficace aux maux de l'Ég
orientale (372). La réponse ne fut rapportée qu'à l'étt
373, par Évagrius, prêtre d'Antioche. Elle consîj
dans une formule qu'on devait signer sans y rien cl
ger : on renvoyait les lettres d'Orient qui n'avaient
plu, et on disait aux Orientaux que c'était à euxde v<
les premiers, s'ils voulaient qu'on allât chez eux. C
réponse froide et autoritaire aflligea Basile : depuis 1
il n'eut qu'une médiocre idée des Occidentaux, et
chef, le pape Damase, lui fit l'effet d'un homme orgi
leux et impitoyable. Cependant, en 375, on renvoi
formule jadis apportée par Évagrius, munie des sij
tures demandées, par les prêtres Dorothée et San(
sime, qui devaient remettre en même temps une lor
lettre de Basile. EpisL, cxx, cxxi, cxxix, ccliii-cc
col. 527, 540, 557, ^0-945.
c Le résultat ne fut pas celui que l'on désirait,
Mfl' Duchesne, p. 408. Personne ne vint d'Occid
Toutefois Dorothée rapporta une lettre où l'on ren
témoignage à son zèle en déclarant qu'on s'était eff
de l'aider. Au point de vue doctrinal, la lettre répi
vait les erreurs de Marcel et d'Apollinaire, mais
les nommer. Le terme una substantia n'était plus
ployé : on lui substituait celui d'una où^na en gre«
latin ne possédant pas l'équivalent de ce terme. » C
tant, Epist. rom. pont., p. 495 : Ea'gratia.
Mais en même temps, Damase écrivait à Paulin d
tioche une lettre qu'il lui faisait porter sans doute
Vitalis. Jaffé, n. 235. Or, d'une part, Paulin était le ]
de Mélèce, de ce Mélèce que Rome soutenait dans l'afi
du schisme d'Antioche, tandis qu'il avait les sympat
des Orientaux, sauf des Alexandrins, et c'était sur 1
lin seul qu'en Orient on faisait tomber la responsab
du schisme. D'autre part, Vitalis, ami de Paulin,
seulement avait quitté la communion de Mélèce; i
encore se faisait apollinariste. Les relations de Daii
avec ces deux hommes n'étaient pas pour plai)
saint Basile et aux siens. Damase, d'ailleurs, fut
averti de son erreur en ce qui concernait Vitalis,
par des courriers exprès, il prévint Paulin de ne r
voir Vitalis que moyennant une confession orthod
On sait d'ailleurs que Vitalis, ainsi mis en (lemeur
se prononcer, quitta Paulin pour Apollinaire, et, co
cré évêque par ce dernier, fonda une nouvelle é{
dissidente à Antioche.
Mais ces erreurs de tactique commises par Dar
et les Occidentaux donnèrent à Basile l'espén
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33
DAMASE I«^
34
qu'ils allaient cnGn ouvrir les yeux et reconnaître quels
étaient en Orient les vrais amis de Torthodoxie et de
la paix. Dans cette espérance, il fit reporter à Rome, en
377, par Dorothée et Sanctissime une seconde lettre,
Epiêt., ccLxiii, col. 976-981, longue, affectueuse, où il
sollicitait les Occidentaux de répudier non plus les
ariens, que leurs excès rendaient odieux, mais surtout
ceux que leur amitié rendait plus pernicieux, Eusthate,
le chef des pneumatomaques, Apollinaire, qui ensei-
gnait le règne de mille ans et une fausse doctrine sur
l'homanité du Christ, enfin Marcel, dont les disciples
trouvaient trop d'accueil auprès de Paulin.
Mais cette lettre n'obtint encore qu'une demi-satis-
fiaction. Rome avait déjà condamné ces erreurs dans la
première lettre confiée à Dorothée : elle les condamna
de nouveau, pour complaire aux Orientaux, dans la
nouvelle lettre que Dorothée rapporta. Coustant, Epist.
rorn. pont., p. 498. Mais elle s'abstint encore de con-
damner nommément Eusthate, Apollinaire, Paulin, qui
étaient ses amis de vieille date, qu'elle n'avait pas en-
tendus, que les autorités d'Orient elles-mêmes n'avaient
pas jugés. Elle était tellement prévenue pour eux et
contre les amis de Basile, encouragée d'ailleurs en ce
sens par Pierre d'Alexandrie, alors réfugié à Rome, que
dans ses entretiens avec Dorothée, Damase ne se gênait
|>as de traiter Méièce et Eusèbe de Samosate d'ariens.
Cf. S. Basile, Epist., cclxvi, col. 992 sq.
Cependant, sur de nouveaux renseignements, en
379, avant que Pierre s'en retournât de Rome à
Alexandrie, Damase tint à Rome an concile où il con-
damna nommément Apollinaire et son disciple Timo-
thée. Cétait déjà une satisfaction accordée aux Orien-
taux sur le terrain doctrinal. Une nouvelle difficulté
surgit lorsque le grand concile de Constantinople, en
381, remplaça Méièce par Flavien et évinça Maxime le
Cynique de Constantinople. Il avait été convenu qu'à
la mort de Méièce on laisserait Paulin seul évéque; et
Maxime le Cynique, qui avait supplanté Grégoire de
Nazianze, avec le concours du patriarche d'Alexandrie,
était venu jusqu'au concile d'Aquilée capter la bonne foi
de saint Âmbroise. Pour régler ces aflaires, celui-ci avait
demandé à Théodose, qui l'avait accordée, la réunion
d'un nouveau concile général composé des deux épisco-
pats d'Orient et d'Occident. Ce concile eut lieu en 382 à
Rome; mais les Orientaux qui venaient de tenir celui
de Constantinople, prétendirent assez justement qu'ils
ne pouvaient quitter leurs églises encore une fois et
envoyèrent seulement trois délégués, avec une lettre
où l'on exposait la vraie foi, mais où l'on taisait les
questions de personnes comme régulièrement tranchées.
De fait, le concile de Rome accepta l'éviction, qui
s'imposait, de Maxime le Cynique, d'autant plus faci-
lement que Damase, mieux informé qu'Âmbroise,
l'avait déjà ratifiée dès 380, et avait chargé le concile
de Constantinople de le remplacer. Jaffé, an. 380.
L'élection de Nectaire, bien qu'il n'eut été que laïque
lors de sa promotion, fut approuvée. Sur la demande
de Théodose des lettres de communion furent envoyées
dans ce sens. Pour l'affaire d'Antioche, on la laissa
dans l'état.
Après avoir étudié dans leur ensemble et leur suite
les relations de Damase avec l'Orient, voyons en détail
et brièvement ses actes particuliers contre les hérésies
et les schismes de ce pays.
6» Arianisme d'Orient, — Nous n'avons presque rien
de spécial à ajouter en ce qui concerne cette hérésie.
De l'arianisme pur il ne restait plus que quelques
vieux tenants, possédant, il est vrai, les grands sièges,
tels qu'Eudoxe de Constantinople, Euzoius d'Antioche,
mais ils étaient déjà déconsidérés. Acace et Eunome,
retirés à l'écart, n'avaient plus guère d'influence. Leur
plus grande force c'était l'appui de Valens : elle devait
tomber avec lui. Et même si puissante qu'elle fût, elle
DICT. DÉ^THÉOL. GATHOL.
ne contrebalançait pas le crédit des grands docteurs
de ce temps, surtout des Cappadociens. Néanmoins, Da-
mase insistait toujours sur la reconnaissance du con-
cile de Nicée et l'annulation de celui de Rimini. Ce
concile, disait-il, manque de toute valeur, parce qu'il
n'a pas l'approbation de l'évêque de Rome, dont on
doit solliciter le jugement avant tout. Mansi, ConciL,
t. III, n. 43; Jafi'é, n. 242. En 369, après le concile de
Rome, il rédigea une formule {tonius ou typtis) qui fut
envoyée plus tard aux évêques d'Orient. Ceux-ci le
signèrent à plusieurs reprises. Au concile d'Antioche
de 379 sous Méièce, 157 d'entre eux apposèrent à une
formule semblable leurs souscriptions, qui furent gar-
dées dans les archives romaines. Constant y Epist. rotti.
pont., p. 500; Duchesne, p. 421, note 2.
7® Apoliinaristes, sabelliens, eunomiens, macédo-
niens, photiniens. — Vers 380, dans un synode romain,
Damase rédigea une Confessio fidei catholicœ, où il
résumait en « vingt-quatre anathèmes » toutes ses
condamnations contre les hérésies orientales. Un pre-
mier anathème vise ceux qui ne reconnaîtraient pas au
Saint-Esprit unité de puissance et de substance avec le
Père et le Fils : viennent ensuite des anathèmes contre
les sabelliens, les ariens, les eunomiens, les macédo-
niens, les photiniens, les apoliinaristes et la doctrine at-
tribuée à Marcel d'Ancyre; puis recommence une série
d'anathèmes relatifs au Saint-Esprit pour affirmer plus
énergiquement sa divinité essentielle et sa consubstan-
tialité par rapport au Père et au Fils. Cette Confessio
fidei fut envoyée à Paulin d'Antioche. Denzinger, En-
chiridion, n. 22-45; Duchesne, Hist, anc. de l'Église,
t. II, p. 410, note. Marcel d'Ancyre ne fut pas nommé
dans la condamnation de ses erreurs, parce qu'il
avait été jadis soutenu par le pape Jules, et parce qu'il
s'était rapproché récemment d'Athanase,- par une pro-
fession de foi que ce docteur avait jugée sufllsante. Par
ses opinions sur la consubstantialité qu'il semblait
pousser jusqu'au sabellianisme, il compromettait les
partisans du consubstantiel et on reprochait aux Ro-
mains et à Paulin d'Antioche de le fréquenter. Apolli-
naire avait été aussi longtemps l'ami de Rome, d'Atha-
nase et de Paulin à cause de sa fidélité à la foi de
Nicée. Plus tard il donna des leçons à saint Jérôme.
Mais les mélétiens le tenaient en défiance à cause de
ses relations. Il donna raison à ceux-ci, et tort à ceux-
là, quand, à partir de 371, par réaction contre l'aria-
nisme, il aboutit au système qui porte son nom.
Athanase, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse le
combattirent, et les Orientaux, par l'intermédiaire de
saint Basile, prièrent souvent Damase de se désolidariser
d'avec lui en le condamnant. Damase le fit enfin dans
un concile de 376; il chargea saint Jérôme de rédiger
une profession de foi que devaient signer les apolii-
naristes qui voudraient revenir à l'unité : il l'envoya
aux évêques d'Orient, et en pressa l'adoption surtout
quand Vitalis, après son retour de Rome, compromit
Paulin en se faisant apollinariste. En 378, il déposa
ensemble Apollinaire, Vitalis et Timothée, et rappela
cette déposition dans la lettre synodale que nous avons
citée plus haut. Jafi'é, n. 378.
Quant aux pneumatomaques, auxquels s'était rallié
Eusthate et que l'on appelait aussi macédoniens, signa-
lés d'abord par saint Athanase à l'empereur Jovien,
combattus par saint Basile, saint Grégoire de Nazianze,
Didyme l'Aveugle, saint Ambroise, ils furent condamnés
par Damase dans les conciles de Rome de 369, de 374 et
et en 380. On a prouvé que la formule qui est en tête
du décret de Gélase, De libris recipiendis, est celle
qu'il rédigea. Thiel, Epist. rom. pont., p. 53. Le con-
cile de Constantinople de 381 confirma celte condam-
nation.
Tout ce qu'on a dit jusqu'ici lait suffisamment con-
naître l'attitude de Damase à l'égard des Églises d'An-
IV. - 2
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35
DAMASE P-^
DAMEN
tioche, d'Alexandrie et de Conslanlinople. Il élail
d'accord avec le successeur d'Âlhanase, Pierre d'Alexan-
drie, auquel il écrivit des lettres de consolation lors-
qu'il fut exilé sous Valens en 374. Il l'accueillit favo-
rablement à Rome et se laissa trop influencer par lui
dans ses rapports avec saint Hasile et saint Méléce, il
lui donna des lettres de communion lorsqu'il s'en re-
tourna. Jafl'é, n. 56, 58. Il s'en fallut peu que Timothée,
son successeur, ne lui créât une mauvaise affaire en
protégeant Maxime le Cynique contre Grégoire de Na-
zianze. Enfin, pour ce qui regarde An tioche, il donna
toujours sa faveur à Paulin et aux siens, ce qui faillit
le tromper sur Vitalis, le paralysa quelque temps en-
vers Apollinaire, ne lui permit pas de goûter Méléce et
de s'entendre pleinement avec Basile.
On attribue maintenant à Damase le catalogue des
saintes Écritures, si important dans l'histoire du canon,
que Ton mettait jadis sous le nom de Gélase. Mansi,
t. viii, col. 153; Thiel, p. 52-5i. Ce catalogue fut com-
posé sous riniluence de saint Jérôme, au concile de37i.
C'est à lui que se réfère le concile d'Hippone, qui en
393 donne une liste semblable.
Damase est un des premiers papes qui ait affirmé
avec une grande force par ses paroles et ses actes la
primauté universelle d«» l'Église romaine. Il répète
fréquemment qu'elle a le droit de juger de tout, dans
la chrétienté, des personnes et des choses. Il fonde
cette primauté sur saint Pierre, et c'est sur lui qu'il
fonde aussi les droits subordonnés des patriarcats
d'Antioche et d'Alexandrie que cet apôtre aurait insti-
tués. Il ne connaît d'ailleurs Constantinople que comme
un siège ordinaire. Les Églises d'Orient, comme nous
Tavons vu par leurs appels, lui font écho, quoique
quelquefois de mauvaise grâce. Les Pères du concile
de 381 n'osent lui soumettre leur canon sur la primauté
d'honneur de Constantinople, bien qu'il reconnaisse
indirectement la suprématie de Rome. Saint Jérôme,
sollicité par les partis qui divisaient Antioche, se ré-
fère solennellement à Damase. Epist., xv, xvi, P. L.,
t. XXII, col. 355-359. Saint Ambroise fait de même à difl'é-
rentes reprises. Ubi Pelrtis, ihi Ecclesia. P. L., t. xiv,
col. 1082. Théodose, dans ses lois de 380 et 381, ne pou-
vait manquer de le désigner pour le représentant oHiciel
de l'orthodoxie en Occident. C'est à son sujet qu'Am-
mien Marcellin et le préfet Prétextât parlent du faste
des évéques de Rome.
Il y aurait encore lieu de parler des rapports de
Damase avec saint Jérôme, dont il fit son secrétaire
pour les affaires d'Orient surtout, et son consulteur
pour les questions d'Écriture sainte et de liturgie; on
sait qu'il chargea ce grand homme de re viser la Vulgate.
Il faudrait aussi parler du soin que Damase prit des
catacombes, de l'honneur qu'il rendit aux martyrs, des
inscriptions en vers qu'il fît graver admirablement sur
leurs reliques par Furius Dionysius Philocalus pour en
assurer l'authenticité. De Rossi, Inscnpt. chtnstianœ,
Rome, 1888, t. ii. Mais ces aspects ne sont pas d'ordre
purement théologique. Damase mourut le 11 décembre
38i, presque octogénaire; sa fête est le 11 décembre.
Les historiens n'ont pas encore fixé absolument la chronologie
des conciles et des lettres de Damase, nous avons suivi Du-
chesne de préférence : Liber pontiftcalis, 1. 1, p. 212-245 ; His-
toire ancienne de VÉglise, Paris, 1907, t. ii, p. 398-416, 447-484
et passim ; Grisar, Geschiehte Roms und der Pàpste im Mittel-
aller, t. i, p. 257-283; Zeitschrift fur katholische Théologie,
t VIII, p. 190-198; Rade, Damasus, Bischofvon Rom, Fribourg-
en-Brf«gau, 1892; Merenda, De sancti Damasii pap« opusculis
et çetfis, P. L., t. xin, col. 111-348; TiUemont, Mémoires pour
servir à l'hisU eccL, t. viii, p. 38^424; Geilller, Histoire gé-
njiralê des auteurs sacrés et ecclésiastiques, t vi, p. 464-377;
J9tté, Regesta pontificum romanorum, 1. 1, p. 37-40; Constant,
fipUUolse romanorum pontificum, t. i; Mansi, ConciL, t. m,
coL 4AS, 459, 462, 477, 485 ; Hefele, Histoire des conciles, trad.
Ledereq, Paris, 1907, t. r, p. 980; S. Damase, Opéra, P. L.,
t. XIII, col. 347-442; Rufln, H. E„ 1. II, c. x, P. L,
col. 521 ; Wittig, Papst Damasus l. Quellenkritische S
zu seiner Geschiehte und Charakteristik, Rome, 1902; l
valier, Répertoire, Rio- bibliographie, 2* édit., t. ii, co
A. Clerval
2. DAMASE II, pape, 10i7-10i8. Clément 11
mort le 9 octobre 1047, les Romains envoyèren
ambassade à l'empereur d'Allemagne, Henri III
le prier de désigner un pape. Après avoir pensé
chevéque de Lyon, Halinard, qui se déroba, il >
le Bavarois Poppo, évoque de Brixen, dans le
C'était le 25 décembre à Saint-Poélten. Pour lu
en aide, il lui fit une donation, et lui permit de
son évéché. Parti pour Rome, au commenceni
1048, Poppo trouva le siège pontifical occu|
Benoit IX de Tusculum, qui s'était fait nomi
8 novembre 1047, grâce à ses largesses au peupl
margrave de Toscane, Boniface, refusa de le co
L'empereur, près de qui il dut revenir àRatisbo
renvoya en Italie, avec une lettre menaçante pc
niface. Benoit IX dut se retirer après avoir teni
8 mois et 9 jours, et Poppo, conduit par le ma
bien accueilli par le peuple, fut sacré à Saint-
le 17 juillet 10i8 : il prit le nom de Damase 1
heureusement il mourut, à Palestrina, au b
23 jours, le 9 août 1048, on ne sait de quelle n
Il fut enseveli à Saint-Laurent hors les murs,
sarcophage se voit encore dans le portique exté
Jaflé, Regesta, t i, p. 528; Duchesne, Liber por
t II, p. 274; Id., Les premiers temps de CÉtat pontifl
la Revue d'histoire et de littérature religieuses, iî
p. 211 ; Giesebrecbt, Geschiehte der deulschen Kaiser
p. 437; Langen, Geschiehte der rim. Kirche, p. 445
Grégoire VU, 1. 1, p. 93-99; dans Pertx, Monumenta Gt
Scriptores, voir Annales Romani, t. v, p. 469; Atiseb
t. VII, p. 228; Lamberti Hirsch., t. v, p. 154; Bon
p. 803.
A. Cler\
DAMBERGER Joseph Ferdinand, hist(
l'Église, naquit à Passau (Bavière) le l«f ma
ordonné prêtre en 1818, il travailla quelque:
dans le ministère pastoral ; il était prédicate
cour à Saint-Cajetan de Munich, quand il de
être reçu dans la Compagnie de Jésus, où il
1837, à Brieg en Suisse ; il professa l'histoire
naire de Lucerne (I845-I8i7); expulsé avec se
res, en 1847, il fut obligé de se réfugier en
passa les dernières années de sa vie à Schâfl
de Munich, comme confesseur des religieu
Dames anglaises; il y mourut lei^r mai 1859. Il
Synchronislxsche Geschiehte der Kirche und
Mittelalter, 15 in-8« avec complément criti
chaque volume (le xv« vol., s'arrétant à Pan
a été édité par les soins du P. D. Rattinger, S.
bonne, 1850-1863 : ouvrage d'une immense •
son plan le rend un peu pénible à lire, ins
richesse des informations et par la discussi
fondie des mensonges de l'histoire anticathc
mérité d'être appelé un véritable arsenal p
fense de la vérité historique et de PÉgUse.
De Backer et Sommervogel, Bibliothèque de la C^' i
col. 1786-1787; Hurler, Nomenclator, t. m. col. 10€
lexikon, t. m, col. 1362-1363 ; Allgetneine deutsche
Leipzig, t. IV, p. 716.
Jos. BRI
DAMEN Armand, théologien belge, né
en 1656 ou 1657. Il fit ses humanités chez le
réguliers de sa ville natale. Dès lors il ar
plus heureuses dispositions, au point d'é<
ses condisciples. En 1673, il vint à Lot
devait passer le reste de sa vie. Il y suivit
philosophie pendant deux ans, au Colley
et les cours de théologie, pendant quatre :
au Grand Collège du Saint-Esprit. A pei
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37
DAMEN
DAMIANI DE TUHEGLI
38
prêtre, il fut vicaire, puis curé de la paroisse Saint-
Michel ; mais les fonctions de son ministère ne Tempê-
chèrent pas de poursuivre ses études et de conquérir
successivement la licence et le doctorat en théologie.
C'est en 1699 qu'il obtint ce dernier grade. A partir de
ce moment, il resta attaché au Grand Collège des théo-
logiens en qualité de vice-président; et bientôt Tarche-
vêque de Matines, Humbert, le créait archiprétre du
district de Louvain. Vers le même temps, les consuls
de la cité reconnaissaient ses mérites en le nommant
chanoine de la collégiale de Saint-Pierre et professeur
à la faculté de théologie, où ses collégues'ne tardèrent
pas à lui conférer le titre de a régent ». A la mort de
Martin Steyaert, en 1701, il lui succéda comme doyen
du chapitre de Saint-Pierre, comme directeur des
« sabbatines » et comme président du Grand Collège.
Mais les devoirs de cette présidence constituaient un far-
deau trop lourd pour sa débile santé, et dès le 22 mai 1702
il réchangeait contre celle du Collège de Divoeus. Le
16 juillet 1713, il fut transféré à la direction du Collège
d^Arras, où il habita désormais et où il mourut, le
29 octobre 1730, dans sa 74« année. Outre ses autres
fonctions, il avait été appelé, par le suffrage unanime
des électeurs, à la charge, alors très importante et très
honorable, de conservateur des privilèges académiques.
A un caractère aimable et à une activité multiforme
et incessante Damen joignait, comme professeur et
comme écrivain, une juste aversion pour les nouveautés
théologiques et un grand zèle pour les droits du saint-
siège. On en pourra juger par la liste de ses ouvrages
on opuscules. Nous avons de lui : !<> Doclrina et praxis
S. Caroli Borromœi de ptenilentia cseteinsque conlro-
vej-siis moralibus hodiemis, 3 in-12, Louvain, 1697.
Cest an commentaire des ordonnances et instructions
du saint archevêque de Milan, où Damen a eu soin de
reproduire toujours en entier les textes qu'il commente.
11 est spécialement dirigé contre le rigorisme des
jansénistes relatif à l'absolution des pécheurs d'habi-
tude et des récidivistes, à la confession et à la commu-
nion des enfants, à la fréquente communion, etc. La
deuxième partie est une réponse à Jean Opstraet, qui
avait attaqué les conclusions de la première. L'ouvrage
a été réimprimé à Louvain en 1703, et, une seconde
fois, en 1711. 2© Oratio de cathedra Pétri ut est régula
fidei, in-12, Louvain, 1721. L'auteur y défend, comme
€ antique et continuelle doctrine des théologiens de
LoQvain », la thèse de l'infaillibilité personnelle du
pape. Il l'énonce ainsi : « Une délinition qui, concer-
nant des choses de foi, de mœurs et de religion aux-
quelles l'Église entière est intéressée, part de la seule
chaire de Pierre et s'adresse à tous les fidèles, est
règle de foi, même indépendamment de l'intervention
d*an concile général et antérieurement à l'assentiment
de l'Église universelle. Or le pontife romain définit
ex cathedra quand il prescrit à toute l'Église quelque
chose à croire. > Parmi les documents cités figure une
déclaration collective et très explicite, émise par la
faculté de théologie en 1588, et au bas de laquelle on
Ut, entre autres noms, ceux de Michel Baius et de
iansénius d'Ypres. 3» Oratio de dogmalica butta Uni-
genitits, in-12, Louvain, 1724 : démonstration du carac-
tère dogmatique et strictement obligatoire de la bulle
en question. Cette étude se trouve complétée par la
suivante : 4^ Brevi* zolulw super tribus his quwûtis :
i. An inobediens constitutioni Unigenitus fit exconi-
municalus? 2. An fit schismaticusf 3. An fit hmreti-
cusf in-4«, Louvain, 1727. La réponse est affirmative
sur toute la ligne, à la condition d'entendre les deux
premiers points de ceux qui manifestent leur insou-
mission. 5» Dissertatio de numéro episcoporum ad
rtUidam ordinationem episcopi requisito, in-4o, Lou-
raJD, 1725. Damen soutient que le concours de trois
éréqoes est, sauf dispense du pape, nécessaire non
seulement pour la légitimité, mais aussi pour la vali-
dité; d'où il infère l'absence de tout caractère épiscopal
en Corneille Steenhoven, soi-disant archevêque
d'Utrecht, qui s'était fait sacrer par Varlet, évéque de
Babylone, d'ailleurs « excommunié, suspens et irrégu-
lier t. Van Espen se fit le champion de la cause de
Steenhoven. 6® Ce fut l'occasion de la Dissertalio 11^
de numéro episcoporum ad validant ordinationem
episcopi requisito, in-4', Louvain, 1725. L'année sui-
vante, paraissait : 7*» Oratio de pontificio hoc oraculo :
« Universitas Lovaniensis sanctse Romanm Ecclesiœ
devota et fidelis est filia, » in-12, Louvain, 1726. Cet
éloge avait été adressé à l'école de Louvain par Pie IV,
en 1561. Il est ici justifié par une brève esquisse de l'atti-
tude de l'université en diflférentes circonstances, mais
surtout à l'époque du concile de Bâle. Le même thème est
repris dans : 8» Prosecutio orationis habita die il junii
1727, in-4o, Louvain, 1727. Nous possédons trois études
en tête desquelles Damen n'a pas mis son nom, mais
qui sont certainement de lui ; c'est d'abord : 9° Rela-
tionis operum ex aliquo benevolenliœ in Deuni affeclu
obligatio ac nécessitas, strenue asserta per theologum
Lovaniensem, in-4», Louvain, 1729. Il y ajouta bientôt :
10® Relationis operum ex aliquo benevolentiœ in Detim
affectu obligatio ac nécessitas, denuo asserta per
theologum Lovaniensem, in4o, Louvain, 1730. Dans
ces deux écrits, le a théologien de Louvain » plaide,
contre Vanroye, docteur de Sorbonne, pour une thèse
chère à son école. Il la justifie sans peine de l'accusa-
tion de baianisme et de quesnellisme. Il ajoute qu'au
demeurant une relation virtuelle, ex parte operis,
suffit, et que le « sentiment de bienveillance » qui la
réalise n'appartient pas nécessairement à la vertu théolo-
gale de la charité proprement dite. Surtout, ni lui ni
ses amis n'ont jamais dit ou pensé que « les infidèles
pèchent dans tous leurs actes ». Ces observations sont
encore corroborées : Ih par une Dissertatio de refe-
rendis operibus in Deum et de operibus infidelium,
auctore theologo Romano-catholico, in- 4», Louvain,
1729. La dernière œuvre de notre auteur est : 12o Dis-
sertatio de veritate hujus propositionis : « Jansenius
non fuit jansenista, » in-4'>, Louvain, 1729. L'affirma-
tion d'apparence paradoxale est soutenue et expliquée
de façon fort simple : qui dit janséniste dit hérétique;
or Jansenius n'a pas été hérétique : il n'a pas eu con-
science de ses erreurs, réprouvées par l'Église seule-
ment après sa mort; à plus forte raison, n'a-t-il pas eu
cette opiniâtreté dans l'erreur, sans laquelle il n'y a
point d'hérésie. 11 s'agit évidemment de la personne de
Jansenius, et non de sa doctrine. Quant à celle-ci,
« nul vrai catholique » ne peut soit nier que VAugus-
tinus a contienne diverses hérésies, » soit défendre une
seule des cinq fameuses propositions. Damen rappelle
fort à propos le mot de Vincent de Lérins : « Étranges
vicissitudes des choses! Les auteurs d'une opinion
sont catholiques, et ses défenseurs sont réputés héré-
tiques. Les maîtres sont absous, mais les disciples sont
condamnés, b
Reusens et Barbier, Analectes pour servir à Vhistoire ecclé»
siastique de la Belgique, Louvain, 1881, t. xvii, p. 173. 386; De
Ram, De laudibus quitus veteres Lovaniensium theologi
efferri possunt, Louvain, 1848, p. 14, 58, 133.
J. FORGET.
DAMIANI DE TUHEGLI Jean, théologien hongrois,
né à Tuhegli le 21 juin 1710, mort vers 1780. H vint à
Home en 1726 et étudia à Fermo sous les auspices de
Henott XIII; il fut ordonné prêtre, le 5 mars 1735. De
retour à Rome, il fut bien accueilli par Clément XII,
qui le proposa au choix d'Émeric d'Eslerhazy pour un
canonicat de Presbourg. Il occupa diverses autres places
dans la hiérarchie ecclésiastique de son pays. Il a pu-
blié : 1» Doctrina verœ Chrisli Ecclesiœ ab omnibus
prascipuis antiqui, medii et novi œvi hs&resibus vindi-
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39
DAMIANI DE TUHEGLI — DAMIEN
cata, in-8», Ofen, 1762; 2® Jusla religtonis coactio, etc.,
in-8«>, ibid., 1765, où il traite des divers moyens de faire
rentrer les dissidents dans l'Église catholique. Il a laissé
un ouvrage manuscrit intitulé : Examen UbH synibo-
lici Russonim.
Hœfer, Nouvelle biographie générale, t. xii, p. ©7-858.
E. Mangenot.
DAMIANITE8 ou DAMIANI8TE8, voir Dâhien 1.
1. DAMIEN, patriarche copte d'Alexandrie, 578 6(K>,
et fondateur de la secte des damianites ou tétradites.
Depuis les controverses entre Sévère d'Ântioche et Julien
d'Halicarnasse sur la corruptibilité ou non du corps
du Christ, le parti monophysite comptait deux grandes
fractions : les sévériens ou corrupticoles, les julianistcs
ou aphtartodocètes et phantasiastes. £n Egypte, à la
mort du patriarche Timothée IV, 8 février 536, chacun
des deux partis lui donna un successeur, Théodose !«''
pour les sévériens, GaTanus pour les phantasiastes. Ni
l'un ni l'autre ne put se maintenir en charge, par suite
de l'opposition de la cour byzantine, qui exila les deux
concurrents et imposa le candidat chalcédonien. Théo-
dose I*' mourut en exil le 22 juin 567. La vacance du
siège patriarcal dura jusqu'en 576, où des évéques
syriens envoyés par Paul, le patriarche monophysite
d'Antipche, élurent et sacrèrent un certain Théodore.
Furieux de ce choix, auquel ils n'avaient eu aucune
part, les théodosiens lui opposèrent, automne 576,
Pierre IV, qui rompit la communion avec Paul d'An-
tioche. Ce dernier, du reste, était alors brouillé avec le
fameux Jacques Baradaï, qui était en excellents rapports
avec Pierre IV. Lorsque celui-ci mourut le 19 juin 578,
on nomma pour son successeur un Syrien d'origine,
Damien, qui adopta sa ligne de conduite et donna son
nom à ses partisans. On les appelait, en effet, alternati-
vement sévériens ou théodosiens ou damianites, ou
angélites, à cause du lieu où ils se réunissaient à Alexan-
drie. Damien rejetait la doctrine chalcédonienne,
l'hérésie phantasiaste de Julien, celle des trithéistes
lancée par Jean Philopone, ainsi qu'on le voit par sa
lettre synodique et sa lettre sur la mort de Jacques
Barada!. Michel le Syrien, Chronique, trad. Chabot,
t. II, p. 325-334, 339-342. En même temps, il anathé-
matisait « l'insensé Sabellius de Libye », Michel le
Syrien, t. ii, p. 331, col. 2, dont on l'accuse pourtantde
reproduire la doctrine.
Le trithéiste Jean Philopone avait admis « la plura-
lité des essences et des natures dans la Trinité sainte,
divisant et séparant avec les personnes Tunique essence
indivisible ». Il semble que, pour avoir voulu trop
réfuter les tenants de cette doctrine : Jean Philopone,
Probus, Sergius l'Arménien, etc., Michel le Syrien, t. ii,
p. 362 sq., Damien soit tombé dans l'hérésie contraire,
dans le sabellianisme. Timothée de Constantinople, De
receptione hœreticorum, P. G., t. lxxxvi, col. 60, l'ac-
cuse d'admettre, avec la distinction des trois personnes
divines, « un Dieu commun, une sorte de déité inexis-
tante, par la participation indivise de laquelle chacune
des trois personnes est Dieu. » Dans ce système, tou-
jours d'après Timothée, le Père, le Fils et le Saint-Esprit
sont nommés hypostases, et chaque personne, prise à
part, est Dieu; quant au Dieu commun, il est nommé
substance et nature. C'est pourquoi, on reprochait à
Damien .d'être tétradite, c'est-à-dire d'admettre quatre
dieux. Saint Sophrone, Epistola synodica adSergium,
P. G., t. Lxxxvii, col. 3193, loue les réfutations que
Damien avait faites du système trithéiste, mais il le
traite de « nouveau Sabellius ». De même, le patriarche
monophysite Pierre d'Antioche^ son grand adversaire,
lui reproche de dire que « les propriétés constitutives
des personnes de la Trinité sainte étaient les personnes
mêmes. » Michel le Syrien, t. ii, p. 365. De même
encore Athanase d*Antioche, peu après l'accord fait en
609 avec les disciples de Damien, avoue que, d
celui-ci, a Tinnascibilité est la personne du Pè
filiation la personne du Fils, la procession la per
du Saint-Esprit. » Michel le Syrien, t. ii, p. 387, <
En somme, d'après l'ensemble de ces témoignage
temporains, qui contredisent celui de Timotl
Constantinople, Damien avait remis en circulât
sabellianisme. Cette doctrine fut vivement com
par les monophysites d'Antioche, surtout par le \.
che Pierre, qui écrivit trois traitësà ce sujet. On
de s'entendre à la conférence de Gabita en Ârabi<
586, mais en vain, par suite de la mauvaise '
qu'y apporta Damien. Michel le Syrien, t. ii, ]
371. Plus tard, après la mort des deux advei
dans une série de conférences qui se tinrent {
lièrement à Alexandrie en l'année 609, l'entei
rétablie entre les deux Églises monophysites d'A
et d'Alexandrie, et les deux patriarches de ces
Athanase et Anastase, publièrent, sous leur si
commune et celle de plusieurs évéques, l'acte
d'union. C'était une exposition de la vraie docti
le mystère de la Trinité, dans laquelle on ne b
Damien d'Alexandrie, ni Pierre d'Antioche
d'union ne voit dans leurs disputes théologique:
« querelle de mots ». Michel le Syrien, t. ii,
col. 1. Mais nous savons par les lettres d'Athan
la doctrine de Damien fut formellement rejetée
conférences et que, si l'acte d'union n'en p!
c'est que les Alexandrins s'y étaient opposés,
encore des damianites, qui restèrent fidèles à
trine du maître. Voir les pièces officielles de c
nion dans Michel le Syrien, t. ii, p. 381-399.
S. Vaii
2. DAMIEN (Saint Pierre), cardinal-évèqu
docteur de l'Église. — L Vie. IL Action apc
IIL Œuvres. IV. Doctrine.
I. Vie. — 1® Sa jeunesse. — C'est à ses contei
au disciple qui écrivit sa vie, aux documents p
de l'époque, surtout à ses Lettres et à ses C
qu'il faut demander des renseignements pré<
principaux événements de son existence, si
actif qu'il joua dans l'Église, sur sa doctrine
Henschenius, Acta sanctorum, 2« cdit., t.
rii, p. 412-433, le fait naître en 968, à caus<
sions fréquentes à sa grande vieillesse qu
dans ses écrits, à partir de l'an 1060. Mais
avec plus de raison, place la date de sa na
1007; car Pierre Damien, Opuscul., lvii, 5,
sèment qu'Otto était mort à peu près cinq
qu'il ne vint lui-même au monde, et nous sav
mourut le 28 janvier 1002. 11 naquit à Rave
rents pauvres, surchargés de famille ; sa n
donna tout d'abord, puis le reprit et mour
n'était encore qu'enfant. Devenu orphelin
ployé par l'un de ses frères à des travaux gi
tammentà la garde des pourceaux. Mais te
intelligence qu'un autre de ses frères, nom
d'où son nom de Damiani ou Damianus, s
son instruction et l'envoya étudier à Fai:
Parme. OptiscuL, xlii, 7. Ses progrès Uni
dige, et bientôt il fut à même de professai
ce qu'il fit avec un grand succès. La for
avec la renommée. Mais, sans se laisser
l'une ou par l'autre, et craignant de cédei
de ses passions ou aux dangers du monde,
les religieux de Fonte Avellana, au diocèi
en Ombrie. C'était vers 1035 et il avait
29 ans.
2® Dans le cloître. — Devenu moine,
par se livrer à un ascétisme rigoureux. ^
de la règle bénédictine, il ajoute d'autres
pénitence volontaire, qui le privèrent po
de sommeil. Son ardeur au li*avaii était sa
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DAMIEN
42
vent, sur Tordre de son supérieur, il dut exhorter ses
frères; il y déploya tant de zèle et y réussit si bien
quUl fut appelé dans des monastères voisins, où il exerça
un apostolat apprécié. Bientôt (vers 1040) supérieur de
Fonte Avellana, il fonde d'autres couvents. On aurait pu
le croire exclusivement occupé à se sanctifier et à sanc-
tifier ses religieux, à restaurer età renforcer la discipline
monastique, tant il était épris de l'idéal de la vie claus-
trale, et tant les désordres et la décadence des mteurs ré-
clamaient une direction vigoureuse, mais ni l'attention
vigilante, ni les soins multiples qu'il ne cessa jamais de
consacrer à la réforme du cloître et à la promotion de
la TÎe religieuse n'absorbèrent l'activité de son zèle. Il
avait, en effet, un puissant amour pour l'Église, qu'il
voulait pure et féconde dans la conduite de tous ses mi-
nistres sans exception, d'un bout à l'autre de la hiérar-
chie ecclésiastique.
3« Se$ rapports avec les papes. — Pendant la pre-
mière moitié du xi* siècle, l'Église avait passé par de
rades épreuves. Durant plus de trente ans, les comtes de
Tasculum exploitèrent le siège romain comme un fief
de famille, en le faisant occuper successivement par
les deux frères, Benoit VIII (1012-1021) et Jean XIX
(1024rl033), et leur neveu, Benoit IX (1033-1048), qui,
pape à douze ans, déshonora la tiare par ses déborde-
ments. Renversé par une émeute, en 1044, Benoit IX
se voit opposer Sylvestre IV (104i-1046), rentre dans
Rome par la force des armes et vend, dit-on, le pontifi-
cat à Jean Gratien, Grégoire VI (1045-1046), sauf ensuite
à faire valoir quand même ses droits. On eut ainsi trois
papes à la fois. Grégoire VI avait, du moins, pour lui,
la droiture des intentions et le désir sincère de remé-
dier aux maux de TÉglise; il sut choisir pour chapelain
un homme de valeur, le célèbre Hildebrand, le futur
Gr^oire VII.
A ce moment difficile, Pierre Damien entre en jeu et
prend contact avec la papauté qu'il va servir de toutes
ses forces. Il commence par féliciter Grégoire VI de
son élévation au souverain pontificat; dans l'espoir de
le voir combattre et bannir de l'Église le double fléau
de rincontinence des prêtres et de la simonie, il lui
écrit pour lui dénoncer en particulier trois églises
gouvernées par d'indignes prélats. « Par votre zèle
contre l'évèque de Pesaro, dit-il, on jugera de ce que
l'on doit espérer de bon pour les autres églises. i>
EpisL, 1. VII, epist. i, P. L., t. cxLiv, col. 206. Le
•concile de Sutri déposa, pour cause de simonie. Syl-
vestre III et Benoit IX. Quant à Grégoire VI, également
déposé d'après Mb' Duchesne, Liber pontificalis, t. ii,
p. 271, ou volontairement démissionnaire à l'exemple
de saint Grégoire deNazianze, comme le croit Baronius,
Annal,, an. 1046, n. 3, il partit pour l'Allemagne avec
Hildebrand. Son successeur, le pieux évêque de Bam-
berg, Suidger, prit le nom de Clément II (1046-1047).
Pierre Damien reçoit "mandat de l'empereur Henri III
d'aller à Bome pour aider le nouveau pape de ses
conseils; mais il s'en défend tant qu'il n'aura pas reçu
Tordre même du pape. Dans la lettre qu'il écrit à ce
sujet à Clément II, il a soin de notifier le désordre qui
règne dans les églises de sa province, grâce au faste
des évéques, la plupart chargés de crimes. « Travaillez,
lui dit-il, à relever la justice qu'on foule aux pieds avec
mépris ; usez des rigueurs de la discipline ecclésias-
tique pour que les méchants soient humiliés et que les
humbles se reprennent à l'espérance. » Epist., 1. I,
epist. III, P. L., t. cxLiv, col. 208.
A la mort de Clément II, le comte de Tusculum fait
proclamer Benoit X. Mais ce dernier se retire devant
le candidat de l'empereur, Damase II (1048), qui ne
régna qu'un mois à peine, et fut remplacé par Brunon
d'Éguisheim, évêque de Toul et parent d'Henri III,
Léon IX (1048-1054). Les ennemis de l'austère réfor-
mateur qu'était Pierre Damien le dénoncèrent au
nouveau pontife. L'ayant appris, Pierre écrit au pape
pour le prier, avec autant de fermeté que de modestie,
de surseoir à toute décision le concernant avant d'avoir
été entendu. « Je ne cherche la faveur d'aucun mortel;
je ne crains la colère de personne; je n'invoque que
le témoignage de ma propre conscience. » Epist., 1. I,
epist. rv, ibid., col. 208-209. Une telle franchise ne dut
pas déplaire à Léon IX, car nous le voyons se faire aider
par Pierre Damien dans la réforme du clergé. C'est
alors que notre saint composa son fameux Gonior^
rhianiÀS, OpuscuL, vu, P. L., t. CXLV, col. 159-190, con-
tra quatrimodani camalis contagionis pollutionem.
Est-ce à la suite de cet ouvrage, dont le pape lui sut
gré, que Léon IX, au concile de Rome de 1049, pro-
nonça des peines canoniques contre les clercs coupables?
Nous l'ignorons et le pontife lui témoigna même quelque
froideur, à laquelle Damien se montra très sensible.
Toujours est-il que le décret se trouve répondre aux vues
de Pierre, qui le loue dans son Opuscul., vi, Gratissi-
mm, t. CXLV, col. 150-151.
4» Son cardinalat. — A Léon IX succède Victor II,
qui meurt le 28 juillet 1057, et est suivi dans la tombe
par l'empereur Henri. L'empire était vacant, on en pro-
fite pour nommer le cardinal de Lorraine, qui fut
Etienne IX (X) (1057-1058). Ce pape, au nom de l'obéis-
sance, impose à Pierre Damien le titre de cardinal-
évéque d'Ostie. Il meurt trop tôt pour accomplir
l'œuvre de la réforme que ne cesse de poursuivre
Pierre Damien ; et sa mort permit au parti des comtes
de Tusculum de fomenter un schisme par la nomina-
tion 4e Jean, évêque de Velletri, sous le nom de
Benoit X (1058-1059). Mais le nouveau cardinal proteste
aussitôt et traite Benoit X de simoniaque et d'intrus.
Il rejoint à Sienne Hildebrand, qui revenait d'une
mission, et contribue à l'élection de l'évèque de Florence,
Gérard de Bourgogne, qui prit le nom de Nicolas II
(1059-1061). Très vraisemblablement, c'est sur les conseils
d'Hildebrand et de Pierre Damien que Nicolas II porta
le célèbre décret de 1059, par lequel, pour assurer
désormais l'indépendance des élections pontificales, le
choix du pape était exclusivement confié au collège
des cardinaux, le dernier mot devant rester aux cardi-
naux-évêques, l'empereur ne conservant plus que le
droit de confirmation et le peuple celui d'approbation.
Cf. Scheffer-Boichorst, Die Neuordnung der Papst-
wahl durch Nicolaus II, Strasbourg, 1879.
Pierre Damien, plus que jamais décidé à poursuivre
sa campagne contre les vices de l'époque, écrit à Ni-
colas II, Optiscul, xvii, Decœlihatu sacerdotum, P. L.,
t. CXLV, col. 379-388, pour qu'il réprime l'inconti-
nence des clercs qui scandalisait les fidèles et avilissait
le sacerdoce. Dans le même but, il s'adresse au cardinal
Pierre, à l'évèque de Turin et à la duchesse Adélaïde,
pour les presser d'arrêter le cours des débordements du
clergé et de mettre en vigueur le décret de Léon IX
contre les clercs incontinents et leurs concubines.
Opuscul., xviii. Avec Anselme de Lucques», le futur
Alexandre II, il est envoyé à Milan pour y régler les
affaires ecclésiastiques et rend compte de sa mission à
Hildebrand, devenu archidiacre de l'Église romaine.
Actus Mediolani, de privilégia romanœ Ecclesiœ,
OpuscuL, v, t. CXLV, col. 89-98.
5" Projets de démission. — Déjà il songe à renoncer
à l'épiscopat pour se retirer dans la solitude de
Fonte Avellana. Epist., 1. I, epist. viii. Dans une
lettre, OpuscuL, xxix. De abdicalione episcopatus,
l. CXLV, col. 423-442, il témoigne qu'il y aurait renoncé
aussitôt après la mort de celui qui le lui avait imposé
de force, s'il avait pu obtenir son congé, mais que
ne l'ayant pas obtenu alors à cause des troubles
de l'Église, il le demande à présent que l'Église
est en paix. Il insiste de nouveau dans son Apologeti-
cus ob dimissum episcopatum, OpuscuL, xx, et se
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DAMIEN
plaint qu'on l'ait chargé par surcroît de la visite d'un
autre évéché. Mais le pape ne donna pas suite à sa de-
mande, comprenant qu'un homme comme Pierre Da-
mien était indispensable à ses côtés. Du reste, les cir-
constances difficiles qui suivirent la mort de Nicolas II,
survenue au mois de juillet 1061, rendirent sa présence
nécessaire. Avec les partisans de la réforme, il contribua,
le i«r octobre, à élire Anselme de Lucques, Alexandre II
(1061-1073).
5« Sa retraite. — Cette fois, pensa-t-il, il aurait gain
de cause auprès du nouveau pontife et pourrait fuir
le monde corrompu et le faste qui entourait les princes
de rÉglise pour se retirer dans le cloilre. Il est prêt à
consacrer le nouvel élu, comme son siège lui en donne
le privilège, mais il entend se retirer après avoir déposé
une charge qu'il n'avait nullement sollicitée, qu'on lui
avait imposée de force; il en a, du reste, manifesté
déjà l'intention. Le pape consent à sa retraite, sans^
toutefois accepter sa démission. Tel n'était pas l'avis
d'Hildebrand qui, jugeant sa présence utile à Rome et
son appui indispensable, aurait voulu qu'il fût retenu
bon gré malgré, au nom de l'obéissance. Cf. Baronius,
Annales, an. 1061, n. 28. Pierre Damien trouva cette
intervention indiscrète. Aussi, dans sa lettre au pape et
à l'archidiacre, traite-t-il ce dernier de « verge d'Assur »
et de sanctus Satanas, c'est-à-dire d'adversaire un peu
dur, mais saint. Il compte bien ne pas rester oisif dans
sa retraite et ne se désintéresser en rien des affaires de
la réforme et des intérêts de l'Église. A l'occasion, il
reprendra rang parmi les combattants, acceptera et
remplira avec un zèle apostolique les missions qu'on
voudra lui confier, soit en Italie, soit au delà des
monts. En attendant, pour répondre au désir du pape,
il compose la vie de deux de ses disciples, véritables
ornements de l'Église, Rodolphe, évêque de Gubbio, et
Dominique, surnommé le Cuirassé. Alexandre II se
plaint pourtant de la rareté de sa correspondance;
le saint s'en excuse sur ses travaux et ses occupations,
Epiêt., 1. I, epist. xv, col. 225 sq. mais il est heureux
d'apprendre qu'on l'avait déchargé du comté d'Ostie; pour-
quoi ne le déchargerait-on pas aussi de son évéché? Que
le pape, du moins, travaille à réformer les abus dans le
concile qu'il allait tenir. £n finissant, Pierre Damien
glisse huit vers, qui forment un précis des devoirs pon-
tificaux dans les circonstances présentes.
6o H pou7*8uit son œuvre de réfoi^w. — Pour-
suivant dans le cloître comme à Rome ses projets de
réforme, il adresse une lettre aux cardinaux pour les
exhorter à servir de modèle, l'épiscopat consistant
beaucoup moins, dit-il, dans la magnificence et le faste
des ornements extérieurs que dans l'exercice de toutes
les vertus. Epist., 1. II, epist. i, col. 253 sq. De même il
démontre au pape, Opuscul, xxiv, que, d'après la règle
et selon l'esprit de saint Augustin, les chanoines régu-
liers ne doivent rien posséder en propre, mais vivre en
communauté avec les revenus de leur église. C'est ce
que ratifia le concile romain de 1063, par le canon 4,
qui oblige les chanoines à vivre, comme des clercs ré-
guliers, d'une vie commune, à manger à la même table,
à dormir sous le même toit et à s'en tenir aux biens
de leur église. Alexandre II finit par accepter sa dé-
mission, car, dans l'acte de la dédicace de l'église de
Saint-Martin des Champs à Paris, en 1067, on trouve la
signature de Gérard, ancien prieur de Cluny, avec le
titre d'évêque d'Ostie. Cf. Mabillon, Annales, 1. LXI,
n. 10;1. LXXIII, n. 7,8.
7o II lutte contre Caclalons. — Dans l'intervalle,
Pierre Damien avait pris une part prépondérante
dans l'affaire de l'antipape Cadaloùs. Dès la fin d'oc-
tobre 1060, c'est-à-dire quelques jours à peine après
l'élection d'Alexandre II, le parti toujours remuant
des comtes de Tusculum, d'accord cette fois avec le parti
germanique, s'était prononcé en faveur de ce Cadaloùs,
au mépris du décret de 1059 sur les élections pon
cales. A tout prix, il fallait écarter Honorius II et<
jurer le schisme. Résolument, c'est à l'antipape
même que s'en prend Pierre Damien. Condamné con
il l'a été pour crimes, il ne devrait pas, lui écri
pactiser avec la faction qui l'a placé sur le siège
Rome; son élection est nulle, parce qu'elle a été fa
l'insu de l'Église romaine, du sénat, du clergé e
peuple, alors que le siège était déjà légitimement p
vu; si non, gare au jugement de Dieu. Episl.y
epist. XX, P. L., t. cxLiv, col. 237-247. Loin de 1
compte de pareilles remontrances, Cadaloùs péi
dans Rome et s'y maintient par la force des ar
Aussitôt, nouvelle lettre, plus virulente encore et
le moindre ménagement. Epist., 1. 1, epist. xii, i
col. 248 sq. Pierre compare le faux Honorius
traître Judas et aux pires tyrans qui ont pers
l'Église. A l'archevêque de Ravenne, qui para
hésiter entre les deux papes, il déclare qu'Hor
est un intrus, que son élection est anticanonique,
s'est fait introniser de nuit à main armée et qu
incapable d'interpréter le moindre verset des psa
Epist., 1. m, epist. iv, ibid., col. 291-292.
D'autre part, il importait de détacher de l'anlip
parti allemand. C'est pourquoi Pierre Damien s'a
directement à l'empereur et le conjure d'agir ei
tecteur de l'Église, à l'exemple de Constantin
Arius, de frapper Cadaloùs, seul moyen de ren
paix à l'Église et de s'attirer sur lui-même la {
tion du ciel, sans quoi il est facile de prévoir ce
funestes seront les conséquences. £ptsf.,l. VII, e[
col. 437 sq. Si vous êtes le ministre de Dieu, po
ne défendez-vous pas l'Église de Dieu? lui
Pour lui, il se déclare prêt à tout souffrir [
défense de l'Église romaine. Mais que pouvait
jeune empereur? Car il n'était encore qu'un
Heureusement il avait été confié à la direction d'
archevêque de Cologne, et celui-ci n'avait pas
prendre parti en faveur d'Alexandre II. Cela r
sait pas, il devait faire prévaloir en Allemagne
nière de voir, et c'est ce que lui demande inst
Pierre Damien. Epist., 1. III, epist. vi, ibid., c
295. Par la même occasion, et en vue du concile qi
devait tenir, il lui fait parvenir sa Disputatio sy
Opuscul., IV, P. L., t. CXLV, col, 67-87, qui n'c
chose qu'un dialogue imaginé entre un avoca
et un défenseur de l'Église romaine. L'avocat
que l'élection d'Alexandre II s'est faite sans le
tement du roi, le défenseur réplique que celle
rius II s'est faite à l'insu de Rome et en fav*
sujet absolument indigne. Ce qu'il y a de cerl
que, dans le concile réuni par ses soins au
schisme, Annon fii lire, en présence du jeui
l'opuscule de Pierre Damien, et que l'antipapi
damné, le 28 octobre 1062. Cf^ Baronius,
an. 1062, n. 28-68. En Italie, le succès fut pi
venir; ce n'est qu'au concile de Mantoue,
1064, d'après Baronius, en 1067 d'après les
Theiner, Annales, an. 1064, n. 2-36, note
qu'Honorius II fut définitivement réduit. Pierr
prié de se rendre à ce concile en passant p
s'excuse de ne pas se rendre à Rome, mais i
se trouver à Mantoue. Epist. y\. I, epist. xvi, i
8» Salégation en France. — En 1063, Pieri
eut deux missions à remplir, l'une à Florer
en France. En Gaule, il s'agissait de trancli
rend survenu entre Dragon, évêque de
Hugues, abbé de Cluny, sur la question d
l'abbaye était exempte de la juridiction ép
directement dépendante du pape. Pierre
trancha au concile de Châlons, en faveui
contre l'évêque. Son voyage et sa mission
contés par un anonyme contemporain, qu
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DAMIEN
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connaître certains détails intéressant TÉglise de
France. De gallica piy)fectione Domni Pétri Damiani,
P. L., t. CXLV, col. 863-880. On lui avait fait espérer
qne son office de légat se terminerait à la fin de juillet,
mais son séjour se prolongea au point qu'il ne rentra
à Fonte Avellana que le 28 octobre. Ce voyage, qu'il
appelle « sa mort » à cause des dangers que lui firent
courir les partisans de Cadaloûs, ne fut pas sans
pcofit. Il nous a valu Téloge mérité des moines de
Cluny et la connaissance de certaines pratiques dans la
récitation ou le chant de l'office, jugées répréhensibles
par Pierre Damien, ainsi qu'en font foi ses lettres à
l'archevêque de Besançon et à l'abbé Didier du Mont-
Cassin.
9* Sa légation à Florence. — A Florence, il s'agissait
d*apaiâer les troubles suscités contre l'évéque Pierre,
que les moines et leur parti accusaient de simonie. L'ac-
cusation parut peu fondée au cardinal légat. En se pro-
nonçant en faveur de l'évéque, Pierre Damien fut accusé
lui-même de pactiser avec des simoniaques et dut se
retirer sans avoir réussi. Mais, dans sa lettre apologétique
au peuple et aux moines de Florence, De sacramefitis
perinipt*obo8adniinistrulis,Opuscul.,\xx,P.L.,t.cxL\y
col, 523-530, il affirme qu'il réprouve la simonie et
ajoute, ce qu'il avait déjà nettement enseigné dans son
opuscule Gratissimus, que les sacrements administrés
même par des indignes sont valides. Cf. Baronius.
Annales, an. 1063, n. 7-23. Écrivant à l'ermite Theuzon,
qu'il regardait comme le principal instigateur des
troubles florentins, il le trouve bien osé de se permettre
de juger les prêtres, les évéques, et même le pontife
romain. Cf. Baronius, ibid., n. 24-28. Theuzon se
soumit ; quant aux autres moines, ils s'adressèrent
an pape, et cette afiaire de Florence fut réglée avec
d'autres dans le concile tenu à Rome. Cf. Baronius,
ilnd., n. 31-61.
10» Sa légation en Germanie. — En 1069, nouvelle
mission, mais cette fois en Germanie, pour empêcher
le jeune empereur Henri IV de divorcer avec Berthe,
qa*il avait épousée deux ans avant. Pierre Damien y
Ait plus heureux qu'à Florence. Dans le concile de
Mayence, qu'il réunit pour traiter cette grave afiaire,
il fit entendre raison à l'empereur.
Il» Sa légation à Ravenne et sa mort. — Moins de
trois ans après, il partait pour Ravenne, sa ville natale,
qniaTaitétéfrappéed'excommunication par Alexandre II.
Le grand coupable était l'archevêque, et il venait
de mourir. Pierre Damien représenta au pape qu'il
n'était pas juste de punir toute une église pour la faute
d'un seul, Epist., 1. 1, epist.'xiv, P. L., t.cxuv, col. 22i,
et reçut mandat d'aller réconcilier ses compatriotes.
Cet acte de clémence fut le dernier service qu'il rendit
à la cause de l'Église; car, à son retour, saisi par un
accès de fièvre, il dut s'arrêter à Faenza et y mourut le
22 février 1072. C'était la fête de la chaire de saint Pierre,
remarque son biographe qui avait été son disciple, ut
ea videlicet die qua pressens nieruit in pastorali
Petrus sede locari, eadeni Pétri discipulum cœlestis
curia in beatam susciperet sedem.
On le voit, quels que fussent ses défauts, notamment
sa susceptibilité ombrageuse qui l'a fait quelquefois
comparer à saint Jérôme, la vie de ce moine austère,
de ce réformateur infatigable, de ce champion zélé
da siège apostolique, de cet humble démissionnaire des
hautes charges ecclésiastiques, méritait bien l'estime
des papes, ses contemporains. En l'envoyant en France
comme légat, Alexandre II disait de lui : a Nous n'en
connaissons pas dont l'autorité soit plus grande, après
la nôtre, dans l'Église romaine : il est notre œil, et le
ferme appui du siège apostolique, i» Dans son bref au
bénédictin Constantin Cajetan, éditeur des œuvres de
Pierre Damien, Paul V qualifiait notre saint de docto-
reni eximiuni, reipublicœ christianœ et apostolicœ
sedis nobilem pcu'tem. Léon XII lui a conféré le titre
du docteur de l'Église, par son décret du 1" octobre 1828.
II- Action apostouque. — En racontant sa vie, nous
avons signalé quelques-uns des actes de son zèle apos-
tolique. Nul plus que lui ne fut animé du désir de
réformer l'Église. Il en sentait l'urgente nécessité et il
en connaissait les moyens. Il y travailla dans la mesure
de ses forces et ne cessa jamais d'y convier les papes.
S'il fut « l'œil » d'Alexandre II et le « ferme appui du
siège apostolique, » il fut aussi l'émule d'Hildebrand,
qu'il ne vit pas monter sur le siège de Pierre. Il a
droit à être compté au nombre de ceux qui, au
xi« siècle, voulurent libérer l'Église de la double plaie
qui la rongeait à l'intérieur, l'immoralité et la simonie,
et assurer son indépendance vis-à-vis du pouvoir civil
par une entente harmonieuse et réglée.
1« Dans le cloître. — Homme du cloître, il est parti-
culièrement pénétré de l'esprit de saint Augustin et de
saint Benoit; il marche de pair avec les grands moines
de son siècle, saint Romuald, le fondateur de l'ordre des
camaldules, en 1012, saint Odilon (f 1048) et
saint Hugues (t 1109), abbés de Cluny, Didier, abbé du
Mont-Cassin, le futur Victor III (f 1087). Rien n'échappe
à son regard vigilant. Il entend que les moines pra-
tiquent la pauvreté, ne gardent pas d'argent, ne multi-
plient pas leurs sorties et ne s'occupent point des
affaires du siècle ; car il y a là un danger pour la vertu,
et c'est une faute pour quiconque a fait profession de
mépriser le monde. Opuscut., xii, Deconteniptusœculi.
La prière de nuit avec ses vigiles ou nocturnes, et
celle de jour avec les matines ou laudes, prime, tierce,
sexte, none, vêpres et compiles, s'imposent à eux. A
propos du symbole dit de saint Athanase, qu'on récitait
depuis peu, croyait-il, de son temps, à l'office, il remar-
que que c'est avec raison qu'on l'a placé à l'heure de
prime, parce que, la foi étant le fondement et la source
des vertus, il convient d'en réciter le symbole à la-
première heure du jour, qui donne le branle à toutes
les autres. OpuscuL, De hoHs canonicis, A la prière,
les religieux doivent joindre la pratique du jeûne, de la
mortification, des disciplines corporelles, selon la règle
ordinaire; mais, pour peu qu'ils aient à expier des
péchés commis dans le monde, il convient qu'ils ajoutent
à l'observance commune des pénitences proportionnées.
Opuscul.y XIII, De perfectione monachorum. Ses deux
opuscules XIV, De ordine eremitarum, et xv. De sum
congregationis inslitutis, montrent le genre de vie
qu'il faisait pratiquer aux religieux de Fonte Avellana
et à ceux qui dépendaient de sa congrégation : quatre
jours de jeûne par semaine, depuis l'octave de Pâques
à la Pentecôte, et de saint Jean-Baptiste au 5 sep-
tembre; cinq jours, depuis l'octave de la Pentecôte
jusqu'à la fête de saint Jean-Baptiste, et depuis le
5 septembre jusqu'à Pâques; deux carêmes, celui de
Noël et de Pâques, où l'on jeûnait tous les jours, ex-
cepté le dimanche et certaines fêtes; trois semaines
sans jeûne durant toute l'année, aux octaves de Noël,
de Pâques et de la Pentecôte; outre les heures cano-
niales, chant quotidien du psautier ou d'une partie
pour les défunts; fréquentes disciplines; les autres
exercices rappellent ceux de la Règle de saint Benoit
et des Institutions de Cassien. Aux ermites de sa con-
grégation, il recommandait le jeûne du samedi en
l'honneur de la sépulture de Notre-Seigneur, Opuscul,
Liv, et la veille de Noël, de l'Epiphanie, de saint Marc,
de la Pentecôte, de saint Jean-Baptiste, et des fêtes des
apôtres. Opuscul., lv. Il était grand partisan des
flagellations corporelles surérogatoires; il donna con-
naissance à un moine de ce qui se pratiquait, à ce sujet,
dans son monastère, f:pi»«., 1. V, epist. VIII, col. 349sq. ; sa
lettre, devenue publique, excita le mécontentement des
laïques et des clercs, sous prétexte qu'un tel usage
était préjudiciable aux pénitences canoniques. Il se
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DAMIEN
justifia auprès du clergé de Florence : il n'a fait qu'at-
tester ce qui se passe chez lui; au surplus, pratiquer
d'autres pénitences que celles qui sont prescrites,
quoi de plus licite! Sans doute, lui objecta le moine
Cerebrosus, mais à la condition d'éviter tout excès.
El Pierre Damien de répliquer : t S'il est-permis de se
donner cinquante coups de discipline, comme vous
l'avouez, on peut s'en donner soixante ou cent, et même
mille, ce qui est bon ne pouvant être poussé trop loin. »
Epist,, 1. VI, epist. xxvii, col. 415 sq. Principe discu-
table : ne quid nimis, pensèrent quelques-uns de ses
contemporains. Quelques-uns de ses religieux poussè-
rent les choses à l'excès, allant jusqu'à se flageller
chaque jour pendant la récitation de tout le psautier;
manifestement, c'était une indiscrétion, un abus et
un danger. Pierre Damien dut y mettre un terme : il
ne toléra cette pratique volontaire que pendant la réci-
tation de quarante psaumes en temps ordinaire, de
soixante en aventeten carême. £pis^,l.VI, epist. xxxiv,
col. 433. Au Mont-Cassin, les religieux se donnaient la
discipline les uns aux autres en plein chapitre. Le
cardinal Etienne, ancien religieux de ce monastère,
trouvait cette pratique indécente. Pierre Damien
écrivit pour^la justifier et pria la communauté de per-
sévérer. Opuscul., XLiii. On ne doit pas s'étonner qu'un
homme aussi austère ait fait l'éloge de la vie claus-
trale, et qu'il ait félicité ceux qui, pour ne pas se perdre
dans le monde, cherchaient un refuge dans le cloître
ou y retournaient : il compare le Mont Cassin à l'arche
de Noé. OpuscuL, lu.
29 Dans VÉglise. — \. Contre V immoralité. — En
dehors des monastères, il y avait le clergé séculier,
mais dans quel triste état! Pierre Damien a composé
deux traités, l'un, Opuscul., xxv, pour faire l'éloge du
sacerdoce, l'autre, Opuscul., xxvi, contre l'ignorance
des prêtres. Ce qui était pire, la dépravation dépassait
encore 'l'ignorance. Combien de fois -Pierre Damien
n*a-t-il pas fait allusion à l'incontinence des clercs!
Combien de fois ne l'a-t-il pas flétrie en termes viru-
lents! C'est à l'Écriture surtout, et aussi aux Pères,
qu'il emprunte ses traits enflammés pour dénoncer et
combattre ce vice. 11 fait appel aux anciens canons; il
ne cesse d'en demander de nouveaux pour couper le
mal dans sa racine. Son Gomorrhianus, Opuscul., vu,
P» L., t. cxLV, col. 159-190, renferme des passages
d'un réalisme brutal pour peindre des désordres qui
réclament le fer rouge du chirurgien. Il voudrait que le
pape se prononçât pour l'exclusion des clercs à pro-
mouvoir et pour la déposition de ceux qui étaient
promus. On lui reprochera, sans doute, son rôle de
dénonciateur, mais il fait cette déclaration : Malo
quippecum Joseph, qui accusavit fratres apud patrem
crimine pessimo, in ciste}*nani innocens projici, quam
cum Heli, qui filiorum mala vidit et tacuit, divini fu-
roris ultione mulctaH. Gomorrh., Opuscul., vu, 25,
col. 187. Il n'a pas à être blâmé pour avoir fait, dit-il,
ce que firent saint Jérôme contre les hérétiques,
saint Ambroise contre les ariens, saint Augustin contre
les manichéens et les donatistes; car ce n'est pas l'op-
probre de ses frères qu'il poursuit, mais bien plutôt leur
salut.
2. Contre la simonie. — Un autre fléau, introduit
peu à peu par le droit de patronage et par l'interven-
tion des princes dans la provision des évèchés, sévis-
sait surtout au xp siècle. Les princes ne se faisaient
pas faute de distribuer à leurs soldats ou à leurs favoris
les charges et les dignités ecclésiastiques, au besoin ils
les vendaient au plus ofl'rant. Aussi étaient-ils entourés
de flatteurs et de quémandeurs, et la simonie régnait
en grand. Pierre Damien lutta contre ce fléau avec la
même énergie qu'il apportait contre la dépravation des
mœurs. Par une distinction assez singulière et peu
digne de clercs sérieux, deux chapelains de Godefroi,
duc de Toscane, soutinrent un jour devant lui qu'il i
avait point de simonie à acheter à un roi ou à un prit
un évèché, parce que ce n'était point le sacrement
Tordre qu'on achetait ainsi, ni l'église d'où dépend
le bénéfice, mais seulement les revenus qui y étai
attachés. Damien dénonce cette erreur à Alexandre
et le prie de la condamner pour l'empêcher de se
pandre. Il en montre le mal fondé; car un homme
peut être divisé en deux, dont l'un jouisse des reven
et l'autre remplisse les fonctions spirituelles ; il va
cessairement de soi qu'acheter des biens tempor
dont on ne peut jouir sans être élevé à la dignité ec
siastlque qu'ils requièrent et sans en remplir les fo
tions, c'est acheter aussi cette dignité et le sacrem«
En pareil cas, l'ordination ne saurait passer pour {
tuitc, puisqu'on n'y aboutit 'qu'à prix d'argent,
décrétales interdisent un commerce pareil. Ce (
dit des évêchés, Pierre Damien l'étend à toutes se
de bénéfices, grands et petits. En conséquence, qi
pape ne permette pas qu'on élève au sacerdoce •
qui l'ont acquis ou par argent, ou par des ser
rendus aux princes. Epist., l. I, epist. xiii, P.
t. cxLiv, col. 219-223. Pour Damien, en effet, les
vices rendus aux princes, en vue de l'oblentioi
bénéfices, constituent des actes de simonie. Il sait
y a des personnes qui s'attachent aux princes e
suivent partout pour obtenir quelque dignité ecch
tique; et il distingue trois espèces de simoi
celle de la main qui consiste à donner de
gent; celle de l'obséquiosité, qui consiste à r<
des services; et celle de la langue, qui consiste à fi
Les personnes en question, dit-il, se rendent coui
des trois : telle est la doctrine qu'il expose da
lettre aux cardinaux. Epist., 1. H, epist. i, i
t. cxLiv, col. 253-259. Il y revient dans son Opuscul.
Contra clericos aulicos, t. cxlv, col. 463 sq. i
cher au service d'un prince, en vue de parvenir à
copat et à d'autres bénéfices, c'est être coupai
simonie comme ceux qui y parviennent, argent
tant; car il faut se dépenser en frais, en servie
flatteries. Humiliantur, dit-il, utpost moduni it
superbiant; se pedissequos exhibent, ut prœc
C'est acheter bien chèrement l'épiscopat, obsen
que de l'acquérir ainsi par une longue servitude
s'astreindre au bas métier de parasite et de 11
Mais que peuvent bien valoir les sacrements re
donnés par des simoniaques? La question s'est
nous verrons plus loin comment la résolvait Pie
mien. Voir col. 52-53.
3» Dans le monde politique. — Par le coi
ment de Charlemagne comme empereur, l'en
avait le devoir de protéger l'Église, à titre de
non le droit de l'asservir; les deux pouvoirs r<
distincts, l'Église annonçant la vérité, l'État g;
sant l'ordre public, mais devaient être étroileme
avec la subordination de l'État à l'Église, cor
deux colonnes de la société. Sous la dynastie des
au x« siècle, l'empire, en face de la féodalité it
contribua à sauver la papauté. Otton I*** reçut I
lège, d'après lequel le pape ne pouvait pas et
sans l'approbation de l'empereur. Ce privilège,
à Henri III, appartenait aussi, prétendait-on à
germanique, à son fils Henri IV. Le décret de N
ne l'avait pas supprimé. Mais, en fait, 1
d'Alexandre II se fit sans le consentement d
roi : d'où l'appui donné par le parti germî
l'antipape Cadaloûs, puis retiré après l'intc
heureuse de Pierre Damien et l'action d'An
chevêque de Cologne. Dans sa Disputatio sy
Pierre Damien ne songe nullement à contestei
de l'empereur dans les élections pontificales.
droit de consentement ou d'assentiment, p;
chose; mais il marque qu'en fait des circc
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DAMIEN
50
peuvent permettre de passer outre à ce privilège^ et
qu'en droit il n'est pas absolument indispensable, puis-
que la plupart des papes, dans Thistoire de TÉglise,
ont régné sans la moindre intervention * d'empereurs,
même chrétiens, dans leur élection. Son idéal, c'est
l'existence parallèle des deux pouvoirs, du sacerdoce et
de l'empire, chacun dans sa sphère, mais étroitement
unis dans une réciprocité de services mutuels, dans
une entente harmonieuse, et parraite, Fun réglant les
affaires temporelles, l'autre les affaires spirituelles,
l'État protégeant matériellement l'Église, l'Église pro-
t^eant spirituellement l'État. Mais, dans cette union
nécessaire, c'est à l'Église, qui tient la place de Dieu,
qu'appartient la prééminence : elle est la mère des
empereurs et des rois comme celle des simples fidèles.
Dans sa lettre à l'évéque de Fermo, Epist., 1. IV,
epist IX, P, L., t. cxLiv, col. 315, où il refuse de recon-
naître aux ecclésiastiques le droit de venger eux-mêmes,
et de leurs propres mains, les injures faites à leurs
biens, à moins qu'ils ne soient seigneurs temporels,
et encore alors doivent-ils le faire par des moyens
justes et raisonnables, il écrit : Jnira regnuni et sa-
cerdotium propria cujusque distinguuntur officia,
ut et rex amxis utatur sœculi et sacerdos accingatur
gladio spiritus, qui est verbum Dei. Il conclut ainsi sa
Disputatio synodalis : Ut summum sacerdotium
et ronianum, simul confœdetetur imperium, quatenus
et humanum, genus, quod per hos duos apices
in uiraque substantia regitur, nullis, quod absit,
partibus rescindatur; sicque mundi vertices in
perpétuai caritatis unionem concun^ant... et qua-
tenus ab uno mediatore Dei et hominum, hœc
duo, regnuni scilicet et sacerdotium, divino sunt con-
flata mysterio, ita sublimes istœ duœ personœ tanta
sibimet inviceni unanimitate jungantur, ut, quodam
mulusB caritatis glutino, et rex in Romano pontifice
et Romanus pontifex inveniatur in rege. P, L., t. cxlv,
col. 86. La double dignité de roi et de prêtre est unie
en Jésus-Christ, elle doit l'être de même dans le peuple
chrétien; le sacerdoce a besoin d'être protégé par la
royauté, la royauté a besoin du sacerdoce pour être
appuyée par sa sainteté; le roi porte le glaive pour
frapper les ennemis de l'Église, le prêtre prie pour
rendre Dieu favorable au roi et au peuple. Epist.,
1. VII, epist, III, P. L., t. cxLiv, col. 440. EnGn, dans
Serm., lxix, ibid., col. 897-902, il ran^e le sacre
des rois au nombre des sacrements : « Heureux, dit-il,
si le roi joint le glaive du roi à celui du sacerdoce,
pour que le glaive du roi aiguise le glaive du prêtre.
Alors le royaume prospère, le sacerdoce se dilate, l'un
et l'autre sont honorés, quand ils sont ainsi unis par le
Seigneur, prmtaxala felici confœderalione. » Cet idéal
de l'alliance du sacerdoce et de l'empire, avec subordi-
nation harmonieuse de l'État a l'Église, nettement en-
trevu et fixé par Pierre Damien, fut celui du moyen
âge chrétien. Â peine réalisé, il fut battu en brèche
par les légistes et le césarisme, le gallicanisme parle-
mentaire et la révolution; il n'est plus qu'un souvenir
glorieux.
m. Œuvres. — Longtemps restées manuscrites et
éparses, les œuvres de Pierre Damien commencèrent
â être recueillies, sur l'ordre de Clément VIII, par le
bénédictin Constantin Cajetan, qui les publia en partie
«n 1606, 1608 et 1615 et y ajouta un dernier volume en
16i0. Une édition plus complète en parut, à Venise, en
1743. C'est celle qu'a reproduite Migne, P. L., t. cxliv,
CXLV, en y ajoutant les découvertes du cardinal Mai.
Les œuvres de Pierre Damien y sont logiquement dis-
tribuées, mais non chronologiquement. Il y a d'abord
les Lettres, en huit livres, selon qu'elles sont adressées
aux papes, aux cardinaux, aux archevêques, aux évêques,
aux archiprêtres, archidiacres, prêtres et clercs, aux
■abbés et aux moines, aux princes et aux princesses, à
différentes personnes. Elles offrent le plus vif intérêt
pour la vie du saint et l'histoire de son époque. Vien-
nent ensuite soixante quinze sermons, dont dix-neuf
au moins sont de Nicolas, moine de Clairvaux et secré-
taire de saint Bernard, distribués dans Tordre des
mois, t. cxLiv, col. 505-924; puis la Vie de saint Odilon,
ibid., col. 925-944; la Vie de saint Maur, évêque de
Césène, ibid., col. 945-952; la Vie de saint Romuald,
ibid., col. 953-1008; la Vie de saint Rodolphe et de
saint Dominique le Cuirassé, ibid., col. 1009-4024; les
Actes du martyre des saintes Flore et Lucille, ibid.,
col. 1025-1032, réputés apocryphes par Baronius et
quelques critiques, mais admis, avec quelques restric-
tions sur le c. m, par les bollandistes; les Actes de
saint Jacques, diacre, et de saint Mai^ien, lecteur,
martyrs en Numidie, ibid., col. 1032. Dans ces di-
vers écrits, Pierre Damien fait souvent preuve de trop
de crédulité; on ne saurait suspecter, du moins, ce
qu'il raconte comme témoin oculaire. Au t. cxlv, se
trouvent soixante Opuscules, très importants pour la
plupart au point de vue historique, canonique et dog-
matique; puis, empruntés au t. vi de la ScHplorum
veterum collectio nova, du cardinal Mai, le De gallica
profectione Domni Pétri et ejus ultramontano itinere,
VEocpositio canonis missœ, les Testimonia Novi Tes-
tamenti, qui sont extraits des œuvres de Pierre Damien,
et qui font le pendant à une autre collection sur l'An-
cien Testament, enfin quelques Lettres ou fragments
de lettres. La fin du volume contient un recueil
d'Oraisons, d'Hymnes, de Leçons, de Messes, de Ré-
pons, et de deux-cent vingt-cinq poèmes, parmi les-
quels le ccxiii* est l'épitaphe du saint.
IV. Doctrine. — Signalons, pour mémoire, l'opusc,
viii, De parentelœ gradibus, qui intéresse plus parti-
culièrement le droit canonique, sur la question de
savoir jusqu'à quel degré de parenté sont interdits les
mariages; son recueil d'oraisons et de poèmes relatifs
à la liturgie; les extraits qu'on a fait, de ces œuvres, au
sujet de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui se rap-
portent à l'Écriture sainte. Il avait fait faire pour ses
moines de Fonte Avellana, licet cursim ac per hoc non
exacte, une édition corrigée de la Bible latine. Opuscul.,
XIV, P. L., t. CXLV, col. 334. Les leçons bibliques qu'on
remarque dans ses Œuvres appartiennent à ce que le
P. Denifle appelait la recension romaine de la Vulgatc.
Die Handschriflen der Bibel-Correctorien des iSJahr
hunderts, dans Archiv fur Literatut^und Kirchen-
geschichte des Mitlelallers, Fribourg-en-Brisgau, 1888,
t. IV, p. 482, mais que Samuel Berger a mieux caracté-
risé comme étant le texte ilalien,ou milanais, de la Vul-
gate, qui tire ses origines du midi de la France, et n'est
pas un bon texte. Histoire de la Vulgate pendant les
premiers siècles du moyen âge, Paris, 1893, p. 141-143.
1® Au point de vue dogmatique^ Opuscul., i. De
fide catholica, P. L., t. cxlv, col. 19-39, traite de ce
que l'on doit croire touchant les mystères de la trinité,
de l'incarnation, des deux natures et des deux volontés
en Jésus-Christ et, notamment contre les Grecs, prouve
la procession du Saint-Esprit ab utroque; ce dernier
point, en particulier, fait l'objet de l'opusc, xxxviii,
Contra Grœcot*um errores de processione Spiritus
Sancli, ibid., col. 632-642. Contre les Juifs, Pierre Da-
mien démontre que Jésus est vraiment le Fils de
Dieu, à l'aide de textes de l'Ancien Testament qu'ils ne
pouvaient récuser, Opuscul., ii, Antilogus contra Ju-
dseos, ibid., col. 41-58; il résout les difficultés qu'ils
pouvaient soulever; celle qu'ils tiraient de l'inobser-
vance des rites de la loi ancienne par les chrétiens n'est
pas admissible; car si Notrc-Seigneur les a abolis
après les avoir observés lui-même, c'est qu'ils n'étaient
que des figures et qu'ils ont été dûment remplacés par
les rites de la loi évangélique. Opuscul., m, Dialogus,
ibid., col. 58-68.
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DAMIEN
m
Pierre Damien est un témoin de la foi traditionnelle
de rÉglise en faveur du purgatoire. Le sacrifice, la
prière, Taumône profitent, dit-il, aux défunts : telle est
sa thèse. Et il Tappuie d'un certain nombre de faits
qui prouvent que les prières des vivants délivrent les
âmes du purgatoire. Il nous fait connaître, à cette oc-
casion, Topinion pieuse de quelques personnages
illustres, d'après laquelle les âmes des défunts ne
souflVent point le dimanche ; aussi, le lundi, célébrait-
on la messe en Thonneur des saints anges pour attirer
leur protection sur les défunts et sur les mourants.
Opuscul., XXXIII, De bovo sufjragiorum ; Opuscul.,
XXXIV, De variis miraculorum narrationibus , de ap-
paritionibus et nnraculis, ibid., col. 567-590. Pour lui,
personnellement, il tient à ce que les survivants prient
pour lui, témoins ces deux derniers vers de son épitaphe :
Sis meinor, oro, mei, cineres plus aspice Pétri :
Cum prece, cum gemitu die : Sibi parce, Deus.
Très sensible à la promesse que lui avaient faite les
moines de Cluny, en reconnaissance de ses services, de
célébrer chaque année un service funèbre au jour
anniversaire de sa mort, il prie Tabbé Hugues d'ordon-
ner la même pratique dans tous les monastères de sa
congrégation. Epist., 1. VI, epist. ii, P. L., t. cxLiv,
col. 372-373.
2o Relativement à la théologie sacramentaire, con-
statons d'abord que Pierre Damien prend le mot sacre-
ment au sens de mystère, conformément à la significa-
tion étymologique qu'en avait donnée Isidore de Séville,
et qui fut si funeste; il est dès lors dans l'impossibilité
de fixer le nombre des sacrements. 11 y en a trois
principaux, dit-il dans son opuscule Gratissinius, 9,
le baptême, le mystère salutaire du corps et du sang du •
Seigneur et l'ordination des clercs. Ailleurs, Serm.,
LXix, P. L., t. cxLiv, col. 897 sq., il en compte douze,
entre autres, la consécration du pontife, l'onction du
roi, la dédicace d'une église, le sacrement des chanoines,
des moines, des ermites, des religieuses, et il oublie
l'eucharistie et l'ordre, tout en énumérant, celte fois,
la confirmation, l'onction des infirmes et le mariage
avec le baptême, le premier de tous. Sans avoir traité
la question des sacrements, on voit qu'il connaît les
sept qui méritent exclusivement ce nom, au sens de
signe efficace de la grâce. 11 parle en passant du ma-
riage, à propos des degrés de parenté qui s'opposent
en droit canonique à sa célébration, et de la pénitence,
quand il raconte que l'impératrice Agnès lui fit, à
Rome, une confession générale des péchés qu'elle avait
commis depuis l'âge de cinq ans. Opuscul., lvi, 5,
P. L., t. cxLV, col. 814. il parle un peu plus de l'eu-
charistie, dans trois passages difl'érents qui ne laissent
aucun doute sur sa foi à la présence réelle et à la
transsubstantiation. Comme remède de la chasteté,
c'est la communion quotidienne qu'il propose à son
neveu. Opuscul., XLVii, 2, De castitate, ibid., col. 712.
« Le démon, ennemi de la pureté, en voyant vos lèvres
teintes du sang de Jésus-Christ, prendra la fuite, lui
dit-il, car ce que vous recevez sous l'espèce visible du
pain et du vin, il sait, qu'il le veuille ou ne le veuille
pas, que c'est en vérité le corps et le sang du Seigneur. »
Dans Serm., XLV, t. cxlïv, col. 743, parlant du corps
de Jésus-Christ, engendré, nourri et soigné par la
Vierge Marie, il affirme que c'est, sans nul doute pos-
sible, ce même corps que l'on reçoit a l'autel sacré,
que telle est la foi catholique et que c'est là ce qu'en-
seigne fidèlement l'Église. Mais c'est surtout dans son
Expositio canonis missœ, t. cxlv, col. 879-892, qu'il
est d'une netteté et d'une précision remarquable et
^u'il trouve d'heureuses formules, comme celle-ci,
col. 882 : Totus in Iota specie panis, tolus sub singu-
lis partibus, totus in magno, totus in parvo, totus in
integro, totus in fracto.
Ce qui mérite une mention particulière c'est l'atti-
tude qu'il prit dans la question de l'efticacité de;
sacrements, et ce n'est point sans mérite à l'époque d(
désarroi où il*vécut. Que valaient les sacrements con
férés par des excommuniés ou des ministres indignes
Pour les partisans de la réforme, et les amis de l
papauté, ils étaient jugés invalides ; pour les adversaire
de la réforme, au contraire, ils étaient réputés valides
Pierre Damien, qui était à n'en point douter un parti
san déterminé de la réforme et un grand serviteur d
la papauté, s'en tient à la doctrine de saint Âugustir
bien qu'elle fût celle des ennemis de la réforme. !
déclare valides les ordinations simoniaques sur c
principe d'abord que le pouvoir d'ordre est un pouvo
ministériel, que le ministre, qu'il soit bon ou mauvai
transmet la grâce, car c'est Jésus-Christ, source c
toute grâce, qui consacre; mais il a tort d'ajouter qu
pour être valide, l'ordination doit être faite dai
l'Église catholique par un ministre qui professe la 1
orthodoxe de la Trinité. A ses yeux, les simoniaqu
ne sont pas des hérétiques, par suite leurs ordinatio
sont valides, leurs sacrements sont réels. 11 ajoute qi
fussent-ils hérétiques, et leurs ordinations fusseï
elles nulles, on ne saurait les réitérer, vu que la lég
lation canonique interdit aussi bien la réordinati
que la rebaptisation. Pour soutenir sa thèse, il s'i
puie encore sur le 68« canon des apôtres, qui inten
en eflet, les rebaptisations et les réordinations; m
il omet l'incise : 7iisi forte eum ab hœreticis or
natum comprobaverit, qui ne porte l'interdiction «
dans le cas où ces sacrements auraient été conf^
par des catholiques, et qui, dès lors, contrairemei
son but, laisse entendre que la réitération du bapt<
et de l'ordre, conférés par des hérétiques, est non i
lement permise mais commandée. Il tire un autre
gument du fait de la déposition souvent prescrite co
les simoniaques : s'ils sont déposés, dit-il, c'est q
sont clercs et non laïques; donc leur ordination
réelle et valide. Et enfin, comme la simonie était 2
une plaie générale et invétérée, il conclut que, si
ordinations simoniaques sont nulles, le pouvoir d'o
a presque disparu de la terre, et que les sacrcmi
administrés de bonne foi par tant de prêtres et
gieusement reçus par les fidèles, n'étaient que de
simulacres. Telle est la doctrine du Gratissimus.
Au sujet des réordinations, les meilleurs espri
l'époque ne pensaient pas tous comme Pierre Dar
et, dans la pratique, on manquait d'unifor
Léon IX a travaillé, le premier, à supprimer la s
nie. Mais quelle conduite tenir? Les cas pouv
difl'érer; il y avait le cas où le consécrateur était
niaque, celui où l'on payait pour se faire ordo
celui aussi où l'on recevait gratuitement l'ordin
d'un simoniaque. Pierre Damien nous app
Gratissimus, que la question des réordiuations
niaques, agitée dans trois conciles à Rome, en
1060 et 1051, était restée sans solution et que Lé
n'avait pas de principe arrêté à ce sujet. Il ace
bien, par exemple, relativement aux clercs ord
gratuitement par des simoniaques, la décision c
prédécesseur Clément II, en 1047, d'après laque
tels clercs devaient faire une pénitence de qu
jours et être admis ensuite à l'exercice de leurs o
mais quant aux ordinations faites à prix d'argent
regardait le plus souvent comme nulles et les
réitérer, comme on le voit dans les Actus Med
de privilegio romanœ Ecclesiœ, P. L., t. cxlv, <
Envoyé, en effet, à Milan comme légat par Nie*
au début de 1059, pour y réformer le clergé ce
naire et simoniaque, mais sans instructions pr
précises, Pierre Damien applique courageusenr
propre doctrine. Tous les coupables, l'arche vé
tête, font amende honorable, reconnaissent let
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DAMIEN — DAMODOS
54
et s*engagent par serment à ne pas recommencer; puis
des pénitences leur sont imposées, à l'expiration
desquelles tous les clercs erudili et castl purent
reprendre l'exercice de leur ordre. Reste à faire rati-
fier sa sentence ; là était le point délicat, car il n'igno-
rait pas qu'elle ne pouvait avoir l'agrément général de
la curie, surtout celui du cardinal Humbert qui, d'un
avis tout opposé au sien, s'était déjà prononcé, dans
son Adversus simoniacos, pour la nullité des ordina-
tions faites par des hérétiques, et les simoniaques
étaient des hérétiques à ses yeux, et aussi celui d'Hil-
debrand; aussi s'exprime-t-il en ces termes : Ulrum
ego in recanciliatione illoruni erravetnm, nescio..,
Apostolica tamen sedes hmc apud se retractanda dis-
cutiat : et utrutn puncto an lima digna sint, ex au-
cîoritaiis sute censura décernât. Cf. Baronius, Annales,
an. 1059, n. 60.
De fait, au concile de Rome tenu cette même année
1069, Nicolas II se montre bien plus sévère que son
légat : il décide la déposition des simoniaci simoniace
Oixlînati vel ordinatores, et des simoniaci sim,oniace a
non simoniacis ordinati ; quant à ceux qui avaient été
ordonnés gratuitement par des évéques qu'ils savaient
simoniaques, le pape les admet, par indulgence, à
l'exercice de leurs ordres, mais il entend qu'ils soient
déposés ainsi que ceux qui les auront ordonnés.
Hardouin, Ad, concil., t. vi a, col. 1063; Baronius,
Annales, an. 1059, n. 33-3i. Cette sentence était loin
de l'indulgence préconisée par Pierre Damien dans son
Gratissimus ; en conséquence il dut ajouter à son
opuscule un post-scriptum pour faire connaître la
décision nouvelle; en se soumettant humblement, il
conserve l'espoir qu'on réviserait un jour la sentence
pontificale. Du moins, il se trouvait avoir gain de
cause sur deux points, puisque les ordres reçus d'un
évèque qu'on ne sait pas être simoniaque et les ordres
reçus gratuitement d'un simoniaque connu pour tel
étaient acceptés.
Quelle idée se faisait-on donc des ordinations non
acceptées et des sacrements conférés par des ministres
ainsi rejetés? Pierre Damien nous l'apprend dans sa
lettre aux Florentins, qui forme l'opusc, xxx, De
sacramentis per improbos administratif, P. L.,
t. cxLY, col. 523-530, où il rappelle sa doctrine du
Gratissimus sur la validité des sacrements conférés
par des ministres indignes ainsi que les décisions
prises par Nicolas II contre les simoniaques. D'après
ces décisions, quiconque désormais reçoit l'ordination
d'un simoniaque ne peut en profiter et doit déposer
le droit d'administrer tout comme s'il ne Vavait pas
reçu. Et pour ce motif, sgoute-t-il, maintenant non
seulement nous réprouvons les simoniaques, mais
encore nous méprisons les sacrements conférés par
eux. Qu'est-ce à dire? D'un côté, il reproche aux
Florentins de refuser les sacrements de ministres
ordonnés par des simoniaques, et, d'autre part, il les
méprise lui-même. Dans le premier cas, il s'agit des
simoniaques ordonnés avant le décret de Nicolas; dans
le second, des simoniaques ordonnés après ce même
décret. Ce faisant, il se conforme à la décision récente
du pape Nicolas, mais il n'abandonne pas pour autant
son principe de la validité des sacrements quelle que
soit la dignité morale de celui qui les confère. Sur ce
dernier point, cf. Saltet, Les réordinations, Paris,
1907, p. lTd-204.
Œavres de saint Pierre Damien dans P. L., t. cxliv-cxlv ;
avec quatre vies du saint, t cxliv, col. 113-180; Baronius,
Annales, an. 1049 sq. ; Henschenios» Act. sanct., t. m februarii,
p. 412-438; d'Acbery, Spicilegium, 1666, t. vu, prœf.; Ceillier,
Hi$t. gêner, des auteurs sacrés, Paris. 1863, t. xiii, p. 296-
324; Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. vi; Grandi,
De S. Pétri Damiani et Avellinatarum instituto camaldu-
knsi, dans ses Dissert. camald., 1707, t. rv, p. 1-138 ; Ladercbi,
Vita S. Pétri Damiani, 3 in-4», Rome, 1702; MIserocchI, Vita
di S. Pier Damiano, Venise, 1728; Mlttarelli et Cortadoni,
Annales camaldulenses, Venise, 1756, t. ii; Vogel, Peter
Damianus (ein Vortrag), léna, 1856; Capecelatro, Storia
di S. Pier Damiano e del suo tempo, Florence, 1862; Fehr,
Petrus Damiani, Vienne, 1868; Neuldrch, Das Leben der
P. Damiani, Gœttingue, 1875; Wambera, Der M. Petrus Da-
miani... sein Leben und Wirken, Breslau, 1875; Guerrier, De
Petro Damiano, Orléans, 1881 ; Klelnermann, Der M. Petrus Da-
miani, Steyl, 1882; Roth, Der hl. P. Damiani, dansStudien und
Mittheil. aus dem Benedictiner und dem Cistercienser-Orden^
Wurzbourg, 1886; Brunn, 1887, t. vu, vm; Fetzer, Voruntet^
auchungen zu einer Gcschichte des Pontificats Alexanders II,
Strasbourg, 1887, p. 37-71 ; Pfiilf, Damiani Zwift mit Hilde-
brand, dans Stimmen aus Maria-Laach, Fribourg-en-
Brisgau, 1891, t. XLi ; Langen, Geschichte der rômischen Kirche
vonNikolaus I bis Gregor VII, Bonn, 1892; Lauioni, S. Pier
Damiano e Faenza, Faenza, 1898; Fioglieltl, S. Petro Damia-
no, Turin, 1899; dom Biron, S. Pierre Damien, Paris, 1908.
Pour la bibliographie : Brunet, Manuel, t. ii, p. 481; U. Che-
valier, Répertoire. Bio-bibliographie, 2* édit., t. ii, col. 3708-
3710; Kirchenlexikon, t. ix, col. 1908; Realencyclopddie,
t. IV, p. 431-432.
G. Bareille.
DAMILA8 ou DAMYLA8 Nil, polémiste grec qu'il
ne faut pas confondre avec Nil, métropolitain de Rhodes,
comme l'a fait Oudin, Comment, de scriptor. eccles.,
t. III, p. 1137. Notre Nil appartenait à la famille Cretoise
dont un membre, Démétrius, devait en 1476 publier à
Milan le premier livre grec, la Grammaire de Lascaris.
Moine et confesseur au monastère des Carcasina ou Car-
basia à Hierapetra, il fonda à Baeonaea un couvent de
femmes pour lequel il rédigea un typicon (règle), resté
inédit dans le Cod. Paris. i295, fol. 108. Son testament,
daté du 22 avril 1417, a été publié par £. Legrand,
Revue des éludes grecques, t. iv, p. 178-181, et par
Sp. P. Lambros, Byzantinische Zeitschrift, t. iv, p.5fô-
587, d'après le Cod. Barocc. 59, fol. 226 v«. Binfinl'évéque
Arsène, mort auxiliairede Novgorod, a édité, avec traduc-
tion russe, un traité de Nil Damilas sur la procession du
Saint-Esprit, composé en réponse à une lettre au moine
Maxime, Grec converti au catholicisme. Nila Damili...
olvèt grekolatinjaninu monahu Maksimu, Novgorod,
1895. L'édition a été faite d'après le Cod. Mosq., biblioth.
synod. ^07, sans tenir compte des Cod. Paris. i280,
fol. 212, et i^95, fol. 60 v«, qui contiennent aussi cet
ouvrage. Elle a été reproduite telle quelle dans 'ExxXy;-
aia(mxYi 'AXriôeia, Constantinople, 1895, t. xv, p. 382 sq.
A. C. Deraetrakopoulos, *Op66Ôo$o; *EXXàç, p. 88, dans
sa notice sur Nil Damilas, fait à tort des différentes
parties du traité autant d'ouvrages différents.
o PfTRini's
DAMNATION. Voir Dam, col. 6-25.'
DAMODOS Vincent, philosophe et théologien grec
du xvin» siècle. Né à Khavriata dans l'Ile de Céphalonie,
vers 1679, il fut élevé au Flanginion de Venise et prit
son doctorat en droit à Padoue. Il revint dans son pays
comme avocat, mais bientôt, dégoûté du métier, il
ouvrit dans son village natal une école qui jouit d'une
grande réputation; parmi ses disciples une tradition
range le fameux Eugène Boulgaris. Damodos est le pre-
mier Grec qui enseigna les théories de la philosophie
moderne; de plus, il se servit du grec moderne comme
langue d'enseignement. Il mourut en 1752. De trois
ouvrages imprimés après sa mort, un seul nous inté-
resse: 'Ettctoiioç XoYtxtj xa-c' *Api(rcoTéXr,v, Venise, 1759;
les deux autres sont des traités de rhétorique. On
signale en manuscrit une logique plus développée, une
métaphysique et une physiologie, surtout un traité de
théologie intitulé : ©sta xal U^ol StôacxaXta -î^toi ôp66-
ôoÇoc SoYptaTixr, ôeoXoyia. Cet ouvrage est conservé dans
la bibliothèque de l'école grecque de Vienne ; il com-
prend cinq volumes : d'après le titre, composé en 1730,
approuvé par le saint synode de Constantinople, il fut
remis à Démétrius Chrysanthopoulos pour être impri-
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55
DAMODOS — DANIEL (LIVRE DE)
56
mé; j'ignore pourquoi ce projet n'eut pas de suite.
Nous devons noter que Damodos traite avec détail les
questions controversées entre les deux Églises, pri-
mauté du pape, procession du Saint-Esprit, azymes,
purgatoire, épicièse, etc.
Venise, 1843, p. 140-153 ;C. Sathas, NioiU>ivi«i) oùo^oTtc, p. 468;
A. C. Demetrakopoulos, 'Op«ô«o;oç 'Eii4ç, p. 178.
S. PÉTRIDÈS.
DANDINI Jérôme, né à Césène (Italie) en 1554,
entra dans la Compagnie de Jésus en 1569 ; enseigna la
philosophie à Paris, la théologie à Padoue et remplit
diverses charges importantes dans son ordre. En 1596,
le pape Clément VIII l'envoya dans le Liban, chargé
d'une mission auprès du patriarche et de la nation des
Maronites. Par les soins de Dandini, deux synodes
furent réunis, où les évéques et les principaux prêtres
maronites, présidés par leur patriarche, renouvelèrent
la profession de foi catholique, corrigèrent plusieurs
abus et prirent de sages mesures pour la discipline de
leurs églises. Rentré à Rome en 1597, le P. Jérôme
Dandini mourut à Forli le 29 novembre 16B4. Une
relation de son voyage en Orient a été publiée par son
neveu Hercule Dandini, et dédiée au pape Alexandre VII:
Missione apostolicaal patriarca e Maronili del Monte
Libano del P, Geronimo Dandini, da Cesena, délia
Compagnia di Gesù, e suo pellegrinazione a Geru-
salemme, in-i**, Cesena, 1656. Cette relation a été tra-
duite en français par Richard Simon sous ce titre, qui
résume le contenu de l'ouvrage : Voyage du Mont
Liban, traduit de Vilalien du R, P. Jérôme Dandini,
nonce en ce pays-là. Où il est traité tant de la créance
et des coutumes des Maronites, que de plusieurs parti-
cularitez touchant les Turcs, et de quelques lieux consi-
dérables de VOrient, avec des remarques sur la théologie
des chrétiens du Levant et sur celle des Mahométans,
in-12, Paris, 1675, 1684, 1685. Il en a été fait aussi des
traductions anglaises, et une allemande, partielle.
Précédemment avait paru de Dandini : 1« De coi'pore
animato lib, VII. Luculentus in Aristotelis très de
anima libros commentarius peripateticus , in-fol.,
Paris, 1611; 2<> Ethica sacra, hoc est de virtutibus et
vitiis libri quinqiuiginta. Quibus ex sacrarum, Littera-
rum et veterum Patrum sententia hominum forman-
tur mores, religionis non pauca stabiliuntur dogmata,
pluresque anliquitate confinrïiantur Ecclesiœ ritus,
in-fol., Césène, 1651 ; Anvers, 1676. Ce dernier ouvrage
est un fruit de la vieillesse de l'auteur.
De Backer et Sommervogel, Bibl. de la C' de Jésus, t. ii,
col. 1789-1791; I. Jouvancy, Historiœ Societatis lesu pars quinta,
tomus posterior, in-fol., Rome, 1710, p. 428*430.
Jos. BRUCKER.
1. DANIEL, prophète hébreu. On étudiera successi-
vement : 1» les questions critiques relatives au livre
de ce prophète; 2» spécialement la prophétie des
soixante-dix semaines.
I. DANIEL (LIVRE DE). Bible hébraïque : Daniel,
e 9* des KefoCibîm c écrits » ou « hagiographes ».
Grecque : AANIHA, le 4« et dernier des grands pro-
phètes (Méliton de Sardes et Origène le plaçaient avant
Ëzéchiel). Latine : Prophetia Danielis. Saint Jérôme,
Prologus galeatus, et les bibles latines du type espa-
gnol et théodulûen le séparaient des prophètes et l'in-
tercalaient entre les écrits salomoniens et les Chro-
niques. Dans presque tous les autres mss. latins, il
reprend sa place dans Vordo prophetarum. S. Berger,
Histoire de la Vulgate, Paris, 1893, p. 330-339. —
I. Texte et versions. II. Canonicité. IH. Mode de com-
position. IV. Interprétation. V. Caractère littéraire.
VI. Caractère historique. VII. Auteur. VIII. Enseigne-
ments doctrinaux. IX. Commentateurs.
I. Texte et versions. — /. texte, — Dans la Bible
hébraïque, le livre de Daniel se trouve écrit pour une
partie, i-ii, 4 a, et viii-xii, en hébreu, et pour une
autre partie, ii, 4 &-vii, en araméen (chaldéen biblique).
celle-ci introduite par la glose probable 'arâmit, a en
araméen. » Pour expliquer cette dualité dialectale, plu-
sieurs hypothèses ont été mises en avant, mais aucune
ne peut passer pour tout à fait satisfaisante; les voir
exposées et critiquées dans Preiswerk, Der Sprachen-
wechsel ini Bûche Daniel, Berne, 1903, p. 641, 117-
120. — L'hébreu de Daniel est celui des temps posté-
rieurs à Néhémie. Tout en se rattachant par cpielques
traits à l'hébreu d'Ézéchiel, il se rapproche beaucoup
plus de celui des Chroniques (ive-iii« siècles). Par sa facilit(
à s'incorporer des mots étrangers, persans et araméens
à donner à ses vocables une forme araraaîsante, à ei
changer l'acception; par l'usage courant qu'il fait d(
certaines locutions et constructions extrêmement rare
avant ou immédiatement après l'exil, mais commune
dans les écrits juifs de très basse époque; par sa syntax
lourde et dénuée de grâce; par son style laborieux e
inélégant, il marque une étape bien caractérisée d
l'idiome Israélite évoluant vers la langue de la Michn
et du Talmud. Quant à l'araméen, c'est un dialect
occidental palestinien qui n'était assurément poii
parlé à Babylone au v« siècle avant Jésus-Christ. Il e
apparenté étroitement à l'araméen des inscripUoi
paimyréniennes et nabatéennes du ni< siècle ava
Jésus-Christ, comme à celui des parties les plus ancienn
des targums d'Onkélos et de Jonathan. Lui aussi coi
tient des mots étrangers, persans et grecs. — P. RiessU
Die Ursprache des Bûches Daniel, dans Biblisc
Zeitschrift, 19(fô, t. m, p. 140-145, a cru trouver da
le livre de Daniel des indices d'un écrit fondamen
babylonien cunéiforme. Sous le même titre et dans
même revue, 1906, t. iv, p. 247-254, M. Streck a mon
que si le livre de Daniel ne dérivait pas d'une soui
babylonienne, son auteur avait au moins subi l'influet
de la langue et de la syntaxe babyloniennes.
Bevan, A short commentary on the Book of Daniel, Ca
bridge, 1892, p. 2642 ; Bebrmann, Das Bach Daniel, Gœtting
1894, p. i-x ; Preiswerk, Der Sprachenwechsel im Buclie .
niel, Berne, 1903, p. 44-68, 77-88, 91-113 ; thèses cuneuses
G. Jabn, Das Buch Daniel, Leipzig, 1904, p. iv-vii (th. ii, m,
VIII); Driver, Introduction ta the literature of the Old Ta
ment, Edimbourg, 1897, p. 502-508.
Le texte original du livre de Daniel est quelque
flottant dans les mss., surtout pour la partie araméer
On en a tenté, a la lin du dernier siècle, plusi<
éditions critiques et explicatives,
1* Éditions du livre dans sa totalité : S. Baer, Libri Dan
Ezrse et Nehemiœ, Leipzig, 1882, p. 1-24 (prœ/atio de F
Delitzsch ; explication des noms propres par Friedrich Delitz:
notes de la Massore, p. 62-99; A. Kampbausen, The Boo
Daniel in Hebrew, Leipzig, 1896 (dans l'édition polychron
P. Haupt, The sacred Bocks of the Old Testament), hébr
noir; araméen en rouge; notes critiques détaillées ; M. :
Libri Danielis, Ezrm et Nehemiœ, Leipzig, 1906, à part, et
BibUa hebraica, édit. R. Kittel, Leipzig, 1905-1906. p.
1184, apparat critique au bas des pages.
2* Éditions spéciales de la partie araméenne : II. L.. S
Abriss des Biblisc hen Aramàisch, Leipzig, 1896, p. 1
(édit., 1897, 1901, 1906, sous le iitce de Grammat
K. Marti, Gramtnatik der Biblisch-Aramàischen Spi
Leipzig, 1896, p. 17*-40*. M. Gaster a découvert dans la
nique manuscrite de Jérahméel, auteur du x* siècle & peu
le texte araméen du cantique des trois enfants dans la fou
et de rhistoire de Bel, qui lui paraît èu*e roriginal trad
Théodotion. Ce texte a été édité dans les Proceedings
Society of Biblical archaeology, 1894, t. xiv, p. ï
(cf. p. 280-290); 1H95, t. xvii, p. 75-94. Cf. Gaster, The
nicles of Jérahméel, Londres, 1899, p. civ.
//. VERSIONS. — lo Versions immédiates. — 1
sion des Septante. — Le texte hébreu araméen di
de Daniel, ou, selon G. Jahn, Das Buch Daniel
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DANIEL (LIVRE DE)
58
der Septuaginta hergeslelU, Leipzig, 1904, p. v,
thèse IV, et P. Riessler, D(u Buch Daniel, Vienne, 1902,
p. VII, un texte tout hébreu de ce livre, a, déjà glosé,
été traduit en grec vers Tan iOO avant Jésus-Christ.
C'est la version dite des LXX ou alexandrine. Cette ver-
sion contenait les trois péricopes deutérocanoniques :
prière d*Azarias et cantique des trois jeunes gens, m,
i4-90; histoire de Susanne, prologue du livre (Vulg.,
xiu); Bel, le dragon, conclusion (Vulg., xiv), que le tra-
ducteur aurait, selon Bludau, Die alexctndrinische Ûber-
setzung des Bûches Daniel, Fribourg-en-Brisgau, 1897,
p. 218, empruntées à une précédente version grecque des
morceaux iii-vi et xiii-xiv, issue elle-même d*un original
sémitique réduit à ces six chapitres. Nombre de critiques,
protestants et catholiques, avaient nié l'existence d'un
texte hébreu ou araméen pour ces parties deutérocano-
niques et conclu à un original grec. Bludau, op. cit.,
p. 157 sq., 182 sq., 201 sq. Après avoir été d'un usage
courant dans les lectures des Églises jusque vers le
iii« siècle, Bludau, De alexandrinœ inierpretationis
Ubri Daniêlis indole critica et hemieneutica, Munster,
18&1, p. 12-20, la version alexandrine de Daniel y fut
peu à peu supplantée par celle de Théodotion, dont il
sera parlé plus loin. Saint Jérôme attribuait cet ostra-
cisme dont elle fut frappée à une trop grande infidélité
vis-à-vis du texte original. Prol. in Dan.; Comment,
in Dan., iv, 6, P. L., t. xxv, col. 493, 514. Il est
beaucoup plus probable que le texte nouveau de
Théodotion fut préféré à celui des LXX parce qu'il
comportait une interprétation plus nettement messia-
nique de la prophétie des semaines dans ix, 24-27.
Bludau , De alexandrin» interprétât., p. 33 sq. ; Die
alex. Ûbersetzung, p. 24. La version alexandrine dis-
parut des mss. des LXX et ne fut plus retrouvée qu'au
xvm* siècle dans un ms. cursif du XP, le codex
Chisianus, de la bibliothèque du cardinal Chigi, à
Rome, par J.Bianchini. Léon Allatius (f 1669) l'avait
déjà signalée un siècle auparavant.
ÉditioDS : Simon de Magistris, Rome, 1772, d'après une copie
de Vincent de Regibus; J. D. Michaelis, Gœttingue, 1773-1774;
C Segaar, Utrecbt, 1775; Holmes-Parsons, dans VettAS Test,
grmee, Qzibrd, 1818, t iv; 2- édit, 1848; A. Mai (VerceUone),
dans Ver. et Nov. Test, ex antiq. cod. Vaticano, Rome, 1838
(iBBS), Uiv; H. A. Hahn, Leipzig, 1845; Tischendorf, dans Vet.
TesL grwcejtixta LXX InUrpretes, 2r édit. Leipzig, 1854, t vi ;
en 1880, 1889, 1875, 1880. 1887, t. vn ; Dracli, 1863, P. G., t. xvi,
ed 2773 sq.; O. F. Fritzsch (parties deutérocanoniques), dans
Ubri apocryphi Vet. Test., Leipzig, 1871, p. 79-91 ; Jos. Cozza
(la raeOleure), dans Sacror. Biblior. vetustissima fragmenta
grtec et lot., Rome, 1877, part. 111; d'après cette dernière,
H. B. Swete, The Old Testament in Greek, 1887-4894, t m,
p.4088q.
2. Version de Théodotion. — Vers l'an 150 de notre
ère, Théodotion revisa sur le texte hébreu-araméen du
II* siècle la version alexandrine elle-même du livre de
Daniel, ou, selon Bludau, Die alex. Ubersetzung, p. 21-
23; et Tûbinger theologische Quartalschrifty 1897,
p. 1-26; cf. pourtant Julius, Die griechischen Daniel-
zusâtze, Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 27, note 2, une
autre version grecque un peu moins ancienne que
celle-là. Son texte est encore le texte grec de Daniel
officiellement reçu.
Toutes les éditions des LXX depuis la Polyglotte d'Alcala (1514-
1M7) jusqu'à l'édition de Field, Oxford, 1859, et celle de Swete
qui reproduit le Daniel de Théodotion parallèlement à celui de
la Tersioo alexandrine.
3. Autres versions. — Aquila et Symmaque traduisi-
rent aussi le Daniel hébreu-araméen, mais apparem-
ment sans les parties deutérocanoniques. Il ne nous
reste de leur version que quelques fragments. Field,
Origenis Uexapla quss supersunt, Oxford, 1875, t. ii,
p. 90B-996. — Non plus que ceux d'Esdras et de Néhé-
mie, le livre de Daniel n'eut fort [probablement pas de
targum. Voir pourtant Loisy, Histoire critique du texte
et des versions de VA. T., Paris, 1892, 1893, p. 202. —
Au II» siècle, les f:glises syriennes lurent Daniel dans la
Peschito, mais sans les trois péricopes. Kaulen, Einlei-
tung in die heiligen Schriften, Fribourg-en-Brisgau
1898, § 139. — Enfin, « plusieurs années » avant 407*
saint Jérôme « traduisit Daniel » en lalin sur l'hébreu et
l'araméen pour la partie prolocanonique; sur Théodo-
tion, pour le reste. Comment, in Dan., proloff P 1
I. xxv, coL 492-493. **' '
Pour le caractère et la valeur de ces versions immédiates dans
leur rapport avec le texte original, voir, pour la version alexan
drme, Knabenbauer, Commentarius in Danielem prophetam
Paris, 1891, p. 45 sq. ; Bevan, A short comm. on the Bock of
Dan., Cambridge, 1892. p. 43 8q.; P. Riessler, Das Buch Da-
niel, textkritische Untersuchung, Vienne, 1899;G. Jahn Das
Buch Daniel, Leipzig, 1904, p. vu sq. Pour l'ensemble : G. Behr-
mann, Das Buch Daniel, Gœttingue, 1894, p. xxix-xxxvii-
K. MarU, Das Buch Daniel, Tubingue et Leipzig, 1901. p xvni-
XIX ; Preiswerlc, Der Sprachenwechsel im Bûche Daniel Berne
1903, p. 68-77, 88-91, 113-115. ' '
2o Versions dérivées. - 1. Anciennes latines. - Dès
le commencement du iii« siècle de notre ère, il y aurait
eu en cours deux versions latines du livre de Daniel,
exécutées, l'une sur le grec de Talexandrine, l'autre sur
celui de Théodotion, Bludau, Die alex. Ûbersetzung,
p. 17-20; ou tout au moins usait-on, en Afrique, vers le
milieu de ce même siècle, d'une antique version latine
au texte mêlé de leçons se référant à l'une ou à l'autre
des deux versions grecques. Julius, Die ginechischen
Danielzusàlze, p. 45 sq.; Bludau, De alex. interpret.,
p. 30 sq. ; Die alex. Ubersetzung, p. 20. Cette « afri-
caine » aurait différé beaucoup, pour Daniel, del'* ita-
lique » proprement dite — celle-ci c milanaise » et
dérivée de Théodotion. Julius, op. cit., p. 46.
Textes dans Sabatier, Bibliorum sacrorum lalinm versiones
antiqum, Paris, 1751, t 11, p. 860-887; Ranke, Fragmenta ver-
sionis sacr. Script, latinœ ante-hieronymianœ. Vienne, 1868,
t II, p. 113^15 ; Paar Palimpsest, Wurzbourg et Vienne, 1871,
p. 126-143, 874-401, etc.
2. Syro-hexaplaire. — L'an 617, Paul, évêque mono-
physile de Telia, traduisit en langue syriaque (écriture
estranghélo) le Daniel alexandrin des Tétraples d'Ori-
gène. La version est littérale, esclave du texte grec dont
elle traduit même les particules. A ce titre, elle est
d'une importance capitale pour la critique du texte
alexandrin. C. Bugati la découvrit dans un ms. du
viii« siècle de la bibliothèque ambrosienne, à Milan, et
la publia avec une traduction latine.
C. Bugati, Daniel secundum, editUmem LXX interpretum
ex Tetraplis desumptam. Milan, 1788; réédition en photolitho-
graphie par A. M. Ceriani, Codex syro-hexaplaris Ambrosia-
nus. Milan, 1874, à.w[ïsMonumenta sacra et profana biblioihecm
ambrosianae, part. VIL
3. Autres versions. — Arabe, Walton, Polyglotte,
Londres, 1657, t. vi (affinités avec la version alexan-
drine, X» siècle); arménienne, par S. Mesrob, v« siècle,
sur Théodotion : édit. Oscan d'Erivan, Amsterdam, 1666,
et J. Zôhrab, Venise, 1789 et 1805, t. m; coptes : la
sahidique (thébaine), iii^ siècle, sur Théodotion; frag-
ments dans A. Ciasca, Sacrorum Bibliorum fragmenta
copto-sahidica Musœi Borgiani, Rome, t. 11, 1889, et
dans Maspero, Mémoires de la mission archéologique
française au Caire, Paris, t. vi, 1892; la memphitique
(bohairique), iii« siècle, sur Théodotion, édit. J. Bardelli,
Daniel copto-memphitice, Pise, 1849; H. Tattam, dans
Propfietsi majores in dialec. ling. œgyp. memphitica
seu coptica, Oxford, 1852, 1. 1 ; éthiopienne, iv«-v« siècle,
sur Théodotion, non publiée; géorgienne, vr siècle,
édit. Moscou, 1743; slavonne, ix« siècle, édit. Kiev,
1788, t. IV.
II. Canonicité. — J. PHOTocAyoyjQUE (hébreu-ara-
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59
DANIEL (LIVRE DE)
méen). — Au commencement du ii* siècle avant notre
ère, l'auteur de TEcclésiastique ne connaissait fort pro-
bablement pas encore le livre de Daniel, car il ne cite
point ce nom parmi ceux des prophètes, grands et
petits, dont il fait l'éloge, xlviii-xlix. Le petit-fils de
Jésus, fils de Siracb, le compta peut-être au nombre des
« autres livres », Eccli., prologue, qui, au plus tôt vers
l'époque de Judas Machabée (160 avant Jésus-Christ),
formèrent la troisième collection de livres sacrés con-
nue dans la Bible hébraïque sous le nom de Ke^oûbtm,
« hagiographes. » Depuis son entrée dans ce recueil, le
Daniel hébreu-araméen n'a été, dans les deux traditions
juive et chrétienne, l'objet d'aucun doute relativement
à sa canonicité. Indépendamment, les versions grecques
des LXX et de Théodotion exécutées pour être lues
officiellement dans la Synagogue ou dans l'assemblée
des fidèles, attestent la vogue et le caractère sacré du
livre,
lo Dès avant notre ère : I Mach., i, 5i (Dan., ix, 27;
XI, 31; XII, 11); ii, 59 (Dan., i, 6; m, 17), 60 (Dan., vi,
22); les apocryphes, Hénoch, xlvi, 1 bis (Dan., vu, 13);
XL, 1; LX, 2 (Dan., VII, 10), etc., voir Behrmann, op.cit.,
p. xxxvu-xxxviii; Livres sybillins, III, 397 (Dan., vu,
7, 20) ; Assomption de Moïse, vi, 1 (Dan., xi, 21).
2o Aux temps apostoliques : les Évangiles, Matth.,
XXIV, 15; Marc, xiii, 14 (Dan., ix, 27, ou xi, 31; xii,
11), etc.; Joa., m, 14 (Dan., vu, 13); les Actes, vu, 56
(Dan., VII, 13); les Épltres, I Cor., vi, 2 (Dan., vu, 22);
II Thés., II, 3 sq. (Dan., xi, 36); Heb., xi, 33 (Dan., vi,
22); l'Apocalypse, i, 13-15 (Dan., vu, 13; x, 5-9), etc.
Voir filudau, Die cUex. Ûbersetzung, p. 13-15. Josèphe,
Ant, jud., X, XI, 7 : Daniel est l'un des grands
(prophètes); Cont. Apion., x, 4; échos du livre dans
les écrits de Josèphe, voir Bludau, op. cit., p. 12; De
alex. interpret., p. 15 sq. ; les apocryphes. Test, des
douze patriarches, Ruben,l (Dan., x,2,3); Lévi,5 (Dan.,
XII, 1), 15 (Dan., ix, 27); IV Esd., m, 1 (Dan., iv, 2);
XIII, 2-4 (Dan., vu, 13); xi, 1-12, 51 (Dan., vu); Apoca-
lypse de Baruch, xxviii, 1 ; xxxii, 3 sq. (Dan., ix, 25-
27).
3o Dans la tradition ecclésiastique, les Pères apos-
toliques, Barnabe, iv, 5 (Dan., vu, 7, 8); iv, 4 (Dan.,
VII, 24); XVI, 6 (Dan., ix, 25, 26), Funk, Paires aposto-
lici, 2'» édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 46, 86; S. Clément
Romain, Ad Cor., XLV,6 (Dan., vi, 16), 7 (Dan., m, 24),
Funk, ibid., p. 158; Hermas, Vis., I, i, 3 (Dan., ix, 20);
IV, II, 4 (Dan., vi, 22), Funk, ibid., p. 416, 462. Les
apologistes du w siècle, S. Justin, Dial. cuni Ti^ph,,
31 (Dan., vu); / Apol., u (Dan., vu, 13) P. G., t. vi,
col. 540, 404; S. Irénée, Cont. har., v, 25, 4 (Dan., ix,
24-27), P. G., t. vil, col. 1191. Pères et autres écrivains
grecs et latins du iii« au vii« siècle; les listes, de carac-
tère privé ou officiel, des livres reçus dans le canon
juif ou chrétien mentionnent toutes, jusqu'à celle du
concile de Trente, le Daniel hébreu-araméen.
//. DBUTÉROCASOXJQUES (Pcricopes). — io Canomcité
chez les Juifs et les chrétiens jusqu'au /v» siècle. —
Bien que des exemplaires isolés du Daniel hébreu-
araméen aient pu contenir dans l'un ou l'autre dialecte
les péricopes d'Azarias et du cantique, de Susanne, de
Bel et du dragon, il parait bien que ces morceaux ne
firent pas, originairement, partie intégrante du Daniel
nalestinien officiel et canonique. Julius, Die griechis-
chen Danielzusàtze, p. 4-15, et bibliographie. Cepen-
dant, les Juifs hellénistes d'Alexandrie les tinrent pour
sacrés, témoin la version alexandrine qui les contint,
et III Mach., vi, 6 (Dan., m, 46-50); et tandis que Jo-
sèphe, grec de langage et de culture, mais pharisien de
cœur, Aquila et Symmaque excluaient ces péricopes, le
premier du canon proprement dit, Cont. Apion., i, 8,
les autres de leur version, la première antiquité chré-
tienne les accueillait au contraire, soit dans l'alexan-
drine, soit dans le texte de Théodotion, avec la même
faveur, et les mettait au même rang que le resl
livre.
1. En Occident, S. Clément Romain, Ad Cor.
3 (Dan., m, 54), Funk, ibid., p. 176; S. Irénée,
hser., IV, 5, 2, Daniel prophela (xiv, 3, 24); xx
a Daniele propheta voces (xiii, 20, 52, 56), P. G.,
col. 984, 1192. Saint Hippolyte, dans son commei
sur Daniel, édit. Bonwetsch, Leipzig, 1897, p. 91
41, 42, 43, tient les trois péricopes pour « Écriti
« sainte >, « divine b : ii, 28, 1, ri ypaipr, (Dan., m
II, 31, 4, w; V| Ypaçt) Uyei (Dan., m, 49) ; i, 29, 1, r,
(Dan., XIII, 52); l, 30, 1, xo (Tepivév twv â^ituv yP^?
(rc6\L0i Tûv ?rpoçY]T(ôv se reconnaissent en Dan., xi:
I, 31, 3, T^ Oe(a ypa^ (Dan., xiii, 54, 58). Tertullit
orat., XXIX (prière d'Azarias); Adv. Hei^tog.,
(cantique); De coron, milit., iv (Susanne); De h
XVIII ; De jejun., vu, ix (Bel, le dragon), P. L,
col. 1195; t. Il, col. 236, 81; t. i, col. 688; t. ii, co
964. Saint Cyprien, Ad Quirin., m, 20, cite c
partie intégrante du livre canonique, in Daniele ^
III, 37-42; XIII, 1-3; De lapsis, xxxi, Scriptura <
(Dan., m, 25 sq.); De doni. oratione, viii, de
Scripturss divinœ fîdes (Dan., m, 51 sq.); Episi
5 (Dan., m, 16-18; Ad Fortun., xi, Daniel Sanci
rituplenus (Dan. j xiv, 4), P.L.,i. iv, col. 7i8-74
524, 353, 667.
2. En OHent. — a) Egypte. — Clément d'Alexi
Stronx., I, XXI (Dan., xiv, 22, 33, 40); Eclog,
ypa?a\ (Dan., m, 58-60), èTcâyei AaviTjX (Dan.,
90 sq.); ii, ô AavirjX Xéyei (Dan., m, 54), P. G.,
col. 852; t. IX, col. 697, 700. Origène, Epist. ad Af
P. G., t. IX, col. 48 sq., défend contre les objecli
son ami palestinien, Jules Africain, le caractei
phétique (èx xf,; TrpoçTjxc^a; xov AavirjX) et scrip
(naXaià AtaOï^xT]) des histoires de Susanne, de I
dragon; In Joa., tom. xiii, 59 (Dan., xiii, 42), xi
ô Aavir.X çYjffi (Dan., xiii, 56), P. G., t. xiv, c<
584; De orat., xiv, év xô àoiyiiX (Dan., m, 25),
t. XI, col. 461; Exhort. ad martyr., xxxiii
dragon), ibid., col. 604-605, Ammonius d'Ale:
commenta les trois péricopes avec le reste di
P. G., t. LX XXV, col. 1363-1370 (Susanne), 1!
(prière d'Azarias et cantique). Les versions sal
et memphitique les contenaient. Fragments de
mière dans Maspero, Mémoires, p. 266, 267,
Ciasca, Sacror. Biblior. fragm., p. 360. La tra
copte de l'Apocalypse d'Ëlie, IX, fait allusion aux h
de Susanne, des trois jeunes gens. G. Steindo;
Apokalypse des Elicu, dans Texte und Un ter».,
fasc. 3 a, Leipzig, 1899, p. 48-49. — b) Asie. — \)
et martyrs évoquent volontiers l'exemple de Su
Didascalie, dans Bunsen, Analecta antenicœm
dres, 1874, t. ii, p. 274. Martyre de saint Pionii
Ruinart, Acta martyrum, Ratisbonne, 1859,
Pseudo-Clément, De virginitate, ii, xiii (Si
Funk, t. II, p. 23. Méthodius d'Olympe (ou c
Symposium, logos xi, 2 (Dan., xiii, 23), P, G.,
col. 212.
3. Monuments des Catacombes romaines. -
tière de Priscille, chapelle grecque : fresques
sanne tentée (Dan., xiii, 19), accusée et
(Dan., XIII, 34, 63); des trois jeunes gens (L);
26, 93). Cimetière de Calliste, sur un arcosoli
gement des vieillards (Dan., xiii, 52 sq.). Vu
col. 2005.
Les seuls doutes sérieux élevés durant cette p
période sur l'inspiration et la canonicité des
deutérocanoniques du Daniel de la Bible gre
latine furent ceux de Jules Africain, dans E
African., doutes isolés et restés sans écho dan:
sensus unanime de la tradition. Si Méliton de
dans sa a liste des livres de l'Ancien Test
(lettre à Onésime), dans Eusèbe, U, E., iv, 26
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61
DANIEL (LIVRE DE)
62
t. XX, col. 397, a omis tous les deutérocanoniques; c'est
qu*il a emprunté cette liste aux Juifs de Palestine, les-
quels lui ont fourni celle du Talraud, Baba hathra, 15 a.
Si, de Torigine à la fin du iv« siècle, la Peschito ne con-
tint pas Dan., ni, 51-90 (Polychronius, dans Mai, Scrip-
torum veteruni nova coUectio, Rome, 1825-1831, t. i c,
p. 4) et probablement non plus les autres fragments,
c'est que TAncien Testament ne vint d'abord aux
Églises syriennes que par Tintermédiaire de la Sy-
nagogue attachée, en Asie, au seul canon hébreu. Si
Origène et, à sa suite, « Eusèbe, Apollinaire, d'autres
auteurs ecclésiastiques et docteurs de la Grèce » sont
allégués par saint Jérôme, in Dan., prolog., P. L.,
L XXV, col. 493, comme fauteurs de la non-canonicité
de ces fragments, il faut observer que le grand docteur
n'a bien compris ni blusébe, ni Apollinaire, ni les « au-
teurs et docteurs », qui, tous, acceptèrent en réalité,
leurs écrits en font foi, les parties deutérocanoniques
des livres telles que les leur offrait la Bible grecque, et
qu'il prêta à l'auteur des Stromates, ouvrage mainte-
nant perdu, quelques-unes de ses idées toutes person-
nelles sur la question. Julius, op. cit., p. 36, 52 sq.,
73 sq.
2o Canonicilé aux /v« el v« siècles. — A cette époque,
tous les Pères grecs reçoivent comme canoniques les
fragments de Daniel ; ils les citent couramment dans
leurs écrits; les listes qu'ils dressent des livres sacrés
les mentionnent implicitement sous la rubrique Aavir,X,
litre de la version grecque qui les contint depuis l'ori-
gine : S. Athanase, Epist. /e«^, xxxix, 5, P. G., t.xxvi,
col. 4176, 1436; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., iv, 33,
35, 36, P. G., t. XXXIII, col. 496 sq.; S. Épiphane, De
pond, et mens., xxii, xxiii, P. G., t. xliii, col. 277; et
Uœr., VIII, 6, P. G., t. xli, col. 413; S. Grégoire de
Nazianze, Camien de gen. libror, inspir. Soiptursa,
1, 12, P. G., t. XXXVII, col. 472 sq. : listes qu'il faut juger
d'après la pratique des ouvrages de ces Pères. Voir Julius,
p. 66-93. Les auteurs syriens, Aphraate, saint Éphrem,
Cyrillonas, connaissent ces péricopes et les utilisent au
même titre que tout passage de la Peschito officiellement
canonique. Voir Julius, p. 94-98. Dans l'Église armé-
Dienne qui, au v* siècle, possède dans sa Bible les trois
péricopes daniéliques, le littérateur Mesrop, l'évêque de
Bagrevand £znick, le catholicos Jean Mantaguni en
attestent aussi le caractère sacré. Voir Julius, p. 100-105.
Par ses écrivains, les décrets de ses conciles, par
quelques reliques de l'art qu'inspira sa doctrine,
l'Église latine d'Italie, de Gaule, d'Espagne et d'AfVique
accorde à ces morceaux le crédit d'Écriture inspirée.
Voir Julius, p. 105-145.
Durant ces deux siècles, les seules voix discordantes
furent celles de Polychronius, évéque d'Apamée et
frère de Théodore de Mopsueste, et de saint Jérôme; et
encore les doutes du premier n'eurent-ils pour objet
que Dan., m, 24-90, voir Julius, p. 84, et le second ne
commença-t-il à se poser en adversaire des trois péri-
copes que vers l'an 390, après avoir subi, relativement
à la canonicité des livres, l'influence des rabbins, ses
maîtres en hébreu. Dans le Prologus galeatus et le
Prologus au Comment, in Dan., saint Jérôme range
implicitement ces fragments « parmi les apocryphes»,
et après les avoir « marqués d'un obèle » comme
a n'étant pas dans l'hébreu n, affirme qu'ils ne pré-
sentent nullement l'autorité d'Écriture sainte. Mais
quoi qu'il puisse écrire ainsi de ces morceaux, le soli-
taire de Bethléhem ne peut éviter de les citer, dans ses
ouvrages contemporains du Prologus galeatus, presque
sur le même rang que les passages d'Écriture, tant est
puissante autour de lui la tradition qu'il confirme de la
sorte indirectement. Voir Julius, p. 112, et t. ii, col. 1578.
3o Canonicité à partir du VP siècle jusqu* à nos jours.
— A partir du vi* siècle, la canonicité des parties deu-
térocanoniques du livre de Daniel, nettement et ferme-
ment affirmée au cours des siècles précédents, continue
à être admise et appliquée jusqu'au concile de Trente
et jusqu'à nos jours dans l'Église chrétienne et catho-
lique. On n'ignore pas cependant, durant cette longue
période, les objections de saint Jérôme ; mais les au-
teurs qui les ont reproduites, le moine breton du De
mirabilibus ScriplursB sacrm, P. L., t. xxxv, col. 2191,
2192; Rupert de Deutz, De div. officiis, iv, 16; v, 5,
P.'L., t. CLXX, col. 110 sq., 126; Hugues de Saint-
Victor, Ei^d. didasc, iv, 8, P. L.,i. clxxvi, col. 783;
Pierre le Mangeur, Hist. scholastica, [\ L., t. cxcviii,
col. 1447, 1450, 1466; Albert le Grand, Opéra, Lyon,
1651, t. VIII, p. 69 ; Nicolas de Lyre, Postillœ perpetuœ,
Rome, 1471, 1472; Denys le Chartreux, Enarratio in
Dan., a. 14, Montreuil, 1900, t. x,p. 165; J. L. Vives à<\
Valence, édit. du De dvitate Dei de saint Augustin, 152-^,
xviii, 31; J. Driedoens, De ecclesiast. Scripturis, Lou-
vain, 1550, I. 1,4; Cajetan (Thomas de Vio), Conimen-
tarii, préface, Esther, x, ou n'en ont pas saisi la portée,
ou ont cherché à les expliquer dans un sens favorable,
suivant dans la pratique le courant auquel obéit le
saint docteur lui-même; ou enfin, si quelques-uns
d'entre eux, comme le moine breton, Nicolas de Lyre,
Vives de Valence et Cajetan, les adoptent d'une façon
plus ou moins catégorique, n'ont exercé autour d'eux
aucune influence marquée ou décisive. Voir Julius,
p. 149, 160-163, 166, 168, 172-174.
III. Mode de composition. — L'antiquité n'a pas
élevé le moindre doute sur l'unité de composition du
Daniel hébreu-araméen. Spinoza, le premier, distingua
dans ce livre deux mains difl'érentes, l'une dans les c.i-vii,
l'autre dans viii-xii. Tractalus historicopoliticu8,Ji, 19,
édit. Haag, 1882, t. i, p. 508. Newton tint le livre entier
pour « une collection d'écrits d'époques diverses » (i,
ii-iii, IV, v-vi, \ii'Xii).Obsei'vationsupontheprophecies
of Dan. and the Apok. of St. John, Londres, 1732, p. 10.
Selon Beausobre, Remarques sur le Nouveau Testament,
La Haye, 1742, p. 70, les c. i-vi sont des « histoires que
les Juifs postérieurs ont jointes aux prophéties "» de vii-
XII. Bertholdt, Daniel, 1806, t. i, p. 49-84, rapporte le
tout à neuf sources diflérentes (i, ii, m, 1-30; m, 31-
IV, 34; v-vi, VII, VIII, ix, x-xii). Eichhorn, Einleilung
in das A. T., 1824, t. iv, p. 515; Meinhold, Die Kom-
posit. des Bûches Daniel, 1884; Beitràge zur Erklârung
des Bûches Daniel, 1885, i; Das Buch Daniel, 1889;
Strack, Handbuch der theolog. WissenscJiaft, 1885,
t. i, p. 173, font composer d'abord ii-vi, puis vii-xii; i
s'est ensuite adjoint à la réunion de ces deux parties
en manière d'introduction. Les raisons alléguées sont
celles-ci : la dualité de langue (Spinoza, Newton) ; le
changement de personne dans le récit (Beausobre,
3« personne dans i-vi; 1« personne dans vii-xii); les
antinomies entre i, 21, et x, 1 ; i, 1, et ii, 1 ; v et ii, plus
des divergences d'élocution et de style (Bertholdt).
Néanmoins la critique, indépendante ou catholique, fait
face à ces difficultés et maintient encore l'unité de
composition du livre ; elle dit celui-ci œuvre d'un seul
jet, « hâtive » même, et d'un seul auteur : aussi bien
l'araméen de la première partie déborde-t-il sur la se-
conde (vu); le changement de personne ne saurait
prouver absolument; les antinomies reçoivent une so-
lutioiT dans les commentaires; des similitudes nom-
breuses et frappantes d'élocution et de style balancent
les divergences. Au surplus, l'unité de la composition
éclate par elle-même. Chacune des parties principales,
i-vii et viii-xii, forme bien à part soi un tout logique :
suite historique, suite prophétique; mais elles se com-
plètent aussi l'une l'autre, car tout le livre se développe
d'après un plan très apparent et un : annoncer, prépa-
rer le royaume messianique, supputer l'heure de sa
venue. Cette annonce se fait aux païens (ii) comme aux
enfants d'Abraham (vii-xii) ; pour la bien accueillir, les
premiers doivent reconnaître par des preuves sensibles
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63
DANIEL (LIVRE DE)
6^
la toute-puissance du vrai Dieu, du Dieu du royaume,
qui sauve les siens et dispose à son gré des rois et des
empires (i, iii-vi). Puis, le royaume messianique
annoncé, le tout-puissant reconnu de tous. Dieu révèle
après quelle suite d'événements religieux et politiques
se réalisera ledit royaume (ii et vii-xn). Du reste,
chacune des visions ou prophéties progresse sur la
précédente en plus grande clarté. A peine la critique
signale-t-elle comme pièces rapportées les passages, i,
20-21 (glose renchérissante); ix, 5-19 (interpolation que
trahissent 5 et 20) ; xii, 11-12 (gloses successives voulant
expliquer 7 et 9).
Sur l'unité de composition voir Hebbel>-nck, De auetoritate
historica libri Danielis, Louvain, 1887, p. 8-23; Knabenbauer,
Comment, in Danielem prophetam, Paris, 1891, p. 17-20;
A. F. Gall, Die Einheitlichkeit des Bûches Daniel, Giessen,
1895.
Cependant, Tunité d'esprit, de plan, de composition,
même de style, n'exclut pas nécessairement la pluralité
des sources, l'existence de documents antérieurs utili-
sés ou incorporés dans la trame générale de son récit
par le définitif et véritable auteur du livre. Assuré-
ment, une dissection du livre de Daniel comme celle
de Bertholdt enlève quelque signification à chacun des
morceaux, surtout à chaque vision isolée; mais un
classement des sources qui partirait des conclusions de
Bludau et de Julius, lesquelles mettent en un relief
accusé les c. iii-vi et les deutérocanoniques xiii-xiv,
reste possible. La question du mode de composition du
livre de Daniel est donc ouverte encore.
Aux ouvrages cités de Bludau et de Julius, joindre les essais
de Barton, The composition of the Book of Daniel, 1898, dans
Journal of biblical literature, p. 62-86, qui distingue ii et iv ;
v-vni, III, x-xii, 4; vi et ix; i etxii, 5-13; P. Riessler, Doa
Buch Daniel, 1902, p. xi-xin (division : vii-xii, i-v, vietxiii-
XIV); G. Jahn, Dos Buch Daniel, Leipzig, 19M, p. vi, thèse v
et commentaire, unit seulement x-xii.
IV. Interprétation. — Le sens général du livre res-
sort premièrement et principalement de Tidentification
des quatre empires terrestres et païens figurés soit par
les «quatre parties de la statue vue en songe par Nabu-
chodonosor (c. ii), soit par les quatre animaux sortis
de la mer vus en songe également par Daniel (c. vu).
Cette identification jette, en effet, une grande lumière
sur les visions, claires seulement pour une partie, des
C. VIII, IX et XI, relativement à un personnage d*impor-
tance capitale, persécuteur des « saints » et précurseur
du « temps de la fin », qui a figuré déjà dans la vision
du c. VII. Cf. VII, 21, 25; viii, 2S-26; ix, 26-27; xi, 30,
31, 36 sq. Il est admis par tous que le cinquième
royaume dont il est question dans ii, 44, et vu, 18, 22,
ou qui est décrit au moins dans son commencement
dans IX, 24, et xii, 2-3, est le royaume messianique, le
royaume de Dieu dont parle encore l'Évangile. Le qua-
trième empire est-il alors celui de Rome, le quatrième
roi est-il le César romain : le royaume où le peuple des
saints débute ou se forme avec la prédication du Christ,
et les passages ii, 44; vu, 12 et 25; viii, 2i; ix, 24; xii,
1-3, le considèrent dans tout son développement jusqu'à
la fin du monde ; le persécuteur du « temps de la fin »
est l'Antéchrist; tout le livre est messianique, double-
ment messianique même, car il vise le Messie à son
premier avènement et à son dernier. Ce quatrième
empire est-il au contraire l'empire grec ou l'ensemble
des royaumes issus de lui, le quatrième roi est-il
Alexandre le Grand ou sa royauté divisée entre ses gé-
néraux : le royaume messianique annoncé s'identifie
d'abord avec le groupe juif resté fidèle à Dieu et à sa
religion sous les successeurs syriens du conquérant
macédonien; le persécuteur est Antiochus Épiphane;
le « temps de la fin » est donc projeté en avant et vu
sur une perspective très rapprochée de l'époque grecque;
le livre met sur le même plan apparent premier et
dernier avènement du Messie, et par nn simple effe
d'optique familier aux prophètes, le présente comm
relativement imminent aux Juifs contemporains d'Ar
tiochus IV.
1® Interprétation traditionnelle. — Jusqu'au xix«si(
cle, l'identification du quatrième empire daniéliqi
avec l'empire romain fut la plus universellement reçi
dans l'Église chrétienne, voire chez les Juifs et au se
des Églises protestantes. Qu'il suffise de citer Joseph
Ant, jud., X, X, 4; xi, 8, 5 (voir surtout Gerlach, D
Weissagungen des A, T. in den Schriften des' Fia
Josephus, Berlin, 1863, p. 43 sq.); S. Irénëe, Cent. h«i
v, 25, P. G., t. VII, col. 1190 ; S. Hippolyle, Bardenhewc
dans Des heUigen Hippohjtxis von Rom CommenU
zum Bûche Daniel, Fribourg-en-Brisgau,1877, p. 83-8
Eusèbe deCésarée, dans Mal, Sanptor. vel. nova col
ctio, Rome, 1825, 1831, t. i c, p. 33); S. Cyrille de Jéi
salem, Ca^,xv, 6, P. G., t. xxxiii, col. 877; S. Jérôn
P. L., t. XXV, col. 531; Théodoret, In Dan., P. i
Comment, in Dan., t. lxxxi, col. 1472; Walafrid Si
bon, Glossa ordinaria, In Dan. (ix« siècle : pend:
700 ans le seul commentaire usuel, ou presque, des th
logiens du moyen âge); les rabbins et les auteurs prot
tants du xvi» au xviii« siècle, cf. Reinke, Die messiai
chen Weissagungen, Giessen, 1862, t. iv, p. 171 sq. ;
théologiens commentateurs du xvii* et du xviii« si^
(voir la liste des commentateurs); les commentate
critiques protestants et catholiques du xix« siècle é
mérés dans Dùsterwald, Die Weltreiche und das Gol
reich, Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 31 sq. De
jours, cette interprétation reste en faveur dans l'en
gnement catholique. Le premier royaume serait c
des Chaldéens (Nabuchodonosor) ; le second, celui
Médo-Perses (Cyrus) ; le troisième, celui des Gr
Macédoniens (Alexandre) ; le quatrième, l'empire roi
qui, « fort comme le fer », c béte aux ongles, aux d
de feri», brise d abord la résistance de tous les roy ai
de l'ancien monde et les soumet à son joug (ii,
VII, 19), mais qui se divise finalement en deux, en
d'Orient, empire d'Occident, puis s'émiette er
comme le « fer mêlé d'argile », ii, 43, se partage (
dix rois comme la tète du monstre entre dix co
VII, 24. « Du temps de ces rois », ii, 44, se dével
un nouveau royaume, celui de Dieu, des saints, inai
par le Christ (la pierre, ii, 34, 35) et continua
l'Église, II, 4i; vu, 27. Au sujet du t temps » qu
s'écouler depuis l'annonce déjà faite avant Daniel <
tour de la captivité et du relèvement de Jérus
jusqu'à l'époque où doit naître et se constituer ce
veau royaume, il est fait au prophète une rêvé
spéciale, ix, 1-3, 20-27. Voir Daniel {Les soixan
semaines du prophète). Enfin, aux approches de
du monde, surgit un « roi orgueilleux, impie,
cuteur », VII, 2i,25; xi, 21 sq., l'Antéchrist, figui
lement dans viii, ^, 25, par Antiochus Épiphï
opprime, dévaste l'Église un certain temps é
trois ans et demi, vu, 21 (viii, 24 sq.) ; ix, 27 ; xi,
XII, 7. Sa puissance est pourtant brisée par Dieu
juger tous les royaumes de la terre, et un règm
nel est accordé au Christ « Fils de rhomme :
qu'à son peuple fidèle d'élus, vu, 13, 26-27 ; x
Quelques Pères et écrivains ecclésiastiques o
proche les « dix rois » de la fin du monde qu'il
saient alors devoir arriver dès la chute de l
romain, imminente à leur sentiment. Voir Knabei
Comment, in Daniel, proph., p. 202, 203. Sel
larmin. De Romano pontifice, l. lïl, c. v, dai
trov., Paris, 1608, t. i, p. 717, le quatrième emp
continué dans le Saint-Empire romain d'Occic
comme celui-ci, a pris fin en Tannée 1806. Rohli
Buch des Propfieten Daniel, Mayence, 1876,
224, nous fait vivre présentement au temps des
tout proche du temps de l'Antéchrist.
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65
DANIEL (LIVRE DE)
66
2» Interprétation critique. — Pour saint Éphrem,
In Daniel, Opéra syriaca, Rome, 1740, t. ii, p. 206-206,
€ quelques auteurs » anciens (Théodoret, In Dan., ii,
43, P, G., t. Lxxxi, col. 1306^, Polychronius, évoque
d'Apamt^, dans A. Mai, Scriptorum veter. nov. colle-
ctio, t. I c, p. 1-27, et Cosmas Indicopleustés, C/iri-
stiana topographia, I. II, dans B. de Montfaucon, Collec-
tio nova Patruni, Paris, 1707, t. ii, p. i4i sq., les quatre
■ royaumes s sont les empires chaldéen (Nabuchodo-
nosor), mède (Darius), perse (Cyrus) et gréco-macédo-
nien (Alexandre), et les t dix rois» sont les successeurs
d'Alexandre, les Séleucides et les Lagides. Antiochus
Épipbane remplace TAntéchrist. Selon Porphyre, dans
saint Jérôme, Comment, in Dan., mi, 7, P. L., t. xxv,
col. 590, ces empires auraient été ceux des Chaldéens,
des Médo-Perses, d'Alexandre, des successeurs d'Alexan-
dre (Ataîoxoi); le roi persécuteur est aussi TÉpiphane.
Bossuet, Di8Cou}*8 sur l'hist. univ., part. II, c. ix;
Grotius, Cnlici sacri, Lyon, 1660, t. v, /n Dan.; Hou-
bigant, Biblia hebraica, Paris, 1753-1754, t. iv, p. 549;
Calmet, Commentaire littéral, 2« édit., Paris, 1726,
t. VI, p. 619, ont suivi cette opinion dans ses grandes
lignes. Là plupart des critiques modernes se sont par-
tagés entre ce double système de saint Éphrem et de
Porphyre. Pour séparer les empires mède et perse, les
premiers s'appuient sur les passages Dan., v, 30; vi, 1,
8; IX, 1, et surtout vi, 29, où le texte fait « succéder »
Cyrus le Perse à Darius le Mède. Les deux mêmes em-
pires se distingueraient aussi, l'un venant « après »
lautre, dans Dan., viii, 3, 20, et dans v, 31 ; vi, 28, où
la f loi des Mèdes » précède celle des Perses. Le
quatrième empire serait ainsi nécessairement l'empire
grec et parce que, dans les c. ii et vu, cet empire corres-
pond exactement à celui de viii, 21, lequel est d'Alexan-
dre : empire divisé, ii, 41, et viii, 22; empire finis-
sant avec un roi impie , tu, 8, 24, et viii, 9, 23, Antio-
chus IV; le dernier empire ennemi, n, vu, et viii, 17,
aussi x-xi, où la naissance et le développement de
l'empire grec sont relatés en détail, sans qu'il soit parlé
d'un antre empire subséquent avant le « temps de la fin ».
Les dix rois, vu, 24, représentés par les dix cornes sont :
ou bien Séleucus Nicator, Antiochus Soter, Antiochus
Théos, Séleucus Callinicus, Séleucus Céraunus, Antio-
chus le Grand, Séleucus Philopator, Héliodore, Plolémée
Philomélor, Démétrius Soter; ou bien Alexandre lùi-
méme et les suivants, moins Ptolémée Philométor.
Auteurs, dans Dûsterwald, op. cit., p. 34. Unissant en
an seul empire les Médo-Perses d'après v, 28, et
contraints alors de voir l'empire gréco-macédonien
d'Alexandre dans l'airain de la statue ou la troisième
béte de la vision, les autres critiques identifient le
quatrième empire avec le royaume syrien dont les dix
rois, Alexandre y compris ou non, ainsi que Plolémée
Philométor, sont les dix prédécesseurs d'Antiochus Épi-
phane. Celui-ci, dans l'une et l'autre opinion, est figuré
par la petite corne de vii, 8, 20 sq., et de viii, 9; c'est le
roi artificieux de viii, 23 sq., roi de l'un des quatre royau-
mes : macédonien, thrace, syrien, égyptien, issus de
l'empire d'Alexandre, viii, 8, 9, 22 ; xi, 21 sq. Il persé-
cute Israël ou « les saints » jusqu'à ce que la domina-
tion sur tous les royaumes du monde soit accordée à ses
victimes dès aussitôt son jugement et sa ruine. Auteurs,
dans Dûsterwald, p. ^. Le < fils de l'homme y qui, dans
m, 13-14, reçoit aussi le royaume éternel, serait, suivant
la plupart des critiques modernes, Israël lui-même :
parallèle parfait de vu, 13-14, avec vu, 18, 22, 27; si
les puissances terrestres et ennemies de Dieu sont bien
symbolisées, dans ce c. vu, par des animaux, la forme
humaine ne pent que symboliser le royaume spiri-
tuel des saints d'Israël, symbole à symbole ; pareillement,
s'oppose à ce qui sort de la mer, vu, 3, 17, ce qui vient
sur les nuées des cieux, 13, un royaume à des royau-
mes; ni II, 4i, ni xu, 3, qui traitent pourtant du
DICT- DB THÉOL. CATHOL.
royaume spirituel, ne parlent d'un roi futur, d'un
Messie personnel. Cette interprétation du « fils de
l'homme » fut connue de saint Éphrem et acceptée par
Aben-Ezra. Quelques critiques protestants, tels que von
Lengerke, Bleek, Ewald, et d'autres plus récents,
Boehmer, Reich Gottes und Menschensohn im Bûche
Daniel, Leipzig, 1899; Grill, Vntei^uchungen ûber die
Enlstehung des vierten Evangeliums, Tubingue, 1902,
Baldensperger, Bousset, Volz, reviennent cependant
au roi Messie de la presque unanime tradition juive et
catholique.
La thèse de l'interprétation critique du livre de
Daniel a été acceptée par quelques écrivains catholiques
contemporains. Turmel, Etude sur le livre de Daniel
(extrait des Annales de philosophie chrétienne), Paris,
1902; Lagrange, Revue biblique, 1904, p. 494 sq., après
d'autres appartenant à la première moitié du xix* siècle.
Voir Dûsterwald, op. cit., p. 34.
3° Autres interprétations (ponv xtiémoxve). — Le qua-
trième empire serait l'empire mahométan, les empires
grec et romain étant réunis en un seul, le troisième.
Rabbins du moyen âge. Voir Bevan, op. cit., p. 63. —
Hitzig, Heidelberger Jahrbticher, iSd^y ii, et Redepen-
ning, Siudicn und Kritiken, 1833, p. 863 sq., identifient
ainsi les quatre empires : 1. Nabuchodonosor; 2. les
successeurs babyloniens de ce roi; 3. les Médo-Perses;
4. les Gréco-Macédoniens. — Pour quelques protes-
tants du xviip siècle, il ne s'agirait pas de quatre em-
pires, mais seulement des règnes des rois babyloniens.
Voir Dûsterwald, p. 36. — Selon Ewald et Bunsen,
Daniel n'ayant pas habité Babylone, mais Ninive, les
empires seraient : 1. assyrien; 2. babylonien; 3. médo-
perse; 4. grec. Voir Dûsterwald, p. 36. — Pour Boehmer,
Reich Gottes und Menschensohn, p. 82 sq., les quatre
empires seraient moins quatre empires distincts que
quatre phases du règne des hommes, après lesquelles
doit arriver le règne de Dieu.
V. Caractère littéraire. — Le livre de Daniel est une
apocalypse juive. S'il n'est pas tout à fait la première
apocalypse (il y en a de petites dans Isaîe, xi ; xxiv-
XXVII ; Zach., xii-xiv; Joël, Malachie, iv), il est du moins
le premier livre apocalyptique connu de la littérature hé-
braïque. Étant le premier, il a donné le ton aux autres ;
et l'on a pu dégager d'eux tous, avec plus ou moins de
bonheur, la caractéristique et comme la définition du
genre. Cf. W. Bousset, Die Offenbarung Johannis,
Gœttingue, 1896, Introduction, i, p. 1 sq. ; Apocalyptik
ijûdische), dans Realencyclopàdie fur protest. Théologie,
Leipzig, 1896, t. i, p. 612 sq. ; Die judische Apokalyptik,
Berlin, 1903; Baldensperger, Diemessianisch-apokalyp-
tischen Hoffnungen des Judenthums, Strasbourg, 19(â;
P. Volz, Judische Eschatologie von Daniel bis Àkiba,
Leipzig, 1903, part. I, § 1, p. 4 sq. A ce point de vue,
on peut considérer le livre de Daniel par rapport aux
autres apocalypses et par rapport aux œuvres des pro-
phètes parmi lesquelles on le range aujourd'hui.
l» Daniel et les apocalypses. — Ce que le livre de
Daniel renferme de proprement apocalyptique parallèle-
ment aux autres apocalypses, où tout, non plus, n'est pas
nécessairement apocalyptique, c'est : 1. une cosmologie ,
une vue déterministe ou providentielle de l'histoire de
l'humanité, présentée en manière de prophétie, et par-
tant d'une certaine époque choisie par l'auteur jusqu'à
un point d'arrivée considéré comme la fin d'un monde
ancien. Cette vue porte sur un certain nombre de pé-
riodes successives, ici, concrétisées en quatre empires
à partir du temps de l'exil : Dan., ii, vu sq. ; Apocalypse
de Baruch, xxxvi-xl; IV Esd., xi-xii, là, figurées de
façons différentes pour le même cycle restreint : Hénoch,
Lxxxv-xc, ou pour toute l'histoire du monde et de l'hu-
manité: Jubilés, Oracles sibyllins, l. IV, 47 sq.; Apoca-
lypse d'Abraham, xxix; Apocalypse de Baruch, un sq. ;
Hénoch, xcui et xci, 12-17. Elle se résout souvent en
IV. -
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DANIEL (LIVRE DE)
une computation numérique de la période embrassée
par le regard prophétique réel ou feint : compu talion
précise d'inlention dans Dan., ix, 24 sq.; vu, 25; viii,
13; xii, 7 (14, 12), vague, flottante et circonspecte dans
les apocalypses apocryphes, Vita Adse, 42; Secrets
d'Hénoch, xxxi, 1 ; Assomption de Moïse, x, 12; Hénoch,
X, 12; Apocalypse d'Abraham, xxix (? Hénoch, xviii,
16; XXI, 6 ; IV Esd., vu, 31). — C'est : 2. une eschatologie,
sorte de drame final servant de transition, avec ses di-
verses péripéties, entre le règne du monde et le « règne
de Dieu », unissant la fin de celui-là au commencement
de celui-ci. Elle comprend : à) une période de tour-
ments, d'épreuves, de tribulations endurés par le peuple
de Dieu, Dan., vu, 21,25; vu i, 24-25; ix, 26-27 ; xi,308q.,
40 sq.; cf. IV Esd., xi-xii; Jubilés, xxiii, 16 sq.; Apoca-
lypse de Baruch, lxviii, 2, voire par la terre entière.
Dan., XII, 1; cf. IV Esd., v, 1-12; vi, 13-28; ix, 1-6;
XIII, 16 sq.; Apocalypse de Baruch, xxv-xxix, 2; XLViii,
30-38; Lxx; Apocalypse d'Abraham, 30; Hénoch, xcix,
4-10; c, 1-6; h) un jugement exercé et rendu sur les
peuples et sur le monde le plus souvent par Dieu lui-
même. Dan., VII, 9sq., 26; cf. Hénoch, i-xxxvi ; Jubilés,
IX, 15; X, 17; xxii, 11, et pnssim; Testament des douze
patriarches, Lévi, 1; Secrets d'Hénoch, xxix, 1; xliv,
3, 5, et passim; IV Esd., xi, 46; Apocalypse de Baruch,
XIX, 4; Lxxxiii, 2 sq.; lxxxv; Apocalypse d'Abraham,
24-25; VitaAdsa, 49; Sibyllins, 1. III, 53-62; 1. IV,
152 sq.; 1. V, 106-110; anéantissement de l'empire du
monde et de ses maîtres, ennemis de Dieu, Dan., vu,
11 ; II, 44; cf. IV Esd., xi, xii, passim; Apocalypse de
Baruch, xxxvi, 10; xxxix, 7 sq. ; lxviii, 3,7; Sibyllins,
I. III, 303 sq. ; 1. V, 375 sq.; Assomption de Moïse, x, 7,
damnation des impies et des criminels. Dan., xii, 2,
cf. IV Esd., vu, 80 sq.; Hénoch, xc, 26; Apocalypse de
Baruch, li; fin, abolition du mal moral, du péché,
Dan., IX, 24; cf. IV Esd., xii, 25; vi, 27 sq. ; vu, 113 sq.;
Apocalypse de Baruch, lxxiii, 4 sq.; Sibyllins, 1. II,
33; I. III, 376 sq.; 1. V, 429 sq.; surtout Hénoch, x, 16,
20; L, 4; c, 5, etc.; c) la manifestation du royaume de
Dieu, des saints, Dan., ii, 44; vu, 27; cf. Sibyllins,
1. III, 47 sq.; Assomption de Moïse, x, 1; IV Esd., x,
46; Jubilés, i, 28; Apocalypse de Baruch, xxi, 23, 25;
Hénoch, XXV, 3, 7, etc.; manifestation où interviennent
principalement à titre de témoins, divers personnages
tels que le « prophète », Hénoch, Moïse, Élie — ici
Y v ange », Dan., viii, 11 (LXX); xii, 1 (Michaël); cf.
Assomption de Moïse, x, 2; Hénoch, xc, 20; le Messie-
Roi, nommé « Fils de l'homme », Dan., vu, 13 (?); cf.
IV Esd., xiii; Hénoch, XLVi, de nature plutôt céleste,
préexistant. Dan., vu, 13 (?); cf. IV Esd., xiii, 26, 52;
Hénoch, xlviii, 3, 6; lxii, 7, dominateur, Dan., vii,14(?),
cf. Apocalypse de Baruch, xxxix, 7; XL, 3; Testament,
Lévi, 8, 18; Sibyllins, 1. IH, 49; 1. V, 414; Hénoch, xlix,
1, 2, etc.; recevant de Dieu même sa puissance dont la
durée doit être éternelle. Dan., vu, 13, 14; cf. IV Esd.,
XII, 32; XIII, 26; Hénoch, lxii, 7, 14; xlix, 1 sq. ; Apo-
calypse d'Abraham, 31; Sibyllins, 1. III, 49 sq., 652;
1. V, 108; Testament, Lévi, 18; Joseph, 19; l'auteur du
livre revenu ou ressuscité. Dan., xii, 13; cf. Hénoch,
xc, 31; IV Esd., xiv, 9, 49; Apocalypse de Baruch, xni,
3 sq. ; les justes ressuscites pour la vie éternelle, les
autres pour l'opprobre éternel, Dan., xii, 2, 3; cf. Hé-
noch, xci sq. ; XXII ; li, 1 ; IV Esd., iv, 35; vu, 28, 32;
Apocalypse de Baruch, xxi, 24; xxx, 1 sq.; xxxvi, 10;
Testament, Juda, 24, 25; Zabulon, 10; Benjamin, 10;
Sibyllins, 1. IV, 180. — C'est: 3. une fomie parliculih'e
sous laquelle sont présentées ces deux vues générales
cosmologique et eschatologique, forme qui achève de
caractériser le genre dit apocalyptique par l'obscurité
voulue dont elle enveloppe les données traditionnelles
ou prophétiques du livre, avec toutefois l'intention
avouée de ne faire de ces données qu'un secret relatif
et pénétrable, à quelque époque, à l'intelligence du lec-
teur averti. Dan., xii, 4; viii, 26; et. Hénoch, i
Assomption de Moïse, i, 16 sq. ; x, 11 sq. ; ïV Esd.,
46 sq. Cette obscurité est obtenue principalement
le moyen devisions, d'extases allégoriques, de pro[
ties pseudonymiques attribuées aux anciens pen
nages de l'histoire israélite dont le nom figure dar
titre du livre. A ce point de vue, les apocalypses
cryphes ont beaucoup emprunté à celle de Daniel.
2« Daniel et les prophètes. — Le livre de Daniel
dépit de sa couleur apocalyptique si prononcée, ne
fére pas essentiellement des autres écrits prophéti
de l'Ancien Testament. Il les continue par un cei
nombre de notions traditionnelles qu'il leur doit, <
fait que développer sur une plus grande échelle la
bojique dont ils usaient déjà à l'occasion. Ainsi
épreuves cruelles que devra subir Israël de la pai
quatrième empire païen se réfèrent à Ézéchiel, xx:
16, 18, et à Joël, iv, 2, 9-14; l'idée du jugemer
Dieu contre les nations ennemies est commune
prophètes, cf. Amos, i-ii; Isaïe, x; Sophonie, i-ii;
mie, XII, 14; xxv, 15 sq.; Ézéchiel, xxv-xxxu; Jo<
9 sq. ; de même que celle du royaume Hnal, cf. Na
II, 1-3; Sophonie, m, 9 sq. ; Isaïe, lu, 7; le «
de l'homme » venant sur les nuées, s'il est bic
une personnalité distincte, non symbolique, hér
l'idéalité du « Roi b de Isaïe, ix, 5; xi, 1-5; Mich
1 sq.; Aggée, il, 21 sq.; Zach., vi, 11 sq., avec, pa
port à Michée, v, 1, le concept de la préexistence
chiel, XXXVII, 11-14, et Isaïe, xxvi, 19, avaient ei
la résurrection des morts. Avant Dan., vu, 4, 6; \
les prophètes Osée, xii, 3; Isaïe, xiv, 9; Jérémie,
xlix, 19; L, 17; Zacharie, x, 3, symbolisèrent s<
figure d'animaux féroces, lions, léopards, ou s
ment robustes, béliers, boucs, les puissances bi
du monde païen; après Ézéchiel, xvii, 22 sq.
10 sq.; XXXI, 3 sq., l'arbre vigoureux, aux br;
magnifiques, abritant les bêtes de la terre et les o
des cieux, signifie la pleine et tranquille domi
sur tous les royaumes. Dan., iv, 7. Isaïe, vi; Jéré
Ezéchiel, i, x, xi, xxxvii, xl; Zacharie, i, avai
aussi des visions allégoriques suivies de leur e
lion, et ces visions tirèrent leurs composants du
particulier où vivaient ces prophètes, comme
emprunta peut-être au mythe indo-persan des
âges du monde, les quatre métaux symboliqu
argent, airain et fer, par lesquels il figura ses
empires. Le « rocher » d'où se détache la pie
brise la statue, Dan., ii, 44, 45, n'est pas au
celui d'Isaïe, xvii, 10; xxvi, 4; xxxii, 2, après
xxxii, 4, 15, lequel représente Jahvé lui-mêmt
« montagne » que devient cette pierre, rem
toute la terre, Dan., ii, 35, paratt bien dépend
ft sainte montagne de Dieu »,.séjour divin à TH
au Sinaï, Exod., m, 1 ; iv, 27; xviii, 5; xxiv, 13
X, 33; I Reg., xix, 8, au pôle, Ézech., i, 4, à S
II, 2; Lvi, 7; Jer., xxxi, 23; Joël, iv, 17; Abd
Psaumes. La mer, d'où sortent les quatre aninn
tastiques figures des empires. Dan., vu, 3, sy
après Isaïe, xvii, 12, 13, l'ensemble des nation
rées contre Israël. La « corne », symbole de
sance, Dan., vu, 7; viii, 6, image bien orienta
a livres» produits au jugement, Dan., vu, 10, !
toutefois appartenir en propre à l'auteur du
Daniel.
Si l'on veut donc relever en quelque point
férence réelle entre les livres des prophètes
mier des livres apocalyptiques, et, en cons
serrer de plus près la définition du genre
sinon proprement inauguré, du moins arrêté
niel dans ses grandes lignes, on la trouver
que l'auteur d'apocalypse — Daniel — a une
compréhensive de l'histoire du monde que le
Ce dernier ne voit qu'une partie de cette h;
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DANIEL (LIVRE DE)
70
fulare, et, si loin que se porte son regard, il la dépeint
et l'idéalise toujours sur le canevas que lui fournissent
les circonstances sociales, politiques, religieuses de
son époque; ainsi Isaîe, xi, i-5, pour la monarchie
messianique, Ézéchiel, xl-xlviii, pour la future com-
munauté liturgique, Isaïe, XLii, 1-4; XLix, 1-6; L, 4-9;
LU, 13-Liu, 12, pour le serviteur souffrant deJahvé,ou
encore, xli, 17-20; xliii, 1-7, pour le rapatriement et
la glorification d'Israël, idéalisent le présent acceptable
ou non de la royauté davidique d'Âchaz ou d*Ézéchias,
des petits groupes fidèles des bords du fleuve Chobar,
des maux de la captivité, du retour des captifs. Daniel,
an contraire, et ses épigones : Hénoch, IV Esdras, etc.,
veulent embrasser cette histoire tout entière, et ils ne
manquent pas d'adjoindre au tableau de Tavenir qu'ils
conçoivent, du reste, de la même façon que les pro-
phètes leurs prédécesseurs, celui du passé, montrant
que les deux font, avec leurs successions multiples de
rois, d'empires, d'événements remarquables, parties
intégrantes d'un tout ordonné par Dieu et résolvant
toujours sa complexité de la manière prédéterminée
par lut. Ce n'est plus seulement une prédiction du
futur; c'est, en plus, une philosophie religieuse de
Vhistoire universelle. Ainsi Daniel voit en réalité ou en
figure, en vision ou strictement ou fictivement prophé-
tique, selon les diverses interprétations, l'histoire
d'Israël et du monde ancien depuis l'époque de Cyrus
jusqu'aux temps messianiques premiers et derniers; et
il voit briller ceux-ci à travers l'heureuse délivrance,
soit du joug romain, soit des persécutions syriennes,
continuation du joug et des persécutions babyloniennes;
mais le regard du prophète s'est d'abord porté sur
l'empire babylonien lui-même et ceux qui l'ont suivi,
empires déjà disparus ou en train de disparaître, et
par le moyen de quelques exemples bien choisis, sa
plume a marqué, pour le passé, l'oppression qu'ils ont
exercée toujours sur le peuple fidèle (jeunes gens dans
la fournaise, m; Daniel dans la fosse aux lions, vi),
comme aussi l'issue toujours favorable qu'a eue cette
oppression, grâce à la providence de Dieu qui veillait :
ainsi, dans l'angoisse ou présente ou future, l'histoire du
passé est ou sera le gage précieux de l'infaillible déli-
vrance; ces empires n'ont, du reste, pas été autrefois
sans reconnaître l'existence et la puissance du vrai Dieu
{éducation des jeunes Juifs, i ; songe de la statue, ii ;
songe de Nabuchodonosor, iv; festin de Balthasar, y),
et cette reconnaissance forcée, amenée par une mani-
f»tation du pouvoir divin, assure pour l'avenir la glo-
rification universelle de Jahvé et de son peuple, vu,
42-14,22, 27; xu, 3; enfin, l'on remonte, en réalité,
plus haut que le siècle chaldéen : les animaux fantas-
tiques, figures des empires, sont les succédanés des
monstres originels, images des puissances, soit natu-
relles, soit humaines, toujours insurgées contre le créa-
teur et le régent du monde. Job, xxxviii, 31-32; xxvi,
12-13; Is., Li, 9-10; xxx, 7; Ézech., xxix, 3-6; xxxii,
28, etc.; mais Dieu qui les a vaincus toujours, les
saura pour cela même réduire jusqu'à la fin. Dan., vu,
98q.
VI. Caractère historique. — Si le livre de Daniel
peut, pris dans son ensemble, passer pour une apoca-
lypse, il n'est pas moins vrai qu'il a, de plus, pour une
bonne partie, l'allure d'un ouvrage qui demande et
provoque même le contrôle historique. Les c. i, iii-vi,
xui et xrv contiennent des récits qui n'ont par eux-
mêmes rien d'allégorique. Ces chapitres, le songe du
c II et les visions des c. vii-xii sont encadrés de don-
nées chronologiques et dynastiques ayant rapport, soit
au royaume hébreu de Juda, i, 1-2, soit au dernier em-
pire chaldéen, ii, 1; v, 1-2, 30; vi, 28; vu, 1; viii, 1,
ioit aux empires mède, ix, 1, perse, x, 1 ; xi, 1-2, et
grec, XI, 3 sq. ; et l'explication des visions a pour objet
au mmûa partiel, comme chacun l'admet, des événe-
ments qui se réfèrent à l'histoire de quelqu'un de ces
plus récents empires.
Mais l'histoire daniélique est-elle, en substance, une
véridique histoire? La prophétie apocalyptique du livre
— s'il y eut pourtant prophétie proprement dite et non
plutôt interprétation philosophico-religieuse d'événe-
ments passés — a-t-elle son objet au sein d'une réelle
et véritable histoire? On ne peut assurément relever,
sous ce double rapport, d'erreurs formelles dans le livre
tout entier; les événements historiques annoncés au
cours des derniers chapitres et qui concernent le
développement des empires perse et gréco-macédonien
y sont même revêtus d'une exactitude surprenante;
mais il faut dii^e aussi que certaines assertions donnent
lieu, dans la première moitié du livre, à de très graves
difGcultés : ainsi de la chronologie de Dan., i, 1-2, de
la folie de Nabuchodonosor, iv, 28 sq., de la filiation
de Balthasar au c. v, du personnage de Darius le Mède,
de son accession au trône babylonien et de son règne
antérieur à celui de Cyrus, v, 30; vi, 29; ix, 1. L'exé-
gèse traditionnelle a de tout temps soupçonné ou
éprouvé quelqu'une de ces difficultés, tout en s'essayant
à les résoudre. Voir, dans l'antiquité juive et chrétienne,
Josèphe, Ant. jud,, X, xi, 2, 4; Cont. Apion., i, 20;
Origène, dans S. Jérôme, 2n Dan., P. L., t. xxv, col. 513
sq., 519, 523; S. Jean Chrysostome, In Dan., P. G.,
t. Lvi, col. 219; Théodorel, In Dan., P. G., t. lxxxi,
col. 1362 sq., 1378 sq.; S. Éphrem, Opéra syriaca,
Rome, 1740, t. ii, p. 208, 209; au xvii« siècle, les com-
mentaires de J. Maldonat, Paris, 1610, de B. Pererius,
Rome, 1587, de J. Tirin, Anvers, 1632, de Corneille de
la Pierre, Anvers, 1681. Parallèlement, en dehors du
christianisme ou de la foi romaine, quelques auteurs
contestaient l'historicité du livre. Celse (n« siècle), le
premier, dans le Discours véritable (Aé^oc àXvjÔTi;),
traita de « fable » le récit de Daniel dans la fosse aux
lions (Dan., vi, ou xiv, 27 sq.), cf. Origène, Cont. Cels.,
VII, 53, P. G., t. XI, col. 1497; Porphyre (232-305), dans
le 1. XII« des Discours contre les chrétiens (Karà /pia-
Tiavôv Xôyoi), tint pour invraisemblable le détail de
Dan., II, 46 — Nabuchodonosor c adorant » Daniel — et
pour fictif tout le livre. Cf. S. Jérôme, In Dan., P. L.,
t. XXV, col. 492, 504. Ces objections, ou plutôt ces allé-
gations étaient et demeurèrent sans portée. Au com-
mencement du xviii« siècle, A. Collins en particulier
les reprit dans Tfie scheme of literal Prophecy, Londres,
1726, p. 143. Enfin, au siècle dernier, les critiques,
étudiant de près le livre de Daniel à l'instar de tous
les livres bibliques, y relevèrent maint détail d'appa-
rence inconciliable avec l'histoire de l'époque chaldéo-
persane suffisamment connue par les monuments. Voir
auteurs et ouvrages énumérés dans Hebbelynck, De
auctoritate historica libri Danielis, Louvain, 1887,
p. 35, note 2. Les réponses n'ont fait défaut d*aucun
côté, catholique ou protestant. Cf. Hebbelynck, ibid,;
Vigoureux, Les Livres saints et la critique rationaliste,
Paris, 1890, t. iv, p. 310 sq. ; Pilloud, Daniel et le ra-
tionalisme biblique, Chambéry, 1890. Depuis une quin-
zaine d'années, les critiques ont renforcé leurs objec-
tions dans leurs commentaires et autres ouvrages, et
la tendance est aujourd'hui à trouver l'explication des
anachronismes daniéliques dans une confusion faite
par l'auteur du livre entre les traditions anciennes et
véridiques dont il put avoir connaissance.
Meinhold, 1889; Bevan, 1892; Behrmann, 1894;
Driver, Introduction, 1897; The Book of Daniel, i900;
Winckler, Altorientaliscfie Forschtingen, 2« série, ii, 1,
p. 210 sq.; m, 2, p. 433 sq. (1899, 1901); Marti, 1901,
fondent principalement leurs arguments sur une in^
terprétation plus stricte des textes lapidaires chaldéo*
persans. Le Dictionnaire de la Bible, Paris, 1897, 1. 1,
col. 1260 sq., a répondu à ces arguments tels que les
avait groupés Driver, Introduction, édit. de 1891;
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71
DANIEL (LIVRE DE)
mais des interprètes catholiques, tels que Riessler, Dos
Buch Daniel, Vienne, 1902, et le P. Lagrange, Les
prophéties messianiques de Daniel, dans la Revue
biblique, 1904, p. 494 sq., préfèrent maintenant trouver
la solution des antinomies historiques du livre de
Daniel, en dernier ressort et comme en désespoir de
cause, dans le mau\'ais état relatif du texte hébreu-ara-
méen retouché par des éditeurs ou des copistes mal
informés de l'histoire ancienne de TOrient babylonien.
Ainsi, dans Dan., i, 1-2, où les « années » du règne de
Joakim paraissent confondues, cf. II Reg., xxiv, 7;
Jer., XLVi, 2, Riessler propose de lire « le troisième
mois de Jéchonias ». Cf. II Reg., xxiv, 8-16. Dans
Dan., IV, 28 sq., où la maladie septennaire de Nabu-
chodonosor ne semble pouvoir, malgré l'allusion hypo-
thétique de Bérose, dans Josèphe, Cant. Apion., i, 20,
et la relation d'Abydène, dans Eusèbe, Prœp. evang.,
IX, 41,6, P. G.f t. XXI, col. 761, s'intercaler dans aucune
des périodes de la vie de ce roi bien connue par ailleurs.
Riessler, p. 42-44, 125-126, et Lagrange, loc.ci^, p. 500,
liraient volontiers, au lieu de Nabuchodonosor, Nabo-
nide, Annales de Nabonide, col. 2, lig. 5-^, dans
Schrader, Keilinschriftliche Bibliothek, t. m, 2, p. 130-
133, où le dernier roi de Babylone parait dépouillé
momentanément du pouvoir, enfermé 9 dans Témâ ».
II en serait de même dans Dan., v, où Balthasar est
afGrmé à plusieurs reprises c fils » et successeur de
Nabuchodonosor, contrairement à II Reg., xxv, 27;
Jer., LU, 31; Bérose, Fragment 14 (Mûller-Didot,
Fragmenta historié, grsRcorum, t. ii, p. 507 sq.), où le
successeur de Nabuchodonosor est Âmél-Mardouk
(Evilmérodach), et à la petite inscription d'Our, col. ii,
lig. 14 sq., dans Schrader, ibid., p. 97, où Belsharou-
zour (Balthasar) est fils de Nabonide. Cf. Riessler,
p. 51 sq.; Lagrange, loc, ci^,p. 500. Dans Dan., v, 30;
VI, 29; IX, 1, où un empire mède, ayant pour .chef
Darius le Mède, succède à l'empire chaldéen, ce qui se
trouverait contredire le Cylindre de Cyrus, lig. 25-36,
et les Annales de Nabonide, col. 3, lig. 18-28, cf.
Schrader, op. cit., t. m, p. 124-127, où Cyrus succède
immédiatement, Riessler, p. 53, combinant une donnée
des LXX (v, 30) avec la chronologie des contrats baby-
loniens datés du commencement du règne de Cyrus
(Schrader, KeiL BibL, t. iv, p. 261 sq.) identifie Darius
à Cambyse associé par son père au gouvernement,
tandis que le P. Lagrange opine pour Darius, fils d'Hys-
taspe, introduit dans le texte hébreu par une « série
d'altérations ». Loc. cit., p. 501-502.
VII. Auteur. — L'auteur du livre de Daniel serait,
ou bien le prophète de ce nom qui aurait vécu à Baby-
lone depuis le début du règne de Nabuchodonosor II
(605-562), sous Evilmérodach (562-560), Nériglissor (560-
556), Laborosoarchod (556), Nabonide (556-539), jusqu'à
la troisième année au moins de la prise de cette ville
par Cyrus en 539, Dan., x, 1; ou bien un Juif du parti
machabéen, écrivant vers l'année 168, sous le règne
d'Antiochus IV Épiphane.
lo La première de ces deux opinions allègue en sa
faveur, et comme les plus capables de convaincre, les
raisons suivantes : 1. le témoignage du livre lui-même:
a) ses affirmations touchant la mise par écrit des vi-
sions par le prophète qui en fut favorisé, vu, 1, voire
de tout le livre, xii, 4; l'emploi continuel de la pre-
mière personne dans les c. vii-xii, très souvent par la
formule « moi, Daniel », et, pour la première partie,
i-vi, la façon minutieuse dont les événements y sont
rapportés, ainsi que les discours : souci du détail qui
trahit, dit-on, le témoin contemporain, voir Hebbe-
lynck, De auctoritate, p. 40 sq, ; Dictionnaire de la
Bible, t I, col. 1257; — 6) t la coïncidence merveilleu-
sement exacte qui existe entre les données du livre,
données historiques, archéologiques, orientales, et ce
que nous savons sûrement d'ailleurs, » Dictionnaire
de la Bible, t. i, col. 1257-1259, et les auteurs citi
— 2. les témoignages de la tradition juive et ch
tienne : a) allusion de Zacharie (en 520-518), i, 18;
1-7, aux quatre empires décrits dans Dan., ii et >
— b) emprunts faits à Dan.,ix, 5-20, par Néhémie (v
444-432) et les lévites ses contemporains dans les prièi
Neh., I, 5-11; ix, 6-37; Hebbelynck, p. 4446; cf. po
tant Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 1259; -c) p
sence du livre dans le canon juif palestinien
Écritures que l'on dit, sur la foi du I V« livre d'Esdras, :
et du Talmud, Baba bathra, 14a, \5b, clos par Esd
(vers 400), Hebbelynck, p. 55 sq.; — d) emprunt fa
ce livre par les oracles Sibyllins, 1. III, 397, 400 (D:
VII, 7, 8, 11, 20), vers l'an 170; — e) allusion de Mat
thias, dans son discours, I Mach., ii, 59, 60, aux f
concernant Daniel et ses compagnons (Dan., m,
comme à des exemples a anciens », Hebbelynck, p
sq.; —/") conviction de Josèphe, Ant,jud.,Xy xi,7;i
fud., 1. IV, c. VI, 3; 1. VI, c. ii, 1, Hebbelynck, p. 50 !
des évangélistes, Matth., xxrv, 15; Marc, xiii, 14, I
belynck, p. 61 sq. ; des réfutateurs de Porphyre : Méi
dius, Apollinaire, Eusèbe, cf. S. Jérôme, In D
P. L., t. xxv, col. 491 sq., 580; de Théodoret, In D
VII, P. G., t. Lxxxi, col. 1411 ; de la tradition c
tienne jusqu'à nos jours. Dictionnaire de la Bible,
col. 1260.
2« L'autre opinion, qui se rattache à Porphyre,
tique d'abord ces témoignages, puis apporte ses rais
— 1. Critique. — a) La mise par écrit des vision
révélations, l'emploi de la première personne dai
récit, le rapport circonstancié des événements
choses communes dans les apocalypses et ne les
pèchent pas d'être pseudonymes, pseudépigraphes,
cryphes. — 6) La coïncidence des données du
avec nos connaissances archéologiques et histori
de l'époque chaldéo-persane est précisément suj(
caution. Bevan, p. 15-22; Driver, Introduction, p
sq. — c) Les eflbrts des apologistes à trouver da
littérature juive prémachabéenne « des traces du
de Daniel » sont jugés « désespérés », et les résu
de l'aveu de ces apologistes, n'en sont point conclu
Bevan, p. 13. Cf. Hengstenberg, Die Authenti
Daniel, 1831, p. 277; Dictionnaire de la Bible,
col. 1259. — d) Le canon des écrits prophél
n'ayant pu être clos qu'après l'exil, il est inexpli
que le livre de Daniel, s'il existait alors et devai
connu des Juifs, n'ait trouvé place que parmi les 1
graphes et n'ait pas été mentionné par Eccli., x
parmi les écrits des prophètes. Bevan, p. 11 sq.;
ver, p. 497 sq. — e) Le témoignage des oracles
lins, 1. III, doit être descendu jusque vers l'an
la référence de I Mach., ii, ne prouve pas que le
de Daniel ait existé comme tel avant l'an 168, A
thias invoquait plutôt des souvenirs traditioi
Bevan, p. 14. — f] La tradition juive postmachab
et la tradition chrétienne ne firent pas plus de
cultes à croire le livre l'œuvre du prophète 1
qu'elles n'en firent à croire les apocalypses apocr
œuvres d'Hénoch, d'Adam, de Moïse, d*Al>rahan
2. A cette critique s'ajoutent les raisons suiva
— a) Il serait surprenant que Daniel, avant la coi:
de Cyrus, ait, pour décrire les institutions chaldé(
fait usage de mots persans tels qu'il s'en trouve
les livres d'Esdras et Néhémie, d'Esther, des
niques, et de mots grecs. Driver, loc. cit., p. 5
— b) L'araméen et l'hébreu du livre sont d'é
beaucoup plus récente que le vi« siècle. Driver,
sq. — c) « Les doctrines du livre sur le Mess
anges, la résurrection, le jugement du monde, »
raissent par le ce ton général » et surtout par la
plus claire dont elles sont traitées — ce qui accus
rapport au temps de l'exil et à l'époque immé
men^ antérieure, une période- nécessaire de dévc
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73
DANIEL (LIVRE DE)
U
ment — contemporaines du livre d'Hénoch (vers 100).
— d) L'époque machabéenne, le règne d'Antiochus
Épiphane, Ântiochus lui-même et ses entreprises im-
pies et tyranniques étant visés dans les principaux
passages du livre, vu, 8 sq., 20 sq.; viii, 9-14, 23-25;
IX, 27; XI, 21-45; xii, 1, 7, 11-12, et décrits avec une
précision remarquable inconnue jusqu'alors chez les
prophètes; tout le livre lui-même, avec les consolations
et les encouragements qu*il apportait aux Juifs mal-
heureux de cette époque de trouble et d'épreuves,
venant alors à son adresse avec un à propos admirable,
on s'étonne qu'il ait été écrit à Babylone, quatre
cents ans avant Tannée où il pouvait seulement être lu
et compris utilement, et qu'il ait été c caché » ce temps
dorant au peuple juif, pour n'être publié qu'au ii* siècle.
Dan., XII, 4. Ne vaut-il pas mieux admettre qu'un écri-
vain, contemporain des Machabées, s'est mis, « par une
fiction littéraire i» propre aux auteurs d'apocalypses, c à
la place d'un personnage célèbre » dans l'antiquité
juive, de Daniel (Ezech., xiv, 14, 29; xxviii, 3), et,
groupant dans un livre d'anciens souvenirs tradition-
nels propres à inspirer confiance en la divine provi-
dence de Jahvé à l'égard des siens (Dan., i-vi), a voulu,
pour relever le courage de ses compatriotes, joindre
ces souvenirs consolants à un tableau — tracé dans le
style et la manière prophétiques — de son temps si
éprouvé? Le procédé serait identique à celui auquel
nous devons, sous le nom de Salomon, la Sagesse et
TEcdésiaste. Driver, op. cit., p. 508 sq.; Turmel, Étude
sttr le livre de Daniel, Paris, 1902, p. 27 sq.
VIIL Enseignements doctrinaux. — /. dieu. — La
plupart des attributs divins sont affirmés ou enseignés
dans le livre de Daniel, et Dieu y reçoit des noms
variés et appropriés à ses attributs : Il est le Dieu
éternel et immuable, rv, 3, 3i; vi, 26; le « Dieu vivant »,
r < ancien des jours t, vu, 9, 13, 32, qui c subsiste à
toujours 9 ; le Dieu provident qui soutient et gouverne
à son gré le monde, qui a tout « dans sa main », iv,
17, 35; V. 23; vi, 27, et que l'on nomme pour cela le
Très-Haut, le Dieu suprême, le Seigneur des cieux, v,
18, 23; le Dieu sage et omniscient qui « connaît ce qui
est dans les ténèbres, profond et caché », ii, 20 sq.; le
Dieu fort, omnipotent, qui « délivre et qui sauve », ih
21 ; m, 17, 29, qui fait des « signes et des prodiges »,
rv, 2, 3; vi, 27; le Dieu saint et juste, iv, 37; ix, 7, 14,
bon et miséricordieux, ix, 5, 9, fidèle à sa parole, ix,
12. Sa transcendance y est surtout marquée : Dieu est
au-dessus du monde créé et non compris en lui, puis-
qu'il est le t Dieu du ciel » et le « Dieu des dieux »,
u, 19, 28, 37, 44, 45, 47, le « prince de l'armée » (des
cieux et de la terre, Gen., ii, 1), le « prince des
princes », vin, 11, 25, et puisque cessant de gouverner
immédiatement le monde et d'opérer directement par
lui-même le salut de son peuple, il se remet de ces
deux fonctions à des intermédiaires : anges, rv, 13 sq.,
31; VI, 22; x, 13, 21; xii, 1 ; fils de l'homme, vu, 13-
14; vra, 15-16; x, 5, 13, 20-21 ; xii, 6 sq.
//. ASGES. — L'angélologie du livre de Daniel n'est
aucunement due à Tinfluence persane; car, outre qu^une
influence de cette sorte sur l'Ancien Testament n'est
pas prouvée, chacun des points de la doctrine du livre
sur les anges a son précurseur dans quelque écrit
biblique plus ancien. Ici, les anges ont leur personna-
lité distîncte affirmée par des noms propres, viii, 16;
IX, 21; X, 13, 21; xii, 1; leur résidence habituelle est
Je c ciel », où ils forment assemblée autour du Très-
Haut, IV, 13, 17; cf. Job, i, 6; xv, 8; Jer., xxiii, 18;
Ps. Lxxxix, 8; ils sont hiérarchisés, ils ont des « chefs »,
X, 13; XII, 1 (cf. Jos., V, 13-15; Zach., i, 8 sq.; m, 1 sq.);
leurs fonctions consistent à gouverner le monde sous
la direction divine, et à exécuter les ordres de Dieu en
messagers fidèles, ix, 21-23, ou en serviteurs obéissants,
«111, 16 sq.; nombre d'entre eux sont anges gardiens des
peuples païens, x, 13, 20, et d'Israël, x, 21; xii, 1,
combattant pour eux et les défendant. Cf. Jud., v, 20;
Is., XXIV, 21; Exod., xiv, 19; Num., xx, 16.
///. MESSIE. — Suivant l'interprétation traditionnelle,
sa nature divine et sa préexistence sont marquées par
sa « venue sur les nuées du ciel », vu, 13; cf. Exod.,
XL, 34; Is., XIV, 1, 4, etc., et sa mission divine par son
caractère de « oint », à l'instar des rois, des prêtres et
des prophètes, ix, 26. L'objet de cette mission se définit
par la rémission des péchés, la justification, la fonda-
tion de l'Église (onction du saint des saints), ix, 24, et
la manière dont elle sera réalisée est indiquée dans la
mort du Christ ou oint, ix, 26. L'époque de la réalisa-
tion est fixée, ix, 24-27. Le Messie est le chef du royaume
de Dieu, vu, 14.
IV. ESCHATOLOGIE. — Interprétation traditionnelle. —
1« Antéchii^t. — Sa personne : un roi, vii, 20, 24; xi,
21; son caractère : orgueilleux, impie, vu, 20, 25; xi,
28, 30, 32, 36, pourtant idolâtre, xi, 38; son œuvre :
persécution des saints, des justes, vu, 21, 25; xi, 33;
séduction des faibles, des apostats, xi, 30, 32 ; destruc-
tion du culte sacré, profanation du sanctuaire, xi, 31 ;
sa ruine finale, au jugement, vu, 26; xi, 45. — 2° Juge-
ment. — Présidé par Dieu lui-même, vu, 9; instruit
par des « juges o (?), vii, 10; rendu sur toutes les na-
tions, VII, 11-12. — 3« Second avènement du Christ
« sur les nuées du ciel », vii, 13-14. — 4» Résurrection
des morts, bons et méchants, xn, 2, et séparation des
uns et des autres. — 5*» Vie éternelle et récompense des
fidèles et des c docteurs en justice » par la lumière
céleste, xii, 2-3; damnation et châtiment des pervers
par la honte et l'opprobre éternels, xii, 2.
IX. Commentateurs. — 1<» Anciens. — 1. Dans Van-
tiquité chrétienne (iii«-vin« siècles). — Grecs : S.Hippo-
lyte (Rome vers 202-204), fragments, Hippolylus Werke,
t. I, Exegetische SchHften, édit. Bonwetsch et Âchelis,
Leipzig, 1897; cf. P. G., t. x, col. 638-700; S. Jean
Chrysostome (?), P. G., t. lvi, col. 193 sq.; Polychro-
nius d'Apaméc (v« siècle), fragments dans A. Mai, Scri-
ptor. vet, nova collectio, Rome, 1825, t. i b, p. 137 sq.;
Théodoret de Cyr (v« siècle), Commentarius (vizà-
{iyT)pia) in visiones Daniel, P. G., t. lxxxi, col. 1256-
1549; Ammonius d'Alexandrie (m? v» siècle), frag-
ments dans A. Mai, op. cit., 1. 1 b, p. 212 sq.; cf. P. G.,
t. Lxxxv, col. 1364-1381. — Syrien : S. Éphrem, Ex-
positio in Daniel, dans Opéra oninia syriaca, Rome,
1740, t. Il, p. 203-233. — Latin : S. Jérôme, Comnien-
tarioruni in Danielem liber unus, P. L., t. xxv,
col. 513-610. — 2. Au moyen âge (ixe-xv« siècles),
Walafrid Strabon (ix« siècle) emprunte au commen-
taire de saint Jérôme sa Glossa ordinaria sur Daniel ;
Albert le Grand (xiii« siècle), Expositio in Dan., dans
Opéra, Lyon, 1658, t. viii; Nicolas de Lyre (xiv« siècle),
Postillœ pet^etusB sive prœvia commentaria in uni-
versa Biblia, Rome, 1471-1472; Thomas Vallensis
(xv« siècle), Expositio aurea in Danielem prophetam,
dans S. Thomœ Aquinatis opéra, Paris, 1660, t. xix,
p. 5-57; Paul de Sainte- Marie de Burgos (xv* siècle),
Addiliones aux Postillm de Nicolas de Lyre, dans
Biblia sacra cum Glossa ordinaria, Venise, 1603. —
Commentateurs juifs : Saadia (x« siècle), copie frag-
mentaire à la Bodléienne ; Y. Ibn Ali (vers 1000), arabe,
édit. et Irad. Margoliouth, Oxford; Raschi (xi« siècle);
Aben-Ezra (xii« siècle); Abarbanel (xv» siècle).
2« Modernes. — A partir du xvi« siècle : J. Maldonat,
Comm. in Jer., Bar., Ezech., Danielem, Paris, 1610;
H. Pinto, In divinum vatem Danielem commentarii,
Coïmbre, 1582; B. Pererius, Commentaria in Danie-
lem, Rome, 1587; G. Sanctius, Comm. in Dan. pro-
phetam, Lyon, 1612; Corneille de la Pierre, Comm,
in IV prophe tas majores, An\eTS,iQ^; J. Tirin, Comm.
in sacram Script., Lyon, 1678, t. ni; Didacus de Celada,
Commentanus litteralisetmoralis in Susannam Danie-
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
licam, Lyon, 1656.— Protestants, auxxvi» elxvii» siècles :
Luther (1530), Œcolampade (1530), Mélanchlhon (1543),
Calvin (1563), Draconites(1544), Strigel (1565), Wigand
(1571), Polycarpe Leyser (1609), Martin Gezer (1667),
Hugo Grolius (1664), Ballhasar Bekker (1688). — Aug.
Calmet, Commentaire littéral, 2« édit., Paris, 1726,
t. VI, p. 689-691 ; L. de Carrières, Traduction française
de la Bible avec un comtiientaire littérul, Paris, 1701-
1716, dans Sainte Bible et les commentai9^s de Jean
Ménochius {xyw siècle, Paris, 1847, t. jv).
3*> Contemporains. — 1. Catholiques. — Dereser,
Die Prophelen Ezechiel und Daniel ùbei'setzt und er-
klàrt, Francfort-sur-le-Mein, 1810; 2« édit., Scholz,
1835; Allioli, Die heilige Schrift, Nuremberg, 1834,
t. IV ; G. Palmer, Commentatio in librum Danielis pro-
phètes, Rome, 1874; Rohling, Das Buch des Propheten
Daniel, Mayence, 1876; Trochon, Daniel, Paris, 1882;
J. Fabre d*£nvieu, Le livre du prophète Doniei, 2 in-8«,
Paris, 1889-1891 ; Knabenbauer, Commentainus in Da-
nielem prophetam, Paris, 1891 ; Fr. S. Tiefenlhal, Da-
niel explicatus, Paderbom, 1895; Riessler, Das Buch
Daniel er klàrt. Vienne, 1902. — 2. Protestants. — Ha-
renberg, Aufklârung des Bûches Daniel, Quedlinbourg,
1773; Zeise, Ubersetzung und Erklâfmng des Bûches
Daniel, Dresde, 1777 ; Bertholdt, Daniel nbersetzt und
erklàrt, Erlangen, 1806, 1808; Hâvernick, Commentar
ûberdas Buch Daniel, Hambourg, 1832; RosenmuUer,
iScholia in Vel. Test., part. X, Leipzig, 1832; Von Len-
gerke, Das Buch Daniel, Kœnigsberg, 1835; Hitzig,
/>(W Buch Daniel, Leipzig, 1850; M. Stuart, Comment
tary on the book o( Daniel, Boston, 1850; Pusey,
Daniel the Prophet, Oxford, 1865 ; Desprez, Daniel or
the Apocalypse of the Old Testament, Londres, 1865;
FûUer, Der Prophet Daniel, Bâle, 1868; Ewald, Die
Propheten desAlten Bundes, Stuttgart, 1841-1868, t. ni;
Kliefoth, Das Buch Daniels ûbenetzt und erklàrt,
Schwerin, 1868 ; Kranichfeld, Das Buch Daniel erklàrt,
Berlin, 1868; Keil, Biblischer Commentar uheii* den
Proph. Daniel, Leipzig, 1869; Zôckler, Der Prophet
Daniel, Leipzig, 1870; Fuller, Daniel, dans Holy Bible,
Londres, 1882, t. vi; Meinhold, Daniel, dans Commen-
tar de Strack et Zôckler, Munich, 1889, t. vin; Bevan,
.4 short commentai*y on the Book of Daniel, Cam-
bridge, 1892; Behrmann, Das Buch Dania/, Gœttingue,
1894; Ferrar, The book of Daniel, 1895; Prince, il cri-
tical commentary on the Book of Daniel, Leipzig,
1899; Driver, The Book of Daniel, Cambridge, 1900;
Marti, Das Buch Daniel erklàrt, Tubingue, 1901;
G. Jahn, Das Buch Daniel nach der LXX hergestellt,
nbersetzt und kritisch erklàrt, Leipzig, 1904; C. H. H.
Weigh, Daniel and its critics, critical and gramma-
tical commentary, Londres, 1906.
F. Vigoureux, Manuel biblique, 12' édit, Paris, 1906, t. u»
p. 758-782 ; E. Philippe, dans le Dictionnaire de la Bible, t. ii,
col. 1247-1283; R. Cornely, Introductio apecialis, Paris, 1887,
t. II, 2, p. 466-517; J. Fabre d'Envieu, Le livre du prophète
Daniel, Paris, 1888, t. i, Introdution critique; E. B. Pusey,
Daniel, the prophet, nine Lectures, Londres, 1869; S. R. Driver,
Einleitung in die Literatur des alten Testaments, trad. Rotli-
stein, Berlin, 1896, p. 525-552; G. Wildeboer, Die Literatur des
A. r., 2» édit., Gœttingue. 1905, p. 435-444; C. H. Comm, Einlei-
tung in das A. T., 3' et 4' édit., Friboui-g-en-Brisgau et Leipzig,
1896, p. 210-216; H. L. SU-ack, EinleUung in das A. T., 6* édit.,
Munich, 1906, p. 158-161; C. H. H. Wright, Daniel and his pro-
phecies, Londres, 1906; L. Gautier, Introduction à l'A. T., Lau-
sanne, 1906, t. II, p. 260-305; Kirchenlexikon, t. m, col. 1366-
1375; ReaUmcyclopàdie, t. iv, p. 445-457; Encyclopœdia
biblica de Cheyne, Londres, 1899, t. i, col. 1002-1015; A Dictio-
nary of the Bible de Hastings, Edimbourg, 1898, 1. 1, p. 551-567.
L. Bigot.
II. DANIEL (Les soixante-dix semaines du prophète).
— Cette prophétie des « semaines » suit. Dan., ix, 24-
27, la prière où tout en implorant la divine merci pour
Jérusalem détruite et pour son peuple captif, le voyant
de Babylone a établi qu'Israël avait gravement oflensé
Dieu, 5, 7-8, 11-13, 15; qu*il avait toujours méprisé
remontrances de ses prophètes, 6, 9, 10, 14, et que pi
cette raison il se trouvait présentement puni par l
clavage et la ruine de son temple, 16-19. Elle répon
cette prière tripartite par la triple promesse du a j
don du péché » inaugurant le règne de la « jus
étemelle », du « scel de la vision et du prophète r>
V a onction du saint des saints », 24. Elle parait coi
mer aussi une intuition du voyant sur « les soixante
ans » de la captivité alors près de leur fin, 2; par la
tion d'un délai de a soixante-dix semaines » pour
complissement de cette promesse, 24. Elle divise e
ce délai en périodes de longueur très inégale, marq
chacune par un ou plusieurs événements capitaux,
27. Selon que l'on ponctue différemment, dans le 1
hébreu, le milieu du f. 25, ces périodes sont au nor
de deux ou de trois. De deux — soixante-neuf sems
(« sept et soixante-deux ») et « une semaine » : soixi
neuf jusqu'à l'avènement, ou l'apparition sur la s
de l'histoire, d'un « Oint-prince » ensuite « exter
après les soixante-deux semaines m ; une qui voit
complir d'autres événements importants, d'un c
tère plus général, en rapport avec la destinée du
mosaïque et du peuple juif lui-même : division ind
par les versions de Théodotion et de saint Jérôm
trois — sept, soixante-deux, et une semaines : sept,
lesquelles apparaît 1* « Oint-prince » ; soixante-
au cours desquelles Jérusalem se trouve <r rebâti(
« après » lesquelles .un « Oint est exterminé »
enfin, la dernière, déjà définie : division marque
le texte hébreu massorétique. Il convient d'ob
pourtant que ce texte peut encore, au début du
s'interpréter soit d'un seul sujet : < un prim
vient » ou «c son armée » (26), si]get agissant dam
la série des événements rapportés à la dernière sei
soit aussi de l' « oint exterminé » du f. 26, sujei
partie d'entre eux, de ceux qui concernent 1' a ail
et le « sacrifice » mosaïques.
Nous laissons de côté l'interprétation de cet
phétie que Ton appelle eschatologique, parce c
fauteurs appliquèrent la chronologie des versel
à une période historique qui devait, ou qui doit
encore, se terminer à la fin du monde. Quelque
particulière qu'elle ait revêtue, cette interprétât!
ou est inadmissible, parce que invérifiée ou arl
Ainsi l'exégèse d'Apollinaire de Laodicée, dai
Jérôme, Comm. in Dan., P. L., t. xxv, c
d'Hésychius, dans saint Augustin, Epist., es
cxcviii, 5, P. L., t. xxxiii, col. 899, 903, com
soixante-dix semaines à partir de la naissance d
et plaçait la fin des temps vers Tan 490 de n
Ainsi Ammonius d'Alexandrie, dans Mai, Scrip
nova collectio, t. i, Calena in Danielem, p.
P. G., t. Lxxxv, col. 1377; S. Irénée, Cont. hi
c. xxv, n. 4, P. G., t. vu, col. 1191 ; S. Hippolyte,
IV, 34, Bonwetsch, Hippolytus, dans Die grie
Chris tlichen Schrifsteller, Leipzig, 1897, 1. 1, p.
In Dan. et Antichristo, 43, Achelis, Hippolyt
1. 1, p. 27; Jules Africain (selon Apollinaire),
rôme, loc. dt., col. 848; le pseudo-Cyprien, D
computus, 13, 14, dans (t. Hartel, Cypriani o
nia (Corpus scinptorum ecclesia^ticoi^wn» lai
Vienne, 1871, t. me, p. 261-262; Viclorin d
Scholia in Apocalypsin, P. L.,X. v, col. 339; î
In Matth., P. L., t. ix, col. 1(^4; S. Ambroi
sitio Evang. sec. Lucam, P. L., t. xv,
détachèrent, contrairement aux exigences di
dernière semaine des soixante-neuf finissant
du Christ, pour la reporter à ceux de 1'^
Enfin, parmi les théologiens et critiques ]
modernes, Kliefoth, Das Buch Daniels, Schw
et Keil, Comm. ûber den Proph. Daniel
I, étendirent jusqu'à la fin du monde a
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77
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
78
période de semaines, idéalisant celles-ci en périodes
indéterminées, ou les tenant pour des périodes jubi-
laires de cinquante années.
Noos écartons également de notre route les opinions
aussi peu justifiées d'Origène, In Matth., comment,
séries, 40, P. G., t. xiii, col. 1656, qui estime chaque
t semaine » équivaloir à 70 ans; de Jules Africain, cité
p«r Eusébe de Césarée, Eclogœ propheticœ, l. III,
c. XLVi, P. G., t. XXII, col. 1177, lequel auteur donne à
la soixante-dixième semaine la valeur de 70 ans et la
place entre l'ascension du Christ et la mort de l'apôtre
Jean: de Bruno d'Asti, Homil., cxii, P. L., t. clxv,
col. 832, qui vit dans la première septaine des semaines
de jours et reporta au temps de l'Antéchrist, comme
les eschatologues, la dernière semaine ; du quidam sa-
pientissimus Judœorum, que l'auteur anonyme du
Tractatus contra Judœum, P. L., t. ccxiii, col. 785-
786, assure avoir compté 49 ans pour chaque semaine;
de J. K. Hofmann, Die 70 Jahre des Jet^em, und des
Dan., Nôrdiingen, 1836; de C. Wieseler, Die 10 Wo-
chen des Proph. Dan., 1839, et de Franz Delitzsch,
Realencyclopàdie de Herzog, édit. 1878, t. m, p. 477,
qui intervertissent les séries : 62 + 1 + 7.
Les « semaines > du prophète Daniel doivent être
tenues, d'après la logique du texte et selon la plupart
des interprètes, pour des semaines d'années. Voir spé-
dalement Hebbelynck, De aucloritate historica tib.
Dan., Louvain, 1887, Appendix, Interpretatio vaticinii
de LXX hebdamadis, p. 320 sq.; Knabenbauer, Comm,
in Dan. proph., Paris, 1891, p. 231; Bevan, A short
comm. on thebookof Dan,, Cambridge, 1892, p. 141 sq.
Pour les mêmes raisons, les promesses du ^.24 s'iden-
tifient aux biens messianiques; cette identification
s'impose aussi comme résultant de la comparaison de
ce verset avec d'autres prophéties incontestablement
messianiqnes. Cf. Hebbelynck, ibid., p. 328, 340 sq. ;
Knabenbaaer, ibid., p. 2S^ sq. On ne discute que la
question du moment précis de l'histoire d'Israël où,
dans le sens premier et direct de la prophétie, ces biens
doivent se réaliser. Ici, deux interprétations. L'une tra-
ditionnelle et unanime, ou peu s'en faut, dans l'Église
catholique : les biens messianiques seront apportés par
Jésus-Christ venu à peu près exactement et mis à
mort vers la fin des soixante-neuf premières semaines
(II). L'autre, très ancienne aussi, sinon la plus an-
cienne, et critique : Toracle daniélique situe la réali-
sation des biens à l'issue de la persécution exercée, au
milieu du ii* siècle avant notre ère, contre les Juifs
restés fidèles à la religion et aux coutumes de leurs
ancêtres, par Antiochus Épiphane (III). A condition
d*être entendue au sens spirituel et typique, cette inter-
prétation demeure messianique et n'infirme nullement
la preuve théologique de la divine mission du Christ
que l'apologétique chrétienne et catholique a de tout
temps instituée d'après cette prophétie, preuve dont
nous voulons d'abord (I) retracer l'histoire.
I. Histoire théologique de la prophétie des lxx se-
■AiTiES. — 1» Lantiquité chrétienne appliqua de bonne
heure au Christ et à l'instant de sa venue l'oracle divin
communiqué au prophète par l'ange Gabriel. Elle en fit
un usage heureux et constant dans ses œuvres, soit de
pure édification, soit de controverse juive et païenne.
A la fin du ii* siècle. Clément d'Alexandrie, Stront., i,
21, P. G., t. viii, col. 853, s'occupant de philosophie
religieuse et non de polémique, et voulant néanmoins
montrer l'accord de l'histoire biblique et de l'histoire
pro&ne, assure que l'oracle de Daniel « s'est accompli
tel que l'avait énoncé le prophète » : « le Christ notre
Seigneur est venu dans les soixante-deux semaines,
oignant la chair » en sa personne « de l'Esprit de son
Père ». La même doctrine est affirmée avec une inten-
tion directement apologétique par TertuUien, Adv.
Judxos, c. VIII, P. L., t. II, col. 612^6. Saint Hippolyte,
In Dan., iv, 32, fionwetsch, Hippolytus, t. i, p. 270,
compare la loi nouvelle inaugurée par le Christ à la
loi ancienne ou « première » donnée par Moïse aux
enfants d'Israël : celle-ci fut promulguée « après 434 ans »
de servitude égyptienne; «t pour que le peuple pût
attendre celle-là et les croyants la reconnaître aisé-
ment, il fut nécessaire qu'elle s'établit après le même
laps de temps » (soixante-deux semaines d'années)
faisant suite à la captivité de Babylone. Avant de com-
puter les semaines, Jules Africain, Chronographia, xv,
P. G., t. X, col. 80-81, harmonisant l'histoire judéo-
chrétienne et les traditions des peuples païens, observe
que a ces choses sont dites de l'apparition du Christ
qui doit se manifester clairement après soixante-dix
semaines »; ces choses sont les biens messianiques
énumérés au t* 24 et « qui n'existèrent point avant
qu'apparut notre Sauveur ». Origène, énumérant les
prophéties accomplies en la personne de Jésus-Christ,
n'oublie pas que « selon Daniel, soixante-dix semaines
se sont écoulées jusqu'au Christ », De pHncipiis, iv,
n. 5, P. G., t. XI, col. 349, « venu pour bâtir » son
Église. Jn Matth. comment, séries, 40, P. G., t. xiii,
col. 1656-1658. Bien que l'auteur du De pascha corn-
putus, n. 18, loc. cit., p. 265, ne se fât proposé d'autre
but que de fixer, ou mieux de rectifier, le canon pascal
par de nouveaux calculs fondés sur la chronologie
biblique, il marqua néanmoins que, « une fois complets
les 434 ans contenus dans les soixante-deux semaines,
il fallut que le Christ naquit selon la chair, a Eusèbe
de Césarée a « établi la vérité en ce qui concerne la
venue du Christ » par l'application d'à une prophétie
réalisée lors de l'apparition de notre Sauveur Jésus-
Christ y> : ce que le « livre de Daniel » a annoncé
c après avoir très clairement fixé le nombre exact des
semaines qui devaient s'écouler jusqu'au Christ roi...
s'est manifestement réalisé lors de la naissance de
notre Sauveur ». H. E., l. I, c. vi, P. G., t. xx, col. 89.
Cf. Eclog. proph., 1. III, c. xlvi, P. G., t. xxii,
col. 1184; Demonstr. evang., 1. VllI, c. ii, P. G., ibid.,
col. 601 sq. Dans son Discours de Vincamation du
Verbe, P. G., t. xxv, col. 165, saint Athanase, pour
convaincre les Juifs de la venue du Messie, cite la pro-
phétie des semaines, et argue : Jérusalem ne subsiste
plus, la prophétie juive est désormais muette; or, selon
Daniel, ce dut arriver avant l'apparition du Messie;
celui-ci est donc maintenant venu. Saint Cyrille de
Jérusalem cherche à prouver aussi par la prophétie
des semaines que le Messie est venu, Cat., xii, 19,
P. G., t. xxxiii, col. 748 : « 483 ans se passent..., vient
le chef étranger, au temps duquel est né le Christ. »
Au 1. II de son Histotnca sacra {Chronicorum libri
duo), P. L., t. XX, col. 132, Sulpice Sévère'relève « les
visions » de Daniel qui nous ont « révélé l'ordre des
siècles futurs, ont embrassé le nombre des années au
cours duquel le Christ devait descendre sur la terre,
ce qui eut lieu en effet. »
Dans son 5« Discours contre les Juifs, n. 7, P. G.,
t. XLvni, col. 593, sq., saint Jean Chrysostome a fait
usage de la prophétie des semaines surtout pour établir
que Jérusalem ne serait jamais plus rebâtie; mais
In Matth., homil. iv, n. 2, P. G., t. lvii, col. 42, il a
parlé de « celui que le prophète Daniel avait annoncé
devoir venir au monde après ces semaines si fameuses,
au nombre précis... : que l'on compte, en eflet, les
années écoulées depuis le rétablissement de Jérusalem
jusqu'à Jésus-Christ, et l'on trouvera que leur nombre
concorde exactement avec le nombre révélé par l'ange à
Daniel ». Répondant à l'évéque de Salone, Hésychius, qui
l'interrogeaitsurlaportéedes «semaines du bienheureux
Daniel », Epist., cxcviii, 7, P. L., t. xxxiii, col. 904 sq.,
saint Augustin, Epist., cxcix, 20, 21, col. 911-912, in-
voque le a sentiment de tant de commentateurs... qui
démontrent, non seulement par le calcul des temps.
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
^
mais encore par les événements mêmes... que la pro-
phétie a trouvé son accomplissement dans le premier
avènement du Seigneur », et il conclut : « On ne doit
pas attendre Vaccompllssement de cette prophétie de
Daniel comme si on ne croyait pas qu'elle fût alors
accomplie. )» Contemporain de l'évéque d'Hippone,
l'auteur du De promUsionibus et praBdictionibtis Dei,
part. II, c. XXXV, P. L., t. li, col. 811, « n'attend plus »
cet accomplissement : « l'erreur des Juifs est ainsi
confondue. )> Selon Maxime de Turin, Se9*m., xxi, P. L,,
t. Lvii, col. 573, Daniel, « prophète manifeste de la
ruine de Jérusalem, » ne fut pas moins « conscient de
la venue du Christ ; » et pour clore cette liste des té-
moignages des Pères proprement dits, saint Isidore de
Séville revient plusieurs fois sur cette idée que, dans
l'oracle des semaines, le Christ a nous est montré à
sa naissance et à sa mort. » De fide cathol., 1. I, c. v,
n. 6-8, P, L., t. LXXXiH, col. 461-462. Cf. 1. I, c. xliv,
n. 4; 1. II, c. X, n. 4, col. 489, 516.
2« Les écrivains du moyen âge, chronographes,
commentateurs, apologistes surtout, engagés dans la
controverse juive, laquelle, de siècle en siècle, devient
de plus en plus ardente, utilisent cette même prophétie
en preuve de la mission divine du Christ. Au vii« siè-
cle, l'auteur du Chronicon paschale, Olymp. lxx, P. G.,
t. xcii, col. 392, introduit le texte. Dan., ix, 25 : « Sache
donc... 70 semaines, etc., » par ces mots : c Ainsi
parle Daniel prophétisant à Babylone, lui qui fut jugé
digne de prédire touchant le Seigneur Christ. » L'au-
teur anonyme des Quststiones theologicœ et philosophi-
ez, interrog. xlv-xlvi, P. G., t. xxxviii, col. 916, met
en relief la prophétie dans les termes suivants : « Que
si les anges ignorent l'avenir, comment Gabriel an-
nonce-t-il la naissance du Christ après 483 ans...? »
Les Juifs prétendaient que le Messie devait apparaître
au sixième âge du monde (on était alors au cinquième),
Julien de Tolède leur répond : « Veuillez compter les
semaines, et vous verrez que la naissance, la mort du
Christ... se sont trouvées accomplies dans leur cours,
ainsi que l'avait prédit le prophète. » De compvobatione
F/» œtatis contra Judœos, P. L., t. xcvi, col. 538.
Bède le Vénérable, De temporum ratione, c. ix, P. L.,
t. xc, col. 334, écrit : le j^. 24 « désigne l'incarnation
du Christ... ce qu'insinuent les 70 semaines distribuées
par septaines d'années en 490 ans. » La Disputatio
cuiversus Judœos du faux Anastase le Sinaîte, P. G.,
t. Lxxxix, col. 1240, objurgue les adversaires : « Prouvez-
nous donc sur l'heure quel Christ est venu (sinon le
nôtre) ...après les 70 semaines, c'est-à-dire après 490
ans à partir de Daniel... y> George le Syncelle afQrme
avec la tradition que « Daniel eut des visions au temps
de Darius le Mède, et connut l'époque de l'apparition
du Seigneur. » Chronologie, édit. G. Dindorf, Bonn,
1829, p. 439. Cf. aussi G. llamartolos, Chronique abré-
gée, II, 91, P. G., t. ex, col. 325; Amolon, évêque de Lyon,
Epislola contra Judœos ad Caroluni regeni, P. L.,
t. cxvi, col. 150. Paschase Radbert, Expositio in Mallh.,
P. L., t. cxx, col. 806, dit : « C'est au premier avènement
du Christ qu'il faut rapporter la prophétie de Daniel,
au moment où le nombre des semaines s'est trouvé
accompli... » Cf. aussi Adon, évêque de Vienne, Chro-
nique, P. L., t. cxxiii, col. 50, 52, 72; le Liber de com-
puto, P,L., t. cxxix, col. 1301; Théodose de Mélitène,
Chronique, dans Mofiumenta sœcularia, Munich, 1859,
t. m, p. 39; Fulbert de Chartres, Tractatus contra
Judœos, P. L., t. CXLI, col. dOô; Pierre Damien, Anti-
logus contint Judœos, c. i, ii, P. L., t. cxlv, col. 46, 54.
Un Juif converti, R. Samuel du Maroc, De adventu
Messiœ, c. viii, P. L., t. cxlix, col. 344, croit « accom-
pli ce dont écrivit Daniel...; ne voit aucune échappa-
toire possible à sa prophétie...; les 62 semaines qui
font 434 ans sont écoulées : le Christ est venu ». Cf.
aussi Euthyme Zigfabène, Panoplia dogmatica, t. viii,
P. G., t. cxxx, col. 285. Au xw siècle particulièremeii
la prophétie des semaines fournit de longs développ
ments à la controverse juive : on utilise, comme, (
reste, le firent les précédents à partir de la Ghssa a
dinai*ia de Walafrid Strabon (ix* siècle), les premie
Pères : Tertullien, Jules Africain, Eusèbe, puis Bè
le Vénérable. Il suffira de mentionner le juif espagr
baptisé sous les noms de Pierre Alphonse, Dialog
(entre juif et chrétien), dans If oxi ni. biblioth, Patni
t. XXI, p. 172; Pierre Maurice, Tractatus adv. Judœi
inveteratamduriliem,c.i\y P.L., t.CLXXXii,col.563s
Guillaume de Champeaux, Dialogus intei* christ.
Jud. de fide calholica, P. L., t. clxiii, col. 10;
Pierre de Blois, Tractatus cont. perfidiam Judœofnt
c. xiii, P. L., t. Gcvii, col. 842; le Tractatus contra,
dœum, P. L., t. ccxiii, col. 785 sq. ; AValler de C
tellione, Tractatus contra Judœos, 1. I, n. 10, P.
t. ccix, col. 433 sq.; et, parallèlement, les chroi
graphes : George Cédrène, P. G., t. cxxi, col. 285 s
Jean Zonaras, P. G., t. cxxxiv, col. 249 sq. ; les hii
riens : Ordéric Vital, P. L., t. clxxxviii, col. 22 s
Pierre le Mangeur, P. L,, t. cxcviii, col. 1459;
glossateurs ou commentateurs : Anselme de Ls
Glossa interlinearin ; Rupert de Deutz, P.
t. CLVii, col. 1517; Hugues de Saint-Cher (xm* siè<
Opéra, Venise, 1703, t. v, p. 159; Albert le Gi
(xiii« siècle), Opsra, Lyon, 1651, t. viii, p. 25 sq. ;
prédicateurs : Brunon d'Asti, Homil., cxn, P.
t. CXLV, col. 832; Martin de Léon (xiii» siècle). Si
IV, in natale Domini, P.L., t. ccviii, col. 125; 1'^
vain Honoré d'Autun, De imagine nmndi, P.
t. CLXXii, col. 151. Au milieu du xiii* siècle, Rayn
Martin rajeunit la preuve tirée des prophéties en fa
de la divinité de la mission du Christ par l'emplo
traditions rabbiniques. Pugio fidei adv. Mauros ei
dœos, édit. Carpzov, Francfort, 1687, part. II, c
Probatio sunipta ex hebdomadibus Danielis,
Messicajani venit. H cite nostras glossas pour le:
teurs chrétiens, et, pour les Juifs, les calculs di
mud, Tha 'anîth, iv. Ces derniers ont eux<^méme
connu que « le sacrifice avait cessé une fois pour t
et que les 70 semaines s'étaient accomplies ava
destruction du Temple de Jérusalem » ; ils ont
reconnu implicitement la venue du Messie. N'c
pas, du reste, fait naître leur Messie lors de la
de la ville sainte? Talmud, Berachoth, ii. La com
tion des semaines de R. Martin suit en partie ce!
Seder Olam (chronologie), attribué à Rabbi
(ip siècle après Jésus-Christ), à laquelle les rabbi
moyen âge reconnaissaient la plus grande aui
Nicolas de Lyre (xni*-xiv« siècle) dans ses Pc
Paul de Sainte-Marie de Burgos (xn*«-x\'« siècle) da
Additiones, Matthias Doring (xv« siècle) dans ses
cœ, voir Biblia saci'a cuni glossa ordinaria, \
1603, exploitent ou acceptent les mêmes arguni<
trahissent la même dépendance à l'égard de la
nologie juive et rabbinique. Cf. aussi Thomas AVa
(xiv«-xv« siècle), Expositio in Dan., dans S. 7
Aquin. Opéra, Paris, 1660, t. xix, p. 5-57; Jéro
Sainte-Foi (Juif converti, xv« siècle), Tractatus
Judœor. perfidiam et Talmuth, dans McLxinia
Patrum, t. xxvi, p. 528-555; Denys le Cha
{x\* siècle), Enarratio in Dan. prophetani, dans
omnia, Mon treuil, 1900, t. x, p. 130 sq. Sans pi
pation talmudique, les Grecs : Andronic de Con
nople (xiv« siècle), Dialogus contra Judseos,
P. G., t. cxxxiii, col. 861-862; Jean Ganta
(xive siècle), Apologia contra Mahumetuni,
t. CLiv, col. 392.
3o Du jrv/« siècle à nos jours, l'apologétique
encore quelques lances en faveur de la messia
l'oracle des semaines et contre les Juifs taloii
Cf. Pierre Galatin (Galatinus), juif converti, De *
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81
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
82
ctUholicm veritatU, 1. IV, c. xiv sq. (1518), où les rab-
bins, tout en rapportant les 70 semaines à la durée du
temple, confessent pourtant uno ore que le Messie
devait venir à la fin de cette période, annoncé sous
l'expression de «justice éternelle »; Corneille de la
Pierre, CotiimerUaria in Scnpturam sacram, Paris,
1860, In Dan., t. xiii, p. 118 : « passage célèbre où
sont consignés la venue du Messie, son origine, son
baptême, sa passion et sa mort, années par années :
passage manifestement propre à convaincre les Juifs
que le Messie est Jésus-Christ en qui se terminent les
70 semaines, » et il réfute surtout R. Salomon (Raschi,
XI* siècle); Denys Petau, Dogmata theologica, Anvers,
1700, De inciimatiane, 1. XVI, c. viii, combat R. José,
R. Saadias, R. Salomon, Aben-£zra; Bossuet, Dis-
court $ur Vhist. universelle, part. II, c. ix, dont on
connaît le texte impérieux; Louis Legrand, Traclatus
de incamatione Verbi divini, Paris, 1751,1751, diss. II,
c. I, a. 2, § 1, réfute encore longuement R. Salomon et
le juif Orobio (Isaac de Castro), qui rapportait Toracle
aux grands-prêtres post-exiliens, dans Limborch, De
veritate religionis christians. Gouda, 1687. Mais c'est
répoque aussi où théologiens et critiques commencent
à entrevoir un rapport possible de la prophétie des se-
maines, dans son sens littéral, aux temps d'Antiochus
Épiphane, et ne pensent plus pouvoir l'entendre, sinon
au sens typique, de la mort du Christ. La Sainte Bible
en UUin et en français, Paris, 1749, t. ix, p. 471, 489,
répondit à Marsbam, Hardouin, Calmet qui mirent cette
idée en avant après Sixte de Sienne et Estius, voir
col. 96-99, et Legrand, op. cil,,%i, ne voulut pas moins
s'élever contre « ces quelques chrétiens... qui sup-
priment ainsi ou ébranlent grandement l'argument tiré,
contre les Juifs, de la prophétie. »
4« Critique et conclusions. — 1. Si l'interprétation
des c événements » marqués dans l'oracle des semaines,
interprétation réalisée parles écrivains dont l'ensemble
constitue l'organe autorisé de la tradition, si les
« calculs des temps » auxquels se sont livrés « tant de
commentateurs » se sont trouvés, la première aussi
unanime et les autres aussi c exacts » que le disent
saint Jean Chrysostome et saint Augustin, cités plus
haut, cet oracle pourra bien être réellement messia-
nique au sens direct et littéral, et la preuve qu'on en
tire encore aujourd'hui en faveur du fait de la mission
diWne du Christ pourra être alors formulée de la ma-
nière suivante : Les biens messianiques, dont il est
parlé au t- 24, ont été prédits pour une date fixe, et, pour
que leur survenue pût être rendue facilement recon-
naissable à cette date, circonstanciés d'avance relative-
ment à de certains personnages, dont le Messie lui-
même, et de certains événements, dont la ruine de la
cité sainte. Or, les circonstances personnelles et réelles
annoncées comme devant signaler et conditionner les
biens messianiques se sont réalisées, et principalement
en Jésus-Christ, telles qu'elles avaient été prédites, à
la date même marquée par la prophétie, sauf peut-être
un écart négligeable, ladite prophétie ne comportant
nullement, en dépit de ses chiflhres précis, un caractère
strictement mathématique; et ces biens eux-mêmes
sont acquis désormais. L'oracle de Daniel a donc toute
la valeur probante qu'un exact accomplissement com-
munique à une prophétie d'origine divine : Jésus de
Xazareth est bien le Messie que cet oracle annonçait.
— 2. Mais les calculs des écrivains de la tradition ^
«calculs basés sur les chiffres de la prophétie, ont-ils
bien toute l'exactitude que l'on dit, et, en tout cas,
comparés les uns aux autres, n'ont-ils pas abouti à la
plus grande diversité, de sorte qu'il n'y eut point ici
de calcul vraiment traditionnel, voir col. 95; mais
l exégèse des circonstances personnelles et réelles,
instituée par les organes de la tradition, ne s'est-elle
-pas non plus résolue, pour de très importantes et
même essentielles identifications, en un défaut non
moins accusé d'entente et d'unanimité relatives, de
sorte qu'il n'y eut point ici d'exégèse proprement tradi-
tionnelle, voir col. 83-88; mais la définition des biens
messianiques, par le caractère flottant de son expression
et de son objet dans tel et tel cas, n'a-t-elle pas laissé,
à côté de l'enseignement de la tradition, la porte ou-
verte à d'autres hypothèses, de sorte que, sur la ques-
tion, non assurément de leur caractère toujours essen-
tiellement messianique, mais bien du degré, du proces-
sus de leur réalisation, il n'y aurait point, même ici,
d'interprétation traditionnelle, voir col. 96 sq.; mais
enfin, repris, renoulevés, non plus, il est vrai, dans un
but immédiat de controverse, mais avec un louable
souci d'exactitude critique non moins profitable cepen-
dant à l'apologétique, ces calculs des dates fixées, cette
exégèse des faits prophétisés, cette interprétation des
biens attendus ne peuvent-ils être considérés comme
ayant, cette fois, abouti à des résultats plus satisfaisants
et, malgré la divergence de leurs conclusions d'avec
les conclusions traditionnelles, nullement en contradic-
tion avec celles-ci que ne doit recommander point, du
reste, leur instabilité? Voir plus loin les remarques
critiques. ~ 3. Que si la réponse à ces questions allait
à faire droit aux conjectures de Sixte de Sienne, d'Estius,
de Hardouin et de Calmet, il resterait néanmoins à la
tradition catholique et théologique véritable le mérite
essentiel d'avoir rapporté l'oracle daniélique à la per-
sonne, à l'œuvre et aux temps du Christ; et il y aurait
à reconnaître que ce rapport ne fut point tout à fait le
résultat de calculs incertains, d'une exégèse verbale
quelque peu arbitraire, d'une interprétation simplement
approximative, mais fut basé, au contraire, et pre-
mièrement, sur le principe, aussi ancien que TËglise,
de l'interprétation mystique des Écritures. Les évan-
gélistes se firent-ils scrupule, dès l'abord, d'entendre
en un sens prophétique, plus exactement en un sens
typique, de telles circonstances de la vie et de la mort
du Messie, d'antiques passages des prophètes ou des
Psaumes dont le sens propre et direct allait à signi-
fier de tous autres objets? Comparer, par exemple,
Matth., II, 15, et Ose., xi, 1; ii, 17, et Jer., xxxi, 14;
II, 23, et Is., XI, 1 ; Matth., xxvii, 35, et Ps. xxii, 19;
Marc, XV, 28, et Is., lui, 12, etc. Il n'est même pas cer-
tain que le Christ, Marc, xiii, 14; Luc, xxi, 20, n'ait
pas cité Daniel, ix, 27, ou xi, 31, ou xii, 11, dans un sens
typique, puisque « l'abomination de la désolation », in-
terprétée par saint Luc de la « désolation t> de Jérusalem
«c cernée de campements b romains, sert, dans le long
discours apocalyptique du Seigneur, Matth., xxiv sq., de
premier plan à la perspective, plus profonde que la ruine
de Jérusalem, de la fin du monde. C'est, du reste, ainsi
que le dit Calmet, « l'usage des prophètes de proposer
ordinairement le type et la figure du Messie dans quel-
que sujet, ou dans quelque événement de l'Ancien Tes-
tament, afin que l'exécution littérale de leur prophétie,
en ce premier sens, serve de preuve et d'assurance à
ce qui doit s'exécuter plus parfaitement en un autre
sens, dans la personne et dans la vie du Messie. » Ainsi
le prince idéal de la lignée de David, désiré par
Isate, XI, 1-5, après l'abaissement de l'Assyrie « verge
de la colère de Dieu » pour Israël, ne se retrouvera
pleinement que dans Jésus, roi spirituel; ainsi la nou-
velle Jérusalem et la nouvelle Terre promise rendues
aux captifs de Babylone selon Ézéchiel, xl-xlviii,
n'auront leur pleine réalité que dans l'Église chrétienne.
Ainsi la prophétie des semaines s'appliquant littérale-
ment, par exemple, à l'avènement de Cyrus, à la mort
du grand-prêtre Onias III, aux persécutions d'Antiochus
Épiphane, à la paix et au relèvement machabéens,
garderait pour la foi vivante et docile toute sa force
persuasive sous le couvert de la tradition qui en
aurait défini le sens typique, croyant bien en discuter le
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83
DANIEL (LES SOLXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
8^
sens littéral. Cyrus, roi des Perses, « oint » par les
prophéties d'Isaïe, XLiv, 26 ; XLv, 1-5, et de Daniel,
IX, 25, pour délivrer le peuple juif de la captivité baby-
lonienne, annoncerait la personnalité divinement supé-
rieure du Christ sauvant l'humanité de l'éternel escla-
vage. Le prêtre Onias III et le peuple juif lui-même,
le premier par sa mort tragique. Dan., ix, 26;
II Mach., IV, 3d-dS, l'autre par ses tribulations et ses
souffrances sous l'impie roi de Syrie, Dan., ix, 26-27;
let II Mach., préluderaient au grand sacrifice de la croix
et aux épreuves incessantes que l'i^lise chrétienne doit
subir de la part de ses ennemis, avant d'obtenir la
possession entière et parfaite du « royaume des cieus ».
Cf. cardinal Meignan, Les derniers prophètes dlstxufl,
Paris, 1894, p. 134rl35.
II. Interprétation traditionnelle. — 1» Biens mes-
sianiques du f.24. — Traduction du f. 24 selon l'hébreu
massorétique : Soixante-dix seniaines ont été fixées
sur ton peuple et sur ta ville sainte pour mettre fin à
la transgression, pour abolir le péché, pour expier
Viniquité et pour amener la justice éternelle, pour
sceller la vision et le prophète et pour oindre le saint
des saints. — 1. Des trois propositions concernant le
péché (transgression, iniquité) et qui semblent toutes
trois traduire la même idée, la troisième seule a été
unanimement entendue de la « rémission des péchés »
opérée par le Christ mort en croix pour nous. Quelques
Pères et écrivains ont expliqué les deux premières du
a comble de l'iniquité », réalisé par les Juifs meur-
triers du Messie, et du « scellé mis sur leurs péchés »
jusqu'au jour du jugement. Ainsi avec quelques nuances
inévitables, S. Hippolyte, in Dan.; Origène, In Matth. ;
£usèbe de Césarée, Dem, ev.; S. Chrysostome, Adv,
Judœos, homil. iv; Euthyme Zigabène, Panopl. dogm.
Théodoret, Jn Dan,, P. G., t. lxxxi, col. 1469, suit
Eusèbe pour la première proposition^ mais se range
pour la seconde au sentiment de la tradition. Pour les
variantes du texte et des versions, voir Knabenbauer,
Conim. in Dan. proph., p. 235 sq. — 2. Sur dix-neuf
auteurs anciens ou du moyen âge qui ont explicitement
traité de la « justice éternelle », douze ont compris
celte expression de la personne même du Christ. Ter-
tullien, Adv. Judœos; Eusèbe, op, cit.; S. Athanase, De
incatmatione ; S. Éphrem, In Dan,, dans Opéra, Rome,
1740, t. iii p. 221 ; Théodoret, op. cit. ; Pierre Alphonse,
Dialog.; Pierre Maurice, Adv. Judœor. durit. ; Tra-
ctât, cont. Judœum; Albert le Grand, In Dan.; Ray-
mond Martin (avec les rabbins), Pugio fidei; Andronic
de Constantinople, Dialog.; Jérôme 'de Sainte-Foi,
Cont. Judœor. perfid,, cités précédemment; cinq lui
font signiQer les biens étemels apportés par Jésus-
Christ : Jules Africain, Chrofwgr. ; Origène, S. Chry-
sostome, Basile de Séleucie, Orat., xxxviii, P. G.,
t. lxxxv, col. 401 ; Nicolas de Lyre; deux y ont vu spé-
cialement la grâce de la justification : Polychronius,
/njDan., dans Mai, Scriptor. veter.coll., t. i, p. 137 sq.,
et Ammonius, In Dan., ihid., p. 212. — 3. Le « scel de
la vision et du prophète » a, pour la même période,
signifié ou bien que les prophéties de l'Ancien Testa-
ment devaient être (et ont été) accomplies dans la per-
sonne et dans l'œuvre de Jésus-Christ : Clément
d'Alexandrie, S. Hippolyte, Eusèbe, S. lî^phrem,
S. Jérôme (Vulgate : et impleatur visio et prophetia),
Bède, De temp. ratione; Pierre Maurice, Pierre de
Blois, Tract, cont. perfid. Judœor,; Raymond Martin,
Nicolas de Lyre; ou bien que ces prophéties ont cessé
par l'effet de la venue du Christ : Jules Africain, Ori-
gène, S. Chrysostome, Basile de Séleucie, Ammonius,
Euthyme Zigabène, l'anonyme du Tract, cont. Jud.;
Andronicus, Thomas Vallensis; les autres réunissent
les deux acceptions : Tertullien, S. Athanase, Théodo-
ret, la Glose interlinéaire, Albert le Grand. — 4. Tous
les écrivains qui ont parlé de « l'onction du saint des
saints » y ont vu Jésus-Christ lui-même oint de l'Esprit
Saint, sauf le pseudo-Cyprien, De pascha compulus
qui l'entendit du temple de Jérusalem rebâti et recon
sacré.
Remarques critiques. — Tous ces auteurs et les com
mentateurs modernes qui les ont suivis dans quel
qu'une de ces diverses interprétations ont manifeste
ment, encore que inconsciemment, pris au sens figur
(devenu figuratif) des expressions qui, au sens propre
s'appliquaient au c peuple» juif et à sa « ville sainte ï
f. 24, tels qu'ils se trouvaient conditionnés à l'époqu
de la communication de l'oracle. Le m péché », 1
« transgression », l' « iniquité » sont ici directemet
le fait des Israélites châtiés par Dieu et captifs. Dan
IX, 5, 7, 8, etc. La « justice éternelle » traduit ici, e
langage spirituel, mais cependant concret, le symbc
lismede la « fertilité du sol » et du parfait a bonheur
terrestre dont parlèrent souvent les prophètes, symbc
lisme que beaucoup de Juifs assurément n'entendaiei
point. Cf. Ose., i, 10; Amos, ix, 13; Is., iv, 2; xxx, 2î
24; Jer., xxxi, 5-12; Ezech., xxxi, 30-35; Ps. cxliv, 1:
15, etc. Le « scel de la vision et du prophète » pourra
aussi bien désigner une ou des visions particulière
à Daniel que celui-ci devait avoir besoin de a con^,
prendre » mieux, f. 21-23, ainsi que la parole proph*
tique adressée à Jérémie au sujet des soixante-dix ar
de la captivité et corrélative à l'oracle des soixante-di
semaines, t. 2 : vision et parole dont le sens aurait éi
destiné à demeurer, 490 ans durant, « scellé, » c'es
à-dire caché. Cf. Dan., xii, 4, 9; Is., viii, 16; Jer
XXXII, 10, 14; Deut., xxxii, 3i. L' « onction du saii
des saints » répondrait non moins directement à '.
plainte formulée par Daniel dans sa prière au sujet c
a Jérusalem en opprobre » et du « sanctuaire dévasté
y. 16, 17 : elle marquerait la reconsécration de l'aut
des holocaustes ruiné par les Chaldéens. Cf. Kxod
XXIX, 36, 37; xxx, 29; xl, 10. Des modernes ont sui
pour cette dernière proposition la voie ouverte par 1
pseudo-Cyprien qui figurait par le « temple... oint c
l'huile du Saint-Esprit », ce temple « que le Chrii
Jésus a formé de ses mains..., qu'il a oint, non d'huil
mais de l'Esprit de Dieu..., et celte cité, à savo
l'iLglise, qu'il a édifiée de pierres sanctifiées ». Cf. Kn;
benbauer, op. cit., p. 241 sq.
2» Exégèse des versets 25-27, — Traduction de l'h»
breu massorétique, y. 25 : Sache donc et comprendi
Depuis la sortie de la parole pour que Jérusalem soi
rebâtie jusqu*à un oint-prince, sept semaines (o
bien, sept semaines et soixante-devujc semaines), h
dans soixante-deux semaines elle sera rebâtie (o
simplement : elle sera rebâtie), place et vallée (rueV
26. Et dans V angoisse (ou à la fin) des temp
après soixante-deux semaines, un oint sera extx}*pé.
(?) Et le peuple d'un chef qui vient déti*uira la vil\
et le sanctuaire ; mais il finira par la vengeance d
vine; et la guerre durera jusqu'à la fin... (?). 27. Et
fera une alliance avec plusieurs pendant une semaini
et pendant une demi-semaine il fet'a cesser le sacr
fice et Voffrande; et à leur place [au lieu de : st
l'aile (?) ] Vdbomination de la désolation^ jusquW t
que la ruine frappe le dévastateur. Pour les v;
riantes, voir Knabenbauer, op. cit., p. 244 sq. Lai
sant provisoirement de côté les détails qui marquei
directement le point de départ, le développement, ]
point d'arrivée des 70 semaines, à savoir, la « sortie é
la parole », le relèvement de Jérusalem, la destruclio
finale, nous fixons seulement, d'après la tradition, le
personnalités tenues pour certaines ou hypothétique
de r « oint-prince », j^. 25, de 1' « oint extirpé », f. 26, d
« chef » du « peuple » destructeur, ibid., du sujet d
j. 27. — V oint-prince a été identifié par beaucoup
Jésus-Christ: Tertullien, pseudo-Cyprien, Origène, Juh
Africain, S. Cyrille de Jérusalem, Ca^, xii, S. Chrysos
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85
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
tome, Polychronius, Basile de Séleucie, Théodoret réfu-
tant Topinion d*Eusèbe, le Chronicon paschale, Bède et
la plupart des interprètes postérieurs qui, se rangeant
à la traduction de saint Jérôme, ne firent intervenir le
personnage qu'après la soixante-neuvième semaine. Mais
la coupe de phrase fixée par la ponctuation massorétique
se trahit aussi dans les opinions d*un certain nombre.
Situant Toint-prince après les sept premières semaines,
Clément d'Alexandrie (plus probablement), Quintus Ju-
iius Hilarianus, évéque dans l'Afrique proconsulaire, De
mundi duratione libellus, n. 12, P. L., t. xiii, col. 1103,
ridentifièrent au Davidide Zorobabel; saint Hippo-
lyte, (Rabbi Lévi ben Gerson), au grand-prétre Josué,
fils de Josédek, I Esd., m, 2 sq. ; Eusèbe de Çésaréc, à
toute la série des grands-prêtres qui devaient se succé-
der encore jusqu'à la venue du Christ, mais interpré-
tant : t tant qu'il y aura un oint légitime, un grand-
prétre consacrée Jérusalem, 7 et 62 semaines s'écoule-
ront; 1 Pierre l'archidiacre, Qaœstiones in Danielem,
n. 64, P. L., t. xcvi, col. 1357, comme Eusèbe; Pierre
Alphonse, Pierre de Blois (Rabbi Saadia le Gaon, Coni .
in Dan,; Rabbi Salomon Jarchi, Coni. in Dan.), à
Cyrus, roi des Perses, conquérant de Babylone et libé-
rateur des Juifs (Aben-Ezra, Com. in Dan,, à Néhé-
mie; Abarbanel, Com. in Dan., n'a pu se résoudre à
choisir entre les trois : Zorobabel, le grand-prétre, Né-
hémie). — 2. Voint exlirfté du t* 26 a reçu une double
signification générale selon que les interprètes de la
tradition suivaient le texte de Théodotion ou celui de
rhébreu que représentèrent la Peschito et la Yulgate
biéronymienne. Selon Théodotion, i|oXoOpeuOi^(TeTat
Xpt4T{Mc (cf. Italique : interibit chrisma; Tertullien :
exlemiinabitur unctio). Tertullien rapporta l'expres-
sion -/pia^ia à l'onction royale, Adv. Jud., c. xiii, et
sacerdotale, c. viii, tout à la fois : Jérusalem et le
temple détruits par les Romains, 1' « ampoule » perdue
ou brisée, les Juifs n'auront plus ni rois ni prêtres.
Pareillement, Origène, In Matth., xxiv : « l'onction,
qui fut dans le temple, est ravie au peuple. » Le pseudo-
Cyprien parait entendre disperibit unctio de la ruine
du sanctuaire, in iniagineni honUnis unctum. Le poète
Commodien, Camten apologelicum, 266-267, dans
Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, 1. 1, p. 28,
entend aussi d'une onction le « chrisme royal exter-
miné •. Pour Eusèbe, XP^^'I"' ^st le grand-prêtre dé-
possédé Hyrcan II, mis à mort par l'ordre d'Hérode le
Grand et terminant en sa personne la succession des
grands-prêtres légitimes. Pour saint Chrysostome, c'est
vraisemblablement la dignité du suprême sacerdoce
opposée au pouvoir politique, xplpia. Dénxonstr. de la
dxviniU de /.-C, P. G., t. XLViii, col. 836. Polychro-
nius voit dans l'expression l'annonce de la fin de l'au-
tonomie juive, spirituelle et royale. Même interpréta-
tion dans une lettre d'Isidore de Péluse au diacre Isi-
dore. Epiêt., ccxLix, P. G., t. Lxxviii, col. 928. Basile
de Séleucie reproduit l'explication de Tertullien, en
étendant 1' c onction » aux « prophètes » et aux a juges
du peuple ». Spiritualisant encore davantage la notion,
Théodoret y voit <i la grâce » ('/(^Pk) brillant dans les
grands-prêtres; Ammonius (eschatologue), « le bap-
tême > interdit par l'Antéchrist. Jacques d'Édesse
s'élève même contre l'interprétation que suggérait à
ses contemporains la Peschito: pour lui, le « chrisme »
demeure la dignité que l'onction conférait au prêtre-
roi ; il suit, du reste, une version syriaque faite sur le
texte théodolien. Dans S. Éphrem, Opéra, t. n, p. 221.
Euthyme Zigabène adopte l'exégèse de saint Chrysos-
tome; Jean 2U)naras, celle de Théodoret. Guillaume de
Champeaux, cetsabit unctio. Andronic de Constanti-
Dople réunit à nouveau dans y,pi(T[La le sacerdoce et la
royauté.
Ainsi, jusqu'au milieu du moyen âge, ce trait de la
prophétie est rapporté par beaucoup de Pères et d'écri-
vains ecclésiastiques à la chute de la dynastie, sacerdo-
tale et royale à la fois, des Hasmonéens; quelques-uns
même y voient un rappel direct à la prophétie de
Jacob touchant le « sceptre » maintenu dans Juda, Gen.,
XLIX, 10 (LXX: oux èxXstiiffet ô(p-/(i>v é$ 'lovÔa, xal f,Yov-
pLEvo; Ix Twv pLY)p£)v auTov, ctoc, etc.) : Tertullien et Ori-
gène, Andronic. Les Juifs du moyen âge entendirent
en général le passage de la mort de leur dernier roi et
protecteur vis-à-vis des Romains, Hérode Agrippa II :
R. Saadia, R. Salomon, Aben-Ezra, Joseph ben Gorion
(ou l'Hébreu), Abarbanel. Les théologiens modernes se
sont ralliés à l'autre interprétation fille du texte hébreu
par la Peschito {néf'kefél ATëHio") et la Vulgate {occi-
detur Chvistus) : V a oint » est le Christ mort sur la
croix. Auteurs syriens : S. Éphrem, les contemporains
de Jacques d'Édesse, Ebed-Jesu, métropolite arménien
(xiii« siècle), Liber margaritss. De veritate chrittianœ
religionis, dans Mai, Script, vet. nov. coll., t. x»
p. 342 sq. Tous les auteurs latins depuis 9aint Jérôme.
Saint Augustin pourtant, Epist., cxax, et Pierre Da-
mien surtout, Antilogus contra Judœos, c. i, cessabit
unctio; c. ii, occidetur Christus, utilisent les deux in-
terprétations. — 3. Le chef et son peuple qui viennent
détruire « la ville et le sanctuaire » avaient été déjà iden-
tifiés à Titus et aux Romains par Josèphe, Ant. jud.,
X, x; XI, vu; De bell. jud., IV, vi, 3; cf. Fraidl, Die
Exégèse der 70 Wochen, Graz, 1883, p. 18-22; et
s'il faut en croire saint Jérôme, In Dan., P. L.,
t. XXV, col. 552, les Juifs du v* siècle partageaient la
même opinion : le « chef b était Vespasien. Fraidl, ibid.,
p. 122. C'est aussi l'avis des Juifs du moyen âge, sauf
R. Saadia qui recule l'accomplissement de la prophétie
jusqu'à l'empereur Adrien. Cette identification du « chef»
à Vespasien ou à Titus fera fortune dans la tradition.
Mais dès les premiers temps il se trouve quelqu'un pour
appliquer le vocable au Christ même « exterminant la
cité et le sanctuaire » par l'intermédiaire des Romains :
Tertullien, Adversus Judœos, c. xiii, extemiinabit cum
duce adveniente, le dux qui de tribu Juda esset pi'o-
cessurus. Cf. Gen., xlix,10. Origène le réfute, In Matth.,
ce dux ne peut être Jésus-Christ, parce que le prophète
aurait dû écrire : cum duce C h risto advenien te,comme
au f. 25, et que, du reste, après le Christ ayant accom-
pli la prophétie de Jacob, defecxt dux (fudaicus) et dux
de femoribus ejus; cependant, pour Origène, le « chef
n'est pas Vespasien, ou Titus, mais Hérode Agrippa II, qui
accompagna Titus au siège de Jérusalem, cf. Tacite, Hist.,
v, 1 ; Josèphe, Vita, 65, à moins que ce ne soit Hérode
le Grand, sive Hérode, sive AgHppa, comme pour
Eusèbe. Celui-ci, en effet, sous la formule de Théodo-
tion : xai TYjv iidXtv xa\ xh aytov îiaçOepc? aùv tô riyou-
\Lh(û Tw èp/o(iévo), combinée avec celle d'Aquila :
SiaçOepeî Xa6; if)You(jivou ipxo{iévo'j, plus conforme à
l'hébreu, a vu Hérode et les Hérodiens « corrompant »
(moralement) le peuple et le sacerdoce. Il est vrai que
l'évéque de Césarée admet aussi l'explication c le géné-
ral des Romains » et son armée. Le pseudo-Cyprien
interprète à la façon de Tertullien : Sanclum... abipso
Domino nostro... teniporibus Vespasiani est extemii^
natum. Selon saint Éphrem, le « chef» n'est autre que
le « Messie-Roi crucifié »; la ville périra a avec » lui
qu'elle a fait périr, la Peschito, de même que Théodo-
tion (<7Ùv) ayant pris le mot hébreu 'am, « peuple, »
pour la préposition Hm, « avec », lam malM d*ôfê\
cum rege veniente. Saint Isidore de Péluse, Epist.,
CCLVii, P. G., t. Lxxviii, col. 936, définit ainsi cette ex-
pression complexe : « C'est le Père (ô llaxTjp) qui dé-
truit le peuple et la ville » (par les Romains) ; autre-
ment : e Dieu (6 Osb;) et le chef, c'est-à-dire le Christ. »
Puis il cite des passages bibliques où le Messie est
appelé soit TiYo\j(ievo;, Mich., v, 2; Matth., ii, 6, soit
épx<5(A6vo;. Ps. cxvii, 26; Matth., xi, 3. Curieuse est l'in-
terprétation de Basile de Séleucie : Ce sont les Juifs
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87 DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
qui en faisant mourir le « Christ à venir », détruiront
(dtaçOepo'jat) — seront cause que les Romains détrui-
ront — le sanctuaire et la cité. Euthyme : L*armée ro-
maine détruira la ville... « avec Taide b du Christ, le
« chef» de ceux qui croient en lui, qui c reviendra » pour
son deuxième avènement. Andronic : urbem et sacrum
una cuni principe delebil ; le princeps est Aristobule II
roi et ponlife, Joséphe, Ant. jud., XV, m ; XX, x, ren-
versé par Pompée. Incertaine dans Cyrille de Jérusa-
lem, Cat., XV, dans Athanase, dans Chrysostome, dans
Augustin, ridentification du « chef b à Titus n'est affir-
mée clairement qu'au moyen âge par Bède, R. Samuel
du Maroc, Pierre Alphonse, les Gloses, Raymond Mar-
tin, qui pourtant indique aussi la traduction : populus
principalis venturtu, Nicolas de Lyre. Les théologiens
modernes l'ont adoptée. — Le sujet agissant dans la
70 et dernière semaine, c'est, pour Clément d'Alexan-
drie, Néron, qui « installa dans la ville sainte, iv tt}
àyioL Tc^Xei *Iepou<iaXiQ(i, l'abomination » — il ne dit pas
laquelle — et qui mourut « au milieu de la semaine ».
Cette incomplète et obscure interprétation a pour pen-
dant au moyen âge celle de R. Salomon (Raschi),
d'Aben-Ezra,d'Arbarbanel : Titus « conclut une alliance »
avec les Juifs a au cours de » cette dernière semaine.
Saint Éphrem (et les auteurs syriens), conformément
au texte de la Peschito, ont maintenu aux deux pre-
mières propositions du j^.27 un sujet actif et personnel
indiqué au j^. 26 : c'est le Christ, Rex-Messias, qui
« lui-même affermit l'alliance in sanguine su^, » et qui
par sa mort en croix a abolit le sacrifice et l'offrande »
juifs. De même l'eschatologue Bruno d'Asti, pour la pre-
mière proposition : Confimiahit autem dux ille mali-
gnus (l'Antéchrist) pactum, c'est-à-dire qu'il imposera
sa domination — contrairement à la tradition de son
école qui entendait le passage de l'affermissement des
saints aux derniers jours (Apollinaire). Se rangeant à la
suite de Théodotion et de saint Jérôme dans leur tra-
duction, toute la tradition, pour ainsi dire, a trouvé le
sujet de confirniabit (Théodotion : 8vva{j.(o<Te()t non dans
le Christus occisus ou le dux venturus du y. 26, mais
dans hebdomada una (Théodotion : UIo[l6lz pt^a)> et en-
tendu au sens passif la seconde proposition : deficiel
hostia.,. (Théodotion : otp6Ti<r6Tai...); elle ne varie guère
non plus dans l'interprétation qu'elle donne de 1' al-
liance », de la « cessation » du sacrifice, de V « abomi-
nation » dans le temple (Théodotion : kiCi t^ {epôv ;
S. Jérdme : in templo). V « alliance » que la dernière
semaine voit s'affermir c en beaucoup », c'est la doc-
trine de l'Évangile annoncée par le Christ et ses apô-
tres : Jules Africain, d'après le Chronicon paschale,
P, G., t. xcii, col. 40i; Origène, In Matth.; Eusèbe (la
nouvelle alliance fondée sur les miracles); S. Éphrem;
S. Chrysostome, In Dan., P. G., t. lvi, col. 2i0; Poly-
chronius (réellement accomplies, les promesses de l'an-
cienne alliance affermissent la nouvelle); Basile de Sé-
leucie ; Théodoret (le Christ remplit de toute puissance,
Svivà|i.e(«>; écTciair;;... ttXyipcotsi, ceux qui croient en lui);
Bède et les auteurs du moyen âge qui le suivent
constamment : les Gloses, Rupert de Deutz, Pierre le
Mangeur, Alain de Lille (le faux), Hugues de Saint-
Cher, Thomas Vallensis, Denys le Chartreux; autres
auteurs : Fréculph, évéque de Lisieux (ix« siècle), Chro-
nicon, P. L,, t. cvi, col. 1100; Albert le Grand, R. Mar-
tin, Nicolas de Lyre, Jérôme de Sainte-Foi; les commen-
tateurs et théologiens modernes. La « cessation » ou
r c abolition » du sacrifice et de l'offrande (Théodofion :
piou Ov^ta xai <xiiov8r, ; Tertullien : meum sactdficium et
libatio) s'est opérée par « l'offrande du sacrifice de la
croix » : Jules Africain; Eusèbe (par l'institution du
sacrifice eucharistique); S. Éphrem; S. Chrysostome,
Semi., v, adv.Judœos ;Polychronius, Basile de Séleucie,
Théodoret, Anastase le Sinaïte (le faux) (qui lit a;rou8r,,
«zèle, D et ajoute voiiixfj : l'observance de la loi mosaïque
prend fin comme le sacrifice cultuel); Bède et ses si
vants ; Fréculph, R. Martin, Nicolas de Lyre, Jérôi
de Sainte-Foi; les modernes. Fulbert de Chartres e
tend un peu différemment l'expression du vêtus saa
dotium defecturum, Pierre Alphonse attribue pui
ment au dénuement des Juifs après la ruine la cesi
tion du sacrifice: non ^a6eren/ unde sacrificium face
possent. V « abomination » a reçu des interprétatio
plus diverses. Pour Tertullien, c'est la destructi
même du temple, cxsecratio vastationis; pour Origè
et saint Augustin, Ad Hesych., l'armée romaine ass
géante; pour Eusèbe, Dem. ev., l'efficacité du sacrifi
perdue, la statue de Tibère érigée dans le temple p
Ponce-Pilale (d'après Josèphe, Ant. jud., XVIII, 1
1; Bell, jud., II, ix, 2), la ruine de l'édifice sacré,
statue d'Adrien élevée à sa place {In Luc, fragme
dans la Catena de Nicétas, Mai, Script, vet. m
coll., t. 1, p. 158); pour saint Éphrem, les enseigr
romaines (images de l'aigle impériale et de l'emperei
profanant le lieu saint; S. Chrysostome, Semu, v, ac
Judœos; Conim. in Dan.; Homil. lxxv in Matth., n.
P. G., t. LViii, col. 689, la statue d'Adrien ; de mêi
Basile de Séleucie; Théodoret suit Eusèbe; Sévère d'A
tioche, fragment dans Mai, op. cit., t. i, p. 213, opi
pour la statue d'Adrien; B-^de reste vague; Frécul
choisit la première interprétation d'Eusèbe : non f\
sacrificiuni Dei,sed cultus cfiafroH; Chrétien Druthrr
(moine de Corbie, ix« siècle), In Matth., P. L., t. c
col. 1456, hésite entre les statues de Tibère, d'Adric
l'Antéchrist; Paschase Radbert ne se prononce pas :
alio quolibet modo queat intelligi ; Pierre de Blois
prononce pour l'inio^o Csesaris; Albert le Grand, po
les sacrifices anciens rejelés et devenus ainsi abon
nota; Nicolas de Lyre, pour la statue d'Adrien. I
modernes ont fait leur choix parmi ces diverses accc
tions et d'aucuns en ont proposé une autre : la pro
nation du temple par les zélotes homicides qni avaie
fait de cet édifice une forteresse depuis la 12* année
Néron. Sébast. Barradas (I5i2-1615), C. Jansen, évêq
de Gand (1510-1576), Jean Hessels (1522-1566),
Matth., XXIV ; Baronius, Annal, eccles., Rome, 16i
t. I, an. 68. Une interprétation parfaite, selon Comei
de la Pierre, In Dan., joindra cette explication à ce
d'Origène et d'Augustin.
Remarques critiques. — Il est clair que dans
ouvrages des Pères, l'exégèse des versets 25-27 n'a [
un caractère moins verbal que celle du f. 24, ét«
fondée, non sur les rapports du contenu de ces vers
avec leur contexte, mais d'abord sur la pure apparer
des mots qui, dans les versions thcodotienne et hiéi
nymienne, voire dans la version syriaque, sollicitai!
à l'application messianique littérale de la prophétie,
ensuite, chez beaucoup, sur la relation que quelqu<
uns de ces mots établissaient alors aussitôt en
l'oracle de Daniel et celui de Jacob, Gen., xlix,
jugé également messianique au sens direct et liltér
Par l'effet de cette double influence et de la suggesti
opérée par le t- 24, les 62 semaines se trouvant,
plus, ajoutées aux 7 premières sous la rubriq
« jusqu'à... », ëw;, usque ad, des expressions comi
XpioToO riyo'j{kiyovjChristum ducem,Tïe pouvaient p
signifier que Jésus-Christ pour le grand nombre, y.
Et ce caractère verbal de Tinterprétation traditionne
est si réel que le même vocable hébraïque maii
ayant été rendu, au f. 26, ici non plus par •/?«<"
mais par yfiiayiA, là encore par Christus, l'exégèse
partage immédiatement et suit docilement cette dou
piste. Chez les Grecs, êÇo>o6peu^<TeTai XP'*'»** annc
cera la fin du sacerdoce juif et aaronique pour
demi-siècle soit avant, soit après le Christ. Chez
Latins, occidetur Christus aura prédit la passion
Sauveur; et alors qu'Augustin, à l'aurore du \^ siée
n'aura point voulu, ni dans sa réponse à Hésychius,
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
90
dans la Ciié de Dieu, 1. XVIII, c. xxxiv, P, L., t. XLI,
col. 503, harmoniser ce trait avec une computation des
semaines, ce n'est qu'au viii* siècle que Bède le Véné-
rable pensera, dans une explication suivie et cohérente
de la prophétie, en utiliser la force probante pour la
messianité de celle-ci. Et Origène n'avouait-il pas la
méthode en exigeant le mot Christo dans l'expression
cum duce ventitro, si on voulait la rapporter à Jésus-
Christ? Car cette dernière aussi, par le mot venturo,
ipxopiivci), rapproché avec son socius duce,.., riyoM\Léyf<ù,
du CkAstum duceni, du Xp«rroû i^yo^J\Lho^J du t. 25,
attira fortement la tradition. Ce « chef à venir », qui
pouvait-il être sinon le Christ que beaucoup déjà trou-
vaient dans le dux de femore de la Vulgate, Gen.,
XLix, 10, et des LXX, 7)You{Aevoc ex tûv {XYipûv, dont
Jacob avait dit : donec veniat qui mittendus es If
higoumène divin que, ne le trouvant pas cette fois
signalé par son caractère d'èpx^tiEvo; dans la Genèse,
Isidore de Péluse cherche ailleurs et trouve dans les
Psaumes et dans Michée. Dans ces conditions, c'est-
à-dire le dux signifiant le Christ et, de plus, le mou-
vement du texte allant, même à travers les versions, à
faire du personnage signalé dans ce mot le sujet réel
du t- 27, ce sujet devait encore être principalement le
Christ. Bien peu, avant le v* siècle, sauf les eschalo-
logues, y ont vu un persécuteur des saints et un pro-
fanateur. Donc, exégèse verbale qu'acceptent encore
les modernes. Les propositions du f. 24 ne pouvant
convenir qu'au Messie, selon Corneille de la Pierre,
loc.cit.ft. XIII, p. 117; Legrand, loc. cit., col. 195; Kna-
benbauer, p. ^ sq. — la division faisant bloc, « 7 et
62 » considérée comme un hébraîsme, cf. Corneille de
la Pierre, t. xiii, p. 126; Legrand, col. 192-193, Christum
duceni doit être le Messie ex illo ipso christi ducis
noniine, parce que ce nom, ou ces noms {Christus, dux)
lui sont donnés ici sine addito^ Legrand, col. 197-198;
ou encore parce que le premier et le principal, Chri-
stus, se retrouve an t- 26, accompagné du mot ocdde'
tur, et que, chez les prophètes, Is., un; Lam., iv, 3,
le Messie prmdicitur occidendus, Ibid,, col. 198. Mais
sur quoi fonder ici l'antonomase? £t le rappel des
prophètes Isaîe et Jérémie a-t-il plus de valeur réelle
que celui des Psaumes et de Michée dans Isidore de
Péluse? Que si les passages scripturaires, Jer., xxxi,
31; Mal., i, 10, paraissent répondre à confirmabit pa-
ctum et à deficiet hostia de la prophétie daniélique,
Legrand, col.. 196-199, n'est-ce pas que, Titus ou
Vespasien étant le dux du f. 26, et ces personnages
ne pouvant, en tant que païens, rien de positif au
fcedus novum, non plus qu'au nouveau sacrifice offert
ab ortu solis u$que ad occasum, on soit contraint de
revenir au Christ du f. 26 {redit Gabriel ad Christum
de quo egit f. 25 et 26, Corneille de la Pierre,
t XIII, p. 128), par l'effet d'une pure attirance verbale?
En réalité, et en bonne critique, l'exégèse des ver-
sets 25 et 27 peut être tout autre. Il sufHt pour cela
que l'on ait confiance dans la coupe du t* 25 dans le
texte hébreu et que l'auteur du livre de Daniel ait
justement consacré un chapitre ou deux de son ouvrage
à une explication authentique de la prophétie, différente,
an sens premier, de celle qui prévaut encore aujour-
d'hui. Que l'oint-prince du f. 25 doive apparaître après
les 7 premières semaines, il ne peut plus être le
Christ, et déjà disparaît ou se rompt le fil important
qui, par une longue série d'années, nous conduisait dès
l'abord et comme préventivement aux temps messia-
niques. Que l'auteur ait manifesté clairement au c. x
son intention d'expliquer au lecteur, au c. xi, les
obscorités voulues des c. viii et ix, celui-ci contenant
notre prophétie, immédiatement il faut laisser tomber,
an moins à titre provisoire, les rapports plus éloignés
de ces personnages avec leurs homonymes des autres
livres bibliques, pour les chercher eux-mêmes, leurs
noms, leur caractère et leurs gestes, parmi les réalités
que signale à l'attention le développement explicatif
des visions et des oracles. Supposons ladite intention
clairement manifestée, voir col. 96 sq., il est impossible
de ne point voir une équation parfaite entre € les
troupes » qui, « sur l'ordre » d'Ântiochus Épiphane,
« profanent », xi, 31, ce le sanctuaire..., y font cesser le
sacrifice perpétuel, et y dressent l'abomination, > et le
populus cum duce venturo qui, ix, 26, 27, dissipabit
sanctuarium et, selon l'hébreu, & fera cesser le sacri-
fice et l'offrande, » ce qui amènera « l'abomination »
dans le temple. Au c. xi encore, il est dit qu'Ântiochus
sera « hostile à l'alliance sainte i>, t- 28, qu'il sera
« furieux contre elle »,t- 30, qu'il «séduira » les trans-
fuges de cette alliance et s'en fera des partisans, t* 30,
32 : nouvelle équivalence du a chef » qui, ix, 27, c fait
alliance avec plusieurs, » ou, suivant une meilleure
interprétation de l'hébreu, « fait trahir l'alliance
(sainte) à plusieurs, v" Un « oint est extirpé, » ix, 26,
et « l'oint » pour les temps qui suivent la captivité de
Babylone c'est, dans l'idéal, la dynastie davidique re-
vêtue d'un caractère messianique, Ps. cxxxii, 10;
Lxxxix, 39-52; cxxxii, 17, etc., dans la réalité le grand-
prêtre, Ps. Lxxxiv, 10; cf. Lev., iv, 3 sq.; vi, 15, héri-
tier des prérogatives honorifiques et effectives de la
royauté, Zach., iv, 14; actions de Simon I, Eccli., l, 1-
23 ; il est ici ou détrôné, ou mis à mort. Or, l'explica-
tion de la prophétie nous signale encore, xi, 22, « un
chef de l'alliance (sainte) » brisé par Ântiochus, chef
en qui beaucoup reconnaissent avec raison le grand-
prêtre Onias III, dépossédé de sa charge, exilé, assas-
siné. II Mach., IV, Sè-36. Enfin, reporté par la division
du t* 25 aux temps daniéliques ou de peu postérieurs à
l'époque présumée du prophète, à savoir à l'époque de
ce Cyrus le Perse conquérant de Babylone ou des
a deux oints », Zach., iv, 14, Josué fils de Josédec et
Zorobabel fils de Salathiel : le premier, grand-prêtre,
le second, gouverneur de Juda, les deux sous Cyrus
déjà peut-être, sous Cambyse et Darius fils d'Hystaspe
certainement, Âgg., i, 1, 12, 14; 11, 2,10,21; Zach., i,l,
7 ; III, IV, r « Oint- prince », ix, 25, doit osciller, ainsi
que l'ont bien compris Clément d'Alexandrie, J. Hila-
rianus, saint Hippolyte et d'autres, entre ces trois per-
sonnages : Cyrus, prince et roi des Perses, oint par le
Seigneur pour « rebâtir Jérusalem », Is., XLV, 1,4, 5.
13; Josué, oint « prince de Talliance » en qualité de
grand-prêtre; Zorobabel, prince de la lignée davidique
I Par., m, 17-19, oint idéalement dans le groupe mes-
sianique constitué par cette, lignée. Que si l'on ne veut
diviser l'hébreu au f. 25, ou si l'on s'étonne de ne point
trouver au c. xi de passage corrélatif à ce verset, ou si
l'on juge trop verbale encore la relation de 1' « Oint »
avec des personnages bibliques comme Cyrus, Josué,
Zorobabel pris en dehors du livre de Daniel, il reste
que l'Oint ou sera le même personnage aux versets 25
et 26, ou n'aura pas eu besoin d'explication, au juge-
ment de l'auteur, parce qu'il indiquait pour l'époque,
ou voisine, ou contemporaine de la prophétie, un
homme, roi, prince ou prêtre, bien connu du lecteur
et auquel revenait de droit divin, liturgique ou dynas-
tique, la principauté.
3» ConiputaHon des semaines, — 1. Depuis le ii« siè-
cle de l'ère chrétienne jusqu'à la fin du moyen âge, les
écrivains patristiques ou ecclésiastiques qui se sont
occupés de la question n'ont pas érigé moins de vingt-
deux systèmes plus ou moins différents les uns des
autres sur la manière de compter les années figurées
par les 70 semaines daniéliques, pour en faire cadrer
le déclin avec les temps du Christ. Sont exclus de ce
relevé général : Origène, qui allégorise et choisit
comme point de départ de toute la série la création
d'Adam et comme point d'arrivée l'an 35 environ de la
ruine de Jérusalem; Julius Hilarianus, dont il sera
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
parlé col. 98, les eschatologues, les Jaifs et les au-
teurs qui exposent bien différents systèmes, mais sans
se prononcer en faveur d*aucun, tels G. le Syncelle,
Hamartolos, Âdon, G. Cédrène. On peut néanmoins
ramener ces computations diverses à deux grandes
catégories : celles qui font aboutir les semaines à la
ruine de Jérusalem, celles qui les arrêtent d'une façon
générale à la mort du Christ. Chacune de ces catégo-
ries aura naturellement ses subdivisions. — a) Dans la
première, il convient de signaler d'abord, à cause de
son caractère original, la computation de TertuUien
qu'ont suivie Jules de Tolède, Pierre Damien, Pierre
Maurice, Jérôme de Sainte-Foi. Le prêtre de Carthage
compte les 70 semaines d'années à partir de « la pre-
mière année de Darius » le Mède, ix, 1, confondu avec
Darius Nothus; il partage la série, non en 7, 62 et 1,
mais en 7 1/2 et 62 1/2, suivant un texte arbitrairement
retouché au f.'iô : usque ad Christum ducem hebdo-
madas septem et lxii et dimidiam; il place les
62 semaines et demie avant les 7 semaines et demie,
leur point de jonction coïncidant avec la naissance du
Christ (an 41 du règne d'Auguste) ; la demi-semaine
finale s'achève pour lui l'an 1*' de Vespasien par la
ruine de Jérusalem; enfin il additionne la semaine,
hebdomada r.v.4, et la demi-semaine, dimidia hebdo-
madis (non : in dïmwio hebdomadis), dont parle le
t. 27, et applique ces dix ans et demi sur la partie
finale de toute la série pour aboutir également à la
ruine de Jérusalem. On peut résumer ainsi toute l'in-
terprétation : 70 semaines (62 1/2 et 7 1/2) sont accordées
au peuple juif pour se refaire et attendre des temps
plus heureux, s'il veut bien toutefois croire au Messie
qui apparaîtra à cette époque. Mais Dieu savait bien que
les Juifs ne croiraient point au Messie, mais le mettraient
à mort. Il veut alors néanmoins l'annoncer, et il reprend :
A la fin des 62 «emaine» 1/2 que j'ai diles,le Saint des Saints
naîtra et sera oint; durant les 7 semaines 1/2 il soufl'rira
et mourra; en punition du crime commis, la ville et le
temple seront détruits à la fin des 7 semaines 1/2. —
Peu d'écrivains ont, avec TertuUien et ses suivants,
terminé exactement les semaines à la ruine de la ville
sainte : nous comptons seulement, parmi les Pères,
Clément d'Alexandrie et Isidore de Péluse, au moyen
âge, Pierre Alphonse et Pierre de Blois. Pour Isidore,
le point de départ estconstitué par l'autorisation donnée
à Néhémie de relever les murailles de Jérusalem la
20* année du règne d'Artaxerxès I*'. Les trois autres
ont fixé ce point au début du règne de Darius le Mède
(P. Alphonse, P. de Blois) ou de Cyrus (Clément). Le
célèbre prêtre alexandrin fait coïncider probablement
la fin des 69 premières semaines avec le baptême du
Christ; Isidore, P. Alphonse et P. de Blois avec le com-
mencement de la guerre juive, que celui-là date la
7* année de l'empereur Claude, ceux-ci la lf« de Ves-
pasien au moment où Titus apparut devant Jérusalem
avec l'armée romaine. Ces auteurs (sauf Clément) ne
détaillent pas autrement les semaines, même la der-
nière; mais ils entendent que le Christ a paru au cours
de ces semaines, comme l'a montré leur exégèse. On
peut réunir à ce premier groupe les demi-eschatologues,
Hippolyte, Ammonius, le pseudo-Cyprien, parallèles à
Clément pour les 69 semaines; Brunon d'Asti (20« an-
née d'Artaxerxès [II?] à la mort de Jésus). — b) Le
second groupe ou catégorie qui renvoie la ruine de
Jérusalem à quelque quarante (Titus) ou même cent ans
(Adrien) après la clôture de' la période des semaines
et qui ferme à peu près exactement cette période sur le
Messie, voir col. 86-88, comprend d'abord un bloc
d'écrivains traditionnels dont le système de computa-
tion offre comme principale originalité d'avoir à sa base
des années lunaires. Les 70 semaines ne font plus
490 ans, mais seulement 475. Pour tous, sans exception,
la série s'ouvre à la 20« année du règne d'Artaxerxès
Longuemain ; mais pour les uns elle se clôt à
du Christ (16« ou 18<* année de Tibère), pour les
une « demi-semaine », à savoir 3 ans 1/2 aprè
AfHcain, que suivent exactement Théodose de >
et l'auteur anonyme du Tractatus contra Ju
opine pour la 16* année de Tibère et compu
se mettre en peine d'eipliquer le pourquoi des di
7, 62 et 1. Bède le Vénérable et à sa suite les
Raban Maur, Bridfert, Rupert, le Mangeur, le l'au
H. de Saint-Cher, Thomas Vallensis, ont poussé
la 18» année du successeur d'Auguste. Selon B<
années sont lunaires, parce que adore viat.k s
baptême du Christ coïncide avec le « milieu de 1
nière) semaine », an 15 de Tibère. Sauf ce i
détail, le petit groupe bédan se désintéresse éga
de la division 7, 62, 1. — Il n'en est plus ains
Théodoret, que suit Zonaras, Albert le Grand et
le Chartreux. Celui-ci, cf. Jules Africain, Chro
chaXe, se contente, il est vrai, de marquer h
d'arrivée des 69 premières semaines au bapté
Christ, le milieu de la 70« à la mort de Jésus, et
de toute la série à trois ans et demi après le ci
ment; mais l'évêque de Cyr et Albert intervei
ainsi l'ordre des nombres : 62, 7 et 1. De la 20<
d'Artaxerxès à Hyrcan II, le dernier grand
asmonéen (Théodoret), ou jusqu'à la 19^ année a
naissance de Jésus-Christ (Albert), 62 semaines;
double point au baptême dans le Jourdain (15«^
de Tibère), 7 semaines; la dernière comme
Théodoret donne la raison de cette interversion
briel place le Christ immédiatement après Ies7sei
(sw; Xpt<rrov...Éo5oaâ6e; éirrà, ponctuation de Vhi
voilà le fait; mais si, partant du Christ, l'on re
Tordre des temps, après les 7 semaines (avant,
nologiquement) on trouve les 62; puis la subtil i
etvai ôt;>.ov (!), oxi tàç iÇyjxovra 5uo l6So(j,à$a; irp
-zixoLyjs, (àYY^^o;), celui-ci a dit : [letà rat; é68oji.à<
Ur,xovTa 8uo é$oXo6p6vOTi*jeTat xpfcruia; sinon il
dû dire iierà rà; 7 xai \U'k xà; 62. — c) Un grou
aboutit de même à 3 ans 1/2 après la mort du (
qui dispose et compute de façon identique la de
semaine, a comme chef de file Eusèbe de C^
Mais pour les 69 semaines 1 .usèbe compte de
manières assez difl'érentes. Dans la première,
suivent un auteur africain du v« siècle, Libeh
genealogiis patriarchaimm, P. L., t. lix, col. l
Andronicus, le savant apologiste de la Dénions
evangelica ayant compris sous l'expression -/
YiYou{iEvo; toute la série des grands-prêtres juifs <
l'exil babylonien jusqu'à la venue du Sauveur, p
Josué, fils de Josédec, lequel « la première anii
Cyrus )) inaugura ses fonctions de souverain sac
teur par le rétablissement de l'autel des holoca
I Esd., III, 2. La liste des grands-prêtres lui fouri
éléments de sa chronologie avec le synchronism(
mort d'Alexandre le Grand, contemporain de Jadd
les dates données par I Mach., xvi, 14, et Jos
Ant. jud,, XIII, VII, 4; x, 7; xv, 5; XX, x. Il :
ainsi à la mort d'Alexandre Jannée et au règne
veuve de ce dernier, Alexandra, changement qi
pour effet d'accomplir la prophétie incluse da
f. 25, voir col. 85, en divisant le sacerdoce
royauté entre Hyrcan II et Aristobule, fils de Jann
en préparant ainsi par les rivalités de ces deux pi
Pintrusion, sous Hérode, de grands-prêtres illégit
Dans sa seconde manière, révêquedeCésarée,seb
sur les textes de Zacharie, i, 7, et 12, qui marquei
la 2« année de Darius fils d'IIystaspe comme la
nière des 70 années pendant lesquelles Jérusalem c
rester en ruines, et rapprochant ces textes de Dan
2, où le voyant de Babylone aurait eu l'intelligen
cette date et de ix, 25, où Gabriel indique dai
reconstruction de la ville sainte le tet^ûnus a qu
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
94
70 semaines, choisit pour son point de départ la 6* an-
née de Darius, voir sa Chronique, 1. I, c. xviii, 4, et
atteint, de la 66« Olympiade à la 186*, an 4, la première
année du régne d*Hérode,le icptbtocàXXo^uXo; (P(x<n>eûc)
sous lequel la prophétie de Jacob, Gen., xlix, 10, plaçait
la naissance du Messie. Ont suivi cette deuxième com-
putation d'Eusèbe : Cyrille de Jérusalem, Prosper
d*Aquitaine, Isidore de Séville, Fréculph et Sicard de
Crémone, Chronique, P. L., t. ccxiii, col. 442. —
d) Autres systèmes. Sulpice Sévère place le commen-
cement des 69 semaines à la reconstruction du temple,
â« année de Darius fils d'Hystaspe, confondu, lui aussi,
avec Darius Nothus ou Ochus, et la fin à la ruine de
Jérusalem par Titus sous Vespasien. Il ne dit rien de la
dernière semaine. Polychronius fait courir 7 semaines
de la 1^* année de Darius le Mède à la 2* de Darius fils
d'H)*staspe; 62 de la 32^ d'Artaxerxès Longuemain à la
naissance de Jésus (32« d*Hérode); la dernière de Fan
15 de Tibère à 3 ans 1/2 après la mort du Christ. Basile
de Séleucie Hxe le début des 69 semaines à Tan 28 de
Xerxès, lafînà Tascension de J.-C.,19»année de Tibère;
la dernière s'achève Tan 3 de Caius Caligula. Raymond
MaWin, que suit Paul de Burgos, remonte à la 4« année
de Sëdécias, Jer., xxix, 10, 14; xxx, 18, voit de grands
mystères dans la division 7, 62, 1, et finit, avec les
Gloses, à la mort du Christ, 18« de Tibère. Après avoir
admis une computation parallèle à celles de Théodoret
et d* Albert le Grand, sauf l'interversion 62, 7, Nicolas
de Lyre revint à celle de Raymond, mais seulement
quant à ses points extrêmes. Toute la série, ou plutôt la
somme des 70 semaines commence bien la 5* année de
Sédécias, six ans avant la destruction de Jérusalem par
les Chaldéens; mais les 7 semaines dont l'ange parle
d'abord ne commencent que Tannée de la destruction,
six ans donc après le point de départ de la somme
totale. Ces six années forment le début des 62 semaines
interrompues alors entre leurs 6« et 7« années par l'in-
tercalation des 7 semaines.
2. Ainsi que les anciens et les écrivains du moyen
âge, les modernes qui rapportèrent la fin des 70 se-
maines d'une façon générale au temps du Christ, en
firent coïncider le début avec un décret (ou des lettres
royales) émanant d'un monarque perse (la Bible men-
tionne quatre de ces édils : celui de Cyrus, I Esd.,
I, 2 sq.; celui de Darius, fils d'Hystaspe, I £sd., vi,
Isq.; celui d'Artaxerxès Longuemain,! Esd., vu, 11 sq.;
celui du même Artaxerxès, II Esd., ii, confirmé, vi, 15)
touchant la reconstruction de la ville ou du temple de
Jérusalem, de préférence à une pi*ophétle antérieure
au temps du retour ayant le même objet (la Bible
mentionne sept de ces prophéties : Is., xliv, 28; xlv,
13; Jer., xx\ii, 16 sq.; xxix, 14; xxx, 18; Bar., ii, 34;
I?, 23 sq.). Quelques catholiques, Calvin, Prœlecliones
in Dan., et l'anglais Jean Lightfbot, Chronique, ont fixé
le terminus a que des semaines, comme Clément
d'Alexandrie et Eusèbe (première computation), à la 2*
on à la 1r« année de Cyrus. I Esd., i, 2 sq. Les pro-
testants Scaliger, De emendatione teniporum, EpilO'
giêm. hebdom. Danielis, et Jean Driesche (Drusius),
xvi«-xvn« siècle, Natte in Sulpitium, se sont prononcés
pour la 2* année de Darius Nothus, mais sans partager
l'erreur de Sulpice Sévère. La 2« ou la 6« année de
Darius, fils d'Hystaspe, I Esd., vi, 1 sq., seconde ma-
nière d'Eusébe, a eu ses partisans dans Corn. Jansen
(Jansenins) de Gand, xvi« siècle. Concorde des évangé-
listes, et Jean Driedoens (Driedo), xv«-xvi« siècle, De
Scripturis et dogmatibus. Une computation, qui pou-
vait passer pour « nouvelle » au xvii» siècle et qui est
acceptée^ par Corneille de la Pierre, In Dan,, ix, 25,
bien qu'elle ait eu pour auteurs des « chronologues
hétérodoxes », dont Louis Cappel, Chronologia sacra,
Paris, IG55, se fondait sur le décret mentionné, I Esd.,
VII, 11 sq., et rapporté à la 7« année du règne d'Ar-
taxerxès, à dater de la mort de Xerxès. Cf. Jacques
Ayrault (Ayrolus), xvii« siècle, Lib, 70 hebdomadum
resignatus, l'anglais Humphrey Prideaux (Pridaeus),
Historia Judœorum, 1. V. Mais la 20« année d'Artaxerxès
Longuemain, II Esd., ii, devait surtout retenir l'atten-
tion des modernes comme elle avait fait celle des
anciens. Entre cette date (à première vue 445 avant
Jésus-Christ) et celte de la mort du Sauveur considérée
comme la dernière année de la série des semaines
(la 490«) ou la 4« de la 70« semaine {in dimidio hebdo-
madis, la 487«), la somme des années prédites se trou-
vait contenir un excès variable d'au moins huit années.
Afin de restreindre l'intervalle aux limites nécessitées
par la croyance, on remet en avant les années lunaires.
Cf. Pereira, In Dan./ Augustin Torniel (Tomiellus),
Annales sacri et profani, Anvers, 1620; Huet, Denion-
stratio evangelica, Paris, 1679, prop. ix, c. viii, n. 9. Ou
bien, si l'on tient aux années solaires, on relève la
20* année d'Artaxerxès, soit en augmentant arbitraire-
ment la chronologie des successeurs de ce prince,
Galatinus, De arcanis catholicœ veritatis, 1. IV, c. xiv,
Orthonse-Maris, 1518; soit en le faisant régner huit ans
plus tôt, Jacques Usher (Usserius), Annales V, et A*.
Test,, Londres, 1650-1654, an. 474 et 454 avant Jésus-
Christ; Claude Lancelot, Chronologie sacrée, dans la
Bible de Vitré, Paris, 1662, c. xx; Bossuet, Discours
sur Vhist, universelle, I" partie, 8« époque. D'autres, se
fondant sur le témoignage d'historiens anciens, Thu-
cydide, De bello pelop,, 1. I; Plutarque, Vitœ (Thémis-
tocle); Corn. Nepos, Vitœ (Thémistocle); Diodore de
Sicile, Biblioth. historica, part. 11, associent Artaxerxès
au gouvernement de Xerxès son père la 5<^ année de
celui-ci, soit Tan 480 avant Jésus-Christ, et comptent à
partir de cette date sa 20« année, qui tombe alors l'an
460; mais comme les paroles de l'ange ab exitu ser-
rnonis doivent, pense-t-on, s'entendre de la reconstruc-
tion effective de Jérusalem et qu'il a fallu trois ans
pour qu'elle fut opérée, Josèphe, Ant. jud,, 1. XI, c. v,
les semaines d'années ne commencent à courir que l'an
23 d'Artaxerxès, soit l'an 457 avant Jésus-Christ, et se
terminent exactement l'an 33 de notre ère, une « demi-
semaine » après la mort du Christ. Cf. Jacques Tirin,
Chron, sacra, c. xxxviii; Nicolas Abram, Phat^s Vet.
Test., dans Menochius, Commentarii, édit. Tourne-
mine. Tournemine a légèrement corrigé ce système on
faisant associer Artaxerxès au gouvernement la 7< année
de Xerxès; les semaines commencent vingt ans après.
Mais Petau, Opus de doctrina teniporum, l. X, c. xxv;
Hationariuni temporum, part. II, 1. III, c. x; Dog-
mata, De incaimatione, 1. XVI, c. viii, et Pierre Pous-
sines (Possinus), Dissertatio, dans Menochii suppl. de
Tournemine, avec ou après eux beaucoup d'autres, Noël
Alexandre, Hist. eccl., Paris, 1730, t. ii, diss. II; Louis
Legrand, De incaimatione, 1754, diss. II, c. i, a. 2,
§ 2, etc., ont descendu encore jusqu'à la 10« ou même
la 12« année de Xerxès l'accession au pouvoir de son
fils Artaxerxès; la première semaine s'ouvre l'an 454
avant Jésus-Christ, la dernière finit l'an 37 de notre
ère, le Christ étant mort l'an 33. Très peu d'auteurs
catholiques modernes ont suivi H. Martin ou Nicolas de
Lyre (seconde manière) en fixant le terminus a quo
des semaines à quelque prophétie antérieure à la cap-
tivité. Citons seulement, d'après Corneille de la Pierre,
Vatable, Annotationes, et Galatinus, op. cit., 1. IV,
c. XVI, contrairement à l'opinion formulée au c. xiv.
3. Les contemporains laissant également de côté les
décrets de Cyrus et de Darius, fils d'Hystaspe, se sont
prononcés en général pour l'un ou l'autre édit d'Ar-
taxerxès. Pour l'édit rendu en faveur d'Esdras, I Esd.,
VII, c'est-à-dire pour la 7« année d'Artaxerxès, soit, non
plus l'an 457 (Cappel, Corneille de la Pierre, Ayrault,
Prideaux), mais l'an 454 après rectification, la 69« se-
maine finissant l'an 29 de notre ère au baptême du
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
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Christ, el la mort de Jésus tombant l'an 33 : Delaltre,
De Vauthenticité du livre de Daniel, dans la Revue
catholique de Louvain, 1875; Neleler, Die Zeit der
10 Jahrezwochen Daniels, dans Tûbinger Quartal-
schiHft, 1875, p. 133 sq.; Palmer, Conimentatio in
Dan.,Rome,1874; Rohling, i)a«Buc/t des Proph.Dan.,
Mayence, 1876, p. 270 sq.; Corluy, Spicilegium, Gand,
1884, t. I, p. 498 sq.; chez les protestants conserva-
teurs, Auberlen, Der Propfiet Daniel, Bàle, 1874,
p. 123, et autres. Cf. Zockler, Der Prop. Dan., Leipzig,
1870, p. 189. Pour Tëdit rendu en faveur de Néhémie
la 20« année d'Artaxerxès, associé au gouvernement de
son père Tan 480 avant Jésus-Christ, mais à partir tou-
tefois de la reconstruction eflective de Jérusalem (an
458/457, cf. Tlrin, Abram, Tournemine) : Stavvars, Die
Weissagung Daniels, dans Tûbinger Quartalschrift,
1868, p. 416 sq. Pour la 20« année coïncidant avec Tan
454 avant Jésus-Christ (cf. Petau, etc.):Dereser, AHioli,
Trochon dans leurs commentaires de Daniel; Bade,
Christologie des alten T^st., Munster, 1862, t. m, fasc.2;
Reinke, Die messian. Weissagungen, Giessen, 1862,
t. IV, fasc. 1 ; G. K. Mayer, Die messian. Prophezien des
Daniels, Vienne, 1866; Palmieri, De veritale historica
libH Judith aliisque SS. locis, Appendix, Gulpen, 1886;
Hebbelynck, De auctoritale historica libri Daniel is,
Appendix, Louvain, 1887, p. 347 sq.; chez les protes-
tants, Hengsten berg, Z>i6 Authentiedes Daniel, Berlin,
1831.
Remarques critiques. — Tous les systèmes tradition-
nels de computatiou des semaines daniéliques ci-dessus
énumérés semblent reposer en dernière analyse sur la
présomption antécédente que la prophétie se rapporte
directement an Messie, présomption dont ils paraissent
bien être Tinférence plutôt que les prémisses. On part
sans doute de la « parole pour rebâtir Jérusalem », t- 25 ;
mais on s'étudie à faire aboutir au Christ, parce qu'on
y doit aboutir sur les données verbales des versets 24-
27, voir col. 81, 84-86, la computation que l'on est censé
avoir érigée sur la date présupposée de cette parole.
Quelle qu'ait été la date choisie, 4« ou 5« année de
Sédécias, 1": de Darius le Mède, \^ ou 2« de Cyrus,
6«de Darius, fils d'Hystaspe, 7« ou 20« d'Artaxerxès, voire
Ire ou 2« de Darius Nothus, les interprètes ont toujours
conduit leurs calculs au temps de la mort de Jésus,
encore qu*ils aient dû, pour y panenir, user d'arbitraire
comme Tertullien, Théodoret, Albert le Grand et Nicolas
de Lyre, dans la disposition des séries de semaines, ou
comme Galatin, Usher et Bossuet, dans la chronologie
des rois de Perse; recourir à l'hypothèse certainement
erronée d'une computation juive par années lunaires,
comme tous les suivants de Jules Africain et de Bède;
admettre surtout entre les séries 7 et 62, ou principa-
lement entre la 69* et la 70* semaines, des intervalles
parfois fort longs que ne suppose nullement le discours
de l'ange, ainsi particulièrement Polychronius et Eusèbe
avec son école dans ses deux manières, sans parler de
la confusion toujours latente entre les Darius. L'opi-
nion maintenant la plus accréditée chez les théologiens
catholiques depuis les travaux de Petau, et qui semble
si bien assise, du moins au premier regard, ne parait
pas échapper plus que ses aînées au grave soupçon de
la pétition de principe : on continuera à refuser toute
considération à l'hypothèse d'un terminus a que des
semaines coïncidant avec la date d'une parole prophé-
tique antérieure au temps du retour, parce qu'on voit
immédiatement l'impossibilité d'atteindre ainsi l'époque
<:ontemporaine de Notre-Seigneur. Que si l'on fait
abstraction de cette époque et si l'on veut s'en tenir
d'abord aux simples et tout objectives données des
textes, la solution rejetée parait de suite gagner beau-
coup en probabilité. L'annonce des 70 semaines, ji. 24 sq.,
est, sans que le moindre doute puisse être élevé sur la
question, étroitement liée aux méditations de Daniel sur
une « parole » du Seigneur à Jérémie le prophète rela-
tivement au nombre des années de la captivité, lequel
« nombre » était de « soixante-dix >, t* 2; car c'est à ce
sujet que le voyant de Babylone va recevoir communi-
cation d'une nouvelle « parole », parole « sortie y> de la
bouche divine précisément durant la prière qu'il fit à
la suite de ses méditations, f. 23. Et la pointe du dis-
cours aussi est en ceci : la parole dite à Jérémie faisait
savoir que Jérusalem « resterait en ruines 70 ans du-
rant i>, t. 2 : la parole dite à Daniel apprend à celui-ci
que les a soixante-dix ans i> sont devenus « soixante-
dix semaines » d'années, non plus a de ruines » assu-
rément, mais de relèvement, mais de pardon. Or, de
quel moment ces semaines commencent-elles à courir?
« Du moment où il « est sorti » une c parole que Jéru-
salem serait rebâtie », f. 25. Et que peut être main-
tenant cette « parole » dans un tel contexte, sinon une
autre prophétie « sortie » également de la bouche di-
vine et à chercher dans le passé, là même où Daniel
avait déjà trouvé la «c parole des soixante-dix années »,
dans a les livres », dans la collection des « paroles de
Jahvé » qu'est en réalité le livre de Jérémie, livre presque
entièrement composé, on le sait, de morceaux prophé-
tiques à l'en-tête desquels on trouve plus de quarante
fois en manière de titre la formule presque invariable :
« Parole de Jahvé à Jérémie lepropfiète. » Le passage,
Jer., XXX, 18; xxxi, 38, remplit toutes ces conditions.
Si maintenant l'oracle des semaines est déjà un déve-
loppement grefl'é sur la « vision » du c. viii, comme il
parait bien aux paroles de l'ange, ix, 24 : « Sois attentif
à la parole et comprends la vision, » paroles manifes-
tement concordantes à la réflexion de Daniel parlant à
la première personne, viii, 27 : « Je restais bien étonné
de la vision, » de cette vision du c. viii qui c se rappor-
tait à des temps éloignés », t. 26; si cet oracle a, par une
conséquence obligée, pour objet propre et premier de
fixer et de détailler ces temps éloignés; si les c. x et
XI sont, à leur tour, une nouvelle satisfaction donnée
à la légitime curiosité du voyant, qui « dès le premier
jour avait eu à cœur de comprendre », x, 1 2, et s'était
« humilié » devant Dieu, cf. ix, 3-20; si, au cours des
nouvelles visions mentionnées dans ces c. x et xi, Da-
niel eut précisément «c Tintelligence », entière cette
fois, de la vision, x, 1, de celle du c. viii et déjà me-
surée, supputée en semaines d'années, vu qu'elle «con-
cernait la suite des temps » où il a devait arriver »
quelque chose de remarquable « à son peuple », x, 14;
cf. IX, 24 : « 70 semaines ont été fixées sur ton peuple...; »
si les événements marqués au c. xi ont bien donné au
prophète cette pleine «c intelligence » qu'on lui avait
promise, x, 14, 21 ; xi, 2, comme l'expression de la
« vérité » même ; si enfin, quelques détails de ces évé-
nements vont s'appliquant, par la force des choses, par
l'effet de ce mouvement des paroles et des visions pro-
gressant en plus grande clarté, sur les traits histori-
ques servant au c. ix, 25-27, de points d'articulation aux
séries de semaines, 7, 62, 1, une demi-semaine, voir
col. 89-90, et si ces détails se réfèrent à des temps anté-
rieurs à ceux du Sauveur, aux temps enfermés par-
l'interlocuteur de Daniel, x, 16 sq., entre la 3« année de
Cyrus, cf. x, 1, avec xi, 2, el la mort d'Antiochus IV
Épiphane, il est clair que les soixante-dix semaines
d'années sont elles-mêmes à enfermer, dans leur total
et leurs subdivisions, entre la « parole » adressée à.
Jérémie sur la fin du règne de Sédécias et la «i ruine »
du prince syrien persécuteur des Juifs sortis depuis-
longtemps de captivité. Ainsi apparaissent moins pro-
bables, dépourvus qu'ils sont de références réelles avec-
le contexte de l'oracle des semaines, les deux terminus
de ces semaines, préférés par la tradition : la 20« année
d'Artaxefrxès, la mort du Christ. Du reste, i\ est beau-
coup plus logique d'admettre que, à l'annonce des se-
maines, à l'exposé de leur distribution, l'esprit divt^
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
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Toyant de Babylone s'attacha de préférence, pour en
bien saisir les rapports avec l'histoire de son époque, à
des notions déjà fomiliéres telles que les paroles dites à
Jérémie le prophète, plutôt qu*à de futurs édits dont il
ne pouvait avoir à ce moment aucune connaissance
naturelle, et dont Tange Gabriel ne lui a donné ou le
« fils de rhomme » du c. x, 16 sq., ne lui donnera
aucune connaissance prophétique. De même pour les
rapports de Toracle avec Thistoire de Ta venir, Daniel
dut c avoir à cœur de la comprendre », cette histoire
encadrée qu'elle était maintenant par la chronologie des-
dites semaines, en se référant d'abord à «la vision du
c. VIII dont cette chronologie devait lui préparer l'intel-
ligence, IX, 22, 24; x, 1, etc., et dont une explication
sommaire lui avait déjà été donnée, m, 13 sq., et en des
termes que tous les interprètes, sans exception, recon-
naissent viser spécialement l'époque d'Ântiochus Épi-
phane. Car, aussi bien, s'unissent, se compénètrent,
s'identifient, du c. vu an c. xii du livre, dans un ordre
à peu prés constant, pour définir à chaque nouvelle fois
un seul et même objet prophétique, à savoir les événe-
ments fâcheux qui doivent signaler à Jérusalem et dans
toute la Judée les dernières années du prince syrien,
nombre de traits qui ne peuvent raisonnablement, à si
peu de distance les uns des autres, signifier des choses
différentes. Ainsi \sl guerre et la dévastation qui fondent
sur le peuple des saints et sur la cité, cf. vii, 21 ; viii,
24, 25; IX, 26; XI, 31, 3a54; V hostilité du prince étran-
ger à l'égard de l'a/liature d'Israël avec Jahvé, cf. ix,27a;
XI, 28, 30, 32 ; la cessation ou plutôt Vabolition du thd-
mid ou sacrifice perpétuel, cf. viii, 41, 13; ix, 276 ; xi,
31; XII, 11, et aussi Exod., xxix, 38-42; V abomination
du prince dévastateur substituée, dans le temple, à Vof-
frande quotidienne, cf. viii, 13; ix, 27c; xi, 31; xii, 1 1 ;
la durée de ces épreuves, évaluée à trois ans et demi
environ, cf. vu, 25; viii, 14; ix, 276; xii, 7, 11-12; la
chute lamentable du persécuteur, cf. vu, 26 ; viii, 26 ;
IX, 26c, 27 d; XI, 45; Varrêté ou décret divin par l'effet
duquel sont arrivées et la guerre faite aux saints et la
mine du prince, cf. ix, 26d,27d; xi, 33; le temps de la
fin où doit cesser la persécution et commencer le règne
de la justice étemelle, cf. viii, 17-19 ; ix, 26 d; xi, 27, 35-
36, 40 ; XII, 4, 9, 13. II est vrai que l'intervalle compris
entre les dernières années de Sédécias et la mort d'An-
tiochus devient alors trop court et ne peut que laisser
déborder d'au moins soixante-cinq les 490 années des
semaines (589, 10» année de Sédécias — 164, mort d'An-
tiochus = 425). Mais il n'est pas bien sûr que ces
490 années doivent être prises, non plus que leurs sub-
divisions 49 (sept semaines), 434 (soixante-deux se-
maines) et 7 (une semaine), pour autre chose que des
nombres ronds, approximatifs. Les soixante-dix ans de
Jérémie, xxv, 12, dépassent aussi de vingt ans la pé-
riode réelle de la captivité (586, prise de Jérusalem —
536, édit du retour = 50). Les nombres 7, 70 sont, dans
les textes bibliques, plutôt symboliques; cf. seulement
Lev., XXVI, 27-^, passage auquel se réfèrent, du reste,
les versets 11 et 13 de la prière de Daniel, comme pour
faire pressentir la conversion des 70 ans de Jérémie en
70 années sabbatiques ou semaines d'années; puis
Matth., xviii, 32, etc. Dans l'explication de la prophé-
tie des semaines donnée au c. xi, le « fils de l'homme »,
enfin, laisse de côté toute chronologie précise et se
contente de rattacher les événements à la série des
principaux rois étrangers qui doivent occuper la scène
de l'histoire, de Cyrus à Antiochus lY.
111. Interprétation critique. — 1* Son histoire, —
1. Dans l'antiquité, — Dès avant Jésus-Christ, l'oracle
des semaines fut rapporté aux temps d'Antiochus Épi-
phane indépendamment de l'explication qui paraît bien
en avoir été donnée aux c. x-xii du livre. Voir plus
haut. Peut-être l'auleur de la section rv du livre
dHénoch, lxxxv-xc, n'a-t-il partagé en 70 périodes le
DICr. DE THÉOL. CATH L.
temps écoulé depuis la captivité jusqu'au soulèvement
machabéen, lxxxix, 59; xc, 14, que pour se mettre à
l'unisson d'une tradition juive qui enfermait les 70 se-
maines dans le même espace de temps. Voir F. Martin,
Le livre d'Hénoch traduit sur le texte éthiopien,
Paris, 1906, p. 218. Mais un document de première
valeur qui accuse sûrement cette tradition, c'est la
version alexandrine des versets 24-27 du c. ix, bien
qu'elle présente une grande divergence dans les indi-
cations chronologiques de ces versets par rapport au
texte hébreu. Dans celui-ci, il est constamment ques-
tion de semaines d'années, tandis que, dans la traduc-
tion grecque, l'expression de « semaine » d'abord n'est
conservée qu'aux versets 24 et 27 et ensuite doit s'en-
tendre, en ces deux passages, de semaine de jours, à
côté d'autres données chronologiques ayant gardé, 25,
26, la signification première d'années. D'après ce com-
plexus nouveau, l'exil doit durer 70 semaines encore,
soit un an et quatre mois à partir de la première
année du règne de Darius le Mède; puis s'accompliront
tous les oracles antérieurs, et celui de Jérémie en par-
ticulier, par le rachat spirituel du péché et le relè-
vement de la ville sainte. Daniel lui-même contribuera
à ce relèvement (olxoôopuQo-eiç, 25). Cependant il y aura
dans l'avenir une autre reconstruction après une autre
dévastation, à savoir dans 139 ans {\Ltxa 77 xaipoùç %a\
62 Xtt)), que l'on doit compter très probablement de
l'an 312 avant notre ère, soit de l'an l*'' de l'ère des
Séleucides. Ainsi nous tombons en pleine persécution
religieuse organisée dès l'an 170 contre les Juifs par
Antiochus IV. Aussi le Daniel alexandrin voit-il successi-
vement l'onction sacerdotale légitime disparaître (àico-
<rra6r,<jcTat yptcrjjia) avec Onias lll, l'armée syrienne sac-
cager la ville et le sanctuaire, l'autel des holocaustes
profané, le sacrifice quotidien interrompu, puis enfin
l'alliance rétablie pour longtemps (KaTi<jxu<Tat ttjv 5ta-
ÔYjxr.v £711 7coX).àc èS5o|xdt5xç). V. Fraidl,2>te Exégèse der
10 Wochen, p. 4-21; Bludau, Die alex, Uebersetzung
des B. Daniel, p. 104-130.
Dans l'antiquité chrétienne, seuls Julius Hilarianus
(fin du iv« siècle) et quelques exégètes contemporains
de Théodoret, In Dan., P, G., t. lxxxi, col. 1256 sq.,
ont émis sur Dan., ix, 2i-27, des conclusions semblables
à celles des critiques modernes. Hilarianus, De dura-
liane mundi, P. L., t. xiii, col. 1097 sq., compte les
7 premières semaines de l'an l»"" de Darius le Mède
(la 21» de la captivité) jusqu'à l'an l^^de Cyrus le Perse
(la 70» de la captivité); le Christum ducem du î^, 25 est
Zorobabel, qui « ramène le peuple juif de Babylonie »
en Judée. Les 62 semaines finissent l'an 141 de l'ère
des Séleucides (171 avant Jésus-Christ; Vunctio ou
Xpîdixa du y, 26 est ou bien le sacerdoce, ou bien l'en-
semble du culte du vrai Dieu. Au milieu de la dernière
semaine qui se termine l'an 148 (164 avant Jésus-Christ),
Antiochus interrompt le sacrifice et dresse sur l'autel la
statue de Jupiter Olympien (l'abomination). Selon
l'évéque africain, Darius le Mède aurait donc régné
49 ans, et la première année de Cyrus serait non pas
l'an l^r de la prise de Babylone, mais de son élévation
au trône des Perses : les 30 années du règne total de
Cyrus seraient à compter dans les 62 semaines. Pour
atteindre l'an 141 des Séleucides, Hilarianus augmente
de 33 années la réelle durée de l'empire perse, et de
11 à 12 celle de la période gréco-syrienne.
2. Le xvi« siècle vit renaître le système dans les ou-
vrages des théologiens Sixte de Sienne, Bibliotheca
sancta, 1. VIII, liaer. xii, Venise, 1556, p. 1040, et de
William Hessels, van Est (Guill. Estius) j Annotationes
in prœcipua ac difficiliora sac. Script, loca, Anvers,
1699, p. 374-375. Au xvii«, le chevalier Jean Marsham,
Chronicus canon œgyptiacus, etc., Londres, 1672,
sxc. XVIII, le reconstruisit sur le plan que lui avait
donné J. llilarianus; sauf que les 62 semaines com-
IV. - 4
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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
100
mencent à la ruine de Jérusalem, 21 ans avant le point
initial des 7 premières semaines (an 21 de la captivité)
qui leur sont alors parallèles. Jean Hardouin, De lxx
hebdomadibus Danielis, dans Opéra selecta, Amster-
dam, 1705, p. 880-903, fit partir du même point la 4* an-
née de Jojakim, Jer., xxv, les deux séries 7 et 62; la
première finit en 557 lorsque Cyrus accède au trône des
Mèdes conquis, la seconde en 172 lorsque Judas Ma-
cliabée (autre Christum ducem, f. 25, commence à faire
parler de lui; le Christus occistis du t. 26 est bien le
Messie, mais figuré dans Onias lil mis à mort l'an 171 ,
au cours de la &• semaine, laquelle se trouve être aussi
la 70«; les ravages d'Antiochus Épiphane sont également
figuratifs : ils annoncent ceux de Titus. Au xviiP siècle,
dom Augustin Calmet, Dissertation svr les 10 se-
maines de Daniel, àmus Commentaire littéi'al, 2« édit.,
Paris, 1726, t. iv, p. 614-621, rejette les systèmes de
Marsham et de Hardouin. Les 70 semaines commen-
cent l'an de la ruine de Jérusalem prise par les Chai-
déens, et le Christum ducem des 7 premières semaines
est Cyrus; Cyrus renvoie les captifs, et c'est alors que
se réalisent les biens promis au f. 24 : les Juifs désor-
mais n'adoreront plus les idoles. Dieu oubliera leurs
infidélités passées, le temple est reconstruit et recon-
sacré. Les 62 semaines courent de cette époque au
meurtre d'Onias IH. Le reste de l'oracle s'applique au
temps d'Antiochus IV. Et c'est Calmet qui reconnaît et
affirme que les c. vii-xii du livre de Daniel n'ont au
fond qu'un seul grand objet : faire savoir au prophète
ce qui devait arriver au peuple juif et aux nations de
l'Orient depuis le règne de Cyrus jusqu'à celui d'An-
tiochus Épiphane.
Les critiques protestants modernes et contemporains
se tiendront généralement dans le cadre tracé par
Marsham, Hardouin, Calmet, insuffisant à contenir les
490 ans des 70 semaines si l'on ne rabat les sept pre-
mières sur les 62. Seul Bœhmer, Deutsche Zeitschrift
fur Chris tl. Wissenschaft, 1857, p. 39 sq., a voulu comp-
ter ce total et en a reculé l'année initiale jusqu'en 654
avant Jésus-Christ, date supposée du retour du roi
Manassé, II Par., xxxiii, 13 : cette date est arbitraire-
ment choisie; les deux autres sont 605 et 171, la série
finit l'an 164. Beaucoup supposent parallèles et partant
du même point les deux séries 7 et 62, quoique ce point
de départ ne soit point, chez tous, uniforme, et que
Ton trouve d'étranges computations qui prennent à re-
bours les 7 premières semaines, et placent l'Oint du t-
25 en arrière, avant le temps de la captivité. Comptent
les 62 semaines et les 7 semaines, dans le sens paral-
lèle et convergent, de la a parole » de Jérémie, xxv,
aux temps d'Antiochus : C. Wieseler, Gôlt. gel, A nteigen,
1846, p. 43 (an 606-172 ou 175; l'Oint des versets 25 et
26 est Onias III); Hitzig (définitivement), Das Buch
Daniel, 1850 (606-172; Oint du t- 25 = Cyrus (536) ; Oint
du f. 26= Onias); Meinhold, Das Buch Daniel, 1889,
et Behrmann, Das Buch Daniel, 1894 (comme Hitzig),
de la ruine de Jérusalem contemporaine de la « parole
de Jérémie, xxxii; Henri Corrodi, Kritisehe Geschichte
des Chiliasmus, 1781, t. m, p. 253 sq. (an. 588-170;
rOint du f, 25 était bien le Messie qui n'est pas venu au
temps fixé, celui du f. 26 est Onias) ; von Lengerke, Das
Buch Daniel, 1835 (588-536, Oint = Cyrus; 588-220,
Oint = Séleucus Philopator (!) empoisonné par Hélio-
dore l'an 175 avant Jésus-Christ; la 70* semaine avait
commencé en 178). Comptent les 62 semaines et les 7
semaines dans le sens parallèle mais divergent :
G. Eichhorn, Die hebr. Prophetenf 1816-1819, t. m,
p. 47 (les 62 semaines courent de l'an 606, Jer., xxv, à
l'an 165, purification du temple par Judas Machabée,
les 7 semaines partent de l'an 536, édit de Cyrus, et
remontent en arrière jusque vers l'an 588, l'Oint du t. 25
étant NabuchodonoFor(!); la 70* semaine est comprise
entre les dates 170-165, avec l'Oint du >. 26 identifié à
Onias III}; Ammon et le docteur Paulus (comme Eich-
horn), sauf que Paulus date ainsi les 62 semaines : 588-
154, identifie l'Oint du ^. 25 avec Sédéclas, celui du t. 26
avec la souveraine sacrificature entre Onias^et Jonathan,
et fait commencer la 70» semaine l'an 175 avant Jésus-
Christ. Beaucoup aussi, reportant à l'époque mâcha-
béenne la composition du livre de Daniel, gardent l'ordre
continu 7 -H 62 -h 1, et attribuent simplement à un
calcul inexact de l'auteur mal renseigné sur le temps
écoulé depuis l'exil l'écart si considérable de la corn*
putation daniélique d'avec la chronologie réelle. Bleek,
Theologische Zeitschrift de Schleiermacher, t. m, p. 292
(an. 588-536, Oint = Cyrus; 536-175, Oint = Séleucus
Philopator; 175 sq.); Graf, art. Daniel, dans Bibel-
Lexicon de Schenkel, 1869; Nôldeke, Histoire littéraire
de V Ancien Testament, trad. franc., Paris, 1873, p. 328-
330; Schûrer, Geschichte des jûd. Volkes ini Zeitalter
J. C.,3» édit., 1898, Leipzig, t. m, p. 189-190; Comill,
Die 10 Jahnoochen Daniels, 1889; G. Wildeboer, Die
Literatur des Alten Testaments, 2« édit., Gœttingue,
1905, p. 438 (selon ceux-ci l'Oint du ^ 26 est plutôt Onias) ;
Bevan, A short comm, on the Book of Dan,, 1892
(t. 25, an. 588-536, Oint = Josué fils de Josédec; f. 26,
536-171, Oint = Onias III, le prince qui vient = Jason,
frère et successeur d'Onias, cf. II Mach., v, 7-10; t. 27,
Antiochus); Marti, Das Buch Daniel, 1901 (jr. 25, an. 586-
538, Oint = Josué; f. 26, 538-171, Oint = Onias III, le
prince qui vient est encore Onias III renversé « avec y
la ville, voir col. 98; f. 27, Antiochus); Driver, The
Book of Daniel,i900(f, 25, an. 586-538, Cyrus; t- 26, 538-
171, Onias III ; f, 27, persécution d'Antiochus). Berlholdl,
Daniel ûbersetzt und erklàrt, 1806-1808, et Ew'ald,
Jahrbûcher fur deutsche Théologie, t. vi, p. 194, ont
exposé des systèmes assez peu clairs et trop arbitraires
sans arriver à résoudre la difficulté.
2« Bases de la théorie. — Abstraction faite des ten-
dances rationalistes qui ont pu inspirer et guider ses
fauteurs protestants, surtout dans les commencements,
voir RohIing, Das Buch des Propheten Daniel, 1876,
p. 283 sq., l'interprétation critique des 70 semaines
peut être comparée à l'interprétation ecclésiastique
traditionnelle, à la fois pour la fermeté de son principe
fondamental et pour la variété des opinions émises sur
ses points secondaires. Comme les auteurs catholiques,
exégètes ou théologiens, rapportent unanimement
l'oracle au temps du Christ, sans avoir pu s'entendre
sur tout autre aspect de la question, ainsi les critiques
sont unanimes à le rapporter au temps d'Antiochus IV
Épiphane, sans avoir pourtant réalisé l'identité des opi-
nions sur la date précise du terminus a quo des se-
maines, sur l'arrangement des trois fractions entre
lesquelles elles se trouvent partagées, sur l'identifica-
tion des personnes ou des événements qui les déter-
minent. N'y aurait-il pas dans cet état de choses que
Ton peut dire général comme une invitation tacite à ne
considérer, dans la prophétie, que le point d'arrivée
pour lequel principalement elle fut émise, avec licence
de ne se point mettre trop en peine d'expliquer à fond
tous ses moindres détails? Quelle prophétie, du reste,
prise dans son sens premier, direct et littéral, est si
précise qu'il ne nous reste plus maintenant d'autre soin
que d'en transporter sur elle l'accomplissement histo-
rique pour admirer la parfaite coïncidence de toutes les
parties, de même que l'on transporte par la pensée un
triangle sur un autre triangle en vue d'en démontrer
la mutuelle et parfaite égalité? — a) Les critiques ont
fini par saisir cette nuance, et rejetant peut-élre à tort
les conjectures d'Eichhorn, op. cit., de Bertholdt,
op. cit., et de Rosenmûller, Scholia in Vet, Test., 1832,
qui trouvaient dans les nombres de la prophétie une
certaine « poésie », ou mieux encore un « symbolisme
sacré et prophétique » s'exprimant en «chifi'res ronds »,
ils ont, en tout cas, définitivement posé en principe
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101
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
102
r < erreur » commise par Fauteur du livre dans Tap-
préciatioD du temps écoulé entre la chute de Tempire
chaldéen et la mort du grand-prétre Onias III. Bevan,
op. cii., p. 148-149; Marti, op., cit., p. 72-73. Le mot
dépasse assurément la mesure; aussi, dans l'hypothèse
critique, la seule base acceptable pour la computation
des semaines serait-elle le symbolisme du schéma de
c soixante-dix » imposé en quelque sorte par les 70 ans
de Jérémie, partageable par à peu près en schémas
secondaires de 7, 62 et 1, selon la situation chronolo-
gique approximativement appréciée par le prophète
écrivain, et sans que celui-ci se fût autrement soucié
de la faire matériellement exacte, des jalons posés par
l'histoire : Cyrus, reconstruction de Jérusalem, Onias III,
Antiochus, etc., sur la route à parcourir à partir des
temps daniéliques. Driver, op. cit., c. ix, dissertation
appendiculaire. — b) Un autre fondement du système
et qui, une fois bien assis, cadrerait fort à la symboli-
sation des semaines, c*est la thèse critique de la com-
position du livre au temps d*Àntiochus IV par un écri-
vain juif machabéen. Voir col. 72-73. Abstraction faite de
la vision du c. ix, toutes les visions paraissent aboutir
à rimpieAntiochus dont l'auteur nous fait connaître la
vie en détail jusqu'en 168, spécialement au c. xi, ainsi
que les démêlés et les alliances des Séleucidcs et des
Lagides au début du ii« siècle avant notre ère; mais
l'abondance et la précision des détails historiques sont
restreintes â cette seule période gréco-syrienne, les
quatre empires sont à peine esquissés et l'écrivain en
déroule l'histoire comme si elle appartenait à un passé
déjà éloigné; d'autre part, le vague du di^lail recom-
mence justement lorsqu'il s'agit de prédire la mort
d*Antiochus et les événements qui la devaient circon-
stancier et conditionner. Or, la prophétie des semaines
coïncide dans toute hypothèse, pour une bonne part, à
savoir pour les semaines correspondantes aux iv> et
nr siècles avant notre ère, avec l'époque imprécise et
obscure des autres visions ; elle n'indique même aucun
éYénement pour cette période ; elle détaille pourtant
avec complaisance et clarté suffisante la dernière se-
maine, où les faits et les temps vont d'eux-mêmes à
s'identifier aux faits et aux temps de la persécution de
l'Épiphane marqués dans les autres visions; elle se
garde enfin de rien dire de précis sur la ruine du per-
sécuteur. L'auteur agirait donc en tout comme s'il
écrivait en Tannée 168; et l'oracle des semaines ne
serait, lui aussi, qu'une vue rétrospective des temps
écoulés depuis la captivité, un cadre chronologique ou
approximatif, ou symbolique, donné aux événements
intéressant particulièrement la nation juive durant les
siècles compris entre la date du retour et les jours
d'épreuves amenés par l'oppression syrienne sous An-
tiochus IV. Le pseudo-Daniel aurait esquissé ce cadre
en style prophétique, ou mieux* apocalyptique, dans
l'intention de mettre en relief, par une fiction dont
osèrent dans une si large mesure les auteurs d'apoca-
lypses juives, l'action de la providence divine sur la
suite heureuse ou malheureuse pour le peuple choisi
des rapports de ce dernier avec les autres nations :
Dieu qui a tiré de peine « les saints de son royaume »
lors de Cyrus et de la reconstruction de Jérusalem
après le retour, ne saurait manquer de les sauver aussi
lors des attentats commis contre eux, contre le temple
et le sacerdoce, contre la ville, par le plus cruel et le
plus implacable des rois païens, par l'impie et l'artifi-
cieux Épiphane. — c) Le sectionnement du t<25 dans le
texte massorétique a eu aussi sa part d'infiuence dans
l'œuvre de l'interprétation critique. Un « oint «, gratifié
par surcroît du titre de «c prince », se trouvant placé
î la fin des sept premières semaines, il devenait im-
possible d'attribuer cette double qualification à quelque
important personnage que ce fût sur la lisière com-
mune des V* et iv« siècles, 49 ans (7 x 7) environ après
redit d'Artaxerxès (soit 454). Et encore que les 62 se-
maines fussent peut-être à considérer comme un chiffre
rond, approximatif, symbolique, attendu qu'elles ne
pouvaient plus être rétrécies, il fallait en faire remon-
ter le point de départ beaucoup plus haut qu'Artaxer-
xès, jusqu'à l'édit de Cyrus, sinon jusqu'à l'avènement
de ce prince au trône des Perses, moments indiqués
par Isaïe, xliv, xlv. Le point initial des 70 semaines
reculait encore de 49 ans en arrière et atteignait les
temps des plus ardentes prédications de Jérémie, xxv,
X XX- XXXI.
A condition qu'on dût la dépouiller de toute nuance
rationaliste et de tout caractère d'hostilité à la véracité
de l'auteur sacré, l'interprétation critique pourrait être
acceptée par le catholique le plus sincère, soit que
celui-ci considérât l'oracle des semaines comme une
véritable prophétie, soit qu'il le voulût composé au
temps d'Antiochus : annonce prophétique de l'avenir,
ou histoire sainte du passé et du présent, mais type
historique, Dan., ix, 24-27, garderait également bien
dans son objet direct le sens messianique que lui a re-
connu ou attribué la tradition chrétienne depuis l'ori-
gine jusqu'à nos jours. Cf. cardinal Meignan, Les dei*-
niers prophètes d'Israël, p. 136-165.
Tous les commentaires et les moDographies : 1* Catholiques :
Hardouin, De lxx hebdomadibus Danielis, dans Opéra selecta,
Amsterdam, 1705, p. 880-903; Galmet, Dissertation sur les
70 semaines de Daniel^ dans Commentaire littéral, 2* édit.,
Paris, 1726, t. vi, p. 614-621 ; Scholl, Comment, exeget. de sep-
tuaginta hebdomadibus Danielis, 1829; Bade, Christologie
des Allen Testament, t. m, fasc. 2, Munster, 1852, p. 75-134;
Reinke, Dte messianischen Weissagungen, Giessen, 1862, t. iv,
p. 167-440; Mayer, Die mess. Prophezien des Daniel, Vienne,
1866, p. 158 sq. ; Stavvars, Die Weissagung Daniels in Bezie-
hung auf das Taufjahr Christi, dans Tiibing. Quartalschrift,
1868, p. 416 sq.; Reusch, Patristische Berechnung der
10 Jakreswochen, ibid., 1868, p* 536 sq. ; Neteler, Die Zeit der
70 Jahreswochen Daniels, ibid., 1875, p. 133 sq. ; Fraidl, Die
Exégèse der Siebzig Wochen Daniels, Graz, 1883; Corluy,
Spicilegium dogmatico-^blicum, Gand, 1884, t. i, p. 474-515 ;
Lamy, La prophétie de Daniel, dans La controverse, Lyon,
février 1886; et dans le Dictionnaire apologétique de la foi
catholique de Jaugey, Paris, s. d. (1889), col. 698-721; Palmieri,
Vaticinium Danielis, dans De veritate historica libri Judith,
Gulpen, 1886, p. 61-112; Hebbelynck, Interpretatio vaticinii
de septuaginta hebdomadis, dans De auctoritate historica
libri Danielis, Louvain, 1887, p. 281 sq. ; cardinal Meignan, Les
derniers prophètes d'Israël, Paris, 1894, p. 85-185; G. Toby
(L. Bigot), Les soixante-dix semaines du prophète Daniel,
dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Lille, 1900, t. ii,
p. 148-169, 193-216, 289-305, 495-508; Van Etten, Ea:po«trto praî-
dictionum Danielis prophetse circa tempus quo Jésus Chri'
stus exspectandus erat et mortuus est, Rome, 1901 ; Tunnel,
Prophétie des soixante-dix semaines, dans Étude sur le livre
de Daniel, Paris, 1902, p. 13-27 ; Lagrange, Les prophéties mes-
sianiques de Daniel, La prophétie des semaines, dans la Revue
biblique, 1904, p. 509-514; Mémain, Les 70 semaines de la pro-
phétie de Daniel, 2* édit., Paris, 1904; Tostivint, Les 70 ans de
Jérémie et les 70 semaines de Daniel, Interprétation nouvelle.
Rennes, 1906 ; J. van Bebber, Zur Berechnung der 70 Wochen
Daniels, dans Biblische Zeitschrift, 1906, t. iv, p. 119-141;
J. Hontheim, Das Todesjahr Christi und die Danielische Wo-
chenprophezie, dans Der Katholik, 1907.
2* Protestantes : Ch. Wagenseil, Mantissa de lxx hedomadi-
bus Danielis (contre Marsbam), in-4% s. 1. n. d. ; Hengstenberg,
Die siebenzig Wochen Daniels, dsjaB Christologie, Berl\n,iS32,
t. II, p. 401-581; Wieseler,D<e 70 Wochen und die ôSJahrwo-
chen des Propheten Daniel, Gœttingue, 1839 ; J. K. Hofmann, Die
siebenzig Jahre des Jeremias und die siebenzig Jahrwochen
des Daniel, dans Weissagung und Er/iillung, Nordlingen, 1841,
t. I, p. 296-3tl ; Reichel, Die 70 Jahrwochen Daniels, ix, 24-
27, dans les Theol. Studien und Kritiken, 1858, p. 735-752;
Fries, Versuch ûber die Weissagung von den 70 Jahreswo-
chen, dans Jahr bûcher fur deutsche Théologie, 1859, p. 254-
270; Van Lennep, De zeventig Jaarweeken van Daniel, Utrecht,
1888; Comlll, Die siebzig Jarwochen Daniels, dans Théo-
logischen Stwiien und Shizzen aus Ostpreussen, 1889, t. ii,
p. 1 sq.; R. Wolf, Die siebzig Wochen Daniels, 1889; Fell, Ein
exegetisches Ràtsel des Alten Test. (Dan., ix, 26), dans Theol.
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103
DANIEL
104
Quartalschrift, 1892, p. 355-396; VuUleuinier» Les septante'se-
maineê d'annéeê de Dan. ix, dans la Revue de théologie et
de philosophie, 1892, p. 197-202; M. hohr ^ TextkHtische Vor-
arbeiten zu einer Erklàrung des Baclies Daniels, dans Zeit-
schrift fûralttestamentUche Wissen8chaft,i93b, t. xv, p.75 sq.,
193 sq. ; 1896, t. xvi, p. 17 sq.
L. Bigot.
2. DANIEL f métropolite de Moscou et de toute la Russie
(15221539). Les historiens de l'Église russe tracent de
lui un portrait peu flatteur. Â peine âgé de 30 ans, il
réussit à se faire élire higoumène du monastère Volo-
kolamsky (de Volokolamsk, ville du gouvernement de
Moscou), fondé par Joseph Volotzky (f 1515). Le 27 fé-
vrier 1522, il succéda au métropolite Barlaam sur le
siège métropolitain de Moscou. Il poursuivit d'une haine
acharnée les moines Maxime le Grec et Bassien Cosoî,
qui soutenaient, contre les moines du monastère Volo-
kolamsky, que la vie monastique implique le renonce-
ment absolu au droit de propriété des biens immeubles.
Daniel les fit condamner par un concile tenu à Moscou
en 1525, et livra Maxime aux moines de son monastère,
qui pendant six ans lui infligèrent les plus mauvais
traitements. Il donna un exemple frappant de son ser-
vilisme à l'égard du pouvoir civil. Le grand prince de
Moscou, Basile Ivanovitch, avait épousé en 1505 Solo-
monia lourevna Sabourov. Après vingt ans de mariage,
n'ayant pas eu d'enfants, il décida de répudier sa femme
pour en épouser une autre. Le métropolite Daniel se
prêta au désir du grand prince; il força Solomonia à
prendre l'habit monastique le 28 novembre 1525, et le
21 janvier 1526, il bénit le nouveau mariage de Basile
avec Hélène Vasilevna Glinska. Mais après la mort de
Basile et d'Hélène, il fut chassé de son siège par le
prince Ivan Fédorovitch Bielsky (2 février 1539) et en-
fermé au monastère Volokolamsky, où il mourut le
22 mai 1547.
Les écrits de Daniel sont de trois sortes. Ses écrits dog-
matiques forment un recueil de 16 sermons sur l'Écriture
sainte, l'incarnation, l'obéissance â l'autorité établie par
Dieu, le divorce, la providence, etc. Le plus important
est le sermon sur l'incarnation, dirigé contre Bassien
CosoT, à qui on reprochait de soutenir que le corps du
Christ différait du corps humain, et avait été incorruptible
avant sa résurrection. Le sixième et le septième discours
réfutent l'hérésie des judaîsants russes. Ses œuvres mo-
rales consistent en une série de quatorze lettres adressées
à divers personnages ou à des moiqes sur la vie com-
mune dans les monastères, le jugement universel, la
brièveté de la vie, etc. Il a dirigé encore la publication
d'un recueil de pièces et documents relatifs à la métropole
de Moscou. Les écrits du métropolite Daniel rensei^ent
sur les conditions morales et les doctrines de l'Eglise
russe au xvi« siècle. Les raskolniki russes les ont en
grande estime, parce qu'ils y trouvent des arguments
à l'appui de leurs croyances. D'après le métropolite
Macaire, Daniel posséda toute la culture théologique de
son temps, et Maxime le Grec, sa victime, l'appela le
docteur de la loi de Dieu, t. vu, p. 395-396.
Le meilleur ouvrage sur la vie et l'œuvre littéraire du métro-
polite Daniel est celui du protoiereus Basile Ivanovitch Ijma-
kine (f 8 juin 1907), inséré dans les Tchteniia de la Société
des amateurs de l'histoire et des antiquités russes de Moscou :
Mitropolit Daniel, ego sotchineniia, Moscou, 1881. Les écrits de
Daniel y sont longuement analysés, p. 257-750, et édités d'une
façon critique à la fin du volume. Voir aussi Eugène (métropolite),
Slovar o pisateliakh dukhovnago tchina, Saint-Pétersl>ourg,
1827, t. I, p. 114-115; Biéliaev, Daniel, mitropolit Moskovskii,
dans les Izviestiia de T Académie impériale des sciences de
Saint-Pétersbourg (section de langue et littérature russe), 1856,
t. V, p. 194-209, et dans les Istoritcheskiia Tchteniia o yazykie
i slovesnosti de la même Académie, 1857, p. 96-118 ; Gorsky
Nevostruev, Opisanie rukopisei Moskovskoi sinodalnoibiblio-
theki, Moscou, 1862, t. ii, p. 111, 147-164; Nikolaevsky, Jius-
skaia propo vied v xvi xvi viekakh,d%XiA Journal du ministère
de ^instruction publique, 1868, t. cxxxvii, p. 299-389;
t. cxxxvm, p. 12-177; Ikonnikov, Opyt izsliedovanii o kultur-
nom znatchenii Vizantii v russkoi istotHi, Kiev, 1869, p. 352-
359, 439-441 ; Macaire, Sotchineniia moskovskago mitropolita
Daniila, Kloistianskoe Tchtenie, Saint-Pétersbourg, 1875, t. ni,
p. 181-276 ; Id., Istoriia russkoi tzerkvi, Saint-Pétersbourg,
1874, t. VII, p. 309-398; Kataev, Otcherkistorii russkoi tzerkovoni
propoviedi, Odessa, 1874, p. 90-101 ; Potorjitzky, Istoriche
skaia kristomatiia dlia izutcheniia russkoi tzerlwvnoi pro-
povieJi, Kiev, 1879, p. 188-151 ; Gliebov, Daniel, moskovskii
mitropolit, kak propoviednik, Riazanskiia eparkhialnyia
Vitfdomostt, 1874, n. 6, p. 132-139; Entziklopcditcheskii Slovar,
t. X, p. 88-90; Pravoslavnaia bogoslovskaia Entziklopediia,
t. IV, col. 922-928; Russkii blographitcheskii Slovar, lett. D,
p. 84-92.
A Palmieri
3. DANIEL QabHel, né à Rouen le 8 février 1649,
admis dans la Compagnie de Jésus le 16 septembre 1667,
professa plusieurs années la rhétorique, la philosophie
et la théologie, et mourut à Paris le 23 juin 1728. Il
est plus généralement connu par son Histoire de
France et son Histoire de la milice française, mais il
s'est aussi montré habile et fécond polémiste dans les
controverses philosophiques et théologiques de son
temps. Le premier ouvrage qu*il publia fut le Voyage
du monde de M, Descartes, spirituelle critique du sys-
tème du monde de Descartes, qui parut d*abord en
1690, à Paris, et eut plusieurs éditions successivement
augmentées. La réponse aux Lettres provinciales de
Pascal, intitulée : Entreliens de Cléandre etd'Eudoxe
sur les Lettres au provincial, in-12, Cologne (Rouen),
1694, et plusieurs fois rééditée avec additions, eut éga-
lement un succès considérable et mérité; mais, natu-
rellement, cette réfutation, toute solide qu'elle était
dans Tensemble, et même bien écrite, ne pouvait em-
pêcher le chef-d'œuvre littéraire de Pascal de se faire
lire et de rester pour la masse des lecteurs superficiels
l'expression de la vérité. La mention faite dans ces
Entretiens d'une interprétation singulière du P. Noël
Alexandre, dominicain, provoqua une vive attaque de
celui-ci contre le P. Daniel. Il en résulta, entre les
deux théologiens, un échange de lettres publiques; il y
en eut dix du côté du second et autant ou plus du
côté du premier, roulant principalement sur le paral-
lèle de la doctrine des thomistes avec celle des jésuites,
par rapport à la morale, en particulier leprobabilisme,
et à la grâce. La controverse, commencée en 1696, fut
arrêtée en 1697, sans être terminée, par Tautorité du
chancelier. En 1704, il publia : Défense de saint Au-
gustin contre un livre qui paroit depuis peu sous le
nom de M. de Launoy, où Von veut faire passer ce
saint Père pour un novateur, in-12, Paris, 1704. L'ou-
vrage dont il s'agit était intitulé : La véritabh tradi-
tion de VÉglise sur la prédestination et la grâce,
Liège, 1702. Dans une critique du même ouvi*age, le
P. Hyacinthe Serry, dominicain, ayant avancé que c%
que Launoy avait dit de plus violent contre saint Au-
gustin était tiré des théologiens jésuites, le P. Daniel
prit encore la défense de ses confrères, d'abord dans
une lettre au P. Cloche, général des dominicains, pu-
bliée en 1705, puis dans trois lettres adressées au
P. Serry, Paris, 1705 et 1706. En outre, il consacra à la
question principale agitée dans ces polémiques un
Traité théologique touchant l'efficacité de la grâce,
où Von examine ce qui est de foy sur ce sujet et ce qui
n'en est pas; ce qui est de saint Augustin et ce qui
n'en est pas, in-12, Paris, 1705; nouvelle édition aug-
mentée en deux tomes in-12, Paris, 1706. 11 publia
aussi trois dissertations théologiques sur la nécessité
morale et Vimpuissance morale par rapport aucc
bonnes oeuvres, contre la théologie de Louis Habert,
Paris, 1714. Enfin, il intervint également dans la que-
relle relative aux rites chinois, par une Histoire apch-
logétique de la conduite des jésuites de la Chine,
adressée à Messieurs des Missions étrangères, in-8« et
in-12, Paris, 1700.
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DANIEL — DANIEL DE SAINT-SEVER
106
La plupart des ouvrages du P. Daniel, que nous ve-
nons d'indiquer, et d'antres que nous omettons comme
moins importants ou étrangers à la théologie, ont été
réunis dans le Recueil de divers ouvrages philoso-*^
phiques, apologétiques et ci*iliqueSf 3 in-4», Paris,
1724. On a prêté à la plume facile du P. Daniel divers
autres écrits de circonstance, notamment le fameux
Problème ecclésiastique proposé à 3f . l'abbé Boileau,
de Varchevêché : à qui Von doit croire de messire
Louis-Antoine de Noailles, évêque de C hâtons en
i695 ou de messire Louis- Antoine de Noailles, arche-
vêque de Paris en i696. Cette pièce méchante, qui
parut en 1696, relevait la contradiction qu'il y avait
entre Tapprobation donnée par Noailles, en 16Ô5, aux
Réflexions morales sur le Nouveau Testament du
P. Qnesnel, et la condamnation par le même, en 1696,
de VExposition de la foi catholique touchant la
grâce et la prédestination de Tabbé de Barcos, les
deux ouvrages contenant la même doctrine (janséniste).
Le Problème fut brûlé par la main du bourreau, à
Paris, sur arrêt du parlement, et proscrit, à Rome, par
le Saint-Office; Bossuet prit la peine d*en composer
une réfutation, qui fut publiée après sa mort parQues-
nel. Le P. Daniel, désigné comme auteur par la mali-
gnité d'une partie du public, déclina sous serment la
paternité de l'écrit par une lettre adressée à l'arche-
vêque et qui fut imprimée. Mais la preuve de son inno-
cence qui désarma le soupçonneux prélat, ce fut la
découverte que fit la justice en examinant la corres-
pondance saisie des jansénistes Quesnel, dom Gerbe-
ron et dom Thierry de Viaixnes, arrêtés en 1703 : on y
Topit en eflet que le Problème avait pris naissance
dans la secte. Mémoires mss. du P,- Léonard de
Sainte-CatheiHne au 27 septembre 1703, Bibliothèque
nationale, ms. fr. 19211 ; Lettre de Vévêque d'Agen (Hé-
bert) à M. de Pontchar train, 15 octobre 1711 (imprimée).
Nous n'avons pas à entrer davantage dans la question
de l'auteur de ce pamphlet; mais nous rappellerons
que le regretté théologien dont le nom figure le pre-
mier au frontispice de ce Dictionnaire, Tabbé Vacant,
par des recherches originales, a rendu presque cer-
taine l'attribution, déjà proposée' autrefois, à dom Hila-
rion Monnler, bénédictin de la congrégation de Saint-
Vanne, qui résidait en 1696 à Besançon. Revue des
sciences ecclésicLStiques, 1890, t. i, p. 411-425; t. ii,
p. 34-50, 131-150.
P.Griffet. Avertissement en tète de l'édition qu'il a donnée
de V Histoire de France du P. Daniel, 17 ln-4% Paris, 1755-
1760, t. I, p. xviii-xxxrv; Moreri, Dictionnaire, 1755, t. iv;
Micfaaod, Biographie universelle, t. x, art. par Walckenaer ; De
Backer-Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésu8,U ii,
eol. 179M815; Hurter, Nomenclator. t. lu, col. 1042-1043, 216,
1087. 1140; Reusch, Der Index, t. il, p. 488, 687, 688, 728,
1211.
Jos. Brucker.
4. DANIEL DE LA VIERGE, carme belge, né en
1615 à Hamme, en Flandre, profésà Gand en 1632. Reli-
gieux exemplaire, théologien docte et prudent, travail-
leur in&tigable, le Père Daniel de la Vierge occupa les
diverses charges de son ordre, notamment celles de pro-
vincial et de lecteur de théologie. Il remplit avec beau-
coup d'exactitude tous les devoirs de son état, et il édi-
fia le prochain par sa piété et par ses vertus, surtout
par sa charité envers les malades. Il mourut saintement
comme il avait vécu, le 21 octobre 1678. On a de lui :
Vart de se bien confesse*^, in-12, Bruxelles, 1649; Intro-
duciion à la confeêsion, in-12, Anvers, 1649; Vart de
bien mourir, in-12, Bruxelles, 16 tô; La (iemon«(}*atùm
de lavéritable Église, in-8*, Bruxelles, 1649. Ces ouvra-
ges ont été publiés, ainsi que quelques autres encore,
en langue flamande. Daniel de la Vierge fut surtout un
défenseur ardent et éclairé des privilèges et des gloires
de son ordre ainsi qu'en témoigne son grand ouvrage
posthume, Spéculum carmelitanum, 4 in-fol., Anvers,
1680.
Cosme de Villlers^ Bibliotheca carmelitana, Orléans, 1752,
t. I, col. 375; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris,
1882, t. IX, p. 35.
P Servais
5. DANIEL DE SAINT- JOSEPH, né en 1601 à Saint-
Malo, fit profession dans Tordre des carmes, en 1618, à
Angers. Adepte fervent de la scolastique et théologien
d'une doctrine pénétrante et sûre, il enseigna longtemps
la théologie dans sa province de Tours et à Caen, puis
à Rome. Il entreprit de ramener la Somme théologique
de saini Thomas à une forme plus spécialement appro-
priée à l'usage de ses élèves. Il ne put toutefois publier
que le t. I de ses Disputationes in Sumpiam tlieologi-
cam D. Thoniœ, in-fol., Caen, 1649, c'est-à-dire les cin-
quante premières questions de la Somme, Nous avons
encore de lui, outre des sermons d'une belle éloquence,
Le théologien français, Sur le mystère de la sainte
Trinité, in-4o, Paris, 1653.
Cosme de Vllllers, Bibliotheca carmelitana, Orléans, 1752,
1. 1, col. 371 ; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris,
1832, t. IX, p. 32; Théophile Raynaud, ScapvÀare partheno-
carmelUanum, Paris, 1654, p. 104.
P. Servais.
6. DANIEL DE SAINT-SEVER, de son nom de
famille Campet, était prêtre et docteur en théologie,
quand il revêtit l'habit des capucins. Pendant de lon-
gues années il fut lecteur dans son ordre et à plusieurs
reprises provincial d'Aquitaine. Il se signala surtout
par son zèle pour la conversion des protestants, et on
lui dut la création de missions de capucins dans le
Béam à cet effet. Il nous est resté comme preuve de ce
zèle les deux ouvrages suivants : La christomachie com-
battue, où sont contenus les actes de la conférence
faicte à Lectoure entre Fr. Daniel de S, Sever capu-
cin et Savoys ministre de ladicte ville, touchant la
descentede Jésus-Christ aux enfers : expliqués les prin-
cipaux mystères de Vunion hypostatique du Verbe di-
vin avec la nature humaine. De la gloire du paradis,
des peines d'enfer et autres. Réfutés plusieurs blas-
phèmes, erreurs, contradictions et hérésies nouvelles du
susdict ministre et de son catéchisme, in-8o, Lyon,
1611; Actes de la conférence tenue à Pau en Béam
les 40, i3, i4 et i5 janviet' 1620 en présence de
Monsieur Vévesque de Lascar, monsieur de la Force
gouverneur pour le Roy en Béam, Messieurs du Con-
seil et autres du pays qui y assistèrent. Entre le
R. P. Daniel de S, Sever, provincial des Pères capu-
cins de la province d'Aquitaine, et Paul Charles, soy-
disant pasteur en VÉglise et professeur en théologie en
Vacadémie royale d'Orthet. Touchant les traditions
ecclésiastiques, les vénérables images, et la saincte
communion sous une espèce, arec les notes qui con-
tiennent une ample explication de ces trois points et
autres controversés par les hérétiques de ce temps,
in-8o, Toulouse, 1620. On lui attribue aussi une Épltre
à Cosme Bardi, évéque de Carpentras et vice-légat
d'Avignon, De collatione et disputatione cum Nemau-
sensibus et Septimanis factionis calvinianœ, in-8»,
Avignon, 1625. Le P. Daniel mourut dans un naufrage
sur la Garonne le 14 mai 16o0. Il laissait dans ses
papiers un Commentaire sur Ézéchiel, que la pauvreté
de ses confrères, et le manque de caractères arabes et
hébraïques ne permit pas d'imprimer.
Apollinaire de Valence, Bibliotheca fr. min. capuccinorum
prov. Ocdtaniœet Aquitaniss, Nimes, 1894; Nicolas, Histoire
de ^académie protestante de Montauban, 1885, p. 189 ; Léonce
Couture, Deux controverses religieuses à Lectoure au com-
mencement du xvir siècle, dans la Revue d: Aquitaine, t. ii,
P. EDOUARD d'Alcnçon.
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407
DANSE
108
DANSE. — I. Considérée en elle-même. II. Dans
ses circonstances. III. Dans son ensemble. IV. Régies
pratiques pour le pasteur d'âmes, en dehors do con-
fessionnal. V. Pour le confesseur, au for interne.
VI. Conseils spéciaux pour les personnes adonnées à
la dévotion. VII. Coopération aux danses.
I. La danse considérée en elle-même. — On ne
pourrait pas affirmer sans erreur que la danse, con-
sidérée en elle-même, soit une chose intrinsèquement
mauvaise. Elle n'est pas plus répréhensible, en soi, que
la musique, la peinture, ou la poésie. Le langage arti-
culé, soumis à des règles particulières de rythme, de
mesure et de cadence, a donné naissance à la poésie ;
la succession des sons suivant des lois analogues est
devenue la musique; et, par une évolution semblable,
le geste humain s'est transformé en mimique, puis en
danse. Celle-ci est un assemblage varié de pas régle-
mentés, de gestes, d'attitudes, d'allures, comme la mé-
lodie et l'harmonie sont une combinaison variée de
sons pris aux divers degrés de l'échelle musicale. Les
arrêts, ou suspensions de mouvements, sont à la
danse, ce que les silences, les soupirs et les pauses
sont à la musique. Aussi les anciens, Plutarque entre
autres, appelaient-ils la danse une musique ou poésie
muette, et la musique, une danse parlante.
Avant tout, la danse est un art, tendant à exprimer le
beau à sa manière, et avec les moyens dont il dispose.
Or, un art, quel qu'il soit, par cela qu'il tend à Tex-
pression du beau, n'est pas mauvais intrinsèquement.
Il ne devient mauvais que si on le fait servir au mal
moral.
Ces trois arts : poésie, musique et danse, ayant entre
eux des analogies si profondes, se trouvent tout natu-
rellement réunis dans la manifestation des sentiments
de l'âme, arrivés à un certain degré d'intensité. Alors,
tout le corps entre, pour ainsi dire, en vibration, pour
se mettre à l'unisson de l'âme. Le langage ordinaire
ne suffit plus : il en faut un autre plus imagé, plus co-
loré, plus vif, plus idéal. La poésie elle-même ne ré-
pond pas au but, si elle est récitée avec les intonations
ordinaires, et l'homme, alors, ne se contente plus de
parler : il chante. Et si le sentiment intérieur atteint
un haut degré d'intensité, la musique elle-même, si
elle reste seule, est impuissante à le traduire. Des mou-
vements instinctifs du corps s'y joignent et l'accom-
pagnent. L'homme ne tient plus en place : il marche,
il saute, il va, il vient, gesticule, s'arrête, repart,
tourne et retourne. Le corps entier coopère à l'expres-
sion du sentiment qui remplit l'âme, et la met dans un
état de surexcitation particulière. Il en est ainsi chez
les enfants qui, si facilement, chantent, sautent et gam-
badent. C'est pour ce motif probablement que le mot
grec TratÇeiv, faire l'enfant, signifie aussi danser.
Cf. Odyssée, VIII, n. 261 ; XXIII, 147; Hésiode, Bouclier
d'Hercule, 277; Aristophane, Thesmophotnes, 1227. Ce
phénomène se retrouve chez les peuples jeunes. On le
constate aussi chez les peuples policés. La civilisation
a réglementé cet instinct naturel : elle ne l'a point dé-
truit. Elle l'a perfectionné en le disciplinant, et en le
conformant aux règles du bon goût. La danse est de-
venue un art très compliqué. Cette complication ne lui
a pas fait perdre son caractère. Quoique exécutées
d'après tous les préceptes de l'art chorégraphique,
certaines danses restent pudiques et innocentes.
D'autres, au contraire, dans lesquelles l'art a très peu
de place, peuvent devenir extrêmement dangereuses,
étant mises au service des passions. Elles sont loin de
ne viser, alors, qu'à la pure expression esthétique du
beau. Cf. Lucien, De saltalione, vu, xix; Herder, His-
toire de la poésie des Hébreux, trad. de M™» la baronne
de Carlowitz, in-8«, Paris, 1851, p. 445 sq.
11 semble que, chez les peuples primitifs, comme chez
les enfants, la danse a été le premier de tous les arts.
Chez les Grecs, elle précéda certainement les représen-
tations scéniques. Ce furent, d'abord, des danses raih-
taires, animées et bruyantes, figurant des actions de
guerre et les diverses péripéties des combats. Elles
constituaient, avant tout, un exercice corporel, pour
développer la force et l'agilité des muscles, une sorte
de gymnastique en vue des luttes futures. Mais elles
étaient aussi un divertissement, une fantasia, et, sous
ce rapport, se rapprochaient plus de Tart. Telle fut la
danse pyrrhique, inventée, dit-on, par Pyrrhus, fils
d'Achille. Homère en fait souvent mention dans l'Iliade,
par exemple, XVIII, 494, 604, et l'Odyssée, VIII, 256.
Platon prit aussi la peine de la décrire. Xénophon rap-
porte que les femmes elles-mêmes dansèrent parfois
la pyrrhique pour amuser la galerie. Anahase, VI.
Quand le théâtre se fonda, en Grèce, la danse y entra
comme accessoire, pour ajouter aux charmes du spec-
tacle. Puis, elle en arriva souvent à s'emparer complè-
tement de la scène, comme si elle pouvait, à elle seule,
représenter une action dramatique ou comique.
Cf. Athénée, Dipnosophistes, xix, in-fol., Paris, 1606,
p. 629-631. Ce que les syllabes longues et brèves étaient
pour le poète; ce que, pour le peintre, étaient les
couleurs de la palette; l'expression du visage, les gestes,
les attitudes, les allures rapides ou lentes, passionnées
ou calmes, le devinrent pour le danseur. Cf. Magnin,
Origines du théâtre modeime, leçons prof essées en Sor-
bonne, in-S», Paris, 1838, p. 87.
Au temps même de leur civilisation la plus avancée,
il n'y avait, chez les Grecs, aucune fête, ni aucune cé-
rémonie religieuse, où la danse ne fût de mise. Les
hommes et les femmes y prenaient part. C'étaient des
évolutions multiples exécutées autour d'un autel et
réglées par le chant et le son des instruments de mu-
sique. Cf. Athénée, Dipnosophistes, p. 181; Pollux,
Onomasticon, iv, 14. Quelquefois, ces danses sacrées
cherchaient à représenter, en quelque façon, les aven-
tures, ou les faits et gestes du dieu qu'on pensait ho-
norer ainsi. Dans sa République, Platon voulait que
la danse fût introduite, non seulement à titre de diver-
tissement, mais comme moyen d'adoucir les mœurs,
supposant que la grâce et l'élégance données par elle
aux mouvements du corps, communiqueraient à l'es-
prit de la rectitude et de la souplesse; aux actions, de
l'urbanité. Platon, Lois, vu. Cf. Boccardo, Nuova en-
ciclopedia italiana, 26 in-fol., Turin, 1888, t. vu, p. 120.
Pour les anciens, tel corps, telle âme. Suivant eux, le
corps étant bien conformé, l'âme devait l'être aussi :
perfectionner le corps dans ses mouvements, c'était
perfectionner l'âme dans ses facultés. Cf. Gronovius,
TJiesaurus antiquitalum gr»carum,\^ in-fol., Leyde,
1697-1702, t. VII, p. 173-220; Patin, Études sur les trcL-
giques grecs, 4 in-12, Paris, 1857-1873, t. m, p. 420 sq.
Les Grecs avaient été en cela précédés par les Égyptiens
qui possédaient de nombreux collèges de musiciennes et
de danseuses, pour le culte de leurs dieux. Cf. Maspero,
Histoire ancienne des peuples de V Orient classique,
3 in-8», Paris, 1895-1899, t. i, p. 126; t. ii, p. 220;
Winer, Biblisches RealtiHJrlerbuch, in-4«, Leipzig,
1833, p. 655. Il en était de même chez les Chananéens,
pour leur dieu suprême Baal, et sa compagne Astarté.
III Reg., xviii, 26-28; IV Reg., xxiii, 5; Soph., i, 4.
Cf. G. J. Voss, De theologia gentili, 2 in-fol., Amster-
dam, 1642, t. II, p. 3 sq.; Movers, Die Phônizier,
3 in-8o, Berlin, 1841-1856, t. i, p. 385-498.
La Bible fait, plusieurs fois, allusion aux danses des
Hébreux, et, loin de les condamner indistinctement,
elle les approuve, tantôt indirectement, tantôt d'une
manière formelle. Les danses étaient chez eux non seu-
lement un divertissement et l'expression d'une joie
vive, mais souvent aussi une manifestation de la piété.
Après le passage miraculeux de la mer Rouge, Moïse
compose un cantique en l'honneur de Jéhovah, et le
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109
DANSE
110
chante avec les fils d'Israël. Exod., xv, 1-19. Pendant ce
temps, la prophétessc Marie, sœur de Moïse et d*Âa-
ron, se met à la tète des femmes d'Israël qui, s'accom-
pagnant de divers instruments de musique, dansent et
répètent de leur côté le même chant. Exod., xv, 20-2i.
Plus tard, à la nouvelle que son père revient vainqueur
du combat contre les Ammonites, la fille unique de
Jepbté x-a â sa rencontre en dansant. Elle n*est pas
seule, mais une foule de jeunes filles et de femmes
la suivent en dansant avec elle. Jud., xi, 34. Les
femmes d'Israël dansent également en signe de réjouis-
sance, après que David a vaincu et tué le géant Go-
liath. 1 Reg., XVIII, 6, 7; xxi, 12; xxix, 5. David lui-
même, devenu roi, ne craint pas de se dépouiller des
insignes de la royauté en présence de tout son peuple,
et de danser, en signe de joie, devant Tarche sainte
qu'il fait ramener, en grande pompe, de la maison
d'Obédédom. II Reg., vi, 5, 12, 14; 1 Par., xiii, 8; xv,
^. Sa femme, Michol, fille de Saûl, ayant regardé par
la fenêtre, le vit danser et le méprisa dans son cœur.
Gomme elle lui reprochait, dès sa rentrée au palais, de
s'être ainsi déshonoré jusque devant les servantes de
ses serviteurs, en dansant comme un homme du
peuple, David lui répondit : ce Devant le Seigneur qui
m'a choisi à la place de votre père et de toute sa race, je
ne craindrai pas de danser et de me faire plus petit
«ncore. J'en serai d'autant plus glorieux, même aux
yeux des servantes dont vous parlez. % Michol, en puni-
tion de sa moquerie déplacée, fut frappée de stérilité
pour le reste de sa vie. II Reg., vi, 20-^.
Par divers passages des psaumes, il est aisé de cons-
tater que la danse, en plusieurs circonstances, faisait
comme partie intégrante de la liturgie réglant les cé-
rémonies du culte, dans le temple de Jérusalem.
Ps. cxLix, 9; CL, 4. Cf. Eccle., m, 4; Jer., xxx, 4;
Job, xxx, 11 ; Caut., vu, 1. L'Écriture ne blAme pas les
Juifs d'avoir introduit les danses dans le culte du vrai
Dieu, comme elles l'étaient, chez les païens, dans le
culte de leurs fausses divinités.
En beaucoup d'autres endroits, les saintes Écritures
mentionnent, sans les condamner, les danses auxquelles
se livraient, à titre de divertissement, les jeunes filles
et les femmes d'Lsraël. Jud., xxi, 21, 23; Jer., xxxi,
4, 13. Il est vrai que, le plus souvent, elles dansaient
seules, et séparées des hommes ou des jeunes gens.
Exod., XV, 20 sq.; Jud., xi, 34; xxi, 23; I Reg., xviii,
6 sq.; XXIX, 5.
Néanmoins, Tauteur de l'Ecclésiastique a une parole
sévère contre les danses : Cutn taltatrice ne a$siduu$
9i8, nec audia$ illam, ne forte pereas inefficaciaillius,
IX, 4. Toutefois, l'écrivain inspiré ne condamne pas ici
la danse en elle-même. Il avertit seulement du danger
qui peut s'y trouver, ne forte pereas, surtout si elle est
fréquente, ne assiduui sis. Le contexte montre, en
cotre, qu'il s'agit, dans ce passage, de ballerine, ou
danseuse de profession, comme il ressort du verset
précédent : Xe respicUu mulierem multivolam, une .
femme aux mille volontés, c'est-à-dire une femme ca-
pricieuse, volage, légère, une courtisane, comme on
lit dans la version grecque, Yuvatxl êTatpiÇopiév^, une
hétaïre; par crainte que tu ne tombes dans ses pièges,
ne forte incidcu in laqueos illius. Eccli., IX, 3. C'est
l'une de ces femmes que l'Écriture sainte nous repré-
sente, ailleurs, uniquement occupées à perdre les âmes :
mulier omatu nieretricio, prœparata âd capiendas ani-
mai, gamUa et vaga, Prov., vu, 10. Il faut entendre dans
le même sens le texte suivant : Pro eo quod elevatœ
suHi filim Sion et ambulahant extento collo, et nutibus
ûcuionmi ibant, ambulahant pedibus suis, et conipo-
silo gradu incedebant. Is., m, 16. Le prophète parle
des débordenaents des filles d'Israël, et les me-
zuce de Ja punition due à toutes les fautes que leur
rmité et leur légèreté font commettre. Voir Diction-
naire de la Bible, t. ii, col. 1285-1289; Realencyclo-
pâdie fûrprotestantiscfie Théologie und Kirche,*S* édit.
1907, t. XIX, p. 378-380.
Bien des fois, les Pères de l'Église s'élevèrent avec
véhémence contre les danses. Saint Pierre Chrysologue,
dans un discours public, va jusqu'à appeler les danseuses
une véritable peste, sallatricum pestis, Serm., cxxvii,
CLXXiv, P, L., t. LU, col. 452, 654. Il ne faudrait pas en
conclure qu'ils ont condamné la danse en elle-même.
Ils ont réprouvé les danses telles qu'elles se pratiquaient
trop souvent à leur époque, danses lascives et dange-
reuses que le paganisme expirant avait laissées, aux
IV* et v« siècles, comme un ferment de corruption au
sein de la société chrétienne. Cf. Ârnobe, Adversus
génies, 1. VI, P. L., t. v, col. 1118; S. Ambroise, De
Elia et jejunio, c. xii ; In Ps. XL, 24, P. L,, t. xiv,
col. 711 sq., 1078; S. Jérôme, Epist,, LX, ad Heliodo-
rum, P. L.,\. XXII, col. 601 sq.; S. Augustin, Confess.,
1. VI, c. VIII, P. L., t. XXXII, col. 726; De civitate Dei,
1. II, c. IV, v, VIII ; 1. Vil, c. XXI, P. L., t. xli,
col. 49 sq., 53 sq., 210 sq.; Monumenta Germaniœ
histotnca, Auctores antiquissimi, 13 in-4», Berlin, 1877-
1898, 1. 1, p. 92, 95-97; Seek, Geschichte des Untergan-
ges der antiken Welt, 2 in-8s Berlin, 1897-1901, t. ii,
p. 339, 456. Au dire des païens eux-mêmes, ces danses
étaient d'une obscénité révoltante. Cf. Ammien Mar-
cellin, Hist,, 1. XIV, c. v, vi. Cicéron, dans une de ses
plaidoiries, avait reproché à Caton d'avoir traité Mu-
rena de danseur, saltator, ce qui était, d'après lui, une
sanglante injure,car, ajoutait-il, à moins d'être fou, un
homme qui n'est pas ivre, ne danse jamais, nemo fere
saltat sobrius, nisi forte insaniat. Cicéron, Pro Mu-
rena, \i\. Cf. Suétone, Domit., viii; Horace, Od., xxi,
11,12; xxxii, 1,2; Cornélius Nepos, xv, 1; Macrobe,
Saturnales, m, 14; Lucien, De saltatione, xxii; Tacite,
Annales, 1. XI. Voir Guillaume Vuillier, La danse, c. i,
Les danses antiques, in-4o, Paris-Milan, 1899, p. 1-33.
C'étaient de ces danses impudiques, comme elles
avaient lieu à la suite des festins et des orgies, danses
que, deux siècles avant Notre-Seigneur, les Grecs dé-
générés avaient tenté d'introduire chez les Juifs, et qui
furent en honneur à la cour des Hérodes. C'est par une
de ces danses lascives, en effet, que Salomé, la
fille d'Hérodiade, obtint d'Hérode charmé la tête de
saint Jean-Baptiste. Les convives, échauffés par les
abondantes libations de ce festin, eussent peu goûté
une danse qui eût été simplement gracieuse. Il fallait
que le roi Hérode fût bien peu maître de lui, pour pro-
mettre aussi inconsidérément jusqu'à la moitié de son
royaume. Marc, vi, 22-23. Les poses, délibérément
provocatrices de la danseuse, étaient savamment cal-
culées de manière à produire le plus de séduction pos-
sible sur l'esprit fasciné des spectateurs. Cf. J.-J. Tis-
sot. Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 2 in-fol.,
Tours, 1897, t. i, p. 169 sq. Dans les peintures retrou-
vées à Hercula nu m et à Pompéi, et transportées, depuis,
au musée de Naples, sont représentées bien des fois
ces danses lubriques, en usage alors chez les Romains.
Cf. G. Boissier, Promenades archéologiques, in-8»,
Paris, 1880; Jousset, Vltalie illustrée, in-fol., Paris,
1906, p. 45 sq., 60-66.
L'Église, dans ses conciles, s'est plus d'une fois oc-
cupée des danses. Le concile de Laodicée (entre 343 et
381) a porté ce canon, le 53« : « Que les chrétiens qui
assistent aux noces ne doivent pas sauter ni danser,
mais assister avec décence au repas ou au dîner, comme
il convient à des chrétiens. » Hefele, Histoire des
conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 1023. Le
concile de Tolède, tenu en 589, a voulu extirper abso-
lument de l'Espagne entière la coutume populaire de
danser et de chanter des chants déshonnêtes aux fêtes
des saints, en attendant le commencement des offices
de l'Eglise, can. 23. Mansi, Concil, t. ix, col. 999.
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DANSE
412
Le concile in Trullo (692) a interdit les danses théâ-
trales, sous peine de déposition pour les clercs et
d'excommunication pour les laïques, can. M. Mansi,
t. XI, col, 968. En 1209, un synode d'Avignon interdit
de faire aucune danse théâtrale et obscène dans les
églises aux vigiles des fêtes des saints, can. 17. Mansi,
t. XXII, col. 791-792. Un synode, tenu à Paris en 1212 ou
1213, décida que les évéques ne pouvaient pas permettre
que Ton dansât dans les cimetières ou dans les lieux
saints, quand même la coutume eût existé auparavant,
part. IV, can. 18. Ibid., col. 813. Le synode provincial de
Rouen, célébré en 1231, ordonne aux prêtres d'interdire
sous peine d'excommunication les danses dans les églises
et les cimetières, à l'occasion des noces ou des fêtes, et
d'avertir qu'elles n'aient pas lieu même ailleurs, can. 14.
Mansi, t. xxiii, col. 216. Dans ses statuts synodaux de
1260, Tarchevéque de Bordeaux prohiba, sous peine
d'anathème, les danses qu'il était d'usage d'organiser
dans quelques églises de son diocèse le jour des saints
Innocents, à cause des rixes et des troubles qu'elles pro-
duisaient, a. 2. Jbid., col. 1033. Ces règlements n'ont
pas été universels, et la plupart ne visaient que des cas
particuliers, ^ans interdire les danses pour elles-mêmes.
Comme les Pères de l'Église, les théologiens ne con-
damnent pas la danse en elle-même. Saint Thomas .
d'Âquin parle des danses en ces termes : Ludus cho-
realis, secunduni se, non est malus ; sed secundum
quod ordinatur diverso fine, et vestitur diversis cir-
cumstantiis,potest esse actus virtutis, vel vitii. Quum
enim impossibile est semper agere in vita activa et
contemplativa, ideo oportet interdum gaudia curis
interponet'e, ne animas nimiaseveritate frangatuv, et
ut homo promptius vacet ad opéra virtutum. Et si tali
fine fiât de ludis, est actus virtutis quœ dicitur eutra-
petia, et potest esse meritorius si gratia informetur.
In Isaiam, c. m. Opéra omnia, 34 in-4o, Paris, 1871-
1880, t. XVIII, p. 696. Cf. S. Antonin, Summa theologiœ
moralis, part. II, tit. vi, c. vi; Diana, tr. V, De scandalo,
resol. XII, Opéra omnia, 9 in-fol., Lyon, 1667, t. vu,
p.335;Tamburini, jETxp/icafio decalogi,\. VII, c. viii, i^7,
n. 1, Opéra omnia, 2 in-fol., Venise, 1707, t. i, p. 206;
Bonacina, De matrimonio, q. iv, p. ix, n. 24, Opéra
omnia, 3 in-fol., Venise, 1716, t. i, p. 322; Lacroix,
Theologia moralis, 1. III, part. I, tr. IV, c. ii, dub. i,
n. 887, 3 in-fol., Venise, 1740-1750, t. i, p. 197. Les
Salmanticenses, à la question : An vidercy et c/wreas
ducere publicas inter mares et fœminas, sit peccatum ?
répondent : Dicendum quod choraizare non est illi-
citum ex génère suo, et consequenter nec eas videre. Et
ratio hujus est quia actus choraizandi ex se non est
libidinis, sed lœtitiœ. Ergo non est damnandus. Cursus
tfieologim moralis, tr. XXI, De primo prœcepto decor
logi, c. VIII, p. V, § 2, n. 61 ; tr. XXVI, De sexto et
nono decalogi prœcepto, c. m, p. i, n. 16, 17. 6 in-fol.,
Venise, 1728, t. v, p. 171; t. vi, p. 107. Choreœ secun-
dum se non sunt malœ, dit saint Alphonse de Liguori,
nec actus libidinis, sed lœtitiœ. Quando vèro sancli
Patres eas interdum valde reprehendunt, loquuntur
de turpibm et earum abusu. Theologia moralis, 1. IV,
tr. IV, De sexto et nono prœcepto decalogi, c. i,
dub. I, n. 429, 6 in-8o, Paris, 1845, t. ii, p. 239. La
danse n'est point illicite de sa nature, dit le cardinal
Gousset; on ne peut donc la condamner d'une manière
absolue, comme si elle était essentiellement mauvaise.
Tfiéologie morale. Traité du décalogue, VI« partie,
c. i, n. 650, 2 in-8o, Paris, 1877, t. i, p. 295. Cf. Marc,
Institutiones morales alphonsianœ, part. II, sect. ii,
tr. VI, c. IV, § 11, n. 829, 2 in-8«, Lyon, 1885, t. i,
p. 560. Choreœ, per se, etiam inter diversi sexus perso-
nas, dit Ballerini, non sunt illicitœ, si fiant honesto
modo. Ratio est quia choreœ per se indifférentes sunt,
nec ulla lege prohibentur. Compendium theologiœ
moralis, tr. Devirtuiibus, c. m, a. 2, § 3, sect. n, n. 242,
2 in-8o, Rome, 1893, t. i, p. 212. Choreœ, etiam inter
personas diversi sexus, non sunt per se malœ, fierique
possunt honeste, imo et mefntorie, Palmieri, Opus
theologicum morale in Busenbaum medullam, tr. VI,
De prœceptis decalogi, sect. vi, De sexto et nono prœ-
cepto, dub. I, n. 60, 8 in-8», Paris, 1893, t. ii, p. 697.
Les théologiens sont donc unanimes à enseigner que
la danse, en soi, n'est pas intrinsèquement mauvaise. Si
les lois de la décence y sont gardées, il est impossible
de la considérer comme une action libidineuse. C'est,
en général, un signe de joie; saltatio équivaut alors à
exultatio. Parfois, c'est un simple divertissement, qui
non seulement est permis, mais qui peut même devenir
méritoire dans l'ordre surnaturel. On se tromperait
donc en jugeant a priori coupable de péché mortel une
personne, poup le seul fait d'y avoir pris part.
II. La danse considérée dans ses circonstances. —
Il en serait différemment si la danse, en raison des
circonstances qui l'entourent, devenait une occasion
prochaine de péché, soit pour les personnes qui s'y
livrent, soit pour celles qui ne font qu'y assister. Il y
aurait alors obligation stricte de s'en abstenir. La solu-
tion à donner aux cas pratiques dépend donc du plus
ou moins de danger résultant des circonstances.
Encore est-il indispensable d'examiner la probabilité
de ce danger à un double point de vue : de la part de
l'objet lui-même, et de la part du sujet.
/. EX PARTE BEI, OU OBJECTI. — 1" Costume. — Utt
des éléments à étudier, en premier lieu, pour juger de
la moralité ou de l'immoralité d'une danse, est sans
contredit le costume, vu les tentations innombrables
auxquelles expose un costume indécent, et les péché»
de regard ou de désir qu'il peut faire commettre.
— 1. Nous ne signalerons ici que pour mémoire ces
danses abominables que Ton nomme en Italie ballo
angelico, et in quibus nuditas est totalis. Les danses
de ce genre sont évidemment immorales, et nulle rai-
son ne peut permettre de s'y adonner, ou seulement
d'y assister comme simple spectateur. — 2. On doit en
dire autant de celles où le costume est tellement
inconvenant qu'il semble une provocation directe au
mal. Certaines danseuses de théâtre, par exemple, ont
un vêtement, il est vrai, mais choisi et fait de manière
à exciter les passions plutôt qu'à les assoupir : étoile
rose tendre ou jaune pâle, afin de la faire ressembler
le plus possible à la couleur même de la chair, et
tellement adhérent au corps qu'il en dessine nettement
toutes les formes, ita ut oculis qtmsi perinde sit ac si
nudœ aspiciantur. Cf. Lessius, De justitia et jure,
1. IV, c. IV, dub. XIV, n. 112 : Hoc, dit-il, non tam est
pulchritudinem ostendere, quam homines directe ad
libidinem allicere, in-fol., Brescia, 1696, p. 655; Tam-
burini, Explicalio decalogi, 1. VII, c. viii, § 8, n. 7,
Opéra omnia, 2 in-fol., Venise, 1707, t. i, p. 206; Bona-
cina, Tract, de matrimonio, q. iv, p. ix, n. 25, Opéra
omnia, 3 in-fol., Venise, 1716, t. i, p. 322. — 3. Dans
cette catégorie de danses extrêmement dangereuses, en
raison du costume adopté, il faut ranger, en général,
les ballets d'opéras, où des troupes de danseuses-
évoluent en costume plus que sommaire : corsage
largement décolleté et laissant voir la plus grande
partie de la poitrine; bras entièrement à découvert;
jambes couvertes d'un maillot; pour unique robe, le
tutu, ou jupe de gaze légère extrêmement courte, n'arri-
vant pas même aux genoux, et qui, comme si elle était
déjà trop longue, se relève comme d'elle-même, dans le-
tourbillon rapide de la danse. Cf. Guillaume Vuillier,
La danse, c. xi, La danse au théâtre, in-4», Paris,
1899, p. 313^9. L'exhibition d'actrices en pareil accou-
trement présente, indépendamment même de la danse,
un grave danger pour la morale. La danse assurément
augmente ce danger, mais ne le constitue pas positi-
vement. Ces nudités ne s'étalent en pleine lumière que-
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DANSE
114
poar attirer plus facilement, et maintenir davantage la
&veur d*un public blasé par les jouissances malsaines,
mais toujours avide de voluptés. Dans le but de faire
affluer les spectateurs et d'augmenter ainsi leurs recettes,
des imprésarios peu scrupuleux mettent en pratique le
conseil donné au temps de la Régence par un ama-
teur de scandales : « Afin de réussir dans votre entre-
prise, allongez les ballets et raccourcissez les jupes. »
Pour être vieux de deux siècles, cet infâme conseil n'a
rien perdu de son écœurante actualité. Beaucoup de
théâtres modernes avaient recours à ce moyen, malgré
les timides et rares protestations de la censure officielle,
qui s'alarmait parfois pour la pudeur publique. Comme
tout périt sous le ridicule, surtout dans un certain
monde, la censure officielle, de fait, a succombé sous les
coups de ceux qu'elle visait, et qui, pour se moquer
d'elle et la désarmer, rappelaient plaisamment l'Acadé-
mie de morale.
4. Dans la plupart des bals de société, dans les salons
aristocratiques, comme dans les réunions mondaines
d*un rang moins élevé, le décolletage des femmes est
de mise, et souvent même de rigueur. C'est la toilette
de soirée, exigée par le caprice de la mode ou la
tyrannie des habitudes. Que cette coutume soit déplo-
rable, il n*y a pas à en douter. On doit souhaiter
qu'elle disparaisse, et, si Ton a quelque autorité dans
de tels milieux, faire tous ses efforts pour que le remède
soit apporté au mal. Mais, la coutume existant, coutume
à laquelle pour certaines personnes du monde, du monde
officiel surtout, il est si diflicile de se soustraire, doit-
on condamner les dames qui, dans cette toilette, vont
au bal ? Plusieurs auteurs n'hésitent pas à les condamner
avec sévérité. Leur sentiment leur parait si justifié
qu'ils croient dénuée de tout fondement l'opinion con-
traire. Parmi ces moralistes rigides, il nous suffira de
citer ici Roncaglia, Universa moralis theologia, tr. VI,
De primo decalogiprœcepto, q. m. De charitate,c, vi,
De scandale, q. Y, resp. 3, 2 in-fol., Venise, 1753, t. i,
p. 184; Concina, Theologia chfHstiana dogmatico-
moralis, 1. I, In decalogum, diss. iX, De scandale,
c. IX, § 12, n. 2-9, 10 in-4<», Rome, 1755, t. ii, p. 154-
157. D'après eux, ni les exigences de la mode, ni
l'existence de la coutume n'excusent; et ils déclarent
coupables de péché mortel les femmes qui s'y conforment,
à cause des tentations graves dont elles sont volontaire-
ment l'occasion pour ceux qui les voient ainsi décolletées.
La contame, disent-ils, ne saurait rendre licite ce qui
est intrinsèquement mauvais.
Cependant, la plupart des auteurs sont d'avis que la
coutume est une raison suffisante pour excuser ces
femmes de péché mortel, à moins que le décolletage
ne soit excessif et réellement provocateur. Cf. Navarre,
Manuale confessariorum et pœnilentium, c. xxxui.
De superbia, n. 19, in>4», Venise, 1616, p. 388;Lessius,
De justitia et jure, 1. IV, c. iv, dub. xiv, n. 106-112,
in-fol., Brescia, 1696, p. 654; Cajetan, In //•» II»,
q. CLXix, a. 2; Sylvius, In /i«« //■, q. CLXix, a. 2,
4 in-fol., Anvers, 1667, t. m, p. 898; Salmanticenses,
Cursus theologim moraiis, tr. X.XI, De primo decalogi
prmcepto, c. viii, De vitiis charitati oppositis, p. v,
fS 2, n. 61 ; tr. XX\1, De sexto et nono decalogi prœ-
cepto, c. III, p. I, n. 16, 4», n. 18, t. v, p. 171 ; t. vi, p. 107 ;
Bonacina, TraclcUus de matrinumio, q. ix, p. ix,
n. 23, Opéra oninia, 3 in-fol., Venise, 1716, t. i, p. 322;
Diana, tr. V, De scandalo, resol. xi, n. 3, Opéra omnia,
9 iO'foL, Lyon, 1667, t. vu, p. 333; Sanchez, De sancto
tnatrinionii sacramento, 1. IX, disp. XLVI, n. 25,
3 la-fol., Lyon, 1637, t. m, p. 315; Tamburini, Expli-
eatio decalogi, 1. "VII, c. viii, J| 8, n. 7, Opéra omnia,
2 in-lbi., Venise, 1707, t. i, p. 206; S. Alphonse,
Theologia moralis, l.III,tr.III, Déprmcepto chaHtatis,
c n, dub. V, a. 2, n. 55, t. i, p. 343sq.; Marc, Institu-
iUmes morales alphonsianœ, part. II, sect. i, tr. III,
De charitate^ c. ii, a. 3, § 2, De scandalo, n. 513. t. i,
p. 363; Ballerini, Compendium theologiss mo7'alis,
tr. De virtutibus, c. m. De charitate, a. 2, § 3,
p. i, sect. II, n. 239, t. i, p. 209; Berardi, De recidivis
et occasionaiHis, tr. II, part. II, De occasionibus parti-
cularibus qum ut plurimum sunt voluntariœ, a. 2, q. i,
sect. III, n. 180-188, 2 in-8o, Rome, 1897, t. ii, p. 218-
224; Lehmkuhl, Theologia moralis, part. I, 1. II,
divis. I, c. m, a. 2, § 1, n. 643, 2 in-8«, [Fribourg-en-
Brisgau, 1902, t. i, p. 384. Aux raisons invoquées par
les auteurs du sentiment opposé, ils répondent que la
coutume assurément ne rend pas licite ce qui est
intrinsèquement mauvais : par exemple, ce qui est
contre le droit naturel; mais la question est précisé-
ment da savoir si un pareil décolletage est mauvais
intrinsèquement. Partes illas, dit Lessius, loc. cit.,
n. 112, p. 611, nec natura, aut pudor humanus postu-
lat absolule tegi; et les Salmanticenses en donnent la
raison : quia non sunt partes ad lasciviam vehemen-
ter pi^ovocantesy tr. XXVI, c. m, p. i,n. 16, t. vi, p. 107.
Ce décolletage n'est coupable qu'en raison du danger
qu'il peut entraîner pour la chasteté. Or, comme le foit
remarquer saint Alphonse, loc. cit., il est d'expérience
que l'habitude de voir certains objets diminue de beau-
coup la force de la concupiscence. Ainsi, ajoute le
saint docteur, une femme donnera beaucoup plus de
scandale, simplement en découvrant ses bras, là où ce
n'est pas la coutume, qu'en montrant la partie supé-
rieure de sa poitrine, si on y est habitué, quia^ dit-il,
assuefactio efficit ut viri extali visu mimamoveantur
ad concupiscentiam , prout constat ex experientia. Les
auteurs récents s'appuient sur le même motif: quum
a^sueta minus phantasiam excitent, Ballerini, loc. cit.,
n. 239, t. I, p. 209; ex consuetis non fit libido, nec
passio. Berardi, loc. cit., n. 184, t. ii, p. 220. Il arrive
donc, par le fait de l'habitude, que les hommes et même
les jeunes gens fréquentant ces réunions, sont peu ou
point choqués, ni excités, par ces toilettes légères et
tapageuses.
Que faut-il entendre par moderatam vel immodera-
tam pectoris denudationem, la première étant jusqu'à
un certain point excusable, tandis que la seconde ne
l'est pas? Nul auteur ne s'est avisé de tracer une ligne
de démarcation bien tranchée, par la raison bien simple
que le degré de décolletage, que la coutume excuse de
faute grave, dépend précisément de la coutume elle-
même, qui varie considérablement suivant les contrées
et les milieux. Sous ce rapport, il y a plus de liberté
en Italie et dans les pays chauds qu'en Angleterre et
dans les pays froids. Avec un corsage moins décolleté,
une personne du nord peut bien plus scandaliser,
qu'une femme du midi dont la poitrine serait plus à
découvert. Quamquam communissima sit doctorum
sententia, non esse damnandam de peccato mortali
moderatam in mulieribus pectotns denudationem,
ubi talis vigeat consuetudo, plerumque tamen cujus-
modi sit modet^ata aut immoderata denudatio, ideo
fartasse non dicunt quod varia pro vaHis locis con-
suetudo essepossit. Ballerini, loc. cit., n. 239, in nota>
t. I, p. 209. Lehmkuhl s'exprime de même : quœnam
denudatio graviter peccaminosa dicidebeat, aconsue-
tudine mullum pendet, loc. cit., n. 643, t. i, p. 384.
En certains endroits la coutume est si invétérée, si
forte et si impérieuse, qu'elle excuse non seulement de
faute grave, mais aussi de péché véniel. Il en serait
ainsi, par exemple, pour une femme du monde officiel
et qui ne pourrait, sans de grands inconvénients, se
singulariser. Cf. Berardi, De recidivis et occasionariis,
loc. cit., n. 188, t. ii, p. 223. En pratique cependant,
il semble presque toujours possible à une femme, par
des ajustements, des dentelles, des rubans, ou orne-
ments de ce genre, de diminuer le décolletage, de
manière à le ramener aux limites de la modestie, sans
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DANSE
H6
éveiller les susceptibilités de son entourage, et sans
s'attirer les censures et la malveillance du milieu
mondain que, vu son rang, elle est obligée de fré-
quenter.
Les nombreux auteurs précédemment cités et qui,
dans une si large mesure, tiennent compte de la cou-
tume comme circonstance atténuante, sont cependant
unanimes à déclarer coupable de péché mortel une
femme qui arriverait au bal ainsi décolletée, quand ce
n'est pas l'habitude, ou qui ferait des efforts pour intro-
duire une mode aussi dangereuse et aussi répréhen-
sible. Sa présence exciterait certainement les passions
mauvaises, et l'on ne pourrait plus, pour l'excuser,
invoquer l'axiome : ex consuetit mm fit libido. Ce qui
est extraordinaire, en effet, attire davantage l'attention,
et provoque à un plus haut degré la concupiscence :
insolita enim magis movent. Cf. Lessius, De justitia
et jure, 1. IV, c. iv, dub. xiv, n. 112, p. 654; Tamburini,
Eœplicatio decalogi, 1. VII, c. viii, § 8, n. 7, 1. 1, p. 207.
5. Â la question du costume se rattache celle des
bals masqués, ou travestis. Plusieurs auteurs les con-
damnent a priori et très sévèrement, à cause du
periculum peccandi, qui s'y trouve presque constam-
ment, d'après eux. Cf. Gousset, Théologie mm^ale,
Traité du décalogue, VI« partie, c. i, n. 651, 2«, t. i,
p. 295. Masqués, les danseurs et danseuses peuvent
plus facilement, sans riquer d'être reconnus, se donner
des libertés qu'ils n'auraient pas osé prendre à visage
découvert. Sous le masque donc se glissent quelquefois
une intention plus mauvaise et un plus pressant danger.
Est-il vrai cependant que les déguisements, sous lesquels
se cachent danseurs et danseuses, sont toujours une
occasion favorable à de plus grands, ou à de plus nom-
breux désordres? Il en est souvent ainsi; ce serait une
erreur de le nier ; mais cette règle est loin d'être sans
exception. On a même prétendu, et non sans fondement,
car l'expérience en fait foi, qu^il n'y a de danger, dans
les bals masqués, que pour ceux ou celles qui l'y
cherchent délibérément. Très souvent, en effet, non
seulement la Hgure est cachée par le masque, et tout
décolletage en est nécessairement banni ; mais même
la taille la plus élégante est dissimulée sous un ample
domino. La coquetterie ne subsiste que dans la chaus-
sure. Un bas tricoté à jours, un soulier de soie ou de
satin, sont le critérium, parfois bien trompeur, par
lequel on cherche à deviner l'âge et les charmes de la
personne ainsi travestie. Telle qui a déjà près de
cinquante ans profite de ce subterfuge pour laisser
croire qu'elle n'en a qu'une vingtaine. Pour elle, un
bal ordinaire où elle paraîtrait ce qu'elle est réellement,
ne présenterait aucun danger. Un bal masqué, au con-
traire, peut illusionner son danseur, et l'illusionner
elle-même. Si une passion de quelques heures naît de
cette double illusion, c'est parce qu'elle a été volon-
tairement provoquée, et que, d'une part, une ruse
féminine, et, de l'autre, l'imagination, ont considéra-
blement exagéré des attraits qui, en réalité, se rédui-
saient à bien peu de chose, ou peut-être même n'exis-
taient absolument pas.
Si ce danger se rencontre, c'est surtout dans les bals
masqués publics, où l'erreur est plus facile. Mais il
se trouve plus rarement dans les bals travestis des sa-
lons, ou des réunions de famille. C'est, alors, simple-
ment un genre d'amusement particulier, qu'on ne doit
pas, en général, considérer comme une excitation au
mal. Ces travestissements, parfois bizarres, peuvent de-
venir un danger, sans doute ; mais souvent, aussi, ils ne
sont qu'une innocente récréation. Cf. Berardi, De reci-
divis et occ<monaHi8, part. II, c. i, a. 1, q. i, sect. ii,
n. 177, obj. 3*, t. ii, p. 213.
2<» Actes : attouchements, rapprochements, enlace-
ments. — Quand le genre de danse adoptée donne lieu
à des gestes inconvenants, à des attouchements indis-
crets, à des rapprochements trop intimes entre adultes
des deux sexes, à des postures déshonnêtes, à des enla-
cements ou embrassements, aniplexus, qui surexcitent
les passions chamelles, il est évident que la danse, alors,
ne reste plus dans les limites d'un simple amusement,
mais qu'elle constitue, pour les danseurs et les dan-
seuses, comme aussi pour les .spectateurs, un danger
véritable et une occasion prochaine de péché. Ces
danses ne sauraient donc, en aucune façon, ratione
modi saltandi, être permises, ou tolérées. Mais quelles
sont celles qui rentrent nettement dans cette catégorie
de danses mauvaises et illicites?
Pour répondre à cette question avec la précision dé-
sirable, il n'est pas nécessaire de faire ici l'exposé dé-
taillé de toutes les danses usitées de nos jours. Les an-
ciens Grecs avaient plus de deux cents espèces de
danses. Cf. Athénée, Dipnosophistes, xiv, p. 630.
Sous ce rapport les peuples modernes ne sont pas
moins riches. L'Angleterre, à elle seule, en avait plus
de cinq cents, au début du xviip siècle. Cf. Dancing-
Master, 2 in-S», Londres, 1716. Chaque nation, parfois
chaque province, a eu, et a, souvent encore, ses danses
favorites. Ces danses nationales et locales ont, bien des
fois, franchi les frontières des contrées qui les virent
naître. Transportées ailleurs, et plus ou moins modifiées
par les caprices de la mode et l'influence des milieux,
elles ont eu leur temps de vogue et d'éclat. Puis, elles
ont décliné, et ont laissé la place à d'autres plus en
faveur; mais, ordinairement, sans disparaître complè-
tement, et en se fusionnant avec celles-ci, de façon à
former peu à peu une infinité de variétés. Pour les dé-
crire toutes, même d'une manière sommaire, il faudrait
plusieurs volumes. Ce serait, en outre, absolument
inutile pour le but que nous nous proposons. Au point
de vue théologique, le seul que nous devions envisager
ici, il suffit de les ranger en trois classes parfaitement
distinctes : 1. les danses honnêtes; 2. les danses fran-
chement mauvaises, par leur indécence et leur obscé-
nité ; 3. les danses douteuses et dangereuses. Ce n'est
que par rapport à ces dernières qu'il peut y avoir des
difficultés pratiques à porter un jugement. Les pre-
mières, en effet, sont évidemment permises, et honni
soit qui mal y pense. Les secondes doivent être sévère-
ment prohibées, sans exception possible. Mais les au-
tres? Et celles-ci sont légion, car, entre les naïves
rondes de l'enfance, ou les honnêtes divertissements en
usage dans les familles qui se respectent, et les inven-
tions lubriques des milieux interlopes, il y a place
pour une série indéfinie de termes intermédiaires, se
rapprochant plus ou moins de ces deux extrêmes si
différents : la simple récréation, le jeu, le délassement,
et la corruption savamment organisée et érigée en sys-
tème.
Parmi ces danses considérées comme douteuses, il
y en a peu où le danseur ne soit amené à saisir la dan-
seuse par la main. A moins qu'il n'y mette de la pas-
sion, ou une intention mauvaise, cet acte n'est pas, en
soi, peccamineux. Jn choreis auteni levitei* apprehen-
dere manuni fœminœ, tel non erit culpa, vel ad sum-
mum venialis. S. Alphonse, Theologia moralis, 1. IV,
tr. IV, c. II, dub. II, n. 429, t. ii, p. 240. Cf. Salmanti-
censes. Cursus theologiœ moralis, tr. XXVI, De sexto et
nono decalogi prœcepto, c. m, p. i, n. 18, t. vi, p. 107.
Mais certaines danses, très en vogue de nos jours,
telles que la valse, la polka, la mazurka, la rédowa, la
scottish, le galop, etc., sont bien plus osées et bien au-
trement dangereuses. D'après les lois qui en régissent
l'ordonnance, elles exigent, en effet, non seulement que
le danseur tienne par la main la danseuse, et entrelace
ses doigts avec les siens; mais qu'il s'approche de plus
en plus d'elle, jusqu'à la saisir par la taille, l'enlacer
dans ses bras, et la serrer sur sa poitrine. Quelquefois
la tête de la danseuse se penche voluptueusement sur
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DANSE
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répaale de son cavalier, comme si elle s'abandonnait
à lui. D'autres fois, surtout dans les danses à allure
rapide, la danseuse est, à diverses reprises, soulevée
par le danseur, ou bien elle saute en s'appuyant sur
lui : tout cela, aux sons d'une musique enivrante ; dans
on milieu saturé d'une douce chaleur, ou de parfums
pénétrants; sous la vive lumière de lustres nombreux
qui, par leur éclat, ajoutent encore à la fascination de
cet ensemble, où tout semble réuni pour séduire les
yeux et le cœur.
Ces rapprochements, ces contacts et les dangers aux-
quels ils donnent lieu, se produisent surtout dans ce
qu'on appelle les danses tournantes. La forme type de
celles-ci est la valse, en allemand Walzer, du verbe
wâhen, tourner en cercle. Cette danse, l'une des plus
fascinantes, était française depuis quatre cents ans,
mais elle avait été un peu oubliée en France, quand
elle y fut, comme une chose nouvelle, importée d'Alle-
magne, en 1795. Cf. Castil-Blaze, L'académie de musi-
que, n. 18, 2 in-«o, Paris, 1847-1856, t. ii, p. 71 ; Fétis,
Dictionnaire de musique, v» Valse, 8 in-i®, Paris,
1860-1865. C'est pour l'Allemagne la danse de prédilec-
tion, et les compositeurs célèbres, Strauss, Farbach,
Metra, ont écrit pour la valse des morceaux très re-
marquables. La règle fondamentale de la valse est que
chaque couple de danseurs, composé d'un cavalier et
d'une dame, fait on tour sur lui-même et, par ces évo-
lutions successives, décrit en tournoyant, en même
temps que les autres couples, parfois fort nombreux,
un cercle ou une ellipse, suivant la forme de la salle
affectée au bal. Il y a plusieurs espèces de valses : les
unes sont à allure plutôt modérée, et les autres à mou-
vement rapide, selon que le mouvement du danseur
est à trois ou à deux temps.
La polka a été importée de Pologne en France, vers
1845, ainsi que la mazurka qui est la danse nationale
polonaise. Celle-ci est d'un mouvement un peu moins
vif; mais la polka est une danse tournante à deux
temps. Pendant les évolutions et durant tout le tour-
billon de la danse, le cavalier passe son bras droit
autour de la taille de la danseuse, dont le bras gauche
repose sur l'épaule du cavalier. En même temps, celui-ci
lui soutient la main droite dans sa main gauche, à la
hauteur de la ceinture. La rédowa, danse bohème,
est une sorte de valse, qui participe à la fois de la polka
et de la mazurka. Cf. G. Vuillier, La danse, c. viii, La
raUe et la polka; les bals publics, in-4», Paris-Milan,
1899, p. 201-249.
Comme son nom l'indique, la scottish est d'origine
écossaise. Cette danse a beaucoup d'analogie avec la
polka qu'elle a précédée en France, mais qui l'a de
beaucoup éclipsée. Le mouvement de la scottish est plus
lent, quoiqu'elle soit aussi et peut-être plus voluptueuse
encore.
Que ces rapprochements entre personnes de différents
sexes, ces contacts, ces enlacements, tous ces ampleœus
des danses tournantes soient très dangereux, puissent
donner lieu souvent à de fortes tentations, et occasion-
nent fréquemment des fautes graves, ce n'est que trop
évident. Les gens du monde les moins suspects de scru-
pules déplacés le reconnaissent eux-mêmes :
Si vous n'avez jamais vu d'un œil de colère
La valse impure, au vol lascif et circulaire,
Effeuiller en courant les femmes et les fleurs...
Victor Hugo, Feuilles d* automne ^ 28.
La valseuse se livre avec plus de langueur...
A. de Musset, A la mi-carême, iv.
D'autres, comme M. de Saint-Laurent, Quelques mots
sur les danses modernes, ne craignent pas de dire que
la valse et ses dérivés : polka, mazurka, scottish, etc.,
sont une c véritable excitation à la débauche, un pré-
lude ou une réminiscence des plus coupables voluptés ».
Revue des Deux Mondes, 1« novembre 1865, p. 204.
Cf. Deschamps, Le mari au bal, 2 in-8«, Paris, 1846;
De Concourt, Mystères des théâtres, in-8», Paris, 1853;
La Société française pendant le Directoire, 2 in-8«>,
Paris, 1864; M"»» de Bassonville, Le monde tel quHl est
in-8«, Paris, 1853; La jeune fille chez tous les peuples,
in-8o, Paris, 1861 ; Ventrée dans le monde, in-8o, Paris,
1862.
Qu'il en soit souvent ainsi, ce n'est malheureusement
que trop vrai. Mais peut-on transformer ce verdict sé-
vère en règle générale? Au point de vue théologique,
y a-t-il là un acte essentiellement et intrinsèquement
mauvais? En d'autres termes, parce qu'une personne a
dansé une valse, une polka, ou une scottish, doit-on
et peut-on, sans plus d'examen, la juger a priori cou-
pable de péché mortel? Une affirmation d'une telle
étendue et d'un pareil absolutisme serait certainement
exagérée. Les ampleocus, dont il est ici question, ne sont
pas toujours en soi, meiaphysice et Iheorice loquendo,
mortellement coupables. Ils ne constituent une faute
grave qu'en raison de la passion charnelle dont ils se-
raient la manifestation, ou qu'en proportion du danger
auquel ils exposent la vertu de ceux qui se les permet-
tent. Si l'on suppose qu'il n'y ait pas de passion char-
nelle, et cette supposition n'est pas chimérique, car il
serait absurde de croire que toutes les personnes ame-
nées, quelquefois par une rencontre fortuite, ou pour
tout autre motif, à danser ensemble, s'aiment, par ce
seul fait, d'un amour impur et passionné; si, en outre,
les circonstances amoindrissent le péril qui natt d'ordi-
naire de ces rapprochements, la faute sera d'autant di-
minuée et pourra même totalement être évitée. Ces
amplexus, faits par manière de jeu, ou par suite d'usages
reçus auxquels il est parfois très difficile de se sous-
traire, ne doivent donc pas être considérés comme ayant
toujours pour premier mobile la passion. Dès lors, ils
n'en sauraient avoir la malice, et ils sont loin de pré-
senter l'extrême gravité que certains rigoristes préten-
dent y trouver toujours. Le jeu, le divertissement, la
récréation, disons même la légèreté, sont parfois une
circonstance atténuante; les usages reçus en sont une
également. Cette remarque contre laquelle beaucoup
seraient portés peut-être à s'insurger, en la taxant, à
première vue, de laxisme, est cependant très fondée
en fait et en droit. Depuis longtemps, d'ailleurs, elle a
été clairement formulée par les princes de la théologie.
Multa si serio fièrent, dit l'angélique docteur, gravia
peccata essent, quœ quidem joco facta, vel nulla, vel
levia sunt... Aliqua enim sunt peccata propter solam
intentionem {pravam) quam quidem intentionem ex-
cludit ludus, cujus intentio ad delectationem (recréa-
iionem) fertur.., et in talibus ludus excusât apeccato,
velpeccatum diminuit. Sum. theol., lUl]^,q, clxviii,
a. 3, ad 1"». Le jeu a pour intention première le diver-
tissement, la récréation. Plus cette intention est vive,
plus elle est prépondérante, et plus, dans les actes qui
ne sont pas en soi intrinsèquement mauvais, elle écarte
une intention vicieuse qui s'y glisserait peut-être et
même très probablement, si l'esprit n'était pas si forte-
ment distrait par une autre préoccupation : celle du
divertissement lui-même.
Quelques pages auparavant, saint Thomas était entré,
à ce sujet, dans d'autres détails. S'étant posé la ques-
tion : Uti^m in taclibus et osculis (inter virum et fœ-
minam) consistât peccatum mortalefW répond: Oscu-
lum, amplexus, vel tactus, secundum suam rationem,
seu speciem suam, non nominant peccata mortalia;
possunt enim hœc absque libidine fieri, vel propter
consuetudinem patries, vel propter aliquam nécessita-
tem, aut rationabilem causam. II* II*, q. CLiv, a. 2.
Quand les usages reçus s'imposent comme une espèce
de tyrannie, à laquelle on ne peut se soustraire, sans
s'aliéner l'esprit de ceux avec qui on est cependant
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DANSE
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obligé de vivre ; et quand ces usages existent par rap-
port à des actions qui sont dangereuses, il est vrai,
mais qui ne sont peccamineuses que propter p^*avam
intentionem; ces usages ne rentrent-ils pas alors dans
ce que saint Thomas appelle consueludineni patriœ, ou
aliquam necessitatem, ou encore rationabileni causant,
qui justifie, jusqu'à un certain point, le concours qu'on
y prèle, et, par là même, écarte un peu le danger?
Cf. Sylvius, In 11^"^ II', q. CLiv, a. 4, concl. i, n, iv,
t. III, p. 852-855.
Les Salmanlicenses ont également traité tout au long
cette question délicate. Cursus tfieologiœ moralis,
tr. XXVI, De sexto et mono decalogi prœcepto, c. m,
§ 1, n. 27; § 3, n. 3448, t. vi, p. 109-113 : St prœdicti
tactus, oscula et amplexus fiant inter vU^m et fœmi-
nam juxla morem patries... sunt honesta, n. 27, t. vi,
p. 109; tactus et oscula et amplexus inter virum etfoenii-
nam habita, dummodo non sint nimis turpes, tantum
habent malitiam venialeni si fiant ex vanitate, aut le-
vitale jocosa, et absque delectatione venerea, n. 36,
p. 111 ; quod si plures hujusmodi tactus, absque neces-
sitate admissi, conimuniter tanquam Icuciviet venerei
ad mortale damnantur, nequaquam id habent ratione
delectationis naluralis {id est pure sensibilis), prœcise
secundum se spectatœ, sed quia raro in ea sistunt, ita
ut non inférant supradictam conimotionem et délecta-
tioneniveneream, velsalteni ejus pei*iculum, a quibus,
non vero ab ipsa nalurali {sensibili) delectatione, soient
etiam coniniunitef* tactus Icucivi et venerei nuncupari,
indeque ad culpam imputari, n. 43, p. 112. Ils font
ensuite cette remarque très judicieuse que*si, de leur
essence et dans la généralité des cas, les oscula, tactus
et amplexus étaient ordonnés ad venereani delectatio-
nem, comme le prétendait Cajetan, jamais ils ne seraient
faits sans péché, même quand ils ne sont employés
que comme manifestation d'une amitié honnête, ou
d'une affection très légitime. Alors, ils sont très permis,
suivant saint Thomas lui-même et la très grande majo-
rité des théologiens. La pensée de saint Thomas, con-
tinuent les Salmanlicenses, est donc que ces actes ne
sont de leur nature ni libidineux, ni péchés mortels ;
mais cela dépend de la fin que se propose celui qui agit*
et qui les ordonne à cette fin. S'il a l'intention de ne
se procurer par eux qu'une délectation simplement sen-
sible, et non voluptueuse et vénérienne, cette fin n'étant
pas gravement coupable, on doit en conclure qu'il n'y
a pas là de péché mortel : cum ordinet illa oscula et
amplexus ad captandam delectationeni naturalem
(mère sensibilem), et talis finis mortalis non sit, hinc
est quod nec dicta oscula, tactus et amplexus, ob talem
delectationeni tantum facta, et secluso periculo ulle-
rioris venereœ delectationis, sint mortalia, n. 4i, t. vi,
p. 112.
Peu importe, objectait Cajetan, l'intention que se
propose dans ces actes celui qui les fait. Cette inten-
tion du sujet ne peut changer celle que ces actes ont
comme d'eux-mêmes, et que la nature leur impose :
semper enim inclinatio naturalis rerum ipsas conse-
quitur. Or, ajoutait-il, delectatio naturalis, etiam
mei*e sensibilis, secundum sensum tactus in osculis et
aliis tactibus, ab ipsa natura directe ordinatur ad
venerem et ad coitum. Ergo ab hoc ordine nequit ab
opérante retrahi. Cf. op. cit., n. 39, t. vi, p. 111.
Comment un esprit aussi subtil et délié que C^'etan
est-il tombé dans une telle confusion, et en est-il venu
au point de faire un pareil sophisme? Les Salmanti-
censes lui répondirent avec raison ; Negamus antece-
dens, loquendo de tactibus, osculis et amplexibus, ut
sunt sensui tactus naturaliter delectabilia; et illud
concedimus solum in quantum sunt venerea; quia,
solum in quantum sunt libidinosa, illa ad coitum or-
dinant natura et homines lascivi, ut experientia
liquet; alii vero tactus solum ex fine operantis ordi-
nanlur ad coitum ; non vei*o ex se, n. 46, p. 112.
Ces auteurs font ensuite remarquer que cela est in-
contestable en théorie, spéculative et metaphysice
loquendo. En pratique cependant, vu la corruption de
la nature humaine, et la force de la concupiscence qui
entraîne vers les voluptés coupables, très souvent ces
oscula et amplexus sont péchés mortels ; car il est
presque impossible, tant la pente est glissante, que de
la délectation purement sensible provenant ex osculis
et amplexibus, on n'en arrive bientôt au désir et à la re-
cherche de la délectation vénérienne ^ sunt enim hœc
satis propinqua, et una delectcUio est via ad aliam. Vix
enim erit homo qui virginem, ob delectationeni natura-
lem àsculetur, quin transeat ad camalem, n. 48, t. vi,
p. 113. Ces mêmes savants auteurs ont également appro-
fondi cette question, et l'ont exposée avec de très amples
développements, dans le traité XIII% De vitiis et pecca-
tiSy disp. X, 1^ 1, n. 211-217, Cursus theologicus,2i in-8»,
Paris, 1876-1883, t. vu, p. 384-418.
Saint Alphonse reconnaît aussi que la circonstance
du jeu, comme aussi celle des habitudes reçues, sont
des circonstances très atténuantes, au point de dimi-
nuer la faute, et même parfois de la faire totalement
disparaître : Si oscula, amplexus, compressiones
manuum et similia non obscœna, fiant ex joco, levi-
taie, petulantia, imo etiam sensualitate, sive affectu
sensuali ac naturali {dummodo non cum delectatione
venei*ea, et si praeter intentionem suboriatur, ea re-
puisa, ac tune abstinendo ab illis), venialem culpam
non excidit. Theolog. mo^xLl., 1. IV, Ir. IV, De sexto et
nono prœcepto decalogi, c. ii, dub. i, n. 417, 418, t. ii,
p. 233. Et plus loin, il ajoute : Licet, etiam prssvisa
pollutione,... equitare..., etiam causa recreationis, et
honestas choreas ducere, l. IV, tr. IV, n. 483, t. ii, p. 267.
Dans son traité De recidivis et occasioncunis, Berardi
explique comment les amplexus des danses tournantes,
telles que la valse, la polka, la mazurka, etc., peuvent
parfois n'être pas, en pratique, gravement coupables.
A première vue, dit-il, on a peine à comprendre com-
ment un jeune homme et une jeune fille si étroitement
enlacés et pressés Fun contre l'autre, peuvent rester à
l'abri de tentations graves et n'être pas exposés à y
consentir. En fait, très souvent ils succombent par pen-
sées impures et désirs mauvais. Cependant, il n'en est
pas toujours ainsi. On le sait par l'aveu même des per-
sonnes qui, après avoir fréquenté ces danses, sont reve-
nues à de meilleurs sentiments. Conver^p, alors, et
souhaitant de mettre ordre à leur con^ence, elles
révèlent en toute franchise ce qui s'est passé en elles,
à ces moments troublés de leur vie. D'une part, la vo-
lonté de s'amuser, l'entraînement de la danse elle-même,
l'agitation qui en résulte, la distraction, la fatigue, sont,
bien des fois, un obstacle aux tentations et au soulève-
ment des passions, ou contribuent à les apaiser plus
vite. Fatigatio, tripudium, saltatio, cigitatio, dis-
tixu;tio, de fatigatio, etc., malitise et Ubidini cuiitum
prœcludunt, aut illam cito evanesc^re faciunt. En
outre, celui qui danse dans une réunion choisie, ou
dans un bal de société, doit apporter tous ses soins à
danser suivant les règles de l'art. Il ne le pourrait, à
moins d'être très habile, si son imagination poursui-
vait, à ce moment, des rêves lascifs. Qui saltat atten-
dere débet ad bene saltandum. Si quis enim malitia
prœoccupetur libidinemque foveat, bene saltare mi-
nime potest, maxime si saltandi artem non optime
calleat. Audivi etiam virum dicentem quod impedi-
mentum physicum haberetur; atque insuper ipse
pudor efficit ut viri motus camales impedire sata-
gant, ne turpiter commoti ab aliis conspiciantur ,
Audivi quoque fœminam dicentem quod foominm magis
manuum constrictionibus quam amplexibus commo-
ventur. Amplexus enim tanquam legem chorese cu:ci-
piunt; manuum vero constnctiones tanquam signum
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DANSE
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anioris fiabent, Reapse dicit Descuret quod fœmina
non conimovetur, nisi amet. Berardi, op, cit., part. Il,
c. I, a. 1, q. I, n. 177, object. 2», 2 in-So, Rome, 1897,
t II, p. 211 sq.
La raison Urée de la difficulté de la danse, et invoquée
par Berardi pour montrer que, bien des fois, le danger
est moins grand qu'on ne le supposerait à première vue,
paraîtra plus probante encore, si Ton réfléchit que la
danse, telle qu'elle est pratiquée à notre époque, est un
art qa*on doit apprendre si on veut le posséder, et où
tous ne peuvent exceller, pas plus que dans la musique
ou la peinture. M">« de Staël observait déjà que, de son
temps, la danse était « remarquable par son élégance
et la difficulté des pas ». Corinne, vi, 1, 2 in-S», Paris,
1807. De nos jours, cet art est devenu si compliqué
qn*il exige, pour y réussir, des exercices fréquents. Les
danseuses de profession se fatiguent, chaque jour, pen-
dant plusieurs heures, à répéter, devant leur psyché,
les divers pas de la danse, pour se familiariser avec
eux, et parvenir à les exécuter avec aisance, élégance
et précision. Cf. M»» Bernay, La danse au théâtre, in-8«,
Paris, 1890. Le musicien exerce ses doigts, en parcou-
rant sans interruption le clavier de son instrument, de
haut en bas et de bas en haut : il leur donne ainsi de
la souplesse, de l'agilité et de la régularité. Le danseur
ou la danseuse exercent leurs pieds, et mettent à ce
travail autant ou même plus d'ardeur et de persévé-
rance que le pianiste n'en apporte à l'exécution de ses
interminables gammes. La polka, la mazurka, la ré-
dowa, etc., sont toutes des danses tournantes, et des
modifications de la valse; mais elles en diffèrent, et se
distinguent aussi entre elles parla différence « du pas ».
Le «pas de la valse » n'est pas celui de la polka, comme
le pas de la rédowa n'est point celui de la scottish, etc.
Le pas de la valse se compose de trois parties : un pas
glissé, un assemblé, et un second pas glissé. En d'autres
termes, le pietl qui a glissé d'abord se détache de l'autre
qui glisse à son tour. Tout cela s'exécute en tournant.
Dans la terminologie chorégraphique, un glissé est un
pas de danse par lequel on passe le pied doucement devant
soi, en touchant légèrement le plancher. « L'assemblé »
est un pas de la danse par lequel se réunissent les deux
pieds suivant la troisième position considérée comme
la plus naturelle pour finir la danse. On entend par
positions les différentes manières de poser les pieds
l'un par rapport à l'autre. Il y en a cinq, suivant les
règles de l'art^ Dans la première, les pieds sont dispo-
sés en équerre, les deux talons se touchant. Dans la
seconde, les pieds gardent la même situation respective,
mais les talons sont écartés de la longueur du pied. La
troisième, nommée aussi embolture, ramène un pied
devant l'antre, mais croisé avec lui, au droit du coup
de pied, les jambes étant serrées l'une contre l'autre.
La quatrième position détache les deux pieds, et porte
l'un d'eux en avant, à la distance de la longueur du
pied. La cinquième, enfin, croise les pieds, en mettant
la pointe de l'un au tah)n de l'autre. Ces cinq positions
sont en usage en France depuis le xyiii« siècle. Elles
sont fondées sur la nature elle-même, et réglées par
rexpérience et le sens de l'esthétique. Mais il y a aussi
de fausses positions, parce qu'elles sont, en quelque
sorte, contre nature, et on ne doit jamais les employer
dans les danses de salon. Elles servent, dans les danses
de théâtre, pour produire quelquefois certains effets parti-
culiers, comme serait, par exemple, celle des pieds tour-
nés tous les deux du même côté, ou ayant les deux pointes
l'une vers l'autre. Cf. Fertiault, Histoire anecdotique et
pUioresque de la dame, in-12, Paris, 1854; Blasis et
Lenudtre, La danse, in-12, Paris, 1875; A. Czerwinski,
Brevier der Tanzkunst, in-8*, Leipzig, 1879; Zorn,
Grammatik der Tanzkun$t, in-S», et 2 atlas in4<», Leip-
zig, 1887.
Le pas de la valse actuelle n'est pas toujours celui
de la valse classique. Il consiste aussi à faire, en tour-
nant, cinq glissés suivis d'un assemblé, dans les six
temps qui forment deux mesures musicales. De cette
façon, ce pas répond à deux temps, ou à deux pas de
la valse classique. Pour le pas de polka, on frappe
alternativement des deux pieds, trois temps sur quatre.
Au quatrième temps, le pied reste levé, et c'est lui qui
commence les frappés suivants. Le pas de mazurka
comprend deux parties. Dans la première, c'est-à-dire
pendant les Irois temps de la première mesure, un pied
se pose en avant et l'autre le chasse; le même pied
saute légèrement, et la jambe opposée se lève en
arrière. Dans la deuxième partie du pas de mazurka,
les deux pieds posent successivement à terre sans sau-
ter, et marquent les trois temps de la mesure.
Les attitudes et les mouvements, inspirés par l'art
chorégraphique, ne sont exécutés parfaitement que par
les danseurs ou danseuses de la scène, dont c'est la
profession.
11 est aisé de comprendre que l'attention nécessaire
pour observer, aussi exactement que possible, toutes ces
règles minutieuses et une foule d'autres, dont il est
inutile de parler ici, soit pour le danseur et la dan-
seuse, exposés aux regards malicieux des spectateurs,
la cause d'une préoccupation qui diminue d'autant le
danger provenant des rapprochements et des enlace-
ments, que les danses exigent pour la plupart. Cf. Menes-
trier. Des ballets anciens et modernes, in-12, Paris,
1682; Rameau, Le maître ù danser, in-8«>, Paris, 1725;
De Cahusac, Danse ancienne et modetme, ou Traité
historique éke la danse, 3 in-12, Paris, 1754; Magny,
Principes de chorégraphie, in-8», Paris, 1765; Compan,
Dictionnaire de la danse, in-8«, Paris, 1803; Noverre,
Lettres sur la danse, 2 in-8o, Paris, 1807 ; Baron, Lettres
sur la danse ancienne et moderne, civile et théâtrale,
2 in-8o, Bruxelles, 1825; Castil-Blaze, La danse et les
ballets depuis Bacchus jusqu'à 3f»« Taglioni, in-12,
Paris, 1832; Labat, Études sur V histoire de la musique,
2 in-8o, Montauban, 1852; Lacroix, Ballets et masca-
rades depuis Henri II J, 2 in-8», Genève, 1868; Escu-
dier. Dictionnaire de musique, in-12, Paris, 1872;
Gaston Vuillier, La danse, in-4», Paris-Milan, 1899.
La danse appelée galop est une des plus dangereuses.
Elle est originaire de Hongrie, est à deux temps et à
mouvement très vif. Souvent elle sert de figure finale
au quadrille. Dans celui-ci, un nombre pair de couples
de danseurs et de danseuses exécutent des contre-
danses, c'est-à-dire qu'un couple arrive au point
occupé par le couple opposé, quand celui-ci le quitte.
Cf. M™» de Genlis, Les mères tHvales, 4 in-12, Paris,
1800, t. II, p. 45. C'est, en effet, l'essence de la contre-
danse que des couples de danseurs, placés vis-à-vis,
fassent, à l 'opposite les uns des autres, des pas et des
figures semblables. Le nombre de couples n'est pas
nécessairement quatre dans le quadrille; mais il peut
être plus nombreux, car ce mot vient de l'italien qua-
dnglia, corruption de squadriglia, escadrille, petite
escadre, petite bande. Cf. G. Vuillier, La danse, cYiii,
p. 214, 219, 223, 231; c. x, p. 293, 296. Dans le galop,
qui trop souvent est le bouquet final de ces réjouis-
sances, le cavalier tient de la main droite la danseuse
par la taille, tandis que celle-ci s'appuie sur lui de la
main gauche. Les deux mains se tiennent en avant.
Tune l'autre. Le pas de galop est « une suite de chas-
sés ». Le chassé consiste à ramener un pied derrière
l'autre qu'on avance aussitôt, commequand les militaires
changent de pied pour se mettre au pas. Ce mouvement
ne doit pas prendre plus d'un temps, c'est-à-dire pas
plus d'une demi-mesure. Cf. G. Vuillier, La danse,
c. VIII, p. 203 sq., 209 sq.
On se rend compte facilement par là du danger que
présente le galop, au point de vue de la morale. Le pas
de galop est une suite de chassés ou de sauts, là dame
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DANSE
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ayant en avant le pied droit et le cavalier le pied gauche.
Le pied de derrière chasse constamment le pied de
devant. Le danseur et la danseuse se tenant, en outre,
par la main, et étant presque l'un sur Tautre, tandis
que se succèdent ces mouvements saccadés et rapides,
il est difficile d'imaginer, propter seducentisiimas ap-
proximationes pectoris ad pectut et vultu9 ad vulium,
quelque chose déplus inconvenant et de plus troublant,
autant pour les danseurs et les danseuses que pour les
spectateurs. Il produit pour les uns et les autres une
sorte d'enivrement passionné. De là ces vers de
P. Lebrun :
Si la valse s'emporte au galop favori,
Plus aimé du valseur qu'agréable au mari...
ÉpUres. Le roi de Grèce.
Voici, d'autre part, la remarque faite à ce propos par
Berardi : Propter saltationem Utam nimis concita-
lam, mulieres, qiiamvis ubera satis vel etiam perfecte
cooperta habeant, magnam nihilominus {his partikus
nimium se agitantibus) maliliosorum oblutuum occa-
aioneni viris prœbere possunt. Peccatum iitud (quod
tamsn attenta etiam difficultate hune aspectuni evi-
tandi, non prœpf*opere judicari débet mortale) corn-
niitti potest, non solum ab ils qui saltant, sed etiam
ab mis qui fœminas sattantes conspiciunt; multo
magis quia interdum immodestia ad prœdicta non
restringitur, $ed ad aliquid pejus extenditur. Au-
divi qui dixit magis facile esse ut quis peccet choreas
aspiciendo, qvam in ipsis choreis saltando; idque
forsan verum est. In primo casu adest tota comm o-
ditas considerandi, et libidinem fovendi; in secundo
autem,agitatio, distractio et tHpudium minorem Hbi-
dini adituni relinquunt. Adverti potest demum quod
aspectus malitiosi, quamvis frequentiores sint in vi-
ris, accidere possunt etiam in fœminis, ut pu ta, si
ipsae, in juvenes turpiter commotos, oculos figeren t.
De 7'ecidivis et occasionariis, part. II, c. i, a. 1, q. i,
sect. II, n. 173, t. ii, p. 208 sq.
La danse moderne appelée cancan est plus inconve-
nante encore. Elle est souvent exécutée avec des sauts
exagérés, accompagnés de gestes lascifs. Elle n'est
dansée que dans les bals publics, et jamais dans un
salon qui se respecte. Il peut en être égalemen t ainsi,
en certains endroits, de la danse appelée cotillon,
et dans laquelle un ou deux danseurs mènent le branle,
c'est-à-dire conduisent tous les autres qui doivent répé-
ter après eux ce qu'ont fait les premiers. Cf. Paris-
Magazine, 3 mars 1867 ; G. Vuillier, La danse, c. x,
p. 307-309. Le cake tvalk, qui a fait fureur dans tous
les salons et qui est le quadrille américain, est aussi
bien leste.
3*> Le lieu. — L'endroit où se font les danses, comme
aussi le milieu ambiant, sont des éléments à considérer,
quand on veut juger sainement de la moralité d'une
danse. Pour bien des motifs, les bals de campagne,
d'auberges, de faubourgs, de barrières, paraissent plus
dcuigereux que ceux de salons ou de sociétés. Il faut
bien reconnaître, en effet, que la grossièreté des danses
de campagne et de celles des gens de bas étage, ouvre
la porte à toutes sortes d'abus et de désordres, tels que :
paroles trop libres, gestes inconvenants, postures ris-
quées, ou franchement déshonnêtes, embrassements
passionnés faits en public, sans pudeur ni réserve.
Quoique la corruption se cache aussi parfois sous les
dehors de l'éducation la plus raffinée, il y a cependant,
en général, plus de décence et de retenue dans les sa-
lons. Une jeune fille n'y danse, d'ordinaire, qu'en pré-
sence de ses parents. Ceux-ci sont plus ou moins vigi-
lants; mais, enfin, ils sont là. 11 n'en est pas de même
à la campagne, où les jeunes filles, beaucoup plus libres
dans leurs allées et venues, échappent souvent à la sur-
veillance de leurs père et mère. Dans les classes éle-
vées de la société, une jeune fille ne pourrait, sans se
déshonorer, aller seule au bal, ou en revenir de même
ou bien y aller et en revenir en compagnie de quel-
qu'un qui ne serait pas son très proche parent. Les
sorties de ce genre sont moins rares chez les filles du
peuple, qui, par suite, sont plus exposées à tomber
dans une faute grave, ou à y faire tomber ceux qui,
connaissant leurs habitudes, peuvent en profiter pour
commettre plus facilement le mal.
4« Le temps. — Quand les danses sont fréquentes et
régulières, comme, par exemple, dans les campagnes,
ou dans les petites villes, tous les dimanches et jours
de fêtes, il est très rare qu'elles restent un simple
amusement. Elles deviennent, au contraire, une occa-
sion d'intimités et de rencontres pour des personnes
de difl'érents sexes, qui trouvent ainsi le moyen de don-
ner à leur passion un aliment dont elles sont toujours
avides. On ne devrait pas porter un jugement aussi
sévère sur les danses qui ne se présentent pas avec ce
caractère de fréquence, de régularité et d'habitude,
comme celles, par exemple, qu'on orgî^nise accidentel-
lement dans un salon, à propos de circonstances spé-
ciales : réjouissances de famille, signature d'un contrat,
noce, baptême, etc. Ce n'est pas à dire que ces danses-
là soient toujours innocentes. Elles gardent les nom-
breux inconvénients inhérents à leur nature, et dont
nous avons déjà parlé ; mais, du moins, elles n'ont pas
ceux qui proviennent de l'habitude. La fréquence des
mêmes occasions fait que la passion s'enfiamme, tandis
que, par l'effet de la même cause, la pudeur, au con-
traire, s'affaiblit, et l'horreur du mal disparaît de plus
en plus de la conscience relâchée.
Le carnaval est une époque où les danses sont parti-
culièrement dangereuses, et donnent lieu aux plus
graves désordres. Ces réjouissances bruyantes, lointain
écho des saturnales païennes^ ne sont que pour trop
d'âmes l'occasion de chutes déplorables. Cf. Berardi,
Derecidivis et occasionariis, part. II, c. i, a. 4, De bac-
chanalibus, t. ii, p. 235-238.
La nuit également, le danger est plus grand que le
jour.
//. EX PABTE SUBJECTL — Ce u'est pas assez, en pra-
tique, d'examiner quel danger présentent objectivement
les danses, en raison des circonstances qui les entourent.
Il faut aussi et surtout considérer quel est ce danger,
par rapport aux personnes à l'égard desquelles on a
une décision à prendre, ou à notifier. C'est par l'oubli
trop fréquent de cette circonstance personnelle et
essentielle, qu'on est exposé si souvent à se tromper et
à tromper les autres. C'est pour cela aussi qu'il est si
difficile, pour ne pas dire impossible, de donner, sur
les danses, des règles générales, car chaque cas parti-
culier comporte presque une solution dilTérente.
A moins d'être formellement obscènes, en effet, les
danses ne sont illicites qu'en raison du plus ou moins
de danger qu'elles renferment, et qui les constitue une
occasion prochaine ou éloignée de péché. Si, d'ordinaire,
le péché les accompagne, de manière qu'il y ait entre
elles et lui une connexion probable et presque certaine,
le danger est prochain. Les danses d'un caractère lascif
impliquent, pour le plus grand nombre des individus,
un danger imminent, auquel, à moins d'un motif grave,
on ne peut s'exposer, sans commettre une faute mor-
telle contre la vertu de prudence. Dans d'autres danses
pourtant, le danger prochain n'est pas à ce point absolu ,
et universel. Il peut n'être que relatif, pour quelques
personnes, par exemple, à cause de leur impressionna-
bilité, de leur tempérament, de leur fragilité ; en un
mot, de leurs dispositions particulières qui leur font
trouver une occasion fréquente de chute, là où une
foule d'autres n'éprouvent aucune mauvaise impres-
sion.
Si une personne a péché gravement presque toutes
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DANSE
426
les fois qu'elle a assisté à une danse, celle-ci, serait-
elle hoanêtei est évidemment pour cette personne une
occasion prochaine de péché. Il est très probable qu'elle
retombera dans la même faute, si elle s*expose encore
au même danger. On ne peut donc l'absoudre, si elle
n*y renonce, à moins que, ne pouvant, pour un motif
grave, se dispenser d'y assister, elle ne s'efforce, par la
vigilance, la prière et de sérieuses précautions, de
rendre éloigné le danger qui pour elle est prochain.
Réciproquement, ce qui objectivement parait être un
danger prochain pour le plus grand nombre, comme,
par exemple, les amplexus dont il a été question à
propos de la valse, de la polka, de la mazurka, etc.,
en présente quelquefois très peu, ou même pas du
tout, vu le tempérament des individus, ou l'éducation
reçue dans le monde spécial auquel ils appartiennent,
et par laquelle ils sont devenus, sous ce rapport, beau-
coup moins impressionnables qu'ils ne l'eussent été,
dans un autre milieu et avec une formation difl'érente.
Comme il a été dit col. 124, les danses fréquentes
excitent parfois les passions, en leur procurant les
occasions périlleuses qui attisent la flamme impure et
l'alimentent; mais, parfois aussi, cette fréquence produit
l'effet contraire. L'accoutumance émousse la sensibilité.
Il ne manque pas de gens blasés sur ce genre de di-
vertissement, qui, étant devenu pour eux une chose
ordinaire, n^éveille ni leurs sens, ni leur curiosité. Eœ
asêuelU non fil pa5«io. Certaines personnes ne trouvent
même, dans des danses assez risquées, qu'un véritable
ennui. EUles ne s'y prêtent qu'à regret et avec dégoût,
uniquement parce que telle est l'habitude tyrannique
dans la sphère sociale, où, vu leur nom et leur rang,
elles sont obligées de vivre.
Pour apprécier le côté moral d'une danse, le théolo-
gien, ou le prédicateur, aurait donc tort de se mettre
simplement an point de vue de ses idées personnelles,
on de celles du milieu dans lequel il a lui-même vécu.
II ne doit pas, dans sa pensée, opposer les personnes
nées et vivant dans un milieu mondain, aux âmes pri-
vilégiées qui, dès leurs années les plus tendres, ont été
cultivées comme des fleurs en serre. La comparaison
serait assurément défavorable aux premières, mais ex-
poserait aussi à les juger injustement. De ce qu'une
âme ne vise pas à la perfection, et n'a pas une émi-
nente vertu, il ne s'ensuit pas que tout soit péché en
elle. Parce qu'elle s'ofi'usquera moins de certaines pa-
roles, de certains aspects, ou de certains rapproche-
ments, que ne le ferait une personne, dont l'innocence
•'est toujours abritée derrière les murs d'une maison re-
ligieuse, faut-il en conclure que sa conscience est com-
plètement oblitérée, et qu'elle ne distingue plus le bien
du mal? Cette conscience assurément est moins déli-
cate que celle d'un prêtre habitué à la gravité et à la
dignité de la vie sacerdotale, ou que celle d'une reli-
gieuse vouée à la pratique des conseils évangéliques;
mais, si cette conscience est moins ouverte aux attraits
de la vertu, on ne peut pas dire pourtant qu'elle soit
absolument faussée. Elle a un angle optique à elle pour
voir et apprécier les choses. Aussi reste-t-elle parfois
très calme, là où d'autres seraient profondément trou-
blées. Il ne faut donc pas s'étonner, si les personnes du
monde se font de la danse une idée toute différente de
celle que s'en forment les âmes qui, avides de perfec-
tion, fo/ent jusqu'à l'apparence du péché. La vue même
rapide d'une de ces danses donnerait à ces âmes des
inquiétudes de conscience; tandis que, très souvent,
\es personnes du monde y assistent et y prennent part,
sans en éCre émotionnées. C'est là un fait d'expérience,
dont pourraient témoigner beaucoup de confesseurs
ayant lai pratique du saint ministère, ou même simple-
ment les prêtres un peu mêlés à la société laïque, et,
dés lors, plus à même de la connaître et de l'apprécier.
Pour jager des intentions des gens et des mobiles qui
les font agir, il faut, en effet, pour un instant au
moins, s'identifier avec eux, s'assimiler leurs pensées,
et deviner ce qu'ils éprouvent.
Ce n'est pas à dire que, pour savoir si une chose est
bien ou mal en soi, un théologien de profession soit
obligé de consulter les laïques et les gens d'un certain
monde. Assurément ceux-ci, sur une foule de sujets,
tels que le duel, le point d'honneur, etc., se font une
théorie à part, et qu'on ne saurait approuver; mais,
comme pour tout péché mortel, il faut, de la part du
pécheur, advertance et volonté, on est bien obligé, pour
juger du danger que, pour tel ou telle, une danse pré-
sente, de leur demander quelle impression cette danse
produit en eux. Sur ce point, en effet, eux seuls peu-
vent répondre, car seuls ils savent ce qui se passe dans
leur conscience. Comme c'est une question de fait, ce
n'est point par des règles générales qu'on arrive à
l'élucider; mais c*est par leur aveu. Qu'on ne dise pas
qu'ils sont intéressés à tromper. Nous supposons les
pénitents de bonne foi, et, à moins de preuve contraire,
il faut les croire tels, quand ils viennent d'eux-mêmes
réclamer les sacrements. C'est, d'ailleurs, un principe
de saine théologie : Credendum est pœnitenti tam pro
se quam contra se loquenti.
Dans ses Avvertimenli per li confessori, § 19, ouvrage
si précieux que l'Assemblée du clergé de France voulut
le faire traduire et imprimer à ses frais, en 1655, saint
Charles Borromée range les danses parmi les occasions
relatives ou personnelles, et non parmi celles qui,
étant absolues et naturelles, sont prochaines à l'égard
de tous. Cf. Gousset, Théologie morale, Traité du sa-
crement de pénitence, c. xi. Des devoirs du confesseur
envers ceux qui sont dans l'occasion prochaine du pé-
ché, n. 565, t. Il, p. 378. Ce dernier auteur fait, ailleurs,
cette remarque importante : « Pour que la danse soit
une occasion prochaine de péché mortel, il ne suffit
pas qu'elle occasionne de mauvaises pensées, ou autres
tentations, même toutes les fois qu'on y va; car on en
éprouve partout, dans la solitude comme dans le monde. 4
Théologie morale. Traité du décalogue, VI« partie, c. i,
n. 651, t. I, p. 296.
Sur ce même sujet du point de vue personnel aux
danseurs, on ne lira pas sans profit ce passage d'un
théologien autorisé : Quasnam sunt choreœ quœ, ra-
tione modi libidinosi saltandi, valde periculosas sunt
et prorsus prohibendœf Non facile in theoria statui
potest, QutBstio enim intriccUissima est, et plerumque
a variis circumstantiis pendet,,. Vix aut ne vix qui^
dem definiri potest a viro theologo, qui res istittsmodi
nonnisi ex aliorum relatione novit, Etenim ut eœpe-
rientia constat, referentes, diversimodepericuUs affecti,
de mis diversimode judicant, Quod enim aliis summe
periculosum videtur, aliis tolerabile apparet; neque
saltationes etiam ejusdem generis sunt ejusdem péri-
culi pro omnibus. Itaque nec ipsi viri qui mundanis
recrealionibus prius vacarunt, et subinde statum cle-
ricalem amplexati sunt, hac deresemperconveniunt,
Generatim, ut periculosissimas habentur choreœ quœ
valse et polka dicuntur; sedulo proinde videntur inter-
dicendsB, Atlamen non desunt viri probi qui has ipsas
saltationes dicant modo non adeo indecoro fieri posse,
licet communiter valde periculosœ sint. Plerumque
igitur ea quœ ad chof*eas spectant relativa sunt ad
PRESENTES PERSONAS et modorum circumstantias.
Unde, in praxi, in prïmis ad periculum personale
pœnitentis attendendum est, atque ad rationes quas
habere potest choreis assistendi. Gury, Casus conscien-
tiœ. De virtutibus, cas. xxii, n. 233, 2in-8o, Paris, 1891,
t. I, p. 100. Il n'est pas rare, ajoute le même auteur,
de rencontrer des femmes et des jeunes filles qui, dans
le bal, n'ont commis d'autre faute que quelques pen-
sées de vanité. Il en est même qui ne pèchent aucune-
ment. Op. cit., n. 234, 1. 1, p. 100; Compendium theo-
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d27
DANSE
128
logim moralis, tr. De virtulibus, c. m, a. 2, § 3, sect. ii,
n. 243, t. I, p. 213. Cf. Berardi, De recidivis et occa-
sionariis, part. II, c. i, n. 2, sect. i, n. 166; sect. ii,
n. 477; sect. m, n. 188, t. ii, p. 203,211-212, 223 sq.
III. La danse considérée dans son ensemble. — Ré-
sumant les observations faites jusquMci, et n'en formant
qu^un seul tout, nous pouvons conclure que : l^la danse
en soi n*est pas immorale, ni toujours cause de péché,
ni, par conséquent, illicite. 2® Per accidens, elle peut
devenir dangereuse, dès lors, mauvaise et défendue.
3<* Comme il faut, dans chaque cas particulier, apprécier
les circonstances qui la rendent illicite, il est impossible
a p}nori de formuler des règles générales et absolues;
d'autant plus que les circonstances, qui vicient une
action de soi indifférente, doivent, ici, ôtre étudiées
plus encore ex parte tubjecti que ex parte rei, puisque
ce qui est danger grave pour les uns, n'est, bien des fois,
que danger éloigné pour les autres, ou môme ne l'est
presque pas, ou pas du tout. 4o Dans la pratique, on
constate que le per se est beaucoup plus rare que le
per accidens. Les personnes qui pèchent à l'occasion
de la danse, sont donc incomparablement plus nom-
breuses que celles qui ne pèchent pas à son occasion.
11 en est surtout ainsi aux époques où la foi diminue, et
où les exercices de la piété chrétienne sont plus géné-
ralement abandonnés. Les mœurs étant plus relâchées,
il se produit, alors, dans les danses, de tels abus, et on
y prend de si grandes libertés, qu'il est bien rare que
la vertu n'y fasse pas naufrage, au moins par des péchés
internes. Le per accidens devient ainsi presque la
règle.
Il n'en reste pas moins vrai, pourtant, que ce qui
est accidentel, même un accidentel très souvent réalisé,
n'est point, pour cela, essentiel, ni universel; et que
l'on ne pourrait, a priori, porter une condamnation
générale sur toutes les danses et sur tous les danseurs.
C'est en ce sens qu'il faut entendre quelques auteurs
affirmant que les danses modernes, telles que la valse,
la polka, la mazurka, etc., sont impures per se, comme
étant de leur nature la destruction de toute chasteté.
Cf. Eschbach, Disputationes physiotogico-theologicœ,
disp. V, c. m, a. 1, § 3, in-8», Rome, 1901, p. 524. Ces
auteurs prennent évidemment l'expression per se dans
le sens moral, et non dans l'acception métaphysique
et absolue qu'elle a en philosophie. Pour le philosophe,
en effet, le per se implique une nécessité essentielle,
n'admettant aucune exception ; par conséquent, toujours
absolument la même, dans tous les cas, quel qu'en soit
le nombre. En morale, le per se n'a pas ce caractère
d'universalité et de nécessité immuable, sans aucune
sorte d'exception. Il est seulement l'équivalent des
expressions telles que celles-ci : conimuniter, régula-
riter, plerunique, ut plurimuni, etc. C'est une géné-
ralité, une grande majorité, et même très grande, si
Ton veut; mais ce n'est plus l'universalité absolue. La
porte reste ouverte à quelques exceptions. Elles se pré-
senteront plus ou moins nombreuses; peut-être même,
de longtemps, elles ne se présenteront pas ; mais, enfin,
elles sont toujours possibles; tandis qu'elles ne le sont
pas du tout à l'égard du per se métaphysique. C'est là,
entre les deux per se, une immense différence. N'y
eùt-il qu'un cas sur mille, ou môme seulement sur
cent mille, cela suffit pour que, le per se ayant en mo-
rale un sens tout autre qu'en métaphysique, on ne
puisse, en vertu de ce per se, porter sur les danses
tournantes : valse, polka, etc., une condamnation uni-
verselle et absolue.
IV. Règles pratiques pour le pasteur d'ames en
DEHORS DU CONFESSIONNAL. — En raison de ses fonctions
et de la charge d'àmes qui lui incombe, un curé a bien
le droit, et même le devoir, de prendre des mesures
d'ordre général dans le but d'extirper de sa paroisse
les abus qui s'y glissent, ou déjà y existent. Il ne doit
pas oublier cependant, qu'il n'est pas, à proprement
parler, un législateur ayant, au for externe, le pouvoir de
faire et de promulguer des lois, obligeant en conscience
en vertu de sa seule autorité. D'autre part, une mesure
d'ordre général, par le fait qu'elle vise la population
dans son ensemble, est chose extrêmement délicate, et,
avant de s'y résoudre, il convient d'en prévoir avec soin
les conséquences probables. Un sage administrateur ne
prend pas une mesure qu'il prévoit devoir inutilement
soulever des tempêtes. Les innovations disciplinaires
sont grosses d'inconnu, surtout quand la matière est
délicate et le terrain brûlant. Cf. Gousset, Théologie mo-
rale, Traité du décalogue, VI« partie, c. i, n. 651, t. i,
p. 295.
Au sujet de ce que doit faire un curé contre la danse
en usage dans sa paroisse, de vives discussions se sont
élevées. Comme les inconvénients sont grands de part
et d'autre, et que les sentiments opposés sont défendus
avec conviction, et non sans de fortes raisons à l'appui,
il sera toujours difficile, pour ne pas dire impossible,
de trouver un moyen terme, et d'adopter une solution
qui satisfasse chacun. Les uns, se fondant sur l'axiome
qu'entre deux maux il faut choisir le moindre, se con-
stituent les apôtres de la tolérance. Assurément il serait
mieux, disent-ils, qu'on ne dansât pas; mais le mieux
n'est pas de précepte, et, quelquefois, il est l'ennemi
du bien. A quoi serviront des invectives publiques
contre la danse? A cause des dangers qui ne s'y ren-
contrent que trop, menacera-l-on de refuser l'absolution
à toute personne qui aura dansé, à moins qu'elle ne
promette sincèrement de ne pas recommencer à l'ave-
nir? Cette promesse, si elle est faite, sera-t-elle sin-
cère? Et, si on ne veut pas la faire, on continuera à
danser; on ne se confessera plus, et Ton ne commu-
niera plus.
Ces sombres perspectives n'émeuvent guère les te-
nants du parti contraire. Voyant, avant tout, la gravité
du mal actuel et le pressant danger que courent les
âmes, ils sont d'avis qu'il faut prendre des mesures
énergiques ; menacer publiquement de refuser l'abso-
lution à tout danseur et à toute danseuse, même si le
nombre des Pâques doit en être notablement diminué.
En ces matières, disent-ils, l'indulgence serait cou-
pable. Elle n'aboutirait qu'à multiplier les sacrilèges.
Mieux vaut délaisser la sainte table que de la profaner.
A quoi bon céder au torrent de la coutume? Ne vaut-
il pas mieux prendre les moyens d'endiguer ses fiols
dévastateurs? Et puisque le danger ne menace pas seu-
lement une paroisse, mais toutes les paroisses, les
curés devraient unir leurs efforts, adopter une mesure
identique, afin de combattre le mal partout où il
exerce ses ravages, et d'y porter partout remède. Rien
n'est plus préjudiciable aux âmes et ne les encourage
autant à persister dans leurs errements funestes, comme
la différence d'agir qu'ils remarquent entre les curés
des diverses paroisses, où les abus sont pourtant les
mêmes. L'indulgence des uns semble condamner, et,
de fait, condamne le zèle des autres, qu'il rend, du
moins, pratiquement inefficace.
Les curés voisins peuvent prendre de concert cette
mesure s'ils ont l'espoir fondé qu'elle produira de
bons résultats, fera disparaître les désordres, ou empê-
chera une danse plus dangereuse de s'introduire dans
le pays. Mais si, parmi eux, quelques-uns sont d'un
autre avis et ne croient pas la chose opportune, qui
pouiTa les y forcer? Leurs confrères n'ont aucune au-
torité sur eux. L'intervention de l'évêque serait alors
nécessaire. Il est donc rare que des curés puissent, de
leur propre initiative, adopter un plan d'ensemble.
Reste l'action du curé dans les limites de sa paroisse.
Une mesure générale et rigoureuse, outre qu'elle peut
être inefficace, risque aussi parfois d'atteindre des inno—
cents et de les exposer au danger de se perdre. Mena-
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DANSE
130
cer de refuser Tabsolution à tout danseur et à toute
danseuse, n*est pas, sauf en des cas très rares, théolo-
giquement soutenable. Pourquoi la refuserait-on à
ceux ou à celles qui, en dansant, ne pèchent pas?
Serait-ce parce que d'autres pèchent? Mais a-t-on le
droit de punir quelqu'un des fautes d*autrui? N'est-ce
pas une obligation grave de donner l'absolution à tout
pénitent bien disposé, qui fait l'aveu de ses fautes?
Pourrait-on, pour justiGer cette décision, s'appuyer sur
le scandale donné, ou sur la coopération apportée par les
danseurs innocents à la faute des autres? Mais croit-on
que l'abstention de quelques danseurs supprimerait les
bals? Kefuserait-on l'absolution à ceux qui ne pèchent
pis, prœsumptione periculi? Mais cette présomption
n'existe pas pour eux, puisque l'expérience a prouvé
qu'ils ne pèchent pas, et qu'il n'y a pour eux aucun
4ianger, du moins prochain.
Cette menace de refus général d'absolution serait donc
inutile, et la promulguer du haut de la chaire serait
une grave imprudence. Sans convertir les coupables,
elle ne punirait que les innocents. Elle serait donc
plus nuisible qu'avantageuse. Le curé entrerait inutile-
ment en conflit avec la majeure partie de sa population.
Ce serait le plus souvent la ruine de son ministère, et
l'impossibilité presque absolue de continuer le peu de
bien qu'il pouvait accomplir encore. Cf. Ojetli, Synop-
sis rerum moralium et juris pontificii, alphabelico
ordine digesta, v© Choreœ, 2 in-i», Prato, 1905, t. i,
p. 288.
Mais il ne s'ensuit pas que le pasteur d'âmes soit,
même au for externe, absolument désarmé contre un
mal de cette nature. Il lui reste d'autres moyens qu'il
doit employer. Il diminuera le mal, plus par son in-
fluence personnelle, discrète et persévérante, que par
de violentes diatribes du haut de la chaire ; il le diminuera
pir des conversations particulières, et par son action
sur les meilleures familles. Il le diminuera aussi, pour-
vu qu'il n'y revienne pas trop souvent, ni avec un zèle
outré, par des sermons, non pas comminatoires, mais
persuasifs; en montrant les écuei's et prémunissant
contre les périls; en conseillant aux pères et mères de
fiamiJIe d'en détourner leurs enfants. Mais qu'il ne
défende pas les divertissements honnêtes, et qu'il ne
•condamne pas sans distinction toutes les danses, comme
si la loi naturelle, divine ou ecclésiastique, les pro-
hibait.
L'Église, qui aurait le droit de faire une loi de ce
genre, si elle le jugeait avantageux pour le bien des
.âmes, n'en a promulgué aucune pour interdire, en
général, la danse aux chrétiens. Le curé n'a donc pas
le droit, en préchant contre les danses réputées mau-
vaises, de laisser entendre qu'elles sont toutes condam-
nables. Il commettrait une erreur théorique et une grave
imprudence. On s'apercevrait vite, au détriment de sa
légitime influence, de ses exagérations.
Même pour les, danses de campagne, que l'on con-
sidère généralement comme plus dangereuses, il y a
lien à distinction. Des auteurs qu'on ne pourrait taxer
-de laxisme, donnent aux curés ces conseils : Impru-
-dénier prohibenlur mstici in diebus festis choral-
zare : tum quia choraizare non est illicilum ex génère
9uo; tum quia, cum his choreis sint assueti, si ab eis
XLTceanlur, forte vacabunt otio, rixis, aut aliis ludis,
■ex quibus respublica forte turbabitur ; tum denique
quia, cum publiée fiant, non datur occasio in eis tur-
piler saXlandi. Curandum tamen est ut in eis ab om.
ni actu et motu turpi abstineantur. Salmanticenses,
Cursus theologiœ moralis, tr. XXVI, De sexto et nono
decalogi prmceplo,c, m, p. i, n. 48, t. vi, p. 107.
Après avoir dit que les curés doivent s'eflbrcer de
détourner les fidèles des danses dangereuses, Gury
ajoute : Verum, si omnes choreas de medio tollere vel-
Jent, tempus et oletim perderent, necnon multos ab
met, DE THÉOL. CATIIOL.
usu sacramentoruni retraherent. Caute igiiur in
praxi procedenduni est, et inter duo mala minus
eligendum. Casus conscientim, Devirtutibus, cas. xxii,
n. 234, t. I, p. 100.
Il convient aussi de conseiller aux jeunes gens et aux
jeunes filles la fréquentation des sacrements et les
exercices de piété; de créer des œuvres de préserva-
tion et de persévérance : patronages, confréries, con-
grégations, etc., et de les y enrôler. Cf. Marc, Instilu-
iiones morales alphonsianœ, part. II, sect. ii, tr. VI,
c. IV, § 2, n. 833, t. i, p. 562.
Enfin, un curé ne négligera pas de recourir à Oieu
par la prière.
V. Règles pratiques pour le confesseur, au for
INTERNE. — Au tribunal de la pénitence, le confesseur
est juge en dernier ressort, puisque ses décisions ne
relèvent que de Dieu et de sa conscience. Son in-
fluence est bien plus grande que celle du prédicateur.
II peut, par ses conseils et sa direction, persuader à
plusieurs de ses pénitents de renoncer à ces divertis-
sements.
Ses décisions toutefois ne sauraient être dictées
d'après une règle uniforme et inflexible. Elles varieront
suivant les cas et les circonstances, suivant la docilité
des personnes, et l'espérance plus ou moins fondée de
leur amendement. Cf. Berardi, De recidivis et occasio-
nariis, part. II, c. i, q. i, sect. il, n. 175-177, t. ii,
p. 210.
Si la danse est une occasion prochaine de péché, il
refusera nécessairement l'absolution, à moins d'un
vrai repentir et de la promesse sérieuse d'éviter, à
l'avenir, une aussi dangereuse occasion. Toutefois, il
serait imprudent et excessif de faire promettre l'absten-
tion complète de la danse. Certaines danses ne présen-
teront peut-être pas, plus tard, les dangers auxquels il
s'agit d'obvier à ce moment. Les pénitents ne pourront
peut-être pas toujours s'abstenir de danses auxquelles
leur rang, leur position, ou l'ordre de leur père ou de
leur mari, les obligeront de prendre part. S'ils pro-
mettent sérieusement de ne participer qu'à des danses
honnêtes, on devra les absoudre. Ce n'est point par
une intransigeante sévérité qu'on pourra les gagner.
Au lieu de les blâmer avec rudesse, il faut les re-
prendre avec douceur. Cave,o conf essarte, ne severius
cum psmitente agendo,nihil proficias, et ipse noceas.
Obsecra igitur semper, non vero semper increpa op-
portune et importune, Quod tibi suadebit bonuni
spirituale pœnitentis, tu videbis. Non raro autem an-
gustias circumdabunt te undique. Gury, Casus con-
scentim. De virtutibus, cas. xxii, n. 234, t. i, p. KU^.
Quand la danse n'est pas, pour le pénitent, une occa-
sion prochaine de péché mortel, mais seulement une
occasion éloignée, le confesseur doit donner l'absolu-
tion, à moins que le motif d'un scandale probable
n'impose au pénitent l'obligation de s'en abstenir, par
charité pour le prochain. Cf. Berardi, De recidivis et
occasionariis, part. II, c. i, q. i, sect. ii, n. 178, t. n,
p. 215 sq.
Dans les paroisses profondément chrétiennes, où la
danse n'est pas en usage, le confesseur doit prendre
les moyens les plus énergiques pour l'empêcher de s'y
introduire. 11 peut, dans ce cas, se montrer plus
sévère, et, par remède préventif, refuser l'absolution à
toute personne qui danserait, et qui, par son exemple,
contribuerait à implanter dans le pays une coutume
aussi funeste.
Que dire d'un confesseur qui, pour infliger un blâme
public aux danseuses, renverrait leur communion pas-
cale à une quinzaine de jours après Pâques? Si les
pénitentes ne sont pas bien disposées, ce renvoi est évi-
demment nécessaire ; mais si elles ont les dispositions
requises pour recevoir l'absolution, le renvoi de la
communion ne se justifie guère. Le désir d'établir une
IV.
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131
DANSE
132
différence apparente entre les personnes qui dansent
et celles qui ne dansent pas, ne semble pas un motif
/Suffisant pour retarder ainsi l'accomplissement du
devoir pascal. Cf. Gousset, Théologie morale, Traité
du décalogue, Vl« partie, c. i, n. 65(>652, 1. 1, p. 295 sq.;
Marc, Institutiones morales alphonsianss, part. II,
sect. II, tr. VI, c. iv, § 11, n. 833, t. i, p. 563; Balle-
rini, Compendium theologiœ mornlis, tr. De virtuti-
bus, c. m, a. 2, § 3, sect. ii, n. 243-245, t. i, p. 213 sq.
VI. Conseils spéciaux pour les personnes adon-
nées A LA DÉVOTION. — 1® On ne saurait mieux faire
que de leur répéter, avec saint François de Sales : c Les
danses et les bals sont des choses indifférentes de leur
nature; mais leur usage, tel qu'il est maintenant établi,
est si déterminé au mal par toutes ses circonstances,
qu'il porte de grands dangers pour l'âme... Je vous
parle donc des bals, ô Philothée, comme les médecins
parlent des champignons. Les meilleurs, disent-ils, ne
valent rien, et je vous dis que les meilleurs bals ne
sont guère bons. S'il faut manger des champignons,
prenez garde qu'ils soient bien apprêtés, et mangez-en
fort peu ; car, pour bien apprêtés qu'ils soient, leur
malignité devient un vrai poison, dans la quantité. Si,
par quelque occasion, dont vous ne puissiez absolu-
ment pas vous dégager, il faut aller au bal, prenez
garde que la danse y soit bien réglée en toutes ses cir-
constances: pour la bonne intention, pour la modestie,
pour la dignité et la bienséance; et dansez le moins
que vous pourrez, de peur que votre cœur ne s'y affec-
tionne. » Introduction à la vie dévote, III« partie,
c. xxxm-xxxiv, in-46, Paris, 1852, p. 302.
Ce n'est pas assez de conseiller aux personnes pieuses
de danser peu, et peu souvent, et seulement quand une
vraie raison leur en fait une obligation de convenance.
Comme, même alors, les danses restent toujours un
danger, sinon pour la vertu, du moins pour l'esprit de
piété, il importe qu'elles prennent de grandes précau-
tions. Après ces réunions, elles doivent s'efforcer de
chasser au plus tôt la fâcheuse impression produite
dans l'âme, et de sorlir de la langueur spirituelle, fruit
naturel de la dissipation de l'esprit et de l'affaiblisse-
ment de la volonté pour les choses divines. Voir les
considérations que saint François de Sales conseillait
de faire pour rendre à l'âme le calme intérieur et le
goût de la piété. Cf. Esprit de saint François de Sales,
in-16, Paris, 1904, p. 338 sq. ; Œuvres complètes,
12 in-12, Paris, 1862, t. i, p. 198 sq.; t. ix, p. 555; t. x,
p. 224, 383.
2<> On voit combien se tromperait une personne fai-
sait profession de piété, qui, s'approchant fréquem-
ment de la table sainte, croirait pouvoir organiser des
bals dits de charité, user de son influence pour qu'ils
aient toute la solennité ou tout le concours possibles,
et tâcherait d'y amener ses parentes et ses amies. En
général, dans ces bals de charité, il n'y a de charité
presque que le nom. Le profit qui en résulte pour les
pauvres, une fois qu'on a prélevé les frais d'installa-
tion, d'éclairage, etc., est peu considérable. Quand on
veut réellement être charitable, on prend d'autres
moyens. Ces réjouissances mondaines semblent plutôt
une injure à la misère du pauvre. Ces bals restent des
divertissements dangereux. Leur fréquentation, le zèle
qu'on déploie pour leur organisation ou leur réussite,
ne sont pas compatibles avec la vraie piété.
3» Aux jeunes filles qui font partie d'une congréga-
tion érigée dans la paroisse, en l'honneur de la sainte
Vierge, on doit interdire la danse. Par le fait qu'elles
entrent dans ces pieuses associations, elles veulent se
distinguer des autres chrétiennes, et font profession
spéciale des pratiques de dévotion. La défense de
danser doit normalement êlre un article du règlement,
dont la violation entraînerait exclusion.
Convient-il de permettre quelquefois la danse aux I
congréganistes, dans certaines circonstances, comme
par exemple, à l'occasion d'une noce, ou de la fête pa-
tronale, etc.? En principe, cela ne parait pas opportun,
car c'est ouvrir la porte aux infractions qui tendront à
se multiplier. Dans les paroisses chrétiennes où les
danses sont rares, il vaut mieux restreindre le plus
possible les exceptions. Dans les paroisses moins chré-
tiennes où la danse est déjà en usage, il ne convient
pas de la permettre officiellement, de temps en temps.
Mais, si une trop grande sévérité devait détourner la
plupart des jeunes filles de la congrégation, il serait
mieux, ce semble, de tolérer de rares violations de cet
article du règlement. Parfois, on pourrait utilement
imposer une pénitence aux congréganistes désobéis-
santes. Il serait imprudent de les éliminer uniquement
pour ce motif. Enfin, pour corriger le mauvais effet
produit par cette tolérance, on demanderait aux con-
gréganistes les plus ferventes, ou les plus influentes,
l'abstention complète de toute danse. Leur exemple
compenserait la latitude laissée à quelques-unes oh
duritiam cordis,
¥ L'Église a édicté des mesures par rapport aux ecclé-
siastiques, aux religieux, aux religieuses. Ces prohibi-
tions se trouvent en divers endroits du Corpus juris
canonici. Elles remontent à une haute antiquité, et, de-
puis lors, ont été renouvelées bien des fois. Cf. Décret
de Gratien, part. 1, dist. XXIV, can. 19, Preshyteri;
part. III, De consecrat., dist. V, can. 27, Non oportet;
Décrétai., 1. III, tit. i. De vita et honestate clericorum,
can. 12, Cum decorem ; 1. III, tit. xxiii. De immunitate
ecclesiarum; in VI®, can. 2, Decet; Clementin., 1. III,
tit. X, De statu monachorum, can. 2, Attendentes ;
itt. XIV, De celebratione missai^m, can. 1, Gravi.
A propos de ce dernier texte, Tamburini, Explicatio
decalogi, 1. VII, c. viii, § 7, De choreis, n. 5, t. i,p. 206,
fait toutefois cette remarque : Per has pro/iibitiones
non prohiberi puïo choreas absolute, sed immodestas
impudicasque. Le passage de la Clémentine citée dit,
en effet : Non verentur in ipsis ecclesiis eorumque
cœmeteriis cJioreas facere dissolutas. Selon cet auteur,
le mot dissolutas restreint certainement de beaucoup
la défense : illud prohibitioneni certe permaxime lenit.
De sorte que là aussi, selon lui, c*est d'après les cir-
constances qu'il faut surtout apprécier la gravité de la
faute : quare juxta majorem minoremque irreveren-
tiam, secundi4m omnes circunistantias a prudenti ex-
pendendam, et considerato scandalo, quod forte de-
tur,.,, gravitatem levitatemque culpœ dimetire.
Ces défenses ont acquis une nouvelle force par la
mention qu'en a faite le concile de Trente, sess. xxii,
c. 1, De refonn.; sess. xxiv, c. 12. Cf. Benoît XI V^
Instit., LXXVI, n. 6-10, Opéra omnia, 18 in-4o, Prato,
1839-1847, t. X, p. 321-323; Ferraris, Prompta biblio-
t/ieca, vo Clencus, a. 4, n. 6-10, 10 in-4o, Rome, 1784-
1790, t. II, p. 202; Ojetti, Synopsis ret^um moralium
et juris pontificii alphabetico ordine digesta, v® Clerici,.
t. I, p. 331.
Sur la plus ou moins grande liberté donnée, au sujet
des danses, par les Églises luthérienne et calviniste ^
voir Ditchtenberger, Encyclopédie des sciences reli-
gieuses, v« Danse, 13 in-40, Paris, 1877-1882, t. m
p. 593.
VII. La coopération aux danses. — 1» Sont indignes
d'absolution les musiciens de profession qui donnent
leur concours aux danses nocturnes et dangereuses,,
d'où les jeunes gens et les jeunes filles reviennent en-
suite péle-méle, comme il n'arrive que trop souvent
dans les campagnes. Ils pèchent gravement en coopé-
rant ainsi d'une façon prochaine à une foule de péchés
mortels. Cependant, si ces danses ne présentaient pas
un danger formel, si elles se faisaient en plein jour, et
non d'une façon habituelle, mais dans des circonstances
particulières, comme, par exemple, une fête patronale,.
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133
DANSE — DANSEURS
134
une ooce, une réjouissance de famille, etc., on devrait
se montrer moins sévère a leur égard, à moins que
ces musiciens n*y fissent entendre des airs lascifs et
connus comme tels. Ce serait alors, de leur part, en
effet, une vraie provocation au mal.
^ La même solution, et avec une distinction iden-
tique, s'applique à ceux qui, par leur argent, sou-
tiennent les bals publics, en payant les musiciens. Si
ces danses sont mauvaises, ou si, sans être directement
déshonnétes, elles sont néanmoins dangereuses pour
un bon nombre de ceux qui y prennent part, il n'est
pas permis d*y coopérer par son argent. Si les danses
sont rares et peu dangereuses, on doit néanmoins con-
seiller aux paroissiens de n'y coopérer en aucune façon ;
cependant, s'ils le faisaient dans ce dernier cas, on ne
devrait pas leur refuser l'absolution, à moins que
cette coopération ne tendit à introduire les danses dans
le pays où elles ne sont pas en usage, ou à augmenter
leur fréquence dans des proportions funestes.
3» Ceux qui organisent les bals publics apportent une
coop«^ration plus directe aux nombreux péchés qui s'y
commettent. Ils doivent donc être traités avec plus de
sévérité encore.
4* Une solution analogue s'applique à ceux qui prê-
tent, ou qui louent des immeubles, pour des danses mal-
saines on dangereuses. C'est une coopération directe à
un mal grave, et bien souvent cette coopération devient,
en outre, un scandale public. En quelques rares cir-
constances cependant, et s'il était avéré que les choses
s'y passent honnêtement, on pourrait avec prudence les
absoudre. AUamen non semperiis neganda esset ab$o-
lutiOy ted êpeclandm 8unt circumstantiœ et niodus ordi-
nariuê quo istœ choveœ fiunt. Ballerini, Compendium
theologisRmorali8,ir,De virlutibus, c, m, §3, part. II,
sect. Il, n. 256, t. i, p. 225. Cf. Ojetti, Synopsis rei*um
moralium et juris pontificii, v» Cooperatio, 1. 1, p. 482.
11 est impossible de fixer des règles générales pour la
solution de ces divers cas de coopération aux danses.
La décision de chaque cas particulier dépend du con-
fesseur, qui est seul à même d'apprécier les circon-
stances qui peuvent être si différentes : comme la proba-
bilité des fautes qui se commettront, le degré de coopé-
ration matérielle, les raisons plus ou moins pressantes
qui sont de nature à l'excuser, m casu, etc. Cf. Lehm-
kuhU TheoUtgia moralis, part. I, 1. II, divis. I, c. m,
a. 2, § 1, n. 643, t. i, p. 385.
1* S. Antonio, Summa theologiœ moralis, part III, til. vi,
c n. De choreis ;TasDbwM, Explicatio decalogi, 1. VII, c. viii,
i'S, Opéra omnia, 2 In-fol., Venise, 1707, t. i. p. 206 sq.;
Booachuu De matrimonio, q. iv, p. ix, n. 24, Opéra omnia,
3 in-fot. Venise, 1716, t. i, p. 322; Lacroix, Theologia moralis,
I. tu, part- 1, tr. IV. c. u, dub. i, n. 887 sq., 3 in-fol., Venise,
1748-1750, t. I, p. 197 ; Salmanticenses, Cursus theologiœ mora-
lis, tr. XXI, De primo prtecepto decalogi, c. vni, p. v, § 2,
n. 61 ; tr. XXVI, De sexto et nono decalogi prœccpto, c. iir,
p, i. n. 16-17, 6 in-fol., Venise, 1728, t. v. p. 171 ; t. vi, p. 107;
Benoa XIV, tnstitut. eccles., instLXXVI, De choreis; const. Nihil
profecto, du 12 août 1742, % 4 ; const. Inter estera, du 1" jan-
vier 1748, Opéra omnia, 18 in-4*. Prato, 1839-1847, t. x. p. 318-
824; t. XV, p. 234; t. xvi, p. 319-323; Concina, Theologia chri-
stiana dogmatico-moralis, I. VIU. In decalogum, dise. II, c. m,
10 in-4*. Rome, 1755, t. iv, p. 244-205; Ferraris, Prompta bi-
blidheca, r* Choreas; Uururia, n. 87, 17 in-4', Rome, 1785-
1790; t Ji, p. 159; t. v, p. 133; S. Alphonse, Tfieologia moralis,
1. IV, tr. IV, De sexto et nono prœcepto decalogi, c. i, dub. i,
n. 429, 6 in-8-. Parts, 18fô, t. ii, p. 239 sq.
2» Bonset, Histoire générale de la danse sacrée et profane,
ses progrès et ses révolutions depuis son origine jusqu'à pré-
sent, in-12, Paris, 1723; Feuillet, Chorégraphie, ou Vart d'écrire
la danse par caractères, figures et signes démonstratifs, in-8*^
Paris, 1700; Magny, Principes de chorégraphie, In^*, Paris'
1765; de rAoloaye, De la sallation théâtrale, in-8«, Paris, 1790;
Noverre. Lettres siir les arts et sur la danse en particulier,
2ia-8*, Paris, 1807 ; Ch. Magnîn, Origines du théâtre moderne,
in-8*, Paris, 1838; Fertiault, Histoire aneedotique et pittores-
que d^4a danse, in -16, Parie, 1854; CastU-Biaze, L'Académie
de musique, 2 in-8% Paris, 1847-1856; Fétis, Dictionnaire de
musique, 6 in-4*, Paris, 1860-1869 ; vicomte de Brieux Saint-
Laurent, Quelques mots sur les danses modernes, 5* édit.,
Paris, 1868 ; Chouquet, Histoire de la musique dramatique,
in-8', Paris, 1873; Boccardo, Feste, gluocht e spettacoli, in-8%
Gènes, 1874 ; Gzerwinski, Brevier der Tanzkutist, in-8', Leip-
zîg, 1879 ; Ludovic Celler, Les origines de l'opéra et le ballet de
la reine, in-12, Paris, 1881 ; Pougin, Dictionnaire historique et
pittoresque du théâtre et des arts qui s'y rattachent, v* Danse,
in-4% Paris, 1885, p. 260 sq. ; Bœhme, Geschichte des Tantes in
Deutschland, 2 in-8«, Leipzig, 1886; Laure Fonla, Orchésogra-
phie, in-4*, Paris, 1888 ; Zom, Grammatik der Tanzkunst, in-8» et
2 atlas in-4«, Leipzig, 1888 ; Blasis et Lemaïtre, La danse, in-12,
Paris, 1890; M"* Bernay, La danse au théâtre, in-8% Paris, 1890 ;
Institut de France, Dictionnaire de V Académie des beaux-arts,
V Danse, 6 in-4', Paris, 1896, t. v, p. 86-90. ouvrage en cours
de publication; G. Vuilller, La danse, {n-4*, Paris, Milan, 1899.
3* Eula, Collectio casuum de re dogmatica, morali et litur-
gica, in-8«, Montréal, 1875, p. 164-168 ; Gousset, Théologie mo-
rale. Traité du décalogue, Vf part., c. i, n. 650-652; Traité du
sacrement de pénitence, c xi, n. 566, 2 in-8*, Paris. 1877, t. i,
p. 296 sq. ; t. n, p. 378 ; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences
religieuses, v Danse, 13 in-4*, Paris, 1877-1882, t. m, p. 592 sq. :
Marc, Institutiones morales alphonsianœ, part. II, sect. ii, tr. VI,
S C, De choreis, n. 829-834, 2 in-8*, Lyon, 1885, t. i, p. 560-563;
Gury, Caswi conscientiae. De virtutibus, cas. xxii-xxm, n. 233-
238, 2 ln-8', Paris, 1891, 1. 1, p. 99-102 ; S. S. Nyssen. Un mot sur
la danse, in-12, Lille, 1892; Ballerini, Compendium theologia
moralis, tr. V, De virtutibus, c. îii, a. 2, § 3, sect. ii, n. 242-
246, 2 in-8*, Rome, 1893, 1. 1, p. 212 sq. ; Palmieri, Opustheolo-
gicum morale in Busenbaum medullam, tr. VI, De prseceptis
decalogi, sect. vi. De sexto et nono prxcepto, dub. i, n. 60 sq.,
7 in-8*, Prato, 1893, t. ii, p. 697 sq. ; Berardi, De recidivis et
occasionariis, part. II, c. i, a. 2, De choreis, 2 in-8», Faenza,
1897, t. II, p. 202-227 ; Eschbach, Disputationes physiologico-
theologiex, disp. V, c. m, a. 1, % 3, De choreis et saltationibus,
in.8', Rome, 1901, p. 517-524 ; Lehmkuhl, Theologia moralis,
part. 1, 1. II, divis. I, c. m, a. 2, § 1, n. 643, 2 in-8', Fribourg-en-
Brisgau, 1902, 1. 1. p. 384 sq. ; Ojetti, Synopsis rerum moralium
et juris pontificii alphabet ico ordine digesta, v'* Choreœ; Coo-
peratio, 2 in-4*, Prato, 1905, t. i, p. 288, 482.
T. Ortolan.
DANSEURS, secte fanatique parue, en 1374, le long
du Rhin, dans les Pays-Bas, particulièrement à Liège.
Pour conniitre son origine, sa nature, son rôle, il
faut consulter les divers chroniqueurs de Tépoque,
ceux de Limbourg, de Cologne, de Trêves, de Belgi-
que. Tous mentionnent l'apparition, en 1374, d'une
secte d'hommes et de femmes, dite des danseurs,
parce qu'une danse désordonnée et sans décence était
le trait caractéristique de leurs mœurs. On la disait
venue de la haute Allemagne, sans marquer autrement
son origine; on signale sa présence à Aix-la-Chapelle,
surtout à Liège et dans ses environs. D'après les An-
nales Fossenses, dans Pertz, Monumenta Germanise
historica, Hanovre, 1843, Scriplot*es, t. iv, p. 35, c'étaient
des possédés qui se mettaient à danser partout, sur
les places publiques, dans les maisons et jusque dans
les églises, à la manière des fous furieux, et qui durent
la plupart leur guérison aux exorcismes pratiqués sur
eux par les prêtres de Liège. Pierre de Herenthal,
dans Baluze, Vilse papatnim Avenionensium, Paris,
1693, t. I, col. 483-486, nous donne quelques détails
caractéristiques. Inopinément, sans tenir le moindre
compte de la pudeur, à moitié vêtus, ils se donnaient
la main, entraient en danse, bondissaient parce qu'ils
se croyaient plongés dans un Heuve de sang, pronon-
çaient des noms de démons tels que celui de Friskes,
et, à la fin de leurs ébats chorégraphiques, demandaient
à hauts et lugubres cris qu'on leur serrât fortement le
ventre, sans quoi ils allaient expirer. Aux yeux du vul-
gaire, un tel état ne pouvait provenir que de ce que le
baptême leur avait été mal administré, notamment par
des prêtres concubinaires; aussi le peuple, dans son
irritation, forma-t-il le projet de tomber sur le clergé
de Liège et d'en faire un massacre, mais il n'y donna
pas suite, à cause des guèrisons opérées sur ces ma-
lades par ce même clergé.
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135
DANSEURS
13
Beaucoup plus explicite encore est Radulphe de Rivo,
doyen de Tongres, mort en 1483, au c. ix de ses
Gesta pontificuni Leodietuium, que Chapeaville a in-
séré el annoté dans ses Gesta pontif. Tongrensium,
Trajectensium et Leodiensium, Liège, 1612-1616, t. m,
p. 19-22. La secte, dit-il, vint de la haute Allemagne
à Aix-la-Chapelle, puis à Utrecht, puis à Liège. Chaque
jour survenaient de nouveaux danseurs, et leur mal
devint contagieux. Car on vit une foule de gens, sains
de corps et d'esprit, soudainement saisis par les dé-
mons, se joindre à la danse. Quelle pouvait bien être
la cause d'un si étrange phénomène? Les gens sensés
la plaçaient dans Tignorance crasse des choses de la
foi et des commandements divins, qui régnait à cette
époque, mais, dans le peuple, plusieurs en rejetaient
la faute sur la corruption du clergé, qui aurait dû mal
conférer le baptême. Mais, observe Radulphe, pour
prouver que la validité du baptême est indépendante
de la dignité ou de Tindignité de ses ministres. Dieu
fit aux prêtres séculiers de Liège la grâce, qu'il refusait
aux religieux, de délivrer ces possédés au moyen des
exorcismes. Entre autres faits, il rapporte ceux-ci.
Dans l'église de Sainte-Croix, à Liège, le jour de la
dédicace, pendant qu'on chantait les vêpres, le thuri-
féraire se mit tout à coup à balancer l'encensoir d'une
façon désordonnée, à danser et à prononcer en chan-
tant des mots inconnus. Vainement on le prie de cesser;
parmi les spectateurs étonnés, beaucoup se deman-
daient s'il n'appartenait pas à la secte des danseurs.
Récitez le Pater, lui dit un prêtre; il refuse. Récitez
le Credo. Je crois au diable, répondit-il. Le prêtre alors
de lui imposer l'étole, de l'exorciser et de délivrer ce
malheureux qui se met aussitôt à réciter avec un
grand sentiment de piété le Pater et le Credo.
Autre fait. Vers la fête de la Toussaint, à Herstal,
village voisin de Liège, hommes et femmes de la secte
s'étaient réunis en grand nombre et avaient décidé d'en-
vahir Liège et d'en massacrer les prélats, les chanoines,
les curés et tout le clergé. Mais Dieu dissipe leur
dessein; car, au moment de pénétrer dans la ville,
d'honnêtes gens les conduisirent aux prêtres, qui les
guérirent, à la grande confusion du démon et pour la
plus grande gloire du clergé. Plusieurs furent menés
à la chapelle de la sainte Vierge dans le cloître de
Saint-Lambert, où le prêtre Louis Loves, inspiré par
Dieu, imposa l'étole sur l'un d'eux, récita le commen-
cement de l'Évangile selon saint Jean et le délivra
ainsi de la servitude du démon ; il réussit de même pour
neuf autres. Le bruit d'une telle guérison se répandit
au loin, et d'autres danseurs, conduits au même en-
droit, furent de même délivrés par la pratique des
exorcismes et rendus à la santé. On en avait mené
d'autres ailleurs, aux églises collégiales de Sainte-Croix
et de Saint-Barthèlemy, aux églises paroissiales de
Notre-Dame et de Saint-André, où tous les prêtres
sans distinction eurent près d'eux le même succès.
Dans la pratique des exorcismes, note Radulphe,
c'était le plus souvent le commencement de l'Évan-
gile selon saint Jean qu'on lisait, mais on empruntait
aussi aux autres évangélistes les passages relatifs à
la délivrance des possédés. Quand parfois la guérison
tardait, on montrait au possédé l'hostie consacrée ou on
la lui appliquait sur la tête. D'autres fois, on l'asper-
geait d'eau bénite, on lui en faisait même boire, après
quoi on pratiquait sur lui les rites de VExi, imniunde
spiritus, de \ Epheta et de l'insufflation.
Radulphe raconte encore qu'une jeune possédée,
vainement exorcisée par plusieurs prêtres, fut conduite
à Aix-la-Chapelle et y fut guérie par le prêtre Simon,
qui la plongea dans l'eau bénite. Il y avait deux ans
qu'elle était sous le joug du démon. Et le démon in-
terrogé sur l'endroit où il se trouvait quand la jeune
fille faisait sa communion pascale, répondit qu'il se
réfugiait à la pointe des doigts du pied jusqu'à ce qi
les espèces sacramentelles fussent consommées. Il d
manda de pouvoir se retirer dans les bains de Carlsbai
mais peu après, deux ou trois personnes s'y éla
noyées, on attribua ce fâcheux accident à la présence <
démon, et l'on ferma en conséquence les bains, et c
bains étaient encore interdits au moment où écriv
Radulphe.
Ainsi combattue, cette secte qui, dans l'espace d'
an, avait fait tant de victimes, fut enrayée; elle dispa
peu à peu, les cas de possession de ce genre deven;
de plus en plus rares. La bonne réputation du cle
liégeois s'en accrut d'autant plus. Ce récit a manil
tement le ton d'un apologiste du clergé. Aussi l'aul
le termine-t-il par ces mots : c Loin de nous,
espérons à la solide gloire de la vie future, de r
laisser gonfier par les vaines louanges des homr
N'oublions pas ces paroles du Christ : « Plusieurs
t diront ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'est-ce
« en votre nom que nous avons chassé les démons
« n'avons-nous pas, en votre nom, fait beaucouj
n miracles? Alors, je leur dirai hautement : Je ne
« ai jamais connus. Retirez-vous de moi, ouvriers c
« quité. » Matth., vu, 22-23.
A ces renseignements fournis par Radulphe, Cbaj
ville, dans ses annotations, p. 22-23, en ajoute d'au
l'un qu'il emprunte, dit-il, au Magnum Chvon
Belgicum, et qui se trouve coïncider textuelle
avec ce que dit Pierre de Herenthal; trois autrei
sont de Jean Stabulaus, de Corneille Zanfliet •
Meyer. Mais tous ces témoignages ne nous appre
rien de nouveau. Si l'on en croit au contraire Je
Leyde, Chronic. Belgic., 1. XXXI, c. xxvi, dan
Rerum Belgicaruni annales, t. i, p. 299, les dai
d'Aix, d'Utrecht et de Liège poussaient en dans
cri de : Gai, gai! D'après la Chronique de Co
p. 247, ils criaient : e M. saint Jean, gai, gai! M
Jean! » Ne serait-ce pas là une attribution en
Car nous n'apercevons pas le moindre rapport
la danse des danseurs de 1374, véritable cas de
sion diabolique ou de pathologie, et la danse
constance qui avait lieu, une fois l'an, autour du
la Saint-Jean, pas plus du reste que nous n'en
vrons un avec la danse de Saint- Gui.
D'autre part, le dernier tiers du xiv« siècle
assez d'hérétiques connus, de date ancienne ou i
tels que les vaudois, les bèghards et les béguii
turlupins el les lollards, contre lesquels Grég<
dut prendre des mesures sévères en 1372 el e
Baronius, Annales, an. 1372, n. 33; 1373, n. '
qu'il soit nécessaire de ranger parmi eux les d
de Liège. Rien, en cfi*et, dans les documents de I
ne montre en quoi pouvait bien consister leur
Ils ne pratiquaient pas les sacrements, ils étai
sédés du démon, ils se livraient à des danses fui
d'où la décence était bannie et devenaient ai
un exemple contagieux, une cause de troub]
scandales. On les traita en conséquence cor
possédés, et on leur appliqua les formules lit
de l'exorcisme. Mais, d'hérésie, pas de trace
jours, le caractère contagieux de leur danse
ranger plutôt parmi les malades atteints d'I
et c'est bien, somme toute, d'une maladie de
que furent frappés les danseurs de Liège, coi
du reste, de possession diabolique. Ils son
rayer de la liste des hérésies.
Outre les ouvrages cités dans le corps de l'article, voir
Tanzwuth, eine VolkskrankheU im Mittelalter, B
Die grossen VoUcskrankheiten des MitteUtlt., B<
Frédéricq, Coirpus inquisit. Neerland., G and,
p. 231 sq. ; Id., De secten der geeselaars et% der dai
A'edertoncten,Bruxelle8, 1899; Baronius, Annales, ar
G. Bare
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137
DANTYSZEK — DAON
138
DANTYSZEK Jean de CurlU (1485-1548), théo-
logien, poète, canoniste et diplomate polonais. Évéque
de Chelm en 1580, il s'opposa avec zèle à la diffusion
du protestantisme. Il mourut à Heidelberg en 1548. On
lui doit Tourrage suivant contre les protestants :
Christiana de fide et sacranientis contra hœreticorum
errores expUmatio, Cracovie, 1545.
Czafdicki, De vita et carminibus Joannia de Curiis Dan-
tisci, Breslau, 1855; Wisznîewski, Historya IHeratury pois-
kiej, Cracovie» t. vi, p. 237-251 ; Encyclopedia powszechna,
t VI, p. 783-785; Estrelcher, Bibliografla poUka, Cracovie,
1897, t. XV, p. 37-42.
A. Palmieri.
DANZER Jacques, théologien allemand, né en 1743
à Lengfeld, en Souabe* mort à Burgau le 4 septembre
1796. Il entra dans Tordre bénédictin à Tabbaye d'Isny
et fut professeur de théologie à l'université de Salz-
boui^. Obligé en 1792 de se démettre de sa chaire à
cause de son enseignement entaché de pélagianisme,
il quitta Tordre bénédictin et fut nommé chanoine de
Burgau. On a de cet auteur : Anleitung in die biblis-
che Moral, in-8», Fi'ancfort, 1787; et 3 in-8o, Salzbourg,
1903; Einfluss der Moral auf des Menschen Gluck,
Salzbourg,1789; Ideen ûber die Hefomi in der Théolo-
gie und besonders in der Dogmalik bei den Katholi-
ken, Ulm, 1793; Der Geist Jesu-Chnsti und seiner
Lehre, Fribourg, 1793.
Hurter, \omenclator, 1890, t. m. col. 471 ; B. Mittermuller
Die benedlctiner Univereitàt Salzbourg, dans Studien und
Minheilungen aus dem Benediktiner-und dem Ciêtercien
•er-Orden, 1884, t. i, p. 371.
B. Heurtebize.
DAON Roger-François naquit en 1679 à Bricque
ville-en-Bessin, dans le diocèse de Baveux. Il entra
dans la congrégation de Jésus et Marie, dite des eu-
disles, le 29 septembre 1699, et après avoir achevé son
temps de probation et ses études théologiques, il fut
ordonné prêtre, puis incorporé à cet institut vers la fin
de 1702. Il fut dès lors un religieux exemplaire. Un de
ses premiers emplois fut celui de supérieur du
petit séminaire de Rennes, où il fut envoyé en 1706.
II serait plus juste d'appeler cette [maison Séminaire
des pauvres clei*cs, cap les petits séminaires de ce
temps étaient des établissements où recevaient pension
gratuite les jeunes gens pauvres qui aspiraient au
sacerdoce, et où ils faisaient successivement leurs cours
d'humanités et de théologie, pour n*en sortir qu'après
avoir reçu tous les saints ordres. Quant aux grands
séminaires, ils se composaient de théologiens en état
de payer leur pension, et surtout de clercs et de prêtres
qui n'y résidaient que pendant un temps plus ou moins
long fixé par Tévêque, pour se préparer aux ordinations
et au saint ministère. A l'arrivée de M. Daon, le petit
séminaire de Rennes n'avait que quelques années
d'existence et ne comptait qu'une poignée de sémina-
ristes vivant dans une extrême pauvreté, et logeant dans
une partie du presbytère de Saint-Étienne attenant à
Téglise de ce nom. Le nouveau supérieur se mit aussitôt
en quête de ressources et sut en trouver. Avec l'agré-
ment et le concours pécuniaire de Msi* de Lavardin, il
acheta au faubourg Saint-Hélier un terrain avec une
maison, où il transporta le séminaire dès 1707. L'année
suivante, il y commença de nouvelles et importantes
constructions, puis il arrondit la propriété; enfin il
dota cet établissement. Le nombre des élèves dépassa
bientôt la soixantaine, et la piété ne cessa d'y être très
florissante.
En 1719, M. Daon fut envoyé au séminaire d'Avranches
pour y professer la théologie; et en 1727, il en fut
nommé supérieur, et prit en même temps la charge de
principal dn collège de cette ville, et celle de curé de
.^'nt-Kartin-des-Champs, qui étaient unies au séminaire.
U eut beaocoap à souffrir de la part d'une coterie
janséniste, à la tête de laquelle se trouvait un grand-
vicaire, nommé Gautier, qui faisait de fréquentes visites
au séminaire et cherchait par tous les moyens à inoculer
les doctrines de la secte aux ordinands. Daon ne cessa
de réfuter hautement ces novateurs, s'appliquant à
maintenir les séminaristes dans l'orthodoxie et à en-
courager les prêtres de la ville qui restaient soumis à
la bulle Unigenitus, et étaient de ce chef persécutés par
Tirascible vicaire général. Celui-ci essaya maintes fois
de le perdre dans l'esprit de Mo'' Leblanc, prélat faible
qui craignait de déplaire au parti ; mais Tévêque garda
une grande estime pour Daon, qu'il écoulait volontiers.
Comme curé de Saint-Martin, le religieux fonda une
école pour les filles de sa paroisse.
En 1730, il fut envoyé à Senlis, pour y remplir les
fonctions de supérieur et de préfet des ordinands. Il
s'y concilia immédiatement la sympathie de tous les
gens de bien, et en particulier de Mfl' Trudaine, qui le
choisit pour confesseur. Il établit une conférence de
morale, où près de vingt-cinq ecclésiastiques de la
ville assistaient régulièrement. Chacun devait mettre
par écrit ses avis, afin que le secrétaire pût en transcrire
le résultat sur son registre. Par son zèle et la sagesse
de son administration, le supérieur mérita l'estime et
la confiance de tout le clergé de Senlis.
Appelé à la supériorité du séminaire de Caen, en 1738,
il gouvei-na aussi cette maison avec tant de prudence
et de bonté que, plus de cinquante ans après sa mort,
sa mémoire était encore en vénération dans toute la
ville. Enfin, en 1744, Tévêque de Séez ayant donné la
conduite de son séminaire aux eudistes, demanda
Daon pour en être le premier supérieur. Il y conquit
très promptement l'estime et Tafl"ection générales. Il y
termina sa vie le 16 août 1749.
Roger Daon n'avait pas le talent de la prédication. Il
y suppléa en composant de nombreux ouvrages simples
et pratiques, destinés à la sanctification du clergé et
des âmes, et qui furent à leur manière une prédication
excellente. Ils roulent presque tous sur des matières
appartenant à la théologie morale dont il avait fait sa
principale étude. Voici les titres de ceux qui ont été
imprimés : l» Conduite des confesseurs dans le tribunas
de la pénitence, selon les instructions de saint Charles
Borwmée et de saint François de Sales, in-12, Paris,
1738. Cet ouvrage, qui résume brièvement ce qu'un
prêtre doit savoir pour administrer avec fruit le sacre-
ment de pénitence, fut approuvé par un grand nombre
d'évêques, et dès Tannée qui suivit son apparition,
Mflf de Luynes, évoque de Baveux, le fit rééditer à ses
frais et ordonna par mandement à tous ses prêtres d'en
avoir un exemplaire. Il se répandit très rapidement et
eut près de cent éditions. La 33« parut à Toulouse peu
après la mort de l'auteur. Il s'en fit des traductions en
latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais.
On l'imprima encore à Toulouse, en 1820. Cet ouvrage
déplut aux jansénistes, et les Nouvelles ecclésiastiques
apprécièrent ainsi la 5« édition : « Il arrive souvent à
l'auteur de prendre le mauvais parti dans les différents
points de morale attaqués par les jésuites; par exemple,
dans ce qu'il dit de la contrition, de la charité, des
scrupuleux, du rapt de séduction, de la notoriété de
fait, de l'accusation des fautes vénielles, de l'opinion
du pénitent contraire à celle du confesseur, de l'aver-
tissement à qui pèche matériellement, des habitudi-
naires, de la stabilité de la justice chrétienne, de la
fréquente communion, des dispenses de mariage, des
moyens de perfection, de l'approbation des confesseurs. »
Quoique d'une morale qui paraîtrait aujourd'hui un
peu sévère, ce livre est d'une doctrine irréprochable;
2o Conduite des âmes dans les voies du salut, pour
servir de supplément à la conduite des confesseurs
dans le tribunal de la pénitence, in-12, Paris, 1753.
Ce voVume, qui ne parut qu'après la mort de l'auteur
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DAON — DAPONTÈS
14
est comme le t. ii de l'ouvrage précédent. L'auteur y
indique la manière de diriger les enfants, les jeunes
gens, les ignorants, les personnes mariées, les aspirants
au sacerdoce, les religieux et religieuses, les soldats,
les pauvres, etc. Cet ouvrage eut aussi de très nom-
breuses éditions. Celle de 1829 fut revue par un pro-
fesseur de théologie qui y ajouta des Avertissetnents
aux confesseurs, et une Exhortation aux ecclésiastiques
de s'appliquer à l'étude; 3° un recueil d'opuscules ren-
ferme des Méthodes utiles aux ecclésiastiques, tou-
chant la manière de bien faire le catéchisme, de prépa-
rer les enfants à la confession, de leur faire renouveler
publiquement les promesses du baptême et faire leur
première communion, et d'administrer utilement le
saint viatique et Textrôme-onction, in- 12, Caen, 173i;
4» un autre recueil d'opuscules comprend aussi des
Méthodes pour bien faire des conférences spirituelles,
pour faire des prônes, pour les grands catéchismes,
pour bien faire un sermon, pour expliquer les cérémo-
nies du baptême en l'administrant, pour expliquer
celles du mariage en l'administrant; et une méthode
facile pour apprendre aux nouveaux prêtres à entendre
utilement les confessions, in-12, Alençon, 1759; 5» Re-
cueil d'instructions pour ceux qui se disposent à Vétat
ecclésiastique, in-i2, Âlençon; c'est un catéchisme
fort instructif pour les ordinands; 6« Introduction à
l'amour de Dieu, tirée des Œuvres de saint François
de Sales, in-12, s. 1. n. d.; 7» Pratique de la prépara-
tion et action de grâces avant et après la sainte messe,
in-12, Alençon, 4748; S» Instruction familière touchant
les missions..., avec des exercices pour la confession
générale et la sainte communion, in-12, s. 1. n. d.;
9» Pratique du sacrement de V eucharistie, à l'usage
des enfants qui font leur première communion, Caen,
1740; lOo Règlement de vie pour un prêtre; devoirs
des prêtres, etc. Beaucoup de ses ouvrages ont disparu
ou sont très difliciles à retrouver aujourd'hui. Il n'y a
à porter le nom de l'auteur que quelques-uns de ceux
qui furent imprimés après sa mort.
Outre les ouvrages qu'il composa lui-même, Daon fit
aussi réimprimer, avec des additions et des notes,
plusieurs opuscules théologiques et ascétiques de diffé-
rents auteurs. Il choisissait toujours ceux qui lui
paraissaient plus propres à inspirer, entretenir et for-
tifier le goût d'une piété solide. On lui doit entre autres
une édition du Contrat de l'homme avec Dieu par le
saint baptême, l'un des ouvrages les plus estimés du
Vénérable Père Eudes.
Annales de la Congrégation de Jésus et 3fart>, pasàim;
Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée (ai*t. de Besselièvre,
ancien eudiste).
J. Dauphin.
D APHNOPATÈS Théodore, patrice et protoasecre-
lis, vivait à Constantinople vers le milieu du x» siècle.
H écrivit une histoire de son temps aujourd'hui perdue.
On a publié de lui : 48 homélies composées d'extraits
de saint Jean Chrysostome, P. G., t. lxiii, col. 567-902;
un discours sur la translation à Constantinople d'une
main de saint ,lean-Bapliste, P. G., t. cxi, col. 611-620
(traduction latine seule); des lettres, dont une au pape
Jean XI, au nom de Romain Lacapène, et une à Ânas-
tase, métropolitain d'Héraclée, au sujet de la nomina-
tion de Théophylacte comme patriarche. J. Sakkelion,
dans AeXti'ov tÎ); îoropixvi; xat âôvoXoytxTj; âTaipfa; tt,;
*EXXâfio;, t. I, p. 658 sq. ; t. ii, p. 395 sq. Signalons
encore, outre des discours restés inédits, une vie de
saint Théodore Studite, P. G., t. xcix, col. 413-232,
attribuée tantôt à notre Théodore, tantôt à un certain
Michel. S. Haidacher, Studien ûber Chrysostomus-
Eklogen, Vienne, 1902, a recherché les sources des
'ExXoYa\ de saint Jean Chrysostome : il a pu identifier
cinq cents passages tirés d'homélies authentiques ou
considérées comme telles par le compilateur; en outre,
dans son avant-dernière homélie, Qaphnopatès cite li
catéchèses xxii et xxiii de saint Cyrille de Jérusalei
K. Krumbacher, Geschichte der byzantin. Litterati
2» édit., Munich, 1897, p. 170, 459.
S. PÉTRIDÈS.
DAPONTÈS Constantin, qui prit en religion
nom de Césaire, naquit en 1713 ou 4714 à Scopélos,
son père gérait le consulat britannique. Après s'él
initié dans sa patrie aux premiers éléments des scien(
sous la direction de Hiérolhée le Moréote, moine c
Ibères, il alla achever son instruction à Constantinop
puis à Bucarest, et enfin à lassi, grâce à la protecti
des princes Maurocordato, auprès desquels il rem{
diverses fonctions, jouant au factotum dans les Prie
pautés. Dénoncé au grand-vizir pour ses malversatio
il se retira en Crimée, d'où il crut pouvoir, en 1*3
revenir à Constantinople. Jeté en prison, il n'obtint i
élargissement, au bout de vingt mois, qu'en sacrifi
toute sa fortune. Un mariage malheureux, contracta
12 novembre 1749, acheva de le dégoûter du mon
il se fit moine en 1753 dans l'Ile de Pipéri, se brou
avec son supérieur au bout de quelque temps, e1
retira finalement à l'Athos, au monastère de Xérop(
mos, en 1757. C'est là qu'il mourut le 4 décembre 1
laissant un héritage littéraire considérable. Beauc
de ses ouvrages ne rentrent pas dans notre program
Parmi ceux qui touchent à la théologie, nous citerc
1<>les offices des saints Charalampos, Matrone et S(
don, in-4o, Bucarest, 1736; 2<» l'office de saint Rhég
de Scopélos, in-S», Venise, 1746; 3® le Miroir
femmes, 2 in-8o, Leipzig, 1766, biographies édifia
des femmes delà sainte Écriture, entremêlées de di|
sions infinies; 4» r'EYxdXiciov Xoytxdv, recueil d'hyi
en l'honneur de la sainte Vierge, in-4>, Venise, 1
2e édit., Leipzig, 1836; 5« la Xç>ri<r:orfiitXy in-8«, Ve
1770, recueil de recettes morales pour bien vivre en
état; 6« Lettres contre l'orgueil et la vanité du s
in-8». Vienne, 1776; 7» la TpiireCa 7tv6U|jLaTixTi, i
Venise, 1778; 2« édil., ibid., 1780, recueil de q
discours moraux suivis de documents relatifs ai
nastère de Xéropotamos; 8-» Panégyriques de (
saints en vers, in-S", Venise, 1778; 9» Map^aptra
xpiûiv Upap7>v, in-8», Venise, 1779, traduction ei
vulgaire des principaux discours des saints Bas:
Césarée, Grégoire de Nazianze et Jean Chrysos
10« traduction des Dialogues de saint Grégoire le C
in-8», Vienne, 1780; 11» 'E^riyr^at; tt); Oeiaç XetToj
in-8o, Vienne, 1795, curieuse explication de la i
Les ouvrages suivants sont plutôt historiques
plus d'une question théologique s'y trouve in<
ment traitée ; ils n'ont d'ailleurs vu le jour qu'à
du dernier siècle : 12» Histoire des sultans, de M^
à Achmet, publiée par C. Sathas, Ribliotheca
medii œvi, Venise, 1872, t. m, p. 1-70; 13* Cal
historique de 1700 à 1781, publié par le même i
ibid., p. 71-200; 14» Éphémérides Daces, publi<
E. Legrand avec une traduction et un excellen
mentaire historique, 3 in-S», Paris, 1883-1888; 1
din des Grâces, publié presque simultanéme
E. Legrand, dans le t. m de sa Bibliothèque g
vulgaire, Paris, 1881, p. 1-232, et par G. So
in-16, Athènes.
Dapontès a laissé, en outre, plusieurs ouvrag
nuscrils, dont les principaux sont une Géo{
historique,le ©iatpov ^aaiXixdv, recueil de panég
et de cantiques, les "AvO/; voYjTd, sorte d'anthol
l'Ancien Testament, le 4>avâpt y^vaixtôv, histc
femmes célèbres du paganisme comme de Ta
chrétienne, le Bioloç paaiXeiôiv, résunné de l
byzantine, entremêlé, comme les autres ouvr;
Oapontès, d'une foule de digressions souve
curieuses, enfin des Hymnes et poésies diverse
Sur tous ces ouvrages comme sur la vie même de le
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DARBOY
142
auteur, on lira avec fruit la notice placée par E. Legrand en
(été du t. m des Éphémérides Daces, Paris, 1898, p. i-lxxvxi*
L. Petit.
DARBOY Q«orge«, archevêque de Paris, né à
Fayls-Billot (Haule-Marne), le 16 janvier 1813, d'une
famille modeste. Élève du petit séminaire de Langres
en 1826, et du grand séminaire de 1831 à 1836, il fut
ordonné prêtre le 17 décembre 1839 par Mo^ Parisis,
qui le nomma vicaire à Saint-Dizier. Professeur au
grand séminaire de Langres, de 1840 à 1845, il tra-
duisit alors les œuvres attribuées à saint Oenys
TAréopagite. Partisan résolu d'une authenticité que les
critiques les moins suspects rejettent, l'abbé Darboy a
déployé pour défendre sa thèse toutes les ressources
d'un esprit que la controverse n'effrayait pas. Peut-
être à cette date subissait-il trop l'influence d'opinions
ambiantes; la France catholique renonçait alors au
gallicanisme, et, par réaction contre le gallicanisme,
on abandonnait volontiers, dans l'ordre même pure-
ment historique, les thèses qu'avaient patronnées, au
XVII* siècle, des critiques jansénistes ou gallicans.
L'abbê Darboy quitta Langres pour Paris en 1845.
Second aumônier du collège royal Henri-IV; maître de
conférences à l'école des Carmes que Mo^ Affre venait
d'ouvrir, il publia tour à tour les Femmes de la Bible
(1846); les Saintes femmes; une Lettre à M. Vabbé
Combalot, en réponse à ses detur lettres à J/fl"" Var^
chevêque de Paris (1851); une Nouvelle lettre à
M. Vabbé Combalot en réponse à sa nouvelle attaque
contre Nosseigneurs de Paris et d'Orléans ; Le Christ,
les apôtres et les prophètes; Jérusalem et la 7 erre-
Sainte (lfô2), que M. l'abbé Guillermin a spirituelle-
ment nommé : k Voyage en Terre Sainte dans un
fauteuil; b L'Imitation de Jésus-Christ, traduction
nouvelle avec Réflexions, commentaire substantiel de
ce livre admirable. De 1847 à 1855, l'abbé Darboy inséra
aussi divers articles dans le Con^espondant. (Ce re-
cueil, après la mort de Mo^ Darboy, a publié plusieurs
lettres de lui.) Vicaire général de Paris, archidiacre de
Saint-Denis, protonotaire apostolique, l'abbé Darboy
publia, en 1856, la Statistique religieuse du diocèse de
Paris, Après le meurtre de Mflf Sibour (3 janvier 1^7),
il fut élu vicaire capitulaire du diocèse, fut maintenu
dans l'administration par le cardinal Morlot, donna
une nouvelle édition du Traité de l'administration
temporelle des patxtisses, œuvre de Ms»- Affre; et, en
1858, publia 2 in-8<>sousce litre : Saint Thomas Becket,
archevêque de Cantorbéry et martyr, adaptation de
l'ouvrage d'un ancien fellow de l'université d'Oxford,
le docteur Gilles. L'abbé Darboy avait fait précéder cet
ouvrage d'une Introduction dont l'irréprochable ortho-
doxie défiait la critique la plus ombrageuse. Il prêcha
aux Tuileries le carême de 1859; fut nommé à Tévêché
de Nancy le 16 août de la même année, préconisé le
26 septembre, et sacré à Notre-Dame de Paris, le 30 no-
vembre, par le cardinal Morlot. Il ne devait que passer
dans la capitale de la Lorraine; il y acheva le retour
à la liturgie romaine, entrepris par son prédécesseur.
Parmi les mandements de l'évêque de Nancy, nom-
mons sa lettre du 4 avril 1860, sur la Nécessité de
Véttide, qui accompagnait une ordonnance relative aux
conférences ecclésiastiques et à l'examen des jeunes
prêtres. Le cardinal Morlot, sur son lit de mort, avait
<leniandë Mff^ Darboy pour successeur; le 10 janvier
1863, un décret impérial présenta pour l'archevêché
•de I^ris l'évêque de Nancy qui fut préconisé dans le
consistoire du 16 mars 1863. Le 8 janvier 1864, l'empe-
reur le désigna comme grand aumônier; et, par un
décret du 5 octobre, l'appela au Sénat. Aux honneurs
q;ai s'accumulaient sur sa tête, et auxquels seule
manqua la pourpre romaine, l'archevêque de Paris
répondit par une vie d'une correction sévère et d'un
in/atigable labeur. Sa vocation, et aussi ses aptitudes
et ses attraits, faisaient de lui un administrateur, un
théologien, un apologiste. Préoccupé de la formation
de la jeunesse cléricale, l'administrateur agrandit le
petit séminaire de Notre-Dame des Champs, et releva
le petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet. Il
dota la Sorbonne théologique de professeurs éminents,
et rétablit à Notre-Dame les conférences de l'Avent,
confiées par lui à un orateur qui devait, hélas! trom-
per bien des espérances, le P. Hyacinthe. Il consacra
son église métropolitaine (31 mai 1864.) Il encouragea
toutes les œuvres charitables, crèches, asiles, écoles
chrétiennes, etc. Certains actes de l'administration de
Mflf Darboy ont provoqué de légitimes critiques.
Homme de gouvernement, l'archevêque de Paris re-
doutait tous les obstacles que son action aurait pu
rencontrer; de là son opposition, justifiée d'ailleurs
par de graves autorités, à l'inamovibilité des desser-
vants (séance du Sénat, 18 juin 1865); de là aussi, la
répugnance qu'il éprouvait pour l'exercice de la juri-
diction immédiate du pape dans les diocèses, et qui,
après la visite indûment faite par ses délégués aux
maisons des jésuites et des capucins, lui attira le bref
sévère du 26 octobre 1865. Aux reproches du Saint-
Père, Mor Darboy répondit d'une manière qu'on vou-
drait plus respectueuse et moins chagrine. La Bévue
d'histoire et de littérature religieuses, mai-juin 1907,
p. 240-281, a publié les lettres, jusqu'alors inédites, de
Mgr Darboy à Pie IX et au cardinal Antonelli. Ces
erreurs de conduite s'expliquent par des erreurs théo-
logiques. Au grand séminaire de Langres, l'abbé Dar-
boy avait enseigné les doctrines romaines; l'archevêque
de Paris paraissait s'en être dépris; et certes, il ne les
professait plus, lorsqu'au Sénat, « dans un discours, il
s'éleva contre les appels au saint-siège, et conclut à
accorder quelque respect aux lois organiques. »
Emile Ollivier, V Église et VÉtat au concile du Vati-
can, c. V. Au concile du Vatican, Mor Darboy combattit
la définition de l'infaillibilité pontificale dans un dis-
cours d'une rare habileté. Il avait le droit de parler à
ses collègues comme il le fit, le 20 mai 1870, à la
55« congrégation générale; il eut le tort de s'adresser
à l'empereur et de solliciter une intervention qui d'ail-
leurs ne lui fut pas toujours accordée. « Je me demande,
écrivait-il à Napoléon III le 26 janvier 1870, après
s'être plaint du défaut de liberté du concile, si l'in-
térêt général, l'intérêt de la société religieuse et civile,
n'exige pas qu'on nous vienne en aide. Le gouverne-
ment de l'empereur ne pourrait-il pas faire connaître
au gouvernement pontifical les appréhensions que les
débuts du concile causent même à des esprits sérieux
et non prévenus, et lui laisser entrevoir les consé-
quences possibles des tendances et des agissements
signalés plus haut (dans cette même lettre)... Ce n'est
pas moi, sans doute, qui conseillerais de prendre à
l'égard du concile une attitude qui ne serait pas che-
valeresque et désintéressée; cependant, je ne voudrais
pas qu'un grand gouvernement comme celui de l'em-
pereur exprimât une confiance et des espérances que
l'avenir trahira peut-être. » Cité dans L'Église et l'État,
c. VI. Et dans une lettre du 21 mai 1870, l'archevêque
de Paris proposait à l'empereur de rappeler de Rome
l'ambassadeur, le marquis de Banneville. D'après
Ma»" Darboy, par cet acte, « le gouvernement... donnerait
un appui moral à la minorité... et il contribuerait
peut-être efficacement à faire retirer ou ajourner la
question malheureuse qui inquiète et divise tout le
monde... » L'Église et VÉtat, c. vu. On se méprendrait
singulièrement si l'on attribuait ce très regrettable
langage et les actes correspondants, à une foi anémiée,
si je l'ose dire, par des préoccupations d'ordre poli-
tique. Mflr Darboy avait pu dire un jour à l'évêque de
Metz, U9r Dupont des Loges : « J'envie votre piété,
mais pour ma foi, elle est intacte. » F. Klein, Vie de
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443
DARBOY — DARBY
1
3f3^ Dupont des Loges, L'avenip n'a point justifié les
alarmes des inopportunistes de 1870, mais c'est en
toute sincérité que rarchevêq.ue de Paris disait au
concile : « Le remède proposé (la définition) contre
les maux du siècle est manifestement inefficace; il est
même à craindre qu'il ne nuise à beaucoup d'âmes.
Le point de vue théologique n'est pas le seul à consi-
dérer, nous devons tenir compte aussi de l'efTet sur la
société civile... Presque tous ceux qui président en
Europe aux destinées humaines nous chassent ou nous
fuient. Dans ces poignantes angoisses de l'Église, quel
remède offre-t-on au monde accablé? A ceux qui d'une
épaule indocile secouent les charges imposées par les
antiques et respectables coutumes de leurs pères, les
auteurs du schéma (de Tinfaillibilité) imposent une
charge que sa nouveauté rend aussi lourde qu'odieuse...»
L'Église et VÉtat, c. vrii. Quand la congrégation géné-
rale du 13 juillet 1870 eut montré comme inévitable
aux évêques inopportunistes la définition tant redou-
tée, Mflf Darboy écrivit le 16 juillet à Pie IX, pour
demander qu'on fit au texte de la constitution deux
modifications qui laissaient une porte ouverte au galli-
canisme. Colleclio Lacencis, t. vu, col. 992. A cette con-
dition, il promettait que la plupart des évêques oppo-
sants donneraient leur adhésion au décret en session
publique. Quand il n'eut plus l'espoir d'être écouté, il
fut d'avis de ne point paraître à la séance conciliaire
du 18 juillet; et son avis, combattu par Mfl' Haynald,
archevêque de Colocza. par Mo»" Ginoulhiac, archevêque
de Lyon, prévalut parmi les évêques de la minorité.
« La piété et le respect filial, écrivaient-ils le 17 juil-
let à Pie IX, ne nous permettent pas, dans une ques-
tion qui touche de si près Votre Sainteté qu'on peut
la considérer comme lui étant personnelle, de dire
publiquement et à la face de notre Père : Non placet... »
La définition une fois portée. Me' Darboy se soumit,
comme d'ailleurs tous les évêques de la minorité.
« Je m'en voudrais, dit-il au pape dans une lettre du
2 mars 1871 (Paris, investi depuis septembre par les
troupes allemandes, venait de se rouvrir), si je ne pre-
nais occasion de la présente lettre pour vous déclarer
que j'adhère purement et simplement au décret du
18 juillet. Peut-être que cette déclaration paraîtra su-
perflue après la note que j'ai eu l'honneur de remettre
à Votre Sainteté le 16 juillet, de concert avec plusieurs
de mes collègues; mais il suffit que la chose vous soit
agréable, comme on me l'écrit, pour que je la fasse
avec plaisir, surtout dans les circonstances que vous
traversez. Votre Sainteté peut se rappeler que, dans
cette note, nous exprimions l'espoir de réunir l'unani-
mité des suflVages, si l'on adoptait deux ou trois correc-
tions qui n'atteignaient pas le fond du décret, mais qui
en adoucissaient la formule. C'est surtout la question
d'opportunité qui nous tenait au cœur, ou plutôt à
l'esprit, et la crainte, hélas î de voir les gouvernements
se désintéresser des affaires de la papauté. Je sais bien
que les hommes ne sont pas forts, ils viennent encore
de le montrer, et que Dieu n'a pas besoin d'eux ; mais
pourtant il s'en sert quelquefois. Enfin, c'est fait. »
Chez l'archevêque de Paris, l'apologiste ne donne pas
de prise à la critique. Sa fine intelligence avait discerné
de bonne heure les problèmes qui tourmentent l'âme
contemporaine; et ses Instructions pastorales sont une
série de réponses à ces questions anxieuses. Indiquons
les Instructions quadragésimales de 1868, 1869, 1870 et
1871, qui constituent un traité complet de la vraie
religion. Auparavant, dans son mandement pour le
carême de 186i, sur la divinité de Jésus-Christ, l'ar-
chevêque avait réfuté les audacieuses négations de la
Vie de Jésus, publiée en 1863; il avait commenté à
grands traits l'encyclique Quanta cura dans son Ins-
truction pour le carême de 1865, de laquelle M»' Pie
disait à Pie IX que rien de plus topique n'avait été
écrit sur ce sujet (je tiens ce propos de l'abbé Delà
à qui l'évêque de Poitiers l'avait rapporté). En mê
temps qu'il répand la lumière. Ma»" Darboy recommai
l'efTort et préconise la lutte. Dès Nancy, il écrivait
mandement sur la direction et le gouvernement d(
vie (1862); à Paris, entre autres mandements d'or
essentiellement pratique, il en donnstit un d'une ha
inspiration et, à certains endroits, d'une pénétrant
sereine mélancolie sur le caractère et la portée d>
vie humaine (novembre 1865). Son dernier manden
de carême (15 février 1871) s'achève par de vigoui
conseils. Mo"" Darboy écrivain, etaussi orateur, a été ap
cié d'une manière, ce semble, définitive par M. Emile <
vier : « Tout ce qu'il a dit ou écrit est d'un tour par
' d'un souffle fort, haut, plein, d'une clarté transpare
d'une dialectique animée, d'une justesse et d'un c
de termes exquis. La grandeur de la pensée cou
niquait à sa parole, malgré la faiblesse de ses mo
physiques, une autorité triomphante : en l'écoutai
se sentait élevé à la région supérieure de l'intelligi
plus ferme et plus éclairé. Peu accessible aux entr
ments de l'imagination, il n'en était que plus 1
neux : le bois sec est celui qui produit les fiai
vives. » V Église et VÉtat, c. v.
Si désabusé qu'il parût des hommes et des cï
et que nous le montre son buste, chef-d'œuvi
Guillaume, M»»" Darboy professait à l'égard d
contemporains un optimisme que l'expérience i
pas entamé. « J'offre ma tête à qui en veut, disa
Napoléon III un jour de 1868, mais à notre époq\
ne trouverait pas un bourreau. » (Je tiens ce
du P. Adolphe Perraud, qui le tenait de l'arche
lui-même.) La Commune donna un démenti
optimisme. Averti à temps, il pouvait fuir : <f Je re
dit-il, car je dois l'exemple à mes prêtres : ma fu
rait d'ailleurs le signal d'un massacre gén^
L'archevêque fut arrêté dans son palais le 4 avril
il fut enfermé à Mazas, où il demeura quara
jours. D'inutiles démarches furent tentées aup
M. Thiers pour obtenir l'échange de Ms^ Darboy
Blanqui, retenu prisonnier à Versailles. L'arch
do Paris fut transféré à la Roquette le 22 mai,
condamné à mort par un simulacre de cour m
et fusillé. Il tomba en pardonnant et en bénissa
funérailles solennelles, décrétées par l'Assemb
tionale, lui furent faites le 17 juin ; et au sei
quarantaine, le P. Adolphe Perraud, de l'O
prononça à Notre-Dame son oraison funèbre.
Les Œuvres pastorales de M*' Darboy ont été
2 in-8«, Paris, 1876. Oraison funèbre prononcée à NoI
de Paris par le R. P. A. Perraud, de l'Oratoire (18 juin
Oraison funèbre prononcée à la cathédrale de Nani
R. P. Didon, O. P. (24 juin 1871) ; Lettre de M«' Foule
Introduction aux œuvres pastorales, de M«' Foulon ; M
Histoire de la vie et des œuvres de M*' Darboy, Pa
Guillerrain, Vie de M" Darboy, avec lettre-préface par
Paris, 1888; La vérité sur M" Darboy, Gien, 1889;
M'' Darboy, esquisse familière, Paris, 1872; M«' F<
intime et travaux littéraires de M** Darboy, Pai
2* édition, sous le titre : Vie et œuvres, Langres et Ps
E. de Mirecourt, M*' Darboy, in-32; Mile Grâce
Afi' Darboy, souvenirs personnels, trad. de Tw
Mlle O. de L.. in-16, 1872; Semaine religieuse c
t. XXVI, p. 7; Captivité et mort de ^f*' Darboy en iS
du Correspondant); L'épiscopat français depuis le i
jusqu'à la séparation, Paris, 1907, p. 390-391, 463, 4
A. Largi
DARBY John Nelson, prédicant anglais
(18 novembre 1800-29 avril 1882), naquit à Le
parents irlandais, et fut élève de Trinity <
Dublin. Ses études achevées, il embrassa la p
d'avocat, qu'il abandonna ensuite pour la cl
En 1825, il devenait diacre, et en 1826 i
rÉglise établie. Il ne resta pas longtemps fidè
Église. Elle était alors éprouvée par la déplo
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DARBY — DARVARIS
146
dance de Vércutianisnie, qui en foisait une simple
institution d'État, en tout soumise au gouvernement.
Plusieurs des anglicans les plus fervents avaient déjà
fait schisme pour protester contre ces tendances pure-
ment mondaines; John Walker, en 1804, avait ainsi
fondé une secte séparée, les séparatistes ou walké-
rites, qui avaient de nombreuses communautés en
Irlande et dans l'Angleterre occidentale. Des i congré-
gations » de ce genre furent'fondées, en particulier, en
Irlande, par le dentiste Norris Groves et l'avocat Bellet.
Tous deux furent les amis de Darby et eurent sur lui
grande influence. Stokes, J. N. Darby y p. 5B7 sq.
Le dernier coup fut porté à celui-ci par la vue de
l'acharnement avec lequel l'archevêque anglican de
Dublin, Maffee, et son clergé, s'opposaient, au nom de
la raison d'Etat, au mouvement d'émancipation des ca-
tholiques alors dirigé par O'Connell. Dès 1828, il semble
avoir abandonné l'Eglise établie. Il est alors tout occupé
de la pensée de l'avènement prochain du Christ, hanté
de visions apocalyptiques, et Gnit par renoncer à toute
idée d*une Eglise hiérarchique, pour ne voir dans le
christianisme que la doctrine consignée dans l'Écriture
sainte et interprétée par le sens propre de chaque
baptisé. U vécut, en 1^, plusieurs mois sur le Calary
Bog. dans une hutte de paysan, se livrant à toutes les
pratiques ascétiques. Ainsi préparé à son rôle de réno-
vateur, il alla étudier en Angleterre les communautés
séparatistes, et fut très frappé de la ferveur qui régnait
dans celle de Plymouth. La vue des Plymouth brethren
fut pour lui une révélation; c'est sur leur modèle qu'il
instituera dans le monde entier des fratomités. S'il fut
donc le principal propagateur du mouvement séparatiste
et individualiste connu sotis le nom de plymouthisme,
il est fiiux que ce mouvement lui doive son existence;
tout au contraire, les idées de Darby se précisèrent et
s'affirmèrent dans la société des frères de Plymouth,
Stokes, /. N. Darby, p. 5i4 sq.; Teulon, The histoiy,
p. 8 sq. En 1831, Darby commence en Irlande, avec
Bellet, c l'œuvre du Seigneur ». Groves est parti pour
prêcher F Évangile aux musulmans de Perse et de Méso-
potamie. Les prédicateurs ambulants ont un véritable
succès, et détachent de l'Église établie nombre de ses
plus fervents sectateurs. Les persécutions ne manquent
pas; et en plus d'une ville, Darby et ses]compagnons sont
expulsés et maltraités à l'instigation du clergé anglican.
Les premières congrégations de frères de Plymouth
ou darbystes n'ont aucune organisation, toute hiérar-
chie étant pour elles une altération coupable de l'œuvre
du Christ. Chaque dimanche les frères se réunissent
pour la cène, repas commun de pain et de vin; on
chante des cantiques; on fait des lectures de l'Écriture
suivies de longs silences pendant lesquels chacun se
livre à la méditation; puis tous ceux des frères qui
sentent en eux l'Esprit peuvent librement dire ce qu'il
leur inspire. Pas de symbole commun. Les frères se
regardant comme c les saints des derniers temps » ne
récitent pas l'oraison dominicale, parce que la parole :
c Pardonnez-nous nos oflenses, » ne saurait avoir de
sens pour eux. Le baptême n'est conféré aux enfants
qu'à treize ou quatorze ans, après qu'ils ont été instruits
des vérités du christianisme. L'avènement du Christ
étant proche, et tout ici-bas devant bientôt finir, les
frères ne cultivent pas les sciences et les arts, et se
bornent à gagner le nécessaire pour leur subsistance
de chaque jour; ils refusent, autant que possible, de
prendre part à la vie politique et sociale de leurs con-
citoyens, et même à leurs œuvres de charité. Dans cette
ferveur des premiers temps, il y eut incontestablement
de nobles exemples d'austérité, de détachement, de
prière, donnés par les premiers darbystes. Stokes, John
NeUon Darby, p. 544 sq.; Teulon, TAc Ai^tory, p. 22 sq.;
Grant. The Plymouth brethren, p. 49 sq.
Darby fat an intrépide voyageur, qui, jusqu'à ses
dernières années, prêcha ses doctrines par le monde.
Il parvint à implanter quelques communautés de frères
parmi les calvinistes du sud de la France, et surtout
dans la Suisse française et allemande, où le darbysme
devint une secte assez puissante. Il parcourut, en prê-
chant et instituant des congrégations, l'Italie du nord,
l'Allemagne, les États-Unis, le Canada, et jusqu'à la Nou-
velle-Zélande. Herzog, Les freines de Plymouth, p. 11 sq.
Des schismes devaient naturellement se produire
dans une secte où l'inspiration individuelle ne con-
naissait aucune règle. Par une inconséquence, due
sans doute à son éducation théologique anglicane,
Darby prétendait imposer aux siens ses idées sur la
trinité, l'incarnation et quelques autres dogmes. En
1845, cette prétention produisit une grave scission.
Deux des « frères » de Plymouth les plus fervents.
Newton et Harris* ayant enseigné sur la personne du
Christ des propositions que Darby trouva hétérodoxes,
et refusant de se rétracter, leur maître les « livra à
Satan », et leur refusa l'accès de ses assemblées; il y
eut ainsi, à Plymouth même, et dans les autres villes
où le plymouthisme avait des adhérents, deux catégories
de frères, les exclusifs, exclusive brethren, groupés
autour de Darby, et les ouverts, open ou loose bre-
thren, qui suivaient Newton et Harris. Chacune de ces
sectes rivales se fractionna bientôt en subdivisions
distinctes. Loofs, i)ar6|/, p. 490 sq. ; Stokes, /. N. Darby,
p. 551 sq. ; Carson, The hérésies, p. 159 sq. Darby passa
ses dernières années au prieuré d'islington, consulté
par ses adhérents du monde entier, et scrupuleusement
obéi. Il mourut à Bournemouth le 29 avril 1882.
Les darbystes ne publiant pas de statistiques, il est
difficile de connaître leur nombre exact. .\ux États-Unis,
ils comptaient, en 1890, 6661 « communiants ». En
Angleterre et au Canada, ils sont beaucoup plus nom-
breux. Au moment de la mort de Darby, on comptait
750 congrégations» en Grande-Bretagne, pour les seuls
exclusifs. Des traductions française et allemande de la
Bible ont été faites, par les soins de Darby, à l'usage
des frères, Carroll, The religions forces, p. 60 sq.,
181 sq.; Stokes, J. N. Darby, p. 552.
I. Sources. — La publication des œuvres de Darby a com-
mencé à Londres en 1866; 34 volumes ont déjà paru : The col»
lected writings ofJ, N. Darby, 1866 sq. Un Index a paru à
Londres en 1902. Ses LetU-es, de 1832 à 1882, ont été égale-
ment éditées à Londres : Lettera of J. N. Darby, Londres,
1886-1889. Gleanings from the writings ofJ.N. D., Londres,
1898 ; Gleanings from the published letters ofJ. N. D., Londres,
1896; Memoir ofA.N. N. Groves by his widow, Londres, 1869,
II. Travaux. — J. H. Blunt, Dictionary ofsects, hérésies, etc.,
Londres, 1891 ; H. K. Carroll, The religions forces of the Uni-
ted States, New-York, 1893; J. C. L. Carson, Ttie hérésies of
the Plymouth brethren, Londres, 1883; E. Dennet, The Ply-
mouth brethren, Londres, 1870 ; Estéoule, Le plymouthisme
d^autrefois et le darbysme d'aujourd'hui, Paris, 1858;
J. Grant, The Plymouth brethren, Londres, 1875; H. Groves,
Darbyism, Its rise and development, Londres, 1866; J. J. Her-
ïog, art Plymouthbrûder, dans Realencyklopàdie, 2* édit.,
t. XII, p. 72 sq. ; J. J. Herzog, Les frères de Plymouth et John
Darby, Lausanne, 18i5 ; Loofs, art. J. N. Darby, dans Real"
encyklopàdie, 3« édit., t. iv, p. 483 sq.; W. Reid, Plymouth
brethrenism unveiled and refuted, Edimbourg, 1875; G. T.
Stokes, J. N. Darby, dans Contemporary Heview, octobre
1885, t. XLViii, p. 537 sq. ; J. S. Teulon, The history and teaching
of the Plymouth brethren, Londres, s. d. (1883).
J. DE LA Sf.RVIÈRE.
DARVARIS Démétrius, auteur grec de la première
moitié du dernier siècle, dont le nom, comme celui de
Berquin en France, est resté populaire dans la jeunesse
grecque. Né le 13/24 août 1757 au petit village deKlei-
soura en Macédoine d'une famille de commerçants en
bois (d*où le nom de Darvaris, marchand de bois), il
se rendit en 1769 à Semlin, où son père avait établi une
succursale. C'est là qu'il apprit l'allemand et le slave;
il compléta son éducation d'abord à Kouma, puis à
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DARVARIS — DAUBERMESNIL
Neusatz, enfin à Bucarest (1777-1780), et aux univer-
sités allemandes de Halle et de Leipzig. Revenu à Sem-
lin au mois d'août 1784, il y ouvrit une école qu'il di-
rigea pendant sept ans consécutifs. Il fit de même à
Vienne où il se rendit en 1794, à la demande de son
frère Jean, dont les libéralités lui permirent d'imprimer
les nombreux ouvrages qu'il avait composés pour ses
élèves. Il mourut le 21 février/5 mars 1823, à Vienne,
à l'âge de 65 ans et demi. De ses nombreux ouvrages,
nous ne mentionnerons ici que ceux qui se rapportent
à notre domaine : l» Mixpà xaTir,/y)<ji; rjoi (t-jvto|ioc
èpOôSoÇo; ojioXoYia tti; àvotToXixr,; Exx).r,9ia( Tt5v rpatxtov
t) *Pa>|jLaitDv, in-8«>. Vienne, 1791 : traduction du caté-
chisme serbe approuvé par le synode de Karlovitz en
1774; 2« XeipaYwY^a tlç Ttjv xaXoxàY«6(av, in-4«.
Vienne, 1791; 3* *.\ffçaXr,; Qlr)y(a etç tyjv yvùxtiv tûv
àvOpwTTwv, in-8o, ibid., 1795; 4« 'AXyiO^ç opb; ei; tyiv
Evfiaijiovfav, in-8o, ibid., 1796; 5° Xpu<jo*jv èyxciXTciov,
in-8», ibid., 1799, traduction de Cébès et d'Épictéte,
suivie d'un Essai sur la providence, composé par Dar-
varis; 6« Svvtoixoç lepdt loropta ty^; èxxXr,(Tia; ty); ita-
XaiSc xa\ véac Ata^xTr;;, in-8o, ibid., 1800, traduit du
russe ; 7» 'Ex/eip^fiiov ypiffiiavixdv, explication de la
messe, de l'office, des sacrements, en un mot de
tout ce qui touche au culte, in-8», ibid., 1803; 8° 'EititopiTj
T7|ç UpScç i^Top^a; xri; éxxXT,ff^a; Tr,; TcaXatâ; xal véa;
Aiad^xr,;, in-8», ibid., 1803; 9o MeYàXyj xaTQy3<'^« ^^<>'
ôp6(55o^oc XP^*'^**^^'^^ fiifiaoxaXc'a ttjç àvatoXixf,; IxxXt,-
(j^ac, traduction du russe, in-8«, ibid., 1804; lO» Ilaifia-
YWYoç fjToi Tjôixol xavovec toû îîy,v, in-8*», ifeid., 1804;
11® npo7rapa<TxeuT; eîç rr,v ôeoYvwarav Ôià t-^ç Bstopiocç Ttov
ovTtov, in-8o, i6id., 1807; 12« Mr/pov Tcpoaeux'/îxàptov,
suivi des offices liturgiques, in-8», ibid., 1818. C'est
encore à la plume féconde de Darvaris qu'est due la
traduction allemande de la trop fameuse lUrpa oxxvSdXou
d'Élie Migniati, vigoureux pamphlet contre la primauté
papale; cette traduction parut à Vienne en 1787.
L'année précédente, avait également paru, mais en tra-
duction slave, la Xprj<TTor,8£ia d'Antoine de Byzance.
Plusieurs de ces volumes, en particulier les catéchismes,
ont été réimprimés plusieurs fois.
A. DémélraCOpOUlos, n^ov^j^xe» «al diop^ûaitç it; Tr.-^ Nio(\Xi]vtx>/./
4>aoXoTΫcv KwvircavTtvoy Eà6a, iQ-8*, Leipzig, 1871, p. 97-98; 'Exavof-
9wff«t{ 9fa>.|&dTwv i:ap«tr,pv)ft(vT<itv îv rî^ N«oiXA.r,vtx^ 4»jXoXo7Îa to3
K. EA8«. in-8% Trieste, 1872, p. 38-40. L'article de C. sâlhas,
NiotXXiivixf] 4>iXoXoY(a, Alhènes, 1868, p. 564, est inexact et incom-
plet.
L. Petit.
DAUBENTON ou DAUBENTONNE Jeanne, dite
aussi Piéroime d'Aubenton, hérétique brûlée à Paris,
le 5 juillet 1372. Née à Paris, à une date inconnue, dans
le courant du xiv» siècle, Jeanne Daubenton se laissa
séduire par la morale fort relâchée des turlupins. Voir
ce mol. Elle s'unit à l'un d'eux, se mit à prêcher et
devint Tun des principaux et des plus actifs propagan-
distes de la secte. Les femmes, disait-elle, ont reçu de
Dieu, aussi bien que les hommes, le don de la prédi-
cation. Pour marcher sur les traces des apôtres, on
doit aller pieds nus, à peine vêtu et vivre dans la pau-
vreté. Une fois arrivé à un certain degré de perfection,
tout est permis, on devient impeccable, et l'on peut se
livrer, sans crainte du péché, à tous ses caprices,
assouvir ses passions et satisfaire son corps. Des
maximes aussi dépravées trouvèrent facilement un écho
dans les bas fonds de la capitale et des environs. Les
membres de la secte furent nombreux. Chacun se
trouvant vile en état de perfection, ils agissaient en
conséquence et ne reculaient devant aucune turpitude,
même en public. Le débordement de leurs mœurs les
rendait passibles des lois civiles. Mais ils avaient la
prétention de mener une vie conforme à l'Évangile.
L'autorité ecclésiastique dut intervenir. Grégoire XI
excommunia les turlupins et invita les princes, notam-
ment Charles V, roi de France, à réprimer de pai
hérétiques. Voir la lettre du pape au roi, dans 6
nius. Annales, an. 13T3, n. 19-20. Est-ce à la suit
cette invitation que Jeanne fut arrêtée? Baro
Taffirme, ibid., n. 21, et cite Gaguin. Jeanne, en (
fut jugée, convaincue d'hérésie, condamnée et li
au bras séculier. Gaguin raconte. Annales Franco
regum, Paris, 1521, p. clxiii, qu'on la brûla en |
de Grève avec le cadavre de son compagnon. Geli
en eflet, était mort en prison avant la sentence. Il
été avec Jeanne l'un des principaux prédicateurs
secte ; son corps fut conservé dans la chaux pei
quinze jours et finalement brûlé avec Jeanne, q
celle-ci dut monter sur le bûcher, le 5 juillet 1372
Gaguin, Annales Francorum regum, Paris, 1521, p. c
Baronius, Annales, an. 1373, p. 19-21; Prateolus, Ele
hœreeium, Cologne. 1581, art. TurlupinsiDv Gange, Glosso
\* Turlupins ; Migne, Dict. des hérésies; Nouvelle biog\
générale, Paris, 1855, t. xiii, p. 1C6-168.
G. Bareille
DAUBERMESNIL FrançoU-Antoine, homnr
litique français, né à Salles (Tarn) en 1748, n
Perpignan en 1802. Eiïvoyé par le départemental
à la Convention, 1792, mais républicain mod
démissionna en mai 1793; déjà pendant le pro
roi, prétextant une maladie, il n'avait pas pris p
vote. Un décret spécial du 24 thermidor an 111 (
1795) le rappela à la Convention; il fut alors ir
du comité d'instruction publique. Il figura au:
Cents, mais il en sortit en l'an V pour y rentrer
YI, toujours comme représentant du Tarn. II {
contre le 18 brumaire, aussi fut-il exclu du
législatif par Bonaparte et même un moment exi
la Charente- Inférieure. Sa mort suivit de près. I
mesnil est surtout connu pour ses idées et se
tives religieuses. Afin de se débarrasser de « la
stition » et pour lutter contre le a péril prêt
Convention et plus encore le Directoire tente
fonder une religion civile, dans le cadre dé
L'un des législateurs les plus zélés autour de c*
fut Daubermesnil, comme le prouvent ses longs c
sentimentaux et optimistes, aux Cinq-Cents. M
vant lente et incomplète Taction des pouvoirs
il essaya de lancer, de son initiative privée, leî
lions religieuses et morales qu'il rêvait. Dans
miers mois de l'an IV (1797), il faisait pa
livre descendu du ciel {e cselx) descendit), dii
graphe, sans nom d'auteur et avec ce titre :
d'un manuscrit intitulé: « Le culte des Ador
contenant des fragments de leurs différen
sur l'institution du culte, les observances re
V instruction, les préceptes et l'adoration, in-
Ce livre, qui s'inspirait de Voltaire dans ses j
sur les religions positives et de Rousseai
construction de la religion nouvelle, prélen<
ner sur la terre la seule religion vraie, la n
turelle, celle des patriarches qui gouverna
familles selon les lois de la conscience, sans
sans mystères. Les dogmes que devaient
Adorateurs étaient ainsi uniquement l'exi
Dieu et l'immortalité de l'âme; les précej
devaient observer énuméraient les devoir
envers Dieu, envers le prochain, envers so
envers la cité. La partie originale du livr
l'organisation du culte. Il y a un culte pv
culte privé. Le culte public se célèbre dan
temple; l'année rituelle commence, connr
républicaine, à l'équinoxe d'automne, et chî
est l'occasion d'une grande fête commune
Adorateurs. Il n'y a pas de prêtres à propren
leur rôle est joué par des chefs de famille ^
année et qui revêtent un costume minv
décrit et ridicule. Tous les neuf jours, liuil
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149
DAUBERMESNIL — DAUPHIN (DELFINI)
150
sécntifs étant consacrés aa travail , FAdorateur se rend
aa temple avec sa famille. Les rites principaux sont
l'entretien d*un feu sacré perpétuel dans Vasile, rite
renouvelé de la religion des Guèbres, des danses
saintes, des offrandes de froment ou de fruits, etc. Les
funérailles sont entourées de cérémonies très longues
et très compliquées. Deux jours par année sont con-
sacrés à la célébration des mariages. Quant au culte
domestique dont le prêtre est le chef de famille, il est
de beaucoup le plus important. Le culte des Adorateurs
eut même un commencement d'exécution. D'après
Grégoire, Daubermesnil aurait fondé deux asiles,
l'un â Gaillac. dans son pays natal, Tautre à Paris,
rue du Bac. et ici Tassociation aurait réuni sept ou
huit pères de famille. Bientôt les Adorateurs se confon-
dirent avec les théophilanthropes dont Daubermesnil
devint Tun des chefs.
Gr^oire, Histoire des sectes religieuses, 2 in-8*, Paris, 1810
^1814; 2* édil., 182S; Mathieu, La théophilanthropie et le
cuUe décadaire, il96-i80l, in-8% Paris, 1903.
G. Constantin.
DAUDE Adrien, né le 9 novembre 1704 à Fritzlar,
entra dans la Compagnie de Jésus â Mayence, le 28 sep-
tembre 1722; depuis 1742, il professa les controverses
et rhistoire a l'université de Wurzbourg, et mourut
dans cette ville le 12 juin 1755. Il a publié, sur les ori-
gines et les attributions des divers degrés de la hiérar-
chie ecclésiastique, un ouvrage érudit]en deux parties, à
la fois historique et théologique, dont voici le long titre :
Majestas hierafchiœ ecclesiaslicœ a summi pontifias
regali sacerdotio, ccwdinalium eminentissima purpura,
patri€ircharitni, archiepiscoporuni, episcopo)*um sacra^
tiore principatu, prsRSuluni niinomni sublimi digni-
iate,ecclesia9mrti cathedralium illuslrissinw splendore,
collegiataruni insigni décore, parochialiuni pielate et
zelo, totiusque venerabilis cleri pulcherrlmo ordineac
disciplina conimendata, ex dogmatibus theologicis,
sacris canonuni stalutis, historia ecclesiaslica et civili
proposita. Pars /. — Majestas hierarchim ecclesiaslica
a cleri regularïs inslituto, cœnobiiarum altissima
contef}iplatione,ordinum monasticorum et militarium
piissima actione, asceteriorum vitam mixtam profi-
tentiuni ordinatissima charilale, necnon religionum
votiva sanctimonia et admirabili varielate exomata,
aucta et propagata, per lucubralionem historico-theo-
logicani comnionstrata. Pars II, paru d'abord sous
forme de dissertations académiques, in-i^, Wurzbourg,
1745 et 1746; réimprimé en 2 in-4«, Bamberg, 1760. Le
P. Daude a encore publié une histoire universelle « prag-
matique 1, c'est-à-dire, comme il l'explique lui-même,
spécialement composée en vue de l'utilité des théolo-
giens : Historia universalis et pragmatica romani im-
peini, regnorum, provinciarum, una cum insignioribus
monunientis hierarchiœ ecclesiasticœ, ex probatis
seriptoribus congesta, observationibus crilicis aucta,
a^que ad theologiœ positivas, jurispinidenti» a^ philo-
logie peculicureni usuni re/lexionibus dogmaticis et
ckronologicis illustrala, 2 parties en 3 tomes in-i^i
Wurzbourg, 1748-175i. Cette histoire va depuis le com-
mencement du monde jusqu'à l'avènement de Charte-
magne.
De Backer et Sommervogel, Bibliothèque de la O* de Jésus,
t-iî, col. 1835-1837; Hurler, Nomenclator, t. m, col. 1433-1434;
Dohr, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, 1889, p. 86;
AU4femeine deuUehe Biographie, t iv, p. 709-770.
Jos. Brucker.
DAUNOU Jean-Claude-François, né à Boulogne-
sur-Mer, le 18 août 1761. Ses talents précoces portèrent
ses maîtres, les oratoriens de sa ville natale, à l'attirer
dans leur congrégation où il fut reçu en 1777, à 16 ans.
Bientôt il devint, dés 1784, professeur de philosophie
dans cette même maison de Boulogne, puis, en 1785,
i Montmorency où il eut à enseigner la théologie, qui le
passionnait alors, a-t-il témoigné plus tard. C'est là
qu'il fut ordonné prêtre en 1787 et que le trouva encore
la Révolution à laquelle il adhéra avec enthousiasme.
On sait le rôle qu'il joua. Un moment vicaire métropo-
litain de Paris, il cessa bientôt toutes fonctions sacer-
dotales. Le reste de sa vie, laborieuse et honorable, mais
tout à fait laïque, si l'on peut parler ainsi, ne nous appar-
tient plus. A l'Oratoire, divers travaux littéraires l'avaient
déjà fait remarquer et laissé pressentir ce qu'il serait un
jour. Il mourut, le 20 juin 1840, garde général des Ar-
chives nationales et pair de France. De toutes ses
œuvres, nous n'avons à nommer ici que VEssai histo-
rique sur la puissance temporelle des papes, que Na-
poléon le chargea d'écrire lorsqu'il voulut abolir le
gouvernement pontifical, et qui a eu quatre éditions,
in-8o, Paris, 1810 (2 éditions); in-S», Paris, 1811 et 1818.
Taillandier, Documents biographiques sur Daunou, Paris,
1841, mais qu'il faut rectifier, pour la période oratorienne de sa
vie, par mon Oratoire et la Révolution, Paris, 1883. Voir aussi
Michaud, Biographie universelle, t. x, p. 166-174 ; Feller, Bio-
graphie universelle, Paris, 1848, t. m, p. 156 157.
A. Ingold.
DAUPHIN (DELFINI) Jean-Antoina, né à Pompo-
nesco en Lombardie, fit ses premières études à Cré-
mone et les compléta à l'université de Bologne. Il s'é-
tait appliqué en particulier à l'étude du grec, de la mé-
decine et des mathématiques; mais répondant à l'appel
de Dieu, il entra chez les conventuels de Casalmaggiore.
Religieux, son ardeur pour Tétude ne se ralentit pas :
minuit était l'heure de son lever et, après la prière, il se
mettait au travail ; l'on dit que ses confrères l'avaient à
cause de cela surnommé fra Mezzanotte, Dans son or-
dre il fut lecteur, régent des études à Padoue ; Bologne
réclama son ancien élève et lui confia une chaire de
métaphysique ainsi que la charge de régent du collège
espagnol établi prés de celte université; on le trouve
encore inquisiteur en Romagne et provincial de ses frè-
res de la province de Bologne. Le P. Dauphin s'illustra
en particulier dans les commissions préparatoires des
sessions du concile de Trente, de 1;>46 à 1549. Le géné-
ral des conventuels étant mort en juillet 1559, Pie IV
nomma le P. Dauphin vicaire général, mais ce fut pour
peu de temps, car suivant l'expression d'un de ses bio-
graphes, il rendait son àme savante au créateur le 5 sep-
tembre 1561, à Bologne, où il se trouvait en attendant
de retourner prendre part aux travaux du concile de
Trente. Nous avons de lui : De poteslate ecclesiaslica,
in-8o, Venise, 1549; De cxdtu Dei et invocalione san-
clorum, Bologne, 1549. Ces deux ouvrages réunis avec
un troisième. De notis Ecclesim, formèrent VOpus exi-
mium alque hac tempestale magnopere desidUgratum,
universum fere negotiuni de Ecclesia inter patres or-
Ihodoxos et protestantes controversum perspicua série
complectens, in très libros optimo jure digestum,
in-8«, Venise, 1552; Decausisetsignificationibusigne-
arum flammarum, putot*is et sonitus qum nunc effi-
duntur Cremonse, in-4o, Bologne, 1551 ; De salutari
omnium rerum ac prœsertim hominum progressu
libri V, adversus hœreticos, hoc est, de rerum eventu,
de prœdestinatione, de onginali peccato, de libero
arbitrio et de justificatione, in-fol., Camerino, 1553.
On trouve souvent à la suite de cet ouvrage celui De
matnmonio et cœlibatu libri II contra horum tem-
porum impios et hœreticos homines, publié la même
année au même lieu; Didactica methodus, seu de
methodo in scientiis servanda, in-8«, Bologne, 1554;
De adventu Jesu Chinsti Domini ac Dei noslH, in-12,
Bologne, 1555; Dialectica, in-S», Bologne, 1555; De
cœlestibus globis et motibus contra philosophorum et
astrologorum sententiam pro veritate christiana, in-8<»,
Bologne, 1559; De tractandis in concilia œcumenicoet
qualiter et in quem finem Patres ea disserere conve-
niai libellus, in-S», Rome, 1561 ; cet opuscule a été réé-
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151
DAUPHIN (DELFINI) — DAVID
dite à la fin des Apjmrahis dans la collection des con-
ciles de Labbe. Le P. Dauphin laissait de nombreux
manuscrits, en particulier une Expositio textus Aris-
totelis in libruni Physxcoruni facta Patavii an, i543,
demeurée inédite; il n'en fut pas de même des Coni-
mentarii in Evangelium Joannis et Epistolani Pauli
ad'Hehrœos a Fr. Cowttantio card. Sarnano expoUli
et notis illustrati, in-8<», Rome, 1587. On lui attribue
encore De divina pi'ovidentia libri très, in-S», Rome,
1588. Il avait publié de son vivant un opuscule De nobi-
litatead Fridericum Gonzagam, in-8«, Bolog^ne, s. d.»
réimprimé avec un autre traité De varia provinciœ
MarchisB nomenclalura brevis ac dilucida narratio,
in-4o, Pérouse, 1590.
Wadding, Scriptores ord. minorum, Rome, 1650; Franchini,
Bibliosofla e memorie di scrittori conventuali, Modène, 1693,
p. 291; Sbaralea, Supplementum et castigatio ad scriptores
ord. minorum, Rome, 1806; Hurter, Nomenclator, 3* édit., Ins-
pruck, 1906, t. ii, col. 1504-1506; Concilium Tridentinum. Dia-
riorum, actorum, epistolarum, tractatuum nova coUcctio,
Frîbourg-en-Brisgau, 1901, 1. 1, passim.
P. Edouard d'Alençon.
DAURE8 Louis, dominicain, naquit à Milhau
(Aveyron) en 1655 de parents calvinistes. Il fut élevé
dans la religion réformée et envoyé plus tard à Mont-
pellier pour s'y préparer à devenir ministre un jour.
Au contraire, il se convertit au catholicisme et de plus
se fit recevoir au couvent des dominicains de cette
ville. Nous ignorons la date exacte de cette conversion.
En 1688, déjà prêtre, le maître général de l'ordre l'ins-
titue sous-prieur du noviciat général de Paris, au fau-
bourg Saint-Germain, le 6 janvier 1688. Reg, Litt. Pat,
Mag. Gen. Fr, Ant. Cloche, 1686-1692, c. viii. L'année
suivante, élu prieur du couvent de Rodez, il demanda
et obtint du général de l'ordre la faculté de décliner
cet office, afin de pouvoir s'adonner plus librement à la
controverse avec les hérétiques. Beg. Epist. priv, ejus-
dem M, Gen. Novit. Gen, Paris., 1686-1692, c. ii, 1689.
Il passa presque toute sa vie à Paris, dans les fonctions
de sous-prieur du noviciat général, où il mourut le 9 mai
1728, âgé de 73 ans. Il fut un des premiers à s'occuper
à Paris de l'œuvre des Repenties. Le premier établisse-
ment, datant de 169i, se trouvait rue de l'Ourcine.
Transféré ensuite au faubourg Saint-Germain, dans la
rue Saint-Dominique, il fut de nouveau, le 14 août 1740,
transféré près de la Barrière des Invalides et prit le nom
de Sainte- Valérie. Cet établissement était placé sous le
haut patronage du cardinal de Noailles. En 1689, le
P. Daures publia : V Église protestante détruite par elle-
mênie ou les calvinistes ramenés parleurs seuls pinn-
cipes à la véHlahle foi, in-12, Paris. L'ouvrage était
dédié à Bossuet dont V Histoire des variations avait paru
l'année précédente. Bossuet, à son tour, écrivit à l'auteur
pour l'engager à publier une autre édition, mais plus
développée. Le temps manqua au P. Daures pour répon-
dre à ce désir. D'après C.-L. Richard, l'abbé Bellet
aurait préparé cette édition, en l'augmentant d'une no-
lice sur la vie de l'auteur, avec le portrait en frontispice.
Nous ne savons si cette édition parut jamais.
Sources mss. — P. Mathieu Texte, Recueil de pièces, etc.
[Extrait du livre mortuaire,., du noviciat général.,.], p. 375;
Regést. Mag. Gêner. F. Ant. Cloche, i 686-i692 ; Supplementum
historix reformationis Provinciœ Tolosanœ [ad monumenta
conventus Tolosani, auct. J. Percln], Tab. Gen., l. V, c. lxxxiv.
Imprimés. -- Quétif-Echard, Scriptores ordinis pratdicato-
rum, t. II, p. 807; C.-L. Richard, Dictionnaire universel des
sciences ecclésiastiques ; JaLillot, Recherches critiques, histo-
riques, sur la ville de Paris, t. v, vingtième quartier, p. 50;
Lebeuf-Cocheris, Histoire de la ville et de tout le diocèse de
Paris, t. m, p. 265.
R. COULON.
DAVIAN08 Xavier- Émiie, né à Chio, d'une famille
noble, étudia dans sa patrie chez les jésuites, puis à
Padoue. Il enseigna ensuite la théologie en Crète. Après
la prise de cette île par les Turcs, Davianos revin
Italie et y exerça le ministère, en particulier à Bol
où il fut aumônier de religieuses. Nommé évéqu
Santorin, il mourut en se rendant à son poste, en
ou 1688, à l'âge de 63 ans. Outre plusieurs ouv
restés inédits, il composa pour ses religieuses un
intitulé : Sact^ sponsa in thalamo suo, dont il n'
temps de publier que la première partie. Tout ci
nous savons de Davianos est dû à N. C. Papad
Historia gymnasii Patavini, t. ii, p. 318. On sai
cet auteur invente souvent les faits qu'il raconte,
ne connaissons pas un seul exemplaire de Toi
qu'il attribue à Davianos.
S.PÉTRIDÈS
1. DAVID Claude, bénédictin, né à Dijon en
mort le 6 novembre 1705 dans l'abbaye duMas-Gi
Il avait fait profession de la vie monastique c
congrégation de Saint-Maur à l'abbaye de la Trii
Vendôme. Il publia une Dissertation sur saint
l'Aréopagite où Von fait voir que ce saint est ï
des ouvrages qui portent son nom, in-8<», Pari!
Pour dom Cl. David, saint Denis de Paris n'est p:
rent de saint Denis, évéque d'Athènes.
Dom P. Le Cerf, Bibliothèque historique des auteu
congrégation de Saint-Maur, in-12, Paris, 1726, p. '
Tassin,] Histoire littéraire de la congr. de Sainl-Ma
Paris, 1770, p. 201 ; [dom François,] Bibliothèque gén
écrivains de l'ordre de Saint-Benoit, ln-8*, Bouillon,
p. 206; Ch. de Lama, Bibliothèque des écrivains de l
gation de Saint-Maur, in-12. Munich et Paris, 1882, p
B.Heurteb
2. DAVID-GEORGE (Joris, fils de Geor)
Delft, en 1501 ou 1502, de son vrai nom Jean d<
s'agrégea de bonne heure à la secte des anal
puis essaya de concilier les différends qui partag
hérétiques de la région, et finit par former un(
nion à part dont il se fit le chef, se déclarant ui
Messie, un 3« David, dont Jésus-Christ n'avail
préparer les voies. Il permettait à ses partisan
dans le faste et la volupté, sans se préoccupe
trine. Poursuivi en Hollande, il se réfugia en M
du landgrave de Hesse, puis à Bàle où il pri
la défense de Serret. Dans l'intervalle, en 15
publié son fameux Wonderboek, ou Livre nu
réédité en 1551, que d'autres écrits non moin
traités mystiques et lettres circulaires à ses
suivirent. Sa doctrine est un mélange de cel
ducéens, des adamites et des manichéens el
en cet aphorisme : Le corps seul peut è
l'âme jamais. Après sa mort arrivée le 25 ac
doctrine fut condamnée comme hérétique p;
site de Bâle, au mois d'avril 1559, et le 13 w
les Bàlois le déterrèrent et le brûlèrent ave
et son portrait au pied d'une potence. S<
persistèrent longtemps encore en Hollande
Holstein; ils furent condamnés parles svno
lande en 1608 et en 1623.
Mosheim, Histoire ecclésiastique ; Catrou, HisU
tisme dans la religion protestante, t. ii ; Michau
universelle, t. x, p. 186-188; Kirchenlearikon , t
Realencyclopiidie, t. ix, p. 349-352.
A.
3. DAVID (Natchinsky) Daniel, écrivaii
1720 dans le gouvernement de Poltava, él
demie ecclésiastique de Kiev. Archimandr
mène du monastère de Sloutzk en 1756,
de l'Académie de Kiev (1758-1761) et moi
1793. Il traduisit en latin et publia avec <
taires les ouvrages suivants de Théophane
célèbre théologien russe : l® Lucubt*atiot
mi ac reve^^endissimi Theophanis F^rohoi
primum in unum corpus collectas et in
cem édites, Breslau, 1743; 2« Miscellccnei
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153
DAVID D'AUGSBOURG
154
teniporibu» antea édita nunc primum uno fasce com.
prehensa conjunc Unique evulgata, ibid., 1745.
Eugène (métropolite), Stovar iatoritchesk^fi o pisateliakh
dukhovnago tchina, Saint-Pétersbourg, 1827, 1. 1, p. 104-106;
Serebrennikov, Kiévskaia Akademia oploviny xvin vieka
do preobrazoviiniia eia v i8i9 godu, Kiev, 1897; lablonowsky,
Akademia kijowsko-mohilanska : zarys historyczny^ Craco-
Tie. 1899-1900, p. 236; Russkii biographitcheskyi Slovar, leU. D,
Salnt-Péterebourg. 1905, p. 7.
A. Palmier I.
4. DAVID Pierre, sur lequel les bibliographes fran-
ciscains sont pauvres de renseignements, était cordelier
de la province parisienne. Les titres seuls de ses ou-
vrages fournissent quelques renseignements sur lui '-
Summula Iraclatus de prmdestinatione ad mentem do-
Claris subtilis, ejusque fidelissimi inlerprelis magislri
Angeli a Monte Pitoso ord. FF. minoruni conventuor
liuni. Hujus sumniulae veritateni docebat V. P.Petrus
David, lector jubilatus et in conventu FF. minorum
Sagiensium ptimatHus theologiœ prof essor, anno Do-
mini 1646, in-8», s. l. n. d. Cet opuscule deviii-40 pages
est dédié au duc de Luine par la Schola theologim Sa-
giensis. On attribue aussi à David une Summula philoso-
phiez ad mentem Scoti, Paris, 1649; OctatHi de Chvisti
erga homines charilate in eucharistia; Octava de
assumptione B. Mariœ Virginis figurata in quibus-
dam mulieribus Veteris Testamenti, in-8«, Paris, 1653,
lG6i; Le chemin de vérité qui conduit une âme dési-
reuse de faire son salut à la perfection de la sainteté,
in-8«, Paris, 1656; 2 in-12, 1661 ; Serniones adventus
de adoptione filiorum Dei, in-S», Paris, 1663.
SbajtJea, Supplementum et castigatio ad scriptores ord.
minorum, Rome, 1808; Migne, Dictionnaire de bibliographie
catholique, i. Il, col. 407, 808.
P. EDOUARD d'Alençon.
5. DAVID D'AUGSBOURG. - 1. Vie. II. Œuvres,
m. Doctrine.
I. Vie. — Né à Augsbourg dans les dernières années
du xii« siècle ou les premières du xiii«, David, jeune
encore, obéit à Tatlrait qui le poussait vers les ordres
mendiants. Dès 1221, les frères mineurs sont à Ratis-
bonne; dés 1226, ils y ont un couvent; et c'est là que
David demande à prendre rang dans la milice nouvelle.
Telles étaient son ardeur, son application, sa piété, sa
¥ertu, et tels furent ses progrès dans la vie religieuse
qu'il mérita bientôt de remplir la charge de maître des
novices. Il Texerça d'abord à Ratisbonne ; et lorsque,
en 1243, Tévéque d'Augsbourg, Sibot, offrit aux francis-
cains un établissement, David rentra dans sa ville na-
tale, toujours chargé de la formation des novices. Il
s appliqua à ces fonctions avec succès ; ses dirigés en
retirèrent des avantages si précieux qu'ils le prièrent de
consigner par écrit les admirables leçons de son en-
seignement oral. De là son Epistola ad novitios Ratis-
honmdeeorum informatione, qui est, pour ainsi dire,
la préface à sa double Formula novitiorum de exte-
rîorw hominis reformatione, en 40 chapitres, et De
inlerioris hominis reformatione, en 62 chapitres; de
là aussi son De septem processibus religiosi, en
42 chapitres, qui résume son enseignement en matière
de formation religieuse. Mais la direction des novices
fut loin d'absorber tout son temps et toute son activité.
Car il prit part à Tévangélisation des milieux popu-
laires avec Tun de ses disciples de la première heure,
Berthold de Ratisbonne, son ami et son émule, devenu
bientôt par son action oratoire un entraîneur de foules.
Bien qu'il ne lui cédât pas en éloquence, il se fit son
humble compagnon et son serviteur. Il fut avec lui
Vnn des premiers en Allemagne qui rompirent avec
i'osage traditionnel de la prédication en langue latine ;
U lui préféra Tidiome national, quelque informe qu'il
fût encore. Et laissant résolument de côté les divisions,
les distinctions, les complications aussi pédantes que
subtiles de la forme scolastique, il parla au peuple la
langue du peuple, cherchant à frapper l'imagination, à
toucher le cœur, à convaincre la raison, en exposant
simplement l'Évangile et en dénonçant avec une vigueur
tout apostolique les maux qui rongeaient la société. On
ne peut regretter qu'une chose, c'est qu'il ne soit rien
resté de cette prédication populaire, dont Trithème
affirme avoir vu quelques sermons. De scriptoribus
ecclesiasticis. David ne se contenta pas de prêcher : à
l'apostolat par la parole, il joignit l'apostolat par la
plume et composa plusieurs traités d'édification et de
spiritualité. Il mourut à Augsbourg, le 15 novembre 1271.
Wadding raconte, Scriptores ordinis wïinoi*ur)ï,2« édit.,
Rome, 1732, t. iv, p. 359, qu'il vécut saintement, que sa
mort fut révélée à son ami Berthold, lequel, étant en
chaire, l'annonça à ses auditeurs et se mit à réciter la
strophe des confesseurs : Qui, pius, prudens, humilis,
pudicus, etc.
II. Œuvres. — Outre les traités, dont il a été ques-
tion, et rédigés en latin en faveur de ses religieux,
David d' Augsbourg a composé un traité intitulé : De
inquisitione hœreticorum, publié par Preger dans les
Abhandlungen der Mûnchener Akademie, 1879, t. xiv,
p. 181 sq. Quelques-uns de ces traités ont été attribués
à d'autres auteurs et insérés à tort dans les œuvres de
saint Bernard ou de saint Bonaventure. C'est ainsi que
la Formula novitiorum de exterioris hominis refoi*ma-
tione porte, dans divers manuscrits, le nom de docteur
séraphique et se trouve dans sa forme originale parmi
les opuscules de saint Bernard avec ce titre : Opuscu-
luni ad hœc vei*ba : Ad quid venisti f C'est précisément
à cause de ces derniers mots que Vossius l'a attribué à
saint Bernard. Il est à noter que ce traité, si on le prend
tel qu'il se trouve dans le manuscrit de Munich 15312,
diffère totalement par la forme de celui de l'édition
d' Augsbourg, B. Fr. David de Augusta pia et devota
opuscula, Augsbourg y 1596; d'autre part, il est identique
à celui qui, dans les œuvres de saint Bonaventure,
porte le titre de De institutione novitiorum, Lyon, 1668,
t. vu, p. 613 sq. Il appartient à David, mais à vrai dire
ce n'est pas à titre d'œuvre exclusivement personnelle
et originale. David aurait utilisé une œuvre d'origine
franciscaine, dont il aurait écrit la préface et dans
laquelle il aurait inséré des citations patristiques. Par
suite, si réellement David a composé personnellement
une Formula, ce pourrait bien être celle qui commence
au fol. 93 du manuscrit de Munich déjà cité. C'est un
problème qui reste à résoudre. Quant aux deux autres
traités, le De interioris hominis reformatione et le De
septem processibus religiosi, bien qu'ils se trouvent
parmi les œuvres de saint Bonaventure sous ce titre :
De profectu religiosorum, ils sont à n'en point douter
delà main de David, car ils offrent avec d'autres traités
allemands, quisontauthentiquementde David, de nom-
breux passages et des chapitres entiers étroitement
apparentés et trahissant une origine identique. Albert
le Grand a cité souvent mot à mot le De septem pro-
cessibus religiosi, dans son traité De adhœrendo Deo,
si ce traité est de lui. Les franciscains de Quarrach
ont édité le De exterioris et interioris hominis compo-
sitione secundum tHplicem stalum incipientium , pro-
ficientium et perfectorum libri 1res, en 1899. D'autres
œuvres de David existent encore en manuscrit et n'ont
pas été publiées, par exemple, l'explication de la règle des
franciscains du manuscrit de Munich 15312, fol. 266 sq.
U est possible qu'un jour ou l'autre on vienne à décou-
vrir quelques-uns de ses sermons.
Actuellement, parmi les traités en langue allemande
publiés sous son nom, Pfeiffer, Deutsche Mystiker,
Leipzig, 1845, on compte les suivants : 1» Die sieben
Vorregeln der Tugend; 2» Spiegel der Tugend; 3» Die
vier Fittiche geistlicher Betrachtung; 4» Von der
Anschauung Gottes; 5^ Von der Erkennlniss der Wahr-
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155
DAVID D'AUGSBOURG
heit; 60 Von der unergrûndlichen Fulle Gotles; 7» Be
trachtungen und Gebete; S^ Chrisli Leben unser Vor-
bild; ^ Die Erlôsung dei Menschengeschlecht. Seuls,
les deux premiers sont à retenir comme authentiques;
tous les autres sont apocryphes, comme Ta démontré
Preger, Geschichte der deutscke Mystiker, Leipzig,
1874, t. I, p. 269 sq. D'un avis unanime. Die sieben
Vorregeln der Tugend et Spiegel der Tugend sont re-
gardés comme les a deux perles » de la littérature
allemande à ses débuts. Pfeiffer en compare le style à
une ilamme calme qui brilla d'un doux éclat, dont la
chaleur pénétrante anima la piété, excita Tardeur,
échauffa et enflamma le cœur. On a raison de vanter
les services que David rendit à la langue allemande
alors en formation ; mais ce qui intéresse le plus ici,
c'est sa doctrine, dont de bons juges estiment qu'elle
contient la « moelle de la perfection évangélique b, et
lui mérite une place à côté de saint Augustin, de saint
Bernard, de saint Bonaventure et de Gerson.
III. Doctrine. — Devant l'impossibilité d'apprécier,
faute de documents, la méthode et la valeur de l'orateur
populaire que fut David, il faut se contenter d'étudier
en lui l'auteur mystique, puisque c'est le titre qu'on lui
donne, non sans raison. Sa lettre aux novices de Ratis-
bonne nous apprend qu'il considère dans la religion
deux choses : Vexercitium virtutis et Vaffectus intemm
devotionis ; il les compare à Lia la féconde et à la belle
Rachel. Nous dirions la vie pratique, représentée par
Marthe, et la vie contemplative, personnifiée par Marie.
Il est très certain que David apprécie hautement la vie
contemplative, mais il appuie surtout sur la vie pra-
tique.
Les deux traités de la Formula noviliorum visent la
réforme de l'homme, soit dans son extérieur, soit dans
son intérieur. Ad quid veni s ti et pj^opterquid? demande-
t-il dans le premier. Et il répond : pour Dieu et à cause
de Dieu. Le devoir essentiel du novice est donc
l'obéissance absolue à celui qui lui parle au nom de
Dieu. Pour cela, il doit pratiquer une humilité totale
qui se traduise dans le geste, le ton. la parole, l'attitude
et tout l'extérieur, et un respect absolu des supérieurs
jusqu'à s'interdire d'en dire ou d'en penser du mal et
à ne pas tolérer qu'on en parle mal. David passe en-
suite en revue tous les détails de la vie, soit à l'intérieur
dans la communauté, soit au dehors du couvent; rien
n'y manque. Au lever de nuit, un novice ne- doit pen-
ser qu'à Dieu; au dortoir, au chœur, au chapitre, à
table, à l'autel, quand il sert la messe, un novice doit
avoir une bonne tenue, il doit pratiquer la coulpe, se
confesser trois fois la semaine, c. xi, vaquer avec dili-
gence au travail, aux occupations communes, aimer par
dessus tout sa cellule, retenir sa langue, lire l'Écriture,
méditer Jésus-Christ, « ce pur miroir, cet exemplaire
parfait de haute sainteté, » c. xxxii, être avec ses frères
toujours gracieux et avenant, éviter dans ses conversa-
tions les paroles inutiles, s'entretenir de Dieu. Quant
aux soins à donner aux âmes, il ne doit y songer qu'après
avoir passé une première année à faire pénitence de
ses péchés passés, une seconde année à perfectionner
sa conversion, une troisième à persévérer dans le pro-
grès réalisé, une quatrième à mépriser tout honneur ou
toute louange qui viendrait des hommes, à ne recher.
cher exclusivement que la gloire de Dieu et le salut
des âmes. Au dehors du couvent, il doit donner partout
et toujours le bon exemple, être fidèle aux heures
canoniques, éviter les femmes, ne leur parler et n'agir
avec elles que comme en présence de son supérieur ou
de leur propre mari.
Voilà pour la réforme extérieure ; voici pour la ré-
forme intérieure. Il y a d'abord quatre précautions à
prendre : Ne pas se dédire de la volonté qui a conduit
au cloître et ne pas se refroidir de la première ferveur;
persévérer toujours dans ces bonnes dispositions; ne
pas juger témérairement les autres; ne pas se h
dérouter par les épreuves ou les tentations. Quatre î
de tentations : a came, a mundo, a diabolo, a
Trois sortes de religieux : les bons, lesmeilleui
très bons. Trois états : celui des commençants,
des progressants, celui des parfaits. Trois puissai
remplir de Dieu : la raison, la mémoire, la vc
Trois orgueils à éviter : ne pas se plaire en soi
préférer aux autres ; ne pas désirer plaire à autr
pas chercher à être au-dessus des autres. Quatre c
à combattre, parce qu'ils inclinent au mal : Tignc
la concupiscence, la malice, l'infirmité. La fin
traité de la réforme intérieure roule sur les a(î(
spirituelles, le goût de la douceur intérieure, les n
contre l'orgueil et les autres défauts.
Le troisième traité, De septem processibm rc
énumère et caractérise les six progrès de la vie
le septième et dernier progrès est le propre de
contemplative. Telle est bien la division signa
la lettre aux novices de Ratisbonne. Mais on ^
Vexercitium virtutis a un développement plus c
rable que Vaffectus interme deuo/ionij, sans dou
que celui-ci n'est que l'aboulissement et le coi
ment de celui-là; la féconde Lia occupe beauco
David que la belle Rachel. Est-ce à dire que
constitue plus particulièrement la vie mystique
gligé? Loin de là. Les c. ix-xv du De interions
refomiatione et les c. xxxv-xu du De septem
sil^s en parlent avec assez de détails. Du re
l'enseignement de David sur cette double réfon
rieure et intérieure converge vers ce but. L'
effet, c'est l'union de l'âme avec Dieu aussi éli
possible et le repos suave dans la douce joie q
suite. Hœc est, dit-il, honiinis in hac vita s
perfectio ita uniri cum Deo, ut tota anima eu
bus potentiis suis et viribus in Deum collecta
spiritus cum Deo, ut nihil meminerit nisi De
senliat vel intelligat nisi Deum.,. Imago eni
his tribus potentiis ejus expressa consistit, vh
ratione, memoria et voluntate, et quamdiu
sunt ex toto Deo impressœ, non est anima d
Forma enim animm Deus est, cui débet inipr
sigillo sigillatum, c. xxxvi. Tout en traitant
la vie mystique et en plaçant l'essence dans l
l'âme avec Dieu par toutes ses puissances et s
notamment par la raison, la mémoire et 1
David n'oublie pas certains phénomènes, qui
fois sujets à caution, tels que le jubilus, l'e
spiritus, la liquefactio, etc., et qui revien
cesse dans le langage des mystiques pour e?
mystérieuses réalités; il porte sur eux un jug
sain qui montre toute sa pensée.
David est donc un mystique, si l'on veut
met si haut l'idéal de la perfection chréti*
c'est un mystique préoccupé avant tout des r
tiques de la vie et en garde contre les illus
dangers d'un mysticisme inconsistant et n
avait l'expérience de la vie religieuse. A de
humbles comme il les voulait, il pouvait
recommander une douceur inaltérable de cai
support patient des accusations injustes
nieuses; car l'humilité ainsi pratiquée atti
divine et mène droit à la charité, à la reine
Mais il connaissait aussi son époque et e
l'opinion alors générale, qui voyait dans le:
des ennemis de l'Église et de la société, cor
il ne suffisait pas de se mettre en garde
fallait réduire à l'impuissance. De là, son
de ton dans son De inquisitione hœreti
parle comme ses contemporains, à cet âge
il est permis de regretter que, par oubli de
principes, il se soit montré si dur envers <
et ces loups it>, qu'il faut traiter sans piti^
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DAVID D'AUGSBOURG — DAVID DE DINAN
158
doit débarrasser la société à tout prix, à moins qu'ils
ne viennent à résipiscence.
B. Fr. David de Augusta, O. M., pia et devola opuscula,
Auf^Murg, 1596; Bihliotheca maxima PcUrum, Cologne, 1618,
t xiu, col. 413-479; P. L., t. CLXXXiv, col. 1189-1198; Wadding,
Seriptores cn-dinis minorum, 2* édit., Rome, 1732, t. iv ; Tri-
fhèmo, Scriptores ecclesiastici, cité daosIaBi&/tor/teea maxima
Patrum; Pfeiffer, Deutêche Mystiker, Leipzig, 1845, t. i; DeuC-
$che Mystiker, dans ZeiUchrifl fur deutachen AlterthumA9Ô3,
L IX ; Prêter t Geschiehte der deutsche Myatiker, Leipzig, 1874,
L I, p. 268 sq. ; Tractatus Fr. David de inquisitione haereti-
eorumj dans les Abhandlungen der Munchener Akademie,
1879, l. XIV, p. 181 sq. ; Denifle, dans Historisch-politisctie Elût-
ter, t Lxxv, p. 672 sq. ; Kirchenlexikon, t. m, col. 1413-1417 ;
Reatencyklopâdie, t. iv, p. 503-504; U. Chevalier, Répertoire.
Bio-bibliographie, 2« ôdlt, 1. 1, col. 1555-1556.
G. Bareille.
6. DAVID DE DINAN (ou DE DINANT). - 1. Vie.
U. Erreurs.
I. Vie. — Ainsi nommé, selon Tusage, du lieu de son
origine; mais est-ce Dinan en Bretagne ou Dinant, sur
la Meuse, en Belgique ? On ne le sait pas, et on ignore
la date exacte de sa naissance et de sa morl. Ce quMl y
a de certain, c'est que son nom parait à côté de celui
d'Âmaury de Bène, une première fois dans le jugement
du concile de la province de Sens, tenu à Paris, en
1210, et une seconde fois dans le règlement, donné en
1215 par le légat du pape, Robert de Courçon, à l'univer-
sité de Paris. Denifle, Charlularium univentit. Paris.,
Paris, 1889, t. i, p. 70, 79. Relativement à Âmaury, le
concile parisien ordonne que ses restes seront exhu-
més poar être jetés hors de la terre bénite, et que, dans
toutes les églises de la province (ecclésiastique de Sens),
sera promulguée la sentence d'excommunication portée
contre cet hérétique; relativement à David, il ordonne
que ses QuatemuH soient remis, avant la fête de Noël,
à l'évéque de Paris, qui les brûlera, et que quiconque,
après la dite fête, aurait retenu quelque exemplaire,
sera tenu pour hérétique. De son côté, le légat ponti-
fical interdit à l'université de Paris de lire les ouvrages
de David de Dinan, d'Amaury de Chartres et de Mau-
rice d'Espagne.
II. Erreurs. — t» Condamnation de ses ouvrages. —
L'interdiction prononcée par Robert de Courçon contre
les ouvrages de David autorise à dire qu'on les regardait
à tout le moins comme un danger pour l'enseignement.
ContenaieJDt-ils aussi quelque hérésie? Elle n'en parle
pas. Mais, à son défaut, la sentence du concile de Paris
est assez explicite et permet de répondre affirmative-
ment. Sans doute elle ne qualifie pas David d'héré-
tique en ternaes exprès^ comme elle le fait pour Amaury
de Chartres; mais, du moment qu'elle déclare que qui-
conque détiendrait ses Quatemuli sera réputé héré-
tique, c'est que la doctrine qui s'y trouve est regardée
comme contraire à la foi et entachée d'hérésie. Pour
en juger en connaissance de cause, nous n'avons plus
ces QuatemuH, ni le De tomis, autre ouvrage de David ;
ilsont disparu dans les flammes du bûcher. Et dés lors,
si nous ne pouvons pas douter de l'hétérodoxie de
David, il est malaisé de savoir en quoi consistait exac-
tement son hérésie.
2» Nature de êes en^eurs. — A coup sûr, son nom n'a
pas été fortuitement rapproché de celui d'Amaury dans
la même sentence de condamnation et d'interdiction ;
mais encore est-il qu'un tel rapprochement ne con-
stitue point par là même une présomption en faveur
d'une relation étroite, encore moins d'une identité,
entre sa doctrine et celle d'Amaur)'; sans quoi, nous
aurions d'amples renseignements dans le résumé des
erreurs dont furent convaincus les disciples d'Amaury,
Denifle, Chart, univ. Paris., t. i, p. 70, et dans le récit
du procès de 1210 fait par Guillaume le Breton, De
ge$tts Phitippi Augusti, dans Rerum Gallic. serip-
tores, t. XVII, p. 82-83, et par Césaire d'Heisterbach,
Illmtr. mircu;. et historia memorabilis, 1. V, c. xxii.
Cf. Chvonicon Laudunensis canonici, dans Heruni
Gallic. seriptores, t. xviii, p. 715. Voir t. i, col. 937-
938. Il faut donc chercher ailleurs; et sans les témoi-
gnages concordants d'Albert le Grand et de saint Thomas
d'Aquin, qui ont connu et combattu l'enseignement de
David, nous en serions réduits aux conjectures. Mais,
grâce à cette double source que rien ne peut faire
suspecter, nous savons un peu à quoi nous en tenir :
David de Dinan a professé un panthéisme matérialiste.
3» Son ouvrage, De tomis, id est de divisionibus. —
Cet ouvrage, dont parle Albert le Grand, Sum. theoL,
part. I, tr. IV, q. xx, m. ii, rappelle par son titre le
Ilept 9'j(j£t«>; [leptijioû de Jean Scot Érigène. Partant de
ce principe que, dans l'ensemble des choses, chaque
genre contient la matière des espèces qui lui sont
subordonnées, il concluait que le genre suprême, le
plus universel des genres, c'est-à-dire l'être, contient la
matière de tout ce qui est, celle des corps, celle des
âmes et celle des substances séparées; triple matière,
distincte pour nous, mais qui se réduit à l'unité au sein
de l'être, qui constitue l'êlre et est l'être même, c'est-
à-dire Dieu. Dieu, c'est donc la matière de tous les
êtres. Pour partir de ce principe et arriver à cette
conclusion, David usait de raisonnements subtils et
pleins d'équivoques, dont voici un échantillon tel qu'il
est reproduit textuellement par Albert le Grand, loc. cit.
«( L'intelligence conçoit à la fois Dieu et la matière. Or,
l'intelligence ne comprend une chose qu'à la condition
de s'assimiler à elle. II faut donc qu'elle s'assimile à
Dieu, à la matière. Mais s'agit-il ici d'une identification
complète ou d'une simple assimilation? Il ne saurait
s'agir d'une pure assimilation, car une telle assimilation
n'a lieu qu'au moyen d'une forme abstraite de l'objet
intelligible, et ni la matière, ni Dieu, n'ont de forme.
Si donc l'intelligence les conçoit, c'est parce qu'elle
leur est identique. Donc l'intelligence, la matière et
Dieu sont une même chose. » On pourrait encore citer
d'autres arguments semblables, reproduits textuelle-
ment par Albert le Grand; mais celui-ci suffit pour
donner une idée du procédé dialecticien de David. Sa
conclusion, toujours la même, c'est qu'il n'y a qu'une
substance unique, qui est à la fois matière, intelli-
gence et Dieu.
Tel est le système de David de Dinan. Saint Thomas,
qui le caractérise d'un mot assez dur, en le traitant
d'insensé, va nous aider à le préciser. Ayant, en effet,
à traiter la question de savoir si Dieu entre dans la
composition des autres êtres, Sum. theol., I*, q. m,
a. 8, il observe qu'il y a trois erreurs sur ce point. Les
uns, dit-il, ont avancé, comme on le voit dans saint Au-
gustin, De dv, Dei, 1. VII, c. vi, P. L.,t. xu, col. 199,
que Dieu est Vdme du monde (Zenon, par exemple, et
Varron directement visé par l'évéque d'Hippone et, au
xiP siècle, Pierre Abélard, qui disait que l'Esprit-Saint
est l'âme du monde, Denzinger, Enchindion, n. 312) ;
les autres, comme Amaury de Chartres et ses disciples,
ont affirmé que Dieu est le principe formel de toute
chose; d'autres enfin, parmi lesquels David de Dinan,
ont follement prétendu que Dieu ne diffère pas de la
matière première : triple opinion, manifestement fausse,
car Dieu ne peut entrer dans la composition d'aucune
créature, ni comme principe formel, ni comme prin-
cipe matériel. Et c'est ce que prouve le docteur angé-
lique. Ailleurs, il s'était exprimé ainsi : « L'erreur de
quelques anciens philosophes fut d'admettre une es-
sence commune à Dieu et à toutes les choses. Ils sup-
posaient, en effet, que toutes les choses sont un seul
être et ne diffèrent, comme l'a dit Parménide, que par
de simples apparences, au jugement de nos sens. Cette
opinion des anciens philosophes a été suivie par quel-
ques modernes, au nombre desquels on peut ranger
David de Dinan. En effet, celui-ci partageait les choses
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159
DAVID DE DINAN — DEBONNAIRE
1(
en trois catégories, les corps, les âmes, les substances
séparées. Il appelait Yle (vXv]) le premier indivisible qui
est le fondement des corps, et Noym (vovc) ou esprit
le premier indivisible qui est le fondement des âmes;
quant au premier indivisible parmi les substances
éternelles, il l'appelait Dieu ; et il disait que ces trois
choses sont une seule et même chose, et, par suite,
que toutes choses sont par essence un. » In IV Sent.,
1. II, dist. XVII, q. I, a. 1; Cont. gent., 1. I, c. xvii.
40 Panthéisme matérialiste : ses fâcheuses consé-
quences. — Ainsi donc David de Dinan a professé le
panthéisme comme certains philosophes grecs et comme
Amaury de Chartres, mais avec cette différence carac-
téristique qu'au lieu de faire de Dieu, comme eux, soit
rame du monde, soit le principe formel des êtres, il en
a fait le principe matériel. Or, de quelque manière
qu'on professe le panthéisme, les conséquences ne
peuvent être que désastreuses au point de vue de la foi
et des mœurs. Il n'est donc pas étonnant dès lors que
David de Dinan ait été condamné par l'Église, au même
titre qu'Amaury de Chartres. Les conséquences désas-
treuses tirées pratiquement de l'enseignement d'Amaury
par ses disciples, nous les connaissons : elles n'allaient
à rien moins qu'a r-uiner de fond en comble la foi, la
religion chrétienne, son culte, sa morale. Us préten-
daient, en effet, que l'histoire du monde se partage en
trois périodes successives, gouvernées chacune par
l'une des trois personnes de la Trinité, à l'exclusion des
deux autres. La première, le Père, s'était incarnée
dans la personne d'Abraham, et régna par la loi écrite
et le rituel mosaïque jusqu'au moment où le Fils, s'in-
carnant dans la personne de Jésus, substitua l'Évan-
gile, l'Église et les sacrements à la loi, à la synagogue et
aux rites juifs. Mais, à son tour, le règne du Christ
touchait à sa lin et devait faire place définitivement à
l'économie nouvelle, celle du Saint-Esprit. Car désor-
mais, pensaient-ils, c'est le Saint-Esprit qui s'incarne,
non plus dans une personne isolée, mais en chacun de
nous, et par là même nous libère vis-à-vis de l'Évangile,
de l'Église, de son symbole, de ses commandements,
de ses sacrements et de ses rites liturgiques. C'était, on
le voit, sous couleur religieuse, secouer tout joug, pro-
clamer l'indépendance et l'autonomie individuelle et, à
vrai dire, supprimer non seulement le catholicisme,
mais encore toute religion.
D'aussi funestes conséquences découlaient logique-
ment du système panthéistique de David de Dinan avec
une note matérialiste plus accentuée encore. Que David
les ait tirées lui-même dans ses écrits ou dans ses
paroles, c'est ce qu'aucun renseignement contemporain
n'autorise à penser. Mais elles étaient faciles à tirer, et
il suffisait que ses principes les continssent pour que
sa doctrine fût réprouvée et condamnée. On s'explique
par là que ses Qtiafernu/i, notamment, aient été inter-
dits : ils renfermaient en particulier l'hérésie du pan-
théisme matérialiste.
50 Source de ses erreurs. — Où donc David avait-il
pu puiser un tel enseignement? La question, intéres-
sante au point de vue de l'origine et de la filiation de
son panthéisme, est assez difficile à résoudre d'une
manière précise, et elle a exercé la sagacité investiga-
trice desérudits. La simple juxtaposition de son nom à
côté de celui d'Amaury et d'Aristote pourrait laisser
croire à un rapport d'elîfet à cause; il n'en est rien, car,
ainsi que nous venons de le voir, la pensée de David
n'est à identifier ni avec celle des philosophes pan-
théistes de l'antiquité grecque ou latine, ni avec celle
d'Amaury de Chartres. On soupçonne bien ses attaches
intellectuelles soit, par Amaury, avec Jean Scot Érigène,
soit avec quelques œuvres d'Aristote connues alors par
des traductions arabes, notamment avec celle d'un cer-
tain Alexandre, ainsi que l'a cru Jourdain, Mémoires
de V Académie des inscript, et belles-lettres, Paris, 1870,
t. XXVI, p. 467-498, soit, comme le pense Hauréa
ibid., 1879, t. xxix, p. 319-330, et Histoin de la phi
Sophie scolastique, Paris, 1880, II* partie, t. i, p. I
avec le De unitate et le De processione mundi,
l'archidiacre de Ségovie, Dominique Gundisalvi, (
serait l'auteur du livre faussement attribué à Alexand
soit enfin avec le Fons vitœ d'Avicebron, comme
croit de Wulf, Histoire de la philosophie médiévt
Paris, 1900, p. 225. Mais quoi qu'il en soit de la réa
de ces attaches, et quelles que soient les influer
qu'il a subies et les sources où il a puisé, il n'en r
pas moins qu'il ne s'est pas laissé asservir, qu'
voulu penser par lui-même et philosopher pour
propre compte. Et il se trouve que sa philosophie
un rationalisme intempérant et un assaut livré à l
catholique. Par là, beaucoup plus encore que par
panthéisme matérialiste, il a droit à être rangé p;
les ancêtres des libres-penseurs des âges suivants
Albert le Grand, Sum. theol., part. 1, tr. IV, q. xx, 1
S. Thomas, Jn IV Sent., 1. II, dist. XVII, q. i, a. l;Cont.(
1. 1, c. xvri ; Sum. theol., I', q. ni, a. 8 ; Guillaume Le Bret
gestis Philippi Augusti, dans Rerum Gallic.8criptore8,l.
p. 82-83 ; Chronicon Laudunensis canonici, ibid., t.
p. 715; Martin de Pologne, Chronicon, Anvers, 1574; G
d'Heisterbach, lUustr. mirac. et historia memorabilii
c. XXII ; Triveth, Chronicon, dans le Spicilegium de d'A
Paris, 1723, t. m; Prateolus, Elenchus hmres., Cologne,
Du Boulay, Hist. univers, parisiensis, Paris, 1666,
p. 678; Tbomasius, Origines historiée philosophicx et
siasticm, Halle, 1699; Duplessis d'Argentré, CoUectio ja
noviê erroribua, Paris, 1728, t. i, p. 132 sq.; Brucke
critic. philosophiae, Leipzig, 1766, t. m, p. 692-695; Kr
Dj genuina Amalrici a Bona ac Davidis de Dinan
clrina, Giessen, 1842; Amalrich von Bena\und Da
Dînant, dans Theologische Studien, 1847 ; Migne, B
hérésies, t. i, p. 643-644; Morin, Diction, phil. théol. t
1856, t. i, p. 758-766 ; Franck, Dictionnaire des sciena
sophiques, Paris, 1885; Nouvelle biographie uni
Paris, 1855; Hefele, Histoire des conciles, trad. franc
1872, t. vm, p. 99 sq. ; Kirchenlexikon, t. m, col. 14
Jourdain, Mémoire sur les sources philosophiques des
d'Amaury de Chartres et de David de Dinan, dans
moires de l'Institut impérial de France, Académie
scriptionset belles-lettres, Paris, 1870, t. xxii, p. 467-i
réau, Sur la vraie source des erreurs attribuées à Da
Paris, 1879, t. xxix, p. 319-330; Histoire de la ph
scolastique, Paris, 1880, II* partie, 1. 1, p. 73-82; Jundt
du panthéisme populaire au moyen âge, Paris, 18"
Ueber Amalrich von Bena und David von Dinant, e\
zur Geschichte der religiôsen Bewegungen in Fran
Beginn des iS Jahrh., Villach, 1882; Denifle, Char
univ. Parisiensis, Paris, 1889, t. i, p. 7(K74, 79; Re
pàdie, t. m, p. 505-506; De Wulf, Histoire de la p
médiévale, Louvain, Paris, 1900, p. 224-225 ; Chevali
toire. Bio-bibliographie, 2* édit., t. 1, col. 1156-1157.
G. Barei
DEBONNAIRE, DE BONNAIRE Louis, pi
logien, né à Ramerupt-sur-Aube, mort à Paris
1752. Il appartint pendant quelques années à
gation de l'Oratoire. Janséniste ardent, il î
cependant contre les convulsionnaires. Il publ
breux écrits dont beaucoup sont anonymes :
tion de Jésus-Christ, traduction nouvelle a\
flexions et des prières, in-12 et in-18, Paris
1719, ouvrage qui eut plusieurs éditions ; Pi
la morale des jésuites et de celle des pa\
Troyes, 1726 ; Examens cnlique, physique e
que des convulsions et des caractères d\
croit voir dans les accidents des convul
3 parties in-4«, 1733; Les semaines évang
contiennent des réflexions morales pour d
2 in-8«, Paris, 1735; Traité historique et
la fin du monde, de la venue d*Élie- et du
Juifs, 3 in-12, Amsterdam, 1737-1738, ouvpî
aussi à Tabbé Mignot; Les leçons cte la saç
défauts des hommes, 3 in-12, La Haye, 1737-
ticon ou la défense prétendue du sentirrien
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d6i
DEBONNAIRE — DÉCALOGUE
162
Pères fiepoussée, in-12, Rotterdam, 1740; Essai du nou-
veau conte de ma mère VOie, ou les enluminures du
jeu de la Constitution, in-8°, 1743; La religion chré-
tienne méditée dans le véritable esprit de ses maximes,
6 in-12, Paris, 1745 et 1784, en collaboration avec le
P. Jard, doctrinaire ; La règle des devoirs que la na^
ture inspire à tous les hommes, 4 in-12, Paris, 1758;
Lesprit des lois quintessencié, 2 in-12. On lui attribue
les notes qui furent ajoutées à l'ouvrage de Tabbé Fleury :
Discours sur la liberté de l Église gallicane, ainsi que
celles qui accompagnent Tédilion de 1735 du livre d*Ar-
nauld : Remarques sur les principales erreurs du livre
intitulé : De r ancienne nouveauté de VÉcnture sainte.
Louis Débonnaire passp en outre pour être l'auteur des
écrits suivants : Chanson sur Vair des Pendus à ren-
contre des Gensinistres; Lettre à Nicole sur son prin.
cipe de la plus grande autorité visible, 1726; Obser-
vations apologétiques de Vauteurdes Examens (1733);
Lettres sceptiques; Réponse de V auteur des Trois
Examens, 1734; Vespnt en convulsions; Lettre de
fauteur des Trois Examens aux évêques de Senez et
de Montpellier; Réponse raisonnée aux réflexions
judicieuses de Delan; Jugement sommaire de la lettre
de Vévêque de Senez; Trois réponses détaillées de
Vauteur des Trois Examens à la lettre de M. de Senez.
Quénrd, La France littéraire, in-8*, Paris, 1828, t. ii,
p. «2; Xouvelles ecclésiastiques, 1733, p. 186; 1734, p. 9,
177; 1736. p. 80, il8; 1736, p. 12, 130, 134, 160 ; 1737, p. 19, 179;
1788, p. 13, 55; 1739, p. 102; Barbier, Dictionnaire des ano-
nymes, 4 iii-8*, 1872-1879; Michaud, Biographie universelle,
U X, p. 239-240; logold. Supplément à CEssai de bibliographie
oratorienne; Groaley, Troyens illustres. •
B. Heirtebize.
^ DEBOR8-DE8DOIRE8 olivier (1650-1701), orato-
rîen français, publia un opuscule intitulé : De la meil-
leure manière de prêcher, in-i2, Paris, 1700, et le
i« volume de La science du salut renfermée dans ces
paroles : Il g a peu d'élus, ou traité dogmatique sur
le nombre des élus, in-12, Rouen, 1701; le t. ii est resté
manuscrit.
BaUer^, Mémoires domestiques, t. m, p. 383-384.
A. Ingold.
DEBRECINU8 Jean, théologien hongrois du xyii* siè-
cle, a publié : 1« Exercilationes scholasticœ de scientia
Dei, in-12, Franeker, 1658; 2» Joannis Tfuiddm con-
ciliatorium publicum, in-12, Ulrecht, 1658.
Hœfer, Nouvelle biographie générale, t. xni, col. 292.
E. Mangenot.
DÉCALOGUE. Le nom singulier, 6 ou i^ SexàXoroc,
usité dans la langue ecclésiastique pour désigner les
dix commandements moraux, révélés par Dieu à Moïse,
ne se rencontre pas dans la Bible. Il a cependant son
fondement dans le Pentateuque, qui appelle ces dix
préceptes r'-::^n r-'try, c les dix paroles » de Jéhovah,
Exod., xxxrv, 28; Deut., iv, 13; x, 4, dans les Septante,
oZ Una, Uyoi ou ?à lé%a pr.iiata. — I. Révélation divine.
IL Classification et nature des préceptes. IIL Obliga-
tion morale. IV. Place assignée dans l'instruction mo-
rale des catéchumènes et des fidèles. V. Différences
entre le décalogue mosaïque ou chrétien et les codes
moraux non chrétiens.
I. Réyélation divine. — 1» Circonstances de cette
révélation. — Dieu lui-même a promulgué ces pré-
ceptes du haut du Sinaî, en présence de tout Israël.
Exod., XX, 1-17. Il le fit à haute voix, du milieu du feu
et de la nuée, sans ajouter d'autres paroles en ce jour
solennel, comme Moïse le rappelait plus tard aux
Israélites. Dent., v, 22. Dieu les écrivit ensuite sur
deux tables de pierre, qu'il remit à Moïse, durant son
séjoor de 40 jours et de 40 nuits sur la montagne.
Exod., XXIV, 12 ; xxxi, 18. Ces tables sont dites en ce
dernier passage c les tables du témoignage j», parce
qu'elles attestaient la volonté formelle de Dieu. Moïse
DICT. DE THÉOL. Ci^THOL.
les rapportait dans sa main, écrites des deux côtés;
quand il vit les Israélites qui adoraient le veau d'or, il
les brisa au pied de la montagne. Exod., xxxii, 15, 16,
19. Lorsque Dieu, sur la prière de Moïse, consentit à
renouveler l'alliance violée, il ordonna à Moïse de
prendre deux tables, semblables aux premières, pour y
écrire les dix paroles de l'alliance. Moïse les écrivit et
les rapporta en descendant de la montagne. Exod.,
xxxiv, 1, 27-29. Elles étaient destinées à être placées
dans l'arche. Exod., xxv, 16, 21. Cf. III Reg., viii, 9.
Plus tard, Moïse rappelait tous ces faits aux Israélites.
Deut., IV, 13; v,22; ix,8-17; x, 1-5. Ces dix prescriptions
morales expriment les volontés divines sous forme de
discours direct de Dieu à Israël. Toutes, sauf la dixième,
sont renouvelées à l'état isolé en divers endroits de la
législation mosaïque. Elles ne constituent pas cependant
un choix de préceptes divins, elles forment plutôt un
tout organique, comprenant des ordonnances positives
ou des prohibitions, dont quelques-unes sont accompa-
gnées de leurs motifs ou de leur sanction. On ignore de
quelle manière les dix paroles étaient disposées sur les
deux tables. Philon admettait cinq préceptes sur chaque
table, et beaucoup de critiques modernes adoptent cette
disposition, qui correspond, selon eux, à pieias et à
probitas. R. Hanina ben Gamaliel acceptait la disposi-
tion des préceptes sur les deux tables dans le même
sens que Philon. Mais d'autres rabbins prétendaient
qu'ils étaient en entier sur chaque table. R. Simon ben
Yohaï disait même qu'ils se trouvaient deux fois sur
chaque pierre, et R. Simaï pensait qu'ils étaient inscrits
quatre fois, formant un total de 40 textes. Talmud de
Jérusalem, traité Scheqalim,\iy 1, trad. Schwab, Paris,
1882, t. v, p. 302. Saint Augustin a distingué trois pré-
ceptes relatifs à Dieu et sept relatifs aux hommes.
2« Théories des antiques modernes. — 1. Sur la
forme pHmitive du décalogue. — Comme le texte du
décalogue nous est parvenu au moins en deux recen-
sions, qui sont d'accord pour l'ensemble et qui se
trouvent, l'une dans l'écrit élohiste E, Exod., xx, 1-17,
l'autre dans le deutéronomisle D, Deut., v, 6-18, on
s'est demandé laquelle des deux était la plus originale
et quelle pouvait bien avoir été la forme primitive du
décalogue. Les principales divergences des deux recen-
sions portent sur l'observance du sabbat et l'interdic-
tion des mauvais désirs. Le motif d'observer le sabbat
est fort différent : dans le Deutéronome, c'est un motif
d'humanité, pour que le serviteur et la servante se
reposent ce jour-là comme leur maître, au souvenir de
la délivrance de la servitude d'Egypte, tandis que, dans
l'élohiste, le motif allégué est la création du monde en
six jours, suivie du repos divin. La disposition de la
prohibition de la convoitise diffère ainsi : dans E, la
femme fait partie de la maison ; dans D, elle en est
distincte. On a remarqué, en outre, que le décalogue
élohiste avait des expressions caractéristiques du Deu-
téronome, et on en a oonclu ou bien qu'il avait été
retouché par un écrivain deutéronomisle, qui revisait
£, ou par un reviseur de JE, qui lui aurait donné sa
place actuelle en tête du livre de l'alliance. Par suite,
on le tient généralement comme plus pur et plus
ancien que le décalogue deutéronomiste.
Mais est-il le décalogue primitif? Suivant une hypo-
thèse, émise par Ewald, le décalogue, à l'état originel,
ne contenait que des préceptes divins, sans les motifs
de les observer. Cette forme aurait été conservée dans
les 1",6«, 7« et 8« commandements. Il faudrait donc ra-
moner le 2« à ces mots : « Tu ne dois faire aucune
image sculptée, » le 4«: « Souviens-toi du jour du sabbat
que tu dois sanctifier, » le 5« : « Honore ton père et ta
mère, » etc. Wellhausen, Die Composition des Hexa-
teuchs, Berlin, 1889, p. 327-333, a cru retrouver dans
le document jéhoviste J une première forme du déca-
logue. Exod., xxxiv, li-26. Selon lui, le récit précédent
IV. - 6
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163
DÉCALOGUE
1-10, est parallèle à celui du c. xix, et raconte la pre-
mière alliance conclue entre Dieu et Israël. C'est un
rédacteur postérieur, celui de JE, qui a retouché le
récit primitif, pour lui faire exprimer une réitération
de l'alliance et une restitution des tables de la loi, bri-
sées par Moïse. Le décalogue primitif est maintenant
enfermé dans une édition augmentée. Réduit à douze
ou à dix préceptes, il est surtout cultuel et ordonne la
célébration des fêles. Kuenen a refusé de reconnaître
ce décalogue, arbitrairement extrait d'un morceau
législatif retouché et mêlé d'ordonnances du décalogue
élohiste. D'autres critiques ont adopté les vues de
Wellhausen, en les modifiant un peu. Le décalogue
jéhoviste serait plus ancien que l'élohiste; il serait
un compendium du culte et de la morale, pratiqués
par Israël déjà établi au pays de Chanaan (Smend
et Stade); il correspond à la réaction qui s'est pro-
duite au temps d'Klie contre la religion chananéenne
(Baentsch). Cependant M. Wildeboer, Die Lileraluv
des A. T., 2« édit., Gœtlingue, 1905, p. 87-88, croit que
ce décalogue rituel a été fait sur le modèle du déca-
logue moral. Puisque le décalogue moral est rapporté
à £2, Slaerk et Meisner ont recherché quel pouvait
être le décalogue de E'. Le premier l'a retrouvé dans
Exod., xxii, 27, 28; xxiii, 14-16, 10-12, et le second
dans Exod., xxiir, 14-19. Ce sont là des fantaisies de
critiques à la recherche d'opinions nouvelles.
2. Sur Vovigine du décalogue moral. — H. L. Slrack,
Einleitung in das A. T., 6« édit., Munich, 1906, p. 6i,
tient ce décalogue pour le plus ancien et n'admet pas
qu'il ait été remanié d'après le texte du Deutéronome.
Son antiquité ressort de l'âge du contexte dont il fait
partie. G. Wildeboer, op. cit., p. 17, est du môme
avis; il admet toutefois des retouches postérieures du
texte primitif. Il explique les différences des deux re-
censions de l'Exode et du Deutéronome par deux
transcriptions diverses de la tradition orale, les tables
primitives étant perdues. Ces critiques admettent donc
l'origine mosaïque du décalogue, ainsi que Franz De-
litzsch, Dillmann, Lemme, Konig, Kittel et Driver. En
1869, Nôldeke la tenait encore comme très probable.
D'autres critiques, Kuenen, Wellhausen, Stade, Cornill,
Smend, H. Schulz, Holzinger, Baentsch, etc., pensent
que le décalogue moral rellète les idées et l'esprit des
prophètes du vu* siècle. Les plus anciennes paroles
qui, selon la tradition, résumaient l'alliance de Dieu
avec les Israélites, concernaient exclusivement les
observances cultuelles et les fêtes. Dans le décalogue
moral, le culte est consciemment restreint à la seule
observation du sabbat, qui n'a pu être établie qu'après
rinstallation définitive d'Israël au pays de Chanaan.
La défense absolue d*adorer les idoles n'a pu être por-
tée qu'au cours du vii« siècle, puisque Jéhovah était
honoré dans le royaume du nord sous l'image d'un
veau. Ce sont les prophètes du vu* siècle qui, les pre-
miers, ont prêché la religion morale, en la rattachant
à la volonté divine. Dans des cercles dévoués à Jého-
vah, on a donc réduit le culte moral à dix prescrip-
tions de Dieu, conformément à l'ancienne morale de
la tribu qu'on rattachait à Moïse et qui peut-être avait
déjà été exprimée dans des formules brèves, dévelop-
pées dans un sens nouveau. Holzinger considère la
rédaction du décalogue moral comme une tentative de
réformer la religion populaire pour la rendre conci-
liable avec la théologie des prophètes. Exodus, Tu-
bingue, 1900, p. 78.
Il suffira de remarquer que ces théories des critiques
reposent sur une reconstruction a pt^ri de l'ancienne
religion d'Israël. C'est une pure supposition que le
sabbat n'a pu être établi et observé que par une popu-
lation sédentaire et que la prohibition d'adorer les
idoles date du viP siècle, comme si le culte des veaux
d'or à Béthel n'avait pas toujours été regardé comme
idolâtre et schismalique. Quajnt aux divergence
détails entre les deux recensions mosaïques du d
logue, elles proviennent de deux causes, ou des fa
de transcription des copistes, ou des modifical
introduites par Moïsa lui-même dans son discour
Deutéronome. Cf. F. de Hummelauer, Exodus ei
t'i<ïci(»,Paris, 1897, p. 196-197; Deuteronomhim,V
1901, p. 230. Rien ne s'oppose donc au mainlie
l'origine mosaïque du décalogue et de sa révél
divine au Sinaï par le ministère de Moïse.
Lemme, Die religiotisgeschichlUche Bedeutwig des
loge, Breslau, 1880; Baentsch, Das Bundesbuch, Halle,
p. 92 sq. ; Id., Exodus, Levilicus, Numeri, Gœttingue,
p. LU-LV, 178-179; Smend, Lehrbuch der altteataynein
Jieligionsgeschichte, Fiibourg-en-Briegau, 1899, p. 2i
H. Holzinger, Einleitung in den HextUeuch, Fribo
Brisgau et Leipzig, 1893, p. 217-219; Meisner, Der D(
Eine kritische Studie. l. Der Dekalog im HexateucU
1893; Driver, Einleitung in die Literatur des alten
ments, trad. Rothstein, Berlin, 1896, p. 33-36; Ed. Kcin
Erklarung und Geschichte des Delcalogs, dans Ne\
chliche Zeitschrift, t. xii, p. 363-389; B. Stade, B\
Théologie des A. T., Tubingue. 1905, l. i, p. 36, 37, fl
199, 248-250; L. Gautier, Introduction à V Ancien Tesi
Lausanne, 1906, t. i, p. 144-148; E. Mangenot, Lmith
mosaïque du Pentateuque, Paris, 1907, p. 68-69; ReaU
pàdie, 3' édit., 1898, t. lu, p. 559-564. où on trouvera
une bibliographie allemande plus complète.
Sur le papyrus Nash du ir siècle de notre ère, qui i
un texte hébreu du décalogue, antérieur au texte mas!
et différent de ce texte aussi bien que de celui des LX!<
Revue biblique, avril 1904, p. 242-250, et N. Peters, D\
Abschrift der zehn Gebote, der Papyrus Nash, Fril
.Brisgau, 1905.
E. Mancen*
II. Classification et nature des prkcei
DÉCALOGUE. — /. CLASSIFlCATloy. — 1° Receil,
trois princifiales classifications.
CLASSIKICATION
DU TALMUD
1. Domaine spécial
de Jéhovah sur le
peuple israéiite.
Exod., XX, 2.
2. Ck)mmandement
d'adorer Jéhovah
le seul vrai Dieu
et de s'abstenir de
tout culte des ido-
les, 3-6.
3. Défense de pren-
dre le nom du Sei-
gneur en vain, 7.
4. Observation du
sabbat, 8-11.
5. Respect dû aux
parents, 12.
6. Interdiction du
meurtre, 13.
7. Interdiction de
Tadultère, 14.
8. Interdiction du
vol. 15.
9. Interdiction du
faux témoignage,
16.
10. Interdiction de
désirer les biens
du prochain, 17.
CLASSIFICATION
DE PHILON
CLASSIF
AUtiUST
1. Adoration du seul 1. Adorât
vrai Dieu. Excd., vrai Dl
XX, 3.
2. Interdiction du 2. Défens
culte des idoles, dre ei
4-6. nom di
3. Défense de pren-
dre le nom du Sei-
gneur en vain, 7.
4. Observation du
sabbat.
5 Respect dû aux
parents.
6. Interdiction de
l'adultère ou du
meurtre.
7. Interdiction
meurtre ou
l'adultère.
8. Interdiction
vol.
9. Interdiction
du
de
du
du
faux témoignage.
10. Interdiction de
désirer la femme
et les biens du
prochain.
3. Obse
sabbal
4. Resp
paren
5. Inte
meuri
6. Inte
ladul
7. Inl<
vol.
8. Int
faux
9. Déf
rer
proc
10. D^
sire
pro<
2« Examen critique. -- 1. Au point de v
— a) On ne peut considérer Exod., xx, \
Dominus Deus luus qui eduxi te de ierrct
domo servilutis, comme un précepte di
une simple affirmation préliminaire de
législateur, Tautorité toute spéciale de Jéhi
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165
DÉCALOGUE
166
peuple qu'il a lai-méme délivré de TÉgypte. — b) On
ne peut distinguer deux préceptes dans Exod., xx, 3-6.
L'interdiction du culte des idoles n*est que l'aspect né-
gatif du précepte d'adorer le seul vrai Dieu. Ce ne
peut donc être un commandement spécial. — c) Le dé-
doublement du précepte interdisant la convoitise n'est
expressément indiqué ni par Exod., xx, 17, ni par
Deut., V, 21. Saint Augustin appuyait l'affirmation d'un
double précepte dans Exod., xx, 17, sur la version des
Septante où uxoreni proximi lui est mentionné en
premier lieu et d'une manière distincte. Quœsliones in
Ueptateuchum, 1. II, c. lxxi, P. L., t. xxxiv, col. 621.
Mais rien n'autorise à considérer la leçon des Septante
comme vraie. Le texte du Deutéronome, il est vrai, met
en relief non concupisces uxorern proximi tui, mais
sans rindiquer expressément comme précepte distinct.
Mais si l'on compare ces deux textes avec les deux pré-
ceptes distincts condamnant l'adultère et le vol, Exod.,
XX, 14, 15, on est en droit de conclure que Tinterdiction
du désir, comme celle de l'acte lui-même, procède d'un
double précepte; car il y a identification morale entre
le désir et l'acte.
2. La tradition juive ne parait fournir aucun témoi-
gnage décisif. Tandis que le targum du pseudo-Jona-
than sur le Pentateuque et le Talmud de Jérusalem,
traité des Berakholh, i, n. 8, trad. Schwab, Paris, 1871,
t. I, p. 18-19, donnent la première classification en ré-
duisant le lO précepte à la seule convoitise de la maison
du prochain, sans aucune mention de la femme du
prochain, Philon, Quis sit reruni divinarum hœres,
édil. Mangey, p. 496-497; De decalogo, p. 188-189,
soutenu par Joséphe, Ant. jud., 1. III, c. iv, Genève,
1634, p. 78 sq., défend la deuxième classification et la
Massore soutient la troisième classification.
3. La tradition chrétienne comprend deux périodes :
avant et après saint Augustin. — a) Dans la période
antérieure à saint Augustin, l'enseignement du déca-
logue n'occupant pas de place spéciale dans l'instruc-
tion des catéchumènes ou des fidèles, l'on ne rencontre
que de rares allusions à une classification complète des
dix préceptes; et les quelques essais que l'on rencontre
s'inspirent surtout de Philon. Théophile d'Antioche men-
tionne cinq des commandements concernant les devoirs
envers le prochain ; le précepte interdisant la convoitise
est unique comme chez Philon. Ad Autolycum, 1. II,
n. S, P, G., t. VI, col. 1108. Tertullien s'exprime de
même, Adver sus Marcioneni, 1. II, c. xvii; Adversus
Judmos, c. II, P. L., t. II, col. 3(fâ, 599. Clément d'Alexan-
drie paraît suivre entièrement Philon, Strom., VI,
c. XVI, P, G,, t. IX, col. 361 sq.,ce qui lui est d'ailleurs
habituel sur beaucoup de points. Origènè se borne à
indiquer et à commenter brièvement le premier com-
mandement, non ei*unt tibi alii dit prœter me, et le
second, non faciès tibi idolum neque ullam similitu-
dinem, en donnant pour unique raison de cette distinc
tîon que l'on ne peut autrement maintenir la vérité du
décalogue ou Texistence des dix commandements :
Hsecomnia siniul nonnulli putant esse unum manda-
tum, Quod si ita ptUetur, non complebitur decem nu-
merus mandalot^m. Et ubi jam erit decalogi veHtasf
In Exod,, homil. viii, n. 2, P. G., t. xii, col. 351.
Saint Grégoire de Nazianze, dans son poème théologi-
que sur le décalogue, mentionne les dix préceptes selon
TordredePhilon, P. G.,t. xxxvii,col.476sq. SaintCyrille
d'Alexandrie met cette computation sur les lèvres de
Julien l'Apostat. Cont, Julian., 1. V, P. G., t. lxxvi,
col. 733. La même énumération se rencontre chez l'au-
teur de la Synopsis Scriptursa sacrx, rangée parmi
lesceuvres de saint Athanase, jp. G., t. xxviii, col. 297,
dans les commentaires sur les Épitres de saint Paul
de TAmbrosiaster, à la suite des œuvres de saint Am-
broise, In Eph,, vi, 2, P, L., t. xvn, col. 399, et par-
tiellement du moins chez Cassien, Collât,, 1. VIII,
c. xxiii, P, L,, t. XLix, col. 764. Saint Jérôme com-
mentent Osée, X, 10, P, L., t. XXV, col. 908, distingue,
en passant, le précepte de l'Exode, xx, 2, du suivant,
3-6. Le même saint docteur, expliquant Eph., vi, 2,
Honora patrem tuum et matrem tuam, quod est man-
datum in promissione, indique incidemment que ce
commandement est le cinquième du décalogue, les
deux premiers étant : non enmt tibi dii alii prœter me
et non fades tibi idolum, Comment, in Epist. ad
Eph., 1. m, c. VI, P. L., t. xxvi, col. 537; ce qui cor-
respond à la classification de Philon. Voir aussi
pseudo-Chrysostome, In Matth., homil. xxxiii, P. G.,
t. Lvi, col. 877.
Ainsi, en rc^sumé, les témoignages favorables à l'opi-
nion de Philon dans les quatre premiers siècles ne sont
guère que des allusions passagères, desquelles on ne
peut déduire un consentement patrislique suffisant
pour rendre notre adhésion obligatoire.
b) Saint Augustin donne toutes ses préférences à la
troisième classification assignant aux devoirs envers
Dieu les trois premiers commandements et aux devoirs
envers le prochain les sept autres. Saint Augustin
s'appuie principalement sur l'autorité de l'Écriture et
sur la haute convenance de la distinction de trois
commandements pour exprimer nos obligations envers
les trois personnes divines. Serm., ix, c. v; ccl, n. 3,
P. L., t. xxxviii, col. 79 sq., 1165 sq.; Quœsliones in
Heptateuchum, 1. II, c. lxxi, P. L., t. xxxiv, col. 620 sq.
Observons toutefois qu'Augustin varie habituellement
la formule de ces dix commandements, bien qu'il
suive toujours le même ordre dans leur énumération.
Paul Rentschka, Die Dekalogkatechese des heiligen
Augustinus, Kempten, 1905, p. 127 sq.
c) La classification soutenue par saint Augustin fut
presque unanimement admise après lui. Nous citerons
particulièrement : le pseudo-Jérôme, Breviarium in
Psalmcs, Ps. xxxii, 2, P. L., t. xxvi, col. 915; S. Isi-
dore de Séville, Quœstiones in Velus Testamentum,
In Exodum, c. xxix, P. L., t. lxxxiii, col. 301 sq.;
l'auteur du De psalmorum libro exegesis, P. L.,
t. xciii, col. 431 sq.; Alcuin, De decem verbis legis seu
brevis exposilio decalogi, P. L., t. c, col. 567 sq.;
Hugues de Saint-Victor, Institutiones in decalogum
legis dominicœ, c. m, P. L., t. clxxvi, col. 14 sq.;
Pierre Lombard, Sent., 1. III, dist. XXXVII, P. L.,
t. xcii, col. 831 sq.; Alexandre de Halès, Summa théo-
logie, part. III, q. xxix, m. i, a. 2 sq., Cologne, 1622,
t. m, p. 203 sq.; S. Thomas, Sum. theol., I« II», q. c,
a. 4 sq.; Opusc, m. De lege amoris et de decem prœ-
ceptis, dans Opéra omnia, Paris, 1884, t. xxvii, p. lii-
170; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. III, dist. XXXVII,
a. 2, Quaracchi, 1887, t. m, p. 821 sq.; Duns Scot,
In IV Sent., 1. III, dist. XXXVII, Venise, 1680, t. m,
p. 338 sq., et tous les commentateurs de Pierre Lombard
et de saint Thomas.
L'ordre du Talmud fut adopté au moyen âge par
Georges le Syncelle, Chronographia, édit. Dindorf,
Bonn, 1829, t. i, p. 246 sq., et par Cedrenus, Hist,
compendium, 1. I, P. G., t. cxxi, col. 164 sq. Celui de
Philon se retrouve chez Sulpice Sévère, Hist,, P. L.,
t. XX, col. 105, et chez Zonaras, Annal., I, 66, P. G.,
t. cxxxiv, col. 93. Le décalogue anglo-saxon du roi
Alfred (après 871) modifie l'ordre des commandements
à partir du 6« : 6, vol; 7, adultère; 9, biens du pro-
chain; 10, pas de dieux d'or et d'argent. J. Schilter,
Thésaurus anliquitalum teutonicainim, in-fol., Ulm,
1728, t. i, appendice, p. 76-77. Une poésie rythmée du
moyen âge, sur le décalogue, suit cet ordre : 3. hon-
neur à rendre aux parents; 4. amour du prochain;
5. meurtre; 6. adultère; 7. vol; 8. faux témoignage;
9. désir de la femme du prochain ; 10. désir des biens
du prochain. Ibid., p. 77-79.
Dans les catéchismes du xiii* siècle, la division
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DÉCALOGUE
augustinienne des dix préceptes fnt généralement
adoptée. Elle se trouve dans le Sfeeulum Ecclesite de
saint Edmond de Cantorbéry, c. xi, dans Bibliot?ieca
maxima Patrum, Lyon, 1677, t. xxv, p. 320, et dans
le DoctHnal de sapience, Troyes, 1745, p. 34-44.
Au xv« siècle, elle est suivie dans VABC des simples
gens de Gerson, dans le Liber Jesu Christi, si sou-
vent reproduit et dans le Manuale curatorum et dans
le Compost et Kalendriei' des bergiers ; la défense du
vol est au 6« rang et précède la prohibition de la luxure.
Cette dernière disposition se trouve aussi dans un déca-
logue provençal, édité par K. Bartsch, Denkmàler der
provenzalischer Litleratur, in-S», Stuttgart, 1856, p. 306.
Uaccord n'était pas universel au xvi« siècle, et les
réformateurs ont adopté des usages différents. Luther
et les luthériens, aussi bien que les catholiques, ont
suivi la division augustinienne; Calvin, les réformés,
les sociniens et les anglicans, comme les grecs-unis
modernes, celle de Philon. Les catéchismes catholiques
du XV» siècle et des siècles suivants reproduisent les
commandements de Dieu en bouts-rimés à peu près
semblables à ceux qui sont encore en usage parmi
nous. Dans le pénitenciel de Milan, dressé par saint
Charles Borromée et publié dans les Acta Ecclesiœ
Mediolanensis, part. IV, le 6« commandement du déca-
logue est relatif au vol, et le 7« à l'impureté. Ce péni-
tenciel est reproduit par Mu"" Schraitz, Die Bussbïicher
und die Bussdisciplin der Kivche, Mayence, 1883, t. i,
p. 809-832. Cf. F. de Hummelauer, Exodus et Leviti-
cxis, Paris, 1897, p. 197-198.
d) L'Église catholique, bien qu'elle n'ait rien défini
en cette matière, suit de fait la classification augusti-
nienne, comme l'indiquent tous les catéchismes
approuvés dans l'Église et spécialement le catéchisme
du concile de Trente, approuvé par l'Église pour
l'enseignement public des fidèles.
Conclusion. — La classification augustinienne, impli-
citement contenue dans les textes bibliques, non con-
tredite par l'ensemble de la tradition juive, à peu près
unanimement acceptée dans l'Église catholique depuis
l'époque de saint Augustin et tacitement approuvée
par l'autorité de l'Église dans l'enseignement universel
des fidèles et des pasteurs, doit être pratiquement
admise par tous les catholiques.
//. yATURE DES PRÉCEPTES DU DÉCALOGUE, — 1° Ces
préceptes sont en eux-mêmes naturels, à l'exception
du troisième précepte à la fois naturel et positif : pré-
cepte naturel dans son fondement en tant qu'il prescrit
de consacrer au service divin un temps dont la durée
et la fréquence restent indéterminées, S. Thomas,
Sum. theol, II* II», q. cxxii, a. 4, ad l"»; précepte
divin positif, mais cérémonial et limité à l'ancienne loi,
pour la détermination particulière du temps et du
mode à observer dans le service divin.
Au ii« siècle, saint Irénée parle des préceptes natu-
rels de la loi, déjà observés avant la loi par tous les
justes et qui n'ont pas été abrogés par Jésus-Christ,
mais simplement agrandis et pleinement réalisés; pré-
ceptes vraiment communs à l'une et l'autre alliance.
Cont. hœr., 1. IV, c. xiii, P. G,, t. vu, col. 1006 sq.,
1018. Selon Tertullien, les préceptes mosaïques, avant
d'être écrits sur des tables de pierre, étaient naturelle-
ment connus. Adversus Judœos, c. ii, P. L., t. ii,
col. 600. Saint Augustin affirme que la loi, avant d'être
inscrite sur les tables du Sinaï, était gravée dans les
cxBurs des hommes, bien que de fait on ne l'y eût
point lue. Enarratio in Ps. Lvii, n. 1, P. L., t. xxxvi,
col. 673 sq. Même enseignement au moins implicite
chez saint Ambroise, In Ps. Lxr, n. 33, P. L., t. xvi,
col. 1180, chez saint Léon le Grand, Serm., xvii, n. 1,
P. L., t. Liv, col. 180, et saint Grégoire le Grand, In
Ezech., l. II, homil. iv, n. 9, P. L., t. lxxvi, col. 979,
affirmant l'identité des préceptes moraux de l'ancienne
loi avec ceux de la nouvelle loi, idcniitë qui ne ]
avoir d'autre base que leur appartenance r. la loi n
relie.
Au XII* siècle, Hugues de Saint-Victor s'inspin
cette même doctrine, quand il conclut que les
préceptes de la seconde table sont une simple exp
tion de ces deux principes fondamentaux de h
naturelle : il faut faire le bien et éviter le mal. Dt
cramentis, l. II, part. XII, c. v, P. L, t. cl
col. 352. Cependant au siècle suivant, Alexa
de Halès est arrêté par cette apparente diffici
comment concilier le caractère naturel des préc
moraux de la loi mosaïque avec le fait de leur r^
tion? Sur quoi il décide que les principes génë
donnant naissance aux préceptes du décalogue, a
tiennent à la loi naturelle, tandis que leurs co
sions particulières constituent les préceptes mosai
Sunima theologiœ, part. III, q. xxix, m. i, Col
1622, t. III, p. 191 sq.
En réponse à cette même difficulté, saint II
établit que tous les préceptes moraux de l'ancier
appartiennent à la loi naturelle, mais de difTé
manières. Plusieurs sont en eux-mêmes imm
ment saisis par toute raison humaine et apparti(
absolument à la loi naturelle : tels sont les pn
d'honorer son père et sa mère, de ne point tuer
point voler. D'autres, exigeant une étude plus
tieuse, sont connus seulement par les homm*
truits dans les sciences morales ; ils appartiens
loi naturelle de telle sorte qu'il faut, pour les coi
être instruit par les savants; telles sont beauc
conclusions éloignées de la loi naturelle. Il ei
des préceptes pour la connaissance desquels la
humaine a besoin d'être aidée par l'enseig
divin, comme non fades tibi sculptibile neque
similitudinem ; non assumes nomen Dei tui
num, Sum. theol., I* II», q. c, a. 1 ; mais ils reî
eux-mêmes préceptes naturels. Suivant saint 13
ture, c'est de la loi naturelle que jaillit Tobliga
commandements du décalogue; la loi mosaïque
plement mis en lumière celte obligation obscu
le péché. /n IV Sent., 1. III, dist. XXX VII, a.
Quaracchi, 1887, t. m, p. 819 sq. Vers la même
Duns Scot émet l'idée que les commandemei
seconde table n'appartiennent point à la loi na
cause des dispenses divines dont ils sont parfoi
leur obligation, au lieu d'être strictement im[
la loi naturelle, a seulement une très grande
mité avec ses invariables et nécessaires prin
lVSent.,\. III, dist. XXXVII, Venise, 1680, t. m.
Les théologiens postérieurs au xiv« siècle
presque unanimement la doctrine et le langag
Thomas et de saint Bonaventure. Nous citer
cipalement Denys le chartreux. In IV Sen
dist. XXXVII, q. ii, Venise, 1584, t. m, p. 30
jetan, In /■«" ll'^, q. c, a. 8; Dominique Sol<
titia et jure, I. H, q. m, a. 1, Venise, 1589, i
Azpicuelta, Enchiridion sive manuale confei
etpsenitentium, c. xi, n. 2, Rome, 1590, p. 1
(tl613), In IV Sent., 1. IH, dist. XXXVIl,
nise, 1748, t. iv, p. 216 sq. ; Suarez (f 1617), J
\. II, c. XV, n. 16 sq.; Sylvius (tl649), In /««
a. 1, Anvers, 1714, t. ii, p. 586 sq. ; Gonet, J
tr. VI, disp. XII, a. 1, Anvers, 1744, t. m, j
théologiens de Salamanque, Cursus theoU^gi
tr. XXI, c. I, n. 14 ; Gotti, In /■" 77», tr. V, q. i
Venise, 1750, t. n, p. 242.
2» Ces préceptes, en eux-mêmes naturels,
fait révélés à l'humanité pécheresse qui
n'en eût point possédé une connai.ssance
plète et assez certaine pour en iaire la règl*
morale : Explicatio enim plenaria mande
calogi opportuna fuit secundum statum pe
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leo
DÉCALOGUE
170
ter ohscurationeni luminis rationis et propter obli-
qtuilioneni volunlatis. S. Bonaventure, In IV Sent.,
i. IV, dist. XXXVII, a. 1, q. m, Quaracchi, 1887, t. m,
p. 819 sq.
3» Cette divine manifestation des préceptes naturels
du décalogue, en confirmant simplement leur obliga-
tion eœ lege naturali, n'y ajoute, croyons-nous, aucune
nouvelle obligation ex divina lege positiva, l^a suppo-
sition d'une telle obligation n*a aucun fondement ni
dans les Pères ni dans les théologiens du moyen âge.
Elle est même nettement écartée par saint Thomas et
saint Bonaventure. Saint Thomas, parlant des préceptes
naturels pour la connaissance desquels la raison hu-
maine est aidée par renseignement divin, suppose que
cet enseignement, tout en les manifestant et en les
confirmant, ne modifie point leur nature. Sum. theol.,
I* II", q. c, a. 1. Saint Bonaventure dit très explicite-
ment que la révélation divine ne fait que mettre en
pleine lumière l'obligation imposée par la loi naturelle.
Loc. cU. Tel est aussi le plus souvent le langage formel
des théologiens précédemment cités. Ceux qui s'ex-
priment différemment comme les Salmanticenses,
Cui*si4S theologiœ moralis, tr. XXI, c. i, n. 13, doivent
s'entendre uniquement d'une divine confirmation du
précepte naturel prononcée au Sinaï et de nouveau
répétée par Jésus-Christ. Matth., xix, 17 sq.; Marc, x,
19 sq. ; Luc, xvni, 20 sq. ; Joa., xiv, 15.
4» En affirmant que les préceptes même naturels du
décalogue ont été agrandis et perfectionnés par la loi
nouvelle, plusieurs Pères des premiers siècles ont sim-
plement signifié que Jésus-Christ par son enseigne-
ment a réproavé les étroites interprétations juives qui
défiguraient les préceptes du décalogue et que, par sa
grâce on par une plus abondante diffusion de la cha-
rité, il a aidé à la pleine observance de ces comman-
dements. C'est l'enseignement de saint Irénée réfutant
Terreur gnostique qui attribuait l'ancienne loi à un
ange mauvais. Conf. /ubj'., l.IV,c ii, n.6; c xii,n.3sq.,
P. G., t. VII, col. 978, 1005 sq. TertuUien montre aussi
que Jésus a ajouté à la loi enjnterdisant, non seulement
l'accomplissement effectif du mal, mais encore l'affec-
tion ou le simple désir, selon Matth., v, 27 sq. Le pœ-
nitentia, c. m, P. L., 1. 1, col. 1232. Suivant saint Gré-
goire de Nazianze, tandis que l'ancienne loi défendait
seulement raccomplissementdu péché, la loi chrétienne
interdit même la cause du péché. La loi réprouvait
seulement Tadultère, Jésus-Christ condamne tout désir
et tout regard accompagné de désir ou y excitant. La
loi défendait le meurtre; aux chrétiens il est interdit
de rendre les coups et il est commandé de tendre la
joue à qui les frappe. La loi condamnait le parjure ;
on nous défend tout jurement, quel qu'il soit. Orat.,
XLV, in sanctufii pascha, c. xvii, P. G., t. xxxvr,
col. 6*7.
Saint Âmbroise paraît être le premier qui ait nette-
ment indiqué l'identité des préceptes naturels du déca-
logue sous l'ancienne et sous la nouvelle loi. Selon lui,
la parole de Dieu a exprimé le même enseignement
dans la loi et dans l'évangile. Ce qui n'avait pas été
•compris sous l'ancienne alliance l'a été sous la nouvelle,
car Jésus-Christ a ouvert l'oreille humaine à la con-
naissance de la vérité. Enan^atio in Ps. LXi, n. 33 sq.,
P. L., t. XIV, col. 1180.
Saint Augustin, suivant peut-être cette pensée de
saint Ambroise, montre que les étroites interprétations
données au décalogue par les Juifs ne lui avaient ja-
mais appartenu. Le 5* précepte condamne non seule-
ment le meurtre, mais encore l'outrage et la colère.
Matth., V, 21, 22. L* 6« commandement réprouve avec
i'adaltère tout dés'r mauvais. Matth., v, 27, 28. Le
commandement de l'amour du prochain n'exclut point
"DOS ennemis de la commune charité: odens inimicuni
iuum, Lev., xix, 1S, doit s'entendre des fautes et des
iniquités de nos ennemis et non de leur personne.
Contra Faiistum manichœum, 1. XIX, c. xix sq., P. L.,
t. XLii, col. 359 sq. Augustin montre encore que la
grâce, plus abondamment communiquée sous la nou-
velle alliance, facilite l'observance du double précepte
de la charité dans lequel se résument tous les com-
mandements. Par l'action de cette grâce le décalogue
est comme gravé dans l'âme sanctifiée. De spiHtu et
littera, c. xiv sq., P. L., t. XLiv, col. 215 sq. ; Contra
duos epistolas pelagianortim, l. III, c. iv, col. 594. Le
concept d'Augustin reste définitivement après lui chez
les Pères et chez les théologiens subséquents.
5« Les préceptes naturels du décalogue supposent ou
contiennent toutes les obligations imposées par la loi
naturelle. C'est l'enseignament de saint Thomas,
Sum. theol., 1* II*, q. c, a. 3, 11, et de tous les théo-
logiens. — 1. Ces préceptes présupposent nécessaire-
ment : a) comme principes logiquement antérieurs aux
devoirs tracés par le décalogue : l'obligation de la loi
naturelle et les premiers principes moraux sur les-
quels elle repose, ainsi que les obligations fondamen-
tales de charité envers Dieu et envers le prochain;
b) comme couronnement surnaturel de ces obligations,
par le fait de l'élévation de l'homme à l'état surnatu-
rel, les devoirs imposés par la foi, l'espérance et la
charité surnaturelle envers Dieu, devoirs comprenant
en réalité l'ensemble de toutes nos obligations surna-
turelles. — 2. Les préceptes du décalogue contiennent
au moins implicitement toutes les conclusions déduites
de la loi naturelle d'une manière plus ou moins immé-
diate, même celles dont la connnaissance est parfois
restée assez imparfaite chez les théologiens. S. Tiiomas,
Sum. theol., î" II», q. c, a. 3, 11. En ce double sens,
le décalogue est vraiment le résumé de toutes nos obli-
gations morales. Catechismus concilii Tridentini,
part. III, c. I, n.l.
6« Le décalogue, tant sous l'ancienne que sous la
nouvelle loi, se résume justement dans le double pré-
cepte de la charité envers Dieu et envers le prochain.
In his duobus mandatis universa lex pendet et pro-
phètes. Matth., xxii, 40. Ces deux commandements
sont des principes évidents à la raison et à la foi, des-
quels se déduisent comme autant de conclusions toutes
les obligations du décalogue. S. Thomas, Sum. theol.,
!• II», q. c, a. 3, ad l»™.
III. Obligation morale. — 1® L'obligation imposée
par les préceptes naturels du décalogue est, comme
celle de tous les commandements de la loi naturelle,
toujours nécessaire, toujours soustraite à toute vraie
dispense. Ce que l'on dénomme parfois dispense ou
exception n'est qu'une juste interprétation d'un cas
auquel la loi, à cause de circonstances spéciales, ne
s'applique réellement point. S. Thomas, Sum. theol.,
I» II», q. G, a. 8. Voir Loi naturelle.
2o Cette obligation, en elle-même toute naturelle,
rentre dans l'ensemble des devoirs chrétiens, parce
que Jésus-Christ l'a positivement confirmée par son
autorité, Matth., xix, 17 sq.; Marc,x,19sq.;Luc, xviii,
20 sq., ou parce que la loi surnaturelle, loin de suppri-
mer les prescriptions ou interdictions naturelles, les
suppose et les confirme en les orientant vers la fin sur-
naturelle. Bouquillon, Theohgia moralis fundameH'
talis, 3« édit., Bruges, 1903, p. 258. D'ailleurs, dans
l'ordre actuel de la providence, ces préceptes essen-
tiellement naturels entraînent indirectement de graves
obligations surnaturelles. Au reste, le concile de
Trente a porté anathème contre les antinomistes du
xvi« siècle prétendant que les dix préceptes du décalogue
ne concernent aucunement les chrétiens. Sess. VI,
can. 19.
30 L'obligation imposée par les préceptes naturels du
décalogue est grave de sa nature. Envers Dieu, ces pré-
ceptes ne peuvent être enfreints sans que soit aussi
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DÉCALOGUE
]
violée la vertu de charité, violation de soi toujours
grave, puisque sans la charité notre fin surnaturelle
ne peut être obtenue. Vis-à-vis de notre prochain,
toutes les prescriptions du décalogue se résument dans
la justice, S. Thomas, Sum. theoL, 1* !!«, q. c, a. 2,
qui par elle-même oblige toujours gravement dès qu'il
s'agit d'un bien notable du prochain. II* 11^, q. Lxvi,
a. 6. Cependant la transgression peut être accidentel-
lement vénielle par défaut de matière notable ou par
manque de délibération ou d'advertance surCsante.
Azpicuelta, Enchb*idion sive manuale confessariorum
et pœnitenlium, c. xi, n. 4, Rome, 1590, p. 82 sq.;
Salmanticenses, Cursus thcologias inoralis, tr. XXI,
c. I, n. 15.
4o L'obligation est accomplie parla simple réalisation
de ce qui est exigé. Il n'est point nécessaire d'afjir par
motif de charité, sauf quand la charité est vraiment
commandée ou indispensable pour réaliser le com-
mandement. S. Thomas, Sum. theol.,!» II«, q. c, a. 10;
S. Bonaventure, In IV Sent., 1. III, dist. XXX VII,
a. 1, q. II, Quaracchi, 1887, t. m, p. 816 sq.
IV. Place dans l'instruction morale des catéchu-
mènes ET DES FIDÈLES. — On a indiqué aux articles
Catéchèse et Catéchisme la forme que revêtit au cours
des siècles l'instruction des catéchumènes et des fidèles.
Il nous reste à y assigner la place occupée par le déca-
logue.
lo Jusqu'à saint Augustin vers la fin du iv« siècle, les
documents que nous avons sur les catéchèses nous
autorisent à affirmer que l'instruction morale des caté-
chumènes était habituellement donnée sous la forme de
l'enseignement des deux voies : voie de la vie, marquée
par le double précepte de l'amour de Dieu et du pro-
chain, se résumant dans le commandement général :
omnia qumcumque non vis tibi fieri, nec tu alleri
facias, et voie de la mort où s'engagent ceux qui se
rendent coupables des péchés indiqués comme étant
dignes de ce châtiment. C'est le seul enseignement
indiqué par la Didachà qui nous offre le modèle des
catéchèses des premiers siècles. Doctrina du^decim apo-
stolonim, Funk, Patres apostolici, 2» édit., Tubingue,
1901, t. I, p. 2 sq. Quelques autres documents qui
reflètent l'enseignement donné aux païens de cette
époque pour les engager à se faire chrétiens, comme
la !'*« Apologie de saint Justin et le Pédagogue de Clé-
ment d'Alexandrie, mentionnent particulièrement les
préceptes nouveaux donnés par Jésus-Christ et groupés
dans le sermon sur la montagne, ou le double com-
mandement de la charité envers Dieu et envers le
prochain. ApoL, i, n. 14 sq., P. G., t. vi, col. 348 sq.;
Clément d'Alexandrie, Pœdagogus, 1. III, P. G.,
t. viii, col. 660 sq. Quant aux préceptes du décalogue
considérés isolément ou dans leur ensemble, on les
cite assez rarement; et quand on les cite, c'est plutôt
avec une intention apologétique ou dans le but de faire
ressortir la supériorité de la loi chrétienne. Ainsi saint
Irénée justifie ces préceptes contre les erreurs gnos-
tiques attribuant l'ancienne loi à un ange mauvais.
Cont. hœr., 1. IV, c. il, n. 6; c. xii, n. 3 sq.; c. xiii,
n. 1 sq.; c. xv, n. 1 sq.; c. xvi, n. 3 sq. P. G., t. vu,
col. 978, 1005-1010, iai2-1014, 1017-1019. TertuUien in-
dique incidemment que Jésus-Christ a ajouté à la loi
en défendant non seulement l'exécution du mal, mais
encore l'affection ou le simple désir. De pœnitentia,
c. III, P. L., t. I, col. 1232. Saint Grégoire deNazianze
montre que les préceptes du décalogue ont été perfec-
tionnés par Jésus-Christ dans la réprobation portée
contre les étroites interprétations des Juifs. Orat.,
XLV, i?e sanctum pascha, c. xvii, P. G., t. xxxvi,
col. 647. Saint Ambroise se contente d'affirmer qu'une
meilleure connaissance des devoirs du décalogue nous
a été donnée par Jésus-Christ. Enarratio in Ps. lxi,
n. 33 sq., P. L., t. xiv, col. 1180.
Cette attitude vis-à-vis du décalogue était motivée
la nécessité de distinguer nettement la loi chrélie
de la loi juive, surtout en face des étroites interpr
tions habituelles des Juifs et de l'abrogation du préc
sabbatique désormais remplacé par le précepte d(
nical.
2^ Vers la fm du iv* siècle, saint Augustin doni
premier an décalogue une place prépondérante <
l'enseignement moral des catéchèses. Il fut amei
cette conclusion par la nécessité de prémunir les
chumènes contre les erreurs manichéennes attrib
le décalogue au mauvais principe, tandis que la
velle loi était seule considérée comme provenar
Dieu lui-même. A rencontre de ces assertions, Ai
tin montre dans ses catéchèses la véritable origir
décalogue et son importance capitale dans la vie
tienne. Le décalogue provient intégralement du
véritable. Il est une prolection contre les er
manichéennes, car les trois premiers préceptes, c
mant nos devoirs envers Dieu le Père, envers J
Christ et envers le Saint-Esprit, réprouvent fon
ment les fausses doctrines sur les trois personn(
vines. Le décalogue est une règle sûre, car il a toi
condamné ce que condamne la loi nouvelle, affe
mauvaises et désirs coupables. Il se résume just
et pour tous les temps dans le double précepte
charité envers Dieu et envers le prochain, car,
l'observance de cette double charité, les devoirs «
Dieu et envers le prochain sont intégralement re
selon le témoignage de saint Paul : plenitudo •
legis est caritas. Rom., xiii, 10. Contra Fa
nianichewni,\. XV, c. ivsq.; 1. XIX, c. xviii sq.,
t. XLii, col. 306 sq., 359 sq. L'âme animée d<
charité est comme une lyre exécutant en l'honn
divin Maître l'hymne suave des dix commande
Deus canticuni novtim cantabo tibi, in ps
deceni chordarum psallam tibi. Ps. CXL[II,9. Set
c. V sq., P. L., t. XXXVIII, col. 79 sq. Le décale
encore cet adversaire qui contredit ce que nous
et avec lequel nous avons à nous entendre si i
voulons pas être livrés au juge pour l'éterne
ment. Matth., v, 25, col. 76 sq. Les sermons <
tiques où Augustin développe cet enseignement
décalogue sont principalement les sermons >
XXXIII et cix, P. L., t. xxxvni, col. 67 sq.,
207 sq., 636 sq. Quelques années plus tard, à
dirige encore l'enseignement de la catéchcst
les erreurs pélagiennes sur le décalogue. A
contre, il insiste sur ce que la connaissance
ceptes divins, loin de suffire au salut, est se
une préparation à la grâce et que leur accompli
ne peut être réalisé que par cette grâce. Serni.,
ccxLix, CCL, ccLi, col. 1158 sq. Cf. P. Rentscl
Dekalogkatechese des heil.Augustinus, KempI
3« Du v« au ix« siècle, l'enseignement d*Augus
décalogue est reproduit par les Pères et les thé
notamment par Isidore de Séville, Quœstiones
Testamenltim, In Exodum, c. xxix, P, L., t
col. 301 sq., et par l'auteur du De psalniot
exegesis, ouvrage rangé parmi les œuvres de sï
P. L., t. xciii, col. 481 sq. Mais nous ne poss
cun document catéchétique de cette époque
quelque attestation d'instruction spéciale sui
logue. On sait d'ailleurs que la catéchèse c
bien réduite, en dehors des pays de mission c
vaillait à la conversion des païens, et que l'éc
catéchèses de mission n'est point parvenu jus
4® A partir du ix« siècle, les dix commî
prennent place en divers endroits dans le p
du catéchisme destiné à l'instruction des en
celle des fidèles. Un décalogue anglo-saxon si
face aux Leges du roi Alfred, qui monta si
en 871. J. Schilter, Thesaw^us antiquitatu:
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173
DÉCALOGUE
174
cai'um, in-fol., Ulm,1728, l. i, appendice iMonumenta
catechetica, p. 76-77. J.-G. Eccard, Incerli nionachi
Weissenburgensis catechesis theotisca, Hanovre, 1713,
p. 201-202, a publié une version saxonne 1res ancienne
du décalogue, dans laquelle les commandements ne
sont pas numérotés. Voir l. ii, col. 1898. L'influence de
saint Augustin sur rinlerprêtation catéchélique du dé-
calogue se fait sentir jusqu'au milieu du xii« siècle.
5« Au XIII* siècle, l'enseignement du décalogue est
partout introduit dans l'enseignement catéchétique, et
garde désormais sans conteste cette importante posi-
tion. Voir t. Il, col. 1899 sq.
C'est au XV* siècle qu'on prit l'habitude d'exprimer
les préceptes du décalogue en formules faciles à rete-
nir et bientôt en bouts- rimes. Dans 1'^ B C des simples
gens, Gerson avait réduit les dix commandements de la
loi à ces phrases courtes et bien frappées :
Tu n'adoreras non les ydoles ni plusieurs dieux.
Tu ne prenras point lo nom de Dieu en vain.
Tu garderas les dimanches et fêles commandées.
Tu honoreras ton père et ta môre.
Tu ne seras point meurtrier.
Tu ne seras point luxurieux.
Tu ne seras point larron.
Tu ne porteras point faux témoignage.
Tu ne désireras point la femme d'autruy.
Tu ne convoiteras point les biens d'aub-uy.
Ms. 066 delà Bibliothèque Mazarine, fol. 130 recto.
M. Hezard, Histoire du catéchisme, Paris, 1900,
p. 450-i5^1, a publié des tercets sur chaque commande-
ment de Dieu, qu'il a extraits de VJnstruction desctirez,
éditée à Bordeaux en 1601. Des bouts-rimés, semblables
à ceux que nous récitons encore, se trouvent dans le
Li6er Jesu Christi pro simplicibiis, si souvent repro-
duit (voir t. II, col. 19(B), notamment dans le Compost
et Kalendtner des bergiers (voir ibid., col. 1904). Voici
une de ces formules, dont le texte présente presque
toujours quelques variantes :
Ung seul Dieu tu adoreras,
et aymeras parfaitement.
Dieu en vain ne jureras,
nautr^ chose pareillement.
Les dimanches tu garderas,
en servant Dieu dévotement.
Père et mère honoreras,
affm que vives longuement.
Homicide point ne feras,
de fait ne voluntairement.
Lavoir daultruy tu nembleras,
ne retiendras à escient.
Luxurieux point ne seras,
<le fait ne de consentement.
Faulx témoignage ne diras,
ne mentiras aucunement.
Lœuvre de chair ne désireras,
<^>ue en mariage seulement.
Bien daultruy ne convoiteras,
ï*our le garder injustement.
yanuale seu ititructorium curaloïntm, Lyon, 13 fé-
vrier 1505, fol. Lxxxiii (reproduisant le texte du Liber
Jesu Christi).
Cai. Acbelis, Der Dekalog als katechetisches Lehrbuch, Gies-
«eo. 1905; Goal, Geschichte der Katechese im Abendlande vom
Yerfalte des Katechumenats bis zum Ende des Mittelalters,
Kempten, 1880; J. Geflfcken, Der Bildercatechismus des
15 Jahrkunderta und die catechetischen Haupstùcke in dte-
ser Zeit bis auf Luther, Leipzig, 1855, t. i (exclusivement sur
tee commandements de Dieu).
V. Différences entre le décalogue mosaïque ou
CHRÉTIEN ET LES CODES MORAUX NON CHRÉTIENS. — Parmi
les codes moraux des religions non chrétiennes et des
systèmes philosophiques qui ignorent le décalogue,
nous considérerons principalement celui du boud-
dhisme regardé conrnne la religion la moins défec-
tueuse dans ses prescriptions morales, et le code mo-
ral du stoïcisme, le moins répréhensible parmi les
systèmes moraux du philosophisme antique. Nous nous
bornerons à établir le contraste entre ces codes mo-
raux et le décalogue au double point de vue de Tauto-
rité morale et de l'influence sur le bien matériel des
individus et des sociétés.
l" AutoHté morale. — i. Le décalogue, avec les prin-
cipes moraux qu'il suppose et les conclusions qu'il
contient virtuellement, présente un code moral bien
défini et bien complet, renfermant tous les devoirs de
l'homme dans l'ordre naturel et contenant en germe
toutes les obligations surnaturelles, dès lors que la ré-
vélation surnaturelle est manifestée. Il se présente avec
le rayonnement d'une autorité divine clairement dé-
montrée qui lui assure sur les consciences individuelles
et sur la conscience publique une efficacité souveraine,
aidée d'ailleurs par la double sanction éternelle atta-
chée par le divin législateur à l'observance ou à la vio-
lation de cette loi.
2. Le système moral bouddhique, ne contenant aucune
affirmation doctrinale sur Dieu et faisant abstraction
de toute idée dogmatique ou métaphysique, ne possède
aucune base doctrinale sur laquelle il puisse asseoir
son autorité morale. Tout se résume finalement dans
l'amour de soi avec l'exclusive préoccupation d'aboutir
au nirvana théoriquement représenté par les docu-
ments les plus authentiques comme la complète ces-
sation de toute douleur. Il ne peut non plus y avoir
aucune sanction efficace, le nirvana avec son carac-
tère purement négatif et son implicite négation de
toute survivance de l'âme ne pouvant répondre à l'idée
d'une sanction morale. D'ailleurs, des dix commande-
ments de la Dhamma ou loi bouddhique, cinq concer-
nent exclusivement les moines, l'interdiction des re-
pas aux heures non réglementaires, la participation
aux plaisirs mondains, la parure et les parfums, les lits
moelleux et la réception de l'argent, et les cinq autres,
ne tuer aucun être vivant, ne pas voler, ne pas com-
mettre d'adultère, ne pas mentir, ne pas boire de
boissons enivrantes, sont plutôt recommandés qu'im-
posés aux laïques. En réalité, toute la vertu du laïque se
mesure exclusivement à sa libéralité envers les moines,
comme tout son espoir est de se rendre apte à être
moine dans une métempsycose prochaine pour abou-
tir ainsi finalement au nirvana. Oldenberg, Buddha,
sein Leben, seine Lehre, seine Gemeinde, 3« édit.,
Berlin, 1897, p. 333 sq., 436 sq.; Chantepie de la Saus-
saye. Manuel d'histoire des 7'eligions, trad. Hubert et
Lévy, Paris, 1904, p. 387 sq., 395 sq. ; de Broglie, Pro-
blèmes et conclusions de V histoire des religions,
2« édit., Paris, 1886, p. 175 sq. ; Aiken, The Dhamma
of Gotama the Buddha, Boston, 1900. p. 313 sq.
3. Le code moral du stoïcisme, malgré son appa-
rence ascétique, est dépourvu d'autorité. C'est une con-
struction artificielle de la raison, manquant d'autorité
législative et de sanction par l'exclusion de Dieu, con-
séquence nécessaire du panthéisme stoïcien. D'ailleurs,
le code stoïcien n'a pu se défendre de nombreuses et
graves erreurs parmi lesquelles le suicide, et il n'a
jamais exercé une réelle influence morale sur les in-
dividus ou sur les sociétés, en dehors d'un cercle philo-
sophique très restreint. Chollet, La morale stoïcienne,
Paris, 1898, p. 73 sq., 94 sq.; Gaston Boissier, La reli-
gion romaine d'Auguste aux Antonins, Paris, 1892,
t. Il, p. 36 sq.
2® Influence sur le bien matériel des individus et
des sociétés. — 1. Pour le décalogue, cette salutaire
influence est démontrée par l'observation constante des
faits individuels et sociaux. C'est la conclusion de Le
Play, déduite d'une rigoureuse investigation, que les
populations qui respectent le mieux les commandements
du décalogue sont précisément celles qui jouissent au
plus haut degré du bien-être, de la stabilité et de
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175
DÉCALOGUE — DECHAMPS
1'
l'harmonie. L'organisation du travail selon la cou-
tunie des ateliers et la loi du décalogue, 3« édit., Tours,
1871, p. 16; La réforme sociale en France déduite de
Vohservaliûn comparée des peuples européens, b^ édit.,
Paris, 1874, t. m, p. 291. C'est, d'ailleurs, une vérité
souvent démontrée par les apologistes chrétiens que
le décalogue aide au bien matériel des individus et des
sociétés en maintenant inviolablement les véritables
droits de l'homme et en favorisant Téclosion des vertus
morales qui, au témoignage de saint Thomas, De regi-
mine principum, 1. I, c. xv, sont l'élément principal
du bonheur matériel individuel et social. Cardinal Pie,
Lettre synodale portant promulgation du décret du
concile provincial tenu à Poitiers en janvier 1868,
Œuvres, Paris, 1876, t. vi, p. 351 sq.; Mo»" Dupanloup,
Lettre pastorale du 20 octobre i873.
2. Les codes moraux du bouddhisme et du stoïcisme
n'ont point exercé cette salutaire influence, soit parce
qu'ils n'ont pu aider à Téclosion des vertus morales
sans lesquelles il ne peut y avoir de vrai bonheur indi-
viduel ou social, soit parce qu'ils n'ont eu à peu près
aucune prise sur la grande masse de la population là
où ils ont été en vogue. Il est, d'ailleurs, bien avéré
que les principes mêmes du bouddhisme, en détournant
de tout travail les moines et même les laïques, de-
vaient, dans la mesure où on les appliquait effective-
ment, nuire à la civilisation matérielle. De Broglie,
op. cit., p. 200; Hardy, Der Buddhismus nach àlteren
Pdli'Werken, Munster, 1890, p. 139 sq. ; Âiken, op. cit.,
p. 317 sq.
S. Théophite d'Antioche, Ad Autolycum, l. II, n. 35, P. G.,
t. VI, col. 1108 ; S. Irénée, Cont. hœr., I. IV, c. ii, n. 6; c. xii,
n. 3 sq. ; c. xui et xvi, P. G., t. vu, col. 978, 1005 sq., 1018;
TertuUien, Adversus Marcionem, 1. II, c. xvii; Adversité Ju-
dœos, c. II, P. L., t. II, col. 305, 599 sq. ; Clément d'Alexandrie,
Strom., VI, c. xvi, P. G., t. ix, col. 361 sq.; Origène, In
Exodum, homil. viii, n. 2, P. G., t. xii, col. 351; pseudo-
Athanase, Synopsis Scripturœ sacrœ, P. G., t. xxviii,col.297;
S. Grégoire de Nazianze dans son poème tbéologique sur le dé-
calogue, P. G., t. xxxvii, col. 476 sq. ; S. Ambroise, /n P«. lai,
n. 33, P. L., t. XVI, col. 1180; Ambrosiaster, Comment, in Epi-
stolas S. Pauli, In Eph., vi, 2, P. L., t. xvii, col. 399 ; S. Au-
gustin, Quœstiones in Heptateuchum, 1. II, c. lxxi, P. L.,
t. xxxiv, col. 620 sq. ; Serm., viii, ix, xxxiii, cix, ccxLviii,
ccxLix-ccLl, P. L., t. xxxviii, col. 67 sq., 75 sq., 207 sq.,
636 sq., 1158 sq. ; Enarratlo in Ps. lvu, n. 1 ; /n Ps. lxi, n. 33sq.,
P. L., t. XXXVI, col. 673 sq., 1180 ; Contra Faustum mani-
chaeum, l. XV, c. iv sq. ; 1. XIX, c. xviii sq., P. L., t. xui,
col. 306 sq., 359 sq.; De spiritu et litteî'a, c. xiv sq., P. L.,
t. XLiv, col. 215 sq.; Contra duas epistolas pelagianorum,
I. IIÎ, c. IV, col. 954; S. Jérôme. Commentaria in Epist. ad
Eph., 1. III, c. VI, P. L., t. XXVI, col. 537; S. Léon le Grand,
Serm., xvii, n. 1; xx, c. i; lxiii, c. v; xcii, c. i, P. L.,i. uv,
col. 180,188 sq., 356, 453; S. Grégoire le Grand, Homiliœ in
Ezechielem, l. II, homil. iv, n. 9, P. L., t. lxxvi, col. 979;
S. Isidore de Séville, Quœstiones in Vêtus Testamentum, In
Exodum, c. XXIX, P. L., t. lxxxiii, col. 301 sq.; pseudo-Béde,
De psalmorum libro exegesis, P. L., t. xciu, col. 431 sq.;
Alcuin, De decem verbis legis seu brevis expositio decalogi,
P. L., t. c, col. 567 sq. ; S. Pierre Damien, Opusc, xliv, De
decem Mgypti plagie atque decalogo, P. L., t. cxlv,
col. 685 sq. ; Hugues de Saint- Victor, Instituliones in decalogum
legis dominicœ, P. L., t. clxxvi, col. 9sq.; De sacramentis,
1. II, part. XII, c. V, col. 352 ; Pierre Lombard, Sent., 1. Ill'
dist. XXXVII, P. L., t. xcii, col. 831 sq. ; Alexandre de Halès,
Summa theologise, part. III, q. xxix, Cologne, 1622, t m,
p. 197 sq. ; S. Thomas, Sum. theoL, I« II", q. c ; S. Bonaventure,
/n iVScnf.,1. III, dist. XXXVII. Quaracchi, 1887, t. ili,p.812sq.;
Duns Scot,/n IV Sent., 1. IIÎ, dist. XXXVII, Venise, 1680, t. m.
p. 336 sq.; Richard de Middlelown, In IV Sent,, 1. ni,
dist. XXXVII, Brescia, 1591. t. m, p. 441 sq. ; Denys le char-
treux, In IV Sent., L lU, dist. XXXVII, q. ii, Venise, 1584,
t. m, p. 308 sq. ; Cajetan, In /•■ //-, q. c; Dominique Soto, De
justitia et jure, 1. III, q. m, Venise, 1589, p. 100 sq. ; Azpicuelta,
Enchiridion sive manuale confessariorum et pamitentium,
CXI, n. 2 sq., Rome, 1590, p. 82 sq.; Estius, In IV Sent.,
1. m, dist. XXXVn, p. m, Venise, -1748, t. iv, p. 216 sq.; Sua-
rez, De legibus, 1. II, c.xv, n. 16 sq.; Sylvius, In I" II', q. c,
Anvers. 1714, t ii,p. 586 sq. ; Gonet, In P- //", tr. Vl.disp.^
a. 1, Anvers. 1744, t. m, p. 517; Salmanticenses, Curèus th
logim moralis, tr. XXI, c. i, n. 14; Gotti, In /•■ //*, tr.
q. m, dub. v, Venise, 1750, t. ii, p. 242; Miiller, Tlieologiai
ralis, 7' édit., Vienne, 189i, t. i, p. 162 sq. ; Bouquillon, Thec
gia moralis fuudamentalis, 3' édit., Bruges, 1903, p. 260 i
Paul Rentschka, Die Dekalogkatechese des heiligen Augu
nus, Kempten, 1905; Kirchenlexikon, 2* édit., Leipzig, li
t. III, col. 1423-1430.
E. DUBUNCHY.
1. DECHAMPS ou AGARD DE CHAM
Etienne, né à Bourges, le 9 septembre 1613, ei
dans la Compagnie de Jésus à Paris en 1630; prof(
la rhétorique à Caen, la philosophie et la théoU
à Paris; il remplit les principales charges de son or
en France ; confesseur du grand Condé dans les d
dernières années de sa vie, il aida le héros à moi
en chrétien (1686); lui-même mourut à La Flèche
31 juillet 1701. Le P. Dechamps fut un des premiei
des plus vigoureux adversaires du jansénisme,
coup d'essai, déjà très remarqué, fut Defensio cens
sacrœ facultatis Pansiensis latœ xx viijunii anni m.
seu disputatio theologica de libero arhitino,
evincitur mérita ah sacra facullate hsRreseos il
natam esse propositionem hanc : Libéria^ et neces.
eidem conveniunl respeclu ejusdem, et sola viole
répugnât libei*lati hominis naturali. Auctore An)
Ricardo theologo, in-8o, Paris, 1645. La censure
il s'agit dans cet ouvrage venait. d'être tirée de Vi
par le P. Petau et critiquée par un janséniste anon
Le P. Dechamps la défendit en combattant surtc
théorie de Jansénius sur le libre arbitre, de laq
dérivent ses erreurs. Cet ouvrage avait déjà eu
éditions à Paris et avait été reproduit en Belg
quand Libert Fromond, un des deux éditeur
VAugustinus, essaya de le réfuter, sous le pseudo
de Vincentius Lenis. Les deux réponses que lui
P. Dechamps se retrouvent, avec d'autres addi
dans la 5« édition de sa Disputatio theologica de i
arbitrio, Cologne, 1650. En même temps, pour
battre plus efficacement la propagande de la se<
P. Dechamps donnait en français un abrégé de ce
sous le titre : Le secret du jansénisme descouv
refuté par un docteur catholique, in- 12, Paris ; 2«
1651; 3« édit., avec des réflexions sur la respon
jansénistes, 1653. Enfin les cinq propositions ex
de VAugustinus, dénoncées au saint-siège par 1<
ques français, ayant été condamnées, après det
d'examen, par le pape Innocent X, le 31 mai 1
P. Dechamps publia presque aussitôt le grand o
qu'il préparait depuis longtemps pour justifier 1
tence prévue : De haeresi janseniana, ab apo
sede merito proscripta, libri très. Opus an te
novem sub Antonii Ricardi nomine inchoatuni,
Paris, 1654, avec dédicace à Innocent X. L'aute
sente avec raison cette publication comme la s
son traité théologique sur le libre arbitre. C
avait fait en 1645 pour la doctrine de Jansénius
liberté, résumée dans la 3« des 5 proposition
faisait maintenant, suivant la même méthode, j
cinq erreurs condamnées, montrant que Janséi
avait puisées chez les hérétiques et les ré fut
l'autorité de toute la tradition catholique, en ]
lier par l'enseignement de saint Augustin,
nouvelle hérésie cherchait à se couvrir. Après
de l'auteur, le P. Etienne Souciet en donna ui
velle édition, corrigée et augmentée d'après le
crit autographe du P. Dechamps, in-fol., Pari
Les Provinciales devaient aussi mettre en mou v«
plume de ce savant controversiste. Pascal et se
tateur Wendrock-Nicole représentent constam
probabilisme, qu'ils accusent, d'ailleurs injustei
tant de méfaits, comme une doctrine propre aux
à peu près exclusivement; c'est à cette fauss
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DECHAMPS
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s'attaque le P. Dechamps dans : QuœsUo facti, Utrum
tkeologorttm SocietatU Jesu propriœ sint istse senten-
tim duœ : Prima, ex duabus opinionibus probabilibiis
fiowtmus sequi minus tulam, secunda, ex duabus
ojnnionibtis pt'obabilibus licitum est amplecti minus
probabileni, in-4*, Paris, 1659. Il répond à la question
en nommant plus de 90 auteurs graves, évêques, docteurs
de Paris, thomistes, religieui de divers ordres, qui ont
professé le pirobabilisme, et plusieurs Tayant fait avant
qu'il existât des jésuites ; il montre encore que ceux-ci
ont contribué le plus à fixer les conditions du proba-
bilisme légitime, et que quelques-uns d'entre eux ont
même combattu le système. Dans la 4* édition de sa tra-
duction latine annotée des Provinciales, in-8», Cologne,
1665, p. 547-573, Nicole a inséré une réplique, intitulée :
Appendix prima ad dissertaiioneni de probabilitate
adversus libellum Slephani Des-Champs, jesuitss, in
Claromontano Patnsiensi collegio primarii theologim
professoris. Le P. Dechamps fut ramené à la polémique
contre le jansénisme par le fameux P. Quesnel. Celui-
ci avait publié, sous le pseudonyme Germain, Tradi-
tion de VÉglise romaine sur la prédestination des
s(ûnts et sur la grâce efficace, 2 in-12, Cologne, 1687,
en s'eûbrçant de trouver au jansénisme un appui dans
la tradition catholique. Le P. Dechamps y opposa :
Tradition de VÉglise catholique et de la fausse Église
des hérétiques du dernier siècle sur la doctrine de
Jansénius, touchant le libre arbitre et la grâce, in-8«,
Paris, 16SS : c'est le Secret du jansénisme, revu et
augmenté. Alors Germain-Quesnel ajouta un 3« volume
à sa Tr<idiiion pour réfuter la Tradition du P. De-
champs, qa'il prétend « convaincre d'ignorance, de
fanssetez et de calomnies >, Cologne, 1690. Quesnel
avait déjà traité de calomnie le Secret du jansénisme
dans son Apologie historique de deux censures de
Louoain et de Douai sur la matièi^e de la grâce, publiée
sous le pseudonyme de Géry, in-12, Cologne, 1688; le
P. Dechamps lui répondit par quelques pages intitulées :
Défense du secret du jansénisme contre Vescrit de
M. Géry, in-i2, Paris, 1690; réédité avec la Tradition
de VÉglise catholique, in-S», Lyon, 1711. En 1664, le
P. Dechamps avait eu à soutenir une correspondance
sur les questions de la grâce et de la liberté avec le
prince de Conti, frère du grand Condé. Ce prince,
destiné d'abord à l'état ecclésiastique, avait suivi les
cours de théologie du collège des jésuites, dit collège
de Clermont, à Paris; il avait même soutenu en Sor-
bonne des thèses sur la grâce, que le P. Dechamps
Tavait aidé à préparer. Il parait que plus tard il eut
des difHcultés contre la doctrine moliniste qu'on lui
avait enseignée et qu'il avait défendue; il les proposa
donc à son ancien répétiteur, dans neuf lettres aux-
quelles ce dernier répondit. Vingt-sept ans après, le
prince étant mort, cette correspondance, tombée aux
mains des jansénistes, fut publiée par le P. Quesnel
sous le titre : Lettres du prince de Conti ou Vaccord
du libre arbitre avec la grâce de Jésus-Chinst enseigné
par son Alt. Sérénissime au P. De Champs, jésuite,
ci-dev€uit premier professeur en théologie, recteur
du collège de Paris, trois fois provincial et mainte'
nant supérieur de la maison professe, avec plusieurs
autres pièces sur la même matière, in-12, Cologne,
1689. Le P. Souciet, éditeur du De hœresi janseniana,
assure que ces lettres ne se sont pas retrouvées dans
les papiers laissés par le P. Dechamps et tient pour
vraisemblable que les objections du prince ont été fort
retouchées par l'éditeur janséniste.
Mémoires de Trévoux, février 1702, p. 168 ; Et. Souciet, De
rita, morte et operibus R. P. Stephani de Champs^ en tète de
rédittoQ de De hœresi janseniana, 1728. fol. A:-( 1 ; De Backer-
Sommervogel, Bibliothèque de la O' de Jésus, t. ii, col. 1863-
1W9; Hurter, NoTnenclator, L n, col. 746-751 ; Histoire gêné-
*^àe du jansénisme par M. Vabhé *" [dom 6erï>eroD. janséniste],
5 ln-12, Amsterdam, 1701. t. i, p. 295, 339, 415, 442; t. n,
p. 272, 323; t. ni, p. 131, 345, 504, etc. ; Moréri, 1759, t. m, p. 456.
Jos. Brucker.
2. DECHAMPS Victor-Auguste-lsidore, arche-
vêque de Malines et cardinal. — l. Vie. II. Œuvres.
IIL Doctrine.
L Vie. — Né le 6 décembre 1810 à Melle, près de
Gand, d'Adrien-Joseph Dechamps et d'Alexandrine de
Nuit, élève d'abord du collège que dirigeait son père,
puis fixé avec lui au château de Scailmont dans le
Hainaut, il étudia le droit â Bruxelles, et, de concert
avec son frère Adolphe, le futur ministre d'État, débuta
en 1830 dans le journalisme catholique. En octobre
1832, Victor Dechamps entra au grand séminaire de
Tournai, suivit à Malines des cours supérieurs de théo-
logie, et, le 4 novembre 1834, fut ordonné prêtre par le
cardinal Sterckx. Le 21 août 1835, il était admis au
noviciat des rédemptoristes, à Saint-Trond. Il y fit sa
profession religieuse le 13 juin 1830; fut chargé du
cours d'Écriture sainte et de la préfecture des étudiants
au scolasticat de Wittem dans le Limbourg hollandais
(1836-1840); fut tour à tour recteur de la maison de
Liège (1842), de celle de Tournai (1849), et enfin, pro-
vincial des neuf couvents de sa congrégation qui for-
maient la province de Belgique (1851). En même temps,
tout entier à sa vocation d'apôtre, il prêchait en Bel-
gique et ailleurs des sermons qui lui valurent une juste
célébrité. En octobre 1850, il prononça à Sainte-Gudule
de Bruxelles l'oraison funèbre de la première reine
des Belges, Louise d'Orléans, dont les enfants étaient
confiés à sa direction. Parmi les convertis de sa parole,
nommons le général de Lamoricière. Apôtre, le P. De-
champs était aussi un apologiste, et il publia divers
ouvrages que nous nous bornons à nommer, et que
nous apprécierons plus loin : Le libre examen de la
venté de la foi. Entreliens sur la démonstration catho-
lique de la vérité chrétienne (1857); La divinité de Jé-
sus-Christ, ou Le Christ et les antechrists dans les
Écritures, V histoire et la conscience (1858) ; La ques-
tion religieuse résolue par les faits, ou de la certitude
en matière de religion (1860); Lettres théologiques
sur la démonstration de la foi (1861).
Le P. Dechamps avait pu décliner, en 1852, l'offre de
l'évêché de Liège; et, en 1865, celle du rectorat de
l'université catholique de Louvain. Au mois de septem-
bre de cette année, il fut désigné par Pie IX pour le
siège de Namur, d'où il fut transféré, en décembre
1867, à l'archevêché de Malines. A Namur et à Malines,
Mo»" Dechamps déploya un zèle infatigable pour la dé-
fense des droits de l'Église menacés par le libéralisme
sectaire, et pour le progrès de toutes les œuvres catho-
liques.
Au concile du Vatican (1869-1870), l'archevêque de
Malines eut une situation prépondérante. A la congré-
gation générale du 14 décembre 1869, il avait été élu,
le treizième, membre de la députalion de fide chargée
de recevoir les scliemata proposés au concile ; quelques
jours plus lard, il fut nommé par Pie IX membre de
la congrégation qui devait étudier les postulata et
éclairer le pape à leur sujet. Le 8 janvier 1870, il parla
sur la constitution Dei Filius que l'on préparait; son
discours, non plus que les autres, n'a pas encore été
publié. Dans la séance du 11 janvier, Ms»- Dechamps
fut désigné par le cardinal Bilio, avecM»' Pie et l'évêque
de Paderborn, Mflr Martin, pour élaborer un nouveau
schéma ; mais l'archevêque de Malines et l'évêque de
Poitiers s'en remirent pour ce travail aux soins de
l'évêque de Paderborn. On en a fait la remarque, la
constitution Dei Filius, promulguée 10*24 avril 1870, a
consacré l'idée maîtresse de l'apologétique de Ms"" De-
champs : le grand fait de l'Église, toujours subsistant,
est un perpétuel et puissant motif de crédibilité.
L'archevêque de Malines prit aussi une part impor-
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DECHAMPS
180
tante à la rédaction de la constitution Pastor œtomus.
Persuadé que la doctrine gallicane, formulée après le
concile de Trente dans la déclaration de 1682, ne pour-
rait échapper à l'examen et à la censure du concile
du Vatican, il était intervenu dans les controverses
soulevées par l'annonce et par les premiers actes
de l'assemblée œcuménique. Il avait publié un opuscule :
L'infaiUibililé et le concile général, étude de science
religieuse à Vusage des gens du monde, juin 1869, qui
lui valut une lettre laudalive de Pie IX et qui fut tra-
duite en allemand par Heinrich. Le 8 juillet 1869, il
avait écrit à un laïque pour démontrer l'opportunité
de la définition dogmatique de rinfaillibilité pontificale.
Il répondit aux Obse)*valions de Me Dupanloup, à l'ou-
vrage de Mor Maret, Du concile œcuménique et de la
paix religieuse, et aux quatre lettres du P. Gratn-,
Md^l'évêque d'Orléans et k^^ V archevêque de Malines,
Paris, 1870. La discussion du schéma de l'infaillibilité
se poursuivit, dans trente-sept congrégations, du 13 mai
au 16 juillet 1870. Dans celle du 17 mai,Mfl'^ Dechamps,
au nom de la députation de fide, dont il était membre,
répondit aux difficultés alléguées par les orateurs de
l'opposition.
De retour de Rome, l'archevêque de Malines, tou-
jours attentif aux périls et aux souffrances de l'Église,
signa le premier une lettre adressée par l'épiscopat
belge aux évéques allemands victimes des persécutions
du Knlturkampf (octobre 1872) ; dans une lettre d'octo-
bre 1873, il porta jusqu'à l'empereur Guillaume d'élo-
quentes réclamations. Devenu, en mars 1875, cardinal
du titre de Saint-Bernard-aux-Thermes, il entra, en
février 1878, au conclave qui suivit la mort de Pie IX,
et ce fut lui qui, comme vérificateur du scrutin, an-
nonça à ses collègues l'élection de Léon XIII. Les
dernières années du cardinal furent en grande partie
occupées par des controverses et par des explications
sur la question du libéralisme. Trois lettres à un pu-
bliciste, qui lui méritèrent les éloges du souverain
pontife; et par des luttes sans trêve contre la législation
scolaire de 1879, laquelle, méconnaissant la foi du peu-
ple belge et l'esprit même de la constitution, tendait à
déchristianiser l'enfance. D'autres soucis lui vinrent
des accusations injustes et des révélations indiscrètes
du monomane évêque de Tournai, Ms"" Dumont, que
Léon 'XIII fut contraint de déposer (1880). Parmi des
travaux ininterrompus, ses forces déclinaient, et le
28 septembre 1883, le cardinal expira saintement à
Malines, dans la soixante-treizième année de son âge.
II. Œuvres. — Le P. Dechamps a beaucoup écrit;
ses Œuvres complètes ont été publiées en 17 volumes
à Malines. Les t. i, iv, vu, xvi, contiennent les œuvres
apologétiques : Entretiens sur la démonstration catho-
lique de la vérité chrétienne, traduits en allemand par
Heinrich; La divinité de Jésus-ChHst; La question
religieuse résolue par les faits ; Lettres- philosophiques
et théologiques ; Pie IX et les erreurs de son temps.
Aux t. v et viii appartiennent des œuvres et des opus-
cules de piété ou de zèle : La nouvelle Eve, -Saint Vin-
cent de Paul et la plus grande de ses œuvres: Aver-
tissement aux familles chrétiennes, etc. Les Œuvres
oratoires et pastorales remplissent les t. x-xiv. Le
cardinal était persuadé que ses Instructions pastorales
feraient encore du bien après sa mort; aussi, aux der-
niers jours de sa vie, en dressa-t-il une liste détaillée
d'après les matières. Les opuscules, contenus dans les
t. VI, IX, XV, concernent la doctrine de l'infaillibilité
pontificale, visent le libéralisme et la franc-maçonnerie.
Le t. XVII contient des lettres diverses. Une partie des
Œuvres oratoires du P. Dechamps avait paru dans les
Orateurs sacrés de Migne, Paris, 1856, t. lxxxvi,
col. 667-754. La brochure : L'infaillibilité et le concile
général^ est reproduite par Mo»- Cecconi, Storia del
concilio ecumenico Vaticano, Rome, 1878, part. I, t. ii.
p. 743-847, et la lettre à un laïque. Jbid., p. 849-854.
m. Doctrine. — Le P. Dechamps. penseur, ascète,
orateur, n'était pas un érudit, et son biographe, le
P. Saintrin, en convient sans peine. Il allègue, à l'ap-
pui de sa thèse, saint Augustin, saint François de
Sales, Bossuet, Pascal, Fénelon ; il cite souvent deux
théologiens, Dens qu'il avait étudié au séminaire, Lie-
berroann qu'il expliqua plus lard à ses scolastiques; il
invoque la haute autorité de saint Thomas ; mais les
auteurs qu'il parait posséder le mieux, c'est saint Al-
phonse de Liguori et Joseph de Maistre. C'est sans
doute le P. Dechamps que visait Charles de Rémusat,
d'ailleurs très récusable, quand il écrivait : « Je pour-
rais citer un auteur de l'esprit le plus élevé et le plus
conciliant qui ne s'est pas aperçu, dans un ouvrage
récent et distingué, qu'en prenant M. de Maistre pour
un des grands philosophes de son parti, il semblait cher-
cher la discorde éternelle et recommencer la guerre de
principes. » Du traditionalisme, dans la Revue des
dettx mondes, 15 mai 1857.
Muni de ces ressources, dont il fit constamment un
habile usage, et d'une pensée méditative affinée par
l'expérience, le P. Dechamps a-t-il été en apologé-
tique un novateur ? Certes, il ne songeait pas à l'être.
« 11 suffit de lire les Entretiens, a-t-il écrit, pour être
persuadé que, Dieu aidant, je ne serai jamais de ceux
qui prétendent à Vinouï en théologie. » Troisième
lettre théologique, p. 87. En un certain sens, il a ce-
pendant été novateur, car il a rassemblé, précisé, coor-
donné des éléments que lui fournissait la tradition la
plus vénérable, et dont les manuels classiques n'étaient
pas dépourvus. En quoi consiste donc l'apologétique du
P. Dechamps? Elle se résume dans l'épigraphe des En-
tretiens : « 11 n'y a que deux faits à vérifier, l'un en
vous, l'autre hors de vous ; ils se recherchent pour s'em-
brasser, et de tous les deux, le témoin c'est vous-même. »
Le fait intérieur, c'est le besoin de l'âme qui appelle, sans
pouvoir se la donner elle-même, une réponse au pro-
blème de son origine et de sa destinée; le fait exté-
rieur, c'est la réponse que, par l'organe de l'Église,
Dieu donne à celte question. Ajoutons, et ce point est
capital dans la thèse de l'apologiste, que l'Église est
elle-même un motif de crédibilité qui a se distingue de
tous les autres en ce sens qu'il est présent, vivant et
parlant, par conséquent en ce qu'Use manifeste et s'ex-
plique lui-même.-n Cinquième lettre théologique, p. 159.
« Telle est, a écrit le prince Albert de Broglie, Coites-
pondant du 25 avril 1857, la vive et ingénieuse dé-
monstration du P. Dechamps. C'est son développe
ment favori ; il y trouve le moyen de faire disparaître
tous les livres, toutes les recherches, toutes les dis-
putes, de tout réduire au contact direct de l'âme et de
la vérité, » de la vérité transmise aux hommes par
Vautorité divine enseignante, ajoute le P. Dechamps,
qui cite ce passage. Deuxième lettre théologique, p. 12.
Des critiques d'ordre divers ont été adressées à ce
système. Du fait que l'âme humaine appelle, postule,
si l'on veut, une réponse à la question de son origine
et de sa destinée, peut-on rigoureusement conclure
que Dieu la lui a donnée, et la lui a donnée sous la
forme d'une révélation positive et d'une Église infail-
lible? Le prétendre serait grave, a-t-on dit, car on
ferait ainsi d'un don purement gratuit une exigence de
notre nature. Sans le vouloir, ne renouvellerait-on pas
une des thèses de Baius? Le P. Dechamps s'en est
expliqué de manière à écarter tout soupçon d'hétéro-
doxie. Il a reconnu hautement qu'une convenance, pro-
venant de l'ordre établi par Dieu môme, ne constituera
jamais une exigence; que, d'ailleurs, la première par-
tie de sa thèse (l'existence du fait intérieur), purement
préparatoire, fût-elle même contestée, n'infirme point
la seconde (l'existence du fait extérieur). Le plus grave
comme le plus modéré de ses critiques théologiens
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181
DECHAMPS
DECISION
182
S est déclare satisfait, or Nous sommes d*accord, a dit
le R. P. Matignon, sur deui points, à savoir : !<> que
la correspondance, qui existe entre les aspirations na-
turelles ou surnaturelles de Tâme humaine et les
réponses divines que la religion leur apporte, ne con-
stitue pas par elle-même une preuve absolue et invin-
cible, mais bien une preuve de sentiment et une indi-
cation providentielle de la vérité; 2» que la véritable
démonstration chrétienne, la seule rigoureuse et absolue,
est la démonstration objective, c'est-à-dire celle que
fournit le grand fait extérieur que Dieu a mis sous
nos yeux : Jésus-Christ, avec son caractère, sa doctrine,
ses miracles, l'Église avec les conditions surnaturelles
de son existence, de son établissement, de sa du-
rée, etc. • Études religieuses, avril 1864, p. 127.
Sur nn autre point encore, relevant moins stricte-
ment de la théologie que de l'expérience, une critique,
disons au moins une difficulté, a été posée au P. De-
champs. Q Dans notre humble opinion, disait le
prince Albert de Broglie, loc. cit., la preuve de la foi
chrétienne que le nouvel apologiste nous développe
avec une chaleur entraînante et contagieuse, est moins
une démonstration proprement dite que la vive des-
cription d'un fait. C'est la peinture historique de la
manière dont, le plus souvent, sous l'influence de la
grâce, une âme se convertit à la foi ; ce n'est pas préci-
sément l'arme dont elle peut se servir pour fortifier
en elle-même contre les désirs, les tentations, les
objections, cette foi encore chancelante. C'est l'histoire
de la conversion des âmes : ce n'est point proprement
la preuve de la vérité. C'est ainsi qu'on prend pied à
terre : ce n'est pas tout à fait ainsi qu'on peut y creu-
ser un port et y élever des digues. »
M. de Broglie n'a pas été le seul à exprimer de telles
réserves. M. l'abbé Mallet, qui croit reconnaître et qui
salue dans la méthode apologétique du P. Dechamps
comme un premier essai de l'apologétique de ïimma-
nence, a cependant écrit que * celte méthode ne sau-
rait prétendre à être complète en soi et explicitement
suffîsante ; elle ne vaut jamais, ajoute-t-il, que par un
recours implicite aux préambules rationnels et aux
fondements historiques de la foi catholique. » L'œuvre
du cardinal Dechamps, dans les Annales de philoso-
phie chrétienne, mars 1907, p. 575. Ces préambules
rationnels, ces fondements historiques, le concile du
Vatican les a aus?i indiqués, car outre qu'il revendique
pour la raison le droit de se prouver l'existence et les
attributs de Dieu, il rappelle ces faits divins, prophé-
ties et miracles, qui sont des signes très certains de la
ré\élation. Const. Dei Filius, c. ii, De fide. Le P. De-
cliacnps n'a pas ignoré la valeur probante de ces mani-
festations divines; mais son attrait, l'expérience des
âmes, particulièrement l'expérience d'âmes revenues
du protestantisme à la vraie foi, lui suggéraient l'em-
ploi prédominant, j'ai presque dit exclusif, de l'argu-
ment fourni par le grand fait de l'Église. Cependant,
quelle que soit son excellence intrinsèque, cet argu-
ment D*a pas sur toutes les âmes une égale efficacité.
Certains esprits qu'inquiètent des difficultés critiques,
exégétiques, historiques, s'engagent, pour les résoudre,
dans une voie de laborieuses recherches. L'Église, qui
recommande la route où s'est complu le P. Dechamps,
ne décourage pas ces efforts; elle en espère même le
succès, pourvu qu'ils soient conduits avec une sage
méthode et une sincérité parfaite.
Dechamps, Œuvres complètes; R. P. Henri Salntrin, Vie du
cardinal Dechamps, Tournai, 1884; M" Van Weddlngen, lievue
g^nérate de Bruxelles, t. xxxiv (1881); Léon Bossu, Notice sur
le» Œuvres complètes du cardinal Dechamps, Louvain, 1879 ;
Ami de la religion, art. des 11, 13, 20 février, 17 et 20 avril
16S6. qui sont de Tabbé Cognât; Union du 8 juillet 1859; Le
Christ et les Antechrists (art. d'A. Largent); Kirchenlexikon ,
t m, col. 14354437 ; Hurter, Nomenclator, t. m, col. 1197 ;
Annales de philosophie chrétienne, octobre 1905, février,
mars 1906, mars 1907 : L'œuvre du cardinal Dechamps (art. de
M. Tabbé F. Mallet).
A. Largent.
DÉCHAUSSÉS. Dieu dit à Moïse : c Ote tes san-
dales de tes pieds, » Exod., m, 5, et à Josué : « Ote ta
chaussure de tes pieds. » Jos., v, 16. De même, Isaïe
reçut l'ordre de Jéhovah de marcherdéchaussé. Is.,xx,
2. Prenant ces textes pour un ordre général, quelques
chrétiens bornés s'étaient mis à marcher toujours nu-
pieds. Saint Augustin, sans nous dire d'où étaient ces
chrétiens et sans ajouter d'autres détails, les traite
d'hérétiques, non point parce qu'en agissant ainsi
ils se mortifiaient, mais parce qu'ils entendaient de
travers ces passages de l'Écriture. Hœr., lxviii, /*. L.,
t. XLii, col. 42. C'est entendre le mot hérésie dans un
sens beaucoup trop large; il aurait suffi, semble-t-il,
de ranger ces déchaussés parmi les simples d'esprit ou
les originaux.
G. Bareille.
DÉCISION. Comme dans le langage ordinaire, ce
mot peut être employé en droit canonique dans
l'acception générique d'un acte par lequel une auto-
rité quelconque (administrative, judiciaire, doctrinale)
prend parti dans une affaire, après examen. C'est en
ce sens qu'on parle des décisions des Congrégations
romaines, d'un conseil épiscopal, etc. On pourrait qua-
lifier de la même façon l'acte d'un confesseur refusant
l'absolution. Quiconque a juridiction peut être amené
à prendre ainsi des décisions au sens large.
Mais l'expression présente à l'esprit du canoniste un
sens plus précis et désigne dans la masse des actes de
l'autorité ecclésiastique une catégorie très spéciale qui
n'a son équivalent dans aucune législation civile. Le
type en est la décision de la Rote, imitée ensuite par la
Chambre apostolique et par la Signature de justice.
En étudiant la première, nous aurons fixé le lecteur sur
toutes les autres espèces. — L Ce qu'est une décision
de la Rote. IL Utilité pratique de la décision. III. Ori-
gine de cette procédure. IV. Recueils des décisions de
la Rote.
I. Ce qu'est une décision de la Rote. — On peut la
définir : « Un acte extrajudiciaire formulant et moti-
vant, avant sentence, l'avis du tribunal sur le point en
litige. >)
C'est un acte extrajudiciaire ; aussi le document où il
est exprimé n'est-il pas rédigé par un notaire, mais par
le juge rapporteur, par le ponent, auditeur de Rote à
qui l'instruction de l'affaire avait été confiée, et qui,
l'ayant rapportée devant le twmum (voir Rote), a
recueilli les votes de ses collègues après discussion. En
quittant l'audience, chacun des quatre auditeurs com-
posant le twmum laisse par écrit son votum motivé, à
l'auditeur ponent. Ce dernier est le mieux renseigné
déjà, puisque : !<> il a été désigné dès le commencement
par commission papale poursuivre l'affaire; 2'> il a fait
ou fait faire toutes les enquêtes nécessaires; 3<> il a en-
tendu contradictoi rement les parties ef rédigé avec elles
le questionnaire (dubium) auquel doit répondre la sen-
tence. C'est lui qui rédige la décision en se servant des
notes laissées par ses collègues et des souvenirs qui lui
sont restés de l'audience. La décision porte en tête le
nom du ponent qui en est le rédacteur, puis le litre de
la cause, et la date, par exemple :
R. P. D. URSINO
Romana Census
Veneris, 23 februarii, 1685.
Après un court préambule (que les collecteurs de
décisions de la Rote font précéder d'un sommaire), le
ponent indique l'objet du litige en reproduisant le du-
bium que suit la réponse de la Rote, par simple affir-
mation ou négation. Viennent ensuite les motifs de la
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1«3
DÉCISION
184
décision. Le ponent présente, dans un ordre métho-
dique, tous les arguments de fait et de droit qui ont
été invoqués par ses confrères aussi bien dans les vota
opposés à la conclusion adoptée par la majorité que
dans ceux qui lui sont conformes. Après chaque argu-
ment en faveur de la thèse qui a triomphé, le ponent
expose les exceptions invoquées par les adversaires et
les raisons pour lesquelles la majorité ne s'y est pas
arrêtée. 11 n'omet, autant que possible, aucun détail,
en sorte que la physionomie complète des débats est
reflétée par la partie du document qui vient après
renoncé de la solution adoptée. Le compte-rendu des
débats est suivi de formules assez variées, par exemple :
Domini ex rationibus in supra scripta decisione fue-
runt in voto, ou encore : Et ita utraque parte infor-
mante oninibtisque Doniinis de ordine Sanctissinii
suffragantibus decisum fuit... Et ita N, tantum infor-
mante résolu tum fuit.
Ce compte rendu de la discussion suit dans la rédac-
tion de la décision la réponse de la Rote pour l'expli-
quer, au lieu de la précéder pour la préparer comme
le font les considérants des sentences de nos tribu-
naux civils. C'est une première différence. II faut re-
marquer aussi que le style des décisions de la Rote est
plus varié; le ponent n'est pas embarrassé dans l'ex-
pression de sa pensée par le cadre obligatoire des
attendu que, 'considérant que, vu, etc. 11 peut faire
des citations, donner des références aux auteurs et n'a
d'autre souci que de résumer complètement les débats,
de veiller à être clair et précis.
Les décisions rendues ainsi par la Rote sont innom-
brables, car il est d'usage, à ce tribunal, de faire pré-
céder toute sentence, même celles que nous appelle-
rions jugements préparatoires, jugements avant faire
droit, de documents de ce genre. Reaucoup sont donc
sans aucun intérêt, mais beaucoup aussi sont d'une très
grande importance, soit à cause de la gravité deTafiaire
traitée, soit à cause de la compétence du ponent qui l'a
résumée et expliquée. Certaines décisions ont, à cause
de leurs rédacteurs, une autorité incontestée. Les déci-
sions coram Merlino ou coram Bicchio, c'est-à-dire ré-
digées par Merlin ou Ricchio après des discussions
auxquelles ils avaient assisté comme ponent», sont de ce
nombre.
Les Congrégations romaines ne donnant jamais les
considérants de sentences, il se trouve que, maintenant
encore, les décisions de la Rote constituent la source prin-
cipale de renseignements sur la jurisprudence de la
cour romaine. Et cependant il faut remarquer que la
solution placée en tête de la décision n'est pas plus un
jugement que la décision n'est un acte judiciaire. C'est
ce qui donne à la décision de la Rote son caractère tout
spécial et la distingue le plus profondément de tout
autre document émanant des tribunaux civils ou ecclé-
siastiques, anciens ou modernes.
Il faut, pour terminer le procès, que la Rote inter-
vienne à nouveau, mettant le ponent en demeure de
transformer en sentence judiciaire la solution adoptée.
II. Utilité pratique de la décision. — Si la sen-
tence conforme n'intervient pas immédiatement après
la rédaction de la décision, c'est que la procédure de la
Rote prescrit de communiquer d'abord aux parties le
document qui exprime si parfaitement l'opinion du tri-
bunal sur leur affaire. Les intéressés, mis ainsi en pré-
sence de l'avis motivé de leurs juges, peuvent éviter la
sentence qui les menace, en terminant leur différend à
l'amiable, ou demander que l'affiaire soit remise en dis-
cussion, tel point de fait ou tel argument de droit ne
leur paraissant pas avoir été mis suffisamment en
lumière. Cette procédure spéciale permet donc au plai-
deur imprudent d'éviter l'humiliation d'une condam-
nation et aux juges le désagrément de porter trop hâti-
vement un jugement qui pourrait être ensuite attaqué.
S'il n'y a pas conciliation entre les intéressés, la
partie victorieuse demande que la Rote émette le décret
prescrivant au ponent de transformer la décision en
sentence ; la partie menacée peut de son côté deman-
der le benefîcium nov» audientiœ sous prétexte que les
juges n'ont pas été suffisamment documentés. Les juges
informés par le ponent des désirs des parties rendent
un décret de nouvelle audience ou au contraire de trans-
formation de la décision en sentence.
III. Origine de cette procédure. — Le souci de
concilier les plaideurs et de ne formuler une sentence
souvent irréparable qu'après s'être entouré de toutes les
sûretés et après avoir entendu les observations des
parties explique la permanence de cette procédure
longue et compliquée. Mais ce qui en explique l'ori-
gine, c'est l'histoire même de la formation de la Rote.
Les auditeurs du Sacré Palais ou de la Rote n'étaient
au commencement que les rapporteurs des causes qui
devaient être jugées en consistoire sous la présidence
du pape; ils n'avaient donc à formuler que des décisions
motivées des consultations, n'ayant pas le caractère de
sentences judiciaires, ces dernières étaient réservées
aux cardinaux et en dernière analyse au pape. N'étant
pas juges, ils pouvaient fort bien communiquer aux
intéressés, pour recevoir leurs observations et pour ame-
ner une conciliation ou pour prévenir des malentendus,
le document extrajudiciaire qu'ils avaient préparé dans
le but d'éclairer la religion des juges. Les longueurs
qui en résultaient n'étaient rien à côté des avantages
qu'y trouvait la bonne administration de la justice.
Mais un jour les auditeurs de la Rote devinrent juges.
Ce fut devant ses collègues et non plus devant le con-
sistoire que le ponent fit son rapport ; le nouveau tri-
bunal garda la pratique qui lui avait paru équitable au
temps où il n'était qu'une chambre de consultation, et
il s'astreignit à communiquer sa décision comme par
le passé, avant de remonter sur le siège pour jouer le
rôle de juge par le prononcé de la sentence.
Le procédé avait paru si équitable que le tribunal de
la Chambre apostolique (tribunal de droit commun) et
celui de la Signature de justice (cour de cassation et
tribunal des conflits) avaient adopté sur ce point la pra-
tique de la Rote.
Aucune de ces trois sources de décisions n existe plus.
La Rote ne se survit à elle-même que comme une
chambre de consultation annexée à la S. C. des Rites
pour les procès de béatification et de canonisation et
ne s'occupe plus du contentieux qui a été petit à petit
absorbé par les Congrégations romaines. Or ces der-
nières, qui ont plein pouvoir pour juger, non seulement
selon la rigueur du droit, mais aussi selon l'équité,
revêtues qu'elles sont de la puissance même du prince,
ne motivent pas leurs sentences.
IV. Recueils des décisions de la Rote. — Dès le
XIV» siècle, les décisions les plus importantes ont été
recueillies dans des collections manuscrites; il n'existe
guère de grande bibliothèque qui ne possède un codex
de cette espèce. La collection manuscrite qui s'arrête à
Tannée 1376 était célèbre entre toutes, et les anciens
canonistes la citent sous le titre de antiquœ decisiones.
Comme éditions imprimées citons parmi les autres, par
ordre de date : DecisicSnes Rotœ, coUectore de llobosch,
in-fol., Rome, 1742; Rebuffi Decisiones Rotœ antiquœ
et antiquiores, Lyon, 1555; cette collection suit l'ordre
des Décrétales. Sous ce nom de Decisiones Rotœ ou de
Decisiones Sacri Palatii, on a les collections d'Achille
et César de Grassis, 1601, Mohedanus, 1603, Rellemere,
Cassiodore, Capella Tholosana, Beninlandi, de 1613 à
1618, Beltraminus, 1630, Othobonus, 1657.
Le grand effort pour réunir en un tout les décisions
de la Rote a été fait par Farinacci qui, après avoir
donné à Cologne en 1619 deux volumes intitulés : Sanctœ
Rotœ decisionum selectarum partes II, n'a pas moins
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185
DÉCISION — DÉCLARATION DE 1682
186
de 25 in-fol. de décisions de la Rote dans ses œuvres
complètes, Venise, 1716. Les t. xxvi-xxix ont été ajou-
tés en 1734 à Venise et le nombre total s'élève à qua-
rante, t. xxx-XL, Rome, 1751-1763. Enfin on trouve par-
fois deux volumes de supplément qui conduisent jus-
qu'en 1792. Au cours de cette publication avaient paru :
Sacrœ Rotw romanœ decisiones, Venise, 1707, en
appendice au Theatrum veritatU etjuns de De Luca,
4 in-fol. ; Sacrœ Rotœ romanœ decisioneSf 5 tomes en
6 in-fol., Rome, 1728; 2 vol. d'index, le tout par Moli-
nes, doyen de la Rote ; Decisiones Rotœ romanœ recen-
tiares in compendium redactœ, 6 in-fol., Venise, 1754;
Decisiones Rotœ ronianœ coram cardinali Rezzonico
nuperrime ex originalibus depromptœ, 2 in-fol.,
Rome, 1760; Patrizi, Decisiones Sacrœ Rotœ, Rome,
1832, est on abrégé.
P. FOURNERET.
DÉCLARATION ou LES QUATRE ARTICLES
DE 1682, déclaration solennelle par laquelle une
assemblée d'évéques et de prêtres, affirmant représenter
le clergé de France, et réunie sur Tordre de Louis XIV,
en lutte avec le saint-siège, prétendit définir les doc-
trines de l'Église gallicane touchant la primauté de
juridiction et d'enseignement du souverain pontife. —
I. Les origines. La régale. H. L'intervention de l'épis-
copat gallican. La lettre de 1680 et la petite assemblée
de 1681. III L'assemblée de 1682. IV. Les quatre articles.
V. Les papes et les quatre articles jusqu'en 1693. VI. Les
quatre articles de 1715 à 1870.
I. Les origines. La régale. — La crise de 1682
marque le point extrême du conflit élevé entre la
monarchie française et la papauté depuis Charles VU
et même depuis Philippe le Bel, touchant les rapports
et les limites des deux puissances, et nullement résolu
par le concordat de 1516. Le conflit s'est aggravé,
d'un côté, avec l'affirmation plus hardie des doctrines
ultramontaines et l'effort tenté par la papauté durant la
Ligue, pour restaurer la puissance romaine, cf. de
l'Épinois, La ligue et les papes, in-8o, Paris, 1886,
d*un autre, avec la constitution de la monarchie abso-
lue qui veut dominer l'Église comme tout le reste, et
avec la théorie du droit divin qui fait du roi l'élu de
Dieu aussi bien que le pape. Les rois sont poussés ou
soutenus dans leurs prétentions par le parlement ou
par le clergé. Les légistes du parlement leur fournissent,
érigés en maximes d'État, les principes les plus intran-
sigeants du réalisme; ce sont les maximes gallicanes,
les libertés de l'Église gallicane, Pierre Pithou les a
codifiées en 1594. L'épiscopat gallican soutient, lui
aussi, ces libertés, mais avec moins d'intransigeance :
il les interprète à sa façon; jaloux de son indépendance
menacée par; « les prétentions de Rome », soutenant
Vépiscopalisme, c'est-à-dire la doctrine de l'institution
divine des évéques et même la supériorité de l'Église
réunie en concile sur le pape, tout en reconnaissant la
primauté romaine, il s'appuie sur le roi qui le nomme
d'ailleurs, pour lutter contre les doctrines ultramon-
taines. Tant que le pape et le roi y mirent quelque
bonne volonté, les choses n'allèrent point aux extrêmes.
Mais la seconde moitié du xvii* siècle mit aux prises
Louis XIV et Innocent XI, un roi et un pape peu dis-
posés aux concessions. Louis XIV ne pouvait s'expliquer
t qu'il existât d'autres droits que lès siens, ou du moins,
des droits contre les siens »; il avait « la vive persua-
sion de la sainteté et presque de l'inraillibilité de sa
mission »; puis, il était t le gallicanisme vivant, agis-
sant, militant, triomphant ». Hanotaux, Recueil des
imtructions données aux ambassadeurs. Rome, t. i,
préfoce. Aucun contre-poids, ni du côté des événe-
ments : il n'a pas encore connu la défaite, ni du côté des
hommes : il n'a pas encore connu, pour ainsi dire,
d'opposition. D'ailleurs, ses ministres, Colbert entre
autres, le poussent aux mesures extrêmes vis-à-vis de
Rome. Innocent XI, élevé au pontificat en 1676, était un
pape austère qui avait, à Rome même, déclaré la guerre
aux abus les plus invétérés, comme le népotisme, très
attaché aux principes, qui déclarait que « lorsqu'il
s'agit de conscience, il faut satisfaire à Dieu et à son
devoir, et après, laisser à Dieu le soin de calculer ce
qui pouvait arriver ». A Rome d'ailleurs, où l'on avait
beaucoup à se plaindre de Louis XIV, il y avait un parti
antifrançais très actif, qui ne fut pas sans influence
sur l'esprit du pape. L'occasion de la crise fut une
question de moindre importance, mais mal posée, la
question de la régale, qui allait devenir « une grande
question de politique générale », Roussel. On appelait
régale le droit que prétendait le roi de percevoir les
revenus des évêchés vacants et de nommer aux bénéfices
qui en dépendaient. Ce droit, affirmaient les légistes,
appartenait au souverain en vertu de sa couronne et de
son domaine éminent sur les biens-fonds du royaume :
il était donc indépendant des règlements ecclésiastiques,
antérieur à tous les canons et universel. Ce droit, affir-
mait le clergé, est un droit spirituel; le roi ne peut
l'exercer que par une pure concession de l'Église et
dans les limites fixées par l'Église. En fait, le 1I« concile
de Lyon (1274) avait autorisé le droit de régale dans les
évêchés où il existait alors, mais il avait interdit de
l'étendre; et un certain nombre de diocèses de France,
notamment des quatre provinces du Midi, Languedoc,
Guyenne, Provence et Dauphiné, avaient échappé à ce
droit. Or, en 1608, à propos de l'évêché de Belley, le
parlement de Paris proclama tout évêché soumis' à la
régale par le fait qu'il rentre dans le domaine du roi.
Le clergé protesta. L'afl'aire dura plus de soixante ans;
enfin, le 16 février 1673, Louis XIV tranchait la question
en sa faveur. Un édit déclarait que le droit de régale
appartenait au roi dans tous les évêchés du royaume,
à l'exception a de ceux qui en étaient exempts à titre
onéreux ». Cet édit avait un efl'et rétroactif : les évêques
des diocèses jusque-là exempts étaient tenus de faire
enregistrer leur serment de fidélité à la Cour des
comptes de Paris et d'obtenir d'elle des lettres de main-
levée pour leurs revenus, dans les six mois. Passé ce
délai, la régale serait considérée comme ouverte dans
les églises des prélats qui n'auraient pas accompli cette
formalité. En 1675, un nouvel édit complétait le précé-
dent. Pratiquement, cette extension de la régale était de
peu d'importance : jusqu'en 1641, les revenus des
évêchés vacants étaient attribués à la Sainte-Chapelle ;
depuis, ils étaient restitués aux nouveaux titulaires
sauf un tiers employé à secourir les protestants con-
vertis; puis, Louis XIV pourvoyait très vite aux vacances;
enfin, l'on a calculé que pour les diocèses des quatre
provinces du Midi ainsi atteintes, le roi nommait à dix
postes au plus par an. Cf. M. Dubruel, Innocent XI
et l'extension de la régale d'après la cofrespondance
-du cardinal Cibo avec Léopold /«»•, dans la Revue des
questions histongues, l" janvier 1907. Rome se tut en
1673 et en 1675. L'épiscopat gallican fît de même : les
évêques atteints se soumirent, ou après avoir adressé
au roi des remontrances respectueuses, ainsi Sevin de
Cahors, ou après avoir inséré des protestations dans
leurs archives, ou pour la plupart^sans mot dire. Seuls,
Pavillon, évèque d'Alet, et Caulet, évéque de Pamiers,
qu'il entraîna, refusèrent de se soumettre; ils allèrent
jusqu'à défendre à leurs chapitres de recevoir les réga-
liens et à excommunier ceux-ci. Leurs ordonnances
furent cassées par le vicaire général du cardinal de
Bonzi, archevêque de Narbonne et métropolitain d'Alet,
et par Joseph de Montpezat, archevêque de Toulouse
et métropolitain de Pamiers. Les deux sentences étaient
irrégulières, car les parties n'avaient pas été entendues;
les deux évêques en appelèrent au pape. Le pape accepta
cet appel, régulier d'ailleurs. Pavillon et Caulet étaient
deux jansénistes : par certains côtés, l'aflaire apparaîtra
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DÉCLARATION DE 1682
188
encore bientôt comme un conflit entre jansénistes, in-
triguant à Rome avec l'appui de la faction hostile à la
France, et jésuites intriguant à Paris par l'intermédiaire
du P. La Chaise et poursuivant la destruction de deux
foyers de l'hérésie janséniste. Le 8 décembre 1677, mou-
rail Pavillon : toute la lutte se concentra autour de
Caulet et devint l'affaire de Pamiers. La question de la
régale occupa le premier plan de 1677 à 1681. 11 y eut
une première phase assez calme. Innocent XI, « qui
apprit à la fois l'existence du droit de régale, l'exten-
sion décrétée par Louis XIV et la prohibition portée
par le 12* canon du II« concile de Lyon, » semble ne
pas vouloir pousser les choses à l'extrême et Louis XIV,
d'abord surpris d'une résistance d'ailleurs tardive à un
droit qu'il juge incontestable, parait vouloir gagner du
temps et attendre un pape plus facile. Le 42 mars 1778,
un premier bref exprime au roi une protestation paci-
fique. Louis XIV répond en manifestant sa surprise au
nonce, puis dans une lettre datée de juillet au pape lui-
même. En janvier 1679, nouveau bref, daté du 21 sep-
tembre 1678 : le pape y démontre les inconvénients de
l'ingérence des officiers royaux dans les affaires spiri-
tuelles. Le roi ne répond point. Dès lors le pape accen-
tue les démonstrations : il avait adressé le 4 janvier
1677 un bref à Caulet pour l'assurer de sa protection, le
18 un bref de blâme à l'archevêque de Toulouse; le
2 août, il envoyait un second bref à Caulet et surtout
le 29 décembre il adressait à Louis XIV un troisième
bref : celte fois, il menaçait. Il avait même préparé,
avec l'aide d'une congrégation spécialement composée
dans ce but, une constitution apostolique qui eût con-
damné solennellement la régale : il n'osa pas encore.
Toutefois Louis XIV prit peur; il réunit plusieurs
conseils : on lui parla d'un concile national; on lui dit
qu'il pourrait feindre d'ignorer le bref; c'est alors qu'il
s'arrêta à ce troisième parti : gagner du temps pour
attendre la disparition d'un pape déjà âgé et usé.
Par une lettre du l" juillet 1680, il fit donc annoncer
au pape l'envoi d'un ambassadeur extraordinaire, le
cardinal .d'Estrées, dont le frère, le duc, était ambassa-
deur à Rome depuis 1672, qui avait déjà rempli à Rome
plusieurs missions et que le pape, dans un bref du
28 février 1680 adressé au cardinal lui-même, avait
manifesté le désir de voir chargé de cette mission con-
ciliatrice. D'Estrées avait pour instruction de ne rien
céder et de faire traîner les affaires en longueur; il
n'arriva d'ailleurs que longtemps après son voyage
annoncé.
Dans l'intervalle, Louis XIV avait complété son plan
d'action.
Sur la régale, voir Andraul, Traité de l'origine de la régale,
ln-4% Paris, 1708; Fleury, Institution au droit ecclésiastique,
2 in-12, Paris, 1687 ; Philipps, Dos Regalienrecht in Frank-
reich, in-8% Halle, 1873; Viollet, Précis de l'histoire du droit
français, 4 in-8', Paris, 1884.
IL L'intervention de l'épiscopat gallican. La
LETTRE DE 1680 ET LA PETITE ASSEMBLÉE DE 1681. —
Tandis que la lettre du l^i* juillet remplissait d'espé-
rance Innocent XI qui en écrivait à Caulet dès le 7,
Louis XIV imaginait une manœuvre que Napoléon de-
vait reprendre contre Pie VII : faire approuver par
l'épiscopat gallican ses mesures et son attitude, pour
rendre le pape plus facile. Peut-être voulait-il aussi
rassurer par là sur son orthodoxie ses sujets plus ou
moins avertis des menaces du pape. Une assemblée or-
dinaire du clergé de France se tenait alors justement
à Saint-Germain (25 mai-5 juillet); le 10 juillet, alors
que les députés attendaient d'être reçus par le roi en
audience de congé, leur président Harlay de Champ-
vallon, archevêque de Paris depuis 1672, gallican
convaincu, serviteur dévoué du roi et presque ennemi
personnel du pape, surprit d*eux une lettre de protes-
tation au roi contre le bref du 29 décembre, qui fut
imprimée, après quelques corrections de détail, sous
ce titre : Lettre éante au roi par nos seigneurs les
archevêques, évêques et autres ecclésiastiques députés
du clergé de France assemblés à Saint-Gemiain-en-
Laye, sur le dernier bref du pape au sujet de la
régale. Les évêques, sans vouloir juger du fond de
l'aflaire, protestent contre les menaces que contient le
bref, contre « cette procédure extraordinaire qui, bien
loin de soutenir l'honneur de la religion et la gloire
du saint-siège, serait capable de les diminuer », contre
les manœuvres de « quelques esprits brouillons » qui
« font tous leurs efforts pour exciter la mésintelligence
entre le sacerdoce et la royauté dans un temps où ils n'eu-
rent jamais plus de sujet d'être unis par la protection
que vous donnez à la foi, disaient-ils au roi, à la disci-
pline ecclésiastique et à l'extirpation des hérésies et des
nouveautés ». Enfin, ils affirment être a si étroitement
attachés d à un roi « qui surpasse par son zèle et par
son autorité tous ceux qui ont été devant lui », que
« rien n'est capable de les en séparer ». Cette lettre ne
parait pas avoir ému Innocent XI. Mais il ne tarda pas
à comprendre qu'il n'avait rien à attendre de la mis-
sion du cardinal ; puis, les mesures de rigueur conti-
nuaient à Pamiers, où éclatait le schisme de Pamiers,
car le diocèse eut pour un moment deux chefs. Le
7 août 1680, était mort Caulet. Les chanoines légitimes
choisirent pour vicaire capitulaire l'archidiacre d'Au-
barède, mais dès le 22, il était arrêté et relégué à Jar-
geau, puis à Caen. Un second, le P. Rech, eut le même
sort; le troisième, le P. Certes, sut se cacher. Cepen-
dant le métropolitain nommait à deux reprises un vi-
caire capitulaire parmi les régalistes, soit franchement,
soit après une feinte destinée à donner une apparence
canonique à la seconde nomination. Cerles protestait
et en appelait au pape. Là-dessus, sur l'ordre du chan-
celier LeTellier, le parlement de Toulouse condamnait
Cerles à avoir la tête tranchée, 16 avril 1681, et il était
exécuté en effigie à Toulouse et à Pamiers. Au même
moment, 14 janvier 1681, le parlement ordonnait sous
un prétexte financier, en réalité contre le pape, la fer-
meture du monastère de Charonne. Le roi, avec le
concours de l'archevêque de Paris, y avait nommé et
installé en 1677 une abbesse, au mépris de tout droit
et de toute règle. Les religieuses en avaient appelé au
pape, qui avait annulé la nomination faite, blâmé l'ar-
chevêque et ordonné aux religieuses de procéder aux
élections voulues par leurs règles, 7 août 1679. Inno-
cent XI répondit à toutes ces mesures par une double
série de démarches : il continua à négocier; il priait
le roi de négocier à Paris par l'intermédiaire de
l'évêque de Grenoble, Camus; mais en même tetnps, il
montra qu'il ne céderait rien sur les principes : le
18 décembre 1680, il condamnait comme renfermant
une doctrine « schismatique, approchant de l'hérésie,
et injurieuse au saint-siège » un livre de l'abbé Gerbais
docteur de Sorbonne, agent de Colbert. Ce livre inti-
tulé : De causis majoHbus, soutenait les théories galli-
canes les plus avancées et les plus opposées aux droits
du saint-siège. Puis en janvier 1681, un bref excommu-
niait le vicaire capitulaire nommé à Pamiers par l'ar-
chevêque de Toulouse, indirectement frappé. Louis XIV
refusa de négocier par l'intermédiaire de Camus quUl
savait hostile à la régale, sous prétexte que ce serait
faire injure ao cardinal.
Cependant, son dessein apparent d'opposer au pape
le clergé de France sembla se dessiner alors. 11 eut ici
deux auxiliaires, Harlay de Champ vallon, prêt à tout,
peut-on croire, et l'archevêque de Reims, Le Tellier,
qui nourrit, avec son père le chancelier, et même
Bossuet, le désir d'un accommodement avec Home, dont
le soin serait remis au clergé. Harlay et lui provo-
quèrent d'abord la Petite assemblée de i68i. Ce fut la
réunion des prélats alors présents à Paris. Il y en eut 52
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f qui ne résidaient pas ». Le président fut llarlay. L'as-
semblée tint une première séance le 19 mars : on y
détermina les questions à traiter et six commissaires
qui furent chargés de préparer les décisions; deux
autres séances eurent lieu les l^* et 2 mai. Mais l'assem-
blée ne décida rien, bien que les prélats se plaignissent
de quelques façons d'agir du pape à leur égard et des
violations que le pape avait faites^du concordat dans ses
procédures touchant les affaires de Charonne et de Pa-
mJers. Klle se contenta de demander au roi sous l'im-
pulsion de Le Tellier un concile national ou une assem-
blée du clergé qui déciderait. Voici comment Fleury
résume les actes de la Petite assemblée :
c M. de Paris nomma six commissaires pour exami-
ner les affaires avec lui, savoir, les archevêques de
Reims, d'Embrun... Le l*»" mai, Mo»- l'archevêque de
Reims, chef de la commission, lut son rapport à
l'assemblée : !<> sur la régale, où il conclut que les
évéques de France ont eu raison de se soumettre aux
déclarations de 1673 et 1675, pour le bien de la paix. —
2« Sur les livres de Gerbais et de David. Sur le premier,
on lut un avis des commissaires qui Vapprouve et
ordonne néanmoins que quelques expressions seraient
corrigées. Sur le second, dont on s'était plaint à l'as-
semblée, comme contniire aux droits des évêques, on
lut une explication de l'auteur. — 3® Sur l'affaire de
Charonne. Sans entrer au fond, l'archevêque de Reims
blâme la conduite de la cour de Rome et la forme de
procéder sans entendre M. de Paris. — 4» Sur l'affaire
de Pamiers. Il conclut de même, s'attachant à la
forme et soutenant que l'ordre de la juridiction ecclé-
siastique, les libertés gallicanes sont violées par ces
brefs; que les évéques ne tiennent point leur juridic-
tion immédiate du pape, et que le concordat n'est point
une grâce. Conclusion générale : demander au roi un
concile général national ou assemblée générale du
clergé et cependant publier le procès-verbal de celle-cî.
— En conséquence, le 2 de mai, l'assemblée résolut de
demander au roi un concile national ou une assemblée
générale du clergé, composée de deux députés du pre-
mier ordre et de deux du second de chaque province,
qui n'auraient en cette assemblée que voix consulta-
tive, et le reste, suivant l'avis des commissaires. »
IIL L'assemblée de 1682. — Telle fut l'origine de
l'assemblée dite de 1682. Le roi écarta l'idée d'un con-
cile national : il voulait une manifestation unanime de
son épiscopat, et si certain qu'il fût après tant d'expé-
riences de la docilité des évéques, il pouvait craindre
que sur la question des rapports avec Rome, dans un
concile où tons eussent figuré de droit, il ne se trouvât
quelques opposants. Puis un concile aboutit à des dé-
cisions dogmatiques, sans valeur sans doute si elles
n'ont pas l'approbation du saint-siège, mais telles que
c une désapprobation eût mis l'Église de France dans
la nécessité immédiate ou de se déjuger ou de se pré-
cipiter dans le schisme « (Loyson). H se décida donc
pour une « assemblée générale extraordinaire repré-
sentant le concile. • Cette assemblée devait différer des
assemblées quinquennales ou ordinaires dans les-
quelles les représentants élus du clergé traitaient des
intérêts de Tordre, en ce qu'elle était convoquée en
dehors des intervalles fixés, qu'elle était appelée à
s'occuper de questions exclusivement spirituelles, que,
en conséquence, comme cela eût été dans un concile,
les députés du second ordre n'avaient que voix consul-
tative et que, enOn, l'on y vit les représentants des con-
quêtes récentes et pays d'obédience. Cette assemblée,
nullement canonique, ne pouvait donc porter aucune
(décision ayant une valeur doctrinale et canonique. Elle
tentera la chose cependant.
1' Convocation. — Elle fut convoquée pour le !«»• oc-
tobre 1681, le 16 juin, par une circulaire envoyée à tous
les métropolitiins du royaume, sauf aux métropolitains
de Besançon et de Cambrai, auxquels le roi adressa le
16 juillet une circulaire spéciale. Il y disait que, « dans
une occasion où il s'agissait de matières purement
spirituelles, à la décision desquelles tous les évêques
de son royaume avaient un égal intérêt, il estimait
nécessaire d'y faire venir les députés des provinces,
tant de l'ancien clergé de France qui se trouvent ordi-
nairement aux assemblées tenues pour alTaires tem-
porelles, que des provinces nouvellement conquises. »
2« Élections et procuration. — Cette assemblée fut-
elle vraiment représentative du clergé gallican?
Louis XIV, qui surveillait toujours de près les élections
aux assemblées ordinaires du clergé, intervint cette fois
avec activité dans la composition des assemblées pro-
vinciales et plus activement encore dans le choix des
députés. S'il voulait une démonstration éclatante en sa
faveur, il ne voulait pas cependant, bien qu'il eût
prononcé le mot de schisme, d'hommes à l'initiative
peu mesurée, qui, au lieu d'aider aux négociations,
eussent tout compromis. L'assemblée comprit 36 mem-
bres du haut clergé, 9 archevêques et 27 évéques dont
26 seulement siégèrent, l'évêque de Viviers ayant été
retenu dans son diocèse par ses infirmités. .\ux 36
membres du bas-clergé élus il faut ajouter les deux
agents généraux du clergé, Desmarets et Bazin de Be-
Fons. Tous les élus du haut-clergé dont deux portent
le nom de Colbert, qui s'appellent Le Tellier, Phélip-
paux de la Vrillière, Chavigny, etc., sont profondément
pénétrés des doctrines du gallicanisme épiscopal et
jaloux vis-à-vis de Rome de leurs privilèges. Il y a
cependant parmi eux un groupe plus avancé nettement
hostile à Rome; le type est Harlay; du groupe plus
modéré le type est Bossuet; entre les deux louvoient
des hommes comme le très intelligent archevêque de
Reims, Le Tellier. Tous aussi ont le culte du roi, l'élu
de Dieu, le vainqueur de l'Europe; tous lui doivent
quelque chose et d'abord leur élévation à l'épiscopat.
Seul, ofTre des garanties d'indépendance et n'est pas
imbu des doctrines gallicanes, étant d'une autre origine
que les concordataires, l'archevêque de Cambrai,
Théodore de Brias. Quant aux représentants du bas-
clergé, leurs doctrines sont les mêmes que celles du
haut-clergé : parmi eux figure même Gerbais; peut-être
même leur zèle est-il plus grand, ajanl davantage à
obtenir. Nulle part d'ailleurs ces élections ne provo-
quèrent de difficultés. Ces difficultés vinrent plutôt du
projet de procuration uniforme envoyé par les agents
généraux du clergé et qu'avait dressé, dans la Petite
assemblée, une commission présidée par l'archevêque
Harlay. C'était le programme plus ou moins précis de
ce qui allait être fait, programme déjà connu par le
procès-verbal de la Petite assemblée qui avait été en-
voyé à tous les prélats du royaume. Il ne fallait pas
que l'on put objecter, dans l'assemblée ou au dehors,
le défaut de pouvoirs chez les députés. Les assemblées
provinciales donnaient à leurs représentants le pouvoir
« de se transporter en la dite ville de Paris... et là, dé-
libérer en la manière contenue dans la résolution des
dites assemblées (de mars et mai 1681) des moyens de
pacifier les diff'érends qui sont, touchant la régale, entre
notre Saint-Père le pape d'une part et le roi notre sire
de l'autre, consentir tous les actes qu'ils estimeront
nécessaires... pour les terminer, et iceux signer aux
clauses et aux conditions que l'assemblée avisera bon
être ; comme aussi leur donnent charge et commande-
ment exprès d'employer toutes les voies convenables
pour réparer les contraventions qui ont été commises
par la cour de Rome aux décrets du concordat de causis
et de frivolis appellationibus, dans les alTaires de Cha-
ronne, de Pamiers et de Toulouse et autres qui seraient
survenues ou pourraient survenir; conserver la juridic-
tion des ordinaires du royaume et les degrés d'icelle en
la forme réglée par le concordat; faire qu'en cas d'appel
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DÉCLARATION DE 1682
192
à Rome le pape députe des commissaires en France
pour le juger; procurer par toutes' sortes de voies dues
et raisonnables, la conservation des maximes et liber-
tés de rÉglise gallicane, et généralement prendre à la
pluralité des voix, toutes les résolutions, et passer,
pour les causes ci-dessus expliquées, tous les actes qui
seront requis, encore qu'il y eût chose qui demandât
un mandement plus spécial que celui contenu en ces
présentes... ».
Il y eut des protestations sur le rôle purement con-
sultatif fixé pour les premières lignes de cette procu-
ration au clergé de second ordre ; il y en eut, et aussi
des modiûcations, portant sur les questions elles-mêmes.
Elles vinrent surtout de Besançon et d'Âix. A Aix, le
cardinal Grimaldi hésita même à convoquer rassemblée
de sa province.
3® Constitution. — L'assemblée se réunit le 30 oc-
tobre aux Augustins. Elle choisit : pour présidents,
l'archevêque de Paris désigné par sa situation, son âge
et la faveur royale (Louis XIV avait écarté de l'assem-
blée les archevêques plus âgés que Harlay et qui
eussent pu lui disputer la présidence), et l'archevêque
de Reims désigné par Harlay ; pour promoteurs, Ché-
ron et Coquelin, et pour secrétaires, Mancroix et
Courcier, tous quatre de second ordre. Le dimanche
9 novembre, à la messe du Saint-Elsprit, Bossuet pro-
nonça son fameux discours sur l'unité de l'Église. Sur
le rôle de Bossuet dans rassemblée de 1682, voir t. ii,
col. 1063.
4» Les actes de rassemblée. — Il fut d'abord question
de la régale. < L'assemblée ne fut pas toute servile, »
Lavisse. Colbert et d'autres gallicans avancés avaient
conseillé au roi de signiGer simplement ses volontés à
l'assemblée dont le rôle eût été de prendre simplement
acte. Les choses ne se passèrent pas ainsi. L'assemblée
délibéra et elle ne reconnut pas simplement le droit
que prétendait le roi. Une commission dite de la régale
fut nommée. Le 11 décembre, son rapporteur. Le
Tellier, proposait et l'assemblée acceptait cette tran-
saction : elle consentait à l'extension de la régale telle
que l'avait proclamée l'édit de 1673, mais le roi s'enga-
geait à soumettre ses nominations en régale « aux
bénéfices ayant charge d'âmes » à l'approbation de
l'autorité ecclésiastique. Le rapporteur ne se pronon-
çait pas sur le fond de la question : implicitement
même, il affirmait le droit de l'Église; mais il partait
de ce principe que «t les maximes des parlements étant
invincibles dans l'esprit de nos magistrats », il im-
portait « de chercher sur ce fondement les tempé-
raments nécessaires pour ne point porter aux extrémi-
tés une matière si contentieuse ». Cf. Bossuet,LeWrer/r,
édit. Lâchât. Le 19 décembre, Harlay et Le Tellier
proposèrent au roi ce plan d accommodement; le roi
nomma une commission qui examina la question, du
20 décembre 1681 au 11 janvier 1682; la commission
fut partagée, mais le roi .donna son approbation à un
arrangement probablement concerté à l'avance entre lui
et les présidents de l'assemblée et cet édit royal, donné
à Saint-Germain en Laye et enregistré au parlement
le 24 janvier 1682, fit de l'arrangement une loi d'État :
Avons par ce présent édit perpétuel et irrévocable, dit, statué
et ordonné : ...Que nul ne puisse être pourvu dans toutes les
églises cathédrales et collégiales de notre royaume, par Nous et
nos successeurs, des doyennés et autres bénéfices ayant charge
d'Âmes, qui pourront vaquer en régale, ni des arcbfdiaconex,
théologalles, pénitenceries et autres bénéfices, dont les titulaires
ont droit particulièi-ement, et en leur nom, d'exercer quelque juri-
diction et fonction spirituelle et ecclésiastique, s'il n'a l'âge, les
degrés et autres capacités prescrites par les saints canons et par
nos ordonnances. Voulons que ceux qui seront pourvus par nous
de ces bénéfices se présentent aux vicaires généraux établis par
les chapitres, si les églises sont encore vacantes, ou aux prélats,
s'il y en a eu de pourvus, pour en obtenir l'approbation et mis-
sion canonique, avant que de pouvoir faire aucune fonction...
Le 3 février 1682, l'assemblée donnait son solennel
Acte de consentement du clergé à l'extension de la
régale ainsi définie. Puis, le même jour, elle en écri-
vit au pape, c espérant », disait l'acte de consentement,
que notre Très Saint-Père le pape voulant bien entrer
dans le véritable intérêt de nos Églises... et se laissant
toucher aux motifs qui nous ont inspiré cette conduite,
donnera sa bénédiction apostolique à cet ouvrage de
paix et de charité, x En d'autre temps, un autre pape
eût pu accepter cette transaction, mais, en l'état de la
question, Innocent XI ne pouvait y songer. La question
avait été posée sur le terrain des principes : on oppo-
sait l'indépendance du roi à l'indépendance de l'Église;
d'autre part, le pape s'était trop nettement prononcé.
Il mit à répondre un retard qui blessa l'assemblée, fut
pour quelque chose dans la déclaration du 19 mars, et
irrita le roi qui apportait dans ses relations avec Rome
« une majesté continuellement en éveil et continuelle-
ment froissée. » Hanotaux. Enfin, il répondit par le
hrefPaterwe caritati, daté du 11 avril 1682, mais remis
et lu seulement à l'assemblée au commencement de mai.
Après avoir reproché aux évêques de n'avoir agi que
sous l'empire de la crainte et d'avoir cédé sur une
question « qui non seulement renverse la discipline de
l'Église, mais expose l'intégrité de la foi, comme le
prouvent les expressions mêmes des décrets royaux
attribuant au prince le droit de conférer les bénéfices...
comme étant un apanage qui date, pour le roi, de
l'époque où la couronne a été placée sur sa tête », il
continue en ces termes : c Nous n'avons pu lire sans
un frémissement d'horreur cette partie de votre lettre
où, déclarant renoncer à votre droit, vous l'avez cédé
au monarque : comme si vous étiez, non les simples
gardiens, mais les arbitres suprêmes des Églises qui
vous furent confiées... C'est pourquoi nous improuvons,
cassons et annulons tout ce qui s'est fait dans cette
assemblée relativement à la régale, ainsi que tout ce
qui a suivi cette disposition et tout ce qui pourrait
être attenté désormais. Nous déclarons tous ces actes
nuls et de nul efl'et, quoique étant déjà par eux-mêmes
d'une nullité manifeste... »
Dans l'intervalle, l'assemblée avait jugé contre le
pape les affaires de Charonne, de Pamiers et de Tou-
louse et surtout rédigé les quatre articles qui sont du
19 mars, antérieurs ainsi au bref du 11 avril sur lequel
ils ont influé, quoiqu'ils n'y soient pas mentionnés.
b^ La fin de Vassemblée, — Le bref Patemss caritati
irrita profondément l'assemblée, et comme il était
connu, elle voulut se disculper devant l'opinion. Elle
signa le 6 mai un acte bien regrettable qui porte en tête
le mot de Protestatio\Gérin). Cet acte commence ainsi :
Ecclesia gallicana suis se régit legibus, propriasque
consuetudines inviolate custodit, quibxAs Gallicani pon-
tifices majores nostri nulla definitione, nulla aucto-
Htate derogatum esse voluerunt. L'assemblée voulait
l'envoyer à tous les évêques et ecclésiastiques de France
avec une lettre que Bossuet rédigea et où « il était
impossible qu'il ne laissât pas percer une vertueuse
sensibilité, en repoussant les accusations si graves
qu'un pape avait portées au tribunal du public contre
l'Église d'une grande nation. » Cette lettre ne fut pa»
envoyée. Louis XIV ne laissa pas à l'assemblée le temps
d'en prendre connaissance : le 9 mai, il suspendait
ses séances, à la grande surprise des évêques. Mais-
Louis XiV ne voulait pas amener le pape aux mesures
extrêmes. Le 29 juin, il ajournait au l*"- novembre
cette assemblée devenue dangereuse : en attendant, les
évêques devaient se rendre dans leurs, diocèses. Le
l*»" juillet, ils tinrent leur dernière séance et prirent
une délibération où il était dit que l'assemblée < ne
s'abstient de prendre une résolution sur le bref que
Sa Sainteté lui a écrit en réponse à sa lettre du 3 fé-
vrier dernier que pour obéir au roi et pour l'amour de
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193
DÉCLARATION DE 1682
194
la paix, puisque rien ne lui serait plus facile que de
justifier sa conduite par des moyens invincibles. »
Louis XIV poussa plus loin encore la prudence : s*il
protesta contre le bref du 11 avril, ce fut secrètement,
le 1^ août, auprès du parlement; puis il fit entendre
c qu'il ne jugeait pas encore à propos qu*on rendit
public et qu'on imprimât le procès- verbal de rassemblée
de 1682. » Bossuet. Il ne fut même pas déposé aux
archives du clergé. La paix n'était point faite cependant,
mais à la régale succédait au premier plan la question
des * quatre articles ». Bossuet avait rédigé et I assem-
blée s'apprêtait à voter un décret condamnant un cer-
tain nombre de propositions morales prohabilistes, La
lettre royale du 29 juin empêcha la discussion et le
vole. Le tra\*ail sera repris par l'assemblée ordinaire
de 1700.
IV. Les quatre articles. — 1^ Les précédents. — En
1663, durant le conflit que provoqua l'affaire du 20 août
1662 ou de la garde corse, Louis XIV, qui voulait déjà
prendre sur Rome c l'ascendant de la crainte », Hano-
laux, avait usé entre autres d'une déclaration doctri-
nale sur les pouvoirs du pape. Mais il l'avait demandée
à la faculté de théologie de Paris, qui le 8 mai présen-
tait à Louis XIV, conduite par Hardouin de Péréfise,
archevêque de Paris, proviseur de Sorbonne, les six
propositions suivantes ou propositions de Sorbonne,
qui développent avec plus ou moins d'embarras les
deux maximes fondamentales du gallicanisme : « Le roi
de France n'a pas de supérieur sur terre ; le pape est
inférieur à l'Église même en concile, » et qui seront le
point de départ des quatre articles :
1. Non esse doctrinam fa- 1. Ce n'est point la doctrine
cuttatis quod summos pontifex de la faculté (de théologie de
aljquani în temporalia régis Parla) que le pape ait aucune
cfaristianissimi auctoritatem ha- autorité sur le temporel du roi
beat ; imo facottatem semper très chréUen ; au contraire, elle
obsUliase etiam iis qui indi- atoujours résisté, même à ceux
rectam tantummodo esse illam qui n'ont voulu lui attribuer
auctoritatem vohierunt qu'une puissance indirecte.
2. Esse doctrinam facultetis 2. C'est la doctrine de la
ejufidem. quod rex christiania- faculté que le roi très chrétien
simos nullum omnino cognos- ne reconnaît et n'a d'autre su-
cit Dec babet in temporalibus périeur au temporel que Dieu
euperiorem, praeter Deum, seul, que c'est son ancienne
eamqoe suam esse antiquam doctrine de laquelle elle ne se
doctrinam e qua nunquam re- départira pas.
cessuraest.
3. Doctrinam faculUtis esse 3. C'est la doctrine de la fa-
quod sobditj fidem et olaedien- culte que les sujets du roi très
tiam régi cfaristianissimi ita chrétien lui doivent tellement
debent, ut ab lis nuUo prae- la fidélité et l'obéissance qu'ils
teztn diapensari possint. ne peuvent en être dispensés
sous quelque prétexte que ce
soit.
4. Doctrinam facultatls esse 4. La faculté n'approuve point
non probare nec unquam pro- et elle n'a jamais approuvé au-
baase propoaîtiones uUaa régis cune proposition contraire à
cfaristianiflaimi auctoritati, aut l'autorité du roi très chrétien,
gennanis Ecdeslœ gaUicanœ aux véritables libertés de
13)ertatibufi et recepUs in regno l'Église gallicane et aux canons
canonibus contrarias; verbi reçus dans le royaume, par
gratla. qood summus pontifex exemple, que le pape puisse
poasit deponere episcopos ad- déposer les évèques contre la
verK» eosdem canones. disposiUon des mêmes canons.
5. Doctrinam (acultatis non 5. Ce n'est pas la doctrine
esse qood summus pontifex sit de la faculté que le pape soit
Mpra oondlium œcumenlcum. au-dessus du concile général.
6. Non case doctrinam vei 6. Ce n'est pas la doctrine de
dofma {acultatis, quod summus la faculté que le pape soit in-
pk«tiféx,nnlioaccedenteEccle- faillible, lorsqu'il n'intervient
Bis oonsensu. sit infallibilis. aucun consentement de l'Église.
Ces six articles avaient été enregistrés par le parle- .
ment de Paris et par tous les autres, et une déclaration
royale du 5 août 1663 fit défense d'enseigner dans le
rojaume une doctrine contraire à ces six articles.
2* Les discussions, — Comment l'assemblée de 1682
fot-elle amenée é reprendre ce travail? Si haute que
DlCr. DE THÉOL. CATHOL.
fût l'autorité de la faculté de théologie, elle ne l'était
pas assez pour qtie ses décisions s'imposassent aux
consciences ; les six propositions d'ailleurs avec leur
forme négative ou 'leurs formules restrictives n'étaient
ni assez nettes ni assez précises. C'est ce qu'indiqua le
promoteur Cocquelin, quand il introduisit la question
le 26 novembre devant l'assemblée : « Lorsque ces
articles parurent, disait-il, plusieurs personnes habiles
crurent que l'on pouvait en exprimer quelques-uns
d'une manière plus précise et plus positive. Ajoutez à
ces articles ce que vous jugerez à propos; et, pour lais-
ser à la postérité un monument précis et constant de
la doctrine de l'Église gallicane dans une matière qui
ne peut être trop nettement expliquée, changez ce qui
n'est qu'une simple déclaration d'un jugement doclri^
nal de la faculté de théologie, en une décision de l'Église
gallicane, qui tienne lieu de chose jugée au moins pour
toute la France. »
Que la question de la puissance du pape vis-à-vis du
roi et vis-à-vis de l'épiscopat fût reprise, c'était dans la
logique de l'état de guerre où l'on se trouvait et aussi
dans la logique des choses : elle faisait le fond de toutes
les querelles élevées. Qu'elle fût définitivement tran-
chée, beaucoup le désiraient : les uns, comme l'arche-
vêque de Reims, qui avait eu l'initiative de l'assemblée,
afin d'empêcher désormais ces odieux conflits; les au-
tres, comme Colbert et l'archevêque Harlay ou le P. La
Chaise, plus ou moins personnellement hostiles au
pape, pour fortifier l'autorité du roi et en finir avec
Rome. Ce fut sous ces influences que le promoteur
introduisit la question à l'assemblée qui nommait le
même jour une commission pour les six articles de
Sorbonne,
Cette commission comprit 12 membres, dont Harlay,
président, l'évêque de Tournai, de Choiseul-Praslin,
rapporteur, Le Tellier et Bossuet. Bossuet voulut d'abord
limiter la tâche de la commission au maintien du
statu quo : dans l'état présent des choses, il jugeait
inopportun de décider dans une matière aussi délicate.
Il gagna même à ses idées Choiseul-Praslin, puis Le
Tellier; mais Colbert et Harlay veillaient. Louis XIV
voulut que l'on décidât. Bossuet essaya de gagner du
temps ; il proposa < d'examiner toute la tradition » ;
mais Louis XIV demanda une décision rapide, apparem-
ment irrité du silence que gardait le pape sur ses con-
cessions relatives à la régale et sur la lettre des évèques
du 3 février. Le rapporteur Choiseul-Praslin dut donc
dresser des propositions : il s'en tira « mal et scolasti-
quemeut ». Émery. Il affirmait entre autres !que le
saint-siège et le pape peuvent tomber dans l'hérésie.
11 fut vigoureusement combattu par Bossuet qui soute-
nait, lui, l'indéfectibilité du siège de Pierre. Bossuet
l'emporta; l'évêque de Tournai renonça à la rédaction
des articles; la commission en chargea Bossuet. Ce fut
néanmoins Choiseul-Praslin qui en resta le rapporteur
devant l'assemblée et les soutint le 17 mars. Cf. Des-
mons, Gilbert de Choiseul, évêque de Tournai, Tour-
nai, 1907. Les quatre articles sont-ils tels que Bossuet
les avait rédigés? Les historiens discutent. Cf. Gérin,
Recherches sur l'Assemblée de i682, 2« édit., p. 343,
et Loyson, V Assemblée de i682, p. 351, note. En tous
cas, ils entraînèrent bien des discussions au sein de la
commission. « Assemblées chez l'archevêque de Paris,
dit Fleury, où propositions examinées. Disputes. On
voulait y faire mention des appellations au concile.
Évêque de Meaux résista : ont été nommément condam-
nées par des bulles de Pie II et Jules II : engagés à
Rome à les condamner, ne reculent jamais. Ne donner
prise à blâmer nos propositions. » Nouveaux opuscules,
p. 210 sq. La déclaration fut souscrite le 19 mars par
tous les membres présents à l'assemblée, 34 archevê-
ques et évèques, 35 ecclésiastiques du second rang et
les 2 agents généraux du clergé. L'archevêque de Cam-
IV. - 7
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195
DÉCLARATION DE 4682
brai, après avoir fait remarquer qu'il avait été nourri
« dans des maximes opposées à celles de TÉglise de
France », signa les quatre articles « d'autant plus volon-
tiers qu'on ne prétendait pas en faire une décision de
toi, mais seulement en adopter l'opinion ». Bossuet eût
voulu ne publier les quatre articles qu'accompagnés
d'une sorte d'apologie qu'il avait déjà préparée et où il
avait prétendu réunir les meilleures preuves des doc-
trines gallicanes; mais Harlay s'y opposa, probablement
pour ne pas provoquer des controverses. Cf. Bausset,
Histoire de Bossuet, 1. VI. L'assemblée se contenu
d'adresser avec les quatre articles à tous les évéques
de France une lettre également datée du 19 mars et
que rédigea Cboiseul-Praslin. Il y dit l'inspiration à
laquelle les députés ont obéi : le maintien de l'unilé
catholique et de la paix, le désir « de rappeler à l'esprit
des fidèles le souvenir des règles anciennes, à l'abri
desquelles toute l'Église gallicane... fût tellement en
sûreté que jamais personne... ne pût passer les bornes
que nos pères ont posées et qu'ainsi la vérité, mise
dans son jour, nous mît elle-même à couvert de tout
danger de division », le désir aussi de faire comprendre
aux dissidents combien Font injustes leurs attaques
contre l'Église romaine; il y explique les principes
sur lesquels reposent les quatre articles; il conclut
enfin par cette demande qui est le but de la lettre :
« Nous conjurons votre charité et votre piété, comme
les Pères*du I»"" concile de Constanlinople conjuraient
autrefois les évoques du concile romain, en leur en-
voyant les actes de ce concile, de confirmer par vos
suffrages tout ce que nous avons déterminé pour assurer
à jamais la paix de l'Église de France, et de donner
vos soins afin que la doctrine que nous avons jugée,
d'on commun consentement, devoir être publiée, soit
reçue dans vos églises et dans vos universités et les
écoles qui sont de votre juridiction, ou établies dans vos
diocèses, et qu'il ne s'y enseigne jamais rien de con-
traire. Il arrivera, par cette conduite, que, de même que
le concile de Constantinople est devenu universel et
«ecuménique par l'acquiescement des Pères du concile
de Home, notre assemblée deviendra aussi par votre
nnanimité un concile national de tout le royaume, et
qoe les articles de doctrine que nous vous envoyons
seront des canons de toute l'Église gallicane, respec-
tables aux fidèles et dignes de l'immortalité. »
9^ Le texte. — Il fut rédigé en latin, comme, du reste,
h lettre du 19 mars aux évéques et la lettre sur le bref
dn il avril :
Qeri gallicani de ecclesia-
■tica potestate dedaratio die 19
martiil682.
Eksclesiœ gallicans décréta
et Ubertates a majoribus no-
stria tanto studio propugnatas,
eorumque fundameota, sacris
canoBibus et Patrum traditione
nlxa, mulii diruere moliuntur,
■ac deaunt qui earum obtentu
prinatam B. Pétri ejusque suc-
ceasorum Romanorum ponti-
ficum a Chrlsto Institutum.
lisque debitam ab omnibus
durfstianis obedientiam, sedis
■postoHcœ, In qua fides praedi-
eatur et unitas servatur Eccle-
si», reverendam omnibus gen*
tibus majestatem imminuere
ion vareantur . Hœretici quoque
■ihil protermlttunt quo eam
poteatatem, qua pax Rcdesise
eontinetur, invidiosam et gra-
rem regibus et populis osten-
i«fit, iiaque fraudibus simplices
animas ab Ecclesiad matris
Christique adeo communione
Déclaration du clergé de
France sur la puissance ecclé-
siastique du 19 mars 1682.
Plusieurs s'efforcent de ren-
verser les décrets de l'Église
gallicane, ses libertés qu'ont
soutenues avec tant de zèle nos
ancêtres, et leurs fondements,
appuyés sur les saints canons
et la tradition des Pères. 11 en
est aussi qui sous le prétexte
de ces libertés ne craignent
pas de porter atteinte A la pri-
mauté de saint Pierre et des
pontifes romains, ses succes-
seurs, institués par Jésus-
Christ, à Tobéissance qui leur
est due par tous les chrétiens
et à la majesté, si vénérable
aux yeux de toutes les nations,
du siège apostolique, où s'en-
seigne la foi et se conserve
l'unité de l'Église. Les héréti-
ques, d'autre part, n'omettent
rien pour présenter cette puis-
sance, qui renferme la paix de
l'Église comme insupportable
dissocient. Quœ ut incommoda
propulsemus. Nos, archiepis-
copi et episcopi, Parisiis manda-
to régis congregati, Ecclesiam
gallicanam représentantes, una
cum œteris ecclesiasticis vins
nobiscum deputatis, diligenti
tractatu babito, htec sancienda
et declaranda esse diximus :
I. Beato Petro ejusque suc-
cessoribus Christi vicariis ip-
sique Kcclesiœ rerum spiritua-
iium et ad œtemam salutem
pertinentium, non autem ci-
vilium ac temporalium, a Deo
traditam potestatem, dicente
Domino : Regnum meum non
est de hoc mundo; et ite-
mm : Reddite ergo quae sunt
Cafsaris Cœsari, et qum sunt
Dei Deo ; ac deinde stare apo-
stolicum illud : Omnis anima
potestatibus rublimioribus
subdita ait : non est enim po-
testas nisi a Deo : qu» autem
sunt, a Deo ordinatm sunt.
Itaque qui potestati resistU
Dei ordinationiresistit. Reges
ergo et principes in temporaii-
bus nulli ecclesiasticœ potestati
Dei ordinatione subjici, neque
auctoritate davium Ecclesiœ,
directe vel indirecte deponi,
aut iilorum subditos eximi a
flde atque obedientia, ac prœ-
stito fidelitatis sacramento solvi
posse, eamque sententiam pu-
biicœ tranquiilitati necessariam,
nec minus Ecclesiœ quam im-
perio utilem, ut verbo Dei, Pa-
trum tradition! et sanctorum
exemplis consonam omnino rc-
tinendam.
II. Sic autem inesse aposto-
licae sedi ad Pétri successori-
bu8 Cbristi vicariis rerum spi-
ritualium plenam potestatem,
ut simul vaieant atque immota
consistant sanctœ œcumenicœ
synodi Constant iensis a sede
apostolica comprobata, ipsoquc
Romanorum pontidcum ac to-
tius Ecclesise usu conOrmata,
atque ab Ecdesia gallicaoa
perpétua religione custodita
décréta de auctoritate cond-
llorum generalium qiiîe ses-
sione quarta et quinta continen-
tur, nec probari a gallicana
Ecciesia, qui eorum décrète-
rum quasi dubise sint auctori-
tatis ac minus approbata, robur
infringant, aut ad solum schis-
matls tempus concilii dicta
detorqueant.
196
aux rois et aux peuples, et pour
séparer par ces artiOces les
Ames simples de la communion
de l'Église et de Jésus-Christ
C'est dans ie dessein de remé-
dier à de tels inconvénients que
nous, archevêques et évéques,
assemblés à Paris par ordre du
roi, avec les autres députés qui
représentent l'Église gallicane,
avons jugé convenable, après
une mûre délil)ération, d'éta-
blir et de dédarer :
I. Que saint Pierre et ses
successeurs, vicaires de Jésus-
Christ, et que toute l'Église
même n'ont reçu de puissance
* de Dieu que sur les choses spir
rituelles et qui concernent le
salut, et non pointsur les choses
temporelles et civiles, Jésus-
Christ nous apprenant lui-même
que son royaume n'est point
de ce monde; et en un autre
endroit, qu'il faut rendre à
César ce qui est ù César et à
Dieu ce qui est à Dieu; et
qu'ainsi ce précepte de l'apôtre
saint Paul ne peut être en rien
altéré ou ébranlé : Que toute
personne soit soumise aux
puissances supérieures, car
il n'y a point de puissance
qui ne vienne de Dieu, et
c'est lui qui ordonne celles qui
sont sur la terre : celui donc
qui s'oppose auœ puissances
résiste à tordre de Dieu. Nous
déclarons en conséquence que
les rois et les souverains ne
sont soumise aucune puissance
ecdésiastique par l'ordre de
Dieu dans les choses tempo-
relles: qu'ils ne peuvent être
déposés directement ou indi-
rectement par l'autorité des
chefe de l'^Jglise; que leurs su-
jets ne peuvent être dispensés
de la soumission et de l'obéis-
sance qu'ils leur doivent ou rc •
levés du serment de Odélité, et
que cette doctrine, nécessaire
pour la tranquillité publique et
non moins utile à l'Église qu*à
l'État, doit être invidablement
suivie, comme conforme à la
parole de Dieu, à la tradition
des Pères et aux exemples des
saints.
H. Que la plénitude de
puissance que le saint-siège
aposlotique et les successeurs
de saint Pierre, vicaires de
Jésus-Christ, ont sur les choses
spirituelles, est telle que les
décrets du saint concile œcu-
ménique de Constance, dans
les sessions IV» et V», approu-
vés par le saint-siège aposto-
lique, conOrmés par la pra-
tique de toute l'Eglise et des
pontifes romains, observés re-
ligieusement par toute rÉffllse
gallicane, demeurent dans
toute leur force et vertu, cl
que l'Église de France n'ap-
prouve pas l'opinion de ceux
qui donnent atteinte à ces dé-
crets ou qui les affaiblissent
en disant que leur autorité
n'est pas établie, qu'ils ne sont
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DÉCLARATION DE 1682
198
m. Hinc apostolicœ pote-
sUUs usam moderandum per
casones Spiritus Dei conditos
et totitiâ mundi reverentia
conaecratoB : valere etiam re-
galas, mores et Instituta a
regno et Ecclesia gallicana re-
cepta, Patrumque tenninos
manere inconcussos; atqae id
pertinere ad ampli tadinem
apostolicœ sedis, ut statuta et
coDsoetodines tantse sedis et
Ecdesiamm consensione for-
mats^ propriam stabilitatem
obtineant.
IV. In Ûdei quoque quaesUo-
nibos prœcipnas summi pon-
tifieis eose partes, ejusque dé-
créta ad omnes et siogulas Ee-
desias pertinere, nec tamen
irrefoniud}ile esse judicium,
nisi Eccleslae consensus acccs-
serit
Quae accepta a Patribus ad
omnes Ecdesias gallieanas
atqœ episcopos in Spiritu
Sancto aoctore présidentes,
mittenda decrevimus, ut idip-
sam dicamus omnes, si musqué
in eodem et in eadem sen-
tentia.
point approuvés ou quMls ne
regardent que le temps de
schisme.
m. Qu'ainsi Tusage de la
puissance apostolique doit être
réglé suivant les canons faits
par l'Esprit de Dieu et consa-
crés par le respect général,
que les règles, les mœurs et
les constitutions reçues dans le
royaume doivent être mainte-
nues et les bornes posées par
nos pères demeurer inébran-
lables; quH est même de la
grandeur du saint-siège apos-
tolique que les lois et coutumes,
établies du consentement de ce
siège respectable et des égli-
ses, subsistent invariablement.
IV. Que, quoique le pape ait
la principale part dans les
questions de foi et que ses
décrets regardent toutes les
Églises, chaque Église en par-
ticulier, son jugement n'est
pourtant pas irréformable, h
moins que le consentement de
l'Église n'intervienne.
Ce sont là les maximes que
nous avons reçues de nos
pères, nous avons arrêté de
les envoyer à toutes les Églises
de France et aux évêques qui
y président par l'autorité du
SaintrEsprit, afin que nous
disions tous la même chose,
que nous soyons tous dans
les mêmes sentiments et que
nous suivions tous la même
doctrine.
4» Valeur doctrinale. — Dans Tétat présent de la
doctrine et depuis le concile da Vatican, il est impos-
sible de soutenir la déclaration de 1682, sans hérésie,
non en raison du l*** article auquel on ne saurait oppo-
ser une décision de foi, cf. Léon XIII, encyclique /m-
nwrtale Dei, mais en raison des trois autres. Mais
quelle fut en 1682 la valeur doctrinale des quatre arti-
cles? L'assemblée de 1682 n*étant pas canonique ne
pouvait rendre de décisions canoniques, à supposer
même, ce qui ne fut pas, que tous les évêques fran-
çais eussent manifesté une approbation formelle. Elle
a^-ait si bien compris cette faiblesse qu'elle essaya
d'obtenir cette approbation pour étayer son œuvre. Les
quatre articles étaient d'ailleurs en opposition avec la
doctrine commune de TÉglise, avec les convictions de
beaucoup de sujets de Louis XIV, ultramontains, ou
habitués à respecter la liberté en matières controver-
sées, et même avec l'attitude ou les décisions anté-
rieures du clergé gallican. Ainsi il faut remarquer,
tur le i» article : il est la consécration d'un article
fondamental du gallicanisme parlementaire, dont les
légistes tiraient les conséquences les plus graves :
le roi ne peut être excommunié pour le fait de sa
charge; il peut convoquer des conciles nationaux et
provinciaux et, avec leur concours, il peut porter des
lois et règlements sur Tordre et la discipline ecclésias-
tiques; les bul1e.s du pape ne s'exécutent pas en France
sans la permission de Tautorité temporelle, le roi est
seul juge en France, etc. ; et c'est à soutenir cette tra-
dition des légistes que Bossuet apporte les textes de
rÉvangile; il est exactement cet article du Tiers de
nie de France que le Tiers-État voulut mettre en tête
de son cahier général aux États-Généraux de 1614 et
aanoel le clergé s'opposa avec tant d'énergie : « Le roi
sera supplié de faire arrêter en l'assemblée de ses États,
pour loi fondamentale du royaume..., que, comme il est
reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne
que de Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle
qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun
droit sur son royaume, pour en priver les personnes
sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs
sujets de la fidélité ou obéissance qu'ils lui doivent,
pour quelque cause ou prétexte que ce soit. Que tous
les sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient,
tiendront cette loi pour sainte et véritable... laquelle
sera jurée et signée dorénavant par tous les bénéGciers
et officiers du royaume. Tous précepteurs, régents,
docteurs, prédicateurs seront tenus de l'enseigner et
publier. » — Sur le 2* article :\\ repose sur une erreur :
les décrets des sessions IV« et V« du concile de Constance
qui proclament au moins indirectement la sui>ériorité
des conciles œcuméniques sur les papes, n'ont été ni
approuvés par les papes, ni confirmés par la pratique
de toute l'Église, et il était en opposition avec la croyance
commune. Voir t. in, col. 1292. — Sur le 3* article : sa
rédaction est fort vague; il affirme d'abord que les
papes doivent diriger TÉglise d'après les canons : ils
ne l'ont jamais nié, mais il l'affirme comme une con-
séquence de l'article 2«, c'est-à-dire, d'après une théo-
rie attribuée à Gerson, comme une conséquence de ce
fait que les canons émanent d'une puissance supérieure,
celle des évêques réunis en concile. Cet article prétend
aussi lier le pape « par les libertés de l'Église galli-
cane », théorie dangereuse, puisque sous ces mots pou-
vaient bien être entendus, malgré les dénégations des
évêques, les 83 articles de Pierre Pithou, et qu'à tout
le moins elle amenait l'Église gallicane à ne reconnaî-
tre entre elle et le pape d'autre juge qu'elle-même.
Enfin, on a pu voir aussi dans cet article une volonté
d'opposer aux canons des anciens conciles la disci-
pline actuelle de l'Église, distinction derrière laquelle
se sont abrités tous les schismaliques, par exemple, les
constitutionnels. — Sur le 4* article, qui est peu clair —
car qu'est-ce que cette « part principale » qu'a le pape
dans les questions de foi? sous quelle forme devra se
donner c le consentement de l'Église »? ~ et qui nie
l'infaillibilité du pape. < Cet article, contraire à l'ensei-
gnement de saint Bernard et de saint Thomas d'Aquin,
était de plus opposé aux définitions données par les
conciles œcuméniques de Lyon (1245) et de Florence
(1439), et, ce qui est plus piquant, aux déclarations faites
en 1625 et 1653 par deux assemblées générales du clergé
de France lui-même. » Chénon, dans VHistoire gêné'
rate de La visse et Hambaud, t. vi, p. 257. Et Pierre de
Marca, archevêque de Paris, écrivait en 1660 : « L'infail-
libilité du pape est enseignée en Espagne, en Italie et
dans tous les pays du monde chrétien, si bien que le
sentiment contraire, professé par les docteurs de
Paris, doit être classé parmi les opinions simplement
tolérées. » Cité dans le t. xxvi des Œuvres de Bossuet,
édit. Vives, p. 21, note.
5» La déclaration de i082, loi d'État. — Le 20 mars
1682, par un édit enregistré au parlement le 23,
Louis XIV faisait de la déclaration du clergé une loi
d'État, sur la demande même de l'assemblée. Il y était
dit:
1. Défendons à tous nos sujets et aux étrangers étant dans
notre royaume, séculiers et réguliers de quelque ordre, congré-
gation et société qu'ils soient, d'enseigner dans leurs maisons,
collèges et séminaires, ou d'écrire aucune chose contraire à la
doctrine contenue en icelle.
2. Ordonnons que ceux qui seront dorénavant choisis pour
enseigner la théologie dans tous les collèges de chaque université,
soit qu'ils soient séculiers ou réguliers, souscriront ladite décla-
ration aux greffes des facultés de théologie, avant de pouvoir
faire cette fonction dans les collèges, ou les maisons séculières
et régulières, quMls se soumettront à enseigner la doctrine qui y
est expliquée, et que les syndics des facultés de théologie pré-
senteront aux ordinaires des lieux et à nos procureurs généraux
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199
DÉCLARATION DE 1682
200
des copies desdites soumissions, signées par les greffiers des
dites facultés.
3. Que dans tous les collèges et maisons desdites universités,
où il y aura plusieurs professeurs, soit qu'ils soient réguliers ou
séculiers, l'un d'eux sera chargé tous les ans d'enseigner la
doctrine contenue en ladite déclaration ; et dans les collèges où
il n'y aura qu'un seul professeur, il sera obligé de l'enseigner,
l'une des trois années consécutives.
4. Enjoignons aux syndics des facultés de théologie de pré-
senter tous les ans, avant l'ouverture des leçons, aux archevê-
ques et évèques des villes où elles sont établies, et d'envoyer à
nos procureurs généraux les noms des professeurs qui seront
chargés d'enseigner ladite doctrine et auxdits professeurs de
représenter auxdits prélats et auxdits procureurs généraux les
écrits qu'ils dicteront à leurs écoliers, lorsqu'ils leur ordonne-
ront de le faire.
5. Voulons qu'aucun bachelier, soit séculier ou régulier, ne
puisse être dorénavant licencié tant en théologie qu'en droit ca-
non, ni être reçu docteur qu'après avoir soutenu ladite doctrine
dans une de ses thèses, dont il fera apparoir à ceux qui ont
droit de conférer ces degrés dans les universités.
6. Ebchortons, et néanmoins enjoignons à tous les archevêques
et évèques de notre royaume... d'employer leur autorité pour
faire enseigner dans l'étendue de leurs diocèses la doctrine con-
tenue dans ladite déclaration faite par lesdits députés du clergé.
7. Ordonnons aux doyens et syndics des facultés de théologie
de tenir la main à l'exécution des présentes..., etc.
Cet édit ratifiait toute une série de demandes du
clergé relatives à la déclaration, sauf celle-ci : c Que
le serment que les bacheliers de théologie font à Paris
au commencement de tous leurs actes, dans lequel on
a introduit, depuis quarante ou cinquante ans, Tallé-
gation de ne rien dire qui soit contraire aux décrets et
constitutions des papes sans restriction, sera réformé
et que pour cet efTet, on ajoutera à la fin de ce ser-
ment : Décrets et constitutions des papes acceptés par
l'Église. » Cette clause aurait eu, à tout le moins, le
danger d'infirmer les condamnations des jansénistes,
de provoquer une opposition violente de la part de la
faculté de théologie et de montrer ainsi que l'unité doc-
trinale de l'Église gallicane n'était point complète.
Le parlement à qui l'édit du 20 mars accordait un
droit de contrôle sur l'enseignement des facultés de
théologie, collèges et maisons dépendant de l'univer-
sité, et dont la déclaration consacrait certains principes,
enregistra l'édit royal sans opposition, le 23 mars. Il y
eut bien une protestation du procureur général Harlay;
mais ce fut pour faire remarquer que l'indépendance
de la couronne n'avait pas besoin d'être confirmée par
une décision de la puissance spirituelle et pour re-
gretter que le clergé n'eût pas infligé, dans le l«r article
de sa déclaration, une censure directe à « ce qui s'y
trouve opposé ».
60 L'opposition. — La faculté de théologie de Paris,
qui était une puissance dogmatique rivale du concile
national, n'accepta pas facilement les quatre articles et
l'cdit du 20 mars. Il y avait à cela des raisons d'ordre
différent : elle prétendait bien n'être pas tenue d'assu-
jettir son enseignement aux décisions d'une assemblée
du clergé, et surtout ne pas relever du parlement;
puis un certain nombre de ses docteurs avaient des
tendances ultramontaines et la doctrine énoncée tou-
chant rinfaillibilité pontificale la choquait spécialement.
Cf. Cauchie, Le gallicanisme en Sorbonne, dans la
Revue d'histoire ecclésiastique, Louvain, t. m et iv
(1902-1904). Ce fut seulement le 16 juin que fut obtenue
de haute lutte, pour ainsi dire, par la cour alliée au
parlement, l'enregistrement par la faculté de théologie
des quatre articles et de l'édit complémentaire. La cour
prit même des mesures de rigueur contre les plus
récalcitrants. L'université de Douai, au centre de pays
récemment annexés, disait au roi « la grande aversion
de tous ses fidèles sujets, qui sont dans ces pays réunis
à sa couronne, de la déclaration du clergé de France,
qui regarde la puissance ecclésiastique ». L'historien de
Bossuet signale que, dès 1683, « on vit éclore une foule
d'écrivains qui crurent s'illustrer en se livrant aux plus
violentes déclarations contre l'Église gallicane. » Et il
signale, d'après la préface mise par Bossuet à sa Défense
de la déclaration : i^ deux écrits émanés de l'université
de Louvain, intitulés l'un : Ad illustrissimos et reveren-
dissimos Galliœ episcopos disquisitio theologico-juri^
dica super Declaralione cleri gallicani facta Parisiis
i9 martii i682; l'autre : DoctHna quam de primalu,
auctoritate et infallibilitate Ronianorum pontificuni
tradiderunt Lovanienses sacrœ theologim magistri,
ac professores tam veteres quam recentiores, etc.,
Declcwationi cleri gallicani de ecclesiastica potesiate
nuper editœ opposita; 2^ la censure portée par l'ar-
chevêque de Gran ou Strigonie, primat de Hongrie,
Georges Szelepsemi, en son nom et .'au nom de tous
ses collègues dans l'épiscopat, « avec les abbés, les pré-
posés, les chapitres, et avec un grand nombre de pro-
fesseurs de théologie, hommes éminents dans la con-
naissance des saints canons. » Il dit que les quatre
articles sont « des propositions choquantes pour les
oreilles chrétiennes et à tous égards détestables », que
a condamnent et réfutent assez la tradition constante
des saints Pères, les décrets des conciles œcuméniques
et les témoignages formels de la parole de Dieu », et
après les avoir condamnés et proscrits, il défend à tous
les fidèles « de les lire, tenir et encore bien plus de les
enseigner », en attendant le jugement définitif du saint-
siège; 3» un traité in-fol. du savant cardinal d'Âguirre
intitulé : Defensio cathedras sancti Pétri cuiversus De-
clarationenx noniine illustrissimi cleH gallicani edi-
tam Parisiis, etc. Ces attaques furent telles que Bos-
suet, se sentant atteint, crut bon de défendre son œuvre
et entreprit une Défense de la déclaration. Il la ter-
mina en 1685. Les circonstances ne lui permirent pas
de la publier : Louis XIV ne voulait pas aigrir sa que-
relle avec Rome. Cependant du dehors les attaques
contre les quatre articles continuaient : entre autres
de 1693 à 1695, Roccaberti, archevêque de Valence, pu-
bliait contre la déclaration 3 in-fol. sous ce titre : De
Romani pontificis auctoritate, que soulignèrent encore
les louanges adressées à l'auteur par Innocent XII.
Bossuet, dans un Mémoire au roi, demanda la suppres-
sion en France des ouvrages de Roccaberti, ce que le
parlement accorda dans un arrêt du 20 décembre 1695.
Puis il reprit sa Défense de la déclaration, pour la
remanier, afin de la mettre au point en face des nou-
veaux critiques et aussi y introduire les changements
qu'exigeaient les circonstances, principalement celle-ci : /
qu'une trêve venait d'être signée entre Louis XIV et le '
saint-siège et que Louis XIV avait promis de ne plus \
rappeler les quatre articles. Bossuet, entre autres choses,,
modifia le titre et à la place de Defensio declarationis^
cleri gallicani, il mit : Gallia orthodoxa sive vindicim
scholm Parisiensis totiusque cleri gallicani. Malgré
tout, le livre ne parut qu'après sa mort. Une première
édition, faite à Tinsu de Bossuet, évéque de Troyes,.
héritier des manuscrits de son oncle, contient la pre-
mière rédaction de l'ouvrage, celle au jtilre : Defensia
declarationis quam de potesiate ecclesiasHca sanant
clerus gallicanus i9 martii 1682 ab III. et Rev. J, JS.
Bossuet, 2 in-4o, Luxembourg, 1730; Bâle, 1730. Une
traduction française des six premiers livres environ
parut en 1735 sous la signature de Buffard. Une se—
conde édition, entreprise par l'abbé Leroy sur les naa-
nuscrits de la seconde rédaction, parut seulement
après la mort de Bossuet, évéque de Troyes, avec ce
titre : Defensio declarationis conventus clei'i gallicani
an. 1682 de ecclesiastica potesiate, 2 in-4% Amsterdam
(Paris), 1745. Une traduction française, faite par Leroy
en 3 in-i», parut la même année à Amsterdam (Paris) ;
elle fut réimprimée en 1774 et alors dédiée à Montazet,.
archevêque de Lyon, sous ce titre : Défense de la JD^-
claration... traduite en français avec des notes histo-
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201
DÉCLARATION DE 1682
202
riqtte$, critiques, ihéologiques et une Dissertation
réfutant les qtiatre toniesin^'* du' cardinal Orsi, 2 in-i»,
Paris, 1774. D'autres éditions ont paru depuis. Orsi
avait publié, en 1740 et 1741, deux ouvrages intitulés :
De Homani pontificis auctoritate..» et De Romani
pontificis infallibilitate.
V. Les papes et les quatre articles jusqu'en 1693.
— 1» Innocent XL — Quant à Innocent XI, il se tut
d'abord, il attendait son heure. Il c a compris qu'il
fallait en. finir et il a engagé un combat dont il doit
sortir vainqueur. » Hanotaux. Il ne fulmina pas contre
les qtiatre articles, mais il eut recours à une arme que
lui fournissait le concordat; il refusa d'accorder la con-
firmation canonique à ceux des ecclésiastiques nommés
par le roi à des évéchés et qui avaient pris part à l'assem-
blée de 1682. Il le dit dès octobre 1682, à propos de la
nomination par Louis XIV des abbés de Camps et de
Maupeou aux évéchés de Pamiers et de Castres.
Louis XIV déclan ;alors, sur les conseils du cardinal
d'Estrées, qu'il ne demanderait plus aucune confirma-
tion [canonique jusqu'à ce que ces deux personnages
fassent agréés, et il continua à désigner aux évéchés
vacants soit des membres de l'assemblée soit d'autres.
Il espérait que la crainte de voir un grand nombre
<l'égllses sans pasteurs légitimes triompherait du pape,
mais Innocent XI ne se laissa pas intimider, et en 1^7,
le Mémoire du roi pour servir d'insti^uction au sieur
de Lavardin portait : « Il y a déjà trente-trois diocèses
qui languissent sans évoques. » On essaya |de pourvoir
à 1 administration des diocèses par toutes sortes d'expé-
dients; les nouveaux élus étaient par exemple nommés
vicaires capitulaires par les chapitres des diocèses
Tacants par la mort du titulaire, ou bien, en cas de
translation, vicaires généraux de leurs prédécesseurs
dans les diocèses que ceux-ci abandonnaient.
Néanmoins, la situation était insupportable. Louis XIV
essaya encore de négocier, mais la menace à la bouche.
« La cour de Rome, disaient ses Instructions à Lavar-
din, désigné, en 1687, pour remplacer à Rome le duc
d'Eslrées mort cette même année, contrevient au concor-
dat par ses refus qui sont notoirement injustes. Le
pape, par sa contravention au concordat, est déchu de
ce que le concordat lui accorde. » En conséquence,
« Sa Bfajesté sera obligée de permettre à ses parlements
de prendre dans les conciles catholiques, apostoliques et
romains le remède » au mal, et ce remède sera celui-ci :
Les parlements, après avoir déclaré qu'il y a abus dans
ces refus du pape « comme étant contraires au concor-
dat et aux lois du royaume ]», s'appuyant sur « les an-
ciens conciles de France et d'Espagne où l'on voit que
le roi nommait, le peuple et le clergé élisaient, le mé-
tropolitain confirmait et ensuite l'évéque était sacré par
trois évèques au moins de la même province dont était
t'évéché vacant i, le concordat n'ayant fait que < trans-
férer au pape le droit de confirmation » du métropoli-
tain et c cette translation devenant caduque » par le
refus du pape, e supplieront i le roi de demander la
confirmation au métropolitain, c sans tirer à consé-
quence pour l'avenir, quand il plaira à notre Saint-
Père le pape d'exécuter le concordat, i Mais la menace
se brisait sar Innocent XI. Lavardin était l'homme le
moins fait ponr réussir ici et tout se compliquait de
l'affaire des franchises. Ce fut un échec complet. Il
fallut bien que Louis XIV allât plus loin. Non seule-
ment il annonçait qu'il pourrait bien prendre la me-
sure ordinaire en pareille occurrence, l'occupation
d^ Avignon, mais, le 31 décembre 1687, Louvois donnait
Tordre de préparer une expédition contre Rome, et le
23 janvier 1688 l'avocat général Talon annonçait l'appel
au futur concile, « parce que non seulement les déci-
nons des papes, mais leur personne même, quand ils
manquent à leur devoir dans, le gouvernement de
VÉgiise, est soumise à la correction et à la réformation
du concile général en ce qui regarde tant la foi que la
discipline. »
Mais en juin 1688 mourait l'électeur de Cologne.
Louis XIV voulait lui faire donner comme successeur
le coadjuteur, le cardinal de Furstemberg. Cela dépen-
dait du pape : de là, la mission secrète de Chamlay,
mais Innocent XI refusa de recevoir cet envoyé, juil-
let 1682. Alors ce fut la guerre ouverte; en septembre,
le 6, un manifeste du roi contre le pape, sous la forme
d'une lettre adressée au cardinal d'Estrées, était envoyé
à Rome et bientôt publié partout; le 13, l'ordre était
donné d'occuper Avignon et le Comtat Venaissin; enfin,
le 24, le roi donnait ordre au procureur général d'in-
terjeter appel au futur concile de toutes les procédures
faites ou à faire par le pape contre lui, et l'acte d'appel
fut dressé le 27. On demandait à Louis XIV d'aller
plus loin, d'assembler les notables, de convoquer un
concile national. Il s'arrêta aussitôt qu'il s'aperçut qu'on
le poussait dans la voie du schisme. Mais déjà il
était puni : ce n'était point à son candidat que le pape
avait donné l'archevêché de Cologne et c'était à ce mo-
ment, 1688, un échec gros de conséquences. En même
temps, le pape faisait répandre un mémoire justificatif
écrit en italien et traduit en français sous ce titre :
Réflexions pour 'servir de réponse sur la lettre en
forme de manifeste que M. le cardinal d'Estrées
distribue.
2® Alexandre Vlll. — Cependant Innocent XI mour-
rait le 11 août 1689. Son successeur Alexandre VIII,
6 octobre 1689, donna quelques marques de bienveil-
lance au représentant de Louis XIV au conclave, le
duc de Chaulnes. Aussitôt Louis XIV entra dans la voie
des concessions; il restitua Avignon et céda sur la
question des franchises. En retour, Alexandre VIII se
montra prêt à accorder les bulles toujours refusées
par Innocent XI aux anciens nlembres de l'assemblée
de 1682, s'ils consentaient à une rétractation ou plus
exactement à cette déclaration qu'ils n'avaient préten-
du émettre touchant la puissance pontificale qu'une
opinion personnelle. La négociation, pénible pour l'or-
gueil de Louis XIV, n'avait pas abouti, lorsque mou-
rut Alexandre VIII, i" février 1691. Mais deux jours
avant de mourir il accomplissait deux grands actes :
1<» il publiait la constitution Inter muUipHces qu'il
avait écrite dès le 4 avril 1690, première année de son
pontificat, et dans laquelle, après avoir rappelé les cen-
sures portées par la lettre du 11 avril 1682 sur les actes
de l'assemblée du clergé français, il ajoute : « Voulant
en outre par les présentes qu'on regarde pour bien
et suffisamment exprimés et insérés ici de mot à mot
et très exactement spécifiés selon toute leur teneur les
actes de l'assemblée de 1682... nous déclarons de notre
propre mouvement et de science certaine, après mûre
délibération et en vertu de la plénitude de l'autorité
apostolique, que toutes les dispositions en général et
individuellement qui ont été faites dans la susdite
assemblée du clergé de France de 1682, tant touchant
l'extension du droit de régale que touchant la décla-
ration sur la puissance ecclésiastique et les quatre pro-
positions y contenues, avec tous les mandats, arrêts...
édits, décrets, faits et publiés par des personnes quel-
conques, soit ecclésiastiques, soit laïques... nous décla-
rons que toutes ces choses ont été, de plein droit,
nulles, invalides, illusoires, pleinement et entièrement
destituées de force et d'effet dès le principe, qu'elles le
sont encore et le seront à perpétuité et que personne
n'est tenu de les observer ou d'observer quelqu'une
d'elles, fussent-elles même munies du sceau du ser-
ment... Et néanmoins pour plus grande précaution..,
et en vertu de la plénitude de pouvoir comme dessus,
nous improuvons, cassons, invalidons et annulons, et
nous dépouillons pleinement de toute force et eflet les
actes et dispositions susdites... ^ Cette constitution ne
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DÉCLARATION DE 1682
204
condamnait pas directement, il faut le remarquer, le
fond même, la doctrine des quatre articles. Elle annu-
lait seulement les actes d'un pouvoir judiciaire et civil
incompétent dans les questions spirituelles et surtout
d'une assemblée ecclésiastique inhabile à décider
n'étant pas canoniqne et ayant sacrifié « les droits des
Églises de France, du souverain pontife et de l'Église
universelle. » Les gallicans ne s'en émurent pas
moins : ils se sentaient atteints; c on ne se rassura
qu'en inventant l'expédient de dire que cette pièce
marquait trop la faiblesse d'esprit d'un mourant et
présentait trop de défauts pour être approuvée par le
sacré collège, » Gaillardin; 2» une lettre au roi de
France où il le suppliait de veiller à ce que cette con-
stitution Inter multiplices fût acceptée et mise à exé-
cution dans tout le royaume et de mettre ainsi fin à
cette querelle funeste.
3» Innocent XIL Pacification, 1693. — Un progrès
avait été fait sous le règne d'Alexandre VIII. Tandis
qu'Innocent XI refusait purement et simplement des
bulles aux membres de l'assemblée, Alexandre VIII
avait admis — les autres évéques nommés n'étaient pas en
![uestion — la possibilité de donner des bulles à ces per-
sonnages compromis, à la condition que le roi retirât
»on édit du 20 mars et qu'eux-mêmes signassent une
rétractation sur la formule de laquelle on commença
de discuter. Innocent XII reprit les négociations où
elles en étaient. Elles durèrent deux ans. Par orgueil,
le roi eût bien voulu ne pas céder, puis, il lui en coû-
tait de laisser traiter en coupables des hommes qui
avaient cru servir ses intérêts. On discuta longtemps
les termes de la rétractation. Mais l'horizon politique,
malgré de réels succès militaires, s'assombrissait ; la
religion souffrait de la situation dans plus de quarante
diocèses et c'était une singulière contradiction que le
roi, qui préparait la révocation de l'édit de Nantes, fût
en révolte ouverte contre le chef de l'Église. Le 14 sep-
tembre 1693 donc, il écrivait au pape : « Je suis bien
aise de faire savoir à Votre Sainteté, que j'ai donné les
ordres nécessaires pour que les choses contenues dans
mon édit du 22 mars 1682, touchant la déclaration faite
par le clergé de France, à qui les conjonctures passées
m'avaient obligé, ne soient pas observées. » Ce n'était
point là une rétractation de principes, mais la suspen-
sion de l'exécution d'un édit. Quant aux évêques nom-
més depuis 1682, leur rétractation portait pour chacun :
« Nous professons et nous déclarons que nous sommes
extrêmement fâchés, et au delà de tout ce qu'on peut
dire, de ce qui s'est fait dans l'assemblée susdite (de
1682), qui a souverainement déplu à Votre Sainteté et
à ses prédécesseurs. Ainsi tout ce qui a pu être or-
donné dans cette assemblée contre la puissance ecclé-
siastique et l'autorité pontificale, nous le tenons et
nous déclarons qu'on doit le tenir pour non ordonné.
De pi as nous tenons pour non délibéré, tout ce qu'on
a pu avoir pensé y avoir été délibéré au préjudice des
églises; notre intention n'a pas été de décider quelque
chose contre les droits de nos églises. y> Louis XIV tint
parole en ce qui concerna l'enseignement de la décla-
ration; malgré cela et si plus tard il sollicita du pape,
comme d'une autorité dernière infaillible, la bulle Uni-
genitus, il n'en demeura pas moins pénétré des doc-
trines gallicanes comme le prouve son grand édit de
1695 sur la juridiction ecclésiastique. En tout cas, les
parlements continuèrent à faire état de la déclaration
de 1682.
VI. Les quatre articles de 1715 À 1870. — La dé-
claration de 1682 disparut comme le gallicanisme à
l'état de doctrine — non à l'état de tendance — avec
les décrets du concile du Vatican.
Le régalisme et l'épiscopalisme, qui en étaient le fond,
reçurent un coup violent de la Révolution avec la
constitution civile qui en est le triomphe et qui mon-
tra à quels excès ces deux doctrines peuvent conduire,
avec les actes de l'autorité de Pie VII déposant les
évéques et remaniant l'Église de France au moment du
concordat. De 1715 à 1789, les parlements, dont le
gallicanisme s'était pour ainsi dire fortifié de jansé-
nisme, furent les défenseurs ardents de la déclaration
de 1682. En 1766, sous le ministère Choiseul, Louis XV
ordonna que les quatre articles de 1682 fussent de
nouveau enseignés dans les séminaires et ils le furent
en effet jusqu'à la Révolution. Mais ces articles s'étaient
également répandus au dehors et le synode de Pistoie
en 1786 osa les soutenir et les insérer dans son décret
delà foi. Le 28 août 179i, Pie VI condamnait le synode,
le décret et l'usage fait de la déclaration de 1682, dans
la bulle Auctorem fidei : « L'on ne doit pas passer sous
silence, y disait-il, cette insigne et frauduleuse témé-
rité du synode, qui non seulement a osé prodiguer les
plus grands éloges à la déclaration de l'assemblée
gallicane de 1682, depuis longtemps improuvée par le
siège apostolique, mais qui s'est permis, pour lui donner
plus d'autorité, de la renfermer insidieusement dans
un décret intitulé De la foi, d'adopter ouvertement les
articles qu'elle contient et de mettre le sceau, par la
profession publique et solennelle de ces articles, à tout
ce que renferment les différentes parties de ce décret...
c'est pourquoi nous réprouvons et condamnons l'adop-
tion récente et accompagnée de tant de vices qui en a
été faite dans le synode, comme téméraire, scandaleuse.. .
et... comme grandement injurieuse à ce siège apos-
tolique. »
On a vu à l'article Concordat, t. m, col. 760 sq.,
comment Bonaparte essaya de faire revivre dans les
articles organiques, avec toutes les libertés gallicanes,
l'enseignement des quatre articles et comment, dans
ses luttes avec le pape, il essaya de l'amener à accepter
les quatre articles et 'pour ainsi dire à leur prêter
serment. Avec la Restauration les choses tombèrent
dans l'oubli, mais en 1824, sous le ministère Villèle,
un décret royal ordonna de reprendre dans les sémi-
naires l'enseignement des quatre articles. Cette ordon-
nance provoqua les colères de bon nombre d'évèques.
Voir Clermont-Tonnerre, t. m, col. 236. Mais dans
cette période, le plus redoutable adversaire de la décla-
ration de 1682 fut Lamennais, en particulier dans son
livre. De la religion considérée dans ses rapports avec
Vordre politique et civil, in-8o, Paris, 1826. On deman-
dait dès lors aux professeurs nouveaux, que les évêques
nommaient dans leurs séminaires, de signer l'engage-
ment d'enseigner les quatre articles. La tactique géné-
rale fut de ne pas répondre à cette mise en demeure
et le gouvernement n'insistait pas. On cessa sous le
second empire de faire cette demande. Les luttes entre
ultramontains et gallicans recommencèrent avec inten-
sité autour du Manuel de droit ecclésiMtique français
de Dupin aine, en 1814, et plus tard à propos du concile
du Vatican.
Recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires
du clergé de France, dans les Mémoires du clergé, 12 in-fol.,
Paris, 1716; Collection des procès-verbaux des assemblées
générales du clergé de France depuis i560 jusqu'à présent,
9 in-fol., Paris, 1767-1780; Cherâbiol, Magnum buUarium
romanum, 19tom. en 12 vol., Luxembourg, 1727^742; Men-
tion, Documents relatifs aux rapports du clergé avec lapa*
pauté de 1682 à iliô, ia-8*, Paria, 1893; Berthier, Innocenta
P. P. XI epistolm ad principes, etc., Rome, 1889 sq. ; Dep-
ping, Correspondance administrative, t. iv ; Clément, Lettres,
instructions et mémoiresde Colbert, 7 vol. en 10 tom. in-4*, Paris,
1861-1865; Hanotaux, Rome, dans le Recueil des instructions
données aux ambassadeurs de France, Paria, 1888, 1. 1; Pierre
Pithou, Les libertés de V Église gallicane, in-4*, Paris, 15^4^;
Pierre Dupuy, Traité des droits et libertés de f Église gallicane,
3 in-fol., Paris, 1639, 16&1, 1731 ; Guy Coquelle. Traité des liber-
tés de V Église gallicane, 2 in-fol., Bordeaux, 1703; Durand de
Maillane, Les libertés de VÉgUse gallicane, 5 in-4*, Lyon, 1771 ;
EUies du Pin, De potestate ecclesiastica et temporali sive de-
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205
DECLARATION DE 1682 — DÉCRÉTALES
206
claratio cleri gallicani, in-4*, Mayence, 1788; Isambert, Recueil
deê anciennes lois françaises de 420 à il 89, 29 in-8% Paris, 1822-
1827; les Lettres et mémoires du temps, notamment les Lettres
de Bossuet dans ses Œuvres, édit. Lâchât, 31 in-8*, Paris, 1875,
t. xxvi-xxx ; le P. Rapin, Mémoires, édit. Aubineau, 3 in-8',
Paris, 186& ; Lcdieu. Mémoires, édit. Guettée, 4 in-8-, Paris,
1866; Legendre, Mémoires, édit Roux, in-8*, Paris, 1863; Joseph
de Maistre, Du pape, in-8% Paris, 1819 ; De VÉglise gallicane,
iih8*, Paris, 1821 ; Grégoire, Essai historique sur les libertés
de rÉglise gallicane, In*8', Paris, 1818 ; Bausset, Histoire de
Bossuet, 4 in-S", Versailles, 1814-1819; Oesmarals, Histoire des
démêlés de la cour de France avec la cour de Rome, in-4*,
PiMTs, 1706; Tabaraud, Histoire critique de Rassemblée géné-
rale du clei'gé de France en i682, in-8% Paris, 1826; Gérin,
Recherches historiques sur l'assemblée du clergé de i68S,
iii-8', Paris, 1869; 2* édit., 1877; Le pape Alexandre VI II et
Louis XIV, in-8*, Paris, 1870; Loyson, VAssemblée générale
du clergé de France de 1682, in^*, Paris, 1870 ; Michaud,
Louis X/Vet Innocent XI, 4 in-8*, Paris, 1882-1883; Guamacci,
Vitse et res gestœ Romanorum pontificum et cardinalium a
Clémente X usque ad Clementem X/, 2 in-fol., Rome, 1751 ;
Buonamici, De vita et rébus gestis Innocenta XI, Rome, 1776;
Ranke, Die rdmischen Pàpste in den lelzten vier Jahrhunder-
ten, 3 in-8% Berlin, 1836, t. m; aéraent. Histoire de Colbert,
2 in-8-, Paris, 1874; Rousset, Histoire de Louvois, 4 in-8*,
Paris, 1863; Voltaire, U siècle de Louis XIV, in-12, Berlin,
1"^; Gaillardin, Histoire du règne de Louis XIV, 5 in-8*, Paris,
1871-1875 ; le t. vi de Y Histoire générale, publiée sous la direc-
tion de MM. Lavisse et Rambaud; le t. vu de l'Histoire de
France, publiée sous la direction de M. Lavisse, et en général
les Histoires de Louis XIV.
C. Constantin.
i» DÉCRET. En matière ecclésiastique, le mot
décret a conservé un sens très général qu'il a perdu
depuis plus d'un siècle dans le langage des juristes.
Ces derniers remploient exclusivement pour dési-
gner certains actes du pouvoir exécutif, par opposition
aux actes législatifs et aux sentences judiciaires. Or,
en droit canonique, le décret est, au contraire, soit
un acte législatif, soit un acte judiciaire. Les niolu
proprio, rescrits, induits, etc., constitueraient plutôt
la catégorie des actes adminisUrdlifs auxquels on réserve
en droit français le nom de décret. L'assimilation n'est
d'ailleurs pas possible d'une manière absolument exacte,
la séparation des pouvoirs n'existant pas dans lès curies
eccJésiasliques.
La loi ecclésiastique, quel que soit le législateur,
concile général, pape, évéque, se présente toujours
comme un décret. Les lois promulguées par le concile
de Trente sont des décrets, celles que le pape promulgue
soit par lui-même au point de vue doctrinal, soit par
les Congrégations romaines, Saint-Office, S. C. du
Concile, des Évéques et Réguliers, [des Rites, etc., au
point de vae disciplinaire, sont des décrets. Une ordon-
nance d'un évéque ou d'un prélat régulier, si elle a
force de loi, constitue un décret. Les règlements ou
statuts des chapitres généraux des ordres religieux sont
aussi des décrets quand ils ont force de loi, de même
pour les statuts des chapitres séculiers.
Au point de vue judiciaire, on appelle décret tout
jugement qui n'est pas le jugement définitif : précepte
du juge destiné à pourvoir au provisoire, à organiser
l'instance, à déclarer close l'enquête et à en permettre
la communication aux parties intéressées (publication de
l'enquête). Dans l'ancien droit français, certains juge-
ments préliminaires rendus contre un accusé, pour le
taire comparaître, pour vendre ses biens, etc., portaient
ainsi le nom de décrets. Le droit ecclésiastique a con-
servé l'usage du mot décret là où les jurisconsultes
modernes se servent des termes : jugement avant faire
^^^ jugement interlocutoire, préparatoire, provisoire,
jugements sur requête, ordonnances de référé, etc.
P. FOURNERET.
2. DÉCRETS. I^e mot a été employé au moyen âge
dans le sens de collection de textes canoniques, et il
«^applique encore dans ce sens par antonomase au
décret de Gratien (voir Gratien), qui constitue la
première partie du Corpus juris canonici, Parmi les
compilations canoniques qui furent faites au nombre de
quarante environ, depuis le ix« siècle jusqu'au temps
de Gratien, deux très importantes portent le nom de
Décret. Elles sont l'œuvre de Burchard de Worras et
d'Yves de Chartres.
lo Les vingt livres de Burchard, évéque de Worms.
Cette vaste compilation, composée entre 1012 et 1023
(Decrelum magnum Décréter um volunien)^ s'appela
au moyen âge le Brocard, par corruption du nom de
son auteur. L'ouvrage dépend de Réginon. On y trouve
des règles de droit sous une forme énergique, concise,
facile â retenir (brocards). C'est d'ailleurs une com-
pilation générale de science ecclésiastique destinée à
l'instruction pratique des clercs du diocèse de Worms,
plutôt qu'une collection proprement canonique. Voici
les matières des vingt livres du décret de Burchard :
]. I, le pape, le patriarche, le métropolitain, l'évêque,
le synode, le juge; 1. II, le clergé; l. III, les églises et
les dimes; 1. IV-XIV, les sacrements; 1. XV, les devoirs
des laïques; l. XVI-XVIII, les délits et les peines;
1. XIX, corrector ou medicus, est un pénitentiel; le
l. XX, De contemplatione, est un traité de philosophie
et de théologie. Burchard a utilisé sans discernement
les apocryphes d'Isidore Mercator, ainsi que les faux
capitulaires de Benoit Lévite. Ce défaut de critique est
d'autant plus dangereux pour le lecteur moderne qu'il
n'existe pas d'édition critique du décret de Burchard
de Worms. On doit reconnaître que cet auteur, malgré
ses imperfections, a ouvert la voie à Gratien sur un
point très important, en travaillant à résoudre les anti-
nomies des textes canoniques, concordanlla discordan-
lium canonum. Ce fut, avant le Décret de Gratien, le
manuel canonique le plus répandu.
2o Le décret d'Yves de Chartres (f 1117) semble
avoir été un travail préparatoire à la Panormie. C'est
une compilation assez peu ordonnée des documents
disciplinaires recueillis jusque-là par différents auteurs.
L'ouvrage dépend surtout de Burchard de Worms. Ce
qui en fait l'intérêt est l'introduction d'un certain
nombre de lois tirées des compilations de Justinien,
dans un document antérieur aux grands travaux de
l'école de Bologne sur le droit romain. Voir Yves de
Chartres.
On trouve le décret de Burchard de Worms dans une édition de
Paris, 1540, reproduite P. L., t. cxl, col. 537-4020 sq. Une autre
édition a été donnée à Cologne en 1548. Le 1. XIX-, qui contient
un traité pour l'administration de la pénitence, a été réimprimé
par Wasserschleben, Bûssordnungen der abendlàndischen
Kirche, 1851, p. 624. Il existe un manuscrit contemporain de
Burchard à la bibliothèque de l'université de Fribourg-en-Bris-
gau. Cf. Ph. Schneider, Die Lehre von den Kirchenrechtsquel-
len, § 29, Ratisbonne, 1892.
Le décret d'Yves de Chartres se trouve dans les Opéra
omnia, édités à Paris en 1647 par le génovefain Fronto. Malgré
son titre, cet in-folio ne contient pas la Panormie. Migne a repro-
duit le décret et la Panormie, P. L., t. cuci, col. 47-1022.
Cf. ibid,, col. XLIX-Lxvviii, 41-47. Voir aussi A. Theiner, Ueber
Iv(fs vermeintliches Décret, Mayence, 1832; P. Foumier, Les
collections canoniques attribuées à Yves de Chartres, dans
Bibliothèque de Vécole des chartes, 1896 et 1897.
P. FoURNERET.
1. DÉCRÉTALES. — L Définition et divers sens du
mot. IL Recueils ou collections. III. Ces collections,
sources théologiques.
I. Définition et divers sens du mot. — On nomme
décrétâtes (decretale comtituium, decretalis epistola)
des ordonnances ou constitutions des papes, ayant une
portée générale soit pour l'Église entière, soit au
moins pour une de ses parties notables, une ou plu-
sieurs provinces ecclésiastiques. Dans le langage com-
mun des canonistes, on donne le nom de constitution
ou décret aux ordonnances faites motu proprio, et
l'on réserve celui de décré taies aux ordonnances
d'ordre général faites en réponse à des demandes ou
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DÉCRÉTALES
208
consultations, le nom de rescrit désigne les constitu-
tions ayant pour objet des personnes privées ou des
Cl uses d'ordre parliculier. Les termes huile ou bref
indiquent seulement la forme extérieure dans laquelle
sont envoyés les lettres, décrélales, rescrits, etc. Voir
ces mots.
A l'origine, le terme décrétale avait un sens plus
étendu : il ne désignait pas seulement les ordonnances
d3s papes, mais encore celles des évéques. Il avait aussi
des synonymes, comme constilutum, auctoritas. Maas-
sen, Geschichte der Quellen und der Literalur des
kanonischen Rechts, p. 228.
Le premier document, semble-t-il, où le moidécrétale
paraisse avec le sens que nous lui donnons, pour dé-
signer les ordonnances des papes, est la lettre du
pape Sirice à Tévêque Himerius de Tarra^one, où il
dit : ad servandos canones et tenenda decretalia
consliluta magis ac magis incilamus, Maassen,
op. cit., p. 230.
En tin le mot a reçu dans la suite un nouveau sens :
il désigne parfois le recueil lui-même des décrétales.
IL Recueils ou collections. — l® Antérieurs à Gror
tien, — Provenant du chef suprême de l'Église, les
décrétales des papes avaient une très grande importance,
et les mêmes cas se représentant plus ou moins iden-
tiques partout et donnant lieu aux mêmes difficultés,
les réponses pontificales étaient souvent communiquées
d'église à église. Bientôt on jugea utile d'en faire des
collections ou recueils aussi complets que possible. '
De ces collections, les unes générales, les autres par-
ticulières, quelques-unes sont à peine connues, d'autres
ont été célèbres. Voir l'historique dans Maassen,
op. cit. Nous citerons seulement celle de Denys le Petit,
avec ses formes ou ses modifications postérieures, la
collection de Quesnel, VHispana, celle des Fausses
Décrétales; on en trouvera une liste, pour celles qui ont
paru avant le milieu du ix« siècle par exemple, dans
Maassen, op. cit. À partir de cette date, les collections
qui étaient plutôt disposées dans l'ordre chronologique,
prennent un ordre systématique, par matières, et visent
à devenir de plus en plus complètes. On cite parmi
elles la Collectio Anselmo dedicata, celle de Réginon
de Prùm; le Decretum de Burchard de Worms et
celui d'Yves de Chartres, voir Décrets, col. 206, la
Collectio Anselmi, celles du cardinal Deusdedit, de
Bonizon, celle de Saragosse, le Polycarpus, etc. Tontes
furent dépassées et remplacées par celle de Gratien :
Concordia discordantiuni canonum, plus lard commu-
nément nommée le Décret. Voir Gratien.
2® Postérieurs à Gratien. — 1. Antérieurs à Gré-
goire IX. — Le Decretum de Gratien exerça dans le
domaine des études canoniques une influence féconde,
et ce renouveau eut pour conséquence naturelle des
discussions de cas plus juridiques, plus cohérentes,
des appels au pape plus nombreux. En même temps,
et pour d'autres causes encore, le pouvoir des papes
était appelé à s'exercer davantage; quand ces papes
étaient des hommes et des canonistes comme Alexan-
dre III et Innocent III, leurs décrétales, s'élevant au-
dessus du cas terre à terre qu'on leur avait présenté,
avaient une portée plus haute et pour ainsi dire univer-
selle, elles étaient plus demandées; aussi le registre
d'Alexandre III, par exemple, ne contient pas moins
de 3939 numéros et celui d'Innocent III plus de 5000.
D'autre part, les deux conciles de Latran de 1179 et de
1215 prirent des décisions très importantes et d'une
fréquente utilité pratique. Il faudrait s'étonner si ces
textes n'eussent pas été recueillis et ajoutés au Décret.
La première collection que l'on adjoignit ainsi au
Dea'etuni fiit VAppendix concilii Lateranensis. Divi»-
sée en 50 parties (jjartes) et 537 chapitres, et mise au
point grâce à plusieurs recensions successives, elle
contient, avec les statuts de Latran (1179), d'autres
pièces, par exemple des décrétales des papes, des
canons de conciles, tels que celui de Tours de 1163.
Elle fut imitée par d'autres collections moins connues :
la Collectio Bambergensis, la Collectio Lipsiensis, la
Collectio Casselana, distribuées toutes en division à
deux degrés : partes, libri ou tituli et capita.
Une nouvelle collection, plus méthodique, fut faite
par un des canonistes les plus célèbres de l'époque,
Bernard de Pavie (Bernardus Papiensis ou simple-
ment Papiensis). Nommée d'abord, Breviarium extrava-
gantium, ou par son auteur, Libellus extravagantium
et ailleurs Décrétâtes et extravagantia {Vaganti^i [dé-
créta] extra [Decretum]), elle est désignée plus com-
munément aujourd'hui sous le nom de Compilatio i*.
Le dessein du compilateur était, comme celui de ses
devanciers, de compléter Gratien. Mais ce qui le distingue
d'eux tous et lui donne une importance hors de pair,
c'est l'ordre dans lequel il distribua sa matière : il la
répartit en une division à trois degrés : livres, titres,
chapitres. Les livres étaient au nombre de cinq dont
la Glose exprima l'ordre et l'objet dans l'hexamètre
bien connu :
Judex, judicium, clerus, connubia (sponsalia), crimen ;
le I*»" traitant de la personne et des devoirs du juge, le
II« du jugement et de la procédure, le I1I« de l'état des
clercs et des moines, le IV» du mariage, le V« des
crimes et délits. Dans ces cinq livres on avait réuni,
sous 152 titres, 932 chapitres. Malgré cette masse de
documents, la compilation restait dans des limites con-
venables : l'auteur, afin d'alléger son œuvre, avait fait
des coupures dans les documents très nombreux, pa-
tristiques, conciliaires, etc., dont il s'était servi : il n'en
insérait que la partie qu'il jugeait nécessaire, en omet-
tant tout le reste ; les omissions étaient indiquées par le
renvoi : et infra. La collection parut après 1191,
lorsque Bernard avait déjà échangé la prévôté de Pavie
contre l'évéché de Faenza.
Nous nous sommes un peu étendu sur cette compi-
lation, à cause de l'influence prépondérante qu'elle
exerça sur les suivantes et en particulier sur celle de
Grégoire IX. Quoiqu'elle ne fût qu'une œuvre privée
et sans caractère officiel, elle servit de texte pour les
leçons et fut commentée par les maîtres qui l'entou-
rèrent de gloses. Aussi, de ce jour, les canonistes,
jusque-là nommés décrétistes, reçurent parfois le nom
de décrétalistes.Ldi citation des textes, quand on y ren-
voyait, se faisait en indiquant le chapitre, suivi du mot
Extra ou simplement X et de l'énoncé du titre.
L'exemple de Bernard fut imité. Ses successeurs
continuèrent son œuvre en colUgeant les textes qui lui
avaient échappé en même temps que les décrétales
nouvelles et l'on eut, dans l'ordre chronologique, les
Compilationes II h, //*, IV» et V\ pour ne mentionner
que celles-là. Deux d'entre elles eurent un caractère
officiel, la Conipilatio III», envoyée par Innocent III lui-
même à l'université de Bologne, afin qu'elle servit tam
in judiciis quant in scholis, bulle Devotionis vestrœ
(28 décembre 1210), et la Conipilatio F», envoyée aussi
par Honorius III à l'illustre canoniste Tancrède, alors
archidiacre de Bologne, avec l'ordre quatenus eis so-
lemniter publicatis, absque ullo scrupulo dubitatio-
nis utaris, et ab aliis recipi fadas, tam in judiciis
quam in scholis. Bulle Novm causarum, de 1226 ou
1227. Toutes ces collections étaient faites sur le modèle
de celle de Bernard de Pavie.
L'un des motifs qui avaient poussé Innocent III à
donner sa compilation et à l'envoyer à l'université de
Bologne, c'était d'exclure une compilation faite par
Bernard de Compostelle qui contenait des décrétales
rejetées par la curie romaine. Mais toutes les difficultés
n'étaient pas exclues de ce fait. Grégoire IX a marqué
lui-même en termes concis les défauts de toutes ces
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DÉCKÉTALES
210
collections qui se succédaient sans se remplacer abso-
lument : rincommodité d'avoir recours à plusieurs
ouvrages à la fois trop semblables (par l'accumulation
des mêmes textes) et trop divers (par l'insertion de
textes parfois contradictoires); d'où résultait l'incerti-
tude sur la valeur juridique des sentences portées
d'après ces décré taies.
2. Leê Décrétâtes de Grégoire IX. — A peine monté
sur le trône pontifical où son grand âge ne permettait
pas au pape octogénaire l'espoir de longues années,
Grégoire IX voulut porter remède à ces défauts et
mettre dans cette confusion un peu d'unité. En 1230,
il chargea son chapelain et pénitencier, le dominicain
Raymond de Pennafort, déjà renommé comme doclor
decretorum, de faire une nouvelle collection destinée à
remplacer toutes les autres. Non seulement on obtien-
drait l'unité matérielle en remplaçant les Quinque
conipilationes par une seule, mais on lui donnerait
l'unité intérieure d'une procédure logique et cohérente,
soit en supprimant les textes anciens, soit même en
les modifiant, et le tout serait mis au point par l'inser-
tion des nouvelles décrétâtes parues.
Raymond se mit à l'œuvre aussitôt. ÂÛn de ne pas
troubler des habitudes reçues, il conserva, des compi-
lations existantes, tout ce qui pouvait être maintenu,
le cadre, la division en cinq livres subdivisés en titres
et en chapitres. Plus encore, il admit dans la sienne
tous Jes titres de la Conipitatio 1\ 10 de la 11\ 17 de
la 111^, i de la /F«; il n'en ajouta que cinq nouveaux.
Le total donnait 185 titres divisés en 1971 chapitres, des-
quels 1766 venaient des compilations précédentes ; 196
étaient l'apport du pape régnant, et 65 d'entre eux, com-
posés sur la demande de Raymond, avaient pour but
de trancher les questions controversées. Comme ses pré-
décesseurs, et en particulier Bernard de Pavie, l'auteur
avait visé à la brièveté et omis tout ce qui ne lui pa-
raissait pas nécessaire à la solution (entre autres l'ex-
posé du cas qui avait été soumis au pape, les species
facli) ; les passages omis sont connus sous le nom de
partes dccisss et ils sont indiqués, comme dans Ber-
nard, par le renvoi : et infra.
Raymond de Pennafort n'avait pas visé à faire une
<euvre originale. En prenant les textes connus, il ne
remonta pas aux sources et se contenta de les insérer
comme les donnaient les Quinque conipilationes. Ces
textes provenaient de la sainte Écriture, des canons
des apôtres, des conciles, depuis celui de Sardique
jusqu'au IV* de Latran (1215), des décrétâtes pontifi-
cales, depuis Boniface I*** jusqu'à Grégoire IX, des
Pères de l'Église, des ordines romani, des pénitentiels,
des lois civiles ; quelques Fausses Décrétâtes alors re-
çues y entrèrent aussi. Â l'intérieur de chaque titre il
disposait ordinairement les chapitres dans l'ordre
chronologique, ce qui existait déjà, au moins en par-
tie, dans quelques-unes des compilations précédentes,
par exemple celle de Bernard. Mais, comme ses de-
vanciers aussi, il ne se priva pas de mettre en mor-
ceaux des constitutions pontificales afin de répartir ces
pièces dans les divers titres ou chapitres où elles pou-
vaient être utiles : c'est ainsi que l'on voit la constitu-
tion Pastoralis officii d'Innocent III divisée en treize
morceaux. Mieux encore, non content des décisions
nouvelles qu'il obtenait du pape afin de trancher cer-
taines difQcullés, il employait d'autres moyens que
nous trouverions aujourd'hui moins acceptables,
mais que les anciens, Justinien, par exemple, avaient
admis, comme les modifications de textes ou des
interpolations.
Le nouveau compilateur mena son œuvre avec une
grande activité. Dans le bref espace de quatre ans, la
nouvelle collection était achevée. La bulle Rex pacifi-
eus (insérée dans toutes les éditions en tête des décré-
4ales] du 5 septembre 1234, envoyée de Spolète aux
universités de Paris et de Bologne, donnait à l'œuvre
de Raymond de Pennafort le caractère d'une collection
ofQcielle : elle seule serait enseignée dans les écoles et
employée dans les cours ecclésiastiques, et il était in-
terdit d'en faire une nouvelle sans l'autorisation du
saint-siège : Volantes igitur, ut hoc tantuni compila^
tione universi utantur in judiciis et in scholis, di-
strictius prohibenius, ne quis prmsumat aliam facere,
absque auctoritate sedis apostolicœ speciali.
Le pape fut obéi. La nouvelle collection, que l'on
nommait, à défaut d'un titre officiel donné par le pon-
tife, tantôt Pentateuchus, tantôt et plus communément
Extravagantium liber, servit de texte à l'enseignement
des écoles et fut l'objet de gloses et commentaires dé-
signés sous le nom de SunimsB, Distinctiones, Notabi-
lia, Casus, MargaHtœ. Ces gloses furent nombreuses
et plusieurs très renommées, parmi lesquelles on peut
mentionner VApparatus d'Innocent IV, la Summa
d'Henri de Suse plus connu sous le nom de son titre
cardinalice Hostiensis, la Glossa ordinaria complétée
et achevée par Johannes Ândreae, les Lecturm de
Panormitanus.
On a dit plus haut que la collection avait une valeur
de collection officielle. Les textes qu'elle contenait,
quelle qu'en fût l'origine ou l'authenticité historique,
avaient, de par la volonté du pape, force de loi. Le
législateur donnait ainsi une authenticité à tout ce que
contenaient les cinq livres. Même, on pouvait désor-
mais invoquer comme lois non seulement le texte de
chaque chapitre, mais celui des titres dont l'énoncé
donnait un sens complet, ceux-ci par exemple : Ut
lite non contestata non procedatur ad testium re-
ceplionem vel ad sententiam definitivam, l. Il,
lit. VI ; Ne sede vacante aliquid innovetur, 1. III, tit. ix ;
De niagistris, et ne aliquid exigaturpro licenlia do^
cen(ii,\. V, tit. v; De simonia, et ne aliquid prospiHtua-
libus exigatur vel promittatur, 1. V, tit. m. Par là,
cette collection se distinguait nettement de celle de
Gratien, par exemple, où les textes n'avaient originai-
rement d'autre valeur juridique que celle de la source
authentique.
Par contre, rien n'était changé, naturellement, à la
valeur historique des documents cités : la volonté du
pape ne pouvait faire que les pièces apocryphes, s'il
s'en rencontrait, ne demeurassent pas apocryphes his-
toriquement.
Quant à la manière de citer, on appliqua aux Décré-
tâtes de Grégoire IX le mode usité pour les compilations
antérieures et que réclamait le titre môme d'Extrava-
gantes qu'on lui donna longtemps : on renvoyait aux
textes en citant le numéro d'ordre et les premiers mots
du chapitre, ou Tun ou l'autre seulement, suivi des
initiales Extra ou bien X, du numéro du livre et du
titre ou de son numéro d'ordre dans le livre; ainsi,
par exemple, le c. Omnis utriusque sexus du IV« con-
cile de Latran sur la confession annuelle et la commu-
nion pascale était indiqué : c. 12, Omnis tUriusque
sexus, ou c. 12, ou c. Omnis utriusque sexus, X, De
pamitentiis et remissionibus, ou bien X, V, xxxviii.
Une œuvre destinée ainsi à l'usage quotidien eut, dès
l'invention de l'imprimerie, des éditions nombreuses :
on en a compté plus de quarante depuis 1473, date de
la première, jusqu'à l'an 1500. En 1580, le texte souvent
corrompu, fut soumis à une revision officielle, par les
ordres de Grégoire XIII ; le pontife en confia la charge
aux Correctores romani, Franciscus Pegna et Sixtus
Fabri, qui venaient de remplir le même office pour le
Décret de Gratien : deux ans après, en 1582, l'édition
corrigée paraissait sous le titre : Decretales D, Grego-
rii IX suse integritati unàcumglossis restitutœ. Quelques
années auparavant (1570), Le Conte (Contins) publiait
à Anvers une édition dans laquelle il avait réintégré à
leur place les partes decisœ.  partir de 1661, la plupart
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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES)
212
des éditions bâloises du Corpus juris donnèrent ces
partes decisœ, mais en les renvoyant à la fin de chaque
chapitre; toutefois ce ne Tut que dans l'édition de
J. H. Bôhmer (1747) que l'on vit se faire jour la pens<^e
de remonter aux sources afin de restituer leur texte au-
thentique; rédition de Richter (1839) apporta de nou-
vel les améliorations; l'édition de Friedberg (1881) semble
seule donner enfîn satisfaction aux exigences de la cri-
tique.
3. Les collections postérieures à Grégoire IX, —
Après la bulle Rex pacificus, le rôle de la papauté con-
tinua de grandir et son influence de s*étendre; les nom-
breuses décrétales, données en réponse aux questions
posées de toute part, furent recueillies encore plus fidèle-
ment. On peut lire dans Schulte la liste de ces collec-
tions; plusieurs d'entre elles eurent un caractère offi-
ciel, comme celle d'Innocent IV dont les textes étaient
destinés à être insérés dans la compilation de Grégoire IX :
elle fut envoyée, elle aussi, aux universités de Paris et
de Bologne avec l'ordre de s'en servir à l'exclusion de
toute autre; ainsi encore celle de Grégoire X, envoyée
avec les mêmes prescriptions aux universités de Paris,
Bologne et Padoue; celle de Nicolas III, adressée à
l'université de Paris.
Les mêmes difficultés, qui avaient rendu nécessaire
la compilation de Raymond de Pennafort après les col-
lections officielles d'Innocent III et d'Honorius III, ins-
pirèrent à Boniface VIII de publier un nouveau recueil
qui dispensât des précédents. Il en confia la préparation
à trois canonistes, un Italien, Richard de Sienne, et deux
Français, Guillaume de Mandagout et Bérengcr Frédoul ;
l'œuvre nouvelle reçut le nom de Sexte, Voir ce mot.
A son tour, Clément V estima utile de continuer
l'œuvre de son prédécesseur. Il fit réunir ses décré-
tais et les décisions du concile de Vienne. La collec-
tion ne parut toutefois qu'après sa mort, par les soins
de Jean XXII son successeur. Voir Clément V, t. m,
col. 68.
Pour les Extravagantes communes et celles de
Jean XXII, voir Extravagantes.
Nous terminerons par quelques indications sur deux
collections sans valeur officielle et néanmoins intéres-
santes, qui portent toutes deux le même titre : Liber
septimus Decretalium, La première fut une œuvre pri-
vée : c'est le Liber septimus du canoniste lyonnais
Pierre Matthieu, qui y réunit les décrétales des papes,
à partir de Sixte IV, auquel s'arrêtaient les Extrava-
gantes communes, jusqu'à Sixte-Quint. Elle parut à
Lyon en 1590. Divisée comme les précédentes en livres,
titres et chapitres, elle est annexée à la suite des autres
dans presque toutes les éditions du Co;*pte« juris depuis
1590. Voir t. ii, col. 1245-1216. La deuxième collection,
entreprise sur l'ordre de Grégoire XIII et confiée par
Sixte V au cardinal Pinelli, était destinée à devenir
officielle. Clément VIII, qui y avait travaillé étant car-
dinal, voulait en faire un recueil semblable à ceux de
Grégoire IX, Boniface VIII, etc. Mais diverses considé-
rations empêchèrent de lui donner la promulgation
nécessaire, celle-ci en particulier, que la nouvelle col-
lection serait sans doute l'objet de gloses et de com-
mentaires comme les précédentes; or, comme elle
contenait les décrets du concile de Trente, la publica-
tion de ces gloses serait en contradiction avec la bulle
Benediclus Deus, qui interdit aux particuliers in décréta
concilii comnientarios et interpretationes suas edere.
Aussi le volume imprimé en 1598 ne reçut aucune publi-
cité, et il était à peu près inconnu, lorsque Franz
Sentis l'édita de nouveau en 1870 sous ce titre : Cle-
nientis papm VIII Dea^etales qwe vulgo nuncupautur
liber septimus Decretalium.
III. Ces collections, sources théologiques. — Bien
qu'elles soient de leur nature collections canoniques, les
décrétales intéressent les théologiens, soit parce qu'elles
contiennent plusieurs textes dogmatiques des conciles,
en particulier dans le titre De summa THnitate et
fide catholica, qui ouvre la série des textes, soit par
suite de l'union qui existe naturellement entre les appli-
cations de la loi canonique et les principes dogma-
tiques qui l'inspirent.
La bibliographie des Décrétales est très nombreuse ; on noen-
tionnera ici seulement les ouvrages modernes les plus utiles :
A. Theiner, Disquisitiones criticm, Rome, 1836 ; Phillipe, Kir-
chenrecht, t. iv ; Maassen, GeschicfUe der Quellen und der
Literatur des kanonischen Rechts, Gratz, 1870, 1. 1 ; Laspeyres,
Bemardi Papiensis,Faventini episcopi summa Decretalium,
Ratisbonne, 1860; Aem. Friedberg, Prolegomena, dans son
édition du Corptis juris, t. ii; Id., Quinque compilationea
antiquœ necnon coUectio canonum Lipsiensis, Leipzig, 1882 ;
Fr. Schuke, Die Geschichte der Quellen und Literatur des
canonischen Rechts, Stuttgart, 1875, t. i et ii; Fr. Laurin,
Introductio in Corpus juris canouici, Fribourg-en-Brisgau,
1889; A. Tardif, Histoire des sources du droit canonique, 1887;
P. Schneider, Die Lehre von den Kirchenrechtsquellnfiy
2* édit., Ratisbonne, 1892.
A. Villien.
2. DÉCRÉTALES (LES FAUSSES). - I. Nom.
II. Division, m. Date de la collection. IV. But. V. Patrie.
VI. Influence sur la discipline ecclésiastique.
I. Nom. — On donne le nom de Fausses Décrétales
à une collection canonique, divisée en trois parties,
contenant des décrétales des papes et des canons des
conciles, qui parut vers le milieu du ix« siècle.
On la qualifle aussi de pseudo-Isidorienne, parce que
le compilateur s'attribue le nom d'Isidore. Sa préface,
en efTet, commence par ces mots : Isidorus Mercalor
servus Christi, et le titre qui la précède est ordinaire-
ment : Incipit prmfatio SASCTt isidori libri hujus.
Le nom d'Isidore a été pris en souvenir de saint Isi-
dore de Séville, la nouvelle collection se présentant
comme une édition améliorée et augmentée d'une col-
lection plus ancienne de décrétales et de conciles, dite
Hispana, mise naturellement sous le patronage du plus
célèbre des évéques d'Espagne dans les siècles p.'issés,
saint Isidore de Séville. Quant au nom de Mercalof* —
on trouve parfois Peccator, ou même Mercatus —
viendrait, dit M. Paul Fournier, après Ilinschius, c de
l'utilisation faite par Isidore de deux passages de Ma-
rins Mercator. » Etude sur les Fausses Décrétâtes, dans
la Revue d'histoire ecclésiastique, 1906, p. 34, note.
II. Division. — La collection se divise, comme nous
l'avons dit, en trois parties.
La I'* contient : !<> la préface du pseudo-Isidore, des-
tinée à recommander son livre; 2° deux lettres apo-
cryphes, l'une de l'évéque Aurelius de Carthage au pape
Damase pour lui demander le recueil des décrétales
des papes qui l'ont précédé, l'autre, la prétendue
réponse de Damase; 3» VOrdo de celebrando concilio,
édition d'une pièce authentique, le canon 4 du IV* con-
cile de Tolède augmentée de prières; 4^ une table des
canons des apôtres, des décrétales des papes jusqu*è
Melchiade et l'indication des conciles : Èreviariuni
canonum apostolorum etpnmorum a sanclo Clémente
usquead sanctum Silveslrum alque diversorum conci-
lionim..,; 5» une lettre (fabriquée aussi) de saint Jé-
rôme au pape Damase, pour demander le récit des faits
et gestes des premiers papes ; 6° les canons des apôtres,
au nombre de cinquante; ?<> soixante lettres ou décré-
tâtes apocryphes des papes, de saint Clément à saint
Melchiade, toutes fabriquées par le pseudo-Isidore, à
l'exception des deux lettres de Clément ad Jacobuni
fratrem Domini : la première vient d'une source
grecque et fut traduite en latin par Ruûn, le compila-
teur n'a pu s'empêcher d'y joindre un complément;
la deuxième se trouve également dans les collections
antérieures, le pseudo-Isidore l'a complétée aussi à sa
fantaisie.
La II* partie contient les textes d'un certain nombre
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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES)
214
de conciles précédés de quelques nouvelles pièces apo-
cryphes, qui sont : 1« une brève dissertation deprimi-
tiva Ecclesia et synodo Nicœna, composée par le
pseudo-Isidore ; 2<> Vexerupîar constiluU domni Con-
stantini imperatoris, contenant en particulier la fa-
meuse donation de Ck>n8tantin, antérieure de plus d'un
demi-siècle à l'éditeur de la compilation; 3» quelques
lignes seulement, empruntées kVHispana, sous le titre :
Quo tenipore aclum sU Nicamum concilium; 4^ une
pttefatio Nicœni concHii, qui se lit déjà, à Tezception
de quelques passages que le prétendu Isidore prit dans
Ruftn, dans une collection antérieure dite collection de
Quesnel, du nom de son premier éditeur; &> une autre
et courte préface en cinq distiques, tirée, celle-ci, de la
collection Dionysio-Hadriana; viennent enfin tous les
conciles de la Colleclio Hispana, auxquels on a ajouté,
à la suite du IV* concile de Tolède, les autres du V* au
XIII*. L'ensemble est authentique à quelques exceptions
près. Ces exceptions sont : a] VEpUtola formata
Attici episcopi Conslantinopolitani, empruntée proba-
blement à VHi9pana, insérée après les conciles grecs ;
b) VEpistola Âurelii Mizaniique, insérée après les
titres des canons du I*' concile de Carthage, tirée de
la collection de Quesnel; c) l'interpolation du mot
chorepUcopos dans les premières lignes et les derniers
mots du canon 7 du II* concile de Séville, interpola-
tion qui parait bien être du pseudo-Isidore.
La III* partie reprend les décrétales des papes :
Item incipiunt capitula Decretalium venerabilium
apostolicorum sanctœ RamaruB sedis Ecclesiœ, à
Timage de ce qui formait la seconde partie de la col-
lection Hispana, et comprend les décrétales des papes,
de saint Silvestreà saint Grégoire le Grand, avec quel-
ques décrets de Grégoire II. De cette longue série de
textes, un tiers environ est apocryphe; mais il n'entre
pas dans le plan de ce dictionnaire d'en exposer le
long et minutieux détail : on le trouvera dans l'édition
qu'a faite de toute la collection P. Hinschius. Tout ce
qu'il convient de dire, c'est que les treize premières
décrétales, jusqu'au pape Damase, sont apocryphes ;
apocryphes aussi en entier celles d'Ânastase I*r, Sixte III,
Jean J*', Félix IV, Boniface II, Jean II, Agapit, Silvére,
Pelage I", Jean III, Benoit K, Pelage II ; apocryphes en*
partie celles de Damase, Léon le Grand, Symmaque,
Vigile et Grégoire le Grand. Nous ne pouvons pas
entrer non plus dans le détail des classes et des sous-
classes de manuscrits que Hinschius a reconnues et
entre lesquelles il répartit les diverses éditions non im-
primées qui nous sont parvenues.
III. Date de la collection. — La question que nous
devrions logiquement examiner serait celle-ci : quel
est l'auteur de cette compilation? Avouons tout de
suite qu'on l'ignore, que les identifications proposées
reposent trop sur de pures hypothèses et que leurs
auiears ne les émettent qu'avec la plus extrême réserve.
Aussi s'est-on attaché surtout à fixer la date de l'œu vre
et le but que le compilateur a poursuivi.
Le recueil n'est pas daté. On peut néanmoins serrer
d'assez près l'époque précise où il parut, c II est cer-
tain, dit M. P. Fournier, op. cit,, p. 302, que Loup,
abbé de Ferrières, cite une décision des Fausses Décré-
tâtes, attribuée au pseudo-Melchiade, dans une lettre
on dans un projet de lettre adressé en 858 au pape
Nicolas I***. Il est non moins certain que plusieurs
textes des Fausses Décrétales sont cités dans la lettre
8\Tiodale écrite en 857 au nom du roi Charles le Chauve
par le concile de Qnierzy. » Il y a plus. Une citation
indubitable des Fausses Décrétales se trouve dans les
statuts donnés par Hincmar de Reims à son diocèse et
promulgés le 1*^ novembre 852. Les efforts que cer-
tains auteurs ont faits pour détacher des statuts la cita-
tion empruntée au pseudo-Isidore n'ont pas été couron-
nés de succès et la date du l"" novembre 852 reste una-
nimement acceptée. La collection était donc certaine-
ment compilée avant cette date. L'était-elle depuis
longtemps? Il est plus malaisé de fixer la date précise ;
mais on peut affirmer qu'elle est postérieure aux capi-
tulaires de Benoit Lévite. De l'avis commun des histo-
riens, les Fausses Décrétales dépendent de ces pseudo-
capitulaires; or les capitulaires ont paru certainement
après la mort d'Otgar de Mayence, survenue le 21 avril
847 : Benoit Lévite parle d'Otgar comme étant déjà
mort :
Autcario demum, quem tune Moguntia summum
Pontificem tenuit, prœcipiente plo.
Le 21 avril 8i7 et le 1*^ novembre 852 sont donc les
deux dates extrêmes entre lesquelles doit se placer la
compilation des Fausses Décrétales. Un autre argu-
ment, développé par quelques auteurs, est d'une valeur
trop discutée pour que nous croyions utile de le repro-
duire dans un exposé sommaire.
IV. But. — On a discuté beaucoup autrefois sur le but
que se proposait le compilateur ou l'artisan de tant
de pièces apocryphes ou falsifiées. A l'époque des luttes
ardentes du protestantisme, du gallicanisme ou du jo-
séphisme contre Rome, on affirmait volontiers, parmi
les hétérodoxes de toute couleur, que le pseudo-Isidore
avait eu pour but de favoriser la suprématie du pape et
d'exagérer ses pouvoirs. C'était l'opinion des David
Blondel, Gibert, de Marca, Doujat, van Espen, Febronius,
Eichhom, Theioer. Elle a perdu aujourd'hui toute
créance chez les savants, à quelque foi rsligieuse qu'ils
appartiennent. D'autres attribuent au faussaire des
vues particulières plus restreintes, par exemple le réta-
blissement d'Ebbon sur le siège de Reims, la création
d'un siège primatial à Reims ou à Mayence, le souci
d'assurer la sécurité de certains prélats menacés d'une
déposition imminente (Aldric du Mans ou même Otgar
de Mayence). D'autres enfin pensent que ce n'est pas
dans des vues aussi mesquines et de simple intérêt parti-
culier que le faussaire a pu rassembler une telle quan-
tité de matériaux : la petite cause qu'il eût prétendu
défendre par là en eût été écrasée.
Le but que poursuit l'auteur doit ressortir des textes
mêmes qu'il a amoncelés et fabriqués. On ne le décou-
vrira que difficilement dans les textes authentiques ou
autres qu'il a en commun avec les collections anté-
rieures; on le trouvera plutôt dans les pièces qu'il a
lui-même fabriquées ou retouchées. C'est donc par
l'étude des apocryphes que nous pourrons discerner le
but poursuivi. Et encore, parmi les pièces fabriquées,
n'attachons pas une importance excessive à celles qui
ont pour dessein de combler les lacunes du Liber poti-
tificalU, souvent exploité par lui, en forgeant des déci-
sions qui correspondent au récit de ces annales ponti-
ficales.
Il est une idée sur laquelle le pseudo-Isidore insiste
à cent reprises. C'est elle qu'il a en vue quand il fait
remarquer que c'est chose grave que d'accuser un
supérieur; qu'il faut de nombreuses conditions pour
qu'un accusateur mérite d'être entendu ; que les laïcs
ne doivent accuser ni les clercs ni, à plus forte raison,
les évêques; que dans un procès contre les clercs le
seul tribunal compétent est le tribunal ecclésiastique ;
que le juge des évêques ce ne sont pas les laïcs, fussent-
ils princes, mais le métropolitain ou le primat assisté
d'au moins douze suffragants; que ce juge même ne
pourra jamais déposer un évêque sans en avoir référé
au pape seul compétent à celle fin, et que tout évêque
accusé ou condamné peut toujours en appeler au pape.
C'est à elle qu'il pense quand il rappelle avec quel soin
minutieux on doit suivre, dans Tacte même du procès,
les règles de la justice, ne juger aucun absent, ne pas
infliger à l'accusé de vexations inutiles, lui restituer
préalablement ce qui lui aurait été enlevé; quand il
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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES)
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affirme que, rnémé condamné, l'accusé pourra, sa pé-
nitence accomplie, rentrer dans Texercice de son mi-
nistère ecclésiastique ou du moins bénéHcier d'une
translation. C'est elle encore qui l'inspire quand il
exige des témoins invoqués pour confirmer une accu-
sation contre un évéque les mômes garanties qu'on
demandée un accusateur; qu'on ne tienne compte que
des aveux faits librement et sur les faits personnels à
celui qui avoue, tout écrit extorqué par violence ou
par fraude devant être considéré comme nul ; que l'ac-
cusé ait les plus grandes facilités pour recueillir ses
moyens de défense et les faire valoir.
L'indépendance réclamée pour les causes judiciaires
de l'Église, des clercs et des évéques, le pseudo-Isidore
la réclame aussi pour soustraire aux convoitises des
laïcs, ou même de certains clercs, les biens ecclésias-
tiques, garantie de liberté pour le pouvoir spirituel; il
sanctionne même ses réclamations par la menace ou la
réalisation de peines graves, comme l'excommunication,
contre ceux qui auraient empiété sur les droits de
l'Église. Et si, afin d'assurer celte indépendance des
personnes et des biens ecclésiastiques, le pseudo-Isi-
dore se tourne si franchement vers Rome à laquelle il
reconnaît, mieux qu'on n'avait fait jusque-là, le pouvoir
suprême, c'est qu'une église particulière, comme toute
partie divisée, ne peut trouver un appui efficace que
dans son centre.
II ne suffit même pas à l'Église d'échapper à l'asser-
vissement extérieur. Il faut éviter aussi le péril de la
désorganisation intérieure ; et le plus sûr moyen d'y
parvenir, c'est de fortifier de plus en plus les cadres de
sa constitution. Au degré inférieur, la subordination du
curé, chef de sa paroisse, a l'évêque, chef du diocèse,
comme les soixante-douze disciples furent soumis aux
apôtres. Au dessus des curés, et sans aucun intermé-
diaire, l'évêque élu par le clergé et le peuple, avec la
présence effective ou tout au moins le consentement du
métropolitain et des comprovinciaux. Le compilateur
insiste sur cette thèse, qu'il ne doit y avoir qu'un
évêque par civilas ou district, et que cet évêque sera
consacré par trois évêques de la province. Par là, se-
ront exclus les chorévéques destinés à décharger de
leurs soucis les évêques oisifs : ordonnés en général
par un seul évêque et sans titre épiscopal, ces choré-
véques sont considérés comme de simples prêtres. Au
contraire, l'évêque d'un diocèse qui a gardé l'ampleur
des civUates antiques, c'est la colonne qui soutient le
diocèse et qu'il est dangereux d'ébranler. La constitu-
tion du diocèse est donc monarchique : celle de la
province est oligarchique; le métropolitain n'en est pas
le souverain absolu, il n'est que le président d'une
oligarchie formée par les dix ou douze suffragants réu-
nis en concile provincial.
On voit très bien que la place laissée au primat ou
au patriarche national dans cette organisation est très
restreinte : primat ou patriarche n'ont qu'une vaine
apparence de vie et de pouvoir.
Que le but poursuivi par le pseudo-Isidore soit bien
celui que l'on vient d'indiquer, c'est-à-dire donner
une assise plus forte au pouvoir de l'évêque, garantir
son siège, la liberté de son ministère, son avenir, ses
biens, en un mot assurer l'indépendance de l'église
diocésaine contre les violences de laïcs puissants et la
faiblesse des comprovinciaux apeurés ou jaloux, tout le
prouve, depuis la préface où le compilateur dit qu'il
publie sa collection afin que les évêques ses Collègues
ne soient plus tourmentés par les méchants, jusqu'au
nombre même des canons (70) qu'il a fabriqués afin de
garantir les évêques contre les accusations injustes.
V. Patrie. — C'est de toute cette histoire le point sur
lequel les discussions ont été le plus vives et l'accord
le plus malaisé. Il n'est guère de pays chrétien pour
lequel on n'ait revendiqué le douteux honneur d'avoir
donné naissance à la compilation. Les uns, et ce furent
les contemporains, trompés par le nom et les récits
d'Isidore, crurent que la collection venait d'Espagne.
Cette opinion, abandonnée depuis quatre siècles au
moins, n'a plus trouvé dans les temps modernes qu'un
seul partisan : l'abbé P. S. Blanc, Histoire ecclésiastique,
leçon 103, 1867, t. ii, p. 196. La collection vient si peu
d'Espagne qu'on n'a pu découvrir dans ce pays aucun ma-
nuscrit des Fausses Décrétâtes du ix« au xiii» siècle ;
l'on a même pu dire qu'avant la découverte de l'impri-
merie l'œuvre du pseudo-Isidore y était restée inconnue.
D'autres, plus nombreux, ont prétendu que l'œuvre fut
fabriquée à Rome. Ce sont les mêmes qui, ne voulant
remarquer dans la collection que les passages favorables
au pape, s*en allaient répétant : Is fecit cui pi'odest.
Les autres arguments qu'ils invoquaient n'ont pas la
valeur qu'ils leur attribuaient : de la dépendance du
pseudo-Isidore avec les capitula Angilramni on ne
peut rien conclure, car on ignore la patrie des capitula,
et la dépendance, facile à constater, avec le Liber pon-
tificalis, ne prouve pas davantage, ce dernier ouvrage
se trouvant non seulement à Rome, mais dans les prin-
cipales églises et abbayes de France.
Nul aujourd'hui ne cherche plus la patrie du pseudo-
Isidore en Espagne ni à Rome, ni même en dehors de
l'empire carolingien. D'une part, en effet, le compila-
teur s'est servi, avec VHispana, de deux collections
ayant des attaches particulières avec la France: la
Dionysio-Hadriana, envoyée par le pape Adrien à
Charlemagne, et la Quesnelliana, d'origine gallo-
romaine. Il est évident, d'autre part, que si le pseudo-
Isidore a poursuivi un but, et le but que l'on vient de
marquer, il a dû le faire en vue d'un pays déterminé,
où la situation de l'Église était précisément celle à la-
quelle les pièces fabriquées pouvaient porter remède;
en vue d'un pays où les évêques étaient en butte aux
persécutions des laïcs puissants, où ni leur personne,
ni l'exercice de leur ministère, ni l'indépendance de
leurs biens n'étaient assurés, où l'on avait des exemples
tout récents d'évêques accusés et déposés sans avoir
pu se défendre. Enfin, les meilleurs et les plus anciens
manuscrits de la collection, même le Vaticanus 630,
* l'un des plus intéressants, sont d'origine franque.
C'est donc l'empire franc qui est la patrie du pseudo-
Isidore. Mais si l'unanimité s'est faite sur cette conclu-
sion, elle ne l'est pas sur la province de l'empire franc
où se trouvait l'atelier du faussaire. Les uns cherchent
cet atelier dans la province de Mayence, d'autres dans
celle de Reims, d'autres dans celle de Tours.
lo Province de Mayence. — Elle eut des partisans
nombreux dont le crédit est aujourd'hui très diminué.
Voici les arguments que l'on fait valoir en sa faveur :
1. la parenté des Fausses Décrétâtes avec les capitu-
laires de Benoit Lévite qui se donne comme diacre de
Mayence; 2. le grand parti que le compilateur a tiré de
la correspondance de saint Boniface, évêque de Mayence ;
3. la conformité de vues entre les évêques de Mayence
qui désiraient vivement ressaisir les pouvoirs variés et
nombreux de saint Boniface, en particulier garder un
nombreux cortège de suffragants, et le pseudo-Isidore
qui requiert pour le siège métropolitain une ville an-
cienne et une douzaine au moins de suffragants : or,
depuis la mort de son fondateur, la métropole de
Mayence se voyait morcelée de plus en plus. C'était,
Hincmar l'atteste, une opinion reçue dans la seconde
moitié du ix« siècle, que la compilation venait de
Mayence. Telle est la thèse de Blasco, de Marca,
Baluze, Knusl, Wasserschleben, Gôcke, Pitra, Denzin-
ger.
On a répondu que ces arguments n'ont pas toute la
valeur que ces historiens leur attribuent; car, 1. nous
ne savons rien de la patrie ni de la personne de Benoit
Lévite, et l'inscription à Otgar et à Mayence parait bien
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DÉCRÈTALES (LES FAUSSES)
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être une supercherie ; 2. Otgar en faveur de qui, suivant
les protagonistes de la thèse, la compilation aurait été
feite, était mort avant l'apparition des Fausses Décré-
tales; 3. on ne voit pasqu'il fût spécialement question, à
Mayence, de luttes contre les chorévéques; 4. Rhaban
Maur, successeur d*Otgar sur le siège de Mayence, ne cite
jamais les Fausses Décrétales même après que Hincmar
s'en fut servi; 5. les larges extraits de la correspondance
de saint Boniface ne sont pas dans les manuscrits dq
type primitif de la compilation.
2« Province de Reims. — La province de Reims a,
de son côté, de nombreux partisans. Quelques-uns ont
poussé leurs déductions assez profondément pour
croire qu'ils pouvaient indiquer jusqu'à l'auteur pro-
bable de la collection ; les uns, lé clerc Vulfade, adver-
saire d'Hincmar, les autres, Ebbon, l'ancien archevêque
et compétiteur du nouveau titulaire. C'est l'opinion de
maîtres comme Weizsâcker, Roth, Dove, von Noorden,
Hinschius, Friedberg, Lurz, A. Tardif, Ph. Schneider,
F. Lot, £. Lesne. Voici leurs principaux arguments :
1. il y eut à Reims une question des chorévéques,
et Hincmar (845-882) se montra peu favorable à leur
institution; 2. il s'occupa tout particulièrement de
rentrer en possession des biens enlevés à son église
pendant la vacance qui suivit la déposition d'Ebbon;
3. c'est là que s'était produit, durant la première moi-
tié du IX* siècle, l'un des plus violents parmi les con-
flits auxquels prétendait remédier la nouvelle compila-
tion ; le procès d'Ebbon, archevêque de Reims, déposé,
puis replacé sur son siège, puis déposé de nouveau,
toujours sous la pression de mouvements politiques,
sans qu'on lui laissât parfois la liberté de se défendre,
et que Ton avait réduit quelque temps à la commu-
nion laïque; 4. c'est à Reims que l'on rencontre les
premières citations dûment const; tées des Fausses
Décrétales.
On a répondu à ces divers arguments : i. Peu im-
porte qu'il y eût à Reims une question des chorévéques
et que Hincmar leur fût opposé : ce n'est certainement
pas Hincmar qui avait besoin des Fausses Décrétales
dans sa défense contre Ebbon et ce n'est ni par lui ni
par ses ordres que l'œuvre Ait compilée; 2. ce n'est
pas seulement à Reims, c'est partout dans l'empire,
qu'à la suite des guerres de Louis le Pieux contre ses
enfants, les églises furent pillées ou dépouillées;
3. il y eut, en effet, à Reims, des luttes particulière-
ment vives à l'occasion d'Ebbon, surtout en 835 et 840.
Mais, à partir de l'élection d'Hincmar, une accalmie
s'était foite, complète, pendant la période 847-851;
est-il vraisemblable que Vulfade et ses amis aient con-
sacré leurs loisirs à se munir de documents pour une
cause qui n'était plus en discussion, surtout au mo-
ment où leur ancien évêque, Ebbon, atteignait la vieil-
lesse et se rapppochait à grands pas de la tombe —
Ebbon mourut en 851 — et eux-mêmes, les clercs or-
donnés par Ebbon, n'avaient plus d'autre ressource
que la clémence d'Hincmar? 4. Enfin, si l'on voit, à
l'occasion du procès soulevé entre Hincmar et ces
clercs, mettre au jour diverses pièces apocryphes appa-
rentées aux Fausses Décrétales, soit dans la NatTatio
clericot^ni ReniensiunXy soit dans VÂpologeticum
Ebbcnis, ce fait n'a pas toute la signification que
d'aucuns lui attribuent, car ces citations sont indubi-
tablement postérieures à celles faites par Hincmar, et
l'on ne comprendrait absolument pas que, fin, soup-
çonneux et pénétrant, toujours très informé de ce qui
se passait dans son diocèse, Hincmar ait ignoré que
la compilation qu'il citait eût été fabriquée dans son
diocèse, presque sous ses yeux, contre lui, par ses
inférieurs et ses adversaires.
3» Province de Tours, — En présence des difficultés
que soulèvent les attributions précédentes, quelques
critiques ont cherché la patrie du pseudo-Isidore dans
la province de Tours. — 1. La situation de cette province,
vers le milieu du ix« siècle, fut, en effet, des
plus douloureuses. Â la suite de la révolte de la Bre-
tagne sous Noménoé, on vit des évêques poursuivis et
condamnés par des tribunaux laïcs, sans avoir pu se
défendre, chassés de leurs sièges, leurs églises pillées
et dépouillées de tous biens; on vit la province de
Tours démembrée contre tout droit, le titre de métro-
pole accordé à une bourgade obscure et sans histoire,
les quatre évêques poursuivis par le roi breton, livrés
au tribunal séculier, pieds et poings liés, menacés de
mort s'ils n'avouaient les crimes qu'on leur imputait,
chassés, errants, misérables, sans aucun espoir de re-
monter sur leurs sièges, car la discipline, contre la-
quelle le pseudo-Isidore protestait, prétendait leur inter-
dire le bénéfice de toute translation ; c'est dans la
Bretagne révoltée que l'on voit le plus fréquemment
les évêques consacrés par un seul évêque ; au lieu de la
paroisse normale desservie par un curé soumis à
l'évêque sans intermédiaire, on y voit, à la tête des
paroisses, des moines soumis, non à l'évêque chef du
diocèse, mais à l'abbé du monastère d'où ils sortent.
Bref, la situation des églises bretonnes est bien celle
que le pseudo-Isidore condamne et veut réformer. —
2. L'Église du Mans était particulièrement exposée aux
incursions des Bretons : Noménoé occupa même la
ville du Mans en 850; l'évêque, Âldric, avait donc lieu
de craindre le sort qui avait été infligé quelques an-
nées auparavant à ses collègues de la Bretagne propre-
ment dite, d'autant plus qu'il avait été chassé déjà une
fois de son siège. — 3. Il y a une parenté indéniable entre
les Fausses Décrétales et plusieurs textes originaires
du pays manceau : a) par exemple avec la bulle apo-
cryphe par laquelle le pape Grégoire IV est censé faire
observer, le 8 janvier 835, que, si Âldric est accusé, il
pourra toujours en appeler au saint-siège; or il parait
bien évident que nul, en dehors de la province de
Tours, ne s'inquiétait à ce point d' Aldric; b) les mêmes
idées avec les mêmes phrases caractéristiques, qui
les expriment dans les Fausses Décrétales, reparaissent
souvent dans un prétendu Memoriale d'Âldric, inséré
dans les Gesta Aldnci, et qui n'a aucun intérêt en dehors
du diocèse du Mans; c)non seulement on rencontre les
mêmes idées et les mêmes phrases, mais aussi le
même souci d'attribuer ses dires à des papes des pre-
miers siècles. Telle est l'hypothèse entrevue par
Hinschius, développée par Langen (qui pensa pouvoir
affirmer que le père de la compilation était Loup,
abbé de Ferrières, opinion restée sans écho), enfin
par Simson qui fixa le lieu d'origine au Mans. Simson
fut suivi par Ma»" Duchesne, MM. P. Viollet, J. Havet,
P. Fournier, Ph. Schneider (art. Pseudo-Isidor, dans
Kirchenlexikon, 2« édit.), Dôllinger. Aujourd'hui on
attribuerait la rédaction au diacre Léotald.
Nous devons reconnaître que si le débat parait bien
circonscrit entre la province de Reims et celle de
Tours, que si chacune a des partisans sérieux et bien
informés, que si l'opinion qui tient pour la province
de Tours parait aujourd'hui plus favorisée, il est pour-
tant impossible de faire en faveur de l'une une dé-
monstration qui exclue toute probabilité pour l'autre.
VI. Influence sur la disopline ecclésiastique. --
Une question plus importante pour nous est celle-ci :
Quelle influence les Fausses Décrétales ont-elles
exercée sur la discipline ecclésiastique, soit dans le
monde franc, soit à Rome?
lo Dans le monde franc, — Elles y ont exercé une
influence considérable. On a vu la collection citée par
Hincmar dès le mois de novembre 852. Les textes
pseudo-isidoriens sont invoqués encore : a) par le même
Hincmar de Reims dans le De divortio Lotharii et
Teutbe.gm, le Pro Ecclesi» libertalum defensione,
le Mémoire à Charles le Chauve sur la saisie des biens
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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES)
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de rÉglise de Laon, VOpusculum 55 capitum conlra
Hincnmi^m Laudunensem ; h) par Hincmar de Laon
dans sa lutte contre son oncle de Reims, depuis VEpi-
stola /* ad Hincmat^um Renienseni, en 869, jusqu'au
concile de Fismes, en 881; t) par les conciles de
Quierzy (857), Fismes (881), Cologne (887), Mayence
(888), MeU (889) où l'on s'occupe des chorévêques,
Tribur (895), Trosley (909); d) par les collections de
Rëginon de Prûm et Bupchard de Worms. Elles ont
ainsi pi^nétré dans la pratique quotidienne des Églises
franques. e) En Italie, un des textes [apocryphes est
cité par Jean Diacre dans sa vie du pape Grégoire le
Grand ; d'autres sont invoqués par Âuxilius, dans son
De oi*dinationibu$ a Fomwso fapa factis; par le
pseudo-Luitprand qui emprunte au pseudo- Isidore
presque tout ce qui, dans son De pontificum Roma-
norum vitis, concerne les papes antérieurs à Damase ;
par Atton de Verceil, Rathier de Vérone.
2o A Rome et sur Vensemble du monde catholique.
— Sur ce point on a entendu les affirmations les plus
vives et les plus contradictoires. Les uns prétendent
que l'influence pseudo-isidorienne fut considérable,
d'autres qu'elle fut nulle; les de Marca, Fleury, Cous-
tanl, Van Espen, lui imputant beaucoup dans les
maux de l'Église, dans l'afTaiblissement du pouvoir du
métropolitain et du concile provincial, en un mot l'es-
timant une plaie irréparable pour la discipline ecclé-
siastique; les Febronius, les Dôllinger, etc., l'accusant
d'avoir bouleversé la constitution de l'Église et créé la
monarchie papale. Voici la réalité : les papes ont gardé
pendant deux siècles, vis-à-vis des Fausses Décrétâtes,
une prudente réserve.
Nicolas h' a certainement connu, non seulement
l'existence des Fausses Décrétales, mais un certain
nombre de textes tirés de cette compilation. En eflet,
on lui a cité les textes de décrétales contenues dans
le pseudo-Isidore et attribuées à des papes martyrs,
textes qui n'étaient pas dans le Codex canontim, et
dont, pour ce motif, on contestait la valeur ; il a répondu,
en visant au moins à deux reprises des décrétales de
papes martyrs, que les décrétales ont toutes la même
force, qu'elles soient ou non dans le Codex canonum.
Ces textes ont-ils exercé une influence sur lui? Une
influence littérale, se manifestant par le choix des ex-
pressions ou métaphores employées dans sa correspon-
dance? Oui. Voir des exemples dans l'étude citée déjà
de M. Fournier, Revue d'histoire ecclésiastique, 1907,
p. 24-25. Une influence sur les idées, ce qui serait de
plus grande importance? Plusieurs l'affirment; mais
ils ne font pas la preuve, par exemple, qu'une
modification importante se serait produite, à la suite
du procès de 865 entre Rothade et Hincmar, dans la
pensée de Nicolas sur son rôle de pape. S'agit-il de
son pouvoir législatif suprême, sans partage avec
l'épiscopat, et de la supériorité du pape sur les con-
ciles? Nicolas en pensait avant 864 ce qu'en pensaient
depuis longtemps les papes comme Gélase, Pelage \*^y
ce que reconnaissait, par exemple, Cassiodore, ce
qu'il en pensa lui-même après. S'agit-il du pouvoir de
juge suprême qui permet au souverain pontife de por-
ter une sentence sur tous les fidèles et de n'être jugé
lui-même par personne? La théorie, affirmée dès le
temps d'Innocent I<"" et de Gélase, était communément
acceptée avant Nicolas. S'agit-il du pouvoir reconnu
au pape seul de déposer les évêques? Que le pape fût
compétent, Hincmar le reconnaît. Qu'il le fût même
quand la cause est portée devant l'autorité métropoli-
taine ou primatiale? En 858, dans l'aflaire d'Hermann,
évêque de Nevers, le métropolitain de Sens recourt au
pape comme au juge naturel de la cause, et Nicolas le
prend ainsi, dès l'origine de son pontificat, avant
d'avoir connu les Fausses Décrétâtes ; de même fait-il
pour les évêques bretons, vers 862; pour les évêques
grecs déposés parce qu'ils avaient refusé de suivre le
parti de Photius; pour l'aflaire de Robert, du Mans;
pour le commencement de celle de Rothade, où, dôs
868, avant qu'on lui ait parlé des Fausses Décrétales,
il décide que les douze membres du concile provincial
ne pourront prononcer en dernier ressort sans l'inter-
vention du pape. Soit parce qu'il lui appartient de
confirmer les décisions des conciles, soit parce que
les causes majeures relèvent de lui, Nicolas revendique
le dernier mot sur les procès de déposition des
évêques; il se réserve même le droit de trancher la
cause définitivement sans l'intervention de l'épiscopat
régional, et cela dès 863. Après 864, on ne constate
sur ces divers points, à l'occasion du procès de Rothade,
aucune difiérence de procédé. Nous devons toutefois
reconnaître que dans une circonstance, dans la lettre
qu'il écrit aux évêques francs pour leur notifier leréta-
blissementde Rothade, Nicolas insiste tout particulière-
ment sur la notion des negotia majora qui est un ar-
gument familier à la collection isidorienne, que, de
plus, il se fonde principalement sur les Décrétales
considérées comme une masse dont il n'exclut pas les
apocryphes Isidoriens, et que ces textes ont amené le
pape à accentuer davantage l'argumentation qu'il tirait
des décrets de ses prédécesseurs. P. Fournier, op. cit.,
p. 39. La restitutio spoUatof*um est un des grands
principes invoqués par le pseudo-Isidore; mais Vcmtio
ou Vexceptio spolii est bien antérieure. On a reconnu
que, avant le ix« siècle, le principe de Vexceptio spolii
a pris, dans le droit canonique, la valeur d'une règle
juridique fondée sur la coutume, et l'application de ce
principe à la cause de Rothade ne présente rien de
bien neuf. Tout ce que l'on y peut trouver de pseudo-
isidorien, c'est : 1« qu'un des fondements de Vexceptio
spolii serait la préoccupation de permettre à l'accusé
de combattre son accusateur à armes égales; 2» il
trouve bon que l'accusé, une fois rétabli dans ses fonc-
tions, ait quelque répit avant de soutenir le procès ;
3o Nicolas ne manque pas, avec Isidore, de faire ol>-
sener à l'empereur grec Michel que la restitution
d'Ignace sur le siège de Constantinople est fondée sur
les lois impériales. Bref, c le principe de Vexceptio
spolii, plus solidement fondé, a été plus fréquemment
impliqué selon des règles plus précises ; ce parait bien
être un efl'et de l'influence des textes isidoriens. »
P. Fournier, op. cit., p. 44. Nicolas n'a pas snbi
d'autre influence des Fausses Décrétales ni dans la
discipline concernant les clercs lapsi, ni pour la trans-
lation des évêques, ni même dans la citation des textes
communs à la collection isidorienne et aux autres col-
lections; il les donne toujours, quand Isidore les cite
à faux, d'après leur véritable auteur.
Sous les papes suivants, on trouve, d'Adrien II, une
citation du pseudo-Ântéros, en 871, dans la lettre
adressée aux évêques du concile de Douzy, à propos de
la translation de Tévêque Actard à Tours; peut-être
deux phrases sur la primatie de l'Église romaine, n'ap-
portant d'ailleurs rien de nouveau, dans un concile
romain tenu vers l'époque du pape Jean VIII; deux
citations sans importance et même douteuses du
pseudo-Isidore dans Etienne V, qui ne parait pas au
surplus avoir grande confiance dans les Fausses Décré-
tales. Dans tout le x« siècle, on rencontre deux ou
peut-être trois citations de la même collection; tandis
que, en dehors de la chancellerie pontificale, les apo-
cryphes isidoriens s'accumulent dans les collections
italiennes où iront les chercher les réformateurs du
xi« siècle.
Telle fut la situation, à Rome, jusqu'au jour où un
pape, venu d'un pays dans lequel les Fausses Décrétales
étaient reçues sans hésitation, les cita comme les
citaient partout les canonistes. De les voir entrer dans
les lettres pontificales ne pouvait étonner beaucoup les
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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES) — DÉFAUTS
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juristes. D'ailleurs, rextrérae modération avec laquelle
les textes isidoriens furent cités par la chancellerie
pontiGcale, même après la mort de Léon IX, laisse
deviner la résistance de la vieille école romaine qui ne
les pratiquait pas. Pour la réforme menée si rudement
par Grégoire Vil, les textes des Fausses Décrétales
farent plus fréquemment employés; ils étaient, dit
M. Fournier, c un véhicule commode pour plusieurs
des idées maîtresses sur lesquelles est fondée l'œuvre
entreprise à cette époque par la papauté, i ibid., p. 56,
et ils furent cités de la meilleure foi du monde.
Mais déjà Tère de la contradiction allait s'ouvrir
pour la célèbre collection, et les gens d'Église n'y
farent pas étrangers ni simples spectateurs. Ce furent
des catholiques incontestés, Pierre Comestor, au
XII» siècle, chancelier de l'université de Paris, atta-
quant l'authenticité de VEpistola Clen^entis ad Jaco-
bum fratreni Doniini; Crodefroid de Viterbe, doutant
de la lèpre de Constantin; Etienne de Tournai et
d'autres encore, qui discutèrent les premiers les
Fausses Décrétales. Ils précédèrent dans cette voie les
hétérodoxes Marsile de Padoue, Wiclef (plus nuisible
qu'utile à cause de ses exagérations). Ce fut un autre
catholique, et des plus grands, Nicolas de Cusa, qui,
peu après 1430, donna l'impulsion définitive à la cri-
tique : il rejetait deux lettres d'Anaclet, attaquait la
donation de Constantin, élevait des doutes sur les
EpUtoUe Clementis, dont Torquemada rejetait nette-
ment ia première. Quand, un siècle après, commença
l'assaut donné par les protestants, ceux-ci ne furent
jamais seuls à la besogne. Après le calviniste du Mou-
lin vinrent les catholiques Georges Cassandre et Antoine
le Comte que les centuriateurs de Magdebourg se bor-
nèrent à copier. Pendant quelque temps, il est vrai,
des catholiques : le jésuite Torrès, le franciscain
Malvasia, le cardinal d'Aguirre lui-même, se firent les
champions chevaleresques du pseudo-llsidore contre
les centuriateurs luthériens et le calviniste David
Blondel, mais d'autres catholiques, l'Espagnol Anto-
nius Augustinus, archevêque de Tarragone, Baronius,
Bellarmin, du Perron, Labbe, Sirmond, de Marca,
Baiuze, Pdpebrock, Noris, Noël Alexandre, luttaient
contre les apocry plies, avec les Van Espen, les frères
Ballerini, Blasco et Zaccaria. Si, au xix« siècle encore,
le faussaire trouva des défenseurs dans Dumont et l'abbé
Darras, l'unanimité des savants, sans aucune distinc-
tion de patrie ou de religion, proteste contre le mal-
heureux succès de cette déplorable fourberie.
On ne peut avoir la prétention de donner une bibliographie com-
plète. On Indiquera seulement les ouvragée lee plus considérables
dans les divers sens.
I. ÉomoNs. — La meilleure est celle de P. Hinschius, DecrC'
tata pêeudo-itidorianm et capitula Angilramni, in-4*, Leip-
zig, 1863, précédée d'une importante et copieuse préface de 238
pages, où want étudiées toutes les questions concernant la tradi-
tion manuscrite, lea sources, l'époque de la composition, la pa-
trie, le Irot et le nom de l'auteur. L'édition donnée par Migne.
P.L.,L cxxx, est celle de Merlin, 1523.
IL Dissertations ou cx>mmentaires. — David Blondel,
Pteudo-Isidoruê et Turrianus vaputantea, Genève, 1620;
Bonaventure Malvasia, Nunlius veritatis D. Blondello mitsu»,
Rome, 1635 ; de Marca, De concordia sacerdotii et imperii, 1. III,
c V ; Heory, ^ Discoure sur fhiêtoire ecclésiastique; Van
Espen, Dissertcaio de coUectione Isidori vulgo Mercatoris,
dans Commentarius in jus novum canonic, Louvain, 1753,
Opéra, t. m ; Febronius, De statu Ecclesise, c. m, S 9; c. vu,
I 2, Bouillon, 1765; Zaccaria, Antifebronio, dis. III, c. iv,
C^iéne, 1770.
Plaçant la compilation des Fausses Décrétales : -- 1* & Rome :
Eichborn, DeuUehe Staats-und Rechtsgeschichte, Gôttingue,
1808 sq. ; Kirchenrecht, 1831, 1 1; Anton. Theiner, De pseudo-isU
icTiana cancnum coUectione, Breslau, 1827; — 2*& Mayence :
BaOenalCJér. et P.), De anliquis collectionibus et collectoribus
emnonum, c vi« ad 8—, dans Opéra S. Leonis, Venise, 1757,
t in; P. L., t. Lvi; Blaaco, De coUectione canon. Isid. Merca-
tor. commentar., Naples, 1760; Knust, De fontibus et consilio
paeudo-isidorianm collectionis, Gœttingue, 1832; Wasserschle
ben, Beitràge zur Geschichte der falsch. Decretalen, Breslau,
1844; Id., Pseudoisidor, dans Bealencyclopàdie de Herzog;
Id., Ueber das Vaterland der falsch. Décret., âsnB Sybels hist.
Zeitschrift, 1890; Hefele, Ueber den gegenwàrtlgen Stand der-
pseudo-isidorischen Frage, dans Tûbing. Theol. Quartalseh.,
1847; Gfrôrer, Ueber Aller, Ursprung, Zweck der Décrétai,
des falsch. Isidor, Frlbourg-en-Brisgau, 1848 ; Gôcke, De excep-
tione spolii, Berlin, 1858; Denzinger, Préface à Tédition des
Fausses Décrétales dans P. L., t. cxxx; Pitra, Analecta novis-
aima Spicilegii Solesmensis, 1885, 1. 1, p. 91-103; — 3» à Reims:
Weizsàcker, Die pseudo-isidorische Frage, dans Sybels histor.
Zeitschrift, t. m; Id., /fmcmarund Pseudoisidor, dans Niedn.
Zeitschrift fur hist. Theol., 1858; Roth, Pseudoisidor, dans
Zeitsch. fur Recht-Geschichte, t. v (1866); K. von Noorden, Ebo,
Hincmar und Pseudoisidor, dans Sybels hist. Zeitsch., t. vu
(1862) ; P. Hinscbius, op. cit., prœf., p. ccviii ; Lurz, Ueber
die Heimat Pseudoisidors, 1898; Ad. Tardif, Histoire des
sources du droit canonique, 1887; Ph. Schneider, Die Lehre
von den Kirchenrechtsquellen, 1892; F. Lot, Études sur le
règne de Hugues Capet, 1903; Id., La question des Fausses
Décrétales, dans la Revue historique, 1907, n. 4, t. xciv;
Friedberg, Lehrbuch des kanonischen. Rechts; E. Lesne, La
hiérarchie épiscopale... en Gaule et Germanie, 1905; Id., Hinc-
mar et l'empereur Lothaire, dans la Revue des questions histo-
riques, 1905, t Lxxviii; Seckel, Pseudoisidor, dans Realency'
clopàdie de Hauck ; — 4* dans la province de Tours : Slmson, Die
Entstehung der pseudo-isidorischen Fàlschungen in Le
Mans, 1886; Id., Pseudoisidor und die Geschichte der Bischôfe
Le Mans, dans Zeitsch. r^tr kanonisches Recht, 1886; M*' Du-
chesne. Bulletin critique, 1886, p. 445 ; J. Ifavet, Chartes de
Saint-Calais, dans Bibliothèque de VÉcole des chartes, 1887,
t. XLviii ; P. VioUet, Bibliothèque de FÉcole des chartes, t. xux
(1888); Id., Hist. du droit civil français ; Ph. Schneider, qui
inclinait d'atiord vers l'origine rémoise, opine pour l'opinion de
Simson dans Pseudo-isidor , Kirchenlexikon, 2' édit. ; Dôllinger,
Zeitsch. fur Kirchen-Geschichte, L xii; P. Fournier, La question
des Fausses Décrétales, dans Nouvelle revue historique de
droit français et étranger, 1887, 1888; Id., Congrès scientifique
international des catholiques, 1888, t. ii; Id., Une forme
particulière des Fausses Décrétales, dans Bibliothèque de
VÉcole des chartes, t. xux ; Id., Étude sur les Fausses Décré-
tales (dont nous nous sommes souvent inspiré) dans la Revue
d'histoire ecclésiastique de Louvain, 1906-1907, et tiré à part,
in-8\ 1907. (X Ul. Chevalier, Répertoire. Bio-Bibliographie,
2* édiL, Paris, 1905, 1. 1, col. 2281-2282.
A. ViLLIEN.
DÉFAUTS. - I. Oéfinition. II. Division.
L Définition. — Le mot défaut, du latin de/icere,
faillir, manquer, ou de fallere, tromper, manquer,
signifie le manque, ou la privation d'une perfection,
ou qualité nécessaire, dont Tabsence rend une chose
imparfaite, irrégulière, incorrecte ou incomplète.
Dans le langage ordinaire, défaut est souvent syno-
nyme d'imperfection, ou de vice. Ces trois mots néan-
moins expriment des concepts fort diflTércnts. Les im-
perfections ne se remarquent, en général, que dans les
objets excellents par ailleurs; tandis qu'elles dispa-
raissent sous les défauts plus saillants, qui se ren-
contrent, parfois, si nombreux, dans les êtres communs
et ordinaires. L'imparfait, en effet, est ce qui laisse
quelque peu à désirer, pour pouvoir être considéré
comme un modèle. Il n'est encore ni fini, ni terminé,
ni achevé, quoiqu'il s'élève déjà bien au-dessus du
niveau moyen. Mais le défectueux reste bien inférieur
à ce qui est simplement imparfait. Non seulement il
n'est pas accompli en son genre, mais il défaille, il
tombeau-dessous de ce qu'il devrait être. Au physique,
par exemple, c'est la privation d'un membre, ou d'un
organe des sens, une irrégularité, une difformité corpo-
relle, une lésion organique. Au moral, c'est une lacune
dans le jugement, ou dans le caractère, ou encore une
faiblesse d'esprit.
On a dit, en ce sens, que les gens de bien n'avaient
que des imperfections, tandis que tous les autres ont
des défauts. Massillon a établi la même distinction
dans ce passage : « Les imperfections des gens de bien
devraient vous trouver plus indulgents, car seuls ils
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DÉFAUTS
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vous épargnent, cachent vos vices, adoucissent vos dé-
fauts, excusent vos fautes. »
Les défauts rendent souvent insupportable celui qui
les a. Ils lui attirent l'aversion et ^parfois même le
mépris. Les imperfections ne produisent jamais un ré-
sultat pareil. Tout au plus empêchent-elles, ou dimi-
nuent-elles Tadmiration que susciteraient ses autres
qualités. Sans imperfections, les personnes ou les objets
sont admirables; sans défauts, ils ne sont que ce qu'ils
doivent être. L'imperfection est donc comme un dimi-
nutif du défaut.
Le vice, au contraire, en est plutôt un augmentatif.
C'est plus qu'une privation, petite ou grande, comme
le sont l'imperfection et le défaut : c'est une déprava-
tion, un principe mauvais, capable de tout corrompre,
et qui atteint l'être jusque dans ses profondeurs. Si
l'on réussit, sans trop de peine parfois, à suppléer à
ce qui manque, ou à combler une lacune, il est bien
autrement difficile de détruire un vice enraciné dans
l'intime de l'être. Celui qui a des défauts est trop sou-
vent insupportable; mais celui qui a des vices peut
devenir dangereux. Les défauts sont plutôt dans l'esprit;
les vices, dans le cœur et dans la volonté.
Un exemple fera mieux saisir ces différences. Le
laisser-aller dans le maintien est une imperfection;
l'inégalité d'humeur, la puérilité, la timidité se
rangent parmi les défauts; la paresse, le mensonge, la
luxure, la cruauté sont des vices.
a. S. Thomas, Jn IV Sent., 1. II, dist. VH, q. i; 1. IV, dist. II,
q. I, a. 1 ; Sum. theol., I', q. XM, a. 4, ad 2- ; q. XLix, a. 4 ; II' II",
q. xxxiii, a. 4, ad 3—; Quœst. disp., De malo, q. xvi, a. 5; De
veritate, q. ix, a. 3; Poujol, Dictionnaire des facultés intel-
lectuelles et affectives de l'âme, in-4% Paris, 1863, Introduc-
tion, p. 119 sq.; Lafaye, Dictionnaire des synonymes, 4* édit.,
2 iii-4% Paris, 1872, t. l, q. 680 sq., 763 sq.
IL Division. — Saint Thomas, Sum. theol., III»,
q. xiv-xv; Compendium theologiœ, c. ccxxxiv, indique
comment les défauts sont susceptibles d'être classifiés.
11 les divise en deux grandes catégories, chacune d'elles
comprenant une subdivision semblable.
/. DÉFAUTS CORPORELS. — !<> Affectant la nature
humaine dans $a généralité, soit parce que cette
nature, comme toute nature créée, est essentiellement
limitée en elle-même; soit parce qu'ils sont une suite
afflictive du péché originel. Parmi eux, il faut signaler
principalement la passibilité, c'est-à-dire l'assujettisse-
ment à la faim, à la soif, à la fatigue, aux maladies, à
la mort. Ces défauts corporels, communs à tous, revêtent
maintenant la forme de pénalités; néanmoins, si, dans
l'état d'innocence, l'homme en était exempt, ce n'était
pas en vertu d'un privilège inhérent à sa nature, mais
à cause d'un don, ou secours préternaturel, provenant
de la libéralité de Dieu. Cf. S. Jean Damascène, De fide
orthodoxa,\. III, c. xx, P. G., t. xciv, col. 1082; S. Thomas,
Sum. theol., III», q. xiv, a. 4; Billot, De Verbe incarnate,
part. I, c. II, § 3, thés, xxiii, in-8«, Rome, 1904, p. 254 sq.
2» Affectant certains individus plutôt que d'au-
tres. — Ces défauts corporels tiennent alors à des
causes particulières ou sont la conséquence d'accidents
fortuits. Par exemple : la cécité, la surdité, le mutisme,
diverses maladies, les vices de conformation et d'orga-
nisation, etc. Cf. S. Thomas, loc. cit.
II. DÉFAUTS MORAUX. — On retrouve ici la même dis-
tinction que précédemment. — 1» Défauts moraui.
communs à tous les hommes, soit à cause de l'imper-
fection essentielle de la nature humaine, soit à cause
du péché originel. Ils se ramènent à trois classes :
une pour l'intelligence : l'ignorance ; deux pour la vo-
lonté : l'inclination au mal, et la difficulté pour le bien.
Cf. S. Thomas, loc. cit.
2» Défauts moraux affectant certains individus
plutôt que d'autres. — Ces défauts moraux sont très
nombreux. On n'en a pas encore fait un classement lo-
gique. Nous indiquerons seulement ceux qui se ren-
contrent le plus souvent.
1. Le manque de jugement on de bon sens. — C'est
une véritable infirmité spirituelle, source d'une infinité
de misères pour celui qui en est atteint, comme pour
ceux qui l'entourent, ou qui sont obligés d'avoir de
fréquents rapports avec lui. Ce mal est, en général,
incurable. La vertu peut s'acquérir, avec des efforts et
de la persévérance : le bon sens, ou le jugement, jamais.
Cf. S'» Thérèse, Chemin de la perfection, c. xiv.
2. La vanité et la suffisance. — Ceux qui ont ces
défauts se rendent vite insupportables et ridicules.
Afin de s'élever au-dessus des autres, ils mettent de
l'affectation en tout : paroles, actes, manières, etc. Ce
pédantisme, loin de leur attirer des éloges, provoque
le mépris, et leur attire les traits mordants de la satire.
Ils font parade de connaissances ou d'avantages qu'ils
n'ont pas, et, si, par cet étalage emprunté, ils s'illu-
sionnent eux-mêmes, ils ne trompent pas ceux qu'ils
prétendent ainsi éblouir. Dans son langage imagé, saint
François de Sales les appelle des «c boutiques de va-
nité ». Entretiens spirituels, c. xvii, Œuvres com-
plètes, 12 in-12, Paris, 1862, t. m, p. 510sq.
3. La fierté. — Ce défaut a beaucoup de relation
avec le précédent; mais il a, cependant, quelque chose
de moins méprisable, car il ne va pas sans une cer-
taine grandeur et une certaine dignité.
4. La violence et le penchant à la vengeance. —
Malgré les analogies qu'ils présentent entre eux, ces
défauts peuvent exister, l'un sans l'autre. Toute per-
sonne violente n'est pas pour cela rancunière, ou vin-
dicative. La violence passe, parfois, comme une tem-
pête qui accumule ruines sur ruines, mais qui ne dure
pas. La rancune, ou l'esprit de vengeance, poursuit
plus froidement son but. Aussi, dans bien des cas«
est-elle plus i:edoutable que la violence elle-même.
Celle-ci, malgré ses écarts accidentels, n'est pas incom-
patible avec un certain fond de bonté.
5. La dureté du cœur. — C'est une des formes les
plus ordinaires de l'égoïsme. Elle rend insensible aux
souffrances d'autrui, et porte même à y applaudir,
comme si l'on jouissait davantage de son propre bon-
heur, en voyant des malheureux. Elle peut aller jusqu'à
pousser à faire le mal, pour le seul plaisir de faire
souffrir. C'est alors une sorte d'instinct mauvais, et
quasi-bestial.
6. Le trop d'empressement. — C'est une agitation
fébrile dénotant un manque d'équilibre entre les di-
verses facultés. L'activité n'est plus réglée par la rai-
son, et si elle déploie de l'énergie, c'est de l'énergie
oisense. Elle se dépense en une foule d'occupations
sans but sérieux et non méritoires, qui aboutissent, en
somme, à une perte de temps. Souvent, en effet, on perd
plus de temps à faire des choses inutiles qu'à ne rien
faire du tout. Cf. Faber, Progrès de l'âme dans la vie
spiHtuelle, c. xii, in-12, Paris, 1856, p. 289-292.
7. La légèreté. — Elle est un grand obstacle à la
réfiexion, aux études sérieuses, à la suite dans les idées
ou dans les actes, à la persévérance dans les résolutions
prises. Elle produit l'inégalité d'humeur. Parfois, elle
dégénère en étourderie et en puérilité, qui continuent,
dans l'adolescence et jusque dans l'âge mûr, les futi-
lités de l'enfance. Dans les conversations, elle se mani-
feste par le récit d'une masse de détails des plus insi-
pides, racontés en un babil interminable. Gaite inanité
de langage répond bien au vide de cet esprit dans lequel
les pensées les plus disparates se succèdent avec une
étonnante rapidité et disparaissent de même. Ce flux
de paroles n'apporte à ceux qui sont obligés de le
subir, que lassitude et ennui. Les occupations d^une
personne légère de caractère présentent la même em-
preinte générale de futilité. Quelquefois aussi, cette
extrême mobilité de pensées est la suite morbide d*un
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DEFAUTS
22b
état pathologique spécial. La cure, alors, est plutôt du
ressort de la médecine que de Tascétique ou de la
morale. Cf. Axenfeld etHuchard, Traité des névroses,
1. III, c. V, § 2, in-8«, Paris, 1883, p. 958 sq. ; Ribot,
Les nicUcuiies de la volonté, in-8«>, Paris, 189(5, p. 112.
8. La singularité. — C'est la source intarissable de
bizarreries et de caprices de tout genre. Elle est sus-
ceptible de se montrer de mille manières et à tout
propos : dans les tendances, dans les paroles, dans les
actes, dans Tensemble de la conduite, et jusque dans
la dévotion. Elle est, alors, Teffet de l'amour-propre,
ou delà sottise, ou bien une tentation de l'esprit malin.
9. Vinclination à la mélancolie, au chagrin, à la
tristesse. — Voilà encore un de ces défauts qui font le
malheur, et de la personne qui les a, et de celles qui
vivent auprès d'elle. Il est, en outre, pour la vraie
piété, un obstacle déjà signalé par saint Paul. II Cor.,
IX, 7. De plus, il mène rapidement à l'abattement et au
découragement. Par suite, il rend difficile, pour ne pas
dire impossible, l'acquisition de la vertu. Cf. Faber,
Progrès de l'dme dans la vie spirituelle, c. ii, vu,
XII, p. 16-19, 108-110, 283-287; Ribet, L'ascétique chré-
tienne, c. II, § 5, in-8*, Paris, 1905, p. 8.
10. La pusillanimité et Vinquiétude. — Par 'ce dé-
faut, on se trouble, à chaque instant, pour de petites
choses c[ui n'en valent pas la peine. Il en résulte une
agitation presque continuelle, qui, dans la vie ordi-
naire, se traduit par l'irrésolution, et, dans la vie sur-
naturelle, par les scrupules, cause inépuisable de
tourments pour les âmes qui en sont atteintes, et
pour leurs supérieurs, directeurs ou confesseurs. Cf.
S. François de Sales, Entretiens spiintuels, c. xvii.
Œuvres complètes, t. m, p. 514 sq. ; Scaramelli,
Guide ascétique, traité II«, a.ll,c. i-iii, 4 in-S», Paris,
1885, t. Il, p. 358-383.
H. La dissimulation, ou le penchant au déguise-
ment et à la duplicité, — C'est l'esprit de mensonge,
ennemi de toute candeur et de toute franchise. Dans
la plus tendre jeunesse il se manifeste dès les pre-
mières lueurs de la raison, et s'il n'est combattu de
bonne heure, il se perpétue à travers tous les âges. Il
engendre Thypocrisie.
12. La prodigalité. — P^Ue consiste à dépenser, à
pleines mains, et sans motifs justifiés, l'argent que l'on
possède, ou à laisser détériorer, par négligence ou par
caprice, les objets que l'on a à son usage. Ce défaut pro-
vient de la vanité, tout autant que de la paresse. Par
la prodigalité en cherche à paraître riche ou généreux,
ou bien Ton veut s'éviter le soin, considéré comme
ennuyeux, de veiller à ses dépenses, et d'en tenir un
compte exact. Il en résulte, d'abord, du désordre; puis
du mécontentement et du malaise; enfin, trop souvent,
une ruine complète. Cf. Palmieri, Opus theologicum
morale in Busenbaum medullam, tr. IV, c. m,
dub. vil, 7 in-8o, Prato, 1889-1893, 1. 1, p. 574.
13. La sensualité, — Il y en a trois espèces : celle
de l'esprit, celle du cœur, et celle du corps. — a) La
première incline l'âme à penser surtout aux choses qui
lui plaisent. La mémoire ne revient que sur les souve-
nirs agréables, et T imagination crée sans cesse des chi-
mères, auxquelles elle s'arrête avec délices. Si on lit
un auteur, c'est surtout pour ses mérites secondaires,
comme le style, par exemple, ou le genre du sujet traité,
dans lequel T utile tient beaucoup moins de place que
Tagréable. — 6) La sensualité du cœur est la source
des affections tendres, fondées surtout sur les qualités
extérieures : traits du visage, fraîcheur du teint, élégance
des manières, douceur de la voix, etc. Cf. S. François
de Sales, Entretiens spitntuels, c. xvii. Œuvres corn-
plètes, t. m, p. 516 sq.; Scaramelli, Guide ascé-
tique, traité II«, a. 9, c. ii-iv, t. ii, p. 295-311. — c) La
sensualité corporelle pousse aux désordres de la chair.
Elle se trahit dans la pose, dans la démarche, dans la
DICr. DE THÉOL. CATHOL.
recherche du bien-être et de la nourriture, dans l'abus
du sommeil et du repos trop prolongé, dans les ré-
pugnances exagérées pour tout ce qui gène : fatigue,
intempéries des saisons, froid, chaleur, travail, etc.
C'est un état de mollesse qui affaiblit le caractère, et
produit un obstacle souvent insurmontable à toute vie
chrétienne, ou simplement sérieuse. Cf. Ribet, L'ascé-
tique chrétienne, c. xiii, p. 115-133.
14. Lindulgence, ou le trop de tendresse pour soi. —
Ce défaut a bien des accointances avec le précédent,
quoiqu'il ne revête pas le même caractère de gravité. Il
n'est, le plus souvent, qu'une grande faiblesse de la vo-
lonté, s'arrétant devant le moindre obstacle, mais ne
portant pas néanmoins, directement, aux désordres
moraux, comme le fait la sensualité. C'est cependant
un vrai danger, car, en empêchant l'âme de marcher
sur le chemin de la vertu, il la laisse presque entière-
ment désarmée contre les assauts de l'ennemi, toujours
prêta tenter de l'entraîner aux abîmes. Cf. S. François
de Sales, Entretiens spirituels, c. xiv, xvii, Œuvres
complètes, t. m, p. 455-472, 517 sq.; Faber, Progrès
de Vdme dans la vie spirituelle, c. vu, p. 111 sq.
15. L'indolence. — Ce défaut conduit promptement
à la paresse et à la lâcheté. Il paralyse jusqu'à l'action
même de la grâce. Dans le monde spirituel, on peut la
comparer à ce qu'est la force d'inertie, dans le monde
des corps. Sur un caractère indolent le zèle le plus
ardent n'a presque- aucune prise. L'indolent, en effet,
vit dans une sorte d'apathie morale, qui est comme son
atmosphère naturelle. Son esprit est noyé dans le
vague, et il s'y complaît. Il ne connaît donc même pas
son mal. Pour le connaître, il aurait dû s'étudier, et
cela demande un effort, dont il est incapable. Si on
veut l'aider dans ce travail, il s'y refuse; et si on essaie
de lui révéler le mal qui le mine, il ne comprend rien
à ce qu'on lui en dit. Celte apathie morale est l'oppo.sé
de toute énergie, par conséquent de toute vertu, et.
a fortiori, de ioute vie surnaturelle. Par le désœuvre-
ment habituel qu'elle produit, elle est, comme l'oisiveté
et la paresse, la mère de tous les vices. Pour ne pas
mourir d'ennui, il faut à l'être 'inoccupé des divertis-
sements frivoles, des plaisirs toujours renouvelés, des
émotions factices ou coupables. L'indolence Ténerve
donc de plus en plus, et consume, en peu de temps, le
peu de vigueur qui lui restait. Cf. Faber, Progrès de
Vdme dans la vie spirituelle, c. iii-xiv, p. 115 sq.,
277-301.
II existe une foule d'autres défauts moraux, dont il est
souvent fait mention dans les ouvrages de morale et
d'ascétisme. La liste en serait longue. Mais il faut re-
marquer que beaucoup sont presque synonymes, ou
n'indiquent que des variétés d'une même espèce. Il est,
en outre, facile de les ramener tous à Tun de ceux dont
nous avons traité, en particulier, dans cet article.
S. François de Sales, Entretiens spirituels aux filles de la
Visitation, c. xiv-xvii. Œuvres complètes, 12 lii-12, Paris,
1862, t. lu, p. 455-517; Scaramelli, Guide ascétique, traité 11%
a. 9, c. ii-iv; a. 11, c. i-iii, 4 in-8', Paris, 1882, t. ii, p. 296-311,
358-383; Faber, Progrès de l'âme dans la vie spirituelle, c. ii,
vu, xiv, in-12, Paris, 1856, p. 15-34, 103-120, 277-301 ; Poujol,
Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de Vâme,
in-4*, Paris, 1863; FrédauU, Traité d'anthropologie physiolo-
gique et philosophique, 1. III, c. m, §3; I. V, c.i-vi, in-8%
Paris, 1863, p. 425 sq., 490 sq., 615-701 ; Giraud, De l'esprit et
de la vie de sacrifice dans l'état religietuv, 1, II, c. xi-xii,
ln-12, Grenoble, 1877, p. 177-195 ; Maudsiey, Pathologie de Vesprit,
c. vu, in-8», Paris, 1883, p. 346 sq.; Meynerl, Psychiatrie,
in-8% Vienne, 1890; Ribot, Les maladies de la volonté, in-8%
Paris, 1896; Pesch, Psychologiaanthropologica, 1. II, disp. III,
sect. IV ; 1. III, disp. I, sect. inv, in-8', Fribourg-en-Brisgau,
1898, p. 301 sq., 399-430; Ribet, L'ascétique chrétienne, c. i, xni,
xix, ln-8% Paris, 1905, p. 8, 115-133, 189-207; cardinal Mercier,
Psychologie, part. IIP, c. i, a. 2, sect. ii, États anormaux, ou
maladies de la volonté^ 2 in-4% Louvain, 1905, t. ii, p. 234 sq.
T. Ortolan.
IV. -8
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227
DÉFENSE DE SOI
228
DÉFENSE DE SOI. Le droit que nous avons sur
notre vie, sur notre corps, sur tous les biens qui nous
appartiennent légitimement implique comme consé-
quence nécessaire le droit de nous défendre contre toute
attaque injuste menaçant cette vie, ce corps et ces
biens. Posséder légitimement un bien, c'est avoir le
droit de le garder, et sans la faculté de le défendre
contre un injuste agresseur, ce droit ne serait qu'une
chimère. Nul d'ailleurs ne conteste ce principe ni en
théorie ni en pratique et toutes les législations l'ont
admis. Cf. Décret. Gregor. IX, 1. V, tit. xii, De honii-
cidio; Code pénal français, a. 328.
Si le principe est évident, l'application en est déli-
cate, car il n'est pas permis, même pour raison de
légitime défense, de devenir injuste agresseur. D'où :
I. Nature du droit de légitime défense. II. Règles à
suivre dans l'usage de ce droit. III. Application des
principes aux cas les plus importants.
I. Nature du droit de légitime défense. — Comme
le note justement de Lugo, le droit de légitime défense
n'a point pour objet de réparer le dommage déjà causé
ni de punir la faute commise, mais d'empêcher que le
tort ne soit fait. Conséquemment, en cas de légitime
défense, on peut agir dés que l'adversaire attaque;
mais il n'est point permis d'ajouter à la défense ce qui
constituerait le châtiment ou la réparation. Et d'autre
part, dès que l'attaque a réellement cessé d'exister, le
droit de se défendre cesse ipso facto.
II. Règles à suivre dans l'usage de ce droit. —
1» Règles générales. — Il n'est pas permis, même pour
se défendre, d'accomplir un acte intrinsèquement mau-
vais. Il n'est pas permis de se défendre dans une
société organisée, comme on pourrait le faire en dehors
de toute organisation sociale et de s'arroger des droits
sagement réservés aux tribunaux,
2<» Règles parliculières. — 1. Il n'est permis de se
défendre que lorsque l'agression est injuste. Si la per-
sonne dont l'acte nous fait tort est daas son droit, la
résignation s'impose et la violence serait injuste. C'est
le cas du criminel justement condamné à l'égard de
ses bourreaux et de ses gardiens. Mais dès que l'agres-
sion est injuste, ne fut-ce que matériellement, le droit
de se défendre existe. Ce droit, en effet, ne dépend
pas de la culpabilité de l'agresseur, mais uniquement
du caractère objectif de son acte. Il est donc permis
de se défendre contre les attaques d'un homme ivre et
d'un fou. — 2. Les moyens employés pour empêcher
l'agression ne doivent pas dépasser les limites néces-
saires à la défense. Donc l'emploi de moyens violents
est interdit quand les autres suffisent. S'ti suffît, pour
échapper au meurtre dont on est menacé, de fuir ou
de se cacher, on n'a pas le droit de tuer. Toutefois, si
l'agression devient plus violente, la défense peut devenir
plus énergique et se développer parallèlement à l'attaque.
L'emploi de moyens inutiles à la défense et dont le
but unique serait de nuire à l'adversaire, reste illicite.
— 3. Il faut tenir compte de la valeur du bien menacé
et ne point le défendre en iniligeant à son adversaire
un dommage sans proportion avec le tort qu'il veut
causer. La vie d'un homme, régulièrement parlant,
vaut plus qu'une pièce d'or. Je n'ai donc pas le droit de
tuer le voleur pour sauver les vingt francs qu'il me
prend.
III. Applications principales. — 1» La vie est injus-
tement menacée. — Si je ne puis échapper autrement,
j'ai le droit de tuer l'ennemi qui m'attaque. Cette con-
clusion n'est pas contestée malgré certains textes em-
barrassants de saint Augustin, De libero arbitrio, 1. I,
c. v, n. 11, P. L., t. xxxii,col. 1227 : Quomodo possum
ai^bilraH carere islos libidine, qui pro iis rébus (se,
vita, liberlate, pudicilia) digladiantur quas possunt
amiltere inviti: aut si non possunt, quid opus est
pro his usque ad hominis necem progredi ? et Epist.,
XLVii, ad Publicolam, n. 5, P. L., t. xxxiii, col. 186:
De occidendis hominibus ne ab eis quisque occidatur,
non mihi placet consilium, nisi forte sit miles aut
publica functione teneatur...; de saint Ambroise, De
officiis, 1. III, c. IV, n. 27, P, L., t. xvi, col. 153 : Non
videtur quod vir christianus et justus et sapiens quœ-
rere sibi vitam aliéna morte debeal; de saint Bernard,
De prsecepto et dispensât., c. vi, n. 13, P. L., t. clxxxii,
col. 869, qui considère comme coupables d'homicide
et ceux qui tuent pour voler et ceux qui tuent pour
sauver leur vie. Quelques théologiens rigoristes ont
seuls combattu l'opinion commune. La charité, disaient-
ils, nous oblige à préférer le salut éternel du prochain
à notre vie. Or, c'est le contraire que l'on fait évidem-
ment en tuant un injuste agresseur. Carrière, De ju-
stitia et jure, n. 786, cite comme ayant adopté ce senti-
ment Henri de Saint-Ignace, Piette, Gibert de Vérone
et de Pompignan, archevêque de Vienne. Mais il est
facile de répondre à l'argument qu'ils avancent, en rap-
pelant que la charité ne nous oblige pas à ce sacrifice
héroïque, s'il n'est pas absolument nécessaire. Or,
dans l'hypothèse, il ne l'est pas : que l'injuste agresseur
cesse d'attaquer, on n'aura plus le droit de se défendre
et il sera libre de songer au salut de son âme.
Il semble à saint Thomas, Sum. theoL, !!« 1I«,
q. LXiv, a. 7, que, même en cas de légitime défense, on
ne peut qu'indirectement vouloir la mort de l'injuste
agresseur à cause du précepte : non occides. On aurait
simplement le droit de se défendre au risque de tuer
l'adversaire. On n'aurait pas le droit de vouloir direc-
tement lui infliger un coup mortel. Ce sentiment est
communément abandonné. Car si j'ai réellement le
droit de tuer qui veut me perdre, j'ai le droit de vouloir
directement sa mort. Le précepte : non occides ne va
pas sans les exceptions nécessaires.
2o Si la vie nest pas en danger, mais seulement
Vintégrité matérielle ou morale du corps. — 1. L'ad-
versaire ne cherche qu'à blesser ou à mutiler. On
peut rendre coup pour coup, mais est-il permis de se
débarrasser -de l'adversaire en le tuant? S'il n'est pas
possible de s'en débarrasser autrement, oui. Je ne suis
pas tenu de me condamner à la perte d'un membre
ou à de graves blessures pour épargner la vie de qui
m'attaque contre tout droit. Il ne peut s'en prendre
qu'à lui s'il lui arrive malheur. — 2. L'honneur d'une
femme est un bien de premier ordre qui peut juste-
ment se comparer à -la vie et se défendre par les mêmes
moyens. Aussi, d'après le sentiment commun des
théologiens, une femme, vierge ou non, mariée ou non,
à qui l'on voudrait faire violence, a-t-elle le droit,
s'il le faut, de tuer l'impudique agresseur. S. Antonin,
Summa, part. Il, tit. v, c. vi; Lessius, De justitia, 1. II,
c. IX, n. 76; S. Liguori, Theol. moralis, 1. 111, n. 386.
L'opinion contraire soutenue par Steyaert, Juenin,
Billuart et quelques autres que cite, en les approuvant,
Carrière, op. cit., n. 800, s'appuyait sur l'autorité
de saint Augustin, loc. cit., et sur l'argument suivant :
l'acte de violence commis contre une femme peut être
envisagé soit comme lui ôtant un bien naturel, soit
comme la blessant dans sa vertu. Or l'intégrité dont
on la dépouille n'a point la valeur de la vie. La vertu
n'est point atteinte si la femme fait son devoir en ré-
sistant de toutes ses forces et en refusant tout consen-
tement interne à l'acte accompli. Aucune raison par
conséquent de tuer. Mais si la vertu n'est pas néces-
sairement atteinte, elle est du moins en un grand danger
dont il faut tenir compte. D'autre part, l'honneur de
la femme est certainement un bien de premier ordre.
S'il n'est pas absolument équivalent à la vie, il vient
immédiatement après. La charité n'oblige pas, en pa-
reil cas, à sacrifîer son intérêt à celui d'autrui.
3® Les biens de la fortune. — Les défendre contre les
voleurs est un droit que personne ne conteste. Ce droit
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229
DÉFENSE DE SOI — DEFORIS
230
va-t-il jus:{u'â permettre de tuer le voleur? L'opinion
communissinia le concède, mais à une double condi-
tion : 1. que les biens enlevés soient d'une valeur con-
sidérable; 2. qu'il n'y ait pas d'autre moyen de les
défendre ou de les recouvrer. La charité^ en effet, ne
nous oblige pas de préférer à des biens de cette sorte
la vie d'un voleur ; le bien public ne demande pas non
plus qu'on laisse faire. Mais il est évident que l'emploi
de ce moyen extrême n'est licite que s'il s'agit d'objets
ou de biens de grande valeur. Quelle est cette valeur?
On ne peut la déterminer par des chiffres. Il faut tenir
compte de la valeur relative et de la valeur absolue de
l'objet. En tout cas, il n'est pas permis régulièrement
de tuer un homme dès qu'une seule pièce d'or est en
danger. C'est le sens de la 31* des propositions con-
damnées le 2 mars 1679, par Innocent XI. A fortiori,
n'est-il pas permis de sauvegarder par un meurtre
l'héritage qu'on espère, ni de tuer celui qui refuse de
nous délivrer un legs auquel nous avons droit. Dans
ce double cas, le moyen violent dépasse la mesure ou
n'est pas nécessaire; donc il faut le rejeter. C'est le
sens des' propositions 32« et 33fi condamnées par le même
pape. Denzinger, Enchiridion, n. 1048-1050.
Dans un synode tenu à Constantinople en 1153 sous
le patriarche Constantin Chiiarenus, on a discuté
quelle pénitence ecclésiastique on devait imposer à
ceux qui.tuaient un voleur à qui ils auraient pu échapper
par la fuite. Quelques-uns voulaient qu'ils fussent
punis comme homicides, car le voleur tué aifrait pu
se convertir, s'il avait vécu, et que, par suite, on ne
leur appliquât plus les anciens canons. Ceux-ci décla-
raient qu'il n'y avait pas de crime si on n'avait pas pu
fuir. Si le voleur avait eu recours à la violence et si en
se défendant on l'avait tué, il n'y avait pas lieu à infli-
ger aucune pénitence ecclésiastique; il faudrait plutôt
récompenser l'homicide qui a ainsi procuré le bien
public. Le concile, réformant l'ancienne discipline, dé-
cida que, dans ce cas, on devait, au point de vue
ecclésiastique, punir comme homicides ceux qui s'étaient
défendus de la sorte, et que, s'ils a\'aient pu fuir, la
pénitence soit augmentée. De droit naturel, l'ancienne
distinction ne devait pas être rejetée. Tout ceci concer-
nait les laïques. Quant aux clercs homicides, qu'ils eus-
sent tué des ennemis, ou des voleurs,'ou d'autres per-
sonnes, il n'y a pas de distinction à faire ; ils seront
toujours déposés. Mansi, Concil., t. xxi, col. 833, 836.
Le voleur qui s'enfuit en emportant l'objet dérobé
peut être traité comme le voleur au moment du vol.
Mais avant d'en venir au fait, il est juste qu'on l'aver-
tisse, de vive voix ou autrement, qu'il connaisse le
danger qu'il court. Autrement, on risquerait d'employer
inutilement un moyen violent.
Si le voleur recourt à la violence pour s'emparer
d'un objet de peu de valeur, il est permis de repousser
la force par la force. Si la querelle s'envenime et que
le voleur vienne à blesser ou à menacer de mort, la
victime a le droit de se déiendre comme il a été in-
diqué plus haut. C'est le summum jus dont il vaudrait
peut-être mieux ne pas user.
Fagnan, le P. Ballerini, Carrière et quelques autres
théologiens, s'écartant dans cette question de l'opinion
commune, ont soutenu qu'il n'est jamais permis de tuer
un homme qui ne fait que voler. L'assemblée du clergé
de France avait, en 1700, condamné la proposition sui-
vante : Xon soluni vitam, sed etiani bona teniporalia
quorum jaciura esset damnum gravissimum, licilum
est defensione ocdsiva defendere, comme contraire au
précepte divin et aux obligations qu'impose la charité.
Pour défendre cette opinion, on alléguait : 1. le pas-
sage deFExode, xxv, 2, qui déclare permis de tuer celui
qui vole la nuit et non celui qui vole le jour, parce
que du premier on ne sait s'il vient pour voler ou tuer;
sU ne rient que pour voler il est interdit de le tuer.
! — 2. Il est déraisonnable de sacrifier la vie d'un homme
pour un bien périssable, dont la perte n'est pas irrépa-
rable. Ces arguments n'ôtent point leur valeur aux rai-
sons de la première opinion; ils prouvent seulement
qu'il ne faut en user qu'avec une extrême réserve.
4» L'honneur et la réputation, — Il est permis de
s'opposer, par un emploi modéré de la force, aux
voies de fait injurieuses et aux paroles outrageantes.
Mais si, pour empêcher l'injure, il faut recourir à l'ho-
micide, en a-t-on le droit? Diana, Lessius, Hurtado
l'ont admis pour le cas où l'insulte serait sanglante et
atteindrait un personnage élevé en dignité. Mais cette
opinion, remarque saint Liguori, ne doit passer en
pratique qu'avec une extrême réserve. Elle se soutien-
drait plus facilement si, d'une part, la personne outragée
est de celles qui ne peuvent laisser passer l'insulte sans
se déshonorer et si, d'autre part, l'insulteur, passant
des paroles aux actes, en vient à menacer son ennemi
de mutilation ou de mort. En ce cas, l'insulté se dé-
fendrait plutôt contre la violence que contre l'injure.
Mais, si l'on excepte ce cas, le recours au meurtre
comme moyen d'écarter l'injure est illicite, soit parce
qu'il n'y a pas de proportion entre le mal de l'injure
et celui de l'homicide, soit parce qu'on arrive au but
aussi sûrement et aussi facilement par d'autres
moyens sans danger.
Un sentiment trop vif de l'honneur a fait dévier sur
ce point, au xvi« et au xvii» siècle, quelques théolo-
giens dont les propositions scandalisaient le domini-
cain Mayol, Summa doclHnm moralis circa X decalogi
prascepta, V""» pnrcept., q. i, a. 6, § 4 : Prm horrore.».
decidit calamus, tremunt viscera..,, dum considero
opinionum portenta execratione digna quitus novelli
probabilitalum patroni istud strictissimum de non oc-
cidendo prœceptum laxare in Jiac parte moliunlur.
Selon les uns, dit-il, on peut tuerje calomniateur, non
seulement quand il attaque, mais dès qu'il menace;
selon les autres, il est licite de tuer un insulteur, même
quand il a cessé d'insulter ; d'autres permettent en prin-
cipe de tuer tout insulteur ou tout calomniateur qui
fait un tort grave. Les critiques de Pascal, v//« Provin-
ciale, ont été provoquées par des propositions de ce
genre, ou trop larges, ou formulées d'une façon trop
générale. Voir par exemple Lessius, De juslitia, 1. II,
c. IX, dub. XII, n. 77 et 79.
Les principes indiqués plus haut s'appliquent dans
toutes les classes de la société. On ne fait aucune ex-
ception même pour les personnes constituées en di-
gnité qui n'ont pas le droit de tuer pour échapper à la
calomnie et aux injures, ni le droit de calomnier pour
échapper à une accusation vraie ou fausse. Alexandre Vil
et Innocent XI ont condamné les propositions qui le
soutenaient. Prop. 17, 18, et prop. 30, 43 et 44. Den-
zinger, n. 988, 989, et 1047, 1060, 1061. A fortiori,
est-il interdit de recourir à l'homicide par avortement
pour, échapper au déshonneur ou même à la mort.
Prop. 34. Denzinger, n. ICfôl.
V. Oblet.
DEFORIS Jean-Pierre, bénédictin de la congréga-
tion de Saint-Maur, né à Montbrizon en 1732, guillotiné
à Paris le 25 juin 1794. Ayant fait profession à Saint-
Allire de Clermont, le 28 août 1753, il fut un des pre-
miers collaborateurs chargés de l'édition des conciles
des Gaules, dont un volume seulement fut publié; mais
il renonça bientôt à ce genre d'études pour se livrer à la
défense de la religion attaquée par les incrédules. Au
moment de la Révolution, il fut accusé d'être favorable
à la Constitution civile du clergé et môme d'avoir con-
tribué à sa rédaction. Il repoussa vivement cette accu-
sation dans une Lettre à Vauleur de la Gazette de Paris,
in-8o de 28 p. A la suite de celte publication, il fut
arrêté et enfermé à la Force, puis au Luxembourg et
à la Conciergerie. Traduit devant le tribunal révolution-
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231
DEFORIS — DÉISME
232
naire, il fut condamné à mort. Il ne cessa d'offrir les
consolations de la religion à ses compagnons de capti-
vité et de supplice, et pour les assister jusqu^au bout,
demanda comme une faveur d'être exécuté le dernier.
Dom Deforis travailla à une édition des œuvres de
Bossuet dont les notes et manuscrits avaient été dépo-
sés au monastère des Blancs- Manteaux par les héritiers
de l'illustre évéque. Ce travail avait été commencé par
l'abbé Lequeux et par dom de Ck)niac. L'édition devait
avoir 30 volumes. Dom Deforis l'annonça par un Prospec-
tus de la nouvelle édition des œuvres de Messire J. Bé-
nigne Bossuet, évêque de Meaux, in-4o, Paris, 1769.
Quinze volumes furent publiés par les soins de dom
Deforis qui s'était surtout occupé des œuvres inédites
de l'évéque de Meaux ; mais les notes et préfaces dont
il accompagna le texte soulevèrent de vives protesta-
tions de la part de l'Assemblée du clergé qui pria le
garde des sceaux d'ordonner que les œuvres de Bossuet
fussent publiées sans commentaires. Le libraire Lamy
continua l'édition qui demeura inachevée : Œuvres de
Messire Jacques- Bénigne Bossuet, nouvelle édition
enrichie d'ouvrages de l'auteur non encore impnmés>
18 ln-4<», Paris, 1772-1788. Dom Deforis donna une édi-
tion séparée des Semions et oraisons funèbres de
M. Bossuet, 6 in-4o, ou 17 in-12, Paris, 1772-1790. Il est
en outre auteur des ouvrages suivants : Réfutation d'un
nouvel ouvrage deJ.-J. Rousseau intittdé : Emile ou
de Véducation, in-S», Paris, 1762 ; La divinité de la reli-
gion chrétienne vengée des sophismes de J.-J. Rousseau,
2 in-12, Paris, 1763 ; Préservatif pour les fidèles contre
les sophismes et les impiétés des incrédules oii Von
développe les principales preuves de la religion et où
Von détruit les objections formées contre elle, avec
une réponse à la lettre de J.-J. Rousseau à M. de Beau-
mont, archevêque de Paris, 2 in-12, 1764; Réclama-
tion des religieux bénédictins des Blancs-Manteaux
contre la requête des religieux de Saint-Get^iain-des
Prés, in-4o, Paris, 1765; L'importance et l'étendue des
obligations de la vie monastique, son utilité dans
VÉglise et dans VÉtat pour servir de préservatif aux
moines et de réponse aux ennemis de l'ordre monas-
tique, 2 in-12, Paris, 1768 : ces deux derniers ouvrages
se retrouvent dans Mémoires pour les ordres religieux
contre l£S principes de la Commission établie en il68,
in-12, Paris, 1785; Exposition de la doctrine de VÉglise
sur les vertus chrétiennes contre les articles que
M. l'évéque du Mans a fait signer aux Pères de l'Ora-
toire et Examen de la lettre apologétique du P. du Vet*-
dier, assistant du Père général de l'Oratoire au sujet
de ce qui s'est pcusé entre les supérieurs majeurs de
cette congrégation et M. V évêque du Mans dans l'af-
faire du professeur du Mans, in-12, en France, 1775,
pamphlet très violent contre l'Oratoire et Mu»" de Gri-
maldi, évéque du Mans ; Plan de réforme motivé, pré-
senté aux États-Généraux par les fidèles citoyens de
la bonne ville de Pans, 3 in-8% Paris, 1787, 1788, 1789.
Dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint-
Maur, iii-4', Paris, 1770, p. 763-765 ; Qiiérard, La France litté-
raire, iii-8% Paris, t. ii, p. 421 ; Picot, Mémoires pour servir
à l'histoire ecclésiastique pendant le xvm* siècle» 3* édit., Pa-
ris, 1865, t. v, p. 139; de Lama, Bibliothèque des écrivains de
la congrégation de Saint-Maur, in-12, Paris et Munich, 1882,
p. 212; Revue Bossuet, 1900, p. 58, 113; 1905, p. 66, 549; Le-
vesque, Bossuet et Deforis : une esquisse de sermon, dans Revue
Bossuet, 1906, p. 250-258; tWd., p. 312 314; Supplément V,
25 juin 1907, p. 67-73 ; Berlière, Nouveau supplément à Vhistoire
littéraire des bénédictins de Saint-Maur, 1. 1, p. 150-152.
B. Heurtebize.
DÉGRADATION. Voir Déposition.
DEGRÉS. Voir Grades.
DEHARBE Joseph, né à Strasbourg en Alsace, le
1» avril 1800, entra dans la Compagnie de Jésus à Brig
(Valais), le 20 septembre 1817; professa la rhétorique
et prêcha avec succès en Suisse et en Allemagne.
L'exercice du saint ministère lui fit comprendre la
nécessité d'un nouveau catéchisme populaire. Il en
forma le plan suivant les besoins nouveaux qu'il con-
statait, tout en se tenant le plus près possible des meil-
leurs modèles antérieurs, spécialement du B. P. Cani-
sius, dont le catéchisme avait obtenu une si vaste dif-
fusion et fait tant de bien. Voir t. ii, col. 1524-1526. Il
arriva à l'exécution, tandis qu'il résidait à Lucerne en
Suisse, et publia, en 1847, à Ratisbonne, son premier
Katholischer Katechismus, en quatre éditions, diffé-
rant par le développement, pour les enfants des écoles
de tout degré, pour les jeunes gens et les adultes. En
1853, lesévéques de Bavière, désireux de réaliser dans
leurs diocèses l'uniGcation des catéchismes, mesure à
laquelle s'était déjà montrée favorable l'assemblée gé-
nérale de l'épiscopat allemand à Wurzbourg, en 1848,
demandèrent le concours du P. Deharbe. Celui-ci avait
déjà réimprimé une douzaine de fois son travail suc-
cessivement perfectionné; il en publia, la même
année 1853, une nouvelle édition, que tous les prélats
bavarois adoptèrent. Voir t. ii, col. 1956. Le P. Deharbe
a de même approprié son œuvre, avec de légères modi-
fications, à l'usage de plusieurs autres diocèses, et elle
est devenue le catéchisme diocésain de la plus grande
partie de l'Allemagne. Il en a été fait éga||3ment des
traductions en anglais, en croate, en danois, en espa-
gnol, en français, en hongrois, en italien, en polonais,
en portugais, en suédois, en tchèque et même en
mahratte. Outre les textes destinés à être appris par
les enfants, le P. Deharbe a composé des explications
populaires de son catéchisme, à l'usage des catéchistes
et des familles; elles ont paru sous différents titres,
en deux, trois et cinq in-8o. Divers auteurs ont égale-
ment commenté à leur manière son excellent manuel.
Le P. Deharbe a encore publié un volume sur la na-
ture de la charité parfaite : Die vollkommene Liebe
Gottes in ihrem Gegensatze zur unvollkommenen und
in ihrer Anwendung auf die vollkommene und unvoll-
kommene Reue, dargestellt nach der Lehre des heil.
Thomas von Aquin, und fur katechetische Vortràge
gemeinfasslich erklàrl. Nebst einigen Erlàuterun-
gen zum Einverstàndnisse in der Katechismussache,
in-8°, Ratisbonne, 1856. Il termina sa vie bien remplie,
le 8 novembre 1871, à Maria-Laach.
Sur les innombrables édItioDs du catéchisme de Deharbe,
voir De Backer-SommervogeU Bibliothèque delà O* de Jésus,
t. u, col. 1875-1884; t. IX, col. 182-184. Pour l'appréciation,,
F. X. Thalhofer, Entwickelung des katholischen Katechismus
in Deutschland von Canisius bis Deharbe, Fribourg-en-Bris-
gau, 1899; Knecht, dans le Kirchenlexikon, t. vu, col. 310;
Hurter, Nomenclator, t. ni, col. 1222-1223.
Jos. Brucker.
DÉISME. — I. Notion. II. Essais de classification .
III. Apparition du mot. IV. Le déisme en Angleterre.
V. Le déisme en France. VI. Le déisme en Allemagne.
VII. Doctrine catholique opposée au déisme.
I. Notion. — Ce mot est loin d'avoir une significa-
tion unique et facilement définissable. Son acception
usuelle ne répond nullement au sens étymologique.
Si nous ne consultons que l'étymologie, déisme et
théisme sont deux termes parfaitement synonymes :
ils expriment l'un et l'autre simplement la croyance
en Dieu, le contraire de l'athéisme; ils ne différent que
par leur dérivation immédiate, qui rattache le premier
au latin Deus, et le second, au grec Bedc* De fait, dans
beaucoup de livres du xviii» siècle et du commence-
ment du xix«, on les rencontre employés indiffère m«
ment. Voltaire se vante d'être théiste et ne se déferà<i
point d'être déiste. C'est que, dans sa pensée, ces deux.
qualificatifs se valent : ils indiquent également a ne
religion sans dogmes révélés et sans culte autre que^
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m
DÉISME
234
c (aire le bien », c'est-à-dire le fond commun de toutes
les religions, l'assentiment purement rationaliste à
fl l'existence d*un être suprême, puissant et juste. »
Aussi de même que, pour lui, « le déisme est la reli-
gion d'Adam, de Sem et de Noé, » parce « qu'en tout
genre on commence par le simple, ensuite vient le
composé », de même il dit du théiste {Dictionnaire
philosophique, à ce mot), que < sa religion est la plus
ancienne et la plus étendue, car l'adoration simple
d'an Dieu a précédé tous les systèmes du monde. »
Mais, dès longtemps, l'usage, quem pênes arbitrium
est, et fus et nomia loquendi, a introduit entre ces
deux mots une distinction capitale : il a sanctionné et
développé le côté affirmatif de l'un et le côté exclusif
de l'autre; dans le théisme, il a accentué l'idée qu'im-
plique la racine, et il a amené le déisme à signifier
surtout la négation de quelque chose qui la dépasse;
ici, l'attention se porte moins sur ce que le vocable
énonce que sur ce qu'il ne dit pas et suppose absent.
Aujourd'hui, le théisme est une théorie qui comporte
l'existence d'un Dieu personnel, créateur et providence;
il s'oppose non seulement à l'athéisme, négation de
Dieu, et aa panthéisme, négation de la personnalité
divine, mais aussi au déisme. Celui-ci désigne tout
système qui, un Dieu personnel supposé, rejette l'un
ou Tautre de ses attributs positifs et tout au moins son
action révélatrice. C'est bien assurément cet aspect
négatif que Bossuet avait en vue et dont il signalait,
avec son coup d'œil génial et sa logique impitoyable,
Vaïiations, Y, les conséquences extrêmes, quand il
appelait le déisme « un athéisme déguisé. »
II. Essais de classification. — Selon qu'il pousse
Texclusion plus ou moins loin, le déisme se présente
à nous avec des différences très notables. Au commen-
cement du xviii« siècle, le théologien anglais Clarke,
A démonstration of the being and attributes of God,
Londres, 1704-1706, traduit par Ricotier, Amsterdam,
1721, t. II, c. II, distinguait quatre classes de déistes.
Les uns, disait-il, reconnaissent un Dieu sans provi-
dence aucune, complètement étranger et indifférent aux
actions des hommes et aux phénomènes du monde,
moteor intelligent, qui, après avoir tiré l'univers du
chaos, c a tout laissé à l'aventure, sans vue ni direction
particulière, au hasard de ce qui pourrait arriver. »
D autres s'élèvent jusqu'à l'idée d'une providence, mais
d'une providence qui gouverne simplement les phéno-
mènes de l'univers matériel. Au demeurant, ils ren-
versent toutes les bases de la morale et, a fortiori, de
la croyance à une vie future; « ils ne voient nulle dif-'
férence entre le bien et le mal; » c'est là chose dont
Dieu, d'après eux, ne se met pas en peine, de sorte que
les lois établies par les hommes, source unique et
arbitraire de nos concepts d'honnêteté, d'obligation, de
Caute, de mérite et de démérite, sont aussi par consé-
quent la seule norme régulatrice de nos actes. Il est
des déistes d'une troisième nuance, qui, tout en admet-
tant certains attributs moraux de Dieu et en particulier
sa providence et ses volontés intimées à toutes les
créatures raisonnables, refusent de croire à l'immorta-
lité de l'a me, ainsi qu'aux peines et récompenses d'une
autre vie. Enfin, à la quatrième classe appartiennent ceux
qui i ont à tous égards des idées saines et justes de
Dieu et de ses attributs », qui donc acceptent toutes
les vérités de la religion naturelle, y compris le dogme
de la vie future, et ne rejettent que le principe de l'au-
torité et de la révélation. Ceux-ci sont, au jugement de
Clarke, c les seuls véritables déistes et les seuls qui
méritent qu'on entre en discussion avec eux pour les
convaincre de la vérité de la religion chrétienne. »
Malheureusement, ajoute-t-il, tout porte à croire « que
parmi les déistes modernes, il n'y en a que peu ou
point de cette espèce. Car la moindre attention aux
conséquences de ces principes conduirait infaillible-
ment des gens comme ceux que je viens de dépeindre à
embrasser le christianisme. »
La classification de Clarke n'a guère été admise telle
quelle. Kant, fort arbitrairement du reste, simplifie la
question en opposant sans plus le déisme au théisme
de la manière suivante : le théiste est, selon lui, le
partisan de la religion naturelle; il conçoit Dieu, par
analogie avec l'homme et d'après les données de l'expé-
rience, comme un être libre et intelligent, auteur et
providence du monde. Le déiste s'en tient à la théologie
rationnelle transcendantale, « pensant Dieu d'après des
concepts purs et vides d'intuition, comme être premier
et cause du monde, » il ne va pas au delà d'une force
infinie, inhérente à la matière et cause aveugle de tous
les phénomènes de la nature. Le déisme, dans ce sens,
ne serait plus qu'une forme du matérialisme et se con-
fondrait avec la doctrine de certains physiciens de l'an-
tiquité, par exemple celle de Straton de Lampsaque.
Rien ne justifie pareille restriction. Aussi bien, à nous
en rapporter à l'usage le plus général, à considérer les
penseurs qu'on s'accorde communément à ranger sous
l'étiquette de déistes, il semble à la fois plus logique et
plus commode d'y distinguer trois catégories ou trois
degrés, suivant qu'admettant Dieu comme créateur ou
au moins ordonnateur du monde, ils nient d'ailleurs
soit seulement la révélation et l'Église, soit en outre la
vie future, soit même la providence. En étudiant les
origines et la marche du déisme, surtout du déisme
anglais, il est facile d'y relever ces différentes formes.
On les y rencontre se développant dans l'ordre que
nous venons d'indiquer, c'est-à-dire se rapprochant de
plus en plus de la négation totale, de l'athéisme.
III. Apparition du mot. — Historiquement, le déisme
s'offre d'abord à nous avec une acception purement
théologique. Ce mot, inconnu de l'antiquité et du moyen
âge, a servi primitivement à désigner les sociniens ou
nouveaux ariens, qui niaient la divinité de Jésus-Christ.
Dans la suite, on l'a étendu à tous ceux qui se déclarent
partisans de la religion naturelle, mais hostiles à tout
surnaturel et à tout mystère. Des adversaires du chris-
tianisme nous apparaissent pour la première fois sous
le nom de déistes vers le milieu du xvi* siècle, en Italie et
en France. C'est du moins ce qui résulte du témoignage
d'un théologien calviniste, assez estimé parmi les siens,
Viret, dans un livre publié en 1563 et portant le titre
d'Instruction chrétienne. Cet auteur caractérise ainsi les
nouveaux sectaires : «c Ils reconnaissent Dieu, mais n'ad-
mettent pas Jésus-Christ. L'enseignement des apôtres
et des évangélistes est pour eux pure fable et rêverie. »
IV. Le déisme en Angleterre. — Mais si le nom est
né sur le continent, c'est en Angleterre que nous voyons,
dans la seconde moitié du même siècle, la doctrine
prendre consistance et commencera se répandre. Plu-
sieurs circonstances locales lui furent favorables : elle
bénéficia d'un fort courant d'opposition à l'Église établie,
qui régnait parmi les sectes dissidentes, et surtout de
la réaction très compréhensible provoquée par la préten-
tion de l'épiscopat anglican d'imposer l'adhésion absolue
aux trente-neuf articles, contrairement au principe
fondamental du protestantisme, qui permet à chacun
la libre interprétation de la Bible. A ces causes il faut
ajouter l'action parallèle de la philosophie inaugurée
par Bacon de Vérulam (f 1626), et conduisant de l'em-
pirisme au sensualisme d'abord, au scepticisme et à
l'athéisme ensuite.
On trouvera à l'article Christianisme rationnel, t. ii,
col. 2415-2417, une substantielle esquisse du déisme
anglais, avec l'énumération des principaux noms et des
principaux ouvrages par lesquels il est représenté.
De la comparaison attentive de ces éléments une con-
clusion se dégage, qui s'impose avec toute la force de
l'évidence : c'est que, là déjà, le déisme, assez réservé,
assez conservateur à ses débuts, dégénère rapidement
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235
DÉISME
236
et tombe de négation en négation. Pour Herbert de
Cherbury (1581-1648), la religion naturelle, en tant
que noyau doctrinal commun à tous les systèmes reli-
gieux et condition suffisante du salut, comprenait cinq
propositions de certitude rationnelle : l^il y aun Dieu;
2o il a droit à notre culte; S* la piété et la vertu sont
les parties essentielles de ce culte; 4« chacun doit se
repentir de ses Tantes, et à celui qui se repent Dieu
pardonne; 5<* il y a, soit dans cette vie, soit dans une
vie à venir, des récompenses pour les bons et des peines
réservées aux méchants. Mais bientôt nous voyons les
successeurs de Cherbury et les héritiers de ses prin-
cipes, notamment Collins (1676.1729), Chubb (1679-1747),
Bolingbroke (1672-1751), nier ou révoquer en doute et
la providence divine et la vie future. « Dieu, écrit
Chubb, est un être qui n'a pas à s'occuper du bien ou
du mal qui se fait parmi les hommes. La providence
ne s'inquiète pas de savoir si quelques individus
vivent dans une situation heureuse, d'autres dans la
misère; cela ne la regarde pas. » Il se moque du raison-
nement qui de l'inégalité imméritée des conditions hu-
maines conclut à une compensation à venir et à la
nécessité d'une existence ultra-terrestre. Il compare le
sort des fils d'Adam à celui des chevaux, dont les desti-
nées et les emplois sont si divers, sans que les moins
favorisés puissent attendre un dédommagement quel-
conque. Bien que ces passages, d'une brutale franchise,
semblent contredits par d'autres, il est clair du moins
que l'auteur n'avait sur rien une conviction ferme et
arrêtée; aussi déclarait-il insuffisantes les raisons qui
militent en faveur de la survivance de l'àme au corps.
Avec Bolingbroke, sceptique, léger, railleur, se défen-
dant du reste d'être athée, le respect de la religion,
même naturelle, a disparu : comme Machiavel, Boling-
broke ne voit en toute religion qu'un instrumenlum
regni, un expédient politique pour gouverner la multi-
tude naïve et ignorante. Après cela, il ne manquait plus
au déisme que de renier ou de battre en brèche l'idée
même qui en est le premier fondement, l'idée d'un
être suprême. C'est ce qu'il allait réaliser sans tarder,
par la plume de Henri Dodwell le jeune, dans Le
christianisme dépouf'vu de preuves, 1743, et surtout
par celle de Henri Hume (1711-1776), qui, sur les ruines
du principe de causalité, fonde définitivement le scep-
ticisme religieux, en même temps que le scepticisme
philosophique, a Quelle est la fin de l'homme? Est-il
né pour le bonheur ou pour la vertu ? pour cette vie
ou pour une vie future? pour lui-même ou pour son au-
teur? Questions tout à fait insolubles, » dit Hume. Et
il ajoute que • c'est une succession d'impressions qui
seule constitue l'esprit », et que notre persuasion de
l'existence de Dieu repose uniquement sur « un instinct »
ou « préjugé naturel ». Ainsi, d'étape en étape, le déisme
d'Herbert de Cherbury finissait par sombrer dans la
négation des principes les plus clairs et les plus essen-
tiels, de ces principes qui, comme celui de la relation
de la cause et de TeO'et, sont le fond même de l'intelli-
gence humaine.
Malgré le nombre, la qualité et l'ardeur de ses cham-
pions, le déisme, en Angleterre, n'avait point réussi à
pénétrer fortement l'esprit public. Les attaques contre
le christianisme et les mystères qu'il impose à la foi,
contre l'inspiration de ses livres sacrés, contre ses
miracles et ses prophéties, qu'on déclarait impossibles,
recevables seulement comme des allégories, radicale-
ment dénués de valeur probante, n'avaient pas encore
atteint profondément les masses croyantes. Taine l'a
constaté en termes dignes d'être remarqués. « En vain,
dit-il. Histoire de la littérature anglaise, 1863, t. m,
p. 60-61, au commencement du siècle, les libres -
penseurs s'élèvent; quarante ans plus tard, ils sont
noyés dans l'oubli. Le déisme et l'athéisme ne sont ici
qu'une éruption passagère. Les professeurs d'irréligion
rencontrent des adversaires plus forts qu'eux. Les chefs
de la philosophie expérimentale, les plus doctes et les
plus accrédités parmi les érudits du siècle, les écri-
vains les plus spirituels, les plus aimés et les plus
habiles, toute l'autorité de la science et du génie s'em-
ploie à les abattre. Les réfutations surabondent. Et ces
apologies sont solides, capables de convaincre un
esprit libéral, infaillibles pour convaincre un esprit
moral. » Ceux qui prétendaient abolir la religion du
Christ ont présumé de l'efficacité de leurs moyens.
« Quand ils seraient dix fois plus nombreux, ils n'en
viendraient pas à bout; car ils n'ont pas de doctrine
qu'ils puissent mettre à sa place.» La résistance fut donc
énergique, et l'avantage demeura aux défenseurs de la
bonne cause, avec cette restriction, que plusieurs
d'entre eux, par une tactique mal entendue, firent au
rationalisme des concessions déplorables, qui, à la
longue, devaient devenir funestes.
V. Le déisme en France. — Mais si les théories déistes
n'eurent de l'autre côté de la Manche qu'une vogue tem-
poraire et relativement restreinte, tln'enfutpasde même
en deçà. Herbert et Shaflesbury avaient puisé beaucoup
de leurs erreurs en France ou chez des écrivains fran-
çais : elles revinrent à leur pays d'origine, notablement
grossies et développées. Ceux qui contribuèrent prin-
cipalement à les accréditer furent Voltaire, Jean-Jacques
Rousseau et le groupe des ephilosophes» encyclopédistes.
Voltaire (1694-1778) était entré, vers 1715, en relations
d'amitié avec Bolingbroke, exilé alors sur le continent;
il avait ensuite passé trois ans auprès de lui dans la
Grande-Bretagne. C'est ainsi qu'il noua connaissance
avec les déistes anglais et se mita leur école. De retour
dans sa patrie, non seulement il s'appliqua à y accli-
mater leurs idées, mais il fit traduire et répandre un
grand nombre des écrits de Blount, Toland, Collins,
Woolston, Chubb, Bolingbroke, Hume. Plusieurs de
ces traductions parurent en Hollande; on imprima les
autres en France, souvent avec la connivence des
autorités civiles, en mettant faussement sur le titre les
noms de Londres ou d'Amsterdam. Une partie fut
insérée, sous forme d'articles, dans V Encyclopédie
méthodique. Les voies avaient été ouvertes à la propa-
gande antireligieuse par les désordres et la licenee
effrénée qui marquèrent la régence du duc d'Orléans,
pendant la minorité de Louis XV (1714-1723). C'est
alors que les productions des déistes commencèrent à
circuler sournoisement à Paris et dans les provinces.
Le cardinal de Fleury atteste le fait et le déplore,
lorsqu'il dit : « A cette époque, une multitude de livres
impies passèrent la mer, et la France en fut inondée;
ou plutôt, tous ceux qui avaient parmi nous la préten-
tion d'être des esprits forts en furent empoisonnés. »
Mais le principal semeur des idées nouvelles fut Vol-
taire lui-même. Tout l'avait préparé à ce rôle, tout
concourait à l'y rendre redoutable : sa formation intel-
lectuelle, résultat combiné de ses rapports personnels
avec l'Angleterre et de son admiration pour Locke,
qu'il proclamait le penseur le plus illustre, le plus pro-
fond des métaphysiciens; son grand talent d'écrivain ;
son érudition, aussi étendue et variée que superficielle ;
sa facilité à s'assimiler les conceptions et à exploiter à
son profit les travaux d'autrui; son esprit railleur et
caustique, habitué et expert à tout tourner en ridicule ;
la rage qu'il nourrissait contre le christianisme et qui
lui inspirait ces sinistres paroles : « Je voudrais que vous
écrasassiez l'infâme...; mon aversion pour cet infâme
ne fait que croître et embellir...; courez tous sus à
l'infâme habilement, ^ Lettres de 1760 et 1761, Œuvrer,
édit. Houssiaux-Didot, t. x, p. 560; t. xii, p. 128, 187;
labsence complète de scrupules dans le choix des
moyens; la foule d'adulateurs et de coopérateurs que
lui avait attirés sa renommée, cultivée par lui-même
avec une rare intelligence; enfin, l'âge avancé jusqu'où
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DEISME
238
il parvint el jusqu'où il prolongea une activité étonnante
il mourut en 1778, dans sa 84^ année. Il avait produit
plus de soixante-dix volumes. Dans tout cela du reste
le bagage philosophique ou théologique est d'une pau-
vreté insigne. Il se réduit à un sensualisme déiste,
accompagné de tendances matérialistes. Tandis quei
d'une part, Tauteur reconnaît un Oieu, que parfois il
dit juste et puissant, il enseigne, d'autre part, que l'exis-
tence du mal est inconciliable avec la bonté et la sagesse
divines. Quelquefois il exalte l'âme humaine dont il
vante la dignité et la noblesse; mais, en même temps,
il incline à croire qu'elle est une « abstraction réalisée »,
et il n*est point convaincu de sa spiritualité, car « ce
je ne sais quoi qu'on appelle matière peut aussi bien
penser que ce je ne sais quoi qu'on appelle esprit. »
Rien d'étonnant, après cela, qu'il lui arrive de se contre-
dire aussi sur la liberté, jusqu'à la nier: « Je veux né-
cessairement ce que je veux; autrement je voudrais sans
raison, sans cause, ce qui est impossible. » Dans sa
guerre sans trêve contre le christianisme, si, pour les
idées, il est ordinairement tributaire de Locke et des
Anglais, il ne fait souvent sur le terrain de l'érudition,
que reproduire en t>on français les arguments de Bayle,
sauf à les assaisonner de ses plaisanteries et de ses
sarcasmes habituels. Le Dictionnaire historique et cri-
tique du célèbre sceptique lui est un arsenal, une mine,
où il puisera à pleines mains jusqu'à son dernier jour.
Plas sérieux de ton que Voltaire, mais tout aussi rem-
pli de contradictions, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
mérite de figurer à côté de lui comme apôtre du déisme.
Lui aussi doit beaucoup à Locke. Laissons de côté, si
Ton veut, ses théories politiques et sociales, développées
dans son Discours sur Vorigine et les fondements de
VinégcUi lé parmi les hommes, 1758, et dans son Contrat
social, 1762. Elles ont fait presque autant de mal à
l'Église qu'à l'État, parce qu'elles sont toutes impré-
gnées de ce principe, qu' « une société de vrais chré-
tiens ne serait plus une société d'hommes ». Quanta
l'ensemble de ses idées religieuses, il l'expose princi-
palement dans la Profession de foi du vicaire savoyard,
qui sert de préface à son Emile, roman d'éducation. Il
ramène la religion naturelle, la seule admissible, à trois
vérités : I» l'existence d'un être suprême, dont la volonté
c meut le monde et anime la nature », mais dont il est
impossible de savoir s'il est créateur ; 2» l'existence
d'une matière régie par des lois fixes et constantes;
3» l'existence dans l'homme d'une âme immatérielle et
libre. Mais cette âme est-elle immortelle? On ne peut
oi l'affirmer ni le nier avec certitude ; toutefois l'affir-
mative est plus probable. Que s'il faut admettre une
autre vie, il y a encore lieu de douter de l'éternité des
peines, et ici c'est vers la négative que tout doit nous
faire pencher.
A la suite de Voltaire et de Rousseau nous devons
mentionner le groupe des écrivains soi-disant « philo-
sophes » par excellence, qu'on a qualifiés de a minis-
tres du roi Voltaire », et qui en réalité lui formaient
comme une cour et lui furent des auxiliaires précieux.
Mais désormais le maître en impiété sera distancé par
ses disciples, dont plusieurs défendront ouvertement
l'athéisme ou le matérialisme. La fameuse Encyclo-
pédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et des
arts, 1751-1777, fut comme l'incarnation et l'un des
premiers résultats de leurs eflbrts combinés. On sait
assez que le but de cet énorme recueil était de répandre
dans toutes les classes de la société l'incrédulité et le
mépris à l'endroit du christianisme, de ses fidèles et de
ses institutions. Sans parler de Voltaire et des fonda-
teurs immédiats de l'entreprise, qui sont Diderot (1713-
178i) et d'Alerabert (1717-1783), on peut citer comme
collaborateurs : Maupertuis (1698-1759), l'abbé Raynal
(1713-1796), Grimm (1723-1807), La Mettrie (1709-1751),
d'Argens (1704-1771), Toussaint (1715-1772), Helvétius
(1715-1771), d'Holbach (1723-1789), Robinet (1735-1820),
Naigeon (1738-1810), Condorcet (1743-1794). Nommons
encore Montesquieu (1689-1755), Saint-Lambert (1716-
1803) et Volney (1755-1820), qui contribuèrent à sou-
tenir et à vulgariser les idées de V Encyclopédie, le
premier par ses Lettres persanes, le second par son
Catéchisme universel, et le dernier par ses Ruines de
Palmyre; mais ajoutons que Montesquieu désavoua
plus tard ses sarcasmes contre le christianisme.
Parmi tous ces noms, trois méritent d'être spéciale-
ment remarqués : Diderot, d'Holbach et La Mettrie.
Diderot fut le véritable centre, l'àme, non seulement
de V Encyclopédie, mais encore d'un ouvrage athée sur
le Système de la nature, 1770, et de plusieurs écrits
conçus dans un esprit identique. Il représente ainsi,
dans la seconde période du xvni« siècle, le passage du
déisme à la négation de la divinité. Mais il est éclipsé
sur ce point par l'auteur même du Système delà na-
ture, le baron d'Holbach. Celui-ci professe sans am-
bages le pur athéisme, proposé plutôt timidement et
avec réserve par Diderot, Naigeon et plusieurs autres.
11 est aussi, est-il besoin de le dire? matérialiste; pour
lui, si la divinité n'est qu'un produit de l'ignorance, la
matière, unique réalité, est éternelle et nécessaire; elle
se meut par sa propre énergie; matière et force ou
mouvement, telle est la cause intégrale, telle l'explica-
tion suffisante de tous les phénomènes. Avant d'Hol-
bach, La Mettrie avait défendu le matérialisme le plus
cynique dans son Histoire naturelle de l'âme, 1745, dans
son Homme-plante, il ^, et surtout dans son Homme-
machine, 1748. Ce dernier livre, dont le titre seul
nous révèle la thèse fondamentale, se présente comme
une application du mécanisme cartésien.
On voit maintenant, sans que nous y insistions, où
en était arrivée, par la force logique des choses et des
idées, la libre-pensée déiste, au déclin du xviip siècle.
Le spiritualisme rationaliste qui a refleuri et jeté un
certain éclat en France sous la restauration, la monar-
chie de juillet et le second empire, n'était au fond qu'une
résurrection du déisme ; car il en a repris le principe
fondamental, à savoir l'adoption de la raison comme
guide exclusif de l'homme et comme mesure de toute
vérité. On n'ignore pas que sa cause a été soutenue par
des esprits très distingués et que de leurs études sont
sortis plusieurs ouvrages remarquables. Mais ni les
nobles intentions ni le talent de ses défenseurs n'ont
pu le soustraire à cette déchéance fatale qui guette tout
système s'arrêtant obstinément à mi-chemin de la vérité.
Résumons en quelques lignes cette récente expérience.
Les tendances sensualistes et matérialistes de la fin
du xviip siècle se prolongèrent dans les premières
années du xix«. C'est Royer-Collard (1763-1845) et sur-
tout Maine de Biran (1766-1824) qui, partis tous deux
des principes de la philosophie écossaise, donnèrent le
signal de la réaction spiritualiste. Cousin vint ensuite
(1792-1867), qui prit vite la tête du mouvement, mais
ne sut, enchaîné qu'il était à sa méthode éclectique,
ni suivre une direction constante, ni se garder des
influences du panthéisme allemand. Vers le début de
sa carrière enseignante, il affirmait l'unité absolue de
substance, l'identité du fini et de l'infini, le développe-
ment nécessaire de Dieu dans le monde et par le
monde. A partir de 1833, sa pensée semble parcourir
une seconde étape, où nous le voyons atténuer et reje-
ter partiellement ses affirmations panthéistes. Au sur-
plus, son spiritualisme demeurera toujours un spiri-
tualisme essentiellement rationaliste, un spiritualisme
qui commence par repousser aptnori le surnaturel, qui
de plus nie, sans aucun examen, les caractères divins
du christianisme comme religion positive, qui affirme
enfin l'indépendance absolue de la philosophie à l'égard
de l'Évangile, de la raison humaine à l'égard de la
raison divine.
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239
DÉISME
240
Nombreux ont été les disciples de Cousin, et plu-
sieurs surent donner au spiritualisme une attitude plus
fière, une forme plus épurée. Pour ne point parler ici
de Jouffroy (1796-1842), âme inquiète, ballottée entre
la foi clirétienne de son enfance et les lueurs du ratio-
nalisme, aboutissant finalement au métempsycosisme,
il en est d'autres, dont l'activité fut moins indécise et
plus féconde. Tel Jules Simon {1814-1896), dont les
livres sur Le devoir et La religion naturelle contiennent
bien des pages qu'un chrétien peut lire avec fruit et
édification. A remarquer cette définition, relativement
complète, qu'il donne de la religion naturelle : « Un
Dieu tout-puissant et immuable, qui a créé le monde
et qui le gouverne par des lois générales; une vie à
venir qui remplira toutes les promesses de celle-ci et
en réparera toutes les injustices : voilà le dogme; un
cœur rempli de l'amour de Dieu et de l'amour Ide
l'humanité, une volonté ferme d'accomplir le devoir et
de servir les vues de la providence en faisant le bien,
voilà la prière, voilà le précepte. » L'idée de Dieu
d'E. Caro (1826-1887) est une autre production de la
même école. L'auteur y affirme sa croyance non seule-
ment à un esprit souverain, mais aussi à la liberté et
à l'immortalité de l'âme; il y salue en Dieu « l'acte pur,
l'acte éternel de la pensée, première cause et réalité
suprême >, un être non immanent au monde, un « père
aimant ». Edmond Saisset (1814-1863) appartient aussi
à la lignée intellectuelle de Cousin. II a formulé de sa
propre doctrine un résumé qui, abstraction faite des
opinions secondaires, reflète bien la physionomie
générale du spiritualisme éclectique : a En matière de
choses surnaturelles, j'admets l'existence de Dieu et de
la providence ; en matière de miracles, j'admets le mi-
racle éternel et perpétuel de la création ; en matière de
révélation, j'admets que Dieu se révèle par les lois de
la nature et qu'il fait briller .son intelligence, sa puis-
sance, sa justice et sa bonté. Je n'admets ni plus ni
moins. »
Les écrivains que j'ai nommés ne sont pas restés iso-
lés; Ils ont eu des collaborateurs et des émules. Mais
aujourd'hui leurs héritiers ou continuateurs doctri-
naux se font de plus en plus rares. D'ailleurs, dans
leurs rangs mêmes des défections ont eu lieu. Ainsi
M. Paul Janet, qui avait longtemps partagé leurs vues,
s'est récemment rallié à une sorte de panthéisme par-
ticulier, qu'avec d'autres il appelle le « panenthéisme ».
Depuis nombre d'années déjà, le spiritualisme officiel,
universitaire, a visiblement cédé le pas, soit au criti-
clsme néo-kantien de Taine, Renan et Vacherot, soit
au positivisme de Comte et de Littré et au matérialisme,
qui en est la prolongation naturelle. C'est une nouvelle
application de la loi de décadence fatale.
Faut-il s'étonner de cette dégénérescence universelle
du déisme, sous quelque forme et avec quelque art
qu'il nous ait été présenté? Nullement. Les hésitations
et compromissions de ses tenants, la faiblesse et l'indé-
cision de leurs arguments expliquent ce fait. Puis,
pour qui voudra y regarder de près, n'est-il pas clair
que la plupart des difficultés qu'ils opposent au spiri-
tualisme chrétien se retournent contre eux, contre ceux
d'entre eux surtout qui admettent une vraie providence?
Les objections de principe alléguées par eux sont prin-
cipalement les suivantes : le christianisme blesse la
raison en lui imposant des mystères; il nous présente
d'une façon enfantine et antiscientifique les rapports '
de Dieu et du monde, en faisant intervenir la provi-
dence dans la nature, pour déranger, par des miracles,
l'ordre qu'elle y a établi; il partage le monde en pri-
vilégiés et en déshérités, puisque beaucoup d'hommes
n'arrivent ni ne peuvent arriver à la connaissance de
la révélation chrétienne, et il prête ainsi à Dieu,
oomme à un roi capricieux, des partialités indignes de
sa justice; enfin, comble de l'absurde, il suppose que
l'Être immuable se laisse fléchir par la prière jusqu'à
changer ses résolutions éternelles. Mais ceux qui
raisonnent de la sorte se combattent eux-mêmes et
fournissent des armes à leurs adversaires panthéistes
et matérialistes. Les notions qu'ils attaquent font partie
intégrante de toute théorie spirituaJiste. L'idée du
mystère, d'abord, est inséparable de la croyance en un
Dieu véritable : la création du monde par un Dieu qui
se suffit est un mystère; la coexistence de l'étemel
qui ne dure pas et du successif qui dure est un mys-
tère; la coexistence de la liberté humaine et de la
prescience divine est un mystère; et tous ces mystères
sont contenus dans le mystère unique, total, néces-
saire qui enveloppe les rapports du fini et de l'infini.
L'histoire de la philosophie moderne et contemporaine
nous atteste que le mystère delà création est la grande
tentation qui pousse aux erreurs panthéistes les esprits
trop faibles pour lui résister. L'idée du miracle s'im-
pose aussi au philosophe spiritualiste ; car la possibilité
du miracle résulte logiquement de la liberté divine et
de la providence. L'idée du privilège n'est pas moins
philosophique; car le privilège, comme on l'appelle,
c'est-à-dire l'inégalité et la hiérarchie sont la loi visi-
ble du monde, la condition de son harmonie et de sa
beauté. Enfin, le spiritualiste, qui croit en Dieu et aux
rapports de la créature raisonnable avec lui, peut-il
exclure a priori l'idée de la prière ? La prière est la
manifestation naturelle et nécessaire du besoin et du
sentiment religieux, fait universel qu'on peut essayer
d'expliquer, mais qu'on n'a pas le droit de nier ou de
condamner.
Du reste, quand un rationaliste reproche au Dieu
des chrétiens d'avoir des volontés changeantes et ar-
bitraires, de n'être qu'un homme idéalisé, parce qu'il
fait des miracles, parce qu'il répand librement et
inégalement ses grâces, parce qu'il daigne exaucer nos
prières, il est remarquable que ce langage ne dififère
en rien de celui des panthéistes attaquant la notion du
Dieu personnel, libre et créateur. C'est Saisset lui-
même qui l'atteste, lorsqu'il met dans la bouche des
hégéliens à l'adresse des spiritualistes séparés ces
paroles : « Quoi! vous en êtes encore au Dieu personnel,
à ce Dieu concentré dans sa perfection solitaire, qui
sort un jour, on ne sait pourquoi, de son éternité
bienheureuse pour créer l'univers!... Convenez-en de
bonne foi : votre Dieu personnel est un être déter-
miné, particulier, plus puissant et plus intelligent que
les hommes, mais de la même espèce, en un mot, un
homme idéalisé. »
VL Le déisme en Allemagne. — Les idées du déisme
d'outre-Manche, qui, transportées en France, y firent
tant de mal, n'épargnèrent pas l'Allemagne. Nous y
voyons poindre leur influence néfaste vers 1740, au
moment où Frédéric II, a le roi philosophe », montait
sur le trône. Jusque-là les productions de la libre
pensée anglaise n'avaient guère attiré l'attention que
des historiens et des polémistes. Mais en cette année,
ChHstianity as old as the création, or the Gospel, a
republication of the Religion of Sature, de Tindal, fut
traduit par Jean-Laurent Schmidt, l'un des membres
les plus connus de 1 école philosophique de Wolf. Ce
Schmidt, admirateur fanatique du maître, était le
même qui, six ans auparavant, avait lancé la fameuse
Bible de Wertheim, dans laquelle à tous les termes
figurés ou dogmatiques du texte il substituait des
expressions wolfiennes. Le rationalisme de Wolf était
tout indiqué pour devenir l'auxiliaire et l'introducteur
du déisme en Allemagne, puisque, comme lui, il posait
en principe que la religion naturelle est immuable
et qu'une révélation non seulement ne pourrait la
contredire, mais devrait s'y accommoder. J. W. Hecker
publiait à Berlin, en 1752, Die Religion der Vernunft,
quintessence germanisée des écrits similaires de la
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241
DEISME
242
Grande-Bretagne. Ea 1754, Samuel Reimarus (1694-
1165) mettait au jour, comme un avant-coureur des
audaces inouïes qui lui ont valu une triste célébrité
posthume, ses Abhandlungen von den vomehmsten
Wahrheiten der natûrlichen Beligion. II y établissait
que la vraie religion doit être cherchée et étudiée dans
le cœur humain et dans la nature autant que dans le
catéchisme. En 1759, Semler (1725-1791) écrivait que
fl la plus grande partie de la Bible n*esl qu'une répéti-
tion de la religion naturelle ». On peut se rendre
compte de la vogue considérable du déisme à cette
époque par la multitude de livres ou de brochures qui
paraissent pour Tappuyer et le réfuter, et dont on
trouvera Ténumération dans Lechler, Geschichte des
englischen Deismus, Stuttgart, 1841, p. 450-451; par
rimportance que leur accordent les recueils savants,
et aussi par les leçons faites dans les universités
contre la diffusion de l'incrédulité. Thorschmid, Ver-
stich einer Freydenker-Bibliothek, 1765, Vorrede,
rapporte que, pendant la guerre de sept ans, les offi-
ciers supérieurs lisaient avec avidité les ouvrages de
Collins et de Tindal. Il en avait lui-même été témoin.
Lankhard, dans son autobiographie, raconte avec en-
thousiasme le plaisir qu'il eut à dévorer Le chris-
tianitme aussi ancien que le monde, de Tindal, et
comment il y puisa la conviction absolue, « que les
mystères ne peuvent pas être l'objet de la foi; que ni
Jésus ni les apôtres n'ont rien enseigné de pareil, mais
seulement la religion naturelle, embellie çà et là par
quelques images et métaphores orientales ; que ce sont
ces images qui ont été transformées plus lard en mys-
tères. »
L'exemple et les encouragements à peine déguisés
de Frédéric II ne contribuèrent pas peu à rdb forcer le
courant rationaliste. Ajoutez à cela le sensualisme de
Locke, qui agit en Allemagne comme il avait agi en
Angleterre. Les chefs du rationalisme d'outre-Rhin,
Baumgarten (1706-1757), Semler (1725-1791), J.-Augusle
Ernest! (1707-1781), J.-David Michaelis (1717-1791), ne
parlent de Locke qu'avec vénération. Baumgarten en
particulier s'appliqua à populariser ses écrits et ceux
des autres déistes anglais, et il mit au service de ce des-
sein la puissante influence qu'il exerçait sur toutes les
contrées de langue allemande par ses Nachrichten von
der Hallischen BihXiolhek, Halle, 1748-1751, et ses
Nachrichten von merkwûrdigen Bftchem, Halle,
1752-1757.
Il n'est pas jusqu'aux réfutations anglaises du déisme,
cpii, traduites en allemand, n'aient, comme le remar-
quait déjà Ernesti, aidé à la pénétration des idées
qu'elles prétendaient combattre, parce qu'elles fai-
saient trop de concessions à l'erreur. Ceci est d'autant
moins étonnant que plusieurs des traducteurs, tels
Zollikofer, Rôsselt, Spalding, Jérusalem, glissaient eux-
mêmes sur la pente des idées nouvelles. Tous ces dé-
tails expliquent et justifient cette réflexion de Tholuck,
Vemïischte Schriften, 1839, t. i, p. 24 : « Il vaudrait
la peine de recueillir les idées des déistes anglais en
critique, en exégèse, sur le dogme, la morale et l'his-
toire ecclésiastique; on se convaincrait ainsi bien vite
qu'il y a très peu d'opinions rationalistes qui appar-
tiennent exclusivement à notre époque. »
Le mouvement que je viens d'esquisser avait, en
Allemagne, admirablement préparé les voies à l'im-
piété brutale appuyée sur la négation radicale. Lessing
•(172^1781) devait être dans ce pays, à peu près comme
Voltaire en France, l'initiateur et le porte-étendard de
Tune et de l'autre. Il ouvrit bientôt les hostilités, par
la publication des Fragments de WolfenbiUlel, 1774-
ilis. On sait que les Fragments d'un inconnu, dont
l'auteur, fort bien connu de l'éditeur, était Samuel
Reimarus, poussaient l'audace et la folie jusqu'à ne
«oir dans Jésus, le fondateur du christianisme, qu'un
vil imposteur. Et cette énormilé était présentée comme
le fruit spontané et naturel de la libre pensée, puisque
Reimarus avait donné à son manuscrit le titre d'ilpo-
logie pour les adorateurs de Dieu selon la raison. Le
torrent des négations à outrance était désormais dé-
chaîné, et rien, en dehors de la foi chrétienne, ne pou-
vait plus l'arrêter. Vainement, quelques années plus
tard, le génie de Kant, dans Die Religion innerhalb der
Grenzen der blossen Vemunft, 1793, semble vouloir
remonter un peu le courant et revenir à la conception
déiste. Le kantisme tout entier servit bientôt de base
ou de prétexte aux théories panthéistiques de Fichte,
de Schelling, de Hegel; le déisme germanique était
absorbé par le panthéisme.
Aujourd'hui, c'en est fait du déisme comme école
doctrinale distincte. Il est vrai que la franc-maçonne-
rie moderne pourrait partiellement être considérée
comme une représentante attardée du principe déiste :
elle affirme, du moins dans certains pays, l'existence
d'un Dieu qui ne se soucie pas de troubler pour
rhomme les jouissances de la vie et à qui il est par-
faitement indifl'érent qu'on l'honore ou qu'on ne l'ho-
nore point. Mais, à l'exception peut-être de quelques
cénacles fermés ou de rares et singulières indivi-
dualités, on voit par ce qui précède que, partout où il
a sévi, le rationalisme déiste a acco mpli son évolution
d'une manière assez uniforme : son point d'aboutisse-
ment plus ou moins rapide, mais inévitable, a été ou
le panthéisme ou l'athéisme, et souvent celui-ci par
celui-là.
VII. Doctrine catholique opposée au déisme. —
Après cet exposé, il serait superflu de mettre en relief
chacun des points qui, dans les différentes formes du
déisme, vont directement à rencontre du dogme ca-
tholique. Ils seront repris et envisagés séparément dans
d'autres articles de ce Dictionnaire. Voir notamment
les mots Inspiration, Miracle, Mystère, Prophétie,
RÉVÉLATION, Surnaturel. Notons seulement ici que
plusieurs des erreurs principales du système ont été
solennellement condamnées, et les vérités opposées,
solennellement affirmées par le concile du Vatican,
soit dans les quatre chapitres de la constitution Dei
Filius, soit dans les canons qui y sont annexés.
Ainsi, les canons 2« et 3« De revelatione définissent,
avec la possibilité et l'utilité de l'ordre surnaturel en
général, la possibilité et l'utilité de la révélation.
Can. 2. Si guis diœerit péri non posse, aut non expe-
dire, ut per révéla tioneni divinani homo de Deo
cultuque ei exhibendo edoceatur, anathema sit,
Can. 3. Si quis dixerit hominem ad cognitionem et
perfectionem quae naturalem superet divinitus evehi
non posse, sed ex seipso ad omnis tandem veri et boni
possessionem jugi profectu pertingere posse ac debere,
anathema sit. Le 4» définit le caractère inspiré des
Livres saints : Si quis sacrss SciHpturm libros intégras
cum omnibus suis partibus, prout illos sancla Triden-
tina synodus recensuit, pro sax;ris et canonicis non
susceperit, aut eos divinitus inspiratos esse negaverit,
anathema sit.
De même, les quatre premiers canons dogmatiques
De fide définissent la dépendance essentielle de la rai-
son humaine à l'égard de Dieu et par conséquent le
caractère obligatoire de la foi; la notion propre de
l'assentiment de foi, en tant qu'il se distingue de l'assen-
timent rationnel; la nécessité et la valeur des critères
extérieurs de la révélation; la possibilité des miracles
et leur valeur comme critères du fait de la révélation.
Can. 1. Si quis dixerit ixttionem humanam Ha inde-
pendentem esse, ut fides ei a Deo imperari non possit,
anathema sit, — 2. Si quis dixerit fidem divinam a na-
turali de Deo et rébus moralibus scientia non distin-
gui, ac propterea ad fidem divinam non requiri ut
revelata veritas propter auctoritatem Dei revelantis
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243
DÉISME — DELBECQUE
244
a^edatur,anathema »i^ —3. Si qui* dixerit revelatio-
nem divinam extetmis signis credibilem fieri non
posse, ideoque sola interna uniuscu jusque experientia
aut inspiratione privala homines ad fidem nioveri
debere, anathema sit. — 4. Si quis dixerit niiracula
nulla fieri posse, proindeque omnes de iis narrationes,
etiani in sacra Scriptura contentas, inter fabulas vel
niythos ablegandas esse, aut miracula certo cognosci
nunquani posse, nec iw divinam religionis christianœ
origineni rite probari, anathenia sit,
EnOn, des deux premiers canons De fide et ratione,
Fun définit l'existence des mystères proprement dits, et
l'autre, l'obligation pour la science humaine de ne
point heurter les données de la révélation. Can. 1. Si
quis dixerit in revelatione divina nulla vera et pro-
pine dicta mysteria contineri, sed universa fidei dog-
niata posse per i*ationem rite excultani e naturalibus
principiis ifutelligi et demonstrari,unathema sit.—
2. Si quis dixerit disciplinas hunianas ea cum liber-
tate traclandas esse, ut earuni assertiones, etsi doc-
trines revelalm adversentur, tanquam verœ relinen,
neque ab Ecclesia proscribi possint, anathenia sit.
Outre divers ouvrages cités dans le cours de cet article, et les
écrits mêmes des déistes, on pounti consulter :
Sur le déisme et les déistes en général, A. Saintes, Histoire
du rationalisme, Paris, 1841; L. Noack, Die Freidenker, oder
die Reprâsentanten der religiôsen Aufklàrung in England,
Frankreich und Deutschland, Berne, 1853-1855; Trlnius. Frei-
denker- Lexikon, Leipzig, 175Ô; H. v. Bu8che,D/e freie reli-
giôse Aufklàrung, ihre Geschichte, ihre Hàupter, Darmstadt,
1846; Ch. de Rémusat, Philosophie religieuse : de la théologie
naturelle en France et en Angleterre, Paris, 1864; Franck,
Dictionnaire des sciences philosophiques, Paris, 1875, v» Déis-
me; VIgoui-oux, Les Livres saints et la critique rationaliste,
Paris, 1886, t. n ; G onialety Histoire de la philosophie, traid. de
Pascal, Paris, 1891, t. m et iv; Bergier, Le déisme réfuté par
lui-même, Paris, 1770, et Dictionnaire de théologie, 2- édit.,
Lille, 1830.
Sur le déisme anglais, Leland, A view ofthe principal de is-
tical writers that hâve appeared in England, Dublin, 1754.
trad. allemande de Schmidt et Meyenberg, Hanovre, 1755;
Lechler, Geschichte des englischen Deismus, Stuttgart, 1841 ;
Taine, Histoire de la littérature anglaise, Paris, 1863; Leslie
Stephen, History of english thoughtin the eighteenthcentury,
Londres, 1876; Ch. de Rémusat, L'Angleterre au xvur siècle :
études et portraits, Paris, 1856; Sayous, Les déistes anglais et
le christianisme, rationaliste, Paris, 1882; Ed. Engel. Ge-
schichte der englischen Litteratur (L iv, de Geschichte der
Weltlitteratur), Leipzig, 1884; L. Garrau, La philosophie reli-
gieuse en Angleterre depuis Locke jusqu'à nos jours, Paris,
1888; Tabaraud, Histoire du philosophisme anglais, 2 in-8».
Paris, 1806.
Sur les déistes français, La Harpe, Cours de littérature.
De la philosophie du xvur siècle, Paris, 1835, t. xvi-xvii,
xvni ; VlUemain, Cours de littérature française. Tableau du
xvin* siècle, Bruxelles, 1840; Amédée de Margerie, Théodicée,
3' édit., Paris, 1874, 1. 1.
Sur les déistes allemands, Vigouroux, La Bible elles décou-
vertes modernes, 6* édit.. Paris, 1896, 1. 1 : Esquisse du ratio-
nalisme biblique en Allemagne.
J. FORGET.
DELAMETDE BU88Y Adrien-Augustin, né dans
le Beauvaisis vers 1621 d'une illustre famille alliée à
celle de Retz. Après son doctorat en Sorhonne, 1650,
il s'attacha au cardinal de Retz, son parent, et le suivit
pendant quelques années dans sa vie errante. Revenu
ensuite à Paris, à la Sorbonne, il y mena une vie édi-
fiante, consacrée aux études et à diverses bonnes œu-
vres, notamment l'assistance des condamnés au dernier
supplice. Il mourut en 1691. Ses Résolutions de cas de
conscience ont été imprimées avec celles de Fromageau
en 1724; puis avec celles de son ami Sainte-Beuve, à la
suite du Dictionnaire de Pontas, 5 in-fol., 1732.
Feller, Biographie universelle, Paris, 1848, t. m, p. 176.
A. Ingold.
DELAN François Hyacinthe, théologien janséniste,
né à Paris en 1672, mort â Rouen en 1754. Il fit son
séminaire à Saint-Magloire et se fit recevoir docteur en
Sorbonne. Ms"* Colbert, archevêque de Rouen, l'attira
près de lui et le fit son théologal. Dans son enseigne-
ment il se montra toujours l'ennemi des jésuites. Par-
tisan des jansénistes, il signa le fameux Cas de con-
science, et pour ce fait, fut exilé à Périgueux, d'où il
revint après avoir rétracté .sa signature. Il fut appelant
de la bulle Unigenilus, mais se déclara contre les con-
vulsionnaires. En 1717, il fut nommé coadjuteur du
principal du collège du Plessis. Il obtint une chaire de
théologie en Sorbonne dont il fut privé en 1729. Parmi
les écrits de ce polémiste nous mentionnerons : Ré-
ponse au Plan général de Vœuvre des convulsioTis ,
in-4o, 1733, l'auteur du Plan général était Louis-Adrien
Lepaige; Dissertation tfiéologique adressée à un
laïque contre les convulsions, in-8«, 1733; Défense de
la Dissertation, 1734, en réponse à des remarques de
L.-A. Lepaige; Défense de la consultation signée par
trente docteurs de la faculté de Paris contre les con-
vulsions, in-4o; Lettres théologiques contre certains
écrivains censurés par M, de Senez; Réflexions judi-
cieuses sur les Nouvelles ecclésiastiques de il 36 à
il 31, in-4®; Défense de la différence des vertus théolo-
gales d* espérance et de charité, in-4«, 1744; Lettres
pour la défense de Vautonté et de la doctrine die l'Église
contre quelques nouveaux théologiens, in-i«; L'usure
condamnée par le droit naturel, in-12, Paris, 1753.
Nouvelles ecclésiastiques du 11 décembre 1755; Quérard, La
France littéraire, t. n, p. 436.
B. Heurtebize.
DÉLATION. La délation est la manifestation des actes,
des sentiments, des pensées d'autrui, faite dans le but
d'attirer sur la personne dénoncée la colère ou l'hostilité
de la pers'onne à qui l'on dénonce. La médisance, la
calomnie, la violation des secrets que l'on devrait res-
pecter, sont les armes ordinaires du délateur. La déla-
tion est donc une médisance, une calomnie, une viola-
tion du secret, que complique, au point de vue moral,
la malice spéciale de la haine qui l'inspire et du but
que l'on cherche. C'est donc une faute doublement
contraire à la charilé et à la justice. Sa gravité, dépen-
dant de l'acte qui la constitue ou du but poursuivi, se
jugera d'après les règles générales qui permettent d'ap-
précier la malice de la médisance, de la calomnie, de
la révélation des secrets, et d'après les principes qui
déterminent la gravité des manquements à la charité.
Si le délateur arrive à son but et fait au prochain le tort
qu'il désire, il est tenu à la réparation comme tous ceux
qui ont porté préjudice aux intérêts d'autrui.
La délation diffère de la dénonciation. Voir ce mot.
V. Oblet.
DELBECQUE ou D'ELBECQUE Norbert, domi-
nicain, né à Braine-le-Comte (Brabant méridional) en
1651. Il prit l'habit de l'ordre dans le couvent de cette
ville ; il étudia les lettres à Lierre, puis la théologie à
Louvain. Licencié, il part à Rome continuer ses études.
De retour en Belgique en 1693, il est fait maître des
étudiants au studiitm de Douai. Maître en théologie,
il est envoyé par le général de son ordre à l'abbaye de
chanoines-réguliers de Saint-Augustin de Herzogen-
raid, dans le Limbourg. En 1700, appelé à Rome en
qualité de socius du général, il fait partie du collège
des théologiens de la Casanate. Il revint en Belgique
en 1707, avec les fonctions de regens primarius à la
faculté de théologie de Louvain (1708). Il exerça cette
charge jusqu'en 1712. Élu prieur du couvent de Namur,
il y mourut le 14 novembre 1714. Tous les écrits de
Delbecque se rapportent aux disputes du temps. On a
de lui : lo De adverlantia ad peccandum necessaria,
in-S», Liège, 1696; c'était la réponse a la fameuse thèse
De peccato philosophico, soutenue au mois de juin 1686
au collège des jésuites de Dijon et condamnée par
Alexandre VIII, le jeudi 2i août 1690, en deux proposi-
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215
DELBECQUE — DÉLECTATION MOROSE
246
lions; S^ Dissolutio sctiemalis Wyckiani biparliti de
prtedestinatione, in-12, Anvers, 1708; 3« Thèses de locis
theologicis iUustratœ, etc. [8 mars 1710|, in-8®, Lou-
vain, 1710; 4« De inconcussa SS. Augustini et Thoniœ
doctrina atque irrefragabili auctoritale in maleria
prœsertim de gratia, etc., in-8», Louvain , 1711 ;
ïfi Thèses theologicsRdexmpedxmentxsmatrimonu,\n'Vi^
Loarain, 1710; 6« Vindicise gratis divinœ adversus
twvo^antiqtios ejvs impugnatores ad menteni gemini
EcclesuB solis SS, Aurelii Augustini et Thomœ Aqui-
natis, in-8», Bruxelles, 1711; 7« Thèses polemicœ de
justificatione et merito, etc., in-8«, Louvain, 1712;
S» Appendix cul thèses polemicas de justificatione et
merito, etc., in-S», Louvain, 1712. Delbecque s'occupa
aussi d^éditions ou de rééditions d'ouvrages théologi-
ques. Citons : l» Eximii D, Francisci Silvii a Brania
coniitii fidelissimi S. Thomm Aquinatis interpretis
opéra, 6 in-fol., Anvers, 1698; les deux premiers tomes
contiennent : Silvii optiscula de primo motore, de statu
hominis post peccatum, orationes theologicœ contro-
persiœ fidei, resolutiones varim. Item commentaHa
in Genesim et Exodum jam antea édita, tum ejus-
denx comnxentai*ia in Leviticumet Numéros nunc ptn^
mum édita; les quatre derniers tomes 'contiennent les
Commentaria in universam S. Thomas Summam;
2» K. A, P. F. Natalis Alexandre S, T. M, Theologia
nxoralis in compendium redacta, Rome; S" Historia
congregationum de auxiliis divinœ gratiœ sub summis
pontificibus Clémente Vlll et Paulo V, auctore
D. A. P. Jacobo Hiacintho Se»Ti/ 5. T. M^ Editio
altéra auctior, in-fol., Anvers, 1709. EnOn le P. Del-
becque avait entrepris sur les mss. une réédition de
saint Thomas : Summa S, Thomas de Aquino ad anti-
guiores codices mss. recognita. L'impression de cet ou-
vrage fut presque aussitôt abandonnée que commencée.
Ecbard, Scriptores ordinis prsRdicatorum, t. ii, p. 788 ; Rei-
chert, Acta capilulorum generalium ordinis prœd., 1903,
t. viu« p. 332 ; de Jonghe, Belgium dominicanum, 1719, p. 367-
368.
R. Ck)ULON.
DÉLECTATION MOROSE. - L Nature. II. Malice.
IIL Cas particuliers.
L Nature. — La délectation morose, disent commu-
nément les théologiens, consiste à se complaire volon-
tairement dans un objet mauvais auquel on pense, sans
intention d'ailleurs de traduire cette pensée en acte.
Dans le langage des fidèles, la délectation morose ré-
pond aux péchés par pensée.
1* La délectation morose est essentiellement un acte
de la volonté libre, acte de complaisance et non point
de désir, comme l'explique Sanchez, Opus morale,
1. 1, c. II, n. 1 : on peut vouloir, dit-il, ou bien se
procurer une chose qui plaît, et alors il y a volonté
efficace, ou bien se complaire dans cette chose , sans
désirer se la procurer, et c'est là ce qu'on appelle dé-
lectation morose. Ce nom ne signifie pas qu'il faille un
certain temps (mora) pour que cette délectation existe;
comme pour les autres péchés, un instant suffit; mais
il indique que la volonté y conFent pleinement et li-
brement. La délectation morose, dit plus explicitement
saint Thomas, Sum, theol., II» II», q. lxxiv, a. 6,
ad 3'", est ainsi appelée parce que la raison délibérante
(ce qui suppose l'advertance du sujet et la connaissance
de la malice de l'objet), au lieu de repousser immédia-
tement, comme il le faudrait, l'objet mauvais dont la
pensée se présente à elle, s'y arrête (immoratur)^ le
retient et s'y attache librement. Il suit de là que la délecta-
tion morose est tout à fait distincte de la délectation pure-
ment sensible, si l'on appelle ainsi celle dont l'appétit
inférieur ou sensitif est le siège. Il est vrai que le plus
souvent b délectation sensible accompagne la délecta-
tion morose, mais il est aisé de voir que, même dans
cet circonstances, les deux sortes de délectation ne se
confondent aucunement. Tantôt, en effet, la délectation
sensible, suscitée dans l'appétit inférieur par les sens
ou par l'imagination, se répercute, vu l'identité du
sujet sentant et pensant, dans la partie rationnelle de
l'homme et le sollicite au mal ; or, jusque-là et tant
que la volonté n'a pas librement consenti, il n'y a point
de délectation morose. Tantôt, au contraire, l'homme,
en excitant lui-même ses passions, provoque volontai-
rement la délectation sensible, S. Thomas, ibid., a. 6;
ici encore, il n'y a pas de confusion possible, puisque
la délectation sensible est alors un effet directement
voulu de la délectation morose. Tout ceci s'applique
à toutes les passions de l'homme comme à tous les
genres de délectation sensible, quoique les théologiens
se soient généralement bornés à envisager, à la suite
de saint Thomas, le cas particulier où la délectation
morose est jointe à la délectation propre à la concupis-
cence charnelle, parce que ce cas est de beaucoup le plus
fréquent. Suarez, De peccatis, disp. V, sect. vir, a. 1.
2» En soi, le surnom de morose pourrait désigner
aussi bien la délectation volontaire dont l'objet est bon
que celle dont l'objet est mauvais, mais, en fait et par
définition, c'est uniquement à cette dernière que
ce surnom s'applique. Or, cet objet peut être présent
à l'homme et agir sur lui de deux différentes façons :
1. extérieurement, c'est-à-dire lorsqu'il impressionne
les sens extérieurs et détermine ainsi la délectation
sensible correspondante ; dans ce cas, si la volonté est
consentante, il y a péché extérieur, par regards, par
action, etc., mais non par délectation morose; 2. inté-
rieurement, c'est-à-dire lorsque la délectation sensible
est provoquée non plus de l'intérieur, par l'objet lui-
même, mais par son image ou son idée, comme il a été
dit ci-dessus. C'est seulement dans ce cas qu'il y a dé-
lectation morose, le consentement de la volonté à la
délectation sensible ainsi produite étant toujours suppo-
sé. La délectation morose est donc un péché purement
intérieur.
3« On a déjà vu ci-dessus comment la délectation
morose diffère du désir. On se l'explique mieux encore
si l'on observe que le désir meut la volonté vers un
objet convoité, tandis qu'au contraire la délectation
morose fixe la volonté sur l'objet intérieurement pré-
sent qui cause la délectation à laquelle elle consent.
Le désir est donc essentiellement relatif au présent,
tandis que la délectation morose se rapporte au présent
ou même, sous un certain sens, au passé. Il est logi-
que, en effet, de rattacher à la délectation morose, car
elle en contient tous les éléments, ce que les théolo-
giens appellent la joie, c'est-à-dire l'acte de se réjouir
volontairement du souvenir d'un péché autrefois com-
mis. Néanmoins, de la délectation morose on passe fa-
cilement au désir et à l'acte extérieur qui est le terme
du désir, car, selon la remarque de saint Thomas, De
veHtate, q. xv, a. 2, celui qui consent à la délectation
sensible, en vient facilement à vouloir l'acte lui-même
afin de jouir plus parfaitement de celte délectation.
Voir Désir.
II. Malice. — l» Le consentement à la délectation
de la pensée, née d'un objet mauvais intérieurement
présent, est-il vraiment un péché, ou, du moins, s'il y
a péché, n'est-il pas simplement véniel? Quelques-uns,
répond saint Thomas, Sum. theol., I» II», q. lxxiv,
a. 8, ont soutenu que ce consentement est seulement
une faute vénielle; d'autres, dont l'opinion est plus
commune et plus vraisemblable, ont dit qu'il est une
faute mortelle (étant supposé, naturellement, que l'objet
de la délectation soit gravement mauvais). Puis, le
saint docteur montre comment la question proposée
peut se comprendre de deux façons différentes : au
premier sens, il n'y a point de délectation morose et
le consentement est licite ou, s'il y a faute, elle n'est
que vénielle; au second sens, il y a délectation morose
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DÉLECTATION MOROSE
248
et, en matière grave, la faute est toujours mortelle, de
sorte que chacune des deux opinions contient une part de
vérité. De son côté, Suarez, De peccatis, disp. V,
sect. VII, n. 6, déclare que la première opinion (en
tant qu'elle s'appliquerait à la délectation morose) n*a
pour elle aucune probabilité et a contre elle l'unani-
mité des théologiens, attendu qu'elle autorise les pas-
sions et conduit les âmes à leur perte.
2o L'explication donnée par saint Thomas, De vert-
tate, q. xv, a. 4, peut se résumer comme il suit.
1. Toute délectation est la conséquence d'un acte; ainsi,
de même que l'acte de la fornication produit une dé-
lectation sensible, la pensée de la fornication engendre
une certaine délectation intérieure. Or, celle-ci peut
être de deux espèces, car on peut se délecter ou de
la pensée que l'on a, eu tant qu'elle est un exercice intel-
lectuel, ou de la fornication à laquelle on pense. Cette
distinction est manifeste, lorsqu'il ne s'agit pas de péchés
charnels, mais s'il est question de ceux-ci, elle est
moins apparente, vu que, par suite du dérèglement de
notre nature, dès que l'on pense à ces c))oses, elles
mettent la concupiscence en mouvement. Il n'en est
pas moins vrai que la délectation intellectuelle qui suit
la pensée, en tant que pensée, n'est pas du tout du
même genre que la délectation sensible causée par
l'acte extérieur, objet de cette pensée. C'est pourquoi
«e délecter intellectuellement, au sens qui vient d'être
dit, n'est pas en soi une faute mortelle : ainsi, on ne
pèche aucunement quand on étudie des matières dange-
reuses en vue d'un but utile, tel que celui de la prédi-
cation, de la confession, etc., et, lors même qu'on l'au-
rait recherchée, uniquement par curiosité, la délectation
intellectuelle ne serait qu'un péché véniel. — 2. Il en
est autrement de celui qui, pensant à un acte grave-
ment mauvais, par exemple, à la fornication, se dé-
lecte de la fornication elle-même, car alors la délecta-
tion à laquelle il consent est de même nature que
celle qui résulterait de l'acte même delà fornication et,
par suite, elle tombe sous la même défense. Du reste,
lorsqu'on se délecte, bien qu'en pensée seulement, d'un
acte mauvais, cela vient de l'inclination que l'on a pour
cet acte; consentir à cette délectation, c'est donc
consentir à cette inclination, autrement dit, c'est ap-
prouver l'acte auquel cette inclination porte; consé-
quemment, si l'acte est gravement mauvais, le consen-
tement en question sera également un péché mortel.
Ces divers arguments de saint Thomas se retrouvent
chez tous les maîtres de la théologie. Voir Ballerini,
Opus morale, tr. IV, n. 93 sq. — 3. Il a été dit plus
haut que la délectation intellectuelle n'est pas en soi
une faute mortelle ; mais il n'en est plus ainsi, lorsque
le sujet est exposé au danger prochain de consentir à
la délectation sensible qui natt spontanément de la
pensée de certains actes mauvais. Dans ce cas, se dé-
lecter intellectuellement, même pour un motif légi-
time, de la pensée d'actes gravement mauvais, serait
une faute grave, puisque ce serait s'exposer gravement
au danger de pécher mortellement.
3® Mais alors, comment distinguer le cas où le sujet
se délecte, non pas seulement de sa pensée, mais bien de
l'acte mauvais auquel il pense? On a vu ci-dessus que,
d'après saint Thomas, celte distinction est difficile à faire
lorsque l'objet est du domaine de la concupiscence
charnelle; aussi, tout en posant à ce sujet certaines
règles pratiques, les théologiens ont soin de déclarer
qu'aucune n'est infaillible. Ces règles se résument à
considérer, conformément à l'enseignement de saint
Thomas, Sum, theoL, I» II», q. lxxiv, a. 6, l'intention
et l'inclination du sujet. Cf. Suarez, Depeccatis, disp. V,
flect. VII, a. 8. — 1. L'intention : ainsi, lorsqu'on entre-
tient la pensée d'un acte mauvais, si c'est pour un bon
motif, surtout pour un motif professionnel, il est bien
probable que le plaisir que l'on y prend est dû à la pensée
seule ; au contraire, si le motif est mauvais ou s'il est
inexistant, on sera fondé à croire que le plaisir ressenti
provient de l'objet mauvais. Cependant cette règle est
sujette à erreur. Il n'est pas toujours permis de s'occu-
per, même pour un bon motif, des choses en question,
puisqu'il faut en outre, sous peine de faute grave, que
l'on ne courre pas le danger de consentir au plaisir
mauvais dont la tentation se fait si facilement sentir
dès que l'on s'occupe de ces choses. D'autre part, celui
qui s'occupe de ces choses pour un motif répréhensible,
tel que la vanité, le désœuvrement, la curiosité, commet
sans doute une faute, mais elle n'est, en soi, que
vénielle. — 2. L'inclination : par exemple, chez les
habitués de la luxure, la délectation consciente éprou-
vée en présence d'une pensée déshonnête doit, jusqu'à
preuve du contraire, être présumée de mauvais aloi.
4° Il arrive que l'objet mauvais se présente sous des
dehors dont la perfection artistique, l'ingéniosité, la
singularité, etc., arrêtent la pensée, sans qu'elle se
porte, du moins volontairement, sur l'objet lui-même.
Il s'agira par exemple de peintures ou de statues
remarquables au point de vue artistique, mais qui
offensent la pudeur; de romans, pièces de théâtre et
autres écrits contenant des pages licencieuses, mais
d'une belle forme littéraire ; de faits divers relatant des
crimes perpétrés d'une façon curieuse; de fautes qui
présentent certains détails amusants, etc.; est-il permis
de prendre plaisir à ces accessoires, nonobstant la
malice de l'objet principal ? Cela est permis sans aucun
doute, mais à la condition expresse que l'on n'ait pas
l'intention de provoquer par ce moyen la délectation
illicite qui viendrait de l'objet lui-même et qu'il n'y
ait point de danger prochain que l'on consente à cette
délectation au cas où elle se produirait sans qu'on l'ait
voulu. La portée de ces restrictions est générale;
toutefois, elles visent particulièrement, par les raisons
déjà dites, la délectation sensible propre à la concupis-
cence charnelle et, à ce point de vue, elles sont de la
plus grande importance. Pour les bien interpréter, il
fiautse référer aux règles ci-dessus exposées, car elles
sont entièrement applicables ici. Deux points cependant
sont à noter : 1. A cette question : comment reconnaître
quand le sujet se délecte non de la beauté, etc., de la
forme, mais du fond déshonnête qu'elle recouvre? beau-
coup de théologiens, cf. Salmanticenses, tr. XX, c. xiii,
n. ^, répondent qu'il en est ainsi quand, à égalité de
perfection de la forme, le sujet prend plus de plaisir
aux choses qui excitent la concupiscence qu'à celles
qui sont parfaitement honnêtes. Mais Ballerini, Opus
morale, tr. IV, c. i, n. lOi, pense avec raison que cette
règle souffre des exceptions. De ce que, par exemple,
le sujet lit avec plus de plaisir, parmi les productions
littéraires, celles qui sont risquées, on peut sans doute
inférer qu'il éprouve un penchant pour les choses qui
délectent l'appétit inférieur, penchant naturel à l'homme
déchu, mais cela ne suftit point à établir que chez le
sujet ce penchant est délibéré et par suite coupable.
La seule conclusion légitime est que le sujet ressent,
au cours de sa lecture, deux délectations différentes
qui sont sans rapport l'une avec l'autre; l'une, de na-
ture esthétique, due à la beauté de la forme et dont il
jouit de son plein gré et fort licitement, l'autre, due
au fond déshonnête et à laquelle il reste libre de ne
pas consentir, nonobstant le penchant indélibéré qu'il
a pour elle. •— 2. Au sujet du danger de consentir à la
délectation née de l'objet mauvais dont on goûte la
forme, il est à remarquer que pour apprécier saine-
ment la gravité de ce danger, il faut tenir grand compte
de la susceptibilité du sujet. Il suffit souvent de très
peu de chose pour créer un danger grave à des jeunes
gens, à des sujets adonnés à la luxure ou dont le pen-
chant à ce vice est secondé par un tempérament tr^s
impressionnable ; au contraire, il est des personnes qui
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DÉLECTATION MOROSE — DÉLÉGATION
250
en raison de leur Age, ou d'une vertu longtemps
exercée, ou d'un tempérament peu excitable, sont
réfractaires là où quantité d'autres succombent.
Cf. Salmanticenses, tr. XXVI, c. vu, n. 40. Néanmoins
il reste vrai que, pour la généralité des sujets, le péril
varie beaucoup selon la nature de l'objet. Cf. Salman-
ticenses, Cursus théologiens, tr. XIV, disp. X, n. 274.
5^ D'après ce qui précède, se délecter volontairement,
bien que d'une façon purement intérieure, d'un acte
mauvais, est un péché de même nature que si l'on
commettait l'acte lui-même. — 1. Il ne suffit donc pas,
quand on a péché mortellement par délectation morose^
de s'accuser en confession d'avoir consenti à une mau-
vaise pensée, mais il faut encore déclarer la nature
spécifique de cette pensée ainsi que toutes les circon-
stances que l'on serait obligé de confesser si l'acte
extérieur avait été réellement commis. Si donc, pour
reprendre l'exemple choisi par saint Thomas, il y a eu
délectation morose en matière de fornication, c'est ce
genre de péché, bien que commis en pensée seulement,
que l'on devra accuser. On devra de même déclarer toutes
les circonstances numériques ou spécifiques de ce péché ;
donc, si la personne qui s'est délectée intérieurement
de la fornication était liée par le vœu de chasteté, elle
aurait à s'accuser de la violation de son vœu ; pareille-
ment, si la pensée de fornication à laquelle elle a
consenti avait visé expressément une personne mariée,
la circonstance d'adultère ne devrait pas être omise en
confession. S. Alphonse, Theol. nwr., 1. V, n. 15 et 28.
Mais il est clair que l'obligation de confesser les cir-
constances inhérentes à l'objet de la pensée n'existe
que pour celles auxquelles le sujet a expressément
pensé et voulu consentir, puisque c'est sur celles-là
seulement que la délectation morose a porté. De Lugo,
De psenilentia, disp. XVI, n. 363 sq. — 2. Toutefois, en
cette matière, il y a loin de la théorie à la pratique.
Le grand nombre des fidèles confond les diverses sortes
de péchés intérieurs, et, à plus forte raison, les diffé-
rentes espèces de mauvaises pensées, de sorte qu'en
fait, l'obligation de confesser les circonstances spéci-
fiques n'existe pas et que les interrogations du confes-
seur seraient sans utilité, ou même, en matière déli-
cate, ne seraient pas sans danger. Berardi, Praods con-
feuarii, t. ii, n. 52 sq. On ne peut guère apprendre à
ces pénitents qu'à distinguer les mauvaises pensées
des mauvais désirs et obtenir d'eux qu'ils accusent s'ils
y ont consenti et combien de fois. Génicot, TheoL mor.
institut., tr. IV, n. 175.
&> La malice de la délectation morose provient donc
de ce qu'il n'est pas plus permis de prendre plai-
sir au mal en y pensant qu'en le faisant. Ce principe
est absolument vrai des objets ou actes qui sont intrin-
sèquement mauvais, c'est-à-dire opposés au droit natu-
rel, mais il ne s'étend pas aux choses ou actions qui
ne sont mauvaises que parce qu'une loi positive les
défend. La raison de cette différence est que la loi
positive ne réglemente que l'acte extérieur; d'où il suit
que la délectation intérieure, permise quand elle porte
sur une action non opposée à la loi naturelle, reste
permise quand même cette action serait défendue par
une loi positive, à moins cependant qu'on ne se délecte
de cette action présisément parce qu'elle est défendue.
Cette dernière restriction est évidemment logique, car
la délectation porterait alors sur un objet intrinsèque-
ment mauvais, sur la violation de la loi. Cette doctrine
est commune parmi les théologiens. S. Alphonse, Theol.
mor., 1. V, n. 27. Le précepte de l'abstinence offre une
application classique de cette observation. Il est inter-
dit d'user à certains jours d'aliments gras, mais il n'est
nullement défendu de se délecter ces jours-là en pen-
sant au plaisir que l'on aurait à user de ces aliments,
s'ils étaient permis. Il n'y aurait péché que si on se
délectait à la pensée d'user de ces aliments précisé-
ment en un jour prohibé parce que ce serait du fruit
défendu. Laymann, 1. VIII, t. i, n. 114 sq.
III. Cas particuliers. — l^ Est-il permis de se ré-
jouir du bien qui est résulté d'un acte mauvais? Oui,
disent les théologiens, pouvu qu'on ne se réjouisse
pas aussi de la cause mauvaise d'où ce bien est sorti.
Sous cette réserve, en effet, la délectation a unique-
ment le bien pour objet. C'est ainsi que nous nous
réjouissons de la mort de Jésus-Christ, tout en détes-
tant le déicide.
2» N'est-il jamais permis de se réjouir d'un péché
d'où un effet bon est sorti? Non, cela n'est jamais per-
mis, quand même ce serait uniquement à cause du bon
effet qui est résulté de ce pâché, car se réjouir du
péché, c'est l'approuver. Il n'est donc pas permis de se
réjouir de ce qu'Adam a péché, si grand que soit le
bien qui s'en est suivi ; mais cela n'empêche pas que
l'Église puisse dire de ce même péché : heureuse
faute qui a mérité d'avoir un si grand rédempteur!
attendu que l'Église se réjouit ici non de ce que la
faute a eu lieu, mais de ce que cette faute ayant eu
lieu (ce qu'elle déplore) il en est résulté un si heu-
reux effet. Cf. Lessius, De justitia et jure, 1. IV, c. m,
n. 194.
3o Peut-on licitement se réjouir d'un acte mauvais
qui cependant n'a pas été un péché par suite de la non-
advertance, de l'ignorance, etc., du sujet, quand un bon
effet est résulté de cet acte? De l'avis de tous les mora-
listes, on ne peut jamais se réjouir de cet acte en lui-
même, car, bien qu'il n'y ait pas eu péché, Tacte pris
en lui-même n'en reste pas moins objectivement
mauvais. Mais, disent entre autres Suarez, De peccatis,
disp. V, sect. vu, n. 14, et Lessius, loc, cit., il est par-
fois permis de se réjouir de cet acte en tant qu'il a eu
lieu et même de le désirer entant que cause d'un effet
qui n'a rien de condamnable en soi. Saint Alphonse,
Theol. mor., 1. V, n. 20, est d'un avis opposé. Toutefois,
plusieurs des auteurs cités par lui ne parlent que du
cas où l'on se réjouirait de l'acte considéré en lui-
même; quant à la proposition 15« condamnée par
Innocent XI, Denzinger, n. 1039, elle n'a pas la por-
tée que lui attribue saint Alphonse. Nous avons dit
qu'il est parfois, donc non pas toujours, permis de se
réjouir à cause de ses bonnes conséquences d'un acte
mauvais qui n'a pas eu lieu, sans qu'il y ait péché.
Cela cesse d'être permis lorsqu'il s'agit d'un mal subi
par le prochain et qui, selon l'ordre de la charité,
l'emporte sur le bien qui en est résulté. C'est précisé-
ment en ce sens que doit s'expliquer la condamnation
de la proposition 15« mentionnée ci-dessus. Cette pro-
position disait : « Il est permis à un fils qui, étant en
état d'ivresse, a tué son père, de se réjouir de ce par-
ricide à cause du gros héritage qu'il a recueilli. »
Cette proposition a été justement proscrite, parce que,
eu égard à l'ordre de la charité, il n'était pas permis
au fils de préférer l'héritage à la vie de son père.
Ballerini, Opus morale, tr. IV, n. 129.
S. Thomas, Sum. theol., l' II-, q. xxxi, lxxtv ; U' II", q. cliv,
a. 4; q. clxxx, a. 7; De veritate, q. xv, a. 4; Sanchez, In de-
calog., I. I, c. II ; Suarez, De peccatis, disp. V, sect. vu ; Lay-
mann, Theol. moralis, 1. VIII ; Lessius, De justitia et jure,
I. IV, c. m; Lugo, De psenitentia, disp. XVI; Salmanticenses,
Cursus theol. dogm. et moralis, tr. XX, c. xiti ; S. Alphonse,
Theologia moralis, 1. V, n. 12-30; Ballerini, Opus morale,
tr. IV, c. I, dub. III.
H. MOUREAU.
DÉLÉGATION. — I. Notion et différentes espèces.
II. Principes généraux.
I. Notion et différentes espèces. — 1® Notion. —
La délégation (legare, envoyer, de, de) est l'action de
déléguer. Or déléguer, en général, veut dire commettre
quelqu'un avec pouvoir d'agir au nom d'un autre. Au
sens strict, la délégation est un acte de juridiction
par lequel est confiée à quelqu'un une part d'autorité
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DELEGATION
252
qui doit être exercée, non point à titre propre et per-
sonnel, mais au nom du déléguant, et en vertu même
de la commission dont elle émane.
La juridiction déléguée est opposée à la juridiction
ordinaire qui, elle, ne découle point d'une commission
transitoire, ri commissionis, mais, au contraire,
appartient à quelqu'un en propre, à titre ordinaire et
permanent, et en vertu de la charge, vi muneris, à
laquelle elle est de droit attachée.
Le délégué diflëre du légat et aussi du simple exé-
cuteur. En effet, le légat (voir ce mot) acquiert son
pouvoir à titre ordinaire, et en vertu de son office,
quoiqu'il doive toujours l'exercer au nom de celui qui
l'envoie, c'est-à-dire, dans l'espèce, au nom du souve-
rain pontife. Le simple exécuteur (voir ce mot) est ce-
lui qui pourvoit, auprès des parties intéressées, à l'ap-
plication d'une grâce déjà faite, ou d'une sentence déjà
prononcée, sans avoir à exercer une juridiction propre-
ment dite sur le fond de la cause qui lui est confiée,
c'est-à-dire à décréter si, par elle-même, l'affaire en
question est, oui ou non, conforme au droit. Cepen-
dant, il peut arriver que l'exécuteur, avant de procurer
l'exécution de la grâce déjà accordée, ou de la sen-
tence fondamentale déjà rendue, soit chargé de con-
naître et même de juger s'il y a lieu de procéder ou de
surseoir à cette exécution; dans ce cas, l'exécuteur
est appelé mixte, executor mixtu9 : telle est le plus
souvent, on le sait, la condition des ordinaires qui
sont chargés par le Saint-Siège de procéder à l'exé-
cution des rescrits et lettres apostoliques, par exemple,
pour les dispenses matrimoniales, avec la clause :
cognita vejHtate precum. Voir Empêchements de ma-
riage.
Quant au délégué lui-même, il est investi d'une ju-
ridiction véritable sur la cause tout entière qui lui est
commissionnée; toutefois, il ne peut se prévaloir de
son autorité à titre ordinaire et personnel, mais seule-
ment en vertu et dans les limites du mandat qu'il a reçu.
Le délégué, lorsque le droit n'y met pas obstacle,
peut à son tour commettre quelqu'un pour le rem-
placer, en tout ou en partie, dans le mandat qui lui a
été confié. C'est ce qu'on appelle la sous-délégation
qui n'est pas autre chose qu'une délégation médiate.
Voir les Décrétallstes dans leurs commentaires du 1. I,
tit. XXIX, De offlcio et potestate judicis d^legati, spécialement;
De Angelis, n. 3 sq.; Santi, n. 2 sq.; Sebastianelli, De personis,
part I, c. II, n. 99 aq.
2« Espèces, — On distingue plusieurs espèces de
délégation. — 1. La délégation peut être faite par le
droit, delegatio a jure, ou par l'homme, delegatio ab
homine, selon qu'elle émane directement des disposi-
tions du droit commun, ou immédiatement de la volonté
d'un homme qui jouit de la juridiction ordinaire et est
autorisé par le droit à en confier l'exercice à une autre
personne. C'est ainsi qu'il existe plusieurs exemples
de délégations accordées par le droit aux évêques qui
procèdent alors comme délégués du siège apostolique,
tanqtMm sedis apostolicœ delegati : tel est le pouvoir
délégué aux évêques par le concile de Trente, sess. xxi,
c. 4 et 5, De reform., touchant le démembrement des
paroisses ou leur union avec d'autres bénéfices, et
sess. V, c. 1 ; sess. vi, c. "2, De reform., décret con-
firmé par la constitution Romanos pontifices du 8 mai
1881, à l'égard de religieux qui jouissent du privilège
de l'exemption. Notons en passant que l'effet juridique
de cette délégation accordée par le droit aux évêques
tanquam sedis apostolicœ delegati, est qu'on ne peut,
dans tous ces cas, interjeter appel de la sentence de
l'évêque au tribunal du métropolitain, mais seulement
au souverain pontife lui-même. A noter aussi que sou-
vent, par exemple dans les décrets du concile de Trente,
sess. XXI, c. 4; sess. xxii, c. 10; sess. vi, c. 4, De
reform., le pouvoir délégué aux évêques ne vient que
s'adjoindre, pour l'appuyer, au pouvoir ordinaire exis-
tant déjà sur le même objet; la clause porte alors eliar}2,
qui plus est, tanquam sedis apostolicœ delegati, et,
dans ce cas, l'évêque peut aussi bien procéder en
vertu de son pouvoir ordinaire qu'au nom de la délé-
gation qui lui a été octroyée. Cependant, en entrant
en action, l'évêque doit 8i};nifier de quel pouvoir il
entend user, et, s'il ne fait qu'exercer son pouvoir
ordinaire, l'instance en appel s'adressera au métropo-
litain; si, au contraire, il agit en vertu de sa déléga-
tion, le recours pourra exister seulement auprès du
souverain pontife. Cf. Santi, loc. cit., n. 3; Sebastia-
nelli, lac, cit., n. 100.
2. La délégation peut être expresse ou tacite et
présumée. Elle est expresse, si elle est formellement
comprise dans les dispositions du droit ou dans le man-
dat spécial du déléguant. Telle est, à titre d'exemple, la
délégation du pouvoir de dispenser dont jouissent les
évêques, touchant certains empêchements de mariage
(voir Empêchements de mariage), en vertu du concile
de Trente, sess. xxiv, c. 1, De reform. mairim., et du
décret de Léon XIII, du 20 février 1888; expresse aussi
est la délégation accordée aux évêques à propos des
empêchements de mariage par les divers induits
apostoliques valables pour un an, trois ans, cinq ans.
La délégation est tacite ou présumée, lorsqu'elle est
basée sur une interprétation légitime du silence du
déléguant en véritable consentement, ou sur une
présomption juridique de ce consentement, étant don-
nées certaines conditions et circonstances bien définies.
Telle est la délégation du pouvoir de dispenser accordée
aux évêques pour les empêchements prohibants du
mariage que le Saint-Siège ne s'est point réservés, pour
les empêchements douteux en fait, dubio facti, et
pour les empêchements occultes, lorsque se trouvent
à la fois réunies certaines circonstances qui, connues
du souverain pontife, feraient que celui-ci accorderait
certainement aux évêques la faculté de dispenser. Voir
Empêchements de mariage.
Cf. De Justis, De dispensationibus matrimonialibus, 1. II,
c. II, n. 92; Reiffenstuel, Append, ad l. IV, de disp. matrint.
n. 43 sq., 59 sq. ; Pyrrhus Corradus, Praxis dispîerwUionum
apoêtolicarum, 1. VIII, c. ix, n. 40; Benoit XIV, De synodo
diœcesana, 1. IX, n. 2.
3. La délégation peut être octroyée à quelqu'un soit
en raison de la dignité dont il est revêtu ou de la
.charge qu'il occupe, tntione dignitatis vel of/icii,
par exemple à l'évêque de Troyes, episcopo Trecensi,
soit d'une manière personnelle, avec la désignation
expresse de son nom, sans que par ailleurs il soit tenu
compte de la dignité ou de la charge qu'il peut occu-
per, ratiàne personœ. Dans ce second cas, le déléguant
est censé s'être laissé guider dans son choix par les
qualités personnelles du délégué, electa industria per^
sonœ.
4. La délégation peut être faite soit pour toutes les
causes, ad universitatem causat^m, au moins dans un
certain genre, par exemple, pour les causes bénéfi-
ciales, soit seulement pour une ou plusieurs causes
particulières bien déterminées, cui unum negotium.
5. Enfin la délégation peut être accordée à une seule
ou à plusieurs personnes, et, dans ce dernier cas, la
commission peut être faite de deux manières, ou bien
de façon solidaire, in solidum, en sorte qu'il suffise
qu'un seul des délégués opère pour que tous les autres
se trouvent par le fait même engagés, ou bien simple-
ment et en société, simpliciter, coltegialiter, en sorte
qu'il soit nécessaire que tous les délégués procèdent
ensemble par une action commune, pour que l'exercice
du pouvoir délégué soit juridiquement valable. Cf. lit,
cit.. De of/icio judicis delegati, c. 21.
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DÉLÉGATION
254
II. Principes oênéraux. — !• Concession du pouvoir
délégué. — l. Qui peut déléguer 9 — Peuvent déléguer
tous ceux qui possèdent la juridiction ordinaire, à moins
qu'il ne s'agisse de causes exceptées par le droit. Tel
est le principe' consacré par Boniface VIII, 1. 1, tit. xvi,
Deofficio ordinarii, c. 6, in 6<>, où il est dit que Tévéque,
jouissant de la juridiction ordinaire dans tout son
diocèse, peut y exercer partout son pouvoir judiciaire,
et, d'une manière générale, tout ce qui regarde son
propre office, aussi bien par un autre que par lui-
même : Quum cpiscopus in tota sua diœcesi juridictio-
nem ordinariani noscatur habere, dubium non exi-
stit, quin in quolibet loco ipsius diœcesis non exempto
per se vel per alium possit pro tribunali sedere,..
necnon et cetera, qum ad ipsius spectant officxum,
libère exercere. Le même pape confirme ce décret dans
les régies du droit, in G», lxviii, Potes t quis per alium
quod potest facere per seifisum, et ibid., Lxxii : Qui
facit per alium, est perinde ac si facial pet* seipsum.
Cependant le droit vient parfois faire exception à ce
principe, et exiger, en certains cas, que l'ordinaire
s'acquitte par lui-même de son oflice. Un exemple nous
en est fourni par le concile de Trente, sess. xxiv, c. 6,
De refomi., lequel, tout en accordant aux évéques le
poufoir d'absoudre, soit par eux-mêmes, soit par leur
vicaire spécialement délégué à cet effet, de tous les cas
occultes, même réservés au souverain pontife, excepte
le cas d'bërésie, où il leur impose de ne donner l'abso-
lution que par eux-mêmes, et non par un délégué. En
outre, l'ordinaire ne saurait déléguer son pouvoir tout
entier, sans le consentement du supérieur, inconsulto
principe; car il semblerait alors résilier sa propre
charge, et en constituer une nouvelle, chose qu'il ne
pourrait faire sans l'autorité du supérieur. L. penult.
Digeste, tit. De officia prsesidis,
2. Qui peut sùus-déléguer? — Peuvent sous-déléguer,
d'abord, les délégués du prince, ou magistrat suprême,
delegati a principe, soit, dans le for ecclésiastique, les
délégués du souverain pontife. Ainsi le rappelle Gré-
goire IX, dans un décret qui explique en même temps
la raison du principe, tit. De officio jud, deL, c. 43 :
Quoniani apostolica sedes intendit providere negotiis,
et non personis, quibus eadem committuntur, sijudex
tertius, licet ex officio noslro, vel de assensu partiuni
pro communi a nobis datus eisdem, alii delegaverit
vices suas, quum delegato a principe id concedatur a
jure, delegatio valebit ipsitis. Cependant exception
doit être faite lorsque le délégué a été personnellement
choisi pour lui-même, electa induslna personm : de
ceci il faut chercher la preuve, d'abord dans la teneur
même du rescrit de délégation, lorsque par exemple,
on y rencontre les expressions per teipsum, persona-
Uter exequaris, etc., et quelquefois aussi dans la na-
ture de la cause qui a été confiée, savoir, lorsque
celle-ci est d'une gravité ou d'une difBcullé telle qu'elle
ne saurait être convenablement expédiée sinon par le
délégué lui-même, d'où résulte une présomption de
droit, prœsumptio juris, que la délégation revêt un
caractère tout personnel. C'est en ce sens que le pape
Alexandre lil répondait à l'evêque de Londres, tit. cit.,
c 3 : Si pro debilitate tua vet pro qualibet alia
gravi causa vel necessitate tractandis causis, qum tibi
a sede apostolica committuntur, interesse non poteris,
liberum tibi Ht personis disci*etis et idoneis vices tiMS
conimittere, ita tamen, quod, si res tanti est, te consu-
1ère debeant, nisi forte causse, ita graves sint, quod
sine prgpsentia tua non possint commode temiinari.
On doit en dire autant lorsque le pouvoir délégué con-
cerne la simple exécution d'une grâce déjà accordée,
ou d'une cause d'ailleurs jugée : car, dans l'hypothèse,
le déléguant est censé avoir eu égard surtout aux apti-
tudes personnelles du délégué, tit. cit., c. 43, § 2.
Toutefois, si le délégué était exécuteur mixte, il pour-
rait sous-déléguer la mission de reconnaître au préala-
ble l'exactitude du fait visé dans V espèce, ut de veritate
rerum expositarum cognoscat, mais devrait toujours
procéder personnellement à l'exécution même du
rescrit apostolique. Cf. Santi, loc. cit., n. 9.
Peuvent encore sous-déléguer ceux qui sont délégués,
même par un ordinaire de rang inférieur, pour tout
un ensemble de causes, ad universitatem causarum,
parce que, dans ce cas, le pouvoir délégué est inter-
prété, d'après l'opinion commune des juristes, comme
une sorte de pouvoir ordinaire, potestas quasi ordina-
ria. Cf. Glossa in 1. II, tit. xxxiii, De appellalionibus,
c. 62.
Enfin peuvent sous-déléguer tous les délégués qui
en ont reçu l'expresse autorisation; car alors cette fa-
culté de sous-déléguer doit être appréciée comme un
nouvel élément compris dans la commission du délé-
guant. Cf. Glossa, loc. cit.
3. Qui peut être délégué? — Peuvent être délégués
tous ceux qui sont aptes à exercer la juridiction ecclé-
siastique, et qui possèdent à cet effet toutes les qualités
requises par le droit. Cf. 1. II, tit. i, Dejudiciis, c. 2;
tit. cit.. De officio judicis delegati, c. 41. Cependant,
celui qui n'est point soumis à l'autorité de l'ordinaire,
tout en pouvant être délégué par lui, ne saurait être
contraint d'accepter sa délégation; car, selon l'axiome
du droit, il n'y a point lieu d'obéir à celui qui exerce
la juridiction hors.de son territoire, extra lerrilorium
jus dicenli non pareatur impune, Sext., 1. I, tit. ii.
De constitutionibus, c. 2. Mais il faudrait en juger
autrement s'il s'agissait de quelqu'un qui fut sujet d«
l'ordinaire déléguant, sauf à voir sans aucun effet, chez
celui-ci, le pouvoir de déléguer; dans ce cas, le délé-
guant pourrait exercer les contraintes que le droit met
à sa disposition, tit. cit., De officio judicis delegati,
c. 28.
Il faut observer que le délégué du souverain pontife ^
doit être revêtu d'une dignité ecclésiastique, ou bien
en possession d'une charge ou d'un canonicat dans
une église cathédrale; telle est la portée du Sexti,
1. I, c. il, tit. III, De resciHptis, qui veut pouvoir éta-
blir ainsi une présomption de science et de capacité
chez le délégué du siège apostolique. Ces conditions
s'appliquent-elles également au sous-délégué? L'opinion
contraire a prévalu. Cf. Santi, loc. cit., n. 14. Quoi
qu'il en soit, pour obtenir chez les délégués du siège
apostolique, les garanties convenables de science et de
capacité, le 'concile de Trente, sess. xxv, c. 10, De
reform., a renouvelé et précisé le décret déjà cité de
Boniface VIII, De rescriptis, c. 2, en statuant que,
dans les synodes provinciaux ou diocésains, quatre
personnes au moins, par diocèse, possédant les quali-
tés requises par Boniface VIII et d'ailleurs toutes les
aptitudes nécessaires, soient désignées, avec leurs
noms transmis aussitôt au souverain pontife, pour être
chargées de connaître et de définir les causes que
pourraient leur confier le siège apostolique, les nonces
ou les légats apostoliques, en sorte que toutes déléga-
tions de ce genre, faites à d'autres juges, seraient tenues
pour subreptices. Ces personnes portent le nom de
juges synodaux. A son tour, Benoit XIV est venu con-
firmer, en les développant, ces décrets de Boniface VUI
et du concile de^Trente, dans la constitution Quamvis
paternm, du 26 août 1741. Mais la pratique actuelle du
saint-siège enlève beaucoup de son intérêt à cette insti-
tution; car les causes déférées au souverain pontife
sont régulièrement expédiées par les Congrégations
romaines, en sorte que les délégations propremen
dites extra urbem sont devenues peu fréquentes;
quant à l'exécution des lettres et rescrits apostoliques,
elle est confiée directement aux ordinaires des dio-
cèses qui doivent se conformer exactement aux clauses
y mentionnées.
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DÉLÉGATION
256
2« Exercice du pouvoir délégué, — L'exercice du
pouvoir délégué esl soumis à diverses conditions, en
raison même de son origine, qui est une simple com-
mission, émanant de l'autorité du déléguant, et tou-
jours sous sa dépendance. Ces conditions, les voici :
1 . Le délégué ne doit en aucune manière s'immiscer
dans la cause qui lui a été confiée, avant d'avoir eu
communication officielle de son mandat de délégation,
encore qu'il puisse savoir, de science privée, que la
délégation est déjà pour lui un fait acquis. S. Péni-
tencerie, 15 janvier 1894. Ainsi, en particulier, serait
invalide la dispense matrimoniale exécutée par l'or-
dinaire, au nom du souverain pontife, alors qu'il
aurait eu connaissance de sa délégation, par exemple,
avec le secours du télégraphe, sans que lui fussent
encore parvenues les lettres authentiques de sa com-
mission. Voir Empêchements de mariage. Cependant
cette transmission télégraphique pourrait sufGre si
elle émanait officiellement du saint-siège. Voir la dé-
cision du Saint-Office, 14 août 1892. D'où il suit que la
translation du pouvoir délégué court non à partir du
temps de la concession elle-même, ex lempore daim,
mais seulement à dater de l'époque de la présentation
du rescrit de délégation, ex lempore prœsenlalœ. La
raison est que, la délégation conférant au délégué
l'exercice d'un pouvoir public, seul un mandat officiel
et public peut faire foi en la matière, 1. Il, t. xxviii,
De appellat., c. 12; 1. I, tit. m, c. 1, Extrav. conim.
2. Le délégué, avant de procéder à l'exécution de son
mandat, doit montrer à l'ordinaire du ,lieu le rescrit
de la délégation, et, s'il s'agit d'une cause judiciaire,
il doit également le présenter aux parties contentieuses.
Car la délégation est un fait qui ne saurait être pré-
sumé, mais qui doit être prouvé, tit. cit., De officia
judicis delegali, c. 31.^
3. Le délégué doit observer la teneur et les limites
de son mandat, soit quant à l'extension des pouvoirs,
soit quant au mode de procédure, en sorte que tout ce
qui est fait par le délégué en dehors de sa commission
fcst nul de plein droit; en outre, s'il faut que l'accom-
plissement de certaines conditions précède l'exécution
finale du rescrit de délégation, rescrit de grâce, restTÎp'
lum gratiœ, ou rescrit de justice, reso'iplum jusliliœ,
par exemple à propos des dispenses matrimoniales (voir
EMPÈaiEHENTS DE MARIAGE), OU des absolutions dans le
sacrement de pénitence (voir Juridiction), le délégué
est obligé d'y pourvoir avec diligence, c. xxxii, tit. cit..
De officio judicis delegali. La raison de cette loi est
que tout le pouvoir du délégué dépend de la commis-
sion qui en est la mesure et la raison d'être. Cepen-
dant, il ne faudrait pas entendre ce principe avec une
interprétation trop rigoureuse; car, quoique non com-
prises expressément dans le mandat de délégation,
doivent être présumées en faire partie les choses acces-
soires, intimement connexes, avec la cause principale,
lorsque celle-ci ne saurait être convenablement expé-
diée sans la mise en œuvre de celles-là ; ainsi dans une
cause judiciaire, le délégué est censé muni, par le fait
de sa délégation principale, du pouvoir d'user de quel-
que contrainte envers les parties rebelles, comme aussi
d'admettre les preuves du demandeur, et les excep-
tions raisonnables du défendeur, tit. cit., De officia
judiciz delegali f c. 13. Voir JuGEMENf .
En dehors des principes généraux que nous venons
d'énoncer, il importe de préciser quel est l'exercice
du pouvoir délégué, dans le cas spécial où la délégation
est faite, non plus à une seule personne, mais à plu-
sieurs à la fois. Ce cas a été prévu par le pape Célestin III,
tit. cit.. De officio judicis delegali, c. 21 : Jlla quippe
fuil anliqua sedis aposlolicm provisio, ul hujusmodi
causaient recogniliones duobus quam uni, tribus
quani duobus libenlius delegarel, cum (sicul canones ,
altestanlur) integrum sit judicium, quod plurimorum
senlentiis confirmatur. Cf. c. ii, xvi, xxii, xxiii, du
même titre. Or, nous le savons, celte délégation peut
se présenter de deux manières : ou bien les délégués
reçoivent leur mandat de façon solidaire, in solidum,
ou bien ils sont constitués simplement et en société,
collegialilei\ Les délégués sont constitués in soliduni
lorsque tous, ou deux seulement, ou même l'un d'entre
eux, peuvent se charger de l'exécution du mandat de
délégation, ul omnes aut duo aul unus eorum, man-
daluni aposlolicum exquanlur. Or Boni face VIII
explique, Sext., c. viii du titre cité, la procédure que
ces délégués doivent adopter : ipsorum quilibel in-
functum polest libère adimplere mandalum. Porro
uno eorum negoliuni inchoanle conimissum, alii
nequibunl se ullerius intromillere de eodeni, nisi vel
infirniilale vel alia jusla causa illuni conlingerel itn-
peditn, aut si nollel, vel nialiliose in eo procedere
recusaret. Ainsi donc, lorsque tous les délégués, ou
plusieurs, entament la cause confiée, il n'appartient
plus à l'un d'entre eux de pouvoir seul la poursuivre et
la définir. Si, au contraire, l'un des délégués a com-
mencé à s'immiscer dans l'afi'aîre, à l'exclusion des
autres, c'est à lui seul qu'il incombe de la continuer et
de la terminer, excepté pourtant si un empêchement lé-
gitime vient paralyser son action, ou encore s'il se refuse
malicieusement à poursuivre la procédure. Quant à la
délégation simple de plusieurs personnes en société,
collégialité r, elle peut se faire à son tour de deux
manières. Il arrive d'abord que la délégation, sans
qu'il soit fait mention d'aucune clause par ailleurs,
est accordée seulement avec l'obligation pour tous
les délégués associés de ne pouvoir procéder les uns
à l'exclusion des autres ; en ce cas, lorsque l'un des
délégués est retenu par quelque empêchement, les
autres se trouvent dans l'impossibilité de poursuivre
validement l'exécution de leur mandat, car, ainsi que
l'observe le c. 16 du titre cil^, De officio judicis dele-
gali, «( si une cause est confiée à deux personnes (ou à
un plus grand nombre), la sentence d'une seule d'entre
elles ne saurait être valide, cum causa duobus corn-
mittilur, scntenlia unius non tenet, t Le second cas
se vérifie lorsqu'au principe expliqué plus haut vient
s'adjoindre cette cause spéciale que, si tous les délé-
gués ne peuvent être présents, deux ou trois jugent la
cause et l'exécutent, quod, si omnes interesse nequeant,
duo vel très causant cognoscant et exequantur. Cette
clause est établie pour que la délégation ne devienne
pas inutile par le seul fait qu'un ou deux des délégués
sont empêchés de se présenter ou bien encore s'y
refusent délibérément. Toutefois, cet empêchement et
ce refus doivent être prouvés ou par un envoyé, ou par
des lettres, ou de quelque autre manière qui soit cano-
nique. Cf. c. 21 du titre cité.
3» Cessation du pouvoir délégué, — Le pouvoir dé-
légué peut cesser d'exister pour diverses causes,
savoir : 1. La mort du délégué; à moins qu'il n'ait été
expressément stipulé dans le mandat, que le pouvoir
doit passer aux héritiers, ou encore à moins que la
délégation n'ait été faite principalement en raison de
la dignité ou de la charge elle-même qui est transmise
tout entière aux successeurs, c. 14 du titre cité. —
2. La mort du déléguant, si la cause est restée encore
intacte, re adhuc intégra, c. 30 du titre cité. La
raison est que le délégué n'exerce pas son pouvoir en
son propre nom, ;ure proprio, mais seulement au nom
du déléguant, ex mandato alterius, dont la mort enlève
nécessairement son principe à la délégation; cepen-
dant, lorsque le délégué a déjà commencé d'expédier ht
cause qui lui avait été confiée, il l'a rendue sienne, et
il se voit ainsi continuer son autorité, au nom du
droit et pour le bien public, nonobstant la mort du
déléguant. — 3. La révocation, soit expresse, soit tacite,
du mandat de délégation, pourvu toujours que la
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DÉLÉGATION — DÉLIT
258
cause n'ait pas encore été juridiqaement entamée, re
adhuc intégra, I. I, ,tit. m, De rescriptis, c. 24. —
4. L'accomplissement du mandat, en sorte que la cause
soit complètement finie. Or, en matière judiciaire, le
mandat est censé se prolonger jusqu'à Teiécution de la
sentence, c. 9 du titre cité : ex quo judex delegattu
per se vel per alium, sententiam exequi niandavit
vel niandari prascepit, ejus auctonlas et jurisdictio
cetstU; quia semel est officio suo functus. — 5. L'expi-
ration du temps fixé dans le mandat de délégation, à
moins que les parties intéressées ne consentent à pro-
roger les pouvoirs du délégué, chose qui pourtant doit
être Élite avant le terme de l'époque préfixée, in tem-
pore utili, c. 4 du titre cité; 1. II, tiL xxviii, De
appellat., c. 12. — 6. La renonciation légitime du man-
dat, de la part du délégué; ou encore une sous-déléga-
tion de la commission tout entière qu'on pourrait in-
terpréter comme une -abdication de l'office délégué
lui-même, c. vi du titre cité, in 6». — 7. Enfin, la récu-
sation légitime de la personne du délégué, pour des
motifs canoniques de suspicion (voir Jugement) ; et tant
que cette cause de suspicion n'est pas encore jugée,
les pouvoirs du délégué restent suspendus, aussi bien
que son droit de sous-déléguer, c. v du titre cité , in 6«.
Cf. Lega, De judiciis ecclesiasiicis, part. I, § 3.
Ljeorenius, Forum ecclesicuticum, 1. I, tit. xxix, Venise,
1729; Reifliei»ttieU Jus canonicum universum, I. I, tit. xxix,
Anvers, 1755; Schraalzgmeber, Jus ecclesicutticum universum,
1. I, tit. XXIX» IngoLstadt, 1726; Plrhing, Ju3 canonicum, 1. I,
CiL XXIX ; Dilingen, 1722; Fagnan, Commentaria \in I lib,
DecretaHum, tit xxix, Besançon, ilW; De Justis, De dispen-
saiionibuê matrimonialibus, passim, Lucques, 1726 ; Pyrrhus
Cocrados, Praxis dispensationum apostolicarum, passim,
VeniBe, 1735; De Angelis, Prœlectiones juris canoniciy 1. I,
tit. XXIX, Rome, 1847 ; SanlU^Praeleetionea juris canonici, 1. I,
tit. XXIX, Ratisbonne, 1898; Lega, De judiciis ecclesiasiicis,
1. 1, part. I, S 3, Rome, 1905; Sebastianelli, De personis eccle-
sioêtieis, part I, c. n, Rome, 1896.
E. Valton.
DELFAU François, bénédictin de la congrégation
de Saint-Maur, né en 1637 à Montel en Auvergne, mort
le 13 octobre 1676. Il fit profession à l'abbaye de Saint-
Âllyre de Clermont le 1 mai 1656. Ses supérieurs le
chargèrent de préparer une nouvelle édition des œuvres
de saint Augustin. Il se mil avec ardeur au travail et
put bientôt l'annoncer en publiant le Prospectus des
oeuvres de saint Atigustin, Paris, 1671. Deux ans plus
tard parut : L'abbé coniniendataire où Vinjuslice des
commendes est condamnée par la loi de Dieu, par les
décrets des papes et parles ordonnances pragmatiques
et concordais des rois de France, par le sieur Desbois-
franc, docteur en l'un et Vautre dt^oit, in-12, Cologne,
1673. On ne tarda pas à savoir que dom Delfau était
l'auteur de cet ouvrage imprimé en réalité à Compiè-
gne. et une lettre de cachet l'exila à l'abbaye de Saint-
Mahéen Basse-Bretagne. Dom Blampin fut alors chargé
de continuer les travaux de l'édition des œuvres de
saint Augustin. Dom Delfau périt dans un naufrage en
se rendant à Brest pour prêcher le panégyrique de sainte
Thérèse. Il avait encore publié : Réponse au livre inti-
tulé : Vabbé coniniendataire et réfutation de celte ré-
ponse par une lettre de M. Schouten à Vauteur contre
les commendcUaires et le mauvais usage qu'ils fai-
saient de leurs bénéfices, in-12, Cologne (Compiègne),
1673. La deuxième partie de L'abbé coniniendataire,
parue en lfô4 sous le nom du sieur de Froidmont, est
de dom Gerberon. On doit encore à dom Delfau : Libri
de îmitatione Jesu Christi Johanni Gerseni abbali
ord. S. Benedicti iteruni asserti, maxime ex fide mss,
exempUurium, in-8», Paris, 1673, 1674, 1712. Une Apo-
logie du cardinal de Furstemberg, parue en 1674 et
quelquefois attribuée à dom Delfau, est en réalité de dom
Gouitiin.
Dom F. Le Cerf, Bibliothèque historique et critique des
OlCr. DB THtoL. CATHOL.
auteurs de la congrégation de Saint-Maur, in-12, La Haye, 1726,
p. 80-87 ; [dom Tassin,] Hist. littéraire de la congrégation de
Saint-Maur, in-4', Paris, 1770, p. 78; Ziegelhauer, Historia rei
literariœ ord. S. Benedicti, t. m, p. 395; t. iv, p. 109, 245,
616, 711 ; [dom François,] Bibliothèque générale des écrivains
de l'ordre de S. Benoit, t. i, p. 241 ; Ch. de Lama, Bibliothèque
des écrivains de la congrégation de Saint-Maur, in-12, Munich
et Paris, 1882, p. 48; Kirchenlexikon, t. iir, col. 1488-1489;
A. Ingold, Histoire de Fédition bénédictine de saint Augustin,
Paris, 1903, p. 29-34.
B. Heirtebize.
DELFINO César-Pierre-Michel, né à Parme, acquit
quelque renom dans les belles-lettres et l'astronomio
et fut docteur en médecine. S'étant rendu en Hongrie,
il fut le médecin du roi Ferdinand. En Angleterre, où
il passa ensuite, on l'accusa calomnieusement d'héré-
sie. Il revint en Italie, et Pie V lui fit bon accueil. Il
mourut en 1566. On a de lui : l» De summo roniani
ponti/icis primatu et de ipsius temporali ditione de-
nionstratio, in-4o, Venise, 1547; 2<' De proportione papœ
ad concilitim et de utroque ejusdem principatu cer-
tissima et novissima decisio, in-4o, Parme, 1550; elle
a été reproduite par Bocaberti, Bibliotheca pontificia,
t. VII, p. 8-26; 3» Mariados l. III, chant en l'honneur
de la sainte Vierge, 1537, etc.
Affo, Meniorie degli scrittori e letterati Parmigiani, t. iv,
p. 95-107; Hurter, Nomenclator, 3* édit, Inspruck, 1907, t. m,
COL40.
E. ManGENOT.
DÉLIT. — I. Notion. II. Division.
I. Notion. — Le délit est la violation extérieure et
coupable d'une loi humaine, ecclésiastique ou civile.
Cf. D'Ânnibale, Sumniula theologisB moralis, part. I,
tr. VI, tit. I, a. 1, n. 296-299, 3 in-S^, Rome, 1839-1892,
t. I, p. 278-294; Tilloy, Traité théorique et pratique de
droit canonique, 1. II, lit. iv, c. i, § 1, 2 in-8«>, Paris,
1895, t. II, p. 269 sq.; Ojetti, Synopsis rerum mord'
lium et juris pontificii, alphabelico ordine digesta,
yf^Delictum, 2 in-4o, Prato, 1905, t. i, p. 532.
Dans le langage ordinaire, délit et crime sont consi-
dérés comme synonymes. Il en est quelquefois égale-
ment ainsi, dans le droit civil, où, par exemple, l'ex-
pression « corps du délit d signifie l'action même du
crime, par opposition aux circonstances qui raccom-
pagnent. Mais, dans le droit canonique, plus souvent
encore, ces deux termes sont pris l'un pour l'autre,
quoique le mot crime soit réservé, de préférence, dans
bien des cas, pour désigner les infractions les plus
graves : celles, par exemple, qui sont directement contre
Dieu, contre le bien général de la société, ou contre la
vie et l'honneur du prochain. Voir Crime, t. m, col. 2325,
Le délit est donc comme un diminutif de crime. Ce
concept correspond assez logiquement au sens étymo-
logique du mot, qui vient de delinquere, délaisser,
abandonner, manquer : ce qui indique une déviation,
un écart du droit chemin, un éloignement de l'exac-
titude, plutôt qu'une vraie révolte contre le législateur,
ou une atteinte formelle portée à l'ordre social. C'est
pour ce motif que plusieurs auteurs ont simplement
défini le délit: la violation d'une loi pénale. Cf. Vin-
nius Ârnoldus, ïnstitutiones Justiniani cum notis, 1. IV,
tit. IV, in-12, Amsterdam, 1669; 2 in-12, Paris, 1800;
D'Ânnibale, Summula théologies moralis, loc. cit.,
n. 296, t. I, p. 278; Ojetti, Synopsis ret*um moralium
et juris pontificii, t. i, p. 532. Néanmoins, le mot délit
comprend aussi la violation des lois humaines obligeant
en conscience.
Il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impos-
sible, de tracer, entre les faits répréhensibles appelés
crimes ou délits, une ligne de démarcation qui les par-
tage en deux classes bien tranchées, le même fait pou-
vant être crime oudélit, suivant les circonstances. Préci-
ser où finit le délit et où commence le crime, est un de
ces problèmes que les criminalistes ont en vain essayé
IV. - 9
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259
DÉLIT
260
de résoudre. La législation moderne, pas plus que
l'ancienne, ne renferme une déûnition adéquate de ces
deux termes. Le droit français, par exemple, en éta-
blissant trois catégories d'infractions aux lois : crimes,
délits, contraventions, les distingue, non par la gravité
des faits eux-mêmes, mais par la différence des peines
encourues. L'infraction punie par les peines de simple
police est une contravention; celle qui expose aux
peines correctionnelles est un délit; celle, endn, qui
entraîne une peine afllictive ou infamante est un crime.
Code pénal français, a. i.
Plusieurs auteurs ayant cru apercevoir dans cette
classification une véritable définition des infractions
légales, l'ont très vivement attaquée. Nest-il pas illo-
gique, disent-ils, de classer les violations de la loi, non
d'après leur gravité intrinsèque, ou celle qui découle
des circonstances dont elles sont entourées, mais d'après
la peine encourue, et suivant les tribunaux appelés à
en connaître? D'autres voient là un véritable mépris de
la dignité humaine, et une tendance au despotisme, car
il sufGrait à un tyran de décréter une peine afQictive
ou infamante contre un fait quelconque, pour que celui-
ci devint légalement un crime. Cf. Rossi, Traité de
droit pénal, 3 in-8«, Paris, 1825, t. i, p. 240 sq.;
Boitard, Code d'instt^clion cnminelle, in-8«, Paris,
1837; Mel Isidore, llnuovo codice pénale italiano, 1. I,
tit. i,a. 1, in-4o, Rome, 1890, p. 24-28.
Ces reproches seraient justifiés, si le législateur avait
réellement voulu par ce moyen donner une définition
juridique des diverses catégories dUnfractions pos-
sibles. Mais telle ne semble pas avoir été son intention.
Au contraire, il parait plutôt s'être préoccupé d'éluder
la difficulté. En effet, il évite avec soin d'attacher,
a priori, à un fait quelconque la qualification de
crime, et de déclarer ensuite passible d'une peine
afflictive ou infamante celui qui le commettrait. Son
procédé est tout autre. Passant en revue les divers
faits susceptibles d'être punis, il fixe pour chacun
d'eux une peine proportionnée à leur gravité. Puis,
dans le but de simplifier le langage juridique, et afin
de fournir une règle pratique aux magistrats, il divise
ces peines en trois grandes catégories, d'après leur
degré. En outre, comme un rapport constant doit
exister entre le châtiment et la faute, il affirme que
ces trois catégories de peines correspondent à trois
catégories de faits répréhensibles, et à chacune d'elles
il impose un nom spécial. Les infractions punies, à
cause de leur perversité plus grande, par les peines
les plus sévères, sont, par lui, appelées crimes; les
autres qui tiennent le milieu dans l'échelle des moyens
de répression, sont les délits; enfin, les plus légères
sont les contraventions. Mais il n'y a là que trois caté-
gories purement nominales, sans aucune prétention à
une définition strictement philosophique. Ainsi le fait
délictueux n'est pas défini par la pénalité. Celle-ci
ne sert pas de base à une définition théorique et scien-
tifique; elle est seulement le fondement d'une règle
pratique, claire, invariable et sûre, servant aux magis-
trats à déterminer, avec plus de facilité, la compétence
des tribunaux. Cf. Chauveau et Hélie, Théorie du code
pétial, 6 in-8», Paris, 1853, t. i, p. 34; Ortolan, Élé-
ments de droit pénal, leçons professées à la faculté de
droit de Paris, 2 in-8o, Paris, 1854-1856, t. i, p. 282 ;
Berlauld, Cours de code pénal, in-8«, Paris, 1873,
p. 116 sq.
Les explications, présentées à ce sujet par les défen-
seurs du code, n'ont pas empêché beaucoup d'autres
juristes de trouver fort défectueuse la rédaction de ce
premier article, qui, pour être compris, n'exige rien
moins que la connaissance complète de tous les autres
articles dont le code pénal est composé. Or, c'est là
assurément un grave défaut. Une loi, comme une défi-
nition, doit se suffire à elle-même.
Ces discussions montrent combien il serait difficile
de donner du délit une définition abstraite, philoso-
phique et juridique. Inconnue dans l'ancien droit
romain et dans le droit civil moderne, elle existe
moins encore dans le droit canonique, où les mots
délit et crime sont pris indifféremment l'un pour
l'autre, autant par le texte officiel du Corpus jw^ ca-
nonici, que par les canonistes les plus autorisés. Chez
ceux-ci, cependant, on constate, en plus d'un endroit,
la tendance à se servir du mot crime, plutôt que de
celui de délit pour désigner les fautes les plus graves.
Cf. Leurenius, Forum ecclesiasticum, in quo jus ca-
nonicum explanatur, 1. V, tit. i, in-fol., Venise, 1729,
t. 1, p. 1 sq.; Reifîenstuel, Jus canonicum universunx,
1. V, tit. I, 6 in-fol., Venise, 1730-1735, t. v, p. 1 sq.;
Gonzalez, Commenlaria perpétua in singulos textus
quinque lihrorum Decrelalium Gregorii IX, 1. V,
tit. xxiii, c. mi; tit. xxvi, c. i, 5 in-fol., Venise, 1735,
t. V, p. 275 sq., 285; Schmalzgrueber, Jus ecclesiasti-
cum universum, 1. V, part. I, tit. i, n. 1-15, 6 in-4»,
Rome, 1843-1815, t. v a, p. 1 sq. ; Zallinger, Insti-
tutiones furis ecclesiastici ordine Decretalium, 1. V,
tit. I, § 1-15, 5 in-8«, Rome, 1823, t. v, p. 1-16; De
Ângelis, Prœlectiones juris canonici ad methodum
Decretalium, 1. V, tit. i, 4 in-8o, Rome, 1887-1891,
t. IV, p. 9sq.; Wernz, Jus Decretalium, 1. V, De jure
cnminali, part. II, sect. i, §4-5; part. III, sect. i, c. i-
VII ; sect. Il, c. i-iii, 5 in-8o, Rome, 1898-1907, t. v,
p. 167-177, 393-650.
II. Division. — Comme les crimes, les délits se
divisent en plusieurs classes, en raison : 1^ de leur
objet; 2o des personnes qui les commettent; 3<' du for
ou tribunal dont ils relèvent; 4» de leur notoriété.
Voir Crime, t. m, col. 2326.
Outre ces divisions, l'ancien droit admettait le quasi-
délit. Celui-ci 86 distingue du délit proprement dit, en
ce qu'il exclut l'intention de nuire, et n'est que le résul-
tat d'une imprudence, ou d'une négligence, mais, néan-
moins, non totalement excusable. Cette distinction est
restée dans la plupart des droits modernes. Cf. Code
civil français, a. 1382 sq. ; Ojetti, Synopsis rerum niora-
Hum et juris pontifœii, v® Delictum, t. i, p. 533.
Fagnan, Commentait in quinque libres Decretalium,
5 In-fol., Venise, 1697, t. v, p. 6, 13, 91, 152, 169, 185, 304, 374 sq..
611, 621, 649; Vinnius Arnoldus, Institution es Justiniani cum
notis, 1. IV, tit. I, IV, ln-12, Amsterdam, 1669; 2 ln-12, Paris,
1800; Gonzalez, Commentaria perpétua in singulos textus
quinque Hbroinim Decretalium Gregorii IX, 1. 1, tit. xi, c. iv,
n. 8; tit. xxix, c. xxvii. n. 10; tit. xxxi, c. ii, n. 8; 1. II, lit. i.
c. X, n. 10-18; tit. xxiv, c. xii, n. 1 ; 1. III, tit. i, c. vm-ix, xiv ;
1. IV, tit. XVII ; t. V, tit x, n. 1 ; lit. xxiii. c. i-ii;tll. xxvi, c. i,
5 in-fol., Venise, 1737, 1. 1, p. 308, 490, 528 ; l. il, p. 27-30. 401 ;
l. m, p. 20 sq., 31; t. iv, p. 166; l. v, p. 166, 275 sq., 285;
Schmaûgrueber, Jus ecclesiasticum universum^ 1. V, tit. i, x,
xxiii, XXIV, xxxvii, 6 ln-4% Rome, 1843-1845, t v a, p. 1 sq.,
373 sq.. 829; t. v h, p. 1 sq., 227 sq. ; Beccarla, Traité des
délits et des peines, U*aduil par Morellet, in-12. Parla, 1766;
par Hélie, in-12, Paris, 1871 ; Muyart de Vouglas, Les lois cri-
minelles de France dans leur ordre naturel, in-fol., Paris,
1780, p. 41 sq. ; Benlham, Traité de législation civile et pénale,
3 in-8*, Paris, 1820, l. ii, p. 240 ; Zallinger, Institutiones juris
ecclesiastici ordine Deci^etalium, 1. V, lit. i, % 1-19, 5 ln-8%
Rome, 1823, t. v, p. 1-20 ; Rossi, Traité de droit pénal, 3 in-8«,
Paris, 1825, 1. 1, p. 248 sq. ; t. il, p. 94 ; Rauter, Traité théorique
et pratique de droit criminel, 2 in-8% Paris, 1836, 1. 1, p. 118 sq.,
169 sq.; t. ii, p. 2, 110; Boitard, Code d'instruction criminelle,
ln-8% Paris, 1837, p. 22 sq. ; Ortolan, Éléments de droit pénal,
leçons professées à la faculté de droit de Paris, 2 in-8% Paris,
1854-1856, t. i, p. 242 sq., 279, 282 sq. ; Démangeât, Cours élé-
mentaire de droit romain, 2 in-8% Paris, 1864-1866, t. li,
p. 432 sq.; Blanche, Études pratiques sur le code pénal, 7
in-8\ Paris, 1861-1872, t i, p. 2 sq. ; Le SeUyer, Traité de la
criminalité, 2 ln-8*, Paris, 1867-1871 ; Mûnchen, Das canonis-
che Gerichtsverfahrem und Strafrecht, 2 ln-8% Cologne. 1865,
t. II, p. 101 sq., 262 sq. ; Berlauldt, Cours de code pénal, in-8«,
Palis, 1873, p. 118 sq., 192 sq., 530; Chauveau et Hélie, Théorie
du code pénal, 6 in-8', Paris, 1873, t. i, p. 34; t. n, p.5 sq. ;
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961
DELIT — DEL RIO
262
De ADi^ellâ, Prmlectiones juris catwnici ad methodum Deere-
taUum, l. V. Ut. i, xxili sq., 4 in-8', Rome, 1887-1892, t. iv,p.9sq.,
297 sq.; D'Annibale. Summula theologix moralis, part.I,tr. VI,
UL l,a. 1, n. 296-299, 3.in-8% Rome, 1889-1892, t. i, p. 278-284;
Mel Isidore. Il nuovo codice pénale italiano, 1. I, lit. i, a. 1,
iii-4-, Rome, 1899, p. 24-28; Tilloy, Traité théorique et pratique
de droU canonique, 1. 11. t. iv, c. l, § 1-5, t. il, p. 269-281;
Santj, Prmlectiones juris canonici j uxta ordinem Decretalium
Gregorii JX, I. V, tit. v, 5 ln-8% Ratisbonne, 1898, t. v,p. 5 sq. ;
Vidal, Droit criminel, in-8-, Paris, 1901, p. 86 sq.; OjetU,
Synopsis rerum moralium et juris pontificii, alphabetico
ordine digesta, v Delictum, 2 ln-4*, Pralo, 1906, 1. 1, p. 532 sq.;
Dallos, Dictionnaire pratique de droit, v'* Crimes et délits,
Délit, In-fol., Paris, 1905, p. 395 sq., 419 8q.;Garraud, Précis
de droit criminel, ln-8-, Paris, 1907, p. 60 sq., 128, 446, 368;
Wernz, Jus Decretalium, 1. V, De jure criminaU, part. II,
6&A. I, S 4^; part, III, secl. i, c. i-vii; sect. n, c. i-iii, 5 in-4',
Rome, 1808-1907, t. v, p. 167-177, 893-650.
T. Ortoian.
DELMARE Paul-Mapoel, né à Gènes en 1734 de
parents israélites, s'occupa du commerce de son père
jusqu'à 17 ans. L*abbé Franzoni l'instruisit dans le ca-
tholicisme et le baptisa en 1753 sous les prénoms de
Paul-Marcel. Le nouveau converti commença alors ses
études au collège de Gènes; il les continua à Rome, où
il reçut la prêtrise en 1758. 11 s'attacha à une commu-
Dauté de prêtres génois et se livra avec eux à Rome à
la prédication et au ministère. En 1783, il fut appelé
comme professeur de théologie à Sienne. Il y prit part
à une controverse relative à la communication des
Arméniens unis et non-unis pour les baptêmes, les
mariages et les funérailles. En 1783, parut à Venise
noe dissertation italienne, qu'on attribuait au jésuite
dalmate Martinovich, et dans laquelle l'auteur préten-
dait que cette communication m sacris et l'assistance
à la messe des non-unis étaient tolérées par le saint-
siège. Le marquis de Serpos, banquier arménien, qui
habitait Venise, présenta cet écrit à la Propagande. La
faculté de théologie de Sienne censura cette disserta-
tion, le 15 décembre 1784, et elle décida que les Armé-
niens unis pouvaient bien, pour la célébration de
leurs fêtes, se conformer au calendrier des schisma-
tiques. mais non assister à leurs cérémonies religieuses.
On attribua la rédaction de cette censure à Delmare.
Dominique Stratico, dominicain et évêque de Cresina
en Dalmatie, publia à Sienne un Examen théologique
de la censure. Delmare répliqua par une brochure
italienne, intitulée : Principes théologiques pour ser-
vir de préservatif contre les en^eurs de VExamen,
in-8», *^ienne, 1786. Delmare passait pour être favorable
au parti janséniste, répandu en Italie. Il avait collaboré
i l'édition faite à Gênes en 1779 de VEducazione ed
istruzione cristiana, ossia catechisnw univcrfa/ô, 3 vol.,
de Gourlin, ouvrage qui fut mis à l'Index par décret du
20 janvier 1783. Delmare défendit ce catéchisme en six
lettres, assez aigres. En 1789, il devint professeur
d'Écriture sainte à Pise, et publia : Prœlectiones de
lods theologids Senis habilœ. Cet ouvrage fut mis à
l'Index, le 9 décembre 1793, et condamné par le Saint-
Office, le 5 mars 1795. Delmare n'assista pas au synode
de PisCoie, et n'écrivit pas en sa faveur, comme l'a
prétendu Grégoire. Le 5 novembre 1817, il adressa à
rarcheréqne de Pise une déclaration, par laquelle il se
soumettait aux décrets de l'Index et du Saint-Office
ainsi qu'aux constitutions et décisions dogmatiques des
papes, révoquant tout ce qu'il aurait dit et écrit de con-
traire. Cette déclaration fut envoyée à Rome, et le car-
dinal Fontana en félicita l'auteur. Delmare rompit toute
relation avec les jansénistes, et notamment avec l'abbé
Clément. Il mourut le 17 février 1824, dans sa 90* année.
Mener, Mémoires de religion (extrait dans YAmi de la
reUgion, t. XLili, p. 238); Ami de lareligion, n. du 12 juin 1822,
t. xxxu; Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecdésias-
tiquependant le svm* siècle, Z' édit., Paris, 1855,t. v,p. 203-206.
E. Mangenot.
DEL RIO MaKIn-Antoine, théologien, jurisconsulte,
philologue et historien, naquit à Anvers le 17 mai 1551.
Enfant précoce et studieux, il étudia au collège de Lierre,
alors florissant, les langues classiques qu'il posséda
parfaitement, ainsi que l'hébreu etlechaldéen. Il parlait
aussi, disent les biographes, avec une égale facilité le
flamand, l'allemand, l'espagnol, l'italien et le français.
A Paris, au collège des trois langues ou collège de France,
il eut pour maître d'éloquence Denys Lambin, et au
collège de Clermont pour professeur de philosophie
Maldonat, déjà célèbre. Élève de l'université de Douai
que Philippe II venait de fonder, puis de l'université
de Louvain où il gagna l'aflection de Juste Lipse, il se
passionna pour les travaux d'érudition. Juste Lipse
cite avec admiration ce fait que le jeune étudiant avait
étudié et annoté plus de onze cents auteurs. Bachelier
en droit civil dès 1570, il publia aussitôt des notes sur
Solin, sur Claudien et sur Sénèque le Tragique, qui
attirèrent sur lui l'attention des humanistes. Docteur en
droit de l'université de Salamanque, en 1574, il fut
nommé presque aussitôt, parle roi d'Espagne, membre
du conseil de Brabant, où sa science profonde du droit
lui mérita d'être promu, à peine âgé de 28 ans, aux
fonctions de vice-chancelier et de procureur général.
A la mort de don Juan d'Autriche, dégoûté de plus en
plus du monde, il envoya au roi sa démission de toutes
ses charges et entra dans la Compagnie de Jésus, le
9 mai 15^), à Valladolid. Après avoir étudié la philoso-
phie, la théologie et l'Écriture sainte à Louvain et à
Mayence, il fut nommé professeur de théologie à l'uni-
versité de Douai, puis chargé du cours de philosophie
morale au collège de Liège. C'est de là qu'il entretint
une active correspondance avec Juste-Lipse, alors à
Leyde, et qu'il parvint à convertir son illustre ami au
catholicisme. Les lettres de Del Rio à Juste Lipse ont
été insérées par Burmann dans son Sylloge epislola-
rum a viHs iUustrifms scriplarum, Leyde, 1727, t. i,
p. 501-552. Nommé professeur d'Écriture sainte à Gratz
en Styrie, où une université venait de s'ouvrir, il prend
la route de Mayence et trouve le temps d'éditer dans
celte ville les Blnigmata de saint Aldhelme. A Gratz, il
commence par se faire recevoir docteur en théologie et
ouvre aussitôt son cours d'exégèse qui lui attire, avec
un glorieux renom, la faveur croissante des archiducs
d'Autriche. Après avoir édité son commentaire sur le
Cantique des cantiques, il est appelé à Salamanque
comme professeur d'exégèse, puis envoyé de nouveau
en Belgique, où il arriva gravement malade. Il mourut
à Louvain le 19 octobre 1608. Ses divers commentaires
des Livres sacrés eurent de son temps une grande célé-
brité. Citons : 1® In Canticum canlicorum Salomonis
commentarius litteralis et catena mystica, Ingolstadt,
1604; Paris, 1608; Lyon, 1611 ; 2» Commentarius litte-
ralis in Threnos Jeremias, Lyon, 1608; 3^ Pharvs sacrsR
Sapientia* seu conwientarii seu glossœ littérales in
Genesim, Lyon, 1608; 4o Adagalia sacra V. et N, T.,
Lyon, IfrlO. La théologie mariale lui est redevable d'un
important ouvrage de polémique elde piété : Opusma-
rianum, Lyon, 1607. Mais ce fut son traité sur la magie
et les sorts qui valut à Del Rio la part la plus grande,
non point la meilleure toutefois, de sa célébrité : Dis-
quisitionum magicarum l. VI, Mayence, 1593, 1600,
1603, 1606, 1624; Louvain, 1599, 1601 ; Lyon, 1608, 1612;
Cologne, 1633, 1657, 1679; Venise, 1746, etc., ouvrage
où l'érudition l'emporte sur la critique, mais qui devint
alors le manuel de tous les jurisconsultes. Del Rio prend
soin d'avertir ses lecteurs que tous les faits étranges
qu'il rapporte sur la foi d'autrui ne méritent pas une
égale créance, mais que ce serait la marque d'une
coupable légèreté de les rejeter tous. Au reste, les re-
proches adressés par la critique protestante à la naïve
crédulité du P. Del Rio, s'appliquent plus justement
encore aux auteurs protestants de celte époque, qui ont
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DEL RIO — DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE
264
soulevé si violemment les passions populaires dans les
questions de sorcellerie. Il convient d'ajouter à tous
ces travaux les éditions des œuvres poétiques de saint
Orient et de saint Aldhelme : S. Orienti episcopi
Illiberitani Conimonitorium, Anvers, 1600; Sala-
manque, 1604; Wittemberg, 1796 ; dom Martène a donné
de ces œuvres une édition plus complète et plus correcte ;
5. Aîdhelrni prisci occidentaliuni Saxot^m episcopi
poetica nonnulla, Mayence, 1601.
La vie de Martin-Antoine Del Rio a été écrite par le P. Ros-
weyde (et non par le P. Suys, sur lequel hésite Sommervogel,
t. V, col. 1904) sous le pseudonyme de Herman Langeveld,
Anvers, 1609. Dans la Collection de Mémoires relatifs à l'his-
toire de Belgique, se trouve une excellente notice due à H. De*
vigne, éditeur des Mémoires de Martin-Antoine Del Rio sur
les troubles des Pays-Bas durant Vadministralion de don
Juan d:Autriche (1576-1578), 3 in-8\ Bruxelles, 1869-1871. On
peut voir encore Bayle, Réponse aux questions d'un provin-
cial, t. III, p. 235-238; (de Reiffenberg), De Justi Lipsii vita et
scriptis. Bruxelles, 1823. Pour les écrite, Sommervogel, Biblio-
thèque delà O' de Jésus, t. v, col. 1894-1905; Hurler, Nomen-
clator,t I. p. 191-194; Kirchenlexikon, t. m.
P. Bernard.
DÉMÉTRAC0P0UL08 Andponic, Tun des meil-
leurs théologiens de la Grèce moderne. Né à Calavryta,
dans le Péloponnèse, en 1825, Démétracopoulos alla
achever ses études en Allemagne, où, depuis 1857, il se
fixa définitivement comme curé de l'église grecque de
Leipzig. Nommé, en 1869, docteur honoraire de l'uni-
versité de Leipzig, il mourut d'une bronchite, le 21 oc-
tobre 1872, au retour d*un voyage d'exploration en
Orient. Paléographe distingué, il attacha son nom à un
bon nombre d'éditions à'anecdota. On a de lui :
1<* NtxoXâou iTCiaxoTTO-j MeOcovyj; Xi^oi ôuo xaxà tt.ç
alpéa'ftb); tôv Xsy^vtojv ttjv auri^ptov ûnep fjpiwv Ouo^av
jiTl rj Tpio-ynoffTàTo) ôe^TTiTt itpoTaxÔrjvai, àXXà tô) 7caTp\
Ii^vto), in-8o, Leipzig, 1865; 2» 'ExxXYî<iia<yTtxri * pi6Xio-
6i^x7) èpinepiéxo^^'A èXXr,vwv 6eoX(iY<i>v (Tj^YpaiAfiaxa, in-8<»,
Leipzig, 1866, t. i; ce t. i, le seul qui ait paru, contient
des traités inédits de Zacharie de Mitylène, Nicétas Sté-
thatos, Jean de Phourna, Eustrate de Nicée, Nicolas
de Méthone, Nicéphore Blemmide, Georges Acropolite ;
3» 'latop^a Toû <Tyt<T|iiaTo; ty^; Xanvcxf,; exxXyicta; àirb
Tf^ç Ôp0oô6^o'j éXXYjvtxYi;, Leipzig, 1867; 4» E-jy£v(ou tov
BouXYapBw; TrpaypiaTct'a Trepl Mouaix^;, Trieste, 1868 (ex-
trait de la Néa *H{jL|pa); 5» NaôavarjX Xuy.a toO 'Mtf
vafou l^x^i^^hifi'^i iiepi toû TrpwTetoy toO IlâTra, Leipzig,
1869; l'éditeur n'a pas connu l'excellente réfutation
en trois langues qu'a donnée de ce pamphlet le conven-
tuel Egidius a Cesaro dans ses Apologiœ in Catalatinon
Nathanaelis Xhichae Atheniensis, Venise, 1678 ; 6» Aox^
{iiov Tcepl TOV pîou xai twv avyfpo:\i.\LOL'tùy Mr,Tpoçàvouç
Tou KpiTOKOiiXoy îraTptàp)^ou 'AXe^avôpeta;, in-8o
Leipzig, 1870; 7o IIpoaÔTixai xa\ ÔiopÔwaei; €{;tyiv NeoeX-
XrjvixTjv ^iXoXoy^av KwvcTavT^vou Saôa, in-8», Leipzig,
1871 ;8o 'ETTavopôwffsi; <r9aX(id(xci)v 7rapaTr,py)Ô£VTa)v rv
Tr NeoEXXr)vix>5 ^iXoXoyta toj K. Sâôx, in-8o, Trieste,
1872; 90 'Op6o5oî:o; *ÉXXà; r.Tot Trept rôiv Ypa^/av-
TOïv xarà Aat^voiv xal «ep\ auyypajjifjLdtT&jv aCtôv, in-80,
Leipzig, 1872. Bien que dirigés contre les Latins et
animés de )a passion habituelle aux Grecs en ces ma-
tières, ces divers ouvrages sont des plus utiles à con-
sulter, car l'information de l'auteur est généralement
sûre. L. Petit.
1. DEMETRIUS Chomatianus, archevêque d'Achrida
et canoniste grec du xiip siècle. De sa vie même, on ne
sait que fort peu de chose. Chartophylax de l'archevêque
d'Achrida, il devint titulaire de ce siège en 1216 ou
1217. Il l'occupait encore en 1234 ou 1235 : cette date
nous est fournie par la consultation qu 'il eut à donner
dans un long procès d'héritage engagé devant le métro-
politain de Thessalonique. Pitra, Analecta sacra et
classica, t. vu, col. 455. Parmi les principaux actes de
son administration, il faut citer, à cause de leur excep-
tionnelle importance, sa lettre à saint Sabas, l'arche-
vêque de Serbie, sur la juridiction respective des deux
Églises d'Achrida etd'Ipek, en mai 1220; le couronne-
ment du despote Théodore Ducas l'Ange au printemps
de 1223, et la correspondance avec le patriarche de
Nicée Germain II au sujet de l'ordination de l'évêque
de Servia, acte tenu pour anticanonique par le patriar-
che de Nicée : cet échange de lettres aigres-douces
eut lieu vers 1233, lors de la mission en Épire de
l'exarque patriarcal Christophore d'Ancyre. Au reste,
si les lettres du prélat d'Achrida ne sont pas toutes
datées, elles présentent toutes un intérêt capital tant
pour l'histoire de l'époque que pour la connaissance
du droit canonique byzantin, dont Chomatianus est
l'un des meilleurs représentants. Elles ont été éditées
pour la première fois par le cardinal Pitra, d'après le
manuscrit 62 de la bibliothèque de Munich, dans le
t. VII de ses Analecta sacra et classica Spicilegio So-
lesniensi parata, in-8«', Paris, 1891 .
M. Drinov^, Sur certains travaux de Démétrius Chomatia-
nus comme documents historiques (en russe), Vtz. Vremen-
nik, t I, p. 319-340; t. 11, p. l-2a; A. Mompherratos, ibid.,
t II, p. 426-438; J. Palmov, Christianskoé Chténié, 1891. fasc.
3-4; 1892, fasc. 5-6; D. Ruzic, Die Bedeutung des Demetrios
Chomatianos fur die Gtiindungsgeschichte der serbischen
Autokephalkirche, in-8% léna, 1893.
L. Petit.
2. DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE, apologiste grec
du x« siècle. De sa vie nous ne savons que deux choses,
qu'il fut métropolitain de Cyzique, et qu'à la demande
de Constantin Porphyrogénète (912-959), fils de Léon
le Sage (886-911), il composa un petit traité sur les
erreurs des Jacobites et des Chatzitzariens ou Armé-
niens, dont l'origine a fort tourmenté les éditeurs.
Publié une première fois en latin par Possevin dans
son Apparatus, p. 100, et reproduit par la Biblio-
thèque des Pères de Lyon, t. xii, p. 813, il fut édité
en grec et en latin par Combefis dans son Aticlariuni
novum, t. Il, p. 261, comme une œuvre anonyme; ce
ne fut qu'après coup, par l'inspection d'un manuscrit
palatin, que l'érudit dominicain découvrit le véritable
auteur et signala sa méprise dans une note à son édi-
tion. Cela n'empêcha pas Galland, sur la foi de je ne
sais quelle autorité, d'attribuer l'opuscule à Philippe
le Solitaire, qui écrivait sous Alexis Comnène (lO&l-
1118) ; et, chose surprenante, c'est sous le nom de Phi-
lippe le Solitaire que l'opuscule se trouve dans Migne,
P. G., t. cxxvii, col. 879-902. Il est vrai que la se-
conde partie du traité, la Narratio de rébus Amieniœ,
est reproduite une seconde fois par Migne, sous le
nom d'Isaac l'Arménien, au t. cxxxii, col. 1237-1257;
mais il se pourrait que cette partie de l'ouvrage ne fût
pas de Démétrius, question qu'une nouvelle enquête à
travers les manuscrits permettrait seule de trancher.
Si cette partie est du métropolitain de Cyzique, com-
ment expliquer qu'il ait arrêté sa liste des catholicos
d'Arménie à Isaac III Tsoraporélsi (677-703), à moins
qu'il ne se soit contenté de copier sans plus son pré-
décesseur dans la matière. Quoi qu'il en soit de la
Narratio de rébus Arnumiœ, il est certain que le traité
contre les Jacobites est bien de Démétrius, au témoi-
gnage d'un grand nombre de manuscrits, par exemple,
VAthous 927, 3666, 3758, 4501 ; le Vaticanus Palatinus
356, le Scorialensis R. L 15; le Constanlinopolitanus
Sancti'Sepulcri 391, le Mosquensis 319 et 323. Dans
la plupart d'entre eux, l'ouvrage s'ouvre par une
épltre dédicatoire encore inédite à l'empereur Con-
stantin.
Quelques critiques, comme Lequien et récemment
encore l'auteur du Répertoire des sources historiques
du moyen dge, Bio-bibliographie, 2« édit., Paris, 1904,
1. 1, col. 1166, identifient le controversiste dont il vient
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DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE — DÉMISSION
266
d*étre question avec Démétrius le Syncelle, qui fut
également métropolitain de Cyzique : c*est une méprise
évidente. Le premier a vécu, on Ta vu, sous Cons>
tantin Vil Porphyrogénète, tandis que le second
n'occupa le siège de Cyzique qu'un siècle plus tard,
sons Romain III Argyre (I028103i) et Michel IV le
Paphlagonien (10344041). On a de ce second Démétrius
une intéressante contemplation, (teXérY], sur les empê-
chements au mariage, Leunclavius, Jus gresco-roma-
nuni, t. I, p. 397-406; P. G., t. cxix, col. 1097-1116;
Rhalli-Potli, Syntagma, t. v, p. 35i-366; et une ré-
ponse canonique sur les degrés d*aCHnité entre trois
familles. Leunclavius, loc. cit., p. 406-406; P. G., loc,
cit., col. 1116-1120; Rhalli-Polli, loc. cit., p. 366-368.
Cest sans doute de lui que proviennent encore trois
ooartes dissertations contenues dans le Mediolanensis
682, fol. 367-375. Le curopalate Jean Sky1itzès,au début
de son histoire, indique parmi ses sources une chro-
nique aujourd'hui perdue d'un Démétrius de Cyzique,
qu'il faut identifier avec le second et non avec le pre-
mier des deux métropolitains de ce nom. K. Krumba-
cher, Geschichte der byzantinischen Litteratur, ^2^ édïi.^
p. 399, avoue ne rien savoir de ce Démétrius. On sait
pourtant qu'au mois de- janvier 1028, Démétrius, déjà
métropolitain, faisait partie du synode de Constanti-
nople, P. G., t. cxix, col. 837; qu'en l'an 1037, il in-
trigua avec quelques-uns de ses collègues pour ren-
Terser Je patriarche Alexis et mettre à sa place l'eii-
nuque Jean, frère de l'empereur Michel. P. G., t. cxxii,
col. 2i9. Ces dates, absolument certaines, ont bien leur
importance. Rappelons encore un autre détail : dès
son avènement à l'empire, Romain Argyre, qui avait
notre Démétrius en grande estime, lui conféra, ainsi
qu'à deux autres de ses collègues, le titre de synceile.
Cela eut lieu peu avant le 25 mai 1029, car Sainte-.
Sophie fut témoin ce jour* là, à l'occasion de la Pente-
côte, d'une petite querelle de préséance, les métropoli-
tains du sy-node refusant de céder aux nouveaux
dignitaires la place d'honneur. P. G., t. cxxii,
col. 217, 220.
L. Petit.
3. DÉMÉTRIUS DE LAMPE, hérétique du
XII* siècle, originaire de la petite ville de Lampe, dans
la Phrygie du sud-ouest, près de la ville actuelle de
Sondourlou ; il avait rempli en Europe, spécialement en
Allemagne, plusieurs ambassades importantes, quand,
au retour de l'une d'elles, il se mit à reprocher publi-
quement aux Occidentaux leur doctrine sur le Fils de
Dieu, qu'ils tenaient tout à la fois, disait-il, pour égal
et inférieur au Père. Ce fut un grand scandale chez les
docteurs de Byzance de voir un homme étranger au
clergé oser émettre une opinion théologique. Le débat
soulevé par Démétrius n'en fut pas moins passionnant :
clercs, moines, laïques, empereur, portefaix, tout le
monde s'en mêla. Ù s*agissait surtout de savoir quel
sens il convenait d'attribuer à la parole évangélique :
Mon Ph^ est plus grand que moi. C'était renouveler
la rieille discussion des ariens. Après de vains eiforls
poar ramener Démétrius dans le droit chemin, l'em-
pereur Manuel Comnène, qui avait dés le début pris
la direction du débat, soumit la question au synode qui
l'examina en plusieurs séances, mars et avril 1166.
Le 4 avril, l'empereur sanctionna par un édit solennel
la sentence synodale; mais tout ne fut point fini avec
cette promulgation. Durant quatre ans encore, la dis-
cussion continua d'agiter les esprits. Chose curieuse,
tandis que nous possédons des renseignements assez
abondants sur les partisans principaux de Démétrius,
nous n'avons sur lui aucune donnée précise, hormis
les quelques indications fournies par 1 historien Cin-
name, 1. VI, n. 2, P. G., t. cxxxiii, col. 616-624. De
Tourrage composé par l'hérétique pour défendre son
système, il n'est rien resté, pas même le titre. Nous
nous permettons, pour finir, de renvoyer le lecteur à
l'étude que nous avons donnée ailleurs sur cette
curieuse, mais futile controverse. Voir nos Documents
inédits sur le concile de iiôô et ses derniet^s adver-
saires, dans les Vizantiskii Vremennik de Saint-
Pétersbourg, 1904, t. XI, p. 465-493.
L. Petit.
DEMI8IAN08 Jean, né à Zante ou peut-être à
Céphalonie, fit ses études au collège Saint-Âthanase à
Rome de 1588 à 1595 et y professa le grec pendant trois
ans. Après avoir pris à Padoue le grade de docteur, il
dirigea une école à Zante et y prêcha avec succès le
catholicisme, ce qui lui attira une violente persécution.
Il revint à Rome où il fut un des familiers du cardinal
Octave Bandini et bibliothécaire du cardinal François
Sforza. Les ducs de Mantoue l'envoyèrent à Paris où il
mourut en 1610. Nous n'avons de lui que deux lettres
et quelques poésies.
E.Legrand, Bibliographie hellénique au xvn* siècle, t. in,
p. 180-184.
S. PéTRIDÈS.
DÉMISSION (dimissio, resignatio, renuntiatio^
ejuratio). C'est l'acte par lequel on fait abandon d'un
bénéfice, dignité, fonction, administration, etc., entre
les mains du supérieur légitime qui l'accepte. — I. Ex-
plication de la définition. II. Qui peut démissionner?
III. Quelles causes justifient la démission? IV. La dé-
mission peut-elle être conditionnelle? V. Peut-on
reprendre sa démission?
I. Explication de la définition. — 1« Abandon. —
L'abandon doit être volontaire. Extorqué par la force
ou même simplement par la crainte, il pourrait donner
lieu à une exception quod metus causa que le juge
devrait admettre.
2o D'un bénéfice. — Les anciens auteurs ne parlaient
en cette matière que des bénéfices, mais l'état actuel
de l'Église oblige à envisager d'autres cas de démission
et à régler des espèces beaucoup plus importantes au
bien public que les résignations des bénéfices simples
de Tancien régime.
3» Entre les mains du supérieur légitime qui Vac-
cepte. — Le supérieur légitime dont il est ici question
est le pape, quand il s'agit de la dignité épiscopale. Les
prétentions en sens contraire de Napoléon l*^ n'ont
pas été admises par le Saint-Siège. Voir d'Haussonville,
L'Église romaine et le premier empire, Paris, 1868,
t. VI. Un arrêt du parlement du 28 mars 1765 et aupa-
ravant un arrêt du conseil du roi du 26 avril 1657
avaient reconnu le droit exclusif du pape. On en fit
état contre les prétentions de Charles X en 1828.
Cf. Prompsault, Dictionnaire de droit et de jurispru-
dence en matière ecclésiastique, édit. Migne, 1849,
t. II, col. .52, 53. Pour les autres bénéfices, le principe
est que : Qui potest con ferre beneficium, etiam ejus
renuntiationem acceptare valeat. La règle n'est cepen-
dant pas sans quelques exceptions. Si plusieurs per-
sonnes ou corps concourent à la collation d'un bénéfice,
l'acceptation de la démission doit émaner de ces difl'é-
rentes sources de collation. Tel est le cas d'une élec-
tion suivie de la confirmation par le supérieur, tel est
encore celui de la présentation par un patron suivie
de l'institution par l'autorité ecclésiastique. Mais il
faut noter qu'un laïque, quelle que soit sa dignité, ne
peut être considéré comme le supérieur ecclésiastique
d'un clerc et que, par suite, malgré le droit de patro-
nage dont il pourrait être honoré, il n'a pas qualité
pour intervenir dans l'acceptation de la démission du
titulaire d'un bénéfice. Ceci s'applique même aux rois
et aux empereurs ayant droit de patronage, sauf s'ils
ont reçu sur ce point spécial un privilège apostolique.
Dans l'état actuel de l'Église de France, on voit que
toutes les fonctions ecclésiastiques, offices ou bénéfices,
étant conférées librement par l'évêque, c'est lui seul
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DÉMISSION
268
qui a qualité pour recevoir et accepter les démissions.
Recevoir les démissions n'est pas plus de la compé-
tence du vicaire général que faire les nominations. Ces
actes sont au nombre des actes de juridiction qile
Tévéque est supposé s'être réservés en donnant des
lettres de grand-vicaire. Il faudrait qu'il y fût fait une
mention expresse de ces pouvoirs pour que le vicaire
général les eût. Il faut appliquer au chapitre cathedrm
sede vacante le principe général qu'il ne peut accepter
les démissions que pour les fonctions qu'il peut confé-
rer. Il peut conférer seul alors les bénéfices qui, en
temps ordinaire, sont à la fois de sa collation et de celle
de l'évéque; si donc le titulaire d'un de ces bénéfices
offre sa démission, le chapitre pourra l'accepter. Mais
pour ceux que l'évéque confère seul, le chapitre, ne
pouvant pas les conférer sede vacante, ne pourra non
plus recevoir la démission des titulaires.
Chaque fois que l'abandon volontaire se produit,
accepté par le supérieur légitime, il y a démission. Mais
cette renonciation peut se réaliser sans avoir été for-
mulée en termes exprès, à plus forte raison sans avoir
été rédigée par écrit. Il y a de nombreux cas de démis-
sion tacite. Le cas le plus fréquent, et pour ainsi dire
le seul pratique à notre époque, est l'acceptation d'un
bénéfice incompatible avec celui dont on est titulaire.
Un curé renonce à sa cure par le fait qu'il en accepte
une autre, les fonctions de vicaire général ou un évê-
ché. Le fait d'avoir seulement pris l'habit religieux,
sans avoir réservé son bénéûce, constitue aussi un cas
de renonciation tacite.
L'acceptation de la démission par le supérieur est
nécessaire pour que le bénéficier soit délié de ses obli-
gations. Il peut être contraint par les censures à ne
pas .déserter le poste qui lui avait été confié, ou à y
revenir. Sans doute, c'est un principe que chacun peut
renoncer à son droit, mais à condition de ne pas nuire
à autrui en négligeant un devoir corrélatif de ce droit.
A cause du lien tout spécial qui rattache l'évéque à
son Église, lien assimilé à un mariage spirituel, une
pareille désertion serait particulièrement grave. L'évé-
que ne peut donc jamais abandonner son siège sans la
permission expresse du souverain pontife, et cela même
pour entrer en religion, malgré les facilités spéciales
que la loi reconnaît aux autres bénéficiers dans ce cas
exceptionnel.
Le c. Licet, 18, De regularibus, III, xxxi, reconnaît
en effet aux bénéficiers le droit d'entrer en religion con-
tre la volonté de l'évéque. La conséquence logique
serait qu'il ne soit pas nécessaire de lui demander à
proprement parler une acceptation de démission qu'il
ne peut refuser sans se mettre en opposition avec les
canons. Mais encore faut-il se souvenir de l'obéis-sance
promise à l'évéque au jour de l'ordination, de la né-
cessité où l'évéque va se trouver de pourvoir au
remplacemenl. On demandera donc à l'évéque soit de
réserver le bénéfice pendant le temps du noviciat, ce
qui est le droit commun, c. iv, De regularibus, III,
XIV, in 6o, soit d'accepter la démission. Le départ du
bénéficier pour un ordre religieux, effectué sans que
l'évéque ait été mis à même de manifester sa volonté,
pourrait exposer le bénéficier à se voir rappelé, s'il
était prouvé que son départ porle un préjudice grave à
l'église. De plus, la seule prise d'habit, effectuée dans
ces conditions, équivaut à une démission tacite et si le
novice ne persévérait pas dans sa vocation, il trouve-
rait, en rentrant dans le monde, son bénéfice occupé
par un autre.
Voilà pour les bénéfices proprement dits. Mais que
faut-il penser des autres fonctions ecclésiastiques con-
fiées par l'évéque à un prêtre : cures amovibles,
aumôneries, vicariats, elc? Les textes du droit, rédigés
dans le style d'une autre époque, ne parlent que des
bénéfices, mais les mêmes raisons demandent que les
démissions soient régies, en matière de simples offices,
par les mêmes règles. Aussi la S. C. du Concile a-t-
elle, en ces derniers temps, répondu dans le sens de la
législation bénéficiaire à des questions posées par les
ordinaires de Toulouse et de Parme. L'archevêque de
Toulouse demandait : i^ An parochis amovibilibus ii-
ceat eo quod non habeant bénéficia veri nominis (le
bénéfice étant perpétuel par définition), sine ordinarii
iicentia, parochiis suis renuntiare f 2'> An episcopo
liceat, ex obedientiœ prœcepto, adhibitis etiani, si
opus sit, censuris, eos cogère ut in munere persistant f
La S. C. du Concile a répondu le 9 mai 18i4 : Ad
i«>», négative; ad !?"•", affirmative. L'évéque de
Parme a provoqué une réponse plus générale en expo-
sant des espèces plus variées : !• Utrum liceat sacer-
dotibus, qui bénéficia veri nominis non pollent^ et
speciatim vicariis curatis, economis et capellanis,
derelinquere officia ab episcopo illis commissa, non
obtenta prius ejus Iicentia? 2» An ex prmcepto obe-
dientiœ, adhibitis etiam, si opus fuerit, censuris,
episcopus jus habeat eos cogendi ut persistant in sua
officio, saltem usquedum ipsis providere valeat per
idoneum successorem f La S. C. du Concile a répondu
le 11 janvier 1886 : Ad i»™, prout exponitur, néga-
tive; ad 5«", affirmative, quoties ex officii dimis-
sione grave detrimenlum curm animai*ufi\ sit ob-
ventut*um. Est tamen episcopi sollicite providere de
idoneo successore, prœserlim cum, rationabili de
causa, dimissio expostulatur.
II. Qui peut démissionner ? — La règle est que tout
bénéficier peut démissionner et qu'on peut démission-
ner de tout bénéfice. On peut même renoncer à la pa-
pauté, et il y en a un illustre exemple. Il y a cependant
quelques restrictions à ce droit, fondées sur l'ordre
public.
La principale provient de la bulle de Pie V, Quanta
Ecclesiœ, n. 58, du 3 avril 1568, où le § 3 interdit à tout
clerc constitué dans les ordres majeurs de résigner son
bénéfice ou son office, s'il n'a par ailleurs de quoi sub-
venir à sa subsistance. Le concile de Trente avait déjà
obéi à une préoccupation analogue, sess. xxi, c. 2,
De reform., en déclarant nulle la résignation du bé-
néfice qui avait servi de titre au moment de l'ordina-
tion. Pour qu'une semblable démission puisse avoir
son effet, il faut que : 1« le démissionnaire ait déclaré
qu'il s*agit de son titre d'ordination ; 2o qu'il soit établi
qu'il a par ailleurs de quoi se suffire.
Ne parlons que pour mémoire du cas, autrefois cé-
lèbre, mais peu pratique de nos jours et dans notre pays,
prévu par la règle 19^ de la Chancellerie, appelée vul-
gairement la règle de viginti. Elle s'exprime ainsi :
Si quis in infirmilate constitutus resignaverit,,. ali-
quod beneficium.., sive simplicitei\.. et postea infra
viginti dies,.. de ipsa infirmitate discesserit..,, colla-
tio... sit nulla et beneficium ..,per obitum censeatur
vacare,
III. Quelles causes justifient la démission? —
Puisque le supérieur doit intervenir pour accepter ou re-
fuser la démission, sur quoi devra-t-il appuyer sa déci-
sion? Il n'a pas le droit d'accepter la démission, si elle
n'est pas justifiée par une cause juste et prévue par le
droit. La rubrique du c.lO, De renunciatione,a}ïx Décré-
tales de Grégoire IX, formule les cas légitimant la dé-
mission des évêques en deux vers latins :
Debilis, Ignarus, maie conscius, irregularis,
Quem maia plebs odit, dans scandala : cedere posait.
Le lien qui rattache les bénéficiers inférieurs à leurs
postes étant bien moins étroit que le mariage spirituel
contracté par l'évéque avec son Église, les six raisons
qui justifient la démission épiscopale, seront sufllsantes
et même surabondantes parfois pour que l'évéque
puisse accepter la démission d'un bénéficier.
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DÉMISSION
270
h LHncapacité physique, provenant de la vieillesse ou
de la maladie, n'est jamais une raison suffisante pour
priver quelqu'un de son bénéfice, même en assurant
par ailleurs sa subsistance, mais elle peut être une rai-
son d'accepter la démission librement offerte. Bien que
le moyen canonique, qui consiste à laisser à un impotent
son bénéfice et ses revenus en l'obligeant seulement à
payer la portion congrue à un vicaire,pourvoie suffisam-
ment au bien général, on conçoit que le bénéficier,
devenu incapable de remplir toutes ses fonctions, pré-
fère démissionner. Son infirmité justifiera l'acceptation
de révèque, ou du pape, s'il s'agit d'un évéque infirme.
2« L'ignorance. — Cette cause ne peut plus guère se
réaliser chez les évéques. II n'y a pas pour eux d'obli-
gation de posséder la science éminente, la science
compétente suffit, et s'ils ne l'avaient pas, ou bien ils
n'auraient pas été promus, ou bien il y aurait lieu non
pas à accepter leur démission, mais à les déposer. Fa-
gnan, CommenL in c. ix de renuntiatione, n. 59.
Mais ce qui ne se réalise plus chez les évéques pour-
rait se rencontrer chez un curé, surtout là où la loi du
concours n'est pas appliquée, et l'évéque pourrait y
trouver une cause suffisante d'accepter une démission.
3» McUe conscius. — Par là il faut entendre une faute
tellement grave que, même après en avoir fait pénitence,
le bénéficier se trouverait dans l'impossibilité morale
de remplir sa charge avec fruit.
4» L'irrégularité. — Elle a pour effet de rendre
inhabile à recevoir un bénéfice, mais elle ne prive pas
ip$o jure du bénéfice qu'on possédait au moment où
on en a été frappé. Cependant il est naturel qu'on ac-
cepte la démission offerte par un irrégulier.
5* La haine du peuple pour son pasteur, qu'elle
soit d'ailleurs justifiée ou non, l'empêche de remplir
utilement ses fonctions, met parfois sa vie en péril ou
lai rend impossible la résidence nécessaire. Elle peut
donc être une cause suffisante d'accepter la démission.
6» Le scandale. — Si le scandale est grave et que
seul le départ du bénéficier puisse, le faire cesser, ce
dernier pourra être tenu en conscience à démissionner,
même s'il est évéque. Â plus forte raison, pourra-t-on
accepter la démission d'un bénéficier inférieur pour
une raison analogue.
IV. LiL DÉMISSION PEDT-ELLE ÊTRE CONDITIONNELLE? —
Que faut-il penser des renonciations conditionnelles si
fréquentes autrefois? La seule allusion à ces pratiques
éveille le souvenir de pactes simoniaques que l'Église a
dû réprouver. Une réglementation sévère domine la
matière et nous allons l'indiquer brièvement.
Il y a simonie, de droit naturel, quand il y a pacte
poar céder une chose spirituelle ou une chose annexée
â une chose spirituelle, contre un avantage d'ordre
temporel. Céder dans ces conditions un bénéfice, chose
qui, malgré son aspect temporel, est intimement unie
à une fonction ecclésiastique, chose essentiellement
spirituelle et dont les avantages matériels ne sont que
l'accessoire, constitue le crime de simonie. Mais
parfois, ob prsMumptiofiem periculi, l'Église interdit
la cession d'une chose spirituelle même contre une
chose spirituelle, ou d'une chose temporelle contre
une autre chose temporelle. Ce sont les cas de simonie
ecclésiastique, cas limités par le droit, constituant de$
exceptions et qui par suite sont de stricte interprétation.
Or les démissions conditionnelles ont nécessité de la
part de la loi ecclésiastique des réglementations qui
sont justifiées par des préoccupations de ce genre. Elles
portent sur les démissions en faveur d'autrui, soit que
celui qui bénéficiera de la démission se démette de son
côté d'un bénéfice en faveur de celui qui lui a résigné
le sien (c'est le cas de permutation), soit que le démis-
sionnaire en faveur d'autrui ne reçoive aucun autre
bénéfice en échange, soit qu'il y ait pacte, de quelque
nature qu'il soit, au sujet des bénéfices. La démission
conditionnelle n'est pas absolument impossible, mais
très strictement réglementée, comme nous le verrons
tout à l'heure. Mais toutes les prescriptions de la loi
canonique fussent-elles observées, qu'il faudrait encore
prendre garde à ne pas tomber dans la simonie au sens
strict. Donc, jamais une démission ne doit avoir pour
condition une somme d'argent à verser au démission-
naire, même sous prétexte de le faire rentrer dans les
frais qu'a pu entraîner pour lui autrefois son entrée en
fonction. Il ne sera même pas permis au démissionnaire
sous condition, de convenir que les frais entraînés par
la démission elle-même doivent être à la charge de celui
qui doit en bénéficier. Illicite aussi serait la condition
que celui qui reçoit le bénéfice résigné devra le rendre
plus tard au démissionnaire ou à une personne de son
choix ou réserver à quelqu'un les fruits en tout ou en
partie. Ce serait la simonie confidentielle.
En plus de cela, tout pacte entre particuliers sur la
matière des bénéfices étant interdit par le droit positif
ecclésiastique, c. 8, Décrétales, De pactis, I, xxxv, les
démissions conditionnelles ne peuvent avoir lieu que
dans les formes suivantes :
10 Pour les permutations. — Elles sont légitimes, si
elles sont faites par l'autorité de l'évéque, et pour une
juste cause dont il est juge. La démission en vue de la
permutation devra se présenter sous la forme suivante :
Le bénéficier remettra sa démission entre les mains de
l'évéque en exprimant la condition qu'il ne se démet
qu'en vue d'acquérir tel autre bénéfice, L'évéque jugera
s'il doit l'accepter dans ces conditions. S'il ne l'accepte
pas, la démission ne produit aucun effet, puisqu'elle
était liée à la réalisation de la condition. S'il l'accepte,
la collation, que l'évéque ferait à tout autre que le titu-
laire du bénéfice attendu en échange, serait nulle. L'autre
permutant procède de la même façon. Les deux bénéfices
étant ainsi remis entre les mains de l'évéque, c'est
lui, et non les intéressés, qui exécute la permutation
par le moyen d'une nouvelle collation de chacun des
bénéfices. La juste cause sera tirée de l'utilité de
l'église ou même de la simple convenance des permu-
tants, pourvu qu'elle ne soit pas en opposition avec le
bien public. Les deux collations doivent se faire en
même temps, et l'évéque, soit pour l'acceptation des
démissions, soit pour la nouvelle collation, doit respec-
ter les droits des tiers (électeurs, patrons), comme il a
été expliqué plus haut, col. 266.
11 est clair que la loi ecclésiastique autorisant les
permutations, ceux qui veulent user de ce droit ont la
faculté de se faire à l'avance les ouvertures nécessaires.
Il leur est interdit seulement par les canons de faire la
permutation de leur autorité privée, et par la loi natu-
relle de faire des conventions pécuniaire?. Ils expriment
à l'évéque leur désir mutuel, donnent leurs démissions
conditionnelles, et s'en remettent ensuite au jugement
du supérieur, qui est placé dans l'alternative de refuser
les deux démissions en toute liberté ou de faire la per-
mutation.
2o Pour les résignations in fa vorem tertii. — C'est
l'intervention du pape qui est nécessaire, parce que de
telles résignations sont interdites par le droit général
de l'Église, dont seul le souverain pontife peut dispen-
ser. Cf. Reiffenstuel, Comment, de renuntiatione,
n. 105 sq. L'opinion commune est même que, faites par
la seule autorité de l'ordinaire, elles revêtiraient un
caractère simoniaque. Tout au plus peut-on, en rési-
gnant son bénéfice, sa cure, par exemple, recommander
à l'évéque un candidat à la succession. Ce dernier pourra
être nommé, si l'évéque le veut, mais ce n'est pas un
cas de démission conditionnelle, le collateur a toute
liberté.
3«> Pour les démissions sous condition de réserve d'utie
pension sur le bénéfice. — L'évéque peut de son auto-
rité privée, et pour des raisons graves, grever le titulaire
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271
DEMISSION
DEMOCRATIE
272
d'un bénéfice, et cela de son consentement, d'une pen-
sion au proflt de son prédécesseur. La raison grave sera,
par exemple, Tinfirmité du prédécesseur, le bien de la
paix troublée jusque-là par des procès, etc. Mais de
l'avis commun des canonistes, son pouvoir ne va pas
jusqu'à grever le bénéfice lui-niênie, et l'obligation,
personnelle à celui qui l'a consentie, meurt avec lui. Si
la cause subsiste à la mort du grevé, Tévéque pourra
demander au successeur de se lier à nouveau par une
obligation toujours personnelle. Mais le titre: Ut bé-
néficia ecclesiasiica sine diminulione confet^antur,
1. III,. XII, ne peut subir d'exception que par la volonté
du pape.
Ce pouvoir si réduit, l'évêque pourra en user en fa-
veur d'un démissionnaire, cela va sans dire, mais le
principe qu'on ne doit faire aucun pacte sur le béné-
fice domine la matière, c. 8, ;Décrélales, De pacliSj I,
XXXV. Le démissionnaire pourra donc seulement, en
donnant sa démission pu7^e et simple, prier Tévéque
d'user de son droit en sa faveur. Il pourra même lui
désigner tel ou tel quUl sait disposé à accepter le béné-
fice en se chargeant personnellement de la pension;
mais à cela se bornera le rôle du démissionnaire.
V. Peut-on reprendre sa démission?— Qui jurisuo
renuntiavit, nonpotestposteaad illud redire. Ce prin-
cipe s'applique, dans l'espèce qui nous occupe, avec une
rigueur particulière, au moins quand le supérieur a
accepté la démission. En effet, ce dernier n'a donné son
consentement que pour des motifs graves qui peuvent
tous se ramener au bien général de l'Église ou au pro-
pre salut du démissionnaire qui a cru de son devoir
de ne pas garder une responsabilité trop lourde. Un
démissionnaire, qui reprendrait sa démission acceptée,
commettrait un acte déraisonnable et pourrait être con-
traint par toutes les voies de droit à laisser la place à
son successeur. Mais si la démission n'avait pas encore
eu son plein effet par l'acceptation du supérieur, le
démissionnaire pourrait revenir sur sa décision. En
tous cas, on peut être promu à nouveau à un poste dont
on s'était d'abord démis. Mais les auteurs notent que si
la démission avait été acceptée, on prend rang par
ancienneté du jour de la nouvelle promotion.
Les commentateurs des Décrétales : Fagnan, Reiffenstuel, etc.,
traitent cette matière au titre De renwttiatione, qui est le ix'
dul. I". Au Sexte, c'est au même livre le titre vir, dont le i" cha-
pitre, rédigé par Boniface vm, traite de la démission du souve-
rain pontife. Voir aussi la bulle de saint Pie V, du 1" avril 1568.
Quanta Ecclesiœ dans le Bullarium de Lyon, t. ii, p. 252;
Ferraris, Prompta bibliotheca, etc. En celle matière, la disci-
pline n'a pas changé et les anciens auteurs se trouvent au
point. Nous avons signalé dans rartlcle la jurisprudence de la S.
G. du Concile qui assimile en cette matière les offices et fonctions
aux bénéfices proprement dits.
P. FOURNERET.
DÉMOCRATIE. — L Le double sens du terme :
le régime politique, le mouvement social. II. La com-
pétence des théologiens au sujet de la démocratie.
III. Saint Thomas d'Aquin : la théorie morale de la
démocratie au xiii» siècle. IV. Savonarole : le problème
pratique de la démocratie à Florence, au xv« siècle.
Y. La légitimité de la démocratie, d'après renseigne-
ment commun des théologiens. VI. Le mouvement
démocratique aux temps modernes. VII. De Pie VII
à Grégoire XVI : condamnation réitérée des menées
révolutionnaires. VIII. Pie IX : la souveraineté du
nombre et de la force matérielle, condamnée par le
Syllabus. IX. Léon XIII : la démocratie politique re-
connue parmi les formes de gouvernement que l'Église
peut accepter. X. L'éducation morale de la démocra-
tie; problèmes connexes. XI. L'encyclique De condi-
tione opificum et la démocratie comme mouvement
social. XII. L'encyclique Graves de communi et la
démocratie chrétienne. XIII. Pie X : l'encyclique Pas-
cendi et la démocratie dans l'Église.
I. Le double sens du terme : le régime politique;
LE [mouvement social. — 1« Le régime politique. —
Dans l'usage courant, le terme démocratie éveille
d'abord l'idée d'un peuple qui se gouverne lui-même.
C'est le sens voulu par l'étymologie. C'est le sens con-
sacré par l'opposition classique de la démocratie, gou-
vernement de la multitude, à l'aristocratie, gouverne-
ment de l'élite en petit nombre, et à la monarchie,
gouvernement d'un seul. Platon, Bépublique, 1. 1, c. vm.
Le politique ; Ansioiet PolitiquCy 1. II, c. iv, v; Polybe,
Histoire générale, 1. VI, c. m; Cicéron, La République,
l. I, c. XXIX, XLv; 1. II, c. XXIX, xxxix; S. Thomas,
Sum. theoL, I»II«, q. cv, a. 1; Machiavel, Discours sur
les Décades de Tite Live, 1. 1, c. ii ; Montesquieu, Esprit
des lois,\. I, c. ii; Rousseau, Contrat social, 1. III, c. m,
x; Fonsegrive, La crise sociale, Paris, 1901, p. 438,
440; Gayraud, [Les démocrates chrétiens, Paris, 1899,
p. 4; Ch. Antoine, S. J., Cours d'économie sociale,
Paris, 1899, p. 248; sir Henry Sumner Maine, Essais
sur le gouvernement populaire, Paris, 1887, p. 90.
Mais que, signifie exactement le mot peuple dans
cette définition nominale de la démocratie? Dans un
sens large et fondamental, c'est une multitude, com-
posée de familles et d'autres groupes, unifiée par de
communs intérêts et de communes lois. S. Augustin,
d'après Cicéron, De civitate Dei, 1. II, c. xxi; 1. XIX,
c. XXI, P. L., t. XLi, col. 66, 648. Mais, tandis que cer-
taines sociétés se maintiennent dans une sensible éga-
lité des conditions et des fortunes, soit par suite des
ressources modiques du lieu, soit par suite de travaux
faciles, art pastoral et culture rudimentaire, d'autres
sociétés, mieux pourvues de ressources locales ou plus
laborieuses, se distinguent en classes : les ouvriers et
les patrons, les pauvres et les riches, les gens à Taise
et les opulents, les petits et grands propriétaires. L'éga-
lité et l'uniformité des conditions se maintiennent
facilement dans les sociétés simples, vivant de récoltes
spontanées, de culture extensive, de petite fabrication
ménagère ; mais elles font place à de croissantes iné-
galités dans tout milieu qui exige un travail intense,
E. Demolins, Comment les sociétés compliquées sont
issues des sociétés simples, dans La science sociale,
1886, t. i, p. 486, 520; Id., Les commencements de la
culture, ibid., 1886, t. ii, p. 413, 432. C'est par l'effet
de ces causes, que, chez les Grecs, le terme Stîplo;, et,
chez les Latins, populus, reçurent une acception parti-
culière nouvelle. Les patriciens, grands propriétaires
fonciers ou commerçants enrichis, se distinguèrent de
la masse ouvrière et pauvre, spécialement nommée le
peuple. C'est en ce sens que le protocole disait : Sena-
tus populusque romanus. C'est en ce sens que Plliade
oppose le î-î^îio; aux rois et aux chefs. Iliad., II, 188,
198; Odys,, VIII, 157. Les politiques disaient, à peu
près comme à Rome, f, pou>ti xai 6 Sîmoç ; comme enfin
ce sont les travailleurs manuels qui forment la grande
majorité des sociétés, et que les classes riches, les
aristocraties, les gouvernants, échappent de par leur
condition à la nécessité du travail manuel, peuple se
dit plus spécialement encore au sens restreint de la
classe ouvrière.
Est-ce du peuple-ouvrier, de la multitude sans for-
tune, ou bien du peuple en totalité que l'on entend
parler en disant que le peuple gouverne dans la démo-
cratie?
Chez les anciens, ce n'était absolument ni de l'un ni
de l'autre; car les démocraties classiques de la Grèce
excluaient de tout droit politique diverses catégories de
travailleurs manuels : les esclaves ruraux et domes-
tiques; les périoèques de la Crète, les métèques de
l'Âttique, les [poénestes de Thessalie, les hilotes de
Sparte. C'étaient des paysans attachés à la glèbe, des
serfs ou des demi-serfs de la terre. Aristote, Poli-
tique, 1. II, c. VI, § 2, 3. C'est que l'État grec, la cité^
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DÉMOCRATIE
274
se composait d'une ville, soit militarisée comme à
Sparte, soit plus généralement enrichie par le com-
merce de terre et de mer. Les bourgeois possédaient
en outre des propriétés dans la banlieue, cultivées en
régie par les types de serfs énumérés plus haut. Par
la richesse, Thabileté dans les affaires, la culture de
Tesprit, la pratique des sports et de Téquitation, le
prestige des assemblées délibérantes, la bourgeoisie en
corps dominait les paysans de la banlieue, comme les
artisans de la ville. Gabriel d'Àzambuja, La (xrèce
ancienne, Paris, 1906; Le Play, La réfoi^ie sociale,
c. LXii, § 13. De cette situation de fait, Âristote extraira
sa théorie du citoyen, qui sera vraiment Tidéal grec :
un bourgeois assez honnête et assez lettré pour faire
toup à tour acte de gouvernant et de gouverné, de juge
et de justiciable; assez riche, pour ne dépendre de
personne et posséder tous les loisirs que réclament
les assemblées de râyopà et de la pouXiQ. « Dans une
cité bien constituée, les citoyens ne doivent point avoir
à s'occuper des premières nécessités de la vie : c'est
un point que tout le monde accorde; le mode seul
d'exécution offre des difGcultés. » Aristote, Politique,
1. III, c. III, §1, 3. De par cette exclusion, si rigoureuse
en principe, une démocratie grecque se ramenait dans
la réalité à une bourgeoisie privilégiée. Étant données
la facilité de vivre sur les rivages de TÂrchipel et sous
le ciel méditerranéen, la frugalité d'une race contente
avec quelques sardines, quelques olives, quelques
lignes, sans grands besoins de chauffage ni de vête-
ments, beaucoup de citoyens peu fortunés vivaient à
l'aise. Alors, au lieu de l'oligarchie des riches ou de
Paristocratie des anciennes familles, une quasi-démo-
cratie se constituait, par l'accession au pouvoir de la
masse plus humble. Mais, en regard des cent mille es-
claves ou métèques de l'Âttique, les six mille citoyens
de la démocratie athénienne restaient, dans le fait, une
simple oligarchie.
C'est dans un sens tout différent que, de nos jours,
on entend la démocratie. Tandis que la pratique du
commerce, la richesse, la civilisation urbaine inspi-
raient naturellement aux Grecs le mépris du travail
manuel, de l'artisan et du paysan, TÉvangile et
l'Église en ont prêché et inculqué le respect, au nom
de la fraternité humaine en Dieu et de la loi morale
du travail. Les races du Nord et du Centre de l'Eu-
rope étaient d'ailleurs mieux prêtes que les races mé-
diterranéennes, à entendre cet enseignement : l'amol-
lissante douceur de vivre énerve souvent ces dernières,
par les caresses du soleil et les dons spontanés du
sol; mais, au contraire, les climats froids et tempérés,
les terrains pauvres, la productivité plus incertaine de
l'Earope centrale ou septentrionale enseignent rigou-
reusement la nécessité et le prix du travail. Surélevées
par le christianisme, ces influences du lieu et du mé-
tier ont déshabitué l'Européen moderne de regarder
l'ouvrier comme moins homme, d'abord, et ensuite
moins citoyen que le bourgeois ou le noble. C'est du
peuple en totalité, que l'on parle depuis longtemps en
France, quand on dit le peuple, au point de vue poli-
tique. Aux États-Généraux de 1483-1484, Philippe Pot,
représentant de la noblesse de Bourgogne, disait :
« Un état ou un gouvernement quelconque est la chose
publique, et la chose publique e.st la chose du peuple;
quand je dis le peuple, j'entends parler de la collec-
tion ou de la totalité des citoyens, et dans cette tota-
lité, sont compris les princes du sang eux-mêmes
comme chefs de la noblesse. » Recueil des anciennes
lois françaises, t. xi, cité par le R. P. Maumus, L'Église
et la France moderne, p. 201.
Tel est, logiquement, le sens entendu, lorsque, de
nos jours, on déGnit la démocratie par l'accession du
peuple au pouvoir : ainsi le pensent les philosophes
qui définissent les termes. D'après M. Goblot, Vocabu-
laire philosophique, Paris, 1901, démocratie veut dire :
« État social où le pouvoir politique est exercé par le
corps social tout entier, sans distinction de caste ni de
classe. » Les politiques en tombent d'accord. M. Charles
Benoist disait à la Chambre des députés, le 6 mars 1908 :
« La démocratie, c'est le gouvernement du peuple par
le peuple et non pas le gouvernement d'une partie du
peuple par une autre. » Cf. Fonsegrive,La cHse sociale,
p. 438, 440.
Tel est le sens actuel du mot démocratie; mais
l'idée qu'il éveille chez nous correspond -elle aussi
bien à quelque chose de réel? Des théologiens et des
philosophes, comme le cardinal Zigliara, Summa phi-
losophica, t. m. De auctoriiate sociali, § 7; des poli-
tiques, comme M. de Lamarzelle, relèvent une « fla-
grante contradiction » entre les nécessités réelles du
gouvernement et la notion de peuple gouvernant : le
commandement et l'obéissance, l'action subie et l'action
exercée ne peuvent se trouver dans le même sujet. Il
faut qu'à la masse dirigée, une organisation des diri-
geants se superpose, sous peine d'anarchie. De Lamar-
zelle, Démocratie politique, démocratie sociale, dé-
mocratie chrétienne, Paris, s. d., p. 2, 3. Visiblement
impressionné par des vues du même ordre, M. G. Cle-
menceau regarde le peuple comme une « masse flot-
tante », qui ne se mène pas, mais qu'on mène : « En
réalité, ce qu'on entend par démocratie dans le lan-
gage courant, c'est Vaccrcissement fatal, profitable,
mais incohérent des minorités gouvernantes. » Le
Grand Pan, p. 316, 317.
Il y a une part de vérité dans ces considérations,
mais aussi une part d'erreur. Elles sont trop générales,
trop absolues, pour s'appliquer exactement à tous les
modes possibles de gouvernement direct ou indirect
par le peuple; aussi, nous ne signalons ici de telles
appréciations que pour rappeler le danger particulier
des généralités oratoires ou dialectiques, dans une
matière aussi complexe et aussi variable que la vie
sociale. L'observation des types concrets de gouverne-
ment qualifiés démocratie nous dira seule dans quelle
mesure la multitude arrive ou non à se gouverner elle-
même. La connaissance réelle et scientifique de la
démocratie est à ce prix.
i»"" cas : le gouvernement direct par le peuple en
assemblée générale. — Ce type se réalise tout près de
nous, depuis bien des siècles, dans un certain nombre
de cantons suisses. « D'après la constitution d'Âppen-
zel (Rhodes intérieures), qui se retrouve, à peu de
chose près, dans les cantons de Rhodes extérieures,
de Claris, d'Uri, des deux Unterwalden, le pouvoir
souverain — sous réserve des droits de l'assemblée
fédérale — est exercé par les citoyens du canton réunis
en assemblée générale : Landsgemeinde. Un Grand
Conseil, élu par la Landsgemeinde, est chargé de
préparer les lois. Le pouvoir exécutif est confié à un
Conseil d'État, nommé par l'assemblée; le Landam-
man, qui fait partie de ce conseil, est le chef du pou-
voir exécutif. La puissance souveraine repose donc
essentiellement dans le peuple. Il se donne sa consti-
tution, vote ses lois, nomme ses autorités, ses fonc-
tionnaires et ses juges. » Il approuve ou censure les
comptes de l'administration financière. Robert Pinot,
La démocratie actuelle en Suisse, dans La science
sociale, Paris, 1891, t. xi, p. 184, 186. Voici donc le
gouvernement du peuple par lui-même : 1® dans le
vote ou le rejet des lois que lui préparent des manda-
taires particuliers; 2* dans le contrôle financier de
ceux-ci; 3® dans leur nomination. Ces actes de souve-
raineté s'accomplissent collectivement, à la magorité
des voix, à intervalles périodiques. Dans le train quo-
tidien de la vie, chacun retourne à ses affaires; il re-
devient simple citoyen, pour obéir aux magistrats,
payer les taxes, observer les lois. Nous ne trouvons là
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DÉMOCRATIE
276
aucune trace de a la flagrante contradiction » alléguée
tout à l'heure : les citoyens ne sont pas gouvernants et
gouvernés dans le même instant, sous le même rap-
port, pour le même objet. Von Hertling, Denwcrazie,
dans SUiatslexicon, 2«édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901,
col. 1335-1338.
Mais aussi bien, ce gouvernement direct par le
peuple ne saurait être qu'intermittent; chacun se doit
à son gagne-pain, à sa famille, à ses intérêts dans la
vie quotidienne. Nécessairement, Texécution quoti-
dienne des lois, l'administration des personnes et des
deniers publics, la préparation des textes législatifs, la
police, réclament des fonctionnaires, des spécialistes,
des magistrats. La masse du peuple doit s'en remettre
de ces soins et de ces charges à une minorité diri-
geante. Mais il la nomme et il la contrôle en assemblée
générale : il retient donc son éminente souveraineté,
bien qu'il transfère diverses juridictions qu'il ne sau-
rait exercer. Ainsi, le gouvernement du peuple par le
peuple existe; et il mélange aussi bien l'exercice di-
rect du pouvoir par la multitude et son investiture à
des autorités.
Mais il y faut des conditions particulières : 1« un <
étroit territoire et une population peu nombreuse,
afin que la totalité des citoyens puisse aisément se
transporter à l'assemblée générale, et y entendre les
rapports, les propositions, et y compter ses voles. Ro-
bert Pinot, loc. cit., p. 187. 2® Il faut aussi Végale pos-
sibilité pour les citoyens de se prononcer en connais-
sance de cause sur les candidats, les projets de loi et
les comptes. Cette possibilité n'existe que dans un état
social peu compliqué, pour des affaires simples. Voilà
pourquoi la démocratie directe est de temps immé-
morial le régime de cantons forestiers, pastoraux,
dont les vallées renferment peu d'industrie, pas de
grand commerce, avec une population de paysans sen-
siblement égaux entre eux. Les intérêts cantonaux ne
sont en réalité que des intérêts intercommunaux.
Dans ces milieux, « la démocratie surgit de la nature
de l'homme et des choses. » Le Play, La réforme
sociale en France, Tours, 1887, t. m, p. 308. 3» La
démocratie directe exige enfin chez ses participants un
sérieux amour du bien commun, s'inspirant de la jus-
tice, de la fraternité et du goût de la paix. « Elle fait
naître toujours la prospérité, si le peuple, soumis à
la loi de Dieu, s'accorde à conférer le pouvoir aux
autorités naturelles, » c'est-à-dire aux plus capables et
aux plus dignes. Le Play, loc. cit. Et aussi bien les
montagnards suisses sont-ils profondément honnêtes
et sauvegardés dans leur honnêteté par une religion
convaincue et grave. Robert Pinot, loc, cit.
Ainsi, le gouvernement direct du peuple par le
peuple se réalise dans les petits États de vie simple, de
médiocres affaires et de haute moralité. Il s'adjoint
aussi bien une minorité de délégués ou de manda-
taires.
2« cas, — L'adjonction de cette minorité devient plus
nécessaire encore, et sa fonction plus considérable, dés
que la population devient plus dense, avec une vie plus
compliquée, dans un pays devenu plus riche, par la
culture, l'industrie et le commerce. Des intérêts plus
nombreux et plus délicats sont à ménager, à promou-
voir, à défendre; et leur discussion technique ou pru-
dentielle dépasse les loisirs comme les capacités de la
masse. Elle ne les connaît plus par elle-même que
très en gros. C'est par l'effet de ces causes, que, dans
les cantons de Berne, Fcibourg, Bâle, Genève, Zurich,
des représentants assemblés se substituent à l'assem-
blée générale. A Berne, le pouvoir législatif en entier
appartient à un Grand Conseil, pour quatre ans aussi,
et que préside un magistrat annuel. Mais cette part
faite à la nécessité de spécialistes gouvernants, le
peuple garde le contrôle des lois par voie de référen-
dum : c'est le vote suprême sur leur rejet ou leur
adoption. Grâce à la clause, introduite dans toutes les
constitutions cantonales ou fédérales, le peuple suisse
conserve le droit d'annuler purement et simplement
les lois de ses représentants qui ne lui plaisent pas.
Robert Pinot, loc. cit., p. 191 sq. Ces modifications
nouvelles du régime démocratique nous permettent de
distinguer un 2« cas : le gouvernement direct fait
place à un gouvei*nement représentatif, dont le peuple
retient le contrôle effectif par la clause de référendum.
(Ne pas confondre celui-ci avec le plébiscite : le plé-
biscite porte sur un homme, et non sur une loi; le
plébiscite peut servir à se donner un César, mais le
référendum demeure essentiellement un moyen de
contrôle populaire.)
5« c(u. — Puisque ce sont l'intensité du travail, l'ac-
croissement de la richesse, la complexité des intérêts
qui déterminent les institutions représentatives, nous
verrons les minotités gouvernantes de députés, de fonc-
tionnaires, de citoyens influents s'accroître considéra-
blement dans les grands pays riches. Tout ce que le
peuple y peut retenir, dans les affaires générales de la
province ou de la nation, c'est le contrôle légal par voie
de référendum, ou bien encore l'influence positive,
comme celle que les Trade-Vnions exercent en Angle-
terre sur la législation et dans le parlement, par la
puissance combinée du nombre, de la compétence, et
de l'action disciplinée. Ainsi, les grands États démo-
cratiques ou qui vont se démocratisant, réalisent un
3* cas de gouvernement par le peuple : indirect et re-
présentatif, pour l'ordinaire, avec moyens légaux et
reconnus d'action populaire. Le mouvement trade-
unioniste aux États-Unis, Circulaire du Musée social,
n. 10, série B, 29 juin 1897; Le Cour-Grandmaison,
Le passé et V avenir des Trade- Unions.
4« cas. — Enfin, dans tout état social et politique,
compliqué ou simple, monarchique, aristocratique ou
républicain, le gouvernement du peuple par le peuple
se réalise aisément, utilement, pour les affaires inté-
rieures des communes rurales. C'est un cas analogue à
celui des cantons suisses forestiers et pastoraux. Partout,
excepté en France, les paroisses et les communes for-
ment des démocraties indépendantes. Le Play, La ré-
forme sociale en France, t. m, p. 309, 310. La commune
russe, ou le mir. Tikhomirov, La Russie politique et
sociale, p. 113, 116; Stepniak, La Russie sou^ lei tsars,
p. 6; A. Leroy-Beau lieu, Vempire des Tsars et les
Russes, 2« édit., Paris, 1883, t. i, p. 476 sq. La commune
rurale suisse (Jura Bernois). R. Pinot, Monographie
du Jura bernois, dans La science sociale, 1887, t. m,
p. 619 sq. — Allemagne (Lunebourg), E. Demolins, Le
Bauer du Lunebourg, ibid., 1887, t. m, p. 585, 593. —
Angleterre, Le Play, Constitution de V Angleterre, t. ii,
c. Jii; La réforme sociale en France, t. ii, c. lv, lvi:
cf. lvi; c. Boutmy, Le développement et la constitution
de la société politique en Angleterre; Edward Jenks,
Esquisse du gouvernement local en Angletertv., Paris»
1902. — Norvège, Paul Bureau, Le paysan des fjords
de Noi^'ège, dans La science sociale, 2» période,
21» fascicule, p. 208, 211.
Ces espèces variées de communes rurales présentent
les caractères génériques suivants : 1» souveraineté de
l'assemblée générale des habitants qui paient les
taxes; 2» nomination et contrôle des agents communaux
par l'assemblée; 3» extension des pouvoirs de l'assem-
blée ou de ses mandataires aux intérêts locaux et soli-
daires des familles domiciliées : chemins communaux,
police des champs et endroits publics, dépenses du
culte et de l'instruction primaire, assistance des indi-
gents de la commune. Aucun de ces besoins ne dépasse
la compétence qu'un paysan peut acquérir par la pra-
tique journalière de son travail, de sa vie domestique
et de ses relations avec ses voisins. Immédiatement
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DÉMOCRATIE
278
intéressé à ce que les frais de ces divers services ne le
surchargent pas, voyant de ses yeux ce qu'on lui donne
pour son argent, il sera un émërite contrôleur de ses
mandataires et de son budget, et le plus économique :
il les sur%'eille gratuitement pour des motifs de bien
propre. E. Guerrin, Les faux remèdes au mal social,
dans La science sociale, 1887, t. m, p. 362. On re-
trouve ainsi la démocratie directe, assistée de manda-
taires élus, responsables et contrôlés, dans Tadminis-
tration des communes rurales comme dans le
gouvernement des petits États où la vie est simple.
On constate en même temps le développement de la
démocratie représentative, avec des mandataires élus,
qui gouvernent eyi-mémes, plus ou moins contrôlés,
à mesure que les États se compliquent par Taccroisse-
ment de la population, de la richesse et des groupe-
ments ou classes distinctes. En ce dernier cas, Tinfluence
quotidienne des minorités au pouvoir, de Tadministra-
tion, des partis,' peut arriver à supprimer dans la pra-
tique le contrôle du peuple, si les moyens légaux lui
sont refusés à cet égard et si sa formation dans la
famille^ dans la commune, dans les associations pro-
fessionnelles, ne l'exerce pas au contrôle de soi-même
et de ses affaires. C'est dire que l'expression démocratie
représentative exigerait encore bien des observations
spéciales pour arriver à sa dernière précision.
L'on voit par là qu'il faut prendre l'expression « gou-
vernement du peuple par le peuple )> comme la for-
mule très générale, très inadéquate, d'un ensemble de
faits, diversiGés largement par espèces et variétés. Cette
formule ne suffit que pour tracer une démarcation
sommaire entre aristocratie, monarchie et démocratie.
liais une notion précise, complète, scientifique de ce
dernier régime ne peut s'acquérir que par l'analyse
des types de sociétés et de gouvernements où, dans le
concret, une commune, un canton souverain, un grand
État se gouverne. Au prix seulement de ces observa-
tions particularisées, on évitera ce que Le Play nom-
mait c l'abus des mots » et c une phraséologie abru-
tissante ». Malheureusement beaucoup de lettrés, de
journalistes, de politiciens en donnèrent ou en donnent
l'exemple, avec tant d'expressions d'un sens très res-
pectable, mais employées sans discernement et sans
précision! Démocratie est du nombre, avec liberté,
égalité, progrès, esprit moderne, science moderne, civi-
lisation. La reforme sociale en France, t. m, p. 906.
Cf. L'organisation du travail, § 56-60.
2» Le second sens du terme démocratie dérive du
premier. Qu'un peuple vive en république ou en mo-
narchie, du moment qu'il admet le suffrage universel,
le peuple y participe au pouvoir. Dans un royaume ou
dans un empire, un élément de démocratie politique
s'introduit alors au milieu de la constitution. Son
avènement noie en quelque sorte la minorité des élec-
teurs censitaires, capacitaires ou privilégiés dans une
masse bien plus considérable d'ouvriers ou de pay-
sans : en 1848, le suffrage universel ajouta près de
huit millions d'électeurs ouvriers et paysans aux deux
cent mille censitaires de Louis-Philippe. Cet avène-
ment politique, d'une part, et, de l'autre, les souffrances
provoquées dans la classe ouvrière par les transforma-
tions de l'industrie, popularisèrent l'idée de gouverne-
ment au profit du peuple, ce dernier terme employé
alors dans le sens particulier de la classe ouvrière.
Associée au pouvoir par son droit de suffrage, cette
multitude imposa le souci plus grand de ses intérêts à
5es élus et à la presse. L'ancienne législation se mo-
difia. Paul Bureau, Le contrat de travail, Paris, 1902,
p. 209, 211; Ch. Benoist, L* organisation du travail,
Paris, 1905, p. 9, 10. A l'avènement politique de la dé-
mocratie, un mouvement d'opinion s'ensuit, qui ré-
clame, étudie et provoque des mesures au bénéfice
des travailleurs manuels : loi nouvelle sur les syndicats,
assurances obligatoires contre les risques professionnels
et accidents du travail, inspection des ateliers, lois sur
l'hygiène des locaux et des habitations. A raison de
l'inspirateur et du bénéficiaire de ce mouvement, qui
est le peuple, cUisse ouvnère, tout ce mouvement social
se qualifie démocratique. Dans ce nouveau sens, démo-
cratie représente une fin spéciale de Vinitialive privée
et de l'action gouvernementale. Au lieu de désigner
un régime politique, ainsi que le veulent son étymologie
et son sens propre, il ^'étend par analogie à un moU"
vement social en faveur de la classe ouvfHère, Ce
n'est plus 2v]{jLoxpaTta, ce serait plutôt i^r^itoçOîa. Tel
est le sens où nous disons : des mesures démocratiques,
des lois démocratiques; nous voulons dire : amies du
peuple-ouvrier. Ce sens nouveau est devenu classique
chez tous ceux qui s'intéressent au bien particulier
des travailleurs manuels, soit de la campagne soit des
villes. Fonsegrive, La crise sociale, p. 438, 440;
Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, p. 248. Nous
verrons tout à l'heure comment Léon XIII s'achemina
vers ce sens nouveau dans l'encyclique Renim novty-
rttm et le consacra définitivement à un usage chrétien
dans l'encyclique Graves de communi.
il. La compétence des théologieks au sujet de la
DÉMOCRATIE. — Les analyses de termes et de faits qui
précèdent nous montrent la démocratie, régime poli-
tique, et la démocratie, mouvement social, comme deux
faits naturels, qui relèvent de causes familiales, pro-
fessionnelles, économiques, communales, gouverne-
mentales, et qui se subordonnent essentiellement aux
fins de la vie présente. C'est pourquoi la démocratie est
étrangère de soi à Vobjet propice du théologien, qui
est le surnaturel et la fin dernière.
Un seul ordre de faits sociaux relève directement par
soi de la théologie : les faits constitutifs de l'Église; et
aussi bien, appartiennent-ils au dépôt de la révélation.
C'est la Jérusalem nouvelle, dont le plan, même sur
terre, est descendu de Dieu, tracé dans ses grandes
lignes par Jésus-Christ et par ses apôtres.
En revanche, nous constatons l'absence de tout en-
seignement révélé sur la démocratie dans l'Écriture et
dans la tradition. £t c'est pourquoi il n'en est pas
question au cours du développement dogmatique réalisé
par les Pères.
Mais, à partir des scolastiques, la démocratie devient,
au contraire, un objet d'étude qui retiendra l'attention
des maîtres. Au xix* siècle, des papes. Pie IX et
Léon XIII, lui donneront une place croissante dans les
enseignements pontificaux. Voilà un double fait doc-
trinal, un double fait catholique, en face duquel on se
demande à quel titre les papes et les docteurs croient
devoir s'occuper de la démocratie.
Un régime politique, un mouvement social, ne se
propage ou ne s'exerce pas, sans engager du droit ou
de la violence, de la justice ou de l'injustice; sans se
trouver non plus en sympathie ou en conflit avec les
droits sociaux de l'Église. Ainsi, par des reperdissions
morales ou religieuses, la démocratie intéresse l'Église
et les théologiens. Telle est du moins la conclusion
générale que nous suggère l'observation sommaire des
faits. Aussi, devons-nous aller plus loin. Pour chacun
des pontifes ou des docteurs qui se sont occupés de la
démocratie, nous aurons à spécifier dans quelle situa-
tion sociale, de sa personne, de sa fonction, de son
milieu civil ou religieux, il dut ou non intervenir à
propos de démocratie.
On ne trouvera pas, néanmoins, dans cet article, des
renseignements techniques et spéciaux sur les institu-
tions et mouvements démocratiques, sinon dans la
mesure où leur intelligence est nécessaire à expliquer
les doctrines catholiques. Nous ne devons pas nous
égarer ici dans le domaine réservé de la science poli-
tique et sociale; mais cependant nous devons suflisam-
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DÉMOCRATIE
280
menl y pénélrer. Un principe de méthode, un detfoir
professionnel de théologien nous commande cette
extension de compétence, afin de juger intelligemment
et en équité, au point de vue chrétien, la démocratie.
La probité de Tétude et la prudence du conseil l'exigent
également d'un spécialiste de la morale; en s*occupant,
à de telles fins, de faits apparemment profanes et tem-
porels, le théologien ne sort pas plus de sa compétence
dans les choses divines et de sa mission d'enseignement
religieux, que saint Thomas n'en sort en étudiant à fond
la théorie métaphysique de la nature et de la personne
pour son traité de Tincarnation. Notre-Seigneur Jésus-
Christ se continue moralement et socialement dans
l'Église enseignante, étudiante et enseignée; et si,
pour satisfaire à leurs diverses fonctions, les pouvoirs
enseignants, les publicistes enseignés abordent le pro-
blème moral de la démocratie et de ses rapports avec
la vie catholique, ils demeurent aussi bien en commu-
nion avec Jésus-Christ dans la pensée de son Église.
S'ils quittent en apparence Jésus-Christ, pour s'occuper
de démocratie communale ou de lois ouvrières, c'est afin
de propager l'esprit de son Évangile dans ce que ces
institutions doivent renfermer de juste et de fraternel.
On aurait tort, ici, de reprocher au théologien quelque
inutile complication de son caractère : il ne fait que
son devoir dans les limites de sa compétence; car
celle-ci doit annexer des renseignements de fait, histo-
riques et sociaux, aux principes de foi révélée et de
morale naturelle dont l'Eglise est dépositaire.
Un lieu théologique de la plus haute valeur, un en-
seignement pontifical réitéré et approfondi, nous cer-
tifie la pensée de l'Église, à propos de cette compétence.
Dans sa Lettre au ministre général des frères mineurs,
Léon XIII écrivait, le 25 novembre 18d8 : « Plus que
jamais c'est sur le peuple que repose en grande partie
le salut des États. Aussi, étudier de prés la multitude,
qui si souvent est en proie, non seulement à la pau-
vreté et aux durs labeurs, mais encore à toutes sortes
de pièges et de dangers; l'aider avec amour d'enseigne-
ments, de conseils et de consolations, tel est le devoir
des prêtres séculiers et des réguliers. Nous même, si
nous avons adressé aux évèques nos encycliques sur
la franc-maçonnerie, sur la condition des ouvriers,
sur les principaux devoirs des citoyens chrétiens, et
autres du même genre, c'est surtout dans Vintérêt du
peuple, afin qu'elles lui apprissent à délimiter ses
droits et ses devoirs, à se diHger lui-même, à tra-
vailler comme il convient à son propre salut, » On
remarquera, dans ces dernières lignes, que Léon XIII
ne voit aucune contradiction, pas même d'impossibilité
pratique, dans l'idée d'un peuple qui se dirige lui-
même, exactement conscient de ses droits et de
ses devoirs. Et c'est la classe ouvrière qu'il vise
directement.
III. Saint Thomas d'Aquin : la théorie morale de
LA démocratie au XII1« SIÈCLE. — /. LES DOCUMENTS. —
1« Le Commentaire sur la Politique d*Aristote. —
De nombreuses leçons concernent la démocratie dans
les huit livres de commentaires édités sous le nom de
saint Thomas. Mais ce n'est pas là qu'on peut absolu-
ment reconnaître sa pensée personnelle. D'abord, il ne
poursuivit lui-même la rédaction de cet ouvrage que
jusqu'à la fin de la leçon vi» du 1. ÏII. Le reste est
l'œuvre de Pierre d'Auvergne, un disciple fidèle, en
qui, assurément, se retrouvent l'esprit et la méthode
du maître, mais dont le texte, néanmoins, ne saurait
engager l'opinion personnelle de saint Thomas. De
Rubeis, Dissertationes criticœ in S, Diomam,
diss. XXII, c. m, § 2. De plus, c'est seulement à partir
de la leçon vi« au 1. III, que saint Thomas commente
Ja division classique des trois formes de gouvernement.
La plus grande partie de ses commentaires personnels
sur le régime démocratique nous manque ainsi ; car
Aristote en parle surtout dans les chapitres ou livres
suivants.
Du moins, possédons -nous la leçon vi<, et dans le 1. II«
de précieuses observations sur la démocratie, à propos
des constitutions de la Crète, de Carthage et de Lacédé-
mone. Lect. xiu-xvi. Mais, on ne saurait oublier que
l'originalité de saint Thomas,* commentateur d'Aristote,
consiste précisément à s'efiacer en entier, pour établir
une exégèse littérale du Philosophe, aussi objective que
possible, sans trace de vues à soi, d'approbations ni
d'improbations. Toute sa visée est de réagir contre
l'exégèse sollicitante qu'il a blâmée chez Averroès et
qu'il combat chez les disciples de Siger de Brabant.
Mandonnet, Aristote et le mouvement intellectuel du
moyen âge, Fribourg, 1899, p. 40, A raison de celte
méthode particulière, deux conditions s'imposent dans
l'usage des Commentaires sur la Politique, si l'on veut
y retrouver les idées personnelles de saint Thomas :
!• il faut que les doctrines formulées dans le Commen-
taire se retrouvent explicitement dans quelque ouvrage
où saint Thomas parle en son nom personnel ; ou bien :
2o que les doctrines du Commentaire se reconnaissent
incluses dans les siennes propres, par voie de causalité
ou de conséquence.
2« C'est dans la Somme théologique, que l'enseigne-
ment de saint Thomas sur la démocratie se formule .
surtout, sous forme d'une théorie générale des élé-
ments démocratiques dans une constitution parfaite,
I* II», q. cv, a. 1. Divers autres passages de la Somme
doivent être aussi consultés : I* II*, q. xcv, a. i; q. xc,
a. 3; II» II», q. LXi, a. 2.
^ On ne doit pas oublier l'important opuscule De
regimine principum. C'est un cours de morale à
l'usage des rois, dédié à celui de Chypre, Hugues II ou
III de Lusignan. Malheureusement, de ses quatre livres
saint Thomas ne rédigea lui-même que le l^ et le II«
jusqu'à la moitié du c. iv, opportunum est igitur. De
Rubeis, Dissertationes, diss. XXII, c. i, § 3. Le reste
est de Tholomée de Lucques, un disciple, dont le
travail constitue un document ancien et curieux de la
sociologie dans l'école thomiste. Quant aux chapitres
écrits par saint Thomas lui-même, la méthode compa-
rative qu'il affectionne lui fournit l'occasion d'intéres-
sants parallèles où figure la démocratie. Pas plus que
dans la Somme, d'ailleurs, il ne s'arrête à l'étudier
pour elle-même et à fond.
i/. SIMPLE DÉTAIL DANS UNE ŒUVRE ENCVCWPÉ-
DIQUE, — Elle vient au contraire comme un simple
détail, dans une vaste encyclopédie théologique, où de
nombreuses questions morales sont abordées. A propos
des divers états de la vie chrétienne, l'obligation du
travail manuel est démontrée, II» II», q. clxxxvii, a. 3;
à propos de vol et de rapine, les fondements du droit
de propriété sont établis, II» II», q. lxvi, a. l, et le
droit particulier à la propriété individuelle est justifié
parallèlement au régime de la communauté, a. 2. Dans
le traité de la foi, à propos de Vinfidelitas ou incroyance
des non-baptisés, les problèmes des relations civiles
avec les Juifs ou les infidèles, des mesures coercitives
ou défensives contre eux, des droits de souveraineté ou
de patronat qu'ils peuvent avoir sur les chrétiens, de la
tolérance de leurs rites en pays catholique, du non-
baptême de leurs enfants malgré eux, sont discutés et
résolus. II» II», q. x, a. 8-12. Dans le traité de la
charité, les problèmes de la guerre étrangère et
de la révolte civile sont également examinés. II» II»,
q. XL, XLii. Une morale sociale très achevée, sensiblement
au point de l'époque et du milieu, pourrait s'extraire de
la Somme, ainsi que du Commentaire sur les IV livret
des Sentences, où, à propos du mariage, il est longue-
ment traité de la famille et de l'éducation. Telle est le
vaste ensemble doctrinal, où, en son lieu, le problème
de la démocratie nous apparaît amené. De sobres déve-
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DÉMOCRATIE
282
loppements, très généraux, mais substantiels, attestent
pour lui, comme pour les autres, la double préoccupa-
tion d'être complet et d'être rapide dans un travail
avant tout synthétique. Il fallait, en effet, que la pensée
des théologiens eût déjà fait comme le tour du monde
moral et de la société humaine, pour s'arrêter à tous
ces éléments divers de la vie collective. Les Pères,
spécialisés 'plutôt dans* les questions particulières qui
se soulevaient tour à tour sur la trinité, l'incarnation,
la rédemption ou la grâce, ne pensaient pas encore à
ces grandes projections des principes moraux sur les
détails de la vie sociale; ou du moins, s'ils y pensaient
pratiquement, comme évéques ou comme homélistes,
prêchant sur la propriété, l'esclavage ou le mariage, ils
ne vivaient pas encore dans le milieu spéculatif des
universités et des Sommes.
m. COMPARAISON DE LA DÉMOCRATIE AVEC LES
AUTRES RÉGIMES, — C'est en savant que saint Thomas
aborde cette délicate comparaison, avec une impartia-
lité tranquille, aussi libre de toute passion, que s'il
s^agissait de la matière ou des figures du syllogisme. La
supériorité du régime monarchique et de son principe
â l'état pur, lui apparaît dans l'unité de direction qu'il
impose à la société : elle lui est naturelle, tandis que
dans les régimes polyarchiques, elle s'opère laborieuse-
ment, et plus laborieusement dans la démocratie que
dans l'aristocratie. Â ce point de vue de l'unité, saint
Thomas r^arde donc la démocratie comme le plus
imparfiiit des régimes. De reg. princip., 1. 1, c. ii. Il est
pour le moins un par essence. Cf. I^, q. cm, a. 3;
II» II«, q. L, a. 1, ad 2»»; Cont. gent., 1. I, c. XLii.
Mais au point de vue des abus possibles dans chaque
forme de gouvernement, « la royauté n'est la meilleure
de toutes que si elle n'est point corrompue; or, en
vertu de la grande puissance qui est accordée au roi,
aisément la royauté dégénère en tyrannie, à moins que
le potentat ne soit doué d'une parfaite vertu... Mais la
parfaite vertu se trouve en bien peu d'hommes. » Coni"
ment, in libros Ethicorum, 1. X, lect. viii; Suni, theoL,
I» II», q. cv, a. 1, ad 2«». Et c'est pourquoi saint Tho-
mas préfère une monarchie où des pouvoirs appropriés
tempîèrent celui du roi. De reg. princip., 1. I, c. vi.
C'est que la tyrannie d'un seul est le pire des mauvais
régimes : « Sous un régime injuste, plus il y a d'unité
dans le pouvoir, plus le pouvoir est malfaisant. La
tyrannie est donc plus dangereuse qu'une aristocratie
corrompue, ou oligarchie, et celle-ci, plus dangereuse
que la démocratie. De tous les mauvais régimes, la
démagogie est le plus supportable, et la tyrannie, le
plus nuisible. « Ibid., 1. 1, c. m. Dans une démagogie,
an moins, si la multitude pauvre opprime les riches par
la force du nombre, du moins vise-t-elle au bien d'un
plus grand nombre, tandis que dans une oligarchie,
c'est le bien d'une minorité, et dans une tyrannie, le
bien d*un seul qui prime tout. Ibid, Cf. c. vm.
Malgré leur infériorité à promouvoir l'union, une
aristocratie ou une démocratie intéressent davantage
les citoyens au bien commun : t II arrive souvent que
les hommes vivant sous la domination d'un roi travail-
lent peu pour le bien commun, persuadés d'avance que
tout ce qu'ils feraient dans l'intérêt général ne leur
serait point rapporté et tournerait â l'honneur de celui
qui a le monopole de cet intérêt. Mais, quand on voit
le bien commun ne pas dépendre d'un seul, chacun
s'applique â le promouvoir, non pas comme si c'était
le bien d'un autre, mais comme le sien propre. Aussi
a-t-on pu constater expérimentalement qu'une ville
gouvernée par des magistrats dont l'autorité n'est
qu'annuelle, est parfois plus puissante qu'un roi en
possession de trois ou quatre cités. De plus, de faibles
charges imposées par des rois sont supportées avec
beaucoup plus d'impatience que des charges plus lourdes
imposées par la communauté des citoyens : on l'avait
déjà remarqué au temps de la République romaine, a
De reg, princip., 1. I, c. m. Cf. Crahay, La politique
de saint Thomas d'Aquin, Louvain, 1896; H. P. Mon-
tagne, 0. P., La pensée de saint Thomas sur les
diverses formes de gouvernement, dans la Revue tho-
miste, janvier et juillet 1901 ; janvier et juillet 1902.
Ce n'est donc pas un partisan de tel ou tel régime, que
nous rencontrons chez saint Thomas, mais un critique
impartial des avantages et des inconvénients inhérents
au principe ou à l'abus de chacun. Cette liberté d'esprit
explique bien la préférence finale du moraliste pour un
régime tempéré, où les trois formes de gouvernement
interviendraient chacune dans une certaine mesure :
est etiam aliquod regimen ex istis commixtum, quod
est optimum, Sum. theol., I* II», q. xcv, a. 4.
IV. LES ÉLÉMENTS DÉMOCRATIQUES DE LA CONSTITU-
TION PARFAITE. — Sum. theol, la II», q. cv, a. 1.
« Relativement à la bonne ordonnance des pouvoirs
dans une cité ou une nation, deux choses sont à consi-
dérer : 1® Que tous aient quelque part dans le gouver-
nement. Par là se conserve la paix du peuple : tout le
monde aime et soutient l'ordre ainsi établi, comme le
- dit Arislote, Politique, 1. II, c. vi, § 15. — 2o II faut consi-
dérer de quelle espèce est le régime existant, la hiérar-
chie des pouvoirs. Il s'en rencontre de plusieurs sortes;
mais comme le dit Aristote, Politique, l. III, c. v, § 2,
4, les principales sont : l» la royauté, gouvernement
d'un seul, conformément à la vertu ; 2^ l'aristocratie,
gouvernement des meilleurs, confié à un petit nombre
pour l'exercer d'après la vertu. Par suite, la meilleure
constitution dans une cité ou dans un royaume existe,
là où un seul est promu selon la vertu, pour qu'il
préside à tous, en même temps que, sous lui, d'autres
gouvernent selon la vertu. Et aussi bien, ce gouver-
nement appartient à tous, parce que tous peuvent être
élus aux charges d'après le suffrage de tous. Telle
est la meilleure constitution : bien composée de royauté,
en tant qu'un seul préside; d'aristocratie, en tant
que beaucoup gouvernent selon la vertu; enfin de
démocratie, en tant que les gouvernants peuvent être
choisis parmi le populaire et qu'au peuple appartient
l'élection des gouvernants. »
Ce plan de constitution fait une large part aux élé-
ments démocratiques : 1® par le principe du suffrage
universel; 2« par le principe des charges électives, y
compris la suprême. Saint Thomas dissocie donc là le
principe monarchique du principe dynastique : le prin-
cipe monarchique est sauf pour lui, du moment que
représenté par un individu qui gouverne vraiment en
chef, bien qu'assisté de conseils et contrôlé. Ce n'est
plus le monarque absolu, seul délenteur de tous les
pouvoirs; ni le monarque constitutionnel ou le prési-
dent électif, simples chefs de l'exécutif, avec un parle-
ment souverain. On fausserait la pensée de saint Tho-
mas, en voulant la réduire à l'échelle et au type de nos
régimes modernes; il faut la voir dans sa réalité ori-
ginale, en dehors de nos classements actuels. S'il regarde
un monarque comme l'un des éléments nécessaires de
la parfaite constitution, c'est un monarque électif,
entouré de conseillers et d'agents élus, et sorti comme
eux tous du suffrage universel. L'élite gouvernante et le
chef suprême sont d'origine et de facture démocratique.
V, LES RAPPORTS DE CETTE THÉORIE AVEC LE MILIEU
INTELLECTUEL, POLITIQUE, RELIGIEUX OU VIVAIT SAINT
THOMAS, — i° Le milieu intellectuel de saint Thomas
le mettait en contact intime, prolongé, avec un Aristote
étudié critiquement. Mandonnet, Anstote et le mouve^
ment intellectuel du moyen âge, p. 63, 65. Aussi, après
son long et méritoire effort d'abnégation personnelle
dans l'analyse et dans l'exégèse de la Politique, saint
Thomas se revanche en véritable philosophe, dans une
sorte de vigoureux triage, analogue à celui qu'il opère
dans la Métaphysique du Stagyrite. Il a trouvé chez ce
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DÉMOCilATIE
284
dernier une conception de la société politique essen-
tiellement modelée sur la cité grecque, celle-ci érigée
en idéal humain, avec la nation, société pour barbares,
comme son repoussoir, de nature étrangère et de qua-
lité Inférieure. Politique, 1. I, c. i, iv (alias vu). Pour
saint Thomas, au contraire, la cité ne constitue qu'une
variété des sociétés politiques, sur le même rang que la
nation. Sum. theoL, I» II», q. cv, a. 1. L'expression
même de civitas se dépouille de tout sens urbain,
pour désigner en général « la communauté parfaite )» ou
société politique. Ibid., q. xc, a. 2, 3, ad a»"». Cf. Poli-
tic, 1. I, lect. I. On se rend compte aisément du genre
d'observations qui provoquaient cet élargissement du
terme civitas et cette rétrogradation de la cité sur le
même rang que la nation. Au lieu de vivre comme
Âristote dans le monde grec, saint Thomas vit dans une
Europe où des nations se constituent. Et puis, dans le
passé, le spectacle de la nation juive l'impressionne
aussi : c'est elle qui lui donne sujet de formuler sa
théorie sur le meilleur gouvernement soit des cités soit
des nations. Suni, theoL, II* II», q. cv, a. 1.
L'indépendance de saint Thomas à user d'Aristote
s'affirme encore dans la manière dont il entend la
maxime de ce dernier : « que tous aient une part dans
le gouvernement. » Âristote l'entend de la totalité des
bourgeois à l'aise, non-ouvriers, ni artisans, ni paysans.
Politic, 1. III, c. ni, § 2, 3; 1. IV (ou VII), c. vin, § 2-
Saint Thomas ne pose aucune de ces exclusions : le
populus et les populares représentent pour lui la mul-
titude entière. Sum. theol., II» II», q. cv, a. 2. Il insiste
sur le droit de tous comme électeurs et comme éli-
gibles : certaines institutions de Moïse, Deut., i, 13, 15;
Exod., xviii, 21, lui semblent bien réaliser son t^'pe :
principes cusuniebantur ex toto populo et etiam popu-
lus eos eligcbat, Sum. theol., II* II», q. cv, a. 1. A noter
cependant les privations de droits civiques pour cause
d'âge ou de sexe . Les femmes et les enfants, dit saint
Thomas, sont a demi citoyens par le droit d'habitat,
mais ne le sont point absolument, puisqu'ils manquent
du droit de suffrage. Ibid., a. 3, ad i""', 2">°.
En 3" lieu, Aristote considère la cité comme l'œuvre
humaine par excellence; c'est pour lui la meilleure et
la plus divine des fins à laquelle un individu puisse et
doive se subordonner. En conséquence, l'individu lui
appartient comme la partie au tout qui le fait être et
qui lui parachève son bien. Politic, 1. I, c. i, § 11-13.
« C'est une grave erreur — déclare le Stagyrite — de
croire que chaque citoyen est maître de lui-même : ils
appartiennent tous à la cité, puisqu'ils en sont les élé-
ments, et que les soins donnés aux parties doivent
concorder avec les soins donnés au tout. » L. V (ou VIII),
c. I, § 2. Aussi est-il « de toute évidence » pour Aris-
tote que a la loi doit régler l'éducation et que celle-ci
doit être publique », c'est-à-dire nécessairement une
et uniforme pour tous, comme à Lacédémone. Or,
saint Thomas pense au contraire que l'éducation appar-
tient à la famille, tout aussi bien que l'entretien phy-
sique. Les enfants doivent achever de se faire hommes
dans le milieu familial, sicut in quodani spintuali utero.
C'est de droit naturel, c II serait contre la justice que,
avant l'âge de raison [où il devient son maître et dispose
de soi], l'enfant fût enlevé aux soins de ses parents ou
bien que Ton ordonnançât à son sujet des mesures con-
traires à ce qu'ils veulent. » Sum. theol., II* II«, q. x,
a. 12. Néanmoins, des mesures légales peuvent devenir
justes et nécessaires en matière d'éducation, si le bien
public les requiert : l'enfant est un futur citoyen, que
sa famille prépare à sa vie civique, non moins qu'à sa
vie privée; en ce cas, le législateur agit sur l'éducation
familiale et scolaire, œuvres privées en soi, par le
moyen de ses droits sur leurs agents propres, pour le
bien général de la justice et de la paix. Sum. theol.,
I* II», q. xcvi, a. 3.
Saint Thomas reçoit donc seulement à correction le
principe aristotélicien de la subordination du citoyen à
la cité sous tout rapport, comme la partie au tout. Il le
reçoit, d'une part, II* II», q. lviii, a. 5; q. LXi, a. 1;
q. LXiv, a. 2, et c'est ce qui lui fait dire que l'homme
tout entier se doit au bien de sa cité ou de son pays
comme à sa fin. II* II», q. lxv, a.l. Mais, d'autre part,
son pays ou sa cité lui doit son bien personnel : c'est
la justice distributive déjà si bien décrite par Aristote.
II* II», q. Lxi, a. 1-4; Ethic, 1. V, lect. iv sq. Or, le
bien personnel de l'homme inclut deux sortes de
droits dont l'objet constitue, pour saint Thomas, une
fin supérieure aux droits mêmes de l'État : \^ les
droits naturels de la personne humaine, contre les-
quels aucune autorité, paternelle, patronale, royale, ne
peut prescrire, sinon à titre de pénalité, en cas de
fautes extérieures, et selon les limites propres du pou-
voir qui s'exerce. II* II*, q. civ, a. 5. Cf. q. LXiv, a. 2,
3, 5; q. lxv, a. 1, 2. — 2» La cité n'a pas prise non plus
sur les droits religieux et surnaturels du citoyen,
parce que « si le bien de la chose publique est le pre-
mier des biens humains, le bien divin est supérieur à
tout bien humain. » II* II», q. cxxiv, a. 5. De là, une
conclusion thomiste qui eût fait sursauter le philosophe :
Homo non orditiatur ad communitaleni politicani
secunduni se totuni et secundum omnia sua. I* II*,
q. XXI, a. 4, ad 3"'".
Ce respect de la personne et de ses droits naturels
est inconnu des Grecs, de même que la notion de la
personne, confondue implicitemeut avec celle du sin-
gulier et de l'individu. Mais les controverses trini-
taires et christologiques amenèrent les Pères d'abord
et puis les scolastiques à dégager aussi nettement que
possible la notion métaphysique de la personne. Tixe-
ront, Des concepts de nature et de personne dans les
Pères et les écnvains ecclésiastiques des v« et vi* siècles,
dans la Revue d'histoire et de littérature religieuses,
1903, p. 582, 592; E. Uugon, 0. P., Les notions de
nature, substance, personne, dans la Revue thomiste,
1908, p. 753, 769. Bénéficiaire de cette lente élaboration,
saint Thomas reconnaît la personne comme la réalité
la plus parfaite dans toute la nature, puisqu'elle pos-
sède et la nature raisonnable, qui est supérieure à .
toute autre, et le mode suprême de l'existence, qui est
d'exister par soi. Sum. theol., I*, q. xxix, a.3; Qurnslio-
nés disputatsR, De potentia, q. ix, a. 3. Elle possède
la propriété d'agir par soi, conséquemment à son
mode d'existence. De potentia, q. rx, a. 1, ad 3'»'",
conséquemment aussi elle vit pour soi, se gouverne ou
est gouvernée pour soi, c'est-à-dire pour le bien de la
nature qu'elle possède, comme pour sa vraie fin. Cont.
gentes, 1. III, c. cxii. De là, le rigoureux devoir qu'a
rÉtat de procurer à chacun des particuliers, selon sa
nature et son mérite, les avantages du bien commun,
d'après les formes propres à chaque type de gouver-
nement. Dans une démocratie, ce sera la liberté. Sum.
theol., II» II», q. LXI, a. I.
Ce sont là, il est vrai, des considérations éparsesdans
l'œuvre de saint Thomas, et dont il ne fait guère qu'un
usage métaphysique. Il n'a pas beaucoup développé leurs
conséquences morales et civiques; mais néanmoins, sa
notion de la personne demeure comme sous-jacente dans
les réserves qu'il pose aux doctrines d'Aristote sur la to-
tale appartenance du citoyen à la cité, dans sa notion si
ferme des devoirs de celle-ci envers les pei'sonnes
privées. Aristote est un communautaire absolu; saint
Thomas introduit dans l'aristotélisme un élément de
particularisme, qu'il doit intellectuellement à sa notion
métaphysique de la personne humaine et de ses droits
naturels, et à sa notion de la fin dernière surnaturelle.
Pour Aristote, c'est la cité qui est la fin de l'individu;
pour saint Thomas, c'est le bien de la personne hu-
maine, naturel et surnaturel, qui est la fin de la cité.
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DÉMOCRATIE
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Ici le milieu chrétien, où se développe la pensée scolas-
tique, réagit sur les .doctrines que celle-ci emprunte au
milieu hellénique; sans nier qu'à certains égards, le
citoyen ne doive se subordonner au bien de la cité
comme au bien de son tout et à une véritable fin,
saint Thomas aperçoit de plus hautes fins auxquelles
la cité même doit se subordonner pour le bien de
rhomme et du chrétien.
2« Dans le milieu politique du xrii« siècle, ce ne sont
pas des modèles adéquats qu'on peut retrouver, comme
donnant corps aux vues de saint Thomas sur les élé-
ments démocratiques de la constitution parfaite. Cepen-
dant, à côté des dynasties royales et des familles aristo-
cratiques installées dans toute l'Europe, une démocratie
véritable se réalise dans le mouvement communal, pré-
cisément au xiip siècle. Les premiers citoyens des
villes sont des artisans et des marchands, à qui la
communauté des intérêts, du voisinage et des dangers
fit conclure des alliances. « Partout au x« et xi« siècle,
on les trouve unis dans les Ghildes, et partout ces
Ghildes bourgeoises sont confondues avec la commune;
lautorité de la Ghilde est celle de la cité: à Londres, la
Ghilda mercatona, à Cologne, la Richerzecheit, à Pa-
ris, les mercatores aquss, en Flandre, les Geschlechten.
Ce sont les génies, les lignages, les patriciens de
naissance. Investis du monopole du pouvoir, ils de-
viennent arrogants et s'érigent en aristocratie fermée.
Mais Us ne sont plus seuls. Ils ne constituent plus
toute la cité politique; des parvenus se sont établis à
côté d'eux, se sont enrichis et ont formé de nouvelles
Ghildes qui égalent les anciennes en richesse et en con-
sidération qui revendiquent leur part d'autorité et
d'honneurs. En Angleterre, en Allemagne, en Flandre,
les rivalités éclatent. En général, la lutte finit par une
transaction : les nouvelles Ghildes obtiennent leur
place au conseil de la cité. Le patriciat bourgeois, qu'on
peut en quelque sorte considérer comme la fusion de
la propriété et du capital dégagés des liens féodaux, est
constitué sous sa forme définitive. Mais cette classe
dirigeante abuse de sa puissance, se complaît dans l'oi-
siveté, fait des règlements pour exclure de la vie corpo-
rative ceux qui « ont les mains sales et les ongles noirs
ou qui crient leurs marchandises dans la rue ». A mo-
sure que la richesse publique s'accroit, l'antagonisme
des classes et des intérêts s'accuse davantage. Partout,
au XIII* siècle, un troisième élément, le travail, entre
en scène et se dresse contre les Ghildes patriciennes.
Prenez Paris ou Londres, Gand ou Bruges, Bruxelles
ou Cologne, Francfort ou Augsbourg, les travailleurs
écrasés ou méprisés par la bourgeoisie ont pour bou-
clier le droit corporatif et, imitant l'organisation qu'ils
avaient sous les yeux, forment des unions pour la pro-
tection du travail. Ces plébéiens ne demandaient pas le
partage des biens, ils ne déclaraient pas la guerre au
capital dont ils se servaient eux-mêmes. Ils combattaient
pour Végalité politique, pour la participation aux
affaires publiques, et s'ils voulaient intet^enir dans le
gouvernement, c'était pour garantir leur gagne-pain
et leur indépendance contre V oppression des hautes
classes,,. Ce qui domine dans cette lutte séculaire et
dans l'accession graduelle des petites gens au droit
corporatif, c'est, au milieu de la violence des passions
et malgré le choc furieux des partis, la modération des
prétentions populaires. » Prins, La démocratie et le
régime représentatif, Bruxelles, 1888, p. 51, 57. De ce
mouvement résultait une large part de la démocratie
au gouvernement d^ communes libres ou souveraines,
a l'élection des conseils, maires, bourgmestres, syn-
dics; parfois même, comme à Augsbourg, deux bourg-
mestres, l'un patricien et l'autre plébéien, représen-
taient la transaction entre le peuple et les nobles delà
cité. Prins, p. 91, 95, 101. Cette puissante action de la
classe ouvrière sur le gouvernement des villes attire
manifestement l'attention de saint Thomas dans le passage
du De regimine principum, où il invoque l'expérience
des municipes, régis par des magistrats annuels, 1. I,
c. III. C'est là que se réalisait l'application de tous aux
intérêts communs et ce support allègre des charges
publiques, même lourdes, par où, selon saint Thomas,
le gouvernement populaire l'emporte sur le gouverne-
ment royal. Il n'est donc pas téméraire de conclure à
une réelle influence du mouvement communal et de sa
poussée démocratique au xiii« siècle, sur le vœu de
saint Thomas que tout le monde participe au pouvoir.
Cf. Perrens, Histoire des tendances démocratiques
dans les populations urbaines au xrv^ siècle, Paris,
1873.
3® Des observations, des expériences plus intimes
s'aperçoivent encore à l'origine de ces idées. Dans les
couvents dominicains où vivait saint Thomas, l'institu-
tion monarchique du prieur conventuel, du provincial,
du maître général de tout l'ordre ; l'institution aristo-
cratique des conseils de couvent ou de province, des
chapitres provinciaux ou généraux se tempéraient
d'éléments démocratiques: élection des prieurs con-
ventuels par les religieux prêtres et profès ; adjonction
de ces derniers assemblés en chapitres conventuels,
pour sanctionner certains votes importants des conseils ;
élection de députés des couvents aux chapitres provin-
ciaux, par les religieux de chaque maison. Lacordaire,
Vie de saint Dominique, c. viii; R. P. Mortier, 0. P.,
Histoire des maîtres généraux de V ordre de saint Do-
minique, 1. 1, p. 77, 82. Les frères prêcheurs appliquaient
là une tendance générale de la vie religieuse en Occi-
dent, à l'organisation particulière de leur régime. Des
principes analogues se retrouvent aussi bien dans cette
sorte de domaine complet et de cité autonome qu'est
l'abbaye bénédictine. Dom Cabrol, Bénédictins, dans
le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, t. ii, col. 666.
« Le régime qui est supposé par la règle [de saint Be-
noit] ne répond pleinement à aucun des qualificatifs
que nous donnons à un gouvernement absolu, ou
représentatif, monarchique ou démocratique. Par le
pouvoir très étendu donné à l'abbé, il est fortement
monarchique; par le droit donné à tous d'élire leur
chef, d'avoir une voix au conseil, d'être éligible à toutes
les fonctions, ce régime apparaît démocratique. Les
seniores et les decani ont cependant une autorité spé-
ciale et représentent, si l'on veut, un élément de gou-
vernement oligarchique. La règle, à laquelle tous
doivent obéissance, in omnibus omnes magistt^am
sequuntur regulam, peut être considérée comme la
charte d'un régime constitutionnel. » D. Cabrol, loc.
cit., col. 669. Monastiques donc ou canoniales, les
habitudes et les maximes de la discipline religieuse
favorisaient positivement l'idée de ce gouvernement
tempéré, où saint Thomas fait sa place à la démocratie
par le suffrage et Téligibilité également universels. Sa
théorie de la constitution parfaite cadre aussi bien avec
ses souvenirs du Mont-Cassin où il fut élevé et ses
habitudes dominicaines, qu'avec ses observations sur
le mouvement communal. Au lieu de ces a réminis-
cences j> et de ces a pièces rapportées », que Paul Janet
croit retrouver seules dans les doctrines politiques de
saint Thomas, nous retrouvons ici des expériences et
des observations à l'appui de vues originales et person-
nelles. Cf. Paul Janet, Histoire de la science politique
dans ses rapports avec la morale, Paris, 1872, t. i,
p. 435.
VI, VALEUR PRATIQUE ET MORALE DE LA DOCTRINE
THOMISTE. — La politique d'Âristote unissait des vues
et des doctrines de philosophie morale à des observa-
tions et à des analyses de science sociale et politique :
on y trouve des monographies de la constitution Spar-
tiate, carthaginoise ou Cretoise, à côté de théories sur
les vertus du citoyen. La Somme de saint Thomas et le
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DÉMOCRATIE
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De regimine principuni abandonnent les points de
vue descriptifs, monographiques et concrets, de la
science positive, pour s'en tenir aux considérations
morales. Dans cet ordre de pensées, trois sciences par-
ticulières, purement philosophiques, intègrent la mo-
rale humaine : monasttca, la science de la morale
individuelle; œconomica, la morale domestique; poli-
tica, la morale civique. Eihic,, 1. 1, lect. i, § Sic ergo
moralis philosophia.,. jusque muUitudo civilis qum
vocatur polilica. Mais les vertus et les devoirs qulm-
posent ces trois morales — n'en faisant qu'une au
fond — sont ramenés dans la Somme de théologie au
cadre général des lois, des vertus, des états de la vie
chrétienne; et c'est ainsi que l'esquisse d'une consti-
tution parfaite appartient au traité des lois et prend
occasion de vues rétrospectives sur la loi de Moïse et
la constitution du peuple hébreu.
C'est pourquoi les vues de saint Thomas sur les élé-
ments démocratiques de la constitution parfaite
planent surtout dans la région de l'idéal et du désirable :
il ne se demande pas à quel royaume ou à quelle cité
de son temps son esquisse de constitution pourrait
bien convenir. Abstraction faite, au contraire, des con-
tingences particulières, des exigences pratiques ici ou
là, il considère la démocratie d^nâ l'hypothèse de son
fonctionnement normal, avec les devoirs qu'elle impose
à la multitude. C'est ne sortir du réel que pour y ren-
trer de très haut, en rappelant à tous qu'une démo-
cratie fonctionne bien dans la mesure où le suffrage
universel et ses élus opèrent selon la vertu, Secundum
virtutem : l'expression revient jusqu'à cinq fois dans
l'art. 1« de la q. cv.
Et, en effet, Aristote observait que dans un régime
où le citoyen fait acte de prince, lorsqu'il vote, délibère,
légifère, juge un procès ou administre une charge, et
acte de sujet, lorsqu'il reçoit une loi ou une sentence,
les vertus personnelles et les vertus domestiques ne
suffisent pas. Il faut les vertus politiques : de la pru-
dence, de la justice, non plus seulement pour son bien
propre et pour celui de sa maison, mais encore dans
la poursuite et le maintien du bien public. Politique,
1. II£, c. I. Saint Thomas commente cette morale ci-
vique avec sa précision et son exactitude habituelles,
lect. I, et Ethic., 1. VI, lect. vu. De là s'inspirent ses
articles sur la prudence politique. Suni, theol., 1I<^ II^^,
q. L, a. 1, 2. Dans le citoyen qui fait acte de gouver-
nement, il faut donc la prudence d'un législateur et
d'un roi, et de la prudence encore, dans le citoyen qui
obéit, avec, de part et d'autre, une justice appropriée.
Sum, theol., Il* II», q. l, a. 1, ad !"•»; In IV Sent,,
dist. XXXIII, q. m, a. 1, q. iv.
Cette ferme doctrine sur les vertus civiques nous
donne la raison de l'insistance que met saint Thomas
à inculquer les dictées de la vertu aux électeurs et aux
élus du peuple. Aucun gouvernement n*a besoin d'une
moralité plus générale et mieux équilibrée de justice
et de sagesse, que celui où chaque citoyen fait tour à
tour acte de prince et de sujet. Telle est l'utilité des
considérations métaphysiques où il semble d'abord que
saint Thomas se perde à d'incommensurables distances
de la réalité : de la hauteur où il s'élève, il voit à fond
que la démocratie ne gouverne pas bien sans une mora-
lité tout à la fois très diffuse dans la masse des élec-
teurs et très profonde dans le corps élu des gouvernants.
Elle réclame une aristocratie morale et un peuple assez
sage, assez bon pour la mettre au pouvoir.
IV. Savonarole : le problème pratique de la démo-
cratie À Florence au xv« siècle. — Réformateur moral
et conseiller politique des Florentins, Savonarole inter-
vint comme arbitre dans les débats de leur Seigneurie
sur l'organisation du gouvernement qui succédait aux
Médicis expulsés. L'assemblée constituante hésitait
entre une oligarchie comme à Venise, et le retour aux
anciennes formes démocratiques de Florence elle-même.
Vespucci et Soderini, citoyens influents, jurisconsultes
autorisés, représentaient les deux tendances. C'est ainsi
qu'en temps de révolution, le problème de la démocra-
tie se posait, non plus en théorie comme à l'époque de
saint Thomas, mais en fait. Savonarole fut prié de
s'adjoindre aux délibérations de la Seigneurie, et d'après
Guichardin, Storia fiorentina, c. nu; Storia d'Ita-
lia, 1. II, le Frate assura le succès aux partisans de
la démocratie. Villari, Histoire de Savonarole, trad.
G. Gruyer, Paris, 1874, t. i, p. 357.
Il développa ensuite ses doctrines dans une série de
tracts : Trattati circa il regginiento e govemo delta
Città di Firenze. A la requête de la Seigneurie, ces
opuscules furent composés en toscan, pour une plus
large diffusion. La langue du peuple et des politiques
s'imposait à ces écrits de circonstance et de but pra-
tique, au lieu de la langue des clercs et des écoles. Mais
le théologien et le thomiste se retrouvent dans le vul-
garisateur. A une situation concrète, actuelle, les Trat-
tati appliquent des principes de philosophie sociale
que la Somme de théologie expose dans l'abstrait ou ne
considère appliqués que dans un lointain passé.
Savonarole estime d'abord avec saint Thomas que la
monarchie est en soi le meilleur des gouvernements :
plus il y a de gens qui commandent parmi une société,
plus il y a sujet à disputes et à partis. Et donc, si la
démocratie est bonne, l'aristocratie est meilleure, la
monarchie excellente : un seul chef réunit et pacifie
tout le monde, soit par crainte, soit par amour. Dans le
fait, néanmoins, il y a des peuples qui vivent mieux
sous le régime aristocratique et d'autres qui sont mieux
faits pour le régime démocratique. Us ne pourraient
garder un roi sans des inconvénients majeurs et into-
lérables. Trattato 1, c. ii. Tel est, d'après Savona-
role, c. III, le cas de Florence, pour deux raisons : le
caractère de la population et des coutumes invétérées.
Ici, le réformateur ne s'en tient plus aux considéra-
tions morales, aux principes et aux thèses de droit natu-
rel qui sont le propre du philosophe et du théologien;
il s'engage dans l'examen d'une situation concrète,
appréciable par les historiens et par les politiques.
Aristote avait opposé l'esprit républicain des Grecs à
l'indolence servile des Asiatiques, Polit., 1. IV (ou Vil),
c. VI, 1 ; 1. III, c. IX, 3 ; Savonarole oppose de même l'esprit
républicain des Italiens, et notamment des Florentins,
à la docile sujétion des popoli aquilonari. Robustes et
sanguins, ces derniers lui apparaissent dépourvus d'in-
géniosité, braves soldats et humbles sujets, monarchistes
par simplicité d'âme; l'Italien, au contraire, lui appa-
raît ingénieux, sanguin, audacieux, incapable de sup-
porter un roi, si celui-ci ne le mate par la tyrannie»
« Continuellement, les Italiens appliquent leur génia-
lité à machiner des embûches contre leur prince, et
leur audace les met à exécution, comme cela s'est tou-
jours vu en Italie. Nous le savons, en effet, par Texpc-
rience du passé comme par celle du présent : l'Italie
ne put jamais durer sous le gouvernement d'un seul.
Nous la voyons, petite province, partagée entre quasi
autant de princes que de cités, et de princes qui n*ont
jamais la paix. Et le Florentin est le plus génial des
Italiens, le plus sagace dans ses entreprises, avec une
vigueur et une audace qu'on n'attendrait pas d*un
commerçant et dont ses guerres étrangères et civiles
ont donné la mesure. » Trattato 1, c. m.
A lire ces jugements sommaires sur la psychologie
politique et le tempérament social des Florentins, on
reconnaît un certain sens des faits et des réalités, assu-
rément remarquable chez un spéculatif s'appliquant à
l'action. Savonarole se rend compte que des principes
abstraits sur les mérites respectifs de la monarchie, de
l'aristocratie ou du régime populaire ne suffisent pas
à résoudre le cas de conscience universel posé à Florence
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même par la révolution contre les Médicis. Nous ne
trouvons plus ici le théologien pur ; il y a de plus le
citoyen et le politique, avec une science et un art dis-
tincts, soit de la morale naturelle, soit de la morale
chrétienne.
Néanmoins, un principe supérieur, d'essence morale
encore, et bien chrétien toujours, guide Savonarole
dans ces applications extra-théologiques : un principe
de prudence civique. Il aperçoit très bien que si, théo-
riquement, toutes les Irois formes de gouvernement
sont en soi bonnes et possibles, et donc en soi choi-
sissables; dans la pratique, une forme ici utile serait
ailleurs nuisible. Le critère de son adoption ou de son
rejet, c'est de répondre ou non aux capacités et à la
formation des citoyens. En face d'elle, la liberté hu-
maine ne jouit pas d'un pouvoir illimité et arbitraire;
elle se trouve liée par un devoir de choix approprié à
la nature du peuple : Li homini savii e prudenli H
guali hanno ad instituire qualche govemo pnmo con-
siderano la natura del popolo, c. ii. Savonarole est dé-
mocrate à Florence, comme à Venise, dans un ouvrage
dédié au patricien Antoine Pizamani, un autre domini-
cain, Benoit de Soncino, sera partisan de Taristocratie.
Telles sont, en effet, les sentences que ce dernier extrait
avec admiration de la Politique d'Ârislote, à Tusage de
son patricien : Optima civilas nunquani opificeni fa-
ciel civem. Ex libro III Polit., lecl. iv. Optabilius est
civitcUes ah optimcUibus gubernari, lect. xiv. Bene-
dicli Soncinatis propositiones ex omnibus Aristotelis
libris... exceptée. Le même principe d'approprier le
gouvernement à ce que Savonarole appelait la natura
del popolo engage ainsi de contingentes applications,
toujours guidables par la morale, mais relevant en propre
de la science et de Tart en matière sociale et politique.
La même prudence honnête commande ici le choix d'un
régime et là celui d'un autre.
V. La légitimité de la démocratie, d'après l'ensei-
gnement COMMUN DES THÉOLOGIENS. — D'uue manière
générale, jusque dans le cours du xix« siècle, les théo-
logiens ne s'occupent guère de la démocratie : déjà le
doctedr angélique lui mesure la place 'au milieu des
nombreuses questions sociales et politiques dont il
s'occupe en moraliste spéculatif, dans la Somme théo-
logique. Il traite de la démocratie, comme il traite du
travail manuel, Sum. theol., 11^ 11», q. clxxxvii, a. 3;
des droits de la famille en matière d'éducation, II* II»,
X, a. 12, § A lia vero ratio est; de la guerre et de ses
justes conditions, II* II", q. xl; de la sédition, ibid.,
q. XLU ; de la peine de mort, q. xliv, a. 2, 3; de la pro-
priété, q. LXiv, a. 1, 2; du commerce, q. lxxvii; de
Tostire, q. lxxviii, etc. Toujours, c'est à l'occasion d'une
vertu ou d'un vice, d'un devoir ou d'unr péché, que ces
divers faits sociaux apparaissent, donnant matière à
des questions particulières, à de simples détails dans
Tencyclopédie théologique de la Somme. Le problème
de là démocratie et de sa juste part dans une sage
constitution ne représente pour saint Thomas que l'un
de ces détails, et non le plus important. Au moyen âge,
dans la plupart des nations européennes, c'est le ré-
gime monarchique et l'aristocratie qui prédominent
en fait et qui laissent au second rang les institutions
démocratiques des communes; aussi, bien que saint
Thomas connût et appréciât ces dernières, comme on
Ta vu, il n'eut pas à s'en occuper aussi directement
que de l'usure et du change, par exemple, une grosse
question d'alors, ou que de la politique à suivre envers
les Juifs. Sum, theol., Il* ll«, q. x, a. 9, 12; De régi-
mine Judœorum, ad ducissam Brabanliœ. Dans la
suite, à partir du xiv« siècle, les monarques de l'Europe
tendent de plus en plus à restaurer l'absolutisme impé-
rial de Rome ou plutôt de Byzance à leur profit. A
mesure, la démocratie des communes s'éclipse ou
même disparait, quand les rois de France mettent la
DICr. DE TllÉOL. CATHOL.
main sur elle par des fonctionnaires de leur choix et par
des lois restrictives. Dans ces conditions, c'est au pou-
voir royal et au pouvoir absolu que penseront surtout
les théologiens, lorsqu'ils auront à s'occuper du pou-
voir politique. La raison expérimentale et historique
du fait prédominant s'ajoutera aux vues métaphysiques
sur l'unité sociale, pour leur montrer le pouvoir du roi
comme le pouvoir typique.
Ils reviendront cependant à la notion des droits poli-
ligues du peuple, en étudiant les origines du pouvoir,
11 vient de Dieu, leur enseignait saint Paul : aucune
autorité n'existe qu'instituée par Dieu. Rom., xiii, i, 7.
Mais saint Thomas observait déjà que l'institution directe
du souverain ou du chef national par Dieu, comme ce
fut le cas pour Moïse, Josué, les Juges, fut le résultat
d'une providence spéciale envers le peuple Israélite.
C'est en vertu de cette exception que Dieu ne lui laissa
pas l'élection de son roi, mais se la réserva. Sum. theol.,
I* II", q. cv, a. 1, ad l"". Ainsi, quand saint Thomas
reconnaît une divine investiture à l'origine de tout pou-
voir, II* II», q. civ, a. 1, ce n'est pas sans avoir admis
le droit universel des peuples à se choisir les détenteurs
de cette investiture et à la leur transférer. Il l'insinue
encore en regardant la souveraineté des princes régnants
comme établie, non pas de droit divin, mais ex jure
gentium, quod est jus humanum. Il» II«, q. x, a. 42.
Le droit des gens consiste précisément, selon lui, en
des institutions si bien conformes à l'avantage évident
de la vie humaine, que facilement, les hommes tombent
d'accord à leur égard : De fa^li in hujus modi homi-
nes consenserunt. I* II», q. xcv, a. 4, ad 3"". Cf. II* II*,
q. Lvii, a. 3. Il inclut donc une sorte de pacte social,
consenti par les peuples. C'est pourquoi saint Thomas
use volontiers de l'expression vices gerens miUtitudinis
pour désigner le prince. 1* II», q. xc, a. 3; q. xcvii,
a. 3; II* II», q. lvii, a. 2. Le prince jouit là d'une trans-
lation de pouvoir qui l'a substitué à la multitude pour
faire des lois et gouverner.
On retrouve dans ces vues l'inspiration du droit ro-
main. Le Digeste, 1. I, til. ii, De origine juris, § 9,
considère le pouvoir du Sénat comme substitué aux
assemblées populaires trop difficiles à réunir. De
même, selon la Lex regia, Digest., 1. I, tit. iv, et les
Jnstitutiones de Justinien, 1. I, tit. ii, le Sénat et le
peuple transfèrent leur pouvoir à l'empereur pour le
gouvernement entier. Cf. Digest., l. 1, tit. ii, § 11. Au
travers de celte explication juridico-historique, une doc-
trine métaphysique tend à se dégager, dans l'esprit des
théologiens, par une transposition des termes du con-
cret à l'abstrait.
Ce dégagement s'opère chez les scolastiques, à mesure
que des' problèmes théologiques les obligent à préciser
les origines du pouvoir civil. D'Occam à Pierre d'Ailly
et du concile de Constance au conciliabule de Pise se
propage une assimilation nouvelle entre le pape et les
princes temporels, relativement aux origines de leurs
pouvoirs respectifs. De même que les rois ou les dynas-
ties sont investis de leur pouvoir par l'élection popu-
laire, de même les souverains pontifes, à ce que disent
les novateurs. Voir Pierre d'Ailly, t. i, col. 646, 647;
Almain, 1. 1, col. 896; Quilliet, De civilis polestatis ori-
gine theoria catholica, Lille, 1893, p. 189, 190. Moyennant
cette assimilation, les disciples d Occam et les gallicans
visaient à établir la supériorité de l'Église universelle
et notamment du concile sur le pape, comme sur un
simple ministre de leur autorité. De même, disaient-ils,
que le Seigneur a donné naturellement pouvoir à la
communauté civile pour se choisir des princes; de
même, surnaturellement, il investit la communauté en-
tière de l'Église du droit d'élire et de déposer ses pon-
tifes. Joannes Major, Disput. de authorilate concilii
supra pontificem maximum, dans Opéra Gersonii,
t. Il, col. 1135, arg. 6o.
JV. - 10
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DÉMOCRATIE
292
L'école thomiste s'attaque vigoureusemqot à démolir
ce parallèle. Saint Ântonin établit dans sa Somme théo-
logique, part. I, tit. XVIII, que le souverain pontife gou-
verne l'Église par institution immédiate de Dieu et non
ex translatione populi sicut imperator. Il use là des
expressions mêmes du droit romain pour caractériser
l'origine du pouvoir civil et le différencier d'avec celui
des pontifes. Jean de Turrecremata signale, à titre
d'exceptions, des choix comme ceux de Moïse et de
David par Dieu, lorsqu'il s'agit de rois ou de chefs poli-
tiques. C'est le consentement de la multitude, soit
exprès, soit tacite, qui établit ces derniers, qui accroît
même ou diminue leurs pouvoirs, à l'inverse du pape,
établi par Dieu seul dans un ensemble de droits que
nul homme ne peut restreindre. Summa de Ecclesia,
I, XLiv, xc, xcir.
Telle est aussi la doctrine de Gajetan, De aucloritate
papœ et concilii, tr. II, c. x, ad 2^>» confirmationem ;
In i/*"» /i«, q. I, a. iO, § 3, Ad brevem hofum intellig.
Il précise d'ailleurs que Télection d'un régime politique
par une multitude ne constitue pas une démocratie à
proprement parler, bien qu'au premier abord elle
semble tirer le régime monarchique de la souveraineté
populaire. Mais si l'on considère attentivement les
choses, l'élection d'un gouvernement n'est point un
acte particulier de tel ou tel régime : c'est un acte
générateur de toute espèce de gouvernement, et donc
un acte antérieur à toute forme politique existante. Au
choix du peuple, il appartient, de par le droit naturel,
que le régime à établir soit populaire, aristocratique ou
royal. Jn //»«» //«, q. l, a. i, § Ad hoc dicitur. Cette
doctrine expose très nettement l'égale légitimité des trois
formes de gouvernement selon le droit naturel.
Elle dissipe également l'équivoque du terme peuple,
qui signifie tantôt la multitude, et tantôt le régime po-
pulaire. Et cette distinction posée, Cajetan poursuit :
le régime monarchique dépend de l'élection du peuple-
multitude, qui lui donna ses i?otes et qui l'investit;
et c'est à cause de ce transfert qu'il est dit vices gerens
populi. Mais il ne dépend pas du peuple comme régime
populaire et n'en prend pas la place à la manière
d'un successeur.
Dans cet ensemble de doctrines, la question de la
démocratie se pose donc incidemment, comme le
simple corollaire de la question des origines du pou-
voir civil ; et celle-ci même ne se pose que par compa-
raison dans le problème théologique des origines du
pontificat. Par là s'explique la sobriété des quelques
textes intéressants qu'on peut glaner chez les auteurs.
Autant ils sont copieux à préciser les causes divines et
humaines dont ressort l'établissement du pouvoir civil,
autant ils glissent rapidement sur rétablissement par-
ticulier de la démocratie. Le peu qu'ils en avancent,
néanmoins, suffit à nous montrer qu'ils la rattachent,
en droit naturel, au pouvoir de tout peuple sur le choix
de ses institutions.
D'ailleurs, qu'il se soumette à un monarque, à des
chefs aristocratiques ou à des magistrats populaires,
un peuple, observe Cajetan, n'est pas dans la situation
dé l'Église en face du pape. « La papauté diffère de tous
les autres pouvoirs humains en ce que tous ceux-ci
tirent de la multitude leur origine et leur puissance :
toute violence ou fraude cessante, et de droit naturel,
la multituii^e est libre de se donner un chef avec telle
puissance qu'elle le juge bon. » In /i»» //«, q. l, a. 10.
Aussi, tandis que l'Église n'a pas à circonscrire et à
tempérer l'autorité du pape, c'est le droit des peuples
d'opérer ces tempéraments à l'égard de leurs chefs, et
par là même d'influencer la juridiction réelle qu'il leur
transfère dans l'ordre civil. Nous reconnaissons là une
vue très nette des éléments démocratiques et pondéra-
teurs à introduire dans les royaumes ou les cités aristo-
cratiques. Mais aussi bien que saint Thomas, Cajetan se ^
renferme dans l'exposé général des principes du
droit. Il reste un moraliste spéculatif ou plutôt même
un métaphysicien, dans ses rapides aperçus de la
démocratie.
Au xvi« siècle encore, les controverses de Bellarmin
contre les protestants le ramenèrent à l'antithèse des
origines divines du pontificat et des origines populaires
de la souveraineté politique. Il établit très nettement
que celle-ci, abstraction faite de ses formes particu-
lières, vient premièrement de Dieu, car elle est la
conséquence nécessaire de la nature humaine et de sa
vie sociale; et donc le pouvoir vient naturellement de
celui qui a fait la nature et les tendances de sa vie :
c'est un droit naturel, divinement établi. Mais ce pou-
voir réside dans la nation, et non dans aucun homme
en particulier; car, en dehors des droits positifs qui
peuvent survenir, il n'y a aucune raison de nature,
pour qu'un homme soit le chef des autres, ses égaux
par nature. Comme d'ailleurs la nation ne peut pas
exercer la souveraineté directement, par elle-même,
elle est dans l'obligation de la conférer à un individu
ou à plusieurs. Ainsi, les diverses formes de gouver-
nement sont de droit positif et non de droit naturel;
car il dépend de la nation d'instituer un monarque,
des consuls ou d'autres magistrats. Ces pouvoirs mul-
tiformes viennent encore de Dieu ; mais moyennant les
délibérations, les choix de personnes, les transferts de
l'autorité, opérée par les hommes. Bellarmin, De lai-
ds, c. VI.
Dans le même ordre d'idées, Suarez, De legibus,
1. IIÎjC. IV, § i, observe qu'à s'en tenir au droit naturel,
les sociétés politiques ne sont pas obligées de consti-
tuer un régime plutôt qu'un autre. Bien que, de soi,
la monarchie soit le meilleur et que sa plus grande
extension atteste pratiquement son excellence — dit
encore Suarez — les autres régimes peuvent être bons
et utiles. L'expérience démontre d'ailleurs combien
varient les opportunités : là où règne la monarchie,
rarement elle va sans mélange, car, vu la fragilité,
l'ignorance, la malice des hommes, il y a d'ordinaire
avantage à tempérer l'autocratie royale par \es' inter-
ventions de la collectivité, en plus ou moins grand
nombre, selon les coutumes et les besoins. Ainsi, tous
les particuliers possèdent chacun leur quote part de va-
leur dans la communauté politique; mais le droit na-
turel n'oblige pas celle-ci à exercer le pouvoir immé-
diatement ou à le retenir : trop de difficultés et de
pertes de temps surviendraient, si le suffrage de tous
était sans cesse requis.
Lorsqu'on se représente l'Espagne absolutiste où
vivait Suarez et l'état général de l'Europe au xvii* siè-
cle, de telles vues attestent une grande liberté d'esprit
à l'égard d'institutions puissantes et révérées. Intellec-
tuellement, cette liberté procède encore de la ferme
notion du droit naturel et de sa distinction d'avec les
droits positifs, coutumiers, historiques, lesquels varient
légitimement selon les besoins et les ententes des
nations.
Cette liberté scandalisa Jacques I", roi d'Angleterre
et théologien, qui s'efforçait de consolider l'autocratie
des Stuarts, très contestée des Anglo-Saxons, en s'ap-
propriant la doctrine gallicane du droit divin des rois.
Dans l'ouvrage qu'il composa sur l'ordre de Paul V
pour répliquer au roi Jacques, Suarez établit encore
les origines populaires de tout régime politique, sans
exception pour la monarchie. Defensio fidei, 1. III}
c. IV. Suarez avance même que si la monarchie et
l'aristocratie ont besoin d'une institution positive pour
s'établir, la démocratie peut s'en passer : elle existe,
par le lait même que la nation ne transfère le pouvoir
à personne, mais le retient pour soi collectivement,
tel que, de droit naturel, elle le possède, en tant que
société complète. Defensio fidei, 1. III, c. iv, § 8. 11 y
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DÉMOCRATIE
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aurait ainsi, dans tout peuple, une sorte de démocratie
naturelle, préexistant à tout autre régime.
Cette manière de voir n*accuse pas seulement une
vigoureuse offensive contre la dialectique du roi d'An-
gleterre; elle achève d'accentuer Tentière liberté d'es-
prit des théologiens en présence des trois formes pos-
sibles de la souveraineté politique. Suarez ou Bellarrain
continuent bien là saint Thomas et ses commentateurs.
Et c'est un fait significatif : le fait que, du xiiP au
XVII* siècle, toute TÉcole enseigne l'égal droit naturel
des peuples à se constituer en monarchies, aristocraties
on démocraties. C'est un enseiffnement commun des
théologiens. 11 est reçu dans l'Eglise sans la moindre
protestation de la hiérarchie; et, de la sorte, il anticipe
la neutralité de l'Église dans la question moderne des
r^imes politiques à choisir ou à modifier. V. Maumus,
L* Église el la France moderne, p. 209.
VI. Le mouvement démocratique aux temps moder-
nes. — Pour bien saisir l'opportunité et la valeur des
enseignements pontificaux, soit de Pie IX, soit de
Léon XIII, sur la démocratie, on doit reconnaître la
situation qui les provoqua. Elle comporte un ensemble
de faits économiques et de faits politiques dont les
répercussions morales et religieuses déterminèrent
d*abord l'attention de publicistes catholiques et puis
rintervention motivée des papes. Il est ainsi nécessaire
de connaître d'abord quelles sortes de faits politiques
el de £iits économiques donnèrent sujet à cet enseigne-
ment des pontifes et aux initiatives des publicistes, qui
en apparaissent comme les précurseurs.
Dans le cours du xviii« siècle, l'application delà force
hydraulique à l'industrie; dans le cours du xix« sur-
font, l'application de la vapenr, voilà le fait de techni-
que et de métier, qui opéra une révolution sans précé-
derU jusque-là dans la fabrication. Avec des forces
motrices considérables, de très puissantes machines
s'établirent. On vit finir l'universel emploi des outils à
la main et des machines-outils à petit moteur. Sans
doute, celles-ci et ceux-là ne disparurent pas entière-
ment, et leur usage partiel continue encore : il y a
toujours des moulins à vent, des rabots ou des scies à
main, des noriahs qu'un mulet fait tourner. Mais ces
antiques outillages cédèrent la primauté à la machine-
vapeur, bien autrement puissante et productive. Ce
changement peut bien s'appeler une révolution, à
cause de sa rapidité; en moins d'un siècle, il boule-
versait un outillage plusieurs fois millénaire, dont les
fresques des hypogées égyptiens attestent le monopole
immémorial. La machine à vapeur devint par cette
révolution Tagent caractéristique de la fabrication
moderne. Ch. Benoist, La crise de VÉtat moderne,
Vorganisaliùn du travail, Paris, 1905, t. i, p. 30. Pour
caractériser ce renouveau industriel. Le Play disait
« Tàge de la houille », parce que la puissance des
machines s'alimente aux réserves de forces condensées
dans les dépôts énormes de ce combustible. Le Play,
La €fmstit%Uion essentielle de Vhumanité, Tours, 1881,
p. 66, 74-76, 77.
 cette révolution de l'outillage correspondit une
transformation sociale du personnel fabricant, soit du
côté ouvrier, soit du côté patronal.
Du côté ouvrier, un phénomène de concentration se
produit, d'abord à l'atelier, jadis un petit local ou le
maître et ses compagnons travaillaient ensemble,
maintenant agrandi et devenu l'usine. La machine à
vapeur entraine une dépense d'argent et de forces mo-
trices qui seraient perdues si elle n'actionnait de
nombreuses machines fabricantes et une vaste produc-
tion. Un personnel à proportion est dès lors néces-
saire autour de ces machines. Il se multiplie dans une
mesure que ne souffraient jadis ni les petits capitaux
Di les petits instruments des maîtres artisans.
U y a plus. De cette concentration des ateliers, résulte
une concentration des foyers, du voisinage, des inté-
rêts ouvtners, « Concentrés dans l'usine pour le travail,
les ouvriers ont été conduits à se concentrer autour de
l'usine après le travail. Et, de la sorte, ce ne sont pas
seulement les conditions et les circonstances du travail
que l'on a vues brusquement modifiées du tout au
tout, mais les conditions et les circonstances de la vie
de l'ouvrier, dans l'usine et hors de l'usine; de sa vie
tout entière, je veux dire de sa vie matérielle et de sa
vie intellectuelle et morale. Ce n'est pas seulement le
travail qui d'individuel est devenu collectif; c'est en
quelque manière la vie même de l'ouvrier, à qui un
intérêt collectif évident et permanent a créé, comme
le besoin appelle la fonction et comme la fonction crée
l'organe, une espèce de conscience ou d'âme collective.
Par cette conscience ou celte âme, chacun de ces ou-
vriers, réunis pour une même fin, dans une même
profession, en un même lieu, a senti bien plus vive-
ment tout ce qui le touchait personnellement et tout
ce qui touchait son groupe. Le groupe a senti bien plus
vivement tout ce qui, touchant chacun de ses mem-
bres, le touchait lui-même et, avec lui et en lui, toute
la corporation. » Ch. Benoist, loc. cit., p. 4, 5. Cf.
p. 30,43. « Les ouvriers sont devenus la classe ouvrière,
économiquement, socialement et psychologiquement
très différente. » Benoist, p. 5.
Ce fait de classement social n'était pas moins nouveau
et considérable que la révolution technique opérée
par la houille et le machinisme. Jamais au moyen âge,
la classe des compagnons et des apprentis ne s'était
opposée à celle des maîtres artisans, avec autant de
différences et de séparations que celle des ouvriers
d'usine et des patrons. De maître à compagnon, la
différence existait bien comme de celui qui achète le
travail d'un homme et qui le commande, à celui qui le
vend et qui obéit; mais cette opposition des intérêts,
des conditions, des points de vue, s'atténuait par la
communauté du travail avec les mêmes outils et dans
le même atelier, par l'espérance de passer maître un
jour. Dans le régime du machinisme, au contraire,
l'opposition s'accentue par le fait que le patron cesse
d'être ouvrier. La direction d'une usine exige un en-
semble éminent de qualités prudentielles et de con-
naissances spéciales pour le choix des matières ouvra-
bles, la surveillance et le renouvellement de l'outillage,
la recherche des débouchés, l'organisation de la vente,
l'acquisition du crédit nécessaire pour les fonds de
roulement. C'est pourquoi le machinisme sélectionne
d'entre les ouvriers ou bien leur superpose une aris-
tocratie naturelle du travail formant une autre classe
distincte, et qui possède elle-même sa mentalité et
ses intérêts. Voir Corporations, t. m, col. 1869.
Un troisième élément complique la situation : sou-
vent, de tels capitaux sont nécessaires à une entre-
prise que son fondateur ou son patron technique fait
appel à de nombreux capitalistes. Une société anonyme
par actions devient ainsi propriétaire de l'entreprise
et concentre de la sorte, aux mains de ses administra-
teurs, les fonctions et la puissance du patronat. C'est
le type commun des grandes entreprises de transports,
chemins de fer ou paquebots, des mines de houille,
des hauts fourneaux et aciéries, etc. L'actionnaire,
bailleur de fonds, et l'administrateur apparaissent à
l'ouvrier plus éloignés encore de sa vie et de ses inté-
rêts que le patron individuel, propriétaire de son
usine. E. Demolins, Les populations minières, les
mities de fwuille, dans La science sociale, 1889, t. vu,
p. 426. « Souvent lointains, uniquement présents par
leur argent et plutôt banquiers qu'entrepreneurs,
anonymes vis-à-vis d'une masse ouvrière qui, elle
aussi, n'est pour eux qu'une force anonyme — un
tas de muscles ajouté à un tas de charbon ; mais rap-
prochés et resserrés entre eux dans la recherche du
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DÉMOCRATIE
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bénéfice, les patrons sont devenus le patronat; du
moins ils apparaissent tels aux yeux méfiants des
ouvriers qui leur prêtent volontiers, comme ils Tont
eux-mêmes, une espèce d*âme ou de conscience de
classe, opposée sinon hostile à la leur. ^ Benoist,
loc. cit., p. 5.
 se regarder ainsi de classe à classe, à comparer
leur condition précaire de salariés et Tétroitesse de
leur existence avec la vie solide et large des capitalistes
et des patrons, les ouvriers sentirent s'aviver en eux,
douloureusement, le désir si humain du bien-être et
d'un sort meilleur. Gomme un ferment actif, ce désir
s'est propagé de plus en plus dans la classe ouvrière,
non sans mêler, comme c'est inévitable, de légitimes
revendications et d'excessives prétentions, de très justes
griefs et de regrettables envies. L'ivraie pousse toujours
au milieu des blés; mais le blé lui-même ne cesse pas
d'être du blé, malgré ce voisinage.
L'état nouveau de la production avivait naturellement
ces désirs m<*ilangés. Toutes sortes de produits alimen-
taires, textiles et autres se vulgarisèrent de plus en
plus, de par la concurrence des fabricants. Les trans-
ports en activèrent la circulation. De grands et de
petits magasins les mirent de tous côtés à la portée
des ouvriers. D'une manière générale, chez ces der-
niers comme chez les bourgeois, le machinisme indus-
triel surexcita l'indéfinie capacité de la convoitise
humaine à se faire du luxe d'hier le nécessaire d'au-
jourd'hui, et du luxe d'aujourd'hui le nécessaire de
demain. Cet accroissement des exigences populaires se
compliqua en outre d'émulation : l'aisance extérieure
et le luxe reconnu de la classe bourgeoise ne s'accrois-
saient-ils pas de leur côté, sollicitant les ouvriers à
désirer leur part des améliorations produites aussi bien
avec leur propre travail?
Enfin la hausse des salaires permit souvent de réali-
ser des conditions de vie meilleures; mais là encore,
la même loi foncière de l'infini désir humain suscita
de nouveaux désirs à satisfaire par delà les désirs sa-
tisfaits. Ainsi que l'observe M. Ch. Benoist, on aura
beau prouver à l'ouvrier, chifi'res en main, qu'il est
mieux logé, mieux nourri, mieux vêtu que ses pères,
ce sera peut-être la vérité statistique, matériellement
exacte; ce ne sera pas toute la vérité, la vérité morale,
qui tient compte de l'impondérable et de l'incalculable.
L'ouvrier actuel est plus riche et plus pauvre que ceux
des temps où de moindres gains excitaient de moindres
désirs, et où de moindres désirs tenaient pour superflu
le nécessaire d'aujourd'hui. Finalement, la révolution
de l'outillage par la machine à vapeur a posé d'une
manière plus aiguë que jamais le problème de l'amélio-
ration de la vie matéHelle, dans Vâme des ouvriers.
C'est le grave problème social du bien-être populaire :
un problème d'économie sociale et de politique, enga-
geant de sa nature un problème d'ordre et de justice.
La justice distribu tive exige, en effet, que chaque caté-
gorie de citoyens puisse, dans sa condition, honnête-
ment et décemment vivre.
Mais la solution de ce nouveau problème — nouveau
dans £ion acuité universelle et dans les exigences qu'il
fallait satisfaire — entraînait également un problème
nouveau dans Vordre politique,
« Les classes sociales résolvent mal les questions les
unes pour les autres : c'est ce qui fait que toute classe
dont la condition devient une question aiguë pour Vor-
dre public est introduite au pouvoir, sauf dans les cas
particuliers où par là on n'aboutirait à rien, ou à rien
que de radicalement désastreux, comme au cas de la ré-
volte des esclaves à Rome ou du parti anarchiste actuel.
Les longues doléances de la plèbe romaine l'ont finale-
ment introduit au pouvoir. La Grande Charte d'Angle-
terre y a introduit la noblesse malmenée par les rois et
le peuple opprimé par la féodalité. Les charges commu-
nales y ont introduit les habitants des villes compri-
més par les seigneurs. Les États-Généraux de 1789 y
ont introduit, en doublant sa représentation, le Tiers-
État c qui aurait dû être tout et qui n'était rien. •
Henri de Tourville, cité par Ch. Van Haeken, Le suf-
frage universel au parlement belge, dans La science
sociale, 1902, t. xxxni, p. 205, 206. Or « il y a dans la
société, dit encore Henri de Tourville, loc. cit,, une
classe qui, au temps actuel, n'a pas bénéficié autant que
les autres des avantages procurés peu à peu par les
gouvernements ou avec le concours des gouverne-
ments 1» : la classe ouvrière. Comme dans cette classe,
qui est la majorité, et même en dehors d'elle, « tout le
monde a le sentiment instinctif que si les classes bour-
geoises conservent le pouvoir, elles ne résoudront pas
la question de classe ouvrière dont elles n'ont pas
Cimpression vive et vraie, les esprits sont de plus en
plus portés, sans bien savoir pourquoi, à penser qu'il
n'y a de solution efficace qu'à laisser venir au pouvoir
la classe qui a le plus de doléances à faire valoir. Et
ceci est la loi de toute l'histoire dans l'attribution du
pouvoir aux uns et aux autres. Le pouvoir n'est pas
communément donné à celui qui, absolument parlant,
y a le plus de droit ou est le plus capable, mais à celui
qui fut le plus décisivement utile dans la question à
résoudre pour le moment, »
« Quand certaines classes ont détenu le pouvoir et
qu'un certain bien public en est résulté, si une classe
sans pouvoir n'a pas assez bénéficié du fait accompli,
elle se plaint; et, si une satisfaction suffisante n'est
donnée à ses plaintes au bout d'un certain temps (c'est
le cas ordinaire des conquérants anciens du pouvoir,
devenus conservateurs), elle réclame, non plus des
améliorations qu'elle a vainement demandées, mais des
garanties qui l'assurent de les obtenir : ces garanties
consistent dans une participation plus ou moins large
au pouvoir. Telle est l'histoire de tous les avènements
de groupes sociaux au pouvoir. ^ VanHaeken, loc. cit.,
p. 210. Parfois, un groupe d'opposants parmi ceux qui
se disputent le pouvoir favorise l'accession de nou-
veaux co-partageants. En 1848, l'établissement du suf-
frage universel en France et l'accès de la classe ou-
vrière aux droits politiques furent l'œuvre de l'opposi-
tion bourgeoise, devant le refus opiniâtre d'adjoindre
des électeurs capacitaires au groupe des censitaires à
200 francs. Mais l'opposition n'aurait jamais pensé à
cette transformation de l'électorat restreint, si déjà la
classe ouvrière n'eût fait entendre ses doléances so-
ciales et politiques. Le sufl'rage universel apparaissait
aux ouvriers comme une arme puissante pour s'assurer
des mandataires de leurs intérêts.
De fait, il substitua la multitiuie aux privilégiés pour
la désignation des parlementaires qui font les lois et
les ministres : de 240 000 inscrits environ, le corps
électoral français fut porté à près de 80000000, c'est-à-
dire se multiplia de 1 à 33.
Cette multiplication des électeurs changea profondé-
ment l'état d'esprit des gouvernements et des législa-
teurs et, par une suite naturelle, la qualité des lois.
« Soit au repos et dans sa statique, soit en action et
dans sa dynamique, l'État moderne aurait désormais,
soit comme base, soit comme moteur, le nombre. L'in-
troduction du nombre dans la mécanique de l'État
concorde donc et peut se comparer absolument avec
l'introduction de la vapeur dans la mécanique des
métiers. De même que l'une avait prodigieusement
accru, et sous tous les rapports, transformé le travail
industriel, ainsi l'autre allait notablement accroître
et transformer radicalement le travail d'État. Car,
dans l'État, d'une part, tout doit se faire désormais par
la loi, et, d'autre part, la loi ne peut se faire que par
le nombre. La conséquence nécessaire est que, faite
plus ou moins directement par le nombre, mais dans
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DÉMOCRATIE
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tous les cas inspirée par lui, la loi sera plus on moins
franchement faite par le nonibre, et TEtat lui-même,
toarné au profit du nombre, » Benoist, loc. cit., p. 8.
f Voilà pourquoi, dans notre siècle, on ne saurait le
nier, ravénement politique de la démocratie a fait éclore
chez les gouvernants, et en général chez ceux qui for-
ment la classe dirigeante, avec le besoin et le désir de
capter les suffrages populaires, la préoccupation de
plaire à la multitude et d'améliorer son sort; et l'on
remarque partout un courant d'idées, de sentiments et
d'entreprises diverses, ayant pour objet l'accroissement
du bien-être des travailleurs. » Gayraud, Les dénio^
erates chrétiens, p. 13.
 une législation faite par des bourgeois et pour des
bourgeois succéda une législation faite par des bour-
geois encore, le plus souvent, mais avec le souci volon-
taire ou forcé, intéressé ou non, des intérêts populaires,
des revendications de la classe ouvrière. « Tandis qu'au-
paravant, on avait légiféré pour la propriété et presque
uniquement pour elle, on allait légiférer uniquement
pour le travail, ou, du moins, jamais à présent le tra-
vail ne serait oublié, et, toujours, dans toute législation,
on se placerait de préférence au point de vue du travail.
Le Code civil de 1804, pour des raisons qui se devinent
et sar lesquelles il n'y a pas lieu d'appuyer : ignorance
forcée ou volontaire de la grande industrie à peine
naissante ; haine et terreur de la corporation, dégéné-
rant en haine de la simple association ; nécessité de
reconsolider la terre de France que la vente des biens
nationaux avait brutalement mobilisée — pour toutes ces
raisons, et parce que ses rédacteurs étaient des hommes
dn xvin* siècle plutôt que du xix*, des bourgeois et
des gens du parlement, des légistes nourris de Polhier
el des physiocrates imbus de Quesnay, le Code civil
n'était guère que le Code de la propriété. Mais voici
qu'allait désormais se constituer et que déjà s'ébau-
chait un Code du travail, dont les décrets de février
et de mars 1848 sont comme les premiers articles. »
Benoist, loc. cit., p. 8, 9.
L'opposition est saisissante entre la législation de la
Constituante, du Consulat, du Premier Empire sur le
contrat de travail ou les coalitions, et les lois de la
République en 1849, de l'Empire, 25 mai 1864, de la
République, %l mars 1884, sur les coalitions, les grèves,
les syndicats ouvriers. Paul Bureau, Le conti'ut de
travail, Paris, 1902, p. 199, 211. Sans doute, parmi
les causes directes de ces lois ouvrières, il faut comp-
ter au premier rang l'influence de groupements ou-
vriers, plus capables et mieux formés, concurremment
à celle d'hommes d'État et de sociologues; mais les
désirs et les efforts bien évidents de la classe ouvrière
pour Tamélioration de son sort agissaient aussi bien sur
les élus de son suffrage comme un fort stimulant.
Ainsi tendait à se réaliser une situation sans égale jus-
qu'ici dans l'histoire connue. Ni l'Orient ancien, avec
ses grands empires patriarcaux, despotiques et conqué-
rants, ni la Grèce, avec ses républiques bourgeoises
et aristocratiques à base d'esclavage ou de colonat
quasi servile, ni Rome, avec son syndicat de grands
propriétaires devenus le Sénat de la ville, ses procon-
suls devenus les maitres absolus des provinces, son
empereur enfin, maître d'un monde, ni même les na-
tions du moyen âge, féodales et monarchiques, ne connu-
rent cette accetsion universelle des multitudes aux
âreils civique» et cette recherche universelle des amé-
liorations de la vie populaire, imposée aux gouverne-
ments par l'influence de la multitude.
Le mouvement communal du moyen âge se localisait
dans les communes rurales, très obscurément, dans
les communes urbaines, avec un peu plus de vigueur
et d'éclat ; mais les bases de l'ordre politique et social
tenaient essentiellement au régime féodal, au privi-
lège dynastique, et peu à peu, en France, la monarchie,
devenant absolue, établit les communes du royaume
dans cette étroite dépendance envers les intendants et
leurs subdélégués, dont Malesherbes, au nom de la
Cour des Aides, disait à Louis XVI en 1775 : « On a
pour ainsi dire interdit la nation entière, et on lui a
donné des tuteurs. » Mémoires pour servir à l'his-
toire du droit public de la France en matière d'im-
pôts, Bruxelles, 1779, p. 654 ; de Tocqueville, De la
démocratie en Amérique, 15» édit., Paris, 1858, t. i,
309, note K.
Mais, à rencontre de l'ancienne démocratie com-
munale, contenue par les seigneurs et par les rois, et
finalement annihilée par ces derniers, la démocratie
actuelle est une puissance envahissante et domina-
trice. L'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, l'Angleterre
font une part croissante au suffrage universel et aux
lois ou institutions ouvrières; et cependant ces pays
représentent la fidélité au culte dynastique, la tradition
d'une aristocratie influente de pairs, de magnats, de
seigneurs, en possession héréditaire des grandes for-
tunes et du pouvoir. Au lieu de représenter seulement,
comme jadis, les votes et les idées de la bourgeoisie
haute ou moyenne, la Chambre des Communes, le
Reichstag, représentent de plus en plus la multitude
ouvrière organisée par Trade-Unions ou syndicats
dont les revendications agissent puissamment sur la
législation. Ainsi, comme force politique et comme
mouvement améliorateur des conditions où vit le
peuple, la démocratie caractérise historiquement notre
époque, d'une manière générale. On la reconnaît
K comme un lait social, issu des faits antérieurs qui
forment la trame de l'histoire. » Gayraud, Les démo-
crates chrétiens, Paris, 1899, p. 10, 14. A ce point de
vue, nos temps sont bien des temps nouveaux. Ce mou-
vement est irrésistible, d'abord, parce qu'il procède de
la révolution d'outillage qui a concentré la classe ou-
vrière en la rendant consciente de sa force et de ses
souffrances, comme jamais; ensuite, parce que rien ne
sera jamais plus attrayant, plus riche d'espoirs et de
promesses, pour des ouvriers aspirant à une vie plus
heureuse et mieux garantie, que de se dire : « Nous
sommes les maîtres de nous l'assurer, finalement, par
notre bulletin de vote. » Ils se rendent compte, certes,
que, souvent, leurs élus, des politiciens, trahissent ou
escamotent largement leur mandat; mais, décompte
fait de ces abus de confiance, il y a encore moyen d'ob-
tenir quelque chose par eux, et il n'y a pas d'autre
moyen. C'est ainsi 'que des calculs et des sentiments se
mélangent aux influences de l'atelier et de la concen-
tration ouvrière pour donner au mouvement du peuple
vers une vie plus heureuse et à son accession au pou-
voir, une souveraine puissance devant laquelle, même
en Russie, l'autocratie traditionnelle et l'oppressive bu-
reaucratie chancellent ou reculent.
L'observation de ces faits suggère une attitude mo-
rale, que définit ainsi M. Gayraud : a Nous regardons
la démocratie comme un fait imposé par l'histoire,
contre lequel il est puéril et vain de s'emporter en
paroles, et dont le devoir social nous oblige à tirer le
meilleur parti possible pour le bien du pays et le pro-
grès de la civilisation chrétienne. » Loc. cit., p. 11.
Observer le mouvement démocratique, l'esprit calme et
ouvert, dans une pensée de bien commun et de frater-
nité chrétienne, tel est le devoir en même temps
civique et religieux que ce mouvement nouveau du
monde nous apporte.
Mais ce devoir se complique d'exigences pruden-
tielles et d'exigences doctrinales d'autant plus graves
que tout d'abord, dans le cours du xix« siècle, les pre-
mières manifestations de la poussée démocratique
furent tumultueuses, désordonnées. Alexis de Tocque-
ville, en 1835, reconnaissait déjà ces redoutables diffi-
cultés, et leurs causes sociales : c Jamais les chefs de
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DÉMOCRATIE
300
rÉtat n'ont pensé à rien préparer d'avance pour la dé-
mocratie ; elle s'est faite malgré eux ou à leur insu.
Les classes les plus puissantes, les plus intelligentes
et les plus morales de la nation n'ont point cherché à
s'emparer d'elle afin de la diriger. La démocratie a
donc été abandonnée à ses instincts sauvages ; elle a
grandi comme ces enfants privés des soins paternels
qui s'élèvent d'eux-mêmes dans les rues de nos villes
et qui ne connaissent de la société que ses vices et ses
misères. On semblait encore ignorer son existence
quand elle s'est emparée à l'improviste du pouvoir.
Chacun alors s'est soumis avec servilité à ses moin-
dres désirs; on l'a adorée comme l'image de la force...
Il en est résulté que la révolution démocratique s'est
opérée dans le matériel de la société, sans qu'il se fit,
dans les lois, les idées, les habitudes, les mœurs, le
changement qui eût été nécessaire pour rendre cette
révolution utile. Ainsi nous avons la démocratie, moins
ce qui doit atténuer ses vices et faire ressortir ses
avantages naturels; et voyant déjà les maux qu'elle
entraîne, nous ignorons encore les biens qu'elle peut
donner. nDela démocratie en Amérique, Introduction,
p. 9, 10. Cf. sir Th. May, histoire de la démocratie
en Europe, Paris, 1879.
Mais, si elle a manqué d'éducateurs à sa naissance,
la démocratie, devenue grande et vigoureuse, ne les
réclame-t-elle pas plus que jamais, surtout depuis
qu'elle a fait l'expérience de ses erreurs et de ses
fautes? C'est ce que pensent d'équitables et chrétiens
esprits, qui s'attachent à démêler quels véritables biens
honnêtes les revendications politiques et sociales de
la démocratie poursuivent. Sans donc absoudre ni les
violences des révolutions ni les projets spoliateurs du
collectivisme, des moralistes catholiques estiment que
la démocratie poursuit une fin légitime et un réel pro-
grès de la personnalité humaine, en admettant chaque
citoyen à une part du gouvernement. Se gouverner
soi-même est le propre de l'homme raisonnable : cette
maîtrise de l'homme sur ses actes commence par le
gouvernement de sa vie et de ses biens dans l'ordre privé ;
mais elle demeure incomplète si l'on vit dans l'ordre
public à la manière d'un sujet et non d'un citoyen,
sous la tutelle du pouvoir, comme un simple mineur.
Gayraud, Les démocrates chrétiens, p. 17; Fonsegrive,
La crise sociale, p. 443. Non moins légitime est l'ac-
croissement de la sollicitude publique à l'égard de la
classe ouvrière ; et les facilités d'association ou autres
que de récentes lois lui ont procurées contribuent jus-
tement à une réelle amélioration de son mode d'exis-
tence. Gayraud, loc. cit., p. 20, 21.
En présence de ces avantages, réalisés ou poursui-
vis, la foi chrétienne au gouvernement divin des
affaires humaines inspire l'idée d'une disposition pro-
videntielle. Alexis de Tocqueville exprimait celte vue
dans une page saisissante où, résumant les caractères
du mouvement démocratique, universel, durable, échap-
pant chaque jour à la puissance humaine, utilisant à
ses fins les événements et les hommes, il déclarait
l'étudier « sous l'impression d'une sorte de terreur
religieuse ». De la démocratie en Amérique, t. i,p. 7,
8. Mais puisque le bien et le mal s'enchevêtrent dans
ce mouvement,' ne devons-nous pas, en toute sérénité,
considérer les justes revendications de la démocratie
comme directement autorisées et voulues par la pro-
vidence, et ses erreurs, ses fautes, ses déviations,
comme des maux que la bonté providentielle permet
encore, non sans le dessein d'en tirer du bien? En
appliquant tout simplement ici la notion catholique
de la providence, telle que la résume saint Thomas,
Sum. theol., I«, q. xxii, a. 2, l'âme s'élève, la pensée
se rassérène, l'étude devient impartialement chrétienne
et sympathique à tout bien, dans le spectacle si trou-
blé et si troublant du mouvement démocratique. '
C'est la meilleure préparation morale pour recueillir
à son sujet les enseignements des souverains pontifes.
VII. De Pie VII À Grégoire XVI : condamnation
RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES. — Diverses
causes bien connues entraînèrent d'abord le mouve-
ment démocratique dans certaines déviations révolu-
tionnaires : une législation, sévèrement prohibitive des
grèves, coalitions, associations, ententes quelconques
entre ouvriers, poussait elle-même ces derniers à des
réunions secrètes ou à des violences contre les per-
sonnes et les biens des patrons. Les exemples de ces
désordres furent nombreux en France et en Angleterre,
à mesure du développement industriel. Howell, Le
passé et Vavenir des Trade'Uni<ms, « Les bourgeois,
l'aristocratie et les princes s'entendaient à l'établisse-
ment de lois et de coutumes en faveur du capital et
contre le travail : le premier affirmant ses droits sans
tenir compte de ses devoirs et de ses responsabilités,
tandis que le second, obligé de subir tous les devoirs
et toutes les responsabilités, voyait méconnaître ses
droits légitimes, sans aucun moyen de les faire respec-
ter. » Howell, p. 49. Cf. p. 40. Privés ainsi du bienveil-
lant patronage qui les eût initiés à la revendication
pacifique de leurs intérêts, les ouvriers devinrent
aisément victimes de meneurs, soit fanatiques, soit
exploiteurs, naturellement appelés par leur inexpé-
rience à se conduire dans une situation toute neuve,
et par leur exaspération. Le mouvement ouvrier, dé-
pouillé de son autonomie, fut entraîné le plus souvent
dans un courant tout révolutionnaire de conspirations
secrètes, de violences matérielles pour renverser les
bourgeois et les princes.
De rares esprits clairvoyants eurent seuls l'intuition
de la cause juste qui se compromettait dans cet en-
traînement. Ils virent aussi quelles ressources meneil-
leuses de doctrine morale et de fraternité l'Église
possédait pour servir la cause des humbles. En 1825,
le comte de Saint-Simon, dont une école fameuse a
gardé le nom, s'adressait au pape dans son Nouveau
christianisme. 11 lui démontrait que, pour garder ou
reconquérir la puissance morale de l'Église sur les
peuples, il fallait diriger la grande réforme sociale qui
se préparait dans le monde. « Vos devanciers ont suffi-
samment perfectionné la théorie du christianisme, ils
l'ont suffisamment propagée, c'est de l'application de
la doctrine qu'il faut vous occuper. Le véritable chris-
tianisme doit rendre les hommes heureux, non seule-
ment dans le ciel, mais sur la terre. Votre tâche consiste
à organiser l'espèce humaine d'après le principe fon-
damental de la morale divine. Il ne faut pas vous
borner à prêcher aux fidèles que les pauvres sont les
enfants chéris de Dieu, il faut que vous usiez, franche-
ment et énergiquement, de tous les pouvoirs et de
tous les moyens de l'Église militante, pour améliorer
promptement l'état physique et mofxil de la classe la
plus nombreuse, n Le nouveau chnstianisme, Paris,
1832, p. 138-149; Id., Le catéchisme des industriels,
Paris, 1824.
A l'énoncé de ce dernier but, on reconnaît une in-
tuition profondément juste du problème démocratique
dans son aspect social. Saint-Simon n'aperçoit pas
moins bien les ressources morales de l'Église pour la
pleine solution de ce problème où la justice et la cha-
rité doivent primer l'économie politique. Malheureuse-
ment, disciple de l'Encyclopédie, le réformateur n'était
en religion qu'un déiste, incrédule aux dogmes de
l'Évangile, bien que très admirateur de sa morale. H
n'était guère en situation de faire agréer ses conseils
par le suprême gardien de l'orthodoxie intégrale.
De plus, le saint-siège concentrait alors son atten-
tion sur les carbonari et autres sociétés secrètes qui
se livraient à des menées anticathollques et révolution-
naires, parmi les ouvriers comme dans la bourgeoisie.
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DÉMOCRATIE
302
Dans sa bulle Ecclesiam a Jesu Ch'isto, 13 septembre
1821, Pie Vil condamne ces sociétés pour leurs doc-
trines d'indiCTérence en matière de religion et pour
leurs tentatives de renverser les rois et autres gouver-
nants, comme des tyrans. Le 13 mars 1826, Léon XII
renouvelle ces condamnations dans les Lettres apos-
toliques Quo graviora, parce que, dés le début de son
pontificat, dit-il, l'état, le nombre, la force des sociétés
secrètes ont retenu son examen. Absorbée par ces
groupes révolutionnaires, l'attention du saint-siège
demeure ainsi éloignée de considérer les aspirations
du peuple vers une vie plus heureuse. Le problème
posé par Saint-Simon ne surgit pas encore dans la
conscience des pontifes : Turgence de couper court à
des menées redoutables les préoccupe avant tout.
Dans cet ordre de préoccupations, Léon XII exhorte
directement les princes de l'Europe catholique à une
défense simultanée de la religion et de Ta utorité royale.
^Summoetiam studio, vestruni /Ictgitamus prœsidium.
Le pape insiste sur le changement ou même la des-
truction du régime monarchique, poursuivis par les
sociétés secrètes : a Ce n'est pas la haine seule de la
religion qui les inspire, mais Tespoir que les peuples
soumis à votre empire, en voyant renverser les bornes
posées dans les choses saintes par Jésus-Christ et par
son Église, seront finalement amenés par cet exemple à
changer ou à détruire la forme du gouvernement, »
Qu'ils poursuivissent rétablissement de la république
on des institutions libérales, les meneurs visés dans
ce document compromettaient ainsi, au regard du
saint-siège, des formes de pouvoir non condamnables
en soi, mais qui le devenaient dans la circonstance, à
cause des moyens adoptés pour les réaliser.
De Léon XII à Grégoire XVI, Lamennais, son école
et surtout les rédacteurs du journal V avenir travail-
lèrent à propager dans les milieux catholiques le souci
des intérêts et des libertés populaires. Lamennais, dans
un article du 30 juin 1831, annonçait que, « à moins
d'un changement total dans le régime industriel, un
soulèvement général des pauvres contre les riches de-
viendrait inévitable; » et le Saint-Siège' était exhorté à
se faire devant les rois le porte-parole des revendica-
tions ouvrières. Mais le programme de Lamennais
érigeait en maximes absolues la liberté de conscience
et celle de la presse; il allait même jusqu'à regarder
la révolution politique et sociale comme le prélimi-
naire indispensable et providentiel d'un nouvel Age
chrétien. L'encyclique de Grégoire XVI, Mirari vos,
15 août 1832, condamna les erreurs mennaisiennes sur
la liberté. Elle rappela le principe de saint Paul : obéis-
sance aux pouvoirs établis. Elle montra l'application
exemplaire de ce principe dans la fidélité des chrétiens
antiques à des empereurs qui les persécutaient. Elle
signala dans certains libéraux ou libérateurs des
agents de servitude pour le peuple : servilutem sub
libertatis specie poptdis illaturi. Le pape enfin se
toomait vers les princes, les adjurant « comme pères
et tuteurs des peuples », de leur assurer la paix et la
prospérité en protégeant l'Église. Il continuait donc de
s'adresser aux rois en faveur des peuples, au lieu de
s'adresser aux peuples sans les rois, et même contre
eux, ainsi que Lamennais l'aurait voulu, dans son
opposition systématique, violente, injuste, aux royautés
établies, jadis objet de son amour.
VIII. Pie IX : la souveraineté du nombre et de la
FORCE matérielle, CONDAMNÉE PAR LE SVLLABCS, —
Auetorilas nihil aliud es( nisi numeri et virium nalu-
ralium summa. Syllabus du 8 décembre 1864, prop. 60*.
Cette proposition se trouve déjà censurée en propres
termes dans l'allocution Maxima quictem, du 9 juin
1882, § At veroeo impielatis. On y reconnaît une doc-
trine matérialiste de l'autorité, la ramenant toute à la
force brutale des masses et des majorités. Le matéria-
lisme qui sévissait dans le milieu du xix* siècle passait
aussi bien de la spéculation cosmologique à la morale
et à la politique. Dieu et sa loi supprimés, que restait-il
pour fonder le pouvoir, sinon la multitude omnipotente
ou ceux qui parlaient en son nom, avec la force qui
s'impose? C'est ce que Pie IX a condamné.
II ne censurait pas l'attribution démocratique du
pouvoir à la multitude, mais la souveraineté du nombre
et de la force à l'exclusion du droit; c'est ce qui res-
sort du texte de l'allocution auquel le Syllabus réfère
expressément la proposition 60«. Pie IX signale, en
eflet, l'étroite connexion de celle-ci avec une philoso-
phie toute matérialiste, et ses paroles s'appliquent
tout droit aux disciples de Feuerbach, Bûchner et Mo-
leschott : « Ils font dérision de l'autorité et du droit
avec tant de témérité, qu'ils ont l'impudence de dire
que l'autorité n'est rien, si ce n'est celle du nombre
et de la force matérielle ; que le droit consiste dans le
fait, que les devoirs des hommes sont un vain mot et
que tous les faits humains ont force de droit. Ajoutant
ensuite les mensonges aux mensonges, les délires aux
délires, foulant aux pieds toute autorité légitime, tout
droit légitime, toute obligation, tout devoir, ils n'hé-
sitent pas à substituer en place du droit véritable et
légitime, ce droit faux et menteur de la force, et à
subordonner l'ordre moral à l'ordre matériel. Ils ne
reconnaissent d'autre force que celle qui réside dans
la matière. » Allocution Maxima quidem, § Ad vero
et § Jani porro commenta.
Mais si la forme démocratique du pouvoir n'est pas
atteinte par ces censures, elles frappent du moins, par
voie de conséquence, un certain abus de pouvoir qui
est la tentation de la démocratie. Le nombre a son
orgueil, ses courtisans qui l'exploitent, politiciens qui
lui persuadent sa toute-puissance. Cette persuasion
gagne les multitudes et leur devient un excitant à la
tyrannie, dans la mesure où les citoyens manquent
individuellement d'un sens ferme et profond de la jus-
tice et du droit. La foule se regarde alors comme sou-
veraine maltresse de décréter le juste et l'injuste, ou
plutôt de faire juste ce qui lui plaît. C'est la démago-
gie. Contre elle, Pie IX rappelle la souveraineté de la
justice et du droit naturel sur toute loi positive et
toute volonté de la multitude. V. Maumus VÊglise et
la France moderne, Paris, 1897, p. 286. Bien loin de
présenter là quelque doctrine inacceptable à la démo-
cratie, le pontife lui enseigne une vérité libératrice,
qui est de tradition dans l'Église et d'opportunité au
XIX» siècle. Goyau, Autour du catholicisme, 2» série,
p. 313, 314.
La tradition de l'Église, c'est que tout pouvoir est
établi comme set^viteur de Dieu pour le bien, Rom.,
XIII, 1, 7; et, par suite, que provenant de la multitude
ou provenant d'un seul, la loi est essentiellement une
ot*donnance de la raison ex vue du bien [commun,
Sum, theoL, 1»II», q. xc, a. 1, 2. Le bien commun, c'est
la justice pour chacun et la justice entre tous, avec la
paix qui en résulte. I« II«, q. xcvi, a. 3. Ce n'est pas
seulement des apôtres, c'est encore des prophètes que
l'Église hérita cette robuste conviction que le pouvoir
est le serviteur de tous dans la justice, et que de cette
mission découlent tous ses droits. Dépourvue de cette
subordination au bien commun, toute loi, qu'elle
émane d'un prince ou d'un peuple assemblé, n'est plus
qu'un péché des législateurs, une violence tyrannique,
privée de toute force morale et obligatoire.
Principe élémentaire, que les monarques oublièrent
au temps de leur toute-puissance, et que la démocratie,
dans sa première ivresse du pouvoir, oubliait de même.
Dans son rappel, comme dans bien d'autres proposi-
tions de son Syllabus, tant injurié. Pie IX poursuivait
donc l'opportune application d'une vérité libératrice.
Cette vérité s'applique aussi très heureusement à ce
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DÉMOCRATIE
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qu*on nomme le drot/ des tiia/ori^^s, soit dans les assem-
blées populaires de la démocratie directe, soit dans les
assemblées élues de la démocratie représentative. Dans
une collectivité délibérante où les avis se partagent, il
faut bien en venir à compter les voix; c'est un moyen
pratique, et le seul, de terminer les débats par une
solution incontestée de tous. Mais, pratiquement aussi,
les décisions de la majorité ne demeurent acceptables,
que si elle poursuit elle-même le bien commun, et non
pas l'abaissement et le dommage de la minorité. On
en revient ainsi à la nécessité de principes moraux do-
minant la foule et l'assemblée entière : ils disposent la
majorité à écouter le plus possible les justes doléances
de la minorité. Depuis que l'expérience de la démo-
cratie parlementaire a largement inslruitles publicistes,
l'opinion de ceux-ci est faite. Herbert Spencer écrivait,
Conteniporary Rewieto, 1884 : « Le droit de la majorité
est sans valeur au delà de certaines limites. C'est
comme si, dans le comité de surveillance d'une
bibliothèque, la majorité décidait d'employer les fonds
à l'achat de cibles et de munitions. » Le professeur
Seeley, de Cambridge, Introduction topolitical science,
Londres, 1902, p. 156, 157, écrit : « Le principe majori-
taire se justifie par la difficulté d'en trouver un autre;
mais il compromet l'idéal de la volonté collective du
peuple ou du gouvernement libre. » C'est une simple
c invention pratique ». Bryce, La République amé}i-
caine, Paris, 1901, t. m, p. 499, écrit : « La tyrannie
de la majorité n'est pas dans la forme de l'acte qui peut
être parfaitement légale, mais dans l'esprit ou l'humeur
qu'il révèle, et dans le sentiment d'injustice et d'op-
pression qu'il évoque dans la minorité. » Balfour re-
doute les abus tyranniques de la majorité contre les
droits et libertés privées : f C'est une tyrannie non
moins néfaste que celle des despotes. » Discours pro-
noncé à Limerhoi(8e,en^lrlande, dans \e Times, i2 juin
1903. Enfin, Prins, De Vespric du gouvernement dé-
mocratique, Bruxelles, 1902, p. 120, 121, écrit : « La
minorité doit, au nom de l'ordre légal, s'incliner de-
vant la majorité; mais celle-ci doit, au nom de la jus-
tice, s'incliner devant l'intérêt de tous. » Savants
ou hommes d'État, les politiques contemporains
s'accordent donc à professer que la souveraineté du
nombre et de la majorité relève de la suprématie qui
appartient toujours au bien commun et au droit. Leur
unanime conviction à cet égard donne un splendide
commentaire à l'enseignement de Pie IX.
Mais celui-ci eut le mérite de rappeler ces vérités
morales dans un temps où le souci de la popularité et
l'envie du succès rapide orientait les politiques vers
l'adulation du nombre et de la force. Pie IX avait goûté
les enthousiasmes populaires aux premiers jours de
son règne; mais il connut bientôt la révolution à Rome
et l'exil àGaëte. Il discerna les poussées mauvaises du
nombre et de la force, et il sacrifia courageusement la
popularité de ses débuts à une douloureuse, mais nC-
cessaire protestation. C'est la gloire de ce pontife, de
n'avoir pas flatté la démocratie et d'avoir appliqué
l'antique morale chrétienne à contrebalancer la sou-
veraineté du nombre. L'autorité et la loi ne peuvent
pas être simplement « l'expression de la volonté géné-
rale », comme le porte la Déclaration des droits de
Vhomme; il faut, de plus, que la volonté générale se
subordonne au droit et au bien commun.
L'enseignement de Pie IX demeure encore très
opportun, car, de nos jours, on va, redisant de tout
vote majoritaire : « C'est la loi ! Il n'y a plus qu'à
s'incliner! » Et si la loi est injuste? Un coup de majo-
rité peut-il être la règle infaillible de la justice? Non!
la loi n'est pas k l'expression de la volonté générale »,
mais de l'ordre raisonnable à établir en vue du bien,
soit par la volonté du prince dans une monarchie pure,
soit par la volonté du peuple ou de ses représentants,
dans une démocratie. V. Maumus, L'Église et la
France moderne, p. 225, 226.
IX. Léon XIII : la démocratie politique recon-
nue PARMI LES formes DE GOUVERNEMENT QUE L'ÉGLISE
PEUT ACCEPTER. — 1*> La questxon de principe, — Dans
l'encyclique Diutumum, du 29 juin 1881, sur l'ori-
gine du pouvoir civil, la démocratie est formellement
l'objet de cette reconnaissance; mais Léon XIII prend
soin d'en purifier le concept de tout alliage avec la
thèse de Rousseau sur la souveraineté première, abso-
lue et inaliénable du peuple. D'après Rousseau, en
efi*et, chaque citoyen fait abandon de toute sa personne
et de tous ses droits à toute la multitude, qui, désor-
mais souveraine, lui assure toute protection : tel est
l'objet du contrat social : la souveraineté de l'homme
isolé sur soi-même se transforme en la souveraineté de
tous ensemble sur chacun des associés. Désormais,
c'est la volonté de tous, ou, à son défaut, la volonté du
plus grand nombre qui est la loi suprême; les divers
types de gouvernement, royauté, aristocratie, magistrats
populaires, ne sont que les commis et les délégués de
la souveraineté universelle. Aussi c quand on propose
une loi dans l'assemblée du peuple, ce qu'on demande
aux citoyens, ce n'est pas précisément s'ils approuvent
la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est
confoi*me ou non à la volonté générale, qui est la leur :
chacun, donnant son suffrage, dit son avis là-dessus, et
du calcul des voLc se tire la déclaration de la volonté
générale, » Rousseau, Le contrat social, 1. IV, c. ii.
Cette doctrine ressemble fort au matérialisme poli-
tique déjà condamné dans la proposition GO^ du Syllabus
et celle-ci n'en parait elle-même que la transposition
dans un style rajeuni. Mais la démocratie, grandissant
privée de ses véritables éducateurs, trop souvent
exploitée par des sophistes et des politiciens, continuait
de se griser, en quelque sorte, par les doctrines et par
l'esprit du Contrat social. C'est à quoi pare Léon XIII :
c Bon nombre de contemporains, suivant les traces de
ceux qui, au siècle dernier, s'intitulèrent les philo-
sophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple ;
que, par suite, ses dépositaires dans la cité ne le dé-
tiennent pas comme leur appartenant, mais ainsi qu'un
mandat populaire, et sous cette clause, que la volonté
du peuple peut toujours révoquer son mandat. Mais,
c'est ce que nient les catholiques : ils rattachent à Dieu
le droit de commander, comme à son naturel et néces-
saire principe. Toutefois, il importe ici même d'obser-
ver que les gouvernants peuvent en certains cas être
choisis par la volonté et le jugement de la multitude,
sans nulle opposition de l'enseignement catholique. Par
ce moyen de l'élection, la personne du prince est dési-
gnée, mais les droits du pouvoir ne sont pas conférés :
ce n'est pas l'autorité qui est déléguée, mais on décide
par qui elle sera exercée. Les diverses formes de gou-
vernement ne sont pas ici non plus en cause : rien
n'empêche l'Église d'approuver le gouvernement d'un
seul ou de plusieurs, pourvu qu'il soit juste et qu*il
recherche le bien commun. C'est pourquoi, réserve
faite de la justice, les peuples ne reçoivent aucune in-
terdiction de se choisir le genre de constitution qui
s'adapte le mieux à leur génie propre, aux traditions
de leur passé ou à leurs mœurs. »
Cet enseignement de Léon XIII continue bien ren-
seignement des scolastiques sur les diverses formes de
gouvernement; toutefois, sous la plume de ce pontife
si appliqué à reconnaître les signes des temps, la doc-
trine traditionnelle passe de .l'état purement spéculatif
et du milieu scolaire, à une application des plus pra-
tiques dans la situation du monde moderne. Et c>st
pourquoi aussi elle s'enrichit d'une antithèse vigou-
reuse entre la participation légitime du peuple au pou-
voir et sa souveraineté, telle que Rousseau la supposait*
On retrouve le même enseignement dans l'encyclique
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DÉMOCRATIE
306
Immortale Dei, du l*"" novembre 1885, sur la constitu-
tion chrétienne des États, § Sed perniciosa illa et
§ Ejusmodi ne regenda civitate.
C'est donc une bienveillante neulrahlé de VÉglise,
que Léon XIII affirme entre les diverses formes du
pouvoir civil : neutralité, parce que l'Église a reçu de
Jésus-Christ, par révélation, les principes de son propre
gouvernement, mais non ceux des gouvernements
civils: neutralité bienveillante, parce que l'Église recon-
naît là des manifestations naturelles de la vie sociale,
et donc des lois providentielles, dans l'établissement
des pouvoirs politiques.
2» A l'exposé des principes, s'ajoutent, chez Léon XIII,
certaines visées d'application, puisque, aussi bien,
c'est le mouvement démocratique moderne qui lui
suggère en fait son enseignement explicite sur l'acces-
sion du peuple au pouvoir ou à son partage.
Dans Tencyclique Immortale Dei, une brève re-
marque établit que, t dans certaines époques et sous
certaines lois, la participation plus ou moins grande du
peuple au pouvoir n'est pas seulement chose utile :
elle devient un devoir. » § Hœc quidem sunt quœ de
constituendis. Un peu plus tard, le 10 janvier 1890,
Tencyclique Sapientim christianas définit les princi-
paux devoirs civiques des chrétiens. Adressée à l'uni-
vers catholique, sans distinction de républiques ou de
monarchies, elle atteste par son objet même que, par-
tout, la valeur individuelle et morale de l'homme,
l'action privée et publique du citoyen devient par elle-
même un facteur de la prospérité et du bien commun.
Tandis que Grégoire XVI s'adressait encore aux princes
comme aux c pasteurs et tuteurs des peuples » (ency-
clique Mirari vos), Léon XIII s'adresse aux citoyens
qui, dans les monarchies comme dans les républiques,
représentent presque partout maintenaot l'accession du
peuple au pouvoir dans une mesure ou dans une autre.
De tels enseignements sont venus à leur heure, dans
le temps où le suffrage universel s'établit ou se con-
quiert par degrés, et où l'Église elle-même réclame
l'action publique de ses fidèles pour la défense de ses
droits qui sont les leurs. Des devoirs civiques plus
grands, plus compliqués et plus généraux s'imposent,
en effet, dans toute société, que ne gouvernent plus de
rares privilégiés, nobles de naissance, capacités légales
ou censitaires.
^ Léon XIII eut enfin à résoudre, dans le concret, le
cas de conscience national de la démocratie politique
en France. Comme il le dit lui-même dans sa Lettre à
Msr Mathieu, archevêque de Toulouse (28 mars 1897),
il voulut approprier les maximes traditionnelles des
grands docteurs et du saint-siège, à l'état de la France,
en matière d'obéissance aux pouvoirs établis. L'ency-
clique au clergé de France, du 16 février 1892, ensei-
gnait la reconnaissance du régime établi, la République,
comme un devoir envers le bien commun. § Or, cette
nécessité sociale, § Par conséquent. L'encyclique aux
cardinaux français, du 3 mai suivant, résumait cette
doctrine — on s'en souvient, si controversée dans la
presse dite conservatrice : « Lorsque, dans une société,
il existe un pouvoir constitué et mis à l'œuvre, l'intérêt
commun se trouve lié à ce pouvoir, et l'on doit, pour
cette raison, l'accepter tel qu'il est. C'est pour ces mo-
tifs et en ce sens que nous avons dit aux catholiques
français: € Acceptez la Républiqiie, » c'est-à-dire le
pouvoir constitué et existant parmi vous ; respectez-la ;
soyez-lui soumis comme représentant le pouvoir venu
de Dieu. »
Ainsi, par le fait de son établissement et de sa mise
en ceuvre, une démocratie bénéficiait de la doctrine
traditionnelle sur l'acceptation des pouvoirs constitués.
Le pape rappelait que d'autres régimes en d'autres
temps avaient de même profité de cette doctrine :
I Ainsi fut accepté^ en France, le premier Empire, au
lendemain d'une effroyable et sanglante anarchie;
ainsi furent acceptés les autres pouvoirs, soit monar-
chiques, soit républicains, qui se succédèrent de nos
jours. » On sait, d'ailleurs, avec quelle délicatesse
Léon XIII reconnut la pleine liberté des préférences
théoriques ou personnelles en matière politique; avec
quelle fermeté il indiqua les changements à obtenir
dans la législation de la République en matière de
questions religieuses ou de questions mixtes; l'une et
l'autre réserve dégagent d'autant mieux la reconnais-
sance du fait démocratique, là où il s'incarne dans un
régime établi, et la validité des droits issus de cet
établissement.
X. Léon XIII : l'éducation morale de la démocra-
tie; PROBLÈMES CONNEXES. — L'cncyclique Longinqua
Oceani, du 6 janvier 1895, aux évéques d'Amérique,
rappelle fortement le besoin spécial qu'une démocra-
tie a de citoyens honnêtes, et, par suite, la nécessité
qu'elle éprouve d'une éducation morale pénétrée de
religion. « S'il s'agit de l'ordre civil, c'est un fait ac-
quis et reconnu, que, spécialement dans un État popu-
laire comme le vôtre, il est d'une grande importance
que les citoyens soient probes et de bonnes mœurs.
Dans une nation libre, si la justice n'est pas universel-
lement en honneur, si le peuple n'est pas souvent et
soigneusement rappelé à l'observation des préceptes de
l'Évangile, la liberté elle-même peut lui être funeste.
Aussi, que tous le3 membres du clergé qui travaillent
à l'instruction du peuple traitent avec netteté les
devoirs des citoyens, de façon à persuader les esprits
et à les pénétrer de cette vérité, qu'il faut, dans toutes
les fonctions de la vie civile, loyauté, désintéressement,
intégrité. £n effet, ce qui n*est pas permis dans la vie
privée ne l'est pas non plus dans la vie publique. »
§ De rontm génère civili.
Dans ces conseils, les allusions sont claires aux
pratiques immorales des politiciens et des partis en
Amérique. Elles ne le sont pas moins dans le Discours
du 8 octobre 1898 aux pèlerins ouvriers français ; mskis
cette fois elles visent les périls moraux de la démocra-
tie sous leur forme spécialement française : c Puisque
vous venez de faire allusion à la démocratie, voici ce
qu'à ce sujet nous devons vous inculquer... Si la dé-
mocratie veut être chrétienne, elle donnera à votre
patrie un avenir de paix, de prospérité et de bonheur.
Si, au contraire, elle s'abandonne à la révolution et au
socialisme; si, trompée par de folles illusions, elle se
livre à des revendications destructives des lois fonda-
mentales sur lesquelles repose tout ordre civil, l'effet
immédiat sera, pour la classe ouvrière elle-même, la
servitude, la misère, la ruine. »
Ces enseignements pontificaux laissent apercevoir, en
France comme en Amérique, une véntable ctHse mo-
rale de la démocratie dans l'ordre politique : doctrines
subversives et personnel corrompu. C'est une crise
constatée par des observateurs de tout pays et de tout
bord. £n dehors des milieux catholiques elle inspire
de nos jours une copieuse littérature : Barni, La mo-
rale dans la démocratie, Paris, 1885; Jules Payot,
L'éducation de la démocratie, Paris, 1897; Léon Bour-
geois, Uéducation de la démocratie, Discours, 1897;
Solidarité, 1898. Voir aussi les ouvrages déjà cités de
Bryce, La République américaine, et de Prins, De
Vesprit du gouvernement démocratique.
Des catholiques français poursuivent l'éducation
morale de la démocratie comme nécessaire à son orga-
nisation politique et sociale. Ils ont .le vif sentiment
des ressources propres au catholicisme pour cette
œuvre de vie : l'irréligion propagée dans les masses
leur apparaît un crime contre le peuple et la destruc-
tion même de ses capacités à bien se gouverner. Fon-
segrive» Qatholicisme et démocratie, La crise sociale,
p. 494j 496j Mare Sangnier» L'esprit démocratique,
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DÉMOCRATIE
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Paris, 1906; Qui fera la démocratie, Paris, 1906; La
lutte pour la démocratie, Paris, 1908; Georges Renard,
Sept conférences sur la démocratie, Paris, 1907; Louis
Brouard, Petit catéchisme du démocrate, Paris, 1908.
D'autres catholiques, il est vrai, combattent vivement
les méthodes, les tendances, les doctrines du Sillon.
Emmanuel Barbier, Les idées du Sillon. A quoi répond
Jean Desgranges, Les vraies idées du Sillon. Cf. Albert
Schatz, L'individualisme économique et social, Paris,
1908. Le chapitre, intitulé : Lihét*alisme et christia-
nisme, analyse les idées directrices de la démocra-
tie chrétienne avec beaucoup d'impartialité.
Ces idées même se propagent dans les milieux qui
ne sont point spécifiquement démocratiques : « En
fait, l'Association catholique de la jeunesse française
poursuit l'œuvre sociale de M. de Muii et de M. de la
Tour du Pin « en la démocratisant », comme Ta dit
M. Georges Piot, son jeune et très compétent historien.
« Aristocratique dans ses origines, TA. C. J. F. est dé-
mocratique dans ses tendances. » T. Cheminât, dans le
Bulletin de littéralw^e ecclésiastique, 1908, p. 72. Voilà
un signe que le problème de l'éducation morale de la
démocratie s'impose de nos jours universellement. Il
aura eu sans doute ses pionniers, plus ardents que
mesurés, auxquels M. Schatz reconnaît de l'instabilité
et de la confusion dans les doctrines économiques,
mais qui auront forcé l'attention et ouvert une voie où
il est du devoir des esprits sages de s'avancer avec
leur sagesse, courageusement, pour aider le peuple à
connaître les devoirs que lui imposent ses droits et ses
vœux.
Une situation est donc faite, où l'organisation du
régime démocratique et le problème moral de l'éduca-
tion civique sont étroitement connexes. Le suffrage
universel existe en France; ailleurs, il se prépare ou se
conquiert; il se réalise ou se poursuit généralement en
des conditions qui n'assurent aux électeurs, pris en
masse, aucune garantie de sagesse et d'équité dans
leurs choix» et qui les placent à la merci de politiciens,
de comités, de clans exploiteurs, vivant de la chose
publique comme d'un métier lucratif. Il y a là une
question d'organisation légale et constitutionelle, rele-
vant en soi, non pas de la théologie et de la morale,
mais de la science sociale et politique. Néanmoins celle-
ci constate l'imprescriptible nécessité du facteur moral
et religieux dans la vie civique; elle découvre aussi l'in-
suffisance des pures exhortations morales et religieuses,
si une situation mal établie et corruptrice en combat les
effets ou les énergies. C'est pourquoi il importe de con-
sidérer ici quelles sont les conditions normales des
vertus civiques dans une démocratie, au point de vue
des institutions. Ces notions de science pure devien-
nent d'un intérêt moral et religieux très manifesta,
une fois dûment constaté que telles et telles institu-
tions imposent aux citoyens des devoirs hors de toute
proportion avec leur dose exigible de sagesse et de
justice, et que d'autres proportionnent bien ces de-
voirs à leurs capacités ou même développent ces
dernières. Si la justice distributive, comme l'appellent
les théologiens, consiste précisément à répartir les
charges et avantages de la vie politique à proportion
des capacités, le problème de l'organisation civique
n'intéresse pas moins la morale que la science. Et c'est
pour cette raison que, rapidement, nous indiquons ici
ses principales données et la littérature à consulter
pour le résoudre.
1® C'est un fait constaté que dans les affaires des
communes rurales, l'assemblée universelle des citoyens
domiciliés constitue le meilleur juge du bien commun,
le plus intéressé au bon emploi des fonds, le plus in-
corruptible de sa nature. Voilà pourquoi la commune
inirale n'est pas seulement le terrain naturel de la dé-
mocratie sous sa forme la plus directe, mais encore son
école primaire et son école d*application la meilleure.
L'éducation civique, donnée par le pédagogue et par le
manuel, demeure verbale et ne forme pas le jugement,
tandis que le sens pratique se développe, et, avec lui,
'équité, le dévouement au bien commun, là, où, dès leur
enfance, les citoyens ont vu leurs pères et leurs grands
frères activement gérer pour leur part les intérêts de
la commune.Voir les ouvrages cités, col. 276.
2<> Ce que la commune rurale est pour le paysan, le
syndicat pt*ofessionnel le devient pour l'ouvrier indus-
triel, dans la mesure où ce syndicat se dégage des ba-
vardages révolutionnaires, des menées politiciennes et
s'occupe sérieusement des intérêts du métier. C'est là
que l'ouvrier se forme à la sagesse pratique et à l'amour
pratique du bien commun, à la prudence et à la justice,
vertus maîtresses du citoyen dans la démocratie. C'est
là qu'il s'habitue à une action intelligente et informée,
disciplinée et personnelle, en vue de son bien et de
ses droits; là enfin que s'élèvent, par la. gestion des
charges corporatives et par l'ensemble d'études et de
démarches qu'elles réclament, de véritables aristocrates
naturels, élite morale et sociale, qui représente au plus
haut degré les aspirations et les capacités de la classe
ouvrière. Les ouvrages déjà cités de Howell, Le passé
et l'avenir des Trade-Unions, et de Paul Bureau, Le
contrat de travail, le rôle des syndicats professionnels,
exposent des faits probants sur eette valeur éducative
du syndicat professionnel. On consultera aussi utile-
ment Paul de Bousiers, Le Trade-Unionisme anglais.
Une nouvelle enquête sur le Trade-Unionisme, dans
La science sociale, 1896, t. xxr, p. 181 sq. ; Le congrès
des Trade-Unions à Belfast, 1893, t. xvr, p. 239, 241.
Voir Corporations, t. m, col. 1877, 1878.
Les syndicats professionnels présentent ainsi le
mode de groufvement le plus favorable au développe-
ment de la prudence et de la justice dont les ouvriers
ont besoin pour exercer leurs droits civiques dans la
démocratie. Ce n'est pas que le syndicat n'ait ses dan-
gers, ses tentations de violence ou de tyrannie; mais
la pratique des intérêts professionnels, leurs exigences
de transaction et d'entente avec les patrons, la forma-
tion individuelle de la conscience morale et religieuse,
constituent autant de forces supérieures dont les plus
anciennes des Trade-Unions ont expérimenté les bien-
faits. C'est par l'ensemble de ces ressources organiques
que le mouvement syndical vraiment professionnel
appelle de soi la sympathie de l'Église et le concours
de son action morale, par le moyen des ouvriers
croyants. De même et par la réciproque, l'Église ap-
pelle l'action éducative du .syndicat; elle la désire à
titre de condition sociale qui moralise le mieux la classe
ouvrière, dans l'exercice de la démocratie. Voir Corpo-
rations, t. III, col. 1871.
3^ Les vertus civiques de la démocratie réclament
aussi le gouvernement local et autonome des com-
munes urbaines, des circonscriptions de pays ou de
province, parce que ce sont là des groupes naturels et
particuliers, dans l'ensemble d'une grande nation, et
que les intéressés directs sont mieux portés que qui
que ce soit à la gestion honnête, appliquée et bien in-
formée, de leurs propres affaires. Ici encore, nous nous
retrouvons dans le domaine spécial de la sociologie ou
de la science politique; mais l'existence du gouverne-
ment local intéresse la morale par les services qu'il
rend au bien commun, et par sa haute valeur éducative.
Tandis que les parlements nationaux légifèrent de loin,
de trop loin et uniformément, maladroitement, pour
des populations trop nombreuses, trop disparates, trop
dissemblables dans leurs besoins, Prins, De Vesprit
du gouvernement démocratique, p. 239, 240, « il est
dans la nature des choses, que le gouvernement parle-
mentaire, pliant sous un fardeau trop lourd, et incapa-
ble de tout faire à lui seul, ait à ses côtés des rouages
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DÉMOCRATIE
310
auxiliaires pour le soulager et obtenir une meilleure
répartition des tâches. Le mode de distribution le plus
rationnel est celui qui accorde à des catégories de per-
sonnes le soin de s'cuiministrer elles-mêmes pour des
catégories d'intérêts qui leur sont propres en raison
de rhomogénéité de leur vie, de leurs occupations, de
leurs tendances ou de leurs qualités spéciales. » Prins,
loe, cit., p. 240. — Alors, tandis que l'État ou le par-
lement décongestionne ses pouvoirs, on voit s'épanouir
dans nos grandes nations i intérêts compliqués et de
vie intense, c une floraison touffue d'associations va-
riées, constituées en vue de l'utilité publique : univer-
sités, instituts scientifiques, charitables, religieui,
artistiques; sociétés pour la fourniture du gaz, de î'élec-
tricité, de la chaleur, de l'eau ; sociétés de transports,
d'épargne, de crédit, d'assurances; mutualités, ligues
contre l'alcoolisme ou pour la protection des animaux,
ou pour la moralité publique ou pour la poursuite de
certains délits; chambres libres de commerce, d'indus-
trie, de travail, d'agriculture ; sociétés coopératives, etc. »
Prins, toc, cit., p. 256. Gladstone disait en 1892 : « Plus
les années s'accumulent sur moi, plus j'attache de prix
aux institutions locales. C'est par elles que nous ac-
quérons l'intelligence, le jugement, et que nous nous
rendons aptes à la liberté. Sans elles, nous n'aurions pu
conserver nos institutions centrales, » cité par Prins,
p. 200, et par Ferrand, Les peuples libres, p. 97.
Les avantages éprouvés du gouvernement local con-
sistent à initier les citoyens qui en sont chargés à
Tétude expérimentale et au soin concret des intérêts
locaux : services publics, comme la justice, la police,
les écoles, la bienfaisance, l'hygiène; services tech-
niques accessoires, comme routes, ponts, bâtiments,
égouts, voirie ; on procède par commissions d'étude et
d'inspection, visites personnelles d'enquête, préparation
de rapports et de projets, toujours dans la sphère des
besoins communs et immédiats à un groupe dont on
est membre sur place. Aussi, à l'éloquence grandi-
loquente et théâtrale des politiciens, se substituent le
travail utile et de sobres discours. Les sujets à traiter
sont familiers et donnent fréquemment Toccasion de
pratiquer la bienveillance, le dévouement, la pitié. C'est
pourquoi des écrivains autorisés comme Prins, Grey,
Von Mohl, Bryce, considèrent unanimement le gou-
vernement local comme développant l'amour intelligent
du bien public chez ses agents. C'est donc une institu-
tion de haute valeur morale. Elle favorise d'ailleurs
beaucoup moins le mauvais esprit de clocher et la fatuité
des grands hommes de petits trous que le régime de la
tutelle administrative et de la centralisation absolue.
C*est dans ce régime à subalternes irresponsables et
sans initiative, et à favoritisme, que brillent le plus les
beaux parleurs humanitaires, vaniteux de la faveur
officielle dont ils jouissent. Au contraire, c'est d'abord
sor le modeste champ des affaires municipales, canto-
nales, provinciales, et des associations de bien public,
que se façonnent, s'éprouvent, se distinguent peu à peu
les futurs hommes d'État. Si la commune rurale et le
syndicat ouvrier peuvent se considérer comme les écoles
primaires naturelles de la capacité et de la vertu civi-
ques dans la démocratie, les institutions diverses du
gouvernement local en réalisent pour ainsi dire les
écoles supérieures. Avec leurs fonctions électives et
gratuites, ces institutions ne consacrent pas de privi-
lèges en faveur des riches, parce qu'elles n'offrent pas
de ces complications d'affaires, qui, dans le gouverne-
ment central, exigent des spécialistes absorbés par la
fonction. Le gouvernement local ne prend que des
heures intermittentes pour des mandats temporaires.
Prins, loc. cit., p. 273, 274; Levasseur, Questions ou-
vrières et industrielles en France sous la troisième
République, Paris, 1907. D'ailleurs, on commence, aux
Ét^Unis, à doter certaines charges du gouvernement
local d'une indemnité journalière, équivalente au salaire
moyen d'un bon ouvrier, de manière à ce que ceux-ci
ne se trouvent point, en fait, évincés de ces charges.
Goodnow, Comparative administrative Laiv, t. i,
p. 232.
A côté de ses agents, le gouvernement local assagit
et moralise aussi les masses, dont il protège et sert les
intérêts par des mesures pratiques, avantageuses pour
tous. Au lieu de griser la classe populaire avec des
mots capiteux, de l'associer à des haines de clan,
comme le font les politiciens — les représentants des
libertés locales donnent satisfaction à de justes désirs,
intéressent l'opinion à des questions positives et pra-
tiques d'intérêt et de droit, portées à la connaissance
de tous par des débats publics, des articles et informa-
tions de presse. Celle-ci prend là un ton sérieux et
rassis. A ce point de vue, Guizot et Gneist attachent le
plus grand prix aux organes et aux fonctions du gou-
vernement local. Guizot, Histoire des origines dugou-
veimement représentatif, Bruxelles, 1851, 1. 1, p. 180 sq.;
Gneist, Die Preussische Kreisordnung, Berlin, 1870,
p. 23 sq. Par ces dispositions qu'il réalise dans les
masses, comme par les services qu'il réclame, le gou-
vernement local élimine le politicien et sa « politique
alimentaire », pour installer à leur place des notabilités
communales, cantonales, provinciales, qui ne se clas-
sent pas en partis, mais qui se groupent selon les cas
et les affaires. Macy, Our govemment, Boston, 1902,
p. 231 ; Shaw, Municipal govemment in Great Britan-
nia, dans Political science Quarterly, t. x, p. 200 sq. ;
Fox, County Council as it works, dans Yale Beview,
1895, 1896, p. 87; Prins, loc. cit., p. 262, 263; Maurice
Vauthier,£»e gouvernement local de l'Angleterre, Paris,
1895; Blacke Odgers, Local goi^emment, Londres, 1901.
4p L'éducation morale du peuple ne s'achèvera pas,
dans l'ordre politique, sans une réforme et une orga-
nisation du suffrage univa^sel. Ici encore, nous énon-
çons une proposition de science sociale et non de théo-
logie; mais cette proposition nous fournit des données
nécessaires pour l'efficacité de l'enseignement moral
et chrétien du devoir civique à notre époque. Et c'est
pourquoi, l'on ne saurait trop encourager les théolo-
giens à étudier un problème que non seulement les
savants purs ou les hommes politiques approfondissent,
mais sur lequel les travaux des catholiques sociaux en
France, et de la revue Vassocialion catholique ont ac-
cumulé de précieuses études depuis trente ans.
Une nation n'est pas la poussière d'individus que
Rousseau imaginait formant l'État, à l'exclusion de tout
groupe intermédiaire, en transportant peut-être une
vue superficielle et faussée des Landsgemeinden, dans
une théorie pire encore de la société politique en
général. Cette théorie fut appliquée par la Révolution,
en haine des corps privilégiés de l'ancien régime, et
au grand dommage de l'éducation civique des Français.
Une grande nation surtout est un ensemble complexe
de groupes naturels. Les uns se fondent sur le travail,
le domicile, le voisinage commun d'un certain nombre
de familles, et ce sont les communes rurales, déposi-
taires des intérêts agricoles dans toute la nation. D'au-
tres groupes se fondent sur la communauté de travail
en des endroits pourtant divers et même distincts; et
ce sont les ouvriers des mines, des transports, de l'in-
dustrie, avec leurs syndicats ouvriers, et les patrons,
syndiqués aussi ; le commerce, les professions libérales,
les corps universitaires constituent également des grou-
pes distincts par nature, et dont le bon fonctionnement
est utile à toute la nation. La propriété aussi bien con-
stitue pour sa part une classe de spécialistes et d'intérêts
nationaux, lorsque le sol d'un pays et ses méthodes agri-
coles, scientifiques et soignées demandent et produisent
le type du grand propriétaire. C'est à l'intérieur de tous
ces groupes professionnels, que les individus vivent
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3H
DÉMOCRATIE
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quotidiennement ; c'est des fonctions complémentaires,
exercées par chacun de ces groupes, harmonisées entre
elles avec justice pour tous et entre tous, que résulte la
paix, que ressort le bien commun. Aussi, la nation appe-
lée à se gouverner par ses représentants, ^elon le système
démocratique, ne sera représentée que par les repré-
sentants de ces groupes et intérêts divers. Et où, et par
qui seront-ils mieux choisis, avec une meilleure con-
naissance des personnes et des choses, que par les
membres de la profession ? Nos circonscriptions d'ar-
rondissement confondent des électeurs de toute caté-
gorie dans le choix de personnes inconnues d'eux,
et sur des énoncés de programmes où 99 citoyens sur
100 sont incompétents, car il ne s'agit de rien moins
que d'un programme total de gouvernement pour toute
la nation ! Aussi peut-on appliquer au suffrage uni-
versel, tel que nous l'avons et qu'il existe en d'autres
pays, ce qu'on a dit des élections présidentielles aux
États-Unis : « Les organisateurs ne consultent pas
l'opinion publique; ils la créent. Ils la manipulent,
la pétrissent, la séduisent, la corrompent, la dominent,
la suggestionnent de mille manières. La désignation
en est faite, non parce que la foule est là, mais quoi-
qu'elle soit là, non par sa décision, mais parce que
des comités d'une dévorante activité ont décidé pour
elle. » Ostrogorski, La démocratie et Vorganisation
des partis politiques, Paris, 1903; Macy, Our goverfi-
ment, Boston, 1902, p. 244. Aussi, une démocratie par-
lementaire, qui repose sur le suffrage universel brut
et amorphe, n'est qu'une démocratie de façade, menée
effectivement par des minorités politiciennes. Gh. Be-
noist, La crise de l'État moderne, Paris, 1897, p. 26,
27; Sophisnies politiques de ce temps, Paris, 1895;
Em. Lahovary, Histoire d'une fiction, le gouvernement
des partis, Bucarest, 1897 ; sir Henry Summer Maine,
Essais sur le gouvernement populaire, trad. franc.,
p. 145, 157; Georges Goyau, Autour du catfwlicisme
social, 2« série, 1901, p. 46, 54. Régime d'incompétence
chez l'électeur et de corruption chez les faiseurs d'élec-
tion, tel est le bilan moral, désormais acquis, à la charge
du suffrage inorganique. Et comme, d'autre part, tout
le monde s'entend à reconnaître l'impossibilité pratique
de revenir au suffrage restreint — par exemple, Benoist,
De l'organisation du suffrage universel, p. 28, 30 ; de
Lamarzelle, Démocratie politique, p. 7, 8, n. 1 — la
conclusîon est qu'il faut organiser le suffrage universel.
Le problème de l'éducation civique et morale néces-
saire à la démocratie engage donc ce dernier problème,
que M. Charles Benoist a magistralement traité dans
son ou^Tage sur L'organisation du suffrage universel.
Il y examine : 1<> les expédients et palliatifs compatibles
avec la forme actuelle : éducation [des électeurs, vote
obligatoire; 2^ les changements de forme accidentels :
scrutin de liste ou d'arrondissement; vote secret ou
public; limitations des dépenses électorales; 3^ les
changements minimes en substance : l'âge, le domicile,
le minimum de capacité; 4oles combinaisons : suffrage
à plusieurs degrés et vote plural ; 5« la représentation
proportionnelle des opinions ; 6« la représentation
réelle du pays. Relativement à celle-ci, M. Benoist étu-
die : lo les fondements théoriques et philosophiques de
la représentation professionnelle; 2« ses fondements
historiques; 3« ses éléments dans les législations exis-
tantes : survivances ou formes anciennes; formes mixtes
ou renouvelées; formes nouvelles ou progressives. L'ou-
vrage se termine par un essai d'application à la France.
Il est à lire et i méditer par tous les moralistes, qui,
sans sortir de leur compétence, voudront sortir néan-
moins des généralités et des lieux communs, sur la
réforme du suffrage universel et de ses mœurs. De
même que, au traité de la justice et des contrats, le
théologien doit connaître un bon nombre de lois civiles
et de théories juridiques, de même, au traité des De-
voirs civiques, encore à faire, le théologien devra con-
naître les institutions qui assureraient le mieux sa
compétence et sa probité au suffrage populaire, et, par
suite, les études techniques de science sociale et de
science politique nous sont, de par nos devoirs, aussi
indispensables que celle de l'anthropologie ou de toute
autre science auxiliaire. Nous y gagnerons une préci-
sion et une sérénité d'esprit strictement nécessaires
à la valeur de nos jugements moraux sur le régime
politique nommé démocratie.
XI. L'ENCYCLIQUE DB CONDITIONS OPIFJCUM ET LA
DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL. ~ On peut ap-
peler ce document la charte pontificale de la démo-
cratie, en prenant ce terme dans le sens dérivé de
mouvement social pour Vamélioration de la vie chez
les ouvrie^^s. Dans l'exorde, Léon XIII résume vigoureu-
sement les causes du redoutable conflit que le xix* siècle
vit naître dans la société : 1« progrès nouveaux de
l'industrie et méthodes nouvelles des arts mécaniques;
2® altération des rapports entre patrons et ouvriers ;
3o concentration des richesses entre les mains du petit
nombre et indigence de la multitude; 4» opinion plus
grande que les ouvriers ont conçue d'eux-mêmes et
leur union plus compacte; 5o corruption morale. Cette
énumération place fort exactement la révolution
technique et industrielle opérée par le machinisme au
premier rang des facteurs qui ont produit l'antagonisme
actuel des classes ; viennent ensuite les faits de concen-
tration ouvrière, de concentration patronale et de
démoralisation dont les économistes et les politiques
ont, comme Léon XIII, reconnu l'enchaînement. Mais
le pontifie annonce de suite le haut point de vue de
justice qui domine son intervention : t préciser avec
justesse les droits et les devoirs qui doivent à la fois
commander la richesse et le prolétariat, le capital et le
travail. Le problème n'est pas sans danger, parce que
trop souvent des hommes turbulents et astucieux
cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour
eiciter les multitudes et fomenter des troubles.
Quoi qu'il en soit, nous sommes persuadé, et tout le
monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes
et efficaces, venir en aide aux hommes des classes infé-
rieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une
situation d'infortune et de misère imméritées. > Ces
dernières paroles sont absolument neuves : si, d'un
côté, Léon XIII ne reste pas moins sévère aux violences
et aux excitations révolutionnaires que Grégoire XVI
ou Léon XII, d'autre part, il bénéficie de soixante
années où le conflit social, se prolongeant, fut observé,
étudié, apprécié par de nombreux esprits, notamment
par ces économistes ou ces hommes d'action catholiques,
si justement appelés les précurseurs du mouvement
social catholique ou ses premiers initiateurs. Victor de
Clercq, Les doctrines sociales catholiques en France,
depuis la Révolution jusqu'à nos jours, Paris, 1905,
2 brochures. Voir Corporations, t. m, col. 1870, 1871.
Depuis les écrivains contre-révolutionnaires, comme Jo-
seph de Maistre et Donald, en passant par Chateaubriand,
Ballanche, Lamennais, Lacordaire, Montalembert, le
comte de Coux, Villeneuve-Bargemont, Louis Veuillot,
Ozanam, jusqu'à Gratry, Charles Périn, René de la Tour
du Pin, le comte de Mun, Ketteler, Vogelsang, Decurtins,
etc., l'application des principes évangéliques à l'amélio-
ration physique, sociale et morale de la vie ouvrière de-
vint de plus en plus un sujet d'études et un principe
d'action. Par l'organe d'une élite de croyants et de pen-
seurs, l'Église enseignée sollicitait implicitement l'auto-
rité pontificale à se prononcer sur cette cause majeure.
Des gens même du dehors, comme Bûchez et son école«
d'anciens saint-simoniens, comme le banquier Israélite
Isaac Pereire, sollicitaient expressément une action nou-
velle de la papauté. « Jamais œuvre plus digne d'elle,
plus conforme à l'enseignement de son divin maître ne
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313
DÉMOCRATIE
314
s*est offerte à la soUicitade de l'Église. N'est-elle pas,
par son principe même, la mère de tous les petits, la
protectrice des opprimés? Après avoir détruit Tescla-
vage antique et le servage féodal, l'Église doit encore
améliorer le sort de l'ouvrier moderne. » Isaac Pereire,
La qitestion religieuse, Paris, 1878, cité par Leroy-
Beaolien, La papauté, le socialisnw et la démocratie,
p. 8, 9. Aussi, quand Léon XIII eut répondu à ces as-
pirations par l'encyclique De conditione opificum, un
observateur, étranger à la foi, mais clairvoyant, recon-
nut là un contact délibéré avec le monde nouveau du
travail et de l'industrie, un contact nouveau lui-même,
bien que conforme aux traditions constantes de l'Église.
Spuller, L'évolution politique et sociale de VÉglise,
Paris, i8œ, p. 104, 119, 159, 162, 164, 170. Ck)nformé-
ment à la justice et à la charité chrétiennes, le pontife
blâmait Tindividualisme de la Révolution, qui « avait
détruit, sans rien leur substituer, les corporations an-
ciennes », et, de la sorte, « livré à la merci de maîtres
inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée,
les ouvriers isolés et sans défense. »
£n regard de cette « misère imméritée », Léon XIII
considère la puissance des spéculateurs qui accaparent
les affaires, la concentration des entreprises et des mar-
chés aux mains d'un petit nombre de riches et d'opu-
lents, < qui imposent un joug presque servile à l'infînie
multitude des prolétaires. »
L'état de la question ainsi posé, l'encyclique se divise
en quatre parties : 1« l'action des socialistes ; 2« l'action
de l'Église, .^ Confidenter ad argunientum aggredi-
mu8;dp l'action de l'État, § Jani vero quota pan reme-
cUi; 4« l'action des patrons et des ouvriers, § Postremo
domini ipsique opifices,
1* L'action des socialistes vise toute à organiser la
propriété collective du sol et des moyens de travail.
Elle « n'aurait d'autre effet que de rendre la situation
des ou>-riers plus précaire, en leur retirant la libre dis-
position de leur salaire et en leur enlevant par le fait
même tout espoir d'améliorer leur situation. » Donc,
solution nuisible. De plus, injuste : l'individu serait
lésé dans son droit naturel de posséder par lui-même
les moyens qu'il prévoit nécessaires i sa vie, et les
fruits du travail qu'il entreprend à ses fins. < Et qu'on
n'en appelle pas à la providence de l'État, car l'État est
postérieur à l*homme, et avant qu'il pût se former,
l'homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre
et de protéger son existence, » A ce propos, réfutation
occasionnelle de la nationalisation du sol. De ce que
Dieu donna la terre au genre humain, il ne s'ensuit pas
qu'il la livra à celui-ci comme à l'unique propriétaire
collectif, mais simplement qu'il laissa la délimitation
des divers types de propriété à l'industrie humaine et
aux institutions des peuples. De plus, le travail de défri-
chement, de culture et d'amélioration incorpore à la
terre une fécondité et une plus-value tellement inhé-
rentes à elle qu'on ne saurait en jouir sans posséder
la terre elle-même. Injuste encore pour la famille, la
doctrine socialiste, car elle ôte à son chef le moyen
d'élever ses fils et de leur constituer un patrimoine.
Léon XIII, à ce propos, revendique fortement l'autono-
mie de la famille dans l'État, et la supériorité de ses
droits dans la sphère de sa fin propre et immédiate,
pour ie choix et l'usage de tout ce que veulent sa con-
servation et son .indépendance. § Quod igitur demon^
stnwimus. Injuste enfin pour la société entière, le ré-
gime socialiste amènerait c une odieuse et insupportable
servitude pour tous les citoyens », priverait le travail
et le talent du stimulant nécessaire de la propriété et
réaliserait, c à la place de Tégalité tant rêvée, l'égalité
dans le dénûment, dans l'indigence et la misère. »
D'où Léon XIII conclut que le premier fondement à
poser pour tous ceux qui veulent sincèrement le bien
du peuple, c'est V inviolabilité de la propriété privée.
Toute la critique du socialisme par l'encyclique tend à
l'établissement de ce principe, qui est la contradictoire
du principe socialiste, malgré les atténuations de pru-
dence et de politique apportées à ce dernier par les
maîtres du socialisme. Voir Communisme, t. iir, col. 592,
593.
'2^ L'action de VÉglise, continue Léon XIII, enseigne
d'abord le respect des inégalités de condition qui sont
le résultat naturel des différences de talent, d'habileté,
de force, et qui tournent au bien de tous, en diversi-
fiant les fonctions à mesure des aptitudes. C'est la répro*
bation par l'Église des abus de la tendance égalitairc.
En dehors même des catholiques, cette réprobation se
rencontre également vigoureuse. Prins fait consister
« l'utopie égalitaire » dans la c tendance à l'égalité des
conditions. » De Vesprit du gouvernement démocra-
tique, p. 7. Bougie observe qu'on ne saurait consi-
dérer l'égalité naturelle des hommes sans tenir compte
de la valeur individuelle des personnes, si différentes
de qualités et de mérites. Les idées égalitaires, Paris,
1901, p. 22, 27. Bryce décrit le respect des notoriétés
et des valeurs individuelles qui s'allie toujours chez les
Américains au sentiment très vif de l'égalité naturelle,
civile et politique. La République américaine, t. iv,
p. 522, 539. C'est donc un fait de nature et un principe
de juste différenciation, que Léon XIII maintient dans
l'ordre social, contre les excès de l'égalitarisme.
Il prémunit aussi le peuple contre l'espérance falla-
cieuse de posséder un paradis terrestre sans douleur
ni travail et contre le principe antisocial de la lutte
des classes. ^ Jllud itaque slatuç^tur primo loco; § Est
illud in caussa, de qua dicimus. Cf. Léon Poinsard,
La guen'e des classes peut-elle être évitée?
L'Église, au contraire de ce faux principe, rapproche
les classes en leur prêchant à chacune la justice dans
son état : à l'ouvrier, de fournir intégralement et fidè-
lement tout le travail auquel il s'est engagé par contrat
libre et juste; de ne point léser son patron dans ses
biens et dans sa personne; de ne point soutenir ses
revendications avec violence et par l'émeute; de fuir
les discoureurs artificieux qui le corrompent avec des
espérances exagérées et des promesses irréalisables.
Aux patrons, de respecter la dignité de l'homme et du
chrétien dans l'ouvrier, d'honorer le travail comme un
noble moyen de sustenter sa vie; de payer le salaire
intégralement et fidèlement, et un juste salaire; de res-
pecter et de favoriser l'épargne du pauvre.
L'Église veut même rapprocher les classes jusqu'à une
certaine amitié. § Sed Ecclesia tamen, La base chré-
tienne de cet intime rapprochement consiste dans le
sens vrai de la vie, qui montre le danger de la richesse
pour la vie éternelle, et l'essentielle nécessité de bien
se préparer à celle-ci par le bon usage, soit de la pau-
vreté, soit de la richesse. Avec ce sens chrétien de la
vie, les riches distinguent aisément entre leur droit de
possession, qui est personnel, et leur droit d'usage,
qui se limite personnellement au nécessaire et au con-
venable. Ils doivent leur superflu aux pauvres, à titre
de charité fraternelle. Léon XIII cite à ce propos saint
Thomas, Sum, theol,, II» II», q. xxxii, a. 4; q. Lxvi,
a. 2. Le sens chrétien de la vie montre également à tous
qu'ils sont comptables de leurs talents envers le bien
public. S. Grégoire le Grand, Homil,, ix, in Evang,,
n. 7, P, L., t. Lxxvi, col. 1109. Aux pauvres finalement,
il enseigne l'estime d'un état où a vécu Jésus-Christ et
pour lequel il garde de tendres prédilections.
L'Église enfin tourne l'amitié des classes en une vraie
fraternité, § Quos tamen si christianis, par les dogmes
de la création et de l'adoption divine, de la fin der-
nière, de la rédemption. Tous également créés, adoptés,
sauvés, béatifiés par le même Dieu, les riches et les
pauvres sont une même famille de frères, dont Jésus-
Christ est le premier-né.
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DÉMOCRATIE
316
El Léon XIII termine celte seconde partie de l'ency-
clique par l'exposé des mœurs et des institutions his-
toriquement issues de ces croyances et de ces doctrines.
30 Action de VÉtat. — § Jam vero quota pars renie-
diif Léon XI 11 déclare parler dans Thypothése de l'État
chrétien, constitué selon les préceptes de la raison na-
turelle et de l'Évangile.
L'État agira d'abord par l'économie générale des lois
et des institutions, sans excepter les ouvriers de son
action : c'est son office de servir l'intérêt commun par
des mesures générales. Il agira ensuite directement
pour le bien propre des ouvriers, qui sont des citoyens
aussi bien que les riches, et qui ont droit à la protec-
tion de leur travanl comme les riches à celle de leur
propriété. C'est l'exigence de la justice distributive.
Les ouvriers y possèdent un titre spécial comme fac-
teurs de la richesse nationale : les gouvernants ont le
devoir d'intervenir dans les questions ouvrières, dès
que la paix publique est menacée par les grèves, que
la religion des ouvriers est violentée, que les ateliers
mélangent les sexes; que les conditions du travail sont
iniques; « dans tous ces cas, il faut absolument appli-
quer dans de certaines limites la force et l'autorité des
lois; les limites seront déterminées par la fin même
qui appelle le secours des lois; c'est-à-dire que celles-ci
ne doivent pas s'avancer ni rien etitreprendre au delà
de ce qui est nécessaire pour réprimer les abus et écar-
ter les dangers, » C'est donc au nom de Végalité civi-
que et de la justice distrihutive, que Léon XIII
approuve Tintervention des gouvernements dans la
question ouvrière; toutefois, dans la protection des
droits privés, l'État doit se préoccuper d'une manière
spéciale des faibles et des indigents. « La classe riche se
fait comme un rempart de ses richesses et a moins be-
soin de la tutelle pnhViqne [minus eget tulela publica].
La classe indigente, au contraire, sans richesses pour
la mettre à couvert des injustices, compte surtout sur
la protection de l'État. Que l'État se fasse donc, à un
titre tout particulier, la providence des travailleurs,
qui appartiennent à la classe pauvre en général. Quo-
circa mercenatnos, cuni in muUitudine egena nume-
runtur, débet cura providentiaque singulari cotti-
plecti respublica. 9
Les expressions c tutelle publique y> ei m providence
des travailleurs » semblent ici forcer le sens des
expressions latines. Tulela publica veut dire protec-
tion de l'État et non tutelle ; cura providentiaque, c'est
le soin et la prévoyance. Leroy-Beau lieu, La papauté,
le socialisme et la démocratie, p. 121. La traduction
officielle demande ici à être contrôlée par le texte. Il
n'en demeure pas moins certain que Léon XIII regarde
les gouvernements comme tenus en justice à une pro-
tection spéciale des droits de l'ouvrier, et à une pré-
voyance non moins spéciale des mesures à prendre en
leur faveur, partout où ils se trouvent menacés ou
lésés.
Suit une énumération des cas sujets à cette interven-
tion : 1® au bénéfice des intérêts généraux : protéger la
propriété contre les attaques violentes, empêcher les
grèves d'entraver les affaires et la paix ; 2« au bénéfice
des ouvriers directement : sauvegarder les intérêts de
leur vie éternelle, car, en cela, ils sont les égaux des
riches et des princes, et par suite leur assurer le repos
dominical; veiller à la durée du travail et aux inter-
valles de repos, selon la nature des industries, les sai-
sons, l'âge, le sexe des ouvriers; n'admettre pas de
trop jeunes enfants dans les ateliers; interdire aux
femmes tout engagement contraire à leurs devoirs ma-
ternels; veiller à la justice du salaire.
Le salaire n'est juste que s'il procure à l'ouvrier les
moyens d'existence qu'il attend de son travail. « Que le
patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conven-
tions qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notam-
ment sur le chiffre du salaire ; au-dessus de leur libre
volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée
et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas
être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et hon-
nête. Que si, contraint par la nécessité ou poussé par
la crainte d'un mal plus grand, il accepte des condi-
tions dures que d'ailleurs il ne lui était pas loisible de
refuser, parce qu'elles lui sont imposées par le patron
ou par celui qui fait rofTre du travail, c'est là subir une
violence contre laquelle la justice proteste. » Cepen-
dant, < de peur que dans ces cas et d'antres analogues,
comme dans ce qui concerne la journée de travail et
les soins de la santé des ouvriers dans les mines, les
pouvoirs publics n'interviennent importunément, vu
surtout la variété des circonstances, des temps et des
lieux, il sera préférable qu'en principe la solution en
soit réservée aux corporations ou syndicats dont nous
parlerons plut loin, ou que l'on recoure à quelque
autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers,
même, si la cause le réclamait, avec le secours et
l'appui de l'État. *
Après le salaire, V épargne, que l'État doit favoriser
par des lois favorables elles-mêmes à la propriété,
dans les masses populaires, par des impôts modérés.
On y gagnerait une plus juste répartition de la richesse,
le rapprochement des classes, l'exploitation meilleure
du sol et l'arrêt de l'émigration pauvre.
On remarquera la doctrine très nette de Léon XJII
sur l'égalité. 1« Dans le § sur l'action de l'Église, il
rappelle les origines naturelles, la légitimité morale,
les bienfaits sociaux des inégalités de condition dues
aux différences personnelles d'intelligence, de talent,
d'habileté, de santé, de force. 2» Égalité universelle des
chrétiens, comme enfants de Dieu, cohéritiers de Jésus-
Christ; par suite, fraternité des classes. 3« A propos de
l'action demandée à l'État, Léon XIII rappelle l'égalité
des pauvres et des riches comme citoyens, devant les
lois, et le droit de tous à la protection que réclament
leurs besoins : « Parmi les graves et nombreux devoirs
des gouvernants, celui qui domine tous les autres con-
siste à prendre un égal soin de toutes les classes de
citoyens en observant les lois de la justice distributive. »
L'égalité n'est plus ici dans l'uniformité des mesures
de protection, mais dans leur adaptation entière et adé-
quate aux besoins de chaque classe, de chaque âge,
de chaque sexe. Voir Fonsegrive, La crise sociale,
p. 456, 471.
4» Vaction des patrons et des ouvriers. — 1. Les
associations privées : mutualités, caisses pour les
veuves, les orphelins, les accidents, les chômages.
Institutions de patronage.
a) Leur caractère : associations d'initiative privée,
fondées sur le droit naturel qu'ont tous les citoyens
de s'entraider pour certaines fins particulières, plus
vastes que celles de la famille, moins vastes que celles
de l'État. § Virium suarum explorala exiguitas. —
b) Leurs droits en face de VÉtat : de droit naturel et
par elles-mêmes elles existent, sans que l'État puisse
leur dénier l'existence. — c) Il a simplement le droit
d'interdire ou de dissoudre les sociétés qui pour-
suivent des fins malhonnêtes, injustes ou contraires à
la sécurité publique. « Mais encore faut-il qu'en tout
cela les pouvoirs publics n'agissent qu'avec une très
grande circonspection, pour éviter d'empiéter sur les
droits des citoyens et de statuer, sous couleur d'utilité
publique, quelque chose qui serait désavoué par la
raison. » — Suit une digression sur les confréries,
congrégations et ordres religieux, dont la situation et
les droits civils sont analogues à ceux des syndicats ou
corporations.
2. Les sodalitia artificum, syndicats ou corporations.
Ce sont les œuvres par excellence.
a) Opportunité présente des syndicats et corpora-
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DÉMOCRATIE
318
lions. — En regard des sociétés révolutionnaires, an-
lichrétienneS) menées par des chefs occultes, il faut
des associations d'ouvriers chrétiens, autonomes. Pro-
portionnellement, zèle louable des catholiques qui se
vouent à Tétade et à la solution pratique des questions
ouvrières; qui tiennent des congrès sociaux; qui
fondent ou subventionnent des associations.
b) L'organisation corporative. — « Si, comme il est
certain, les citoyens sont libres de s'associer, ils
doivent l'être également de se donner les statuts et
règlements qui leur paraissent les plus appropriés
au but qu'ils poursuivent. » Léon XIII ne croit pas
( qu'on puisse donner des règles certaines et précises
pour en déterminer le détail » ; cela dépend des indus-
tries, des affaires, des pays et d'une foule de circon-
stances. « Que l'État protège ces sociétés fondées selon
Je droit ; que toutefois il ne s'immisce point dans leur
gouvernement intérieur et né touche point aux ressorts
intimes qui leur donnent la vie; car le mouvement
vital procède essentiellement d'un principe intérieur
et s'éteint très facilement sous l'action d'une cause
externe. >
c) Enfin, que les corporations soient avant tout mo-
rales et chrétiennes : ainsi le veut la hiérarchie des
fins dans la vie humaine. Voir Corporations, t. m,
col. 1871 sq.
Eu résumé, ce sont les principes du droit naturel et
de la justice que Léon XIU applique à résoudre le
problème ouvrier; et ces principes lui commandent
un souci tout particulier de la protection des travail-
leurs, soit par eux-mêmes, au moyen de l'association
professionnelle, soit par l'État, comme gardien et
comme restaurateur de leurs droits. Sans prononcer
une seule fois le mot démocratie, l'encyclique De con-
ditione opificum est un programme complet de démo-
cratie, dans le sens où ce terme dit l'amélioration
morale et physique de la vie populaire, par l'action
convergente du peuple, des patrons, des États et de la
religion. V. Maumus, VÉglise et la démocratie, Paris,
1883.
Dans le même ordre de préoccupations, Léon XIII se
prononça en faveur d'une législation internationale
du travail. Lettre à M. Gaspard Decurlins, 6 août 1893.
Dès 1892, M. Leroy-Beaulieu prévoyait les sympathies
du saint-siège envers cette nouvelle législation, mais
il y redoutait les inconvénients et les dangers de com-
plications étrangères, si cette législation devait s'im-
poser sous forme de règlements internationaux. La
papauté, le socialisme et la démocratie, p. 175-176.
Ne pourrait-elle pas s'établir plus spontanément, par
rinfluence des revendications ouvrières et du mouve-
ment syndical, deux forces internationales, s'il en est?
Déjà, observe M. Decurtins, le droit commercial est
devenu à maints égards un droit international. Les
mêmes règles générales font loi dans le monde entier
en matière de chemins de fer, paquebots, lettres de
change, sociétés anonymes pour l'exploitation indus-
trielle ou minière; il semble juste et possible d'étendre
le bénéfice de mesures analogues à la classe ouvrière.
Decurtins, Rapport au Congrès international pour la
protection ouvrière à Zurich, Zurich, 1897 ; Max Tur-
mann. Le développement du catholicisme social de-
puis Vencycligue Rerum novarum, Paris, 1900, p. 208-
i28. Les faits et documents cités par M. Turmann mon-
trent bien que la législation internationale du travail
sera possible et réalisable dans la mesure où, simul-
tanément, la légitime influence de la classe ouvrière,
organisée par syndicats, l'imposera ou la persuadera
partout aux gouvernants. Dans l'univers civilisé de
même que dans chaque nation particulière, le Code du
travail se rédigera sous l'action du peuple. Et aussi
bien, toutes les mesures de saine démocratie, préconi-
iées par Léon XIII, ne visent-elles pas, comme il l'écrit
lui-même, à rendre le peuple capable de « délimiter
ses droits et ses devoirs, de se diriger lui-même, de
travailler comme il convient^à son propre salut » ? Lettre
au ministre général des frères mineurs, 25 no-
vembre 1898.
Cette législation internationale du travail commence
même à s'élaborer, comme l'observe M. Léon Poinsard,
Le droit international an xx* siècle, ses progrès, ses
tendances, Paris, 1907. !• D'une part, les diplomates,
aidés de conseillers techniques, s'y occupent, dans une
nouvelle extension de leurs pouvoirs spéciaux : ainsi
treize Étals, Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique,
Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie,
Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse, ont
signé le 26 septembre 1906 un acte interdisant aux
femmes le travail de nuit sauf exceptions très limitées ;
il devra être mis en vigueur par des lois spéciales dans
un délai minimum de dix années. Poinsard, loc. cit.,
p. 56. 2*> Des associations internationales privées ac-
tivent le mouvement de l'opinion et le zèle des gouver-
nements: Société de législation comparée, à Paris;
Institut de droit international. Comité maritime
inte}*national, Association maritime internationale, à
Paris; Fédération internationale des typographes, au
secrétariat central à Berne; Association intetmationale
pour la protection de la propriété industrielle, à Berlin ;
Union internationale pour la protection légale des
travailleurs, fondée à Paris en 1900, avec office inter-
national à Bâle. Poinsard, loc, cit., p. 114, 115.
XII. L'encyclique Gra vbs de commum et la démo-
cratie CHRÉnENNE. — Le 18 janvier 1901, ce document
s'adresse aux évêques du monde entier, pour préciser le
terme de démocratie chrétienne, lequel « blesse beau-
coup d'honnêtes gens, qui lui trouvent un sens équivoque
et dangereux ». En Allemagne, il rappelle de trop près
« démocratie sociale b, qui est l'étiquette reçue du socia-
lisme matérialiste et irréligieux. En France, en Belgique,
en Italie, on lui reproche de confondre le dévouement
aux intérêts ouvriers avec l'attachement à la forme ré-
publicaine, et alors il devient un sujet de discordes po-
litiques entre catholiques poursuivant le même bien so-
cial. On lui reproche aussi de restreindre en apparence
l'action sociale du christianisme aux intérêts populaires,
en négligeant les autres classes. Cf. § Sic igitur Eccle-
siœ auspiciis. Georges Goyau, Autour du catholicisme
social, 2« série, Paris, 1901, p. 20, 46. Pour dissiper
ces malentendus, Léon XIII déclare qu' « il serait con-
damnable de détourner à un sens politique le terme de
démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie,
d'après l'étymologie du terme et l'usage des philosophes,
indique le régime populaire; mais dans les circon-
stances actuelles, il faut ne l'employer qu'en lui étant
tout sens politique et en ne lui attachant aucune autre
signification que celle d'une bienfaisante action chré-
tienne parmi le peuple. » En tout régime de gouverne-
ment, les catholiques doivent poursuivre l'amélioration
morale et physique de la vie ouvrière, car cette fin
démocratique ne dépend en soi d'aucune forme de
constitution. Léon XIU sanctionne là une doctrine
qu'il avait fait d'abord élaborer par le professeur To-
niolo, dePise. Rivistainternazionale di scienze sociali,
juillet 1897, traduit en français sous le titre : La
notion chrétienne de la démocratie. Cf. du même, Le
mouvement catholique populaire et le prolétariat.
Sous les espèces d'une simple définition de mots,
l'encyclique Graves de communi approuve dans toute
l'Église le mouvement social, juridique, économique,
orienté vers le bien du peuple, mis en sa place dans
le bien commun de la société entière. La démocratie
chrétienne apparaît là « comme une organisation d'ac-
tion populaire, susceptible de fonctionner sous toutes
les latitudes et sous tous les régimes, et destinée à la
diffusion intégrale et à l'application efl'eclive des doc-
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DÉMOCRATIE
320
trines sociales évangéliques. » Goyau, loc. cit., p. 26.
A propos de cette démocratie, Léon XIII rappelle le
côté principalement moral et religieux des questions
sociales. § De officiis virtuiuni et religionis. Si des
bouleversements de l'outillage et de Tatelier furent
Torigine de ces questions, leur bonne solution réclame
des principes de justice et de religion chez ]es ouvriers :
la hausse des salaires n'apportera que tentations à
l'ouvrier dépravé; elle requiert la tempérance, la pré-
voyance, la patience, pour une sage organisation de
ses moyens et de son mode d'existence. Les catholiques
doivent ainsi joindre un souci prépondérant de la mo-
ralité populaire et de la religion, à une compréhension
bien avertie des intérêts économiques et matériels. La
science de la charité fraternelle et de la justice sociale
réclame cette subordination de la fin temporelle â une
fin plus haute et non moins nécessaire.
Certains actes de Pie X commentent sous forme
d'instructions pratiques les enseignements démocra-
tiques de l'encyclique Graves de communi et de l'en-
cyclique sur la condition des ow)riers. Ce sont le
Motu proprio sur Inaction populaire chrétienne, du
18 décembre 1903, la Lettre au cardinal Svampa sur
les démocrates chrétiens autonomes d' Italie j l" mars
1905; l'encyclique 11 fermo proposito sur l'action ca-
tholique, 11 juin 1905; l'encyclique Pieni l'animo aux
évéques d'Italie sur l'action catholique, 28 juillet 1906.
XIII. Pie X : l'encyclique Pascendi et la démocra-
tie DANS l'église. — Au paragraphe du « théologien
moderniste », l'encyclique du 8 septembre 1907 repousse
l'introduction du principe démocratique dans le gou-
vernement de l'Église. Elle en résume la théorie dans
les termes suivants : « Nous sommes à une époque où
le sentiment de la liberté est en plein épanouissement :
dans l'ordre civil, la conscience publique a créé le régime
populaire. Or, il n'y a pas deux consciences dans
l'homme, non plus que deux vies. Si l'autorité ecclé-
siastique ne veut pas, au plus intime des consciences,
provoquer et fomenter un conflit, à elle de se plier aux
formes démocratiques. ^ Le magistère doctrinal doit
lui-même se soumettre à cette évolution : « Comme ce
magistère a sa première origine dans les consciences
individuelles, et qu'il remplit un service public pour
leur plus grande utilité, il est de toute évidence qu'il
doit s'y subordonner, par là même se plier aux formes
populaires, ut Conséquemment, le « réformateur »
moderniste inscrira dans son programme de réformes :
t Que le gouvernement ecclésiastique soit réformé dans
toutes ses branches, surtout la disciplinaire et la dog-
matique. Que son esprit, que ses procédés extérieurs
soient mis en harmonie avec la conscience, qui tourne
à la démocratie; qu'une part soit donc faite dans le
gouvernement au clergé inférieur et même aux laïques;
que l'autorité soit décentralisée. »
Le tort de ce programme et de la théorie qui lui sert
de base est de méconnaître les immuables principes de
la constitution donnée à l'Église par Jésus-Christ.
L'autorité ecclésiastique diCTère précisément de l'auto-
rité civile en ce que ses droits lui sont conférés
par Jésus-Christ, c'est-à-dire par Dieu même directe-
ment, et non par le sufl'rage de la multitude. C'est
Jésus-Christ encore ou ses envoyés, les apôtres, les
papes, qui délimitent, définissent, organisent les
pouvoirs concédés à l'Église. Il n'y appartient donc à
aucun inférieur, à aucun groupe de laïcs ou de clercs,
d'y modifier les maximes ou les procédés de l'autorité
supérieure. L'Église catholique tout entière obéit au
pape comme à un véritable monarque de droit divin
dans l'ordre religieux; monarque unique au monde,
seul en son genre, dépositaire d'une tradition de foi
et de morale qu'il ne peut altérer et qu'il commente,
développe et applique dans le sens toujours maintenu
de sa révélation par Jésus- Christ. Matter, V Église
catholique, sa constitution, son administration, Paris,
1906.
Mais, comme la sphère d'action de l'Église se distingue
essentiellement de celle où agit le pouvoir civil, et que
celui-ci, comme l'Église, est autonome, souverain dans
les limites de sa compétence, une même conscience
humaine peut et doit pratiquer la démocratie dans
l'ordre temporel et politique, ne pas l'introduire dans
l'ordre religieux et se conformer dans l'Église à la
constitution toute différente posée par Jésus-Christ et
développée par ses mandataires ou représentants. Ce
dualisme de la conscience est voulu par la nature des
choses : il se fonde en dernier lieu sur la distinction
de la nature et du surnaturel, de la raison et de la foi :
la vie de celle-ci trouve sa règle dans la révélation, le
témoignage, l'autorité; la vie de la raison et delà nature
se développe au contraire, par voie de découverte, de
preuve scientifique, de libre initiative. Il n'y a pas
deux consciences dans l'homme, mais il y a des procé-
dés vitaux et des devoirs sociaux qui se diversifient,
selon qu'il s'agit de la vie sociale naturelle ou de la
vie sociale surnaturelle. Voir col. 291.
Néanmoins, si la constitution essentielle de l'Église
doit Tester intangible à toute altération démocratique ou
autre, le mouvement actuel de la démocratie agit
directement sur les individus etsur les peuples qui sont
les éléments humains de l'Église. L'éducation, l'am-
biance universelle des idées et des choses répandent
une mentalité et des façons d'agir qui ne sont plus,
tant s'en faut, celles des temps féodaux ou de l'ancien
régime.
lo Dans l'une comme dans l'autre de ces époques pas-
sées, les évéques partageaient communément un mode
d'existence aristocratique, seigneurial, princier même.
Cela tenait et aux grandes propriétés, aux fiefs, dont
le revenu constituait le temporel des évêchés, et aux
privilèges dont jouissaient les prélats dans l'ordre poli-
tique. Taine, L'ancien régime, 16» édit., Paris, 1891,
p. 16-21 ; cardinal Mathieu, Vancien régime dans la
province de Lorraine et Barrois, Paris, 1878, p. 110,
125-127; Sicard, Vancien clergé de France, t. i, Les
évoques avant la Révolution, Paris, 1893.
Des survivances de cet état ancien apparaissent encore
en Autriche-Hongrie. Dans les pays démocratiques,
États-Unis par exemple, tout privilège de grande pro-
priété et de situation politique est inconnu dans l'épis-
copat; l'évêque vit simplement comme les autres ci-
toyens, sans distinctions officielles, mais jouissant d'un
respect proportionné à la double estime de sa mission
religieuse et de sa valeur morale personnelle. Félix
Klein, Aupaysdela vie intense, Paris, 190t, p. 96 sq.,
155sq., 218sq., 33i sq.
2« Cette simple vie dans le droit commun modifie
aussi bien \erecrutement des dignitaires ecclésiastiques.
Aux temps de la féodalité et de l'ancien régime, les
bénéfices ecclésiastiques constituaient des situations
enviées à proportion de leur richesse et de leurs pri-
vilèges politiques. Ils se distribuaient en majeure par-
tie à des ecclésiastiques gentilshommes, dont la famille
trouvait là un bon établissement de ses cadets. £lle
se l'assurait même d'oncle en neveu, tel bénéfice
devenant comme l'apanage de telle maison. C'est un
fait reconnu, que la disparition de ces privilèges déter-
mina un recrutement de l'épiscopat moins exclusif,
plus largement populaire,
3® Les relations des évéques avec leurs prêtres s'en
ressentirent : l'évêque, grand seigneur de naissance et
desituation,tendait, p^r la force des choses, à maintenir
les distances entre lui et son c bas clergé » roturier,
malgré les édifiants et les humbles prélats qui don-
nèrent maintes fois de beaux exemples contraires.
Mais de nos jours les évéques d'Amérique, sortis du
peuple et vivant au milieu de lui, sans distinctions
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321
DÉMOCRATIE — DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
322
aristocratiques, sont plus naturellement, plus simple-
ment en communication avec leurs prêtres; d'autant
plus, que la grande République d'Outre-Mer ne connaît
guère les formes bureaucratiques et protocolaires, les-
quelles, ailleurs, se dressent encore, ainsi qu'une sur-
vivance d'ancien régime, entre les chefs et les subor-
donnés.
4® Le contact avec les laïcs se modifie encore pro-
fondément pour le clergé tout entier, partout où le
mouvement social démocratique a provoqué, obtenu,
accepté le concours du prêtre aux associations popu-
laires. Tandis que le clergé allemand, dans la première
moitié du xix*" siècle, vivait ou végétait sous la tutelle
uureaucra tique, étranger aux questions nouvelles de
justice que soulevaient les temps nouveaux de l'indus-
trie, depuis Ketleler, le clergé d'Outre-Rhin s'est fait
le conseiller, l'initiateur, l'auxiliaire du paysan et de
l'ouvrier à la pratique opportune bienfaisante, univer-
selle de l'association économique ou professionnelle
sous les formes les plus diverses. Georges Goyau, Kel-
teler, Paris, 1907. Aristocrate de naissance, Kettelor
avait compris les exigences nouvelles des temps, a Mon
âme tout entière, écrivait-il, est attachée aux formes
nouvelles, que les vieilles vérités chrétiennes créeront
dans l'avenir pour les rapports humains. » Kannen-
gieser, Kel teler et l'organisation sociale en Allemagne,
Paris, 18S3. Voir Allemagne, Les œuvres sociales et cha-
ritables des catholiques allemands, t. i, col. 817 sq.;
Goyau, L'Allemagne religieuse : le catholicisme, 2 vol.,
Paris, 1905.
5« A mesure, enfin, que la pratique normale de la
démocratie s'organise dans un peuple, par le moyen
de l'autonomie communale, syndicale et professionnelle,
locale et provinciale, les œuvi^es religieuses y recrutent
des hommes mieux préparés à entourer le clergé d'un
concours actif, intelligent, pratique et ordonné. Sous
ce rapport, les traditions bureaucratiques, centralisa-
trices à l'excès de l'État français, ont malheureusement
desservi l'Église de France depuis longtemps; car, sous
ce régime d'État, les citoyens ne connaissent guère
d'autre alternative que celle de la passivité résignée
ou de la critique frondeuse. L'antithèse s'établit, vio-
lente, entre l'autorité et ses sujets, car ceux-ci la rendent
largement responsable de tout ce qui les mécontente,
par sa faute ou non. Dans les milieux où, au contraire,
les citoyens savent eux-mêmes s'unir, se discipliner et
agir pour des fins communes, le concours des laïcs aux
œuvres sociales et religieuses sera de meilleure qualité.
Alors, sans altérer le moins du monde les intangibles
principes de la hiérarchie catholique, la formation dé-
mocratique de l'homme et du citoyen ne s'achèvera
pas sans apporter son contingent de forces morales aux
œu\Tes collectives du chrétien et du catholique. Si, de
nos jours, la providence permet l'accession croissante
des multitudes au pouvoir, avec l'universelle préoccu-
pation de lois et d'institutions qui améliorent la vie po-
pulaire, ce n'est pas sans prédestiner ces deux fins de
la démocratie, déjà honnêtes en soi, à promouvoir des
fins morales et religieuses plus hautes encore. Ck)mme
croyants, nous sommes portés à le croire, comme théolo-
giens, nous le concluons des principes certains de notre
foi en la providence. Si du chaos social et politique
des invasions bartiares, des aristocraties, des bourgeoi-
sies sont issues, avec les ressources d'âme que le
Christ a utilisées pour son Église et surélevées pour
leur plus grand bien, nous ne devons pas moins espé-
rer du chaos où se dégagent progressivement, parmi
nous, les aspirations et les groupements de la démo-
cratie. Cf. H. Delassus, Vencyclique Pascendi et la
démocratie, Lille, 1908.
. B. SCHWALM.
DEMON. Ce nom, qui désigne dans le langage
ecclésiastique un ange déchu, est la transcription fran-
DlCr. DE TUÉOL. CATHOL.
çaise des termes grecs SaiVcav et 8ai(i(0V(ov. AafpicDv, dont
1 étymologie est incertaine, est, en grec, un terme très
complexe, étant données la multiplicité et la variété
des acceptions dans lesquelles il a été employé et dont
les nuances sont parfois difficiles à saisir. Ainsi Ho-
mère a désigné par ce mot la divinité en tant qu'elle
exerce une influence bienfaisante ou funeste. Tandis
que, pour lui, ôeeJ; est la personnalité divine elle-même,
ôat'txwv représente une puissance secrète, indéfinissa-
ble, à laquelle tous les dieux participent et par laquelle
ils font sentir à l'homme leur supériorité. Quand l'in-
fluence exercée est favorable, le catV(<^v remplit en
quelque sorte le rôle de la providence; mais le plus
souvent, cette action est funeste et Homère appelle
8ai{jL(Jvto; un homme frappé par une puissance surna-
turelle. En beaucoup de passages, Sac{x<i>v est simple-
ment synonyme de Ô£o;. Par conséquent, pour lui, les
SaijjLdveç sont les puissances divines s'occupant des
destinées des mortels. Mais, pour Hésiode, ce sont des
êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes,
chargés de fonctions qu'Homère attribuait aux dieux.
Tels étaient les héros de l'âge d'or, devenus les gardiens
souterrains des mortels, ou des personnifications soit
des vertus et qualités morales, soit des forces cosmi-
ques, mêlées très intimement à la vie des hommes.
AaiVwv a désigné aussi la destinée, tu^r,. Le démon a
encore joué le rôle de protecteur personnel ou d'esprit
malfaisant, attaché à un homme qu'il accompagne
pendant la vie, dont il dirige les pensées, les désirs et
les inclinations. On connaît assez le démon de Socrate.
Lélut, Du démon de Socrate, in-S», Paris, 1856. Plu-
tarque a reconnu aussi dans les démons des êtres in-
termédiaires entre les dieux et les hommes et partici-
pant à la fois à la nature divine et à la nature humaine.
Ils sont les serviteurs des dieux, accomplissent des
actions que la sublimité de ceux-ci leur interdisait de
faire et répandent sur les hommes les bénédictions et
les châtiments des dieux. Il y a de bons démons et de
mauvais démons. Ces derniers, véritablement malfai-
sants, produisent ce qu'on a attribué aux dieux de mé-
chant et d'indigne. De defectu oraculorum, c. xii ; De
Isid. et Osir., c. xxvi. Cf. Daremberg et Saglio, Diction-
naire des antiquités grecques et romaines, v* Daemon,
Paris, 1892, t. ii, p. 9-19; Chantepie de la Saussaye,
Manuel d'histoire des religions, trad. franc., Paris,
1904, p. 509, 514, 536, 656. Les deux mots grecs
ôa:|xwv et Saifiwviov n'ont désigné des anges déchus que
dans la version des Septante, dans le Nouveau Testa-
ment et dans la langue ecclésiastique. En passant dans
le grec hellénistique des Juifs et des chrétiens, ils ont
donc pris une acception nouvelle, étrangère à leur si-
gniGcation primitive, quoique présentant avec elle .une
certaine analogie. C'est dans l'acception juive et chré-
tienne d'anges déchus qu'il sera parlé ici des démons.
Nous étudierons successivement les démons : 1® dans
la Bible et la théologie juive; 2» d'après les Pères;
3o d'après les scolastiques et les théologiens posté-
rieurs; 4» d'après les décisions officielles de l'Église.
^ I. DÉMON DAN8 LA BIBLB KT LA THÉOLOQIK
JUIVK. — I. Dans l'Ancien Testament. II. Dans le
monde juif postérieur. III. Dans le Nouveau Testament.
I. Dans l'Ancien Testament. — Comme on a pré-
tendu que la doctrine juive sur les démons avait subi,
après la fin de la captivité de Babylone, l'influence
perse, il importe de distinguer ce que les Israélites
pensaient des esprits mauvais jusqu'à l'exil et à partir
de l'exil.
lo Avant VexiL — Dans les plus anciens livres bi-
bliques, il n'est pas explicitement question des anges
déchus. Cependant, il y est fait mention de puissances
malfaisantes et d'esprits mauvais. Dans le récit de la
chute de nos premiers parents, intervient un serpent.
IV. -
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323
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
324
Ce n'est certes pas un simple animal, mais bien un
esprit méchant et malveillant, aui, sous la forme ou
l'apparence d'un serpent, tente Kve, lui suggère l'idée
de désobéir au précepte de Dieu et l'amène, elle et
Adam, à manger du fruit défendu. La manière d'agir
de cet animal cauteleux trahit un être supérieur, spi-
rituel et invisible, qui pousse au mal, et la sentence
divine contre le tentateur atteint cet être fourbe et
dissimulateur plus que l'animal, dont il avait pris la
forme. Gen., m, 13-15. Dans tout ce récit, le serpent
est un préte-nom et un porte-parole de celui qui sera
appelé plus tard le diable. P. Lagrange, L'innocence
et le péchp, dans la Revue biblique, 1897, t. vi, p. 350,
365-366. Cf. F. de Hummelauer, Comment, in Gène-
sim, Paris, 1895, p. 150-151, 158-159; G. Hoberg, Die
Genesis, 2« édit., Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 44-51.
Celte intervention du serpent pour expliquer la dé-
chéance de l'humanité est exclusivement propre à la
Genèse; elle n'a son pendant dans aucun mythe ancien
relatif à la destinée de l'humanité primitive. Il n'y en
a aucune trace dans le mythe babylonien d'Adapa, dans
lequel quelques mythographes ont prétendu découvrir
l'origine du récit jéhoviste de la création. Le serpent
ne remplit qu'un rôle secondaire dans le mythe d'Étana,
et s'il se venge, c'est contre l'aigle qui avait conçu le
projet de manger ses petits; il ne fait rien relativement
à l'homme. P. Dhorme, Choix de textes religieux
ussyro-baby Ioniens, Paris, 1907, p. 148-181. Si le ser-
pent intervient, dans les mythes de différents peuples,
pour représenter une puissance mauvaise, on ne le
trouve jamais mêlé à la perte de la félicité première
de l'humanité. Les exemples, cités par F. Lenormant,
Les oHgines de Vftistoire, 2* édit., Paris, 1880, t. i,
p. 98-106; Histoire ancienne de VOrient, 9« édit., Paris,
1881, t. I, p. 39-41, n'ont point d'analogie avec le récit
biblique de la chute, et si le serpent des Iraniens,
Agrd Mainjou, incarne en quelque sorte le mal, s'il a
quelque rapport avec le serpent de l'Éden, c'est très
probablement parce qu'il en est dérivé par imitation.
Les documents persans ne sont pas aussi anciens que
le croyait Lenormant, et la dépendance entre la Bible
et l'Avesta est l'inverse de ce que Ton prétendait autre-
fois. P. Lagrange, toc. cit., p. 350, 373, 377. Le serpent
tentateur reste donc exclusivement propre à la tradi-
tion israélile.
Moïse, qui avait parlé du serpent de façon à faire
reconnaître plus tard en lui l'esprit tentateur ou le
diable, ne le mentionne plus dans le reste du Penta-
teuque. On a pensé que ce silence était intentionnel,
que Moïse, pour maintenir plus aisément dans l'esprit
de son peuple l'idée monothéiste, s'est tu sur l'existence
d'êtres spirituels déchus, de peur que les Israélites,
entraînés par les conceptions des peuples voisins sur
des dieux malfaisants, ne se soient représenté, à côté
du Dieu tout-puissant et bon, des êtres spirituels et
invisibles, voulant le mal et capables de contrecarrer
les volontés divines et de travailler dans le monde à
rencontre des desseins de Dieu. Chez les Babyloniens
en particulier, les démons étaient toujours prêts à mal
faire et ne pensaient qu'au mal. Aussi, une partie de la
religion consistait-elle à se les rendre favorables ou à
écarter leurs attaques par des incantations et des pra-
tiques magiques. Lenormant-Babelon, Histoire an-
cienne de VOrient, 9» édit., Paris, 1887, t.'v, p. 194-214;
Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient
classique, Paris, 1895, t. i, p. 630-636; Chantepie de
la Saussaye, op. cit., p. 133, 134; P. Lagrange, Etudes
sttr les religions sémitiques, 2« édit., Paris, 1905,
p. 223. C'est pourquoi le législateur hébreu interdit si
sévèrement toutes les formes de la magie. Exod., xxii,
18; Lev., xx, 6; Deul., xviii, 9-11.
Les plus anciens livres de la Bible hébraïque, pour
la même raison sans doute, parlent rarement des
esprits mauvais ou démons. On doit voir cependant
l'un d'eux dans l'esprit mauvais qui tourmentait Saul,
quand l'esprit du Seigneur l'eut quitté. I Sam., xvi,
14, 15. Mais cet esprit ne parait pas indépendant de
Dieu; il est présenté comme envoyé par Dieu lui-même
pour agiter le roi coupable; on l'appelle même* l'esprit
mauvais de Jéhovah ». I Sam., xvi, 16, 23; xviii, 10;
XIX, 9. C'est Dieu encore, qui, entouré de toute l'armée
des cieux, permet à un esprit de mensonge de tromper
les faux prophètes d'Achab, et met lui-même sur leurs
lèvres cet esprit de mensonge qui les fait parler.
I (lïl) Reg., XXII, 19-23; Il Par., xviii, 18-22. Ces esprits
n'agissent donc que par la volonté divine. Ce ne sont
pas des êtres malfaisants par leur nature et leur volonté
propre; ils sont des agents, subordonnés à Dieu et
n'exécutant le mal que parce qu'il le leurcommande ou
leur en laisse la liberté.
On peut rapprocher de cette conception le rôle attri-
bué à Satan dans le livre de Job. Cet écrit, qui est
probablement antérieur à la captivité, reflète les idées
anciennes des Israélites sur le démon. Satan, nommé
pour la première fois dans la Bible, est un être sur-
humain, comme les anges au milieu desquels il parait,
agent du mal, mais dans une absolue subordination à
Jéhovah. Bien qu'il soit envieux du juste Job et veuille
éprouver sa vertu par le malheur, il ne peut agir
qu'avec l'autorisation divine. Il a besoin d'une permis-
sion, sinon même d'une délégation du Seigneur. Son
action est strictement limitée à la volonté de Dieu, qui
permet d'abord d'attaquer son serviteur exclusivement
dans ses biens, et pas en sa personne, Job, i,6-12, puis
dans sa personne, en sauvegardant toutefois sa vie, ii,
1-7. Si Satan n'apparaît pas ici comme un esprit mau-
vais par essence, il se montre malfaisant et tentateur.
Ce rôle de tentateur envers l'homme 'vertueux, ea vue
de le détourner de Dieu, le rattache manifestement au
serpent de la Genèse. D'ailleurs, son nom, Satan,
employé ici avec l'article, haUdtân, dérive du verbe
Mtan, « dresser des embûches, persécuter, être adver-
saire. » Ce n'est peut-être pas encore un nom propre,
mais plutôt un nom de qualité, désignant un être mal-
veillant, rusé, tendant des pièges et adversaire des
hommes justes. Ce ne serait que plus tard qu'il serait
devenu le nom propre du démon. Il a été traduit en
grec par $ta6oXo;, signidant éty mologiquement • celui
qui se met en travers », mais ayant ordinairement le
sens d'ennemi, d'adversaire, et spécialement d'accusa-
teur et de calomniateur. Si le Satan de Job ne désigne
pas expressément le prince des démons, il ne convient
pas non plus à un adversaire indéterminé ; c'est un
ange mauvais, ennemi de l'homme, dépendant de Dieu,
et n'étant pas par conséquent une puissance du mal,
essentiellement opposée à Dieu et représentant dans le
monde le principe mauvais. La doctrine monothéiste
d'Israël écartait toute idée dualiste et considérait les
esprits mauvais comme inférieurs à Dieu et soumis à
sa volonté, même dans l'exercice de leur malice et
l'accomplissement de leurs desseins malveillants. Bien
comprise, l'idée de ces esprits ne faisait courir aucun
danger au monothéisme Israélite et ne portait pas les
Hébreux à déifier Satan et à en faire, en face de Dieu,
principe du bien, le principe du mal.
Ces faits montrent la fausseté du sentiment de quel-
ques critiques, qui ont prétendu à tort que les Hébreux
n'avaient eu la notion distincte du démon qu'après la
captivité, à la suite de leurs rapports avec les Perses,
à qui ils auraient emprunté l'idée du prince des démons
et le nom de Satan. La connaissance d'esprits mauvais
est, chez eux, bien antérieure à la captivité. Nous
allons voir si elle s'est développée à partir de la capti-
vité sous l'influence des doctrines étrangères, et notam-
ment des Perses et des Grecs.
2® A partir de la captivité. — 1. Dans les livt^s ca-
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325
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
326
noniques, — Le livre de Tobie nomme le démon
Âsmodée, qui avait tué les sept premiers maris de Sara,
fille de Raguel, m, 8; vi,14; v«, 11; vrii, 12. Le jeune
Tobie, en épousant Sara, échappa au même sort, grâce
aux moyens de préservation que lui avait suggérés
l'ange Raphaël, son guide, vi, 5, 8, 16-19; viii, 2; xii,
3, 14. Raphaël saisit le démon et le relégua dans le
désert de TÉgypte supérieure, viii, 3. Plusieurs cri-
tiques ont prétendu qu'Âsmodée avait été emprunté
par les Juifs au mazdéisme, que son nom et son rôle
venaient de la Perse. Asmodée, Eimadai, 'A(j|io6a'.o;,
ne serait que la transcription de Aèshma-daêva, le dé-
mon de la concupiscence, une sorte de Cupidon, nommé
plusieurs fois dans TAvesta comme le plus dangereux de
tous les démons. F. Lenormant, Les otHgines de l'his-
toire, 2* édit., Paris, 1880, p. 325-327. En réalité,
TAvesta ne connaît que Aèshma et n'a pas une seule
fois la forme complète Aêshma daêva. Le Bundehesh
a bien le nom pehlvi Aèshmshêdd, qui suppose une
forme avestique Aèshma-daêva, Mais l'histoire de
Tobie est antérieure de plusieurs siècles à tous les
livres pehlvis, et les spécialistes conviennent que
l'iranien daêva n'aurait pu devenir dai en hébreu.
D'ailleurs, VAêshma avestique n'est pas le démon de
la concupiscence; il est partout le démon de la colère
et de la violence. Son attribut principal est une lance
sanglante. Enfin, aucun déva iranien n'eût aimé une
femme. Le démon Asmodée du livre de Tobie n'est
donc pas un emprunt iranien. C'est un esprit mauvais
et malfaisant, dont les maléfices ont été déjoués par
un procédé magique, indiqué à Tobie par l'ange Ra-
phaël. Pour la plupart des commentateurs, la reléga-
tion de ce démon dans le désert de l'Egypte supérieure
signifie seulement que l'ange l'éloigna et le mit dans
rimpossibilité de nuire à Tobie. Voir Dictionnaire de
la Bible de M. Vigouroux, t. i, col. 1103-llOi. Nous
verrons plus loin qne pour les Juifs les démons habi-
taient spécialement dans les déserts. La mention
d'Asmodée dans l'histoire de Tobie ne reflète peut-être
qu'une tradition populaire, dont il n'y a pas d'autre
trace dans la Bible, mais qui a été singulièrement déve-
loppée par les Juifs talmudistes et cabalistes, tandis
que la tradition chrétienne n'en a tenu à peu près au-
cun compte.
Satan est nommé quatre fois dans les livres posté-
rieurs à la captivité. Tandis que le récit de II Sam., xxvi,
1. attribue à la colère divine contre Israël le projet que
David conçut de dénombrer son peuple, le récit paral-
lèle de l Par., xxi, 1, le rapporte expressément à Satan,
qui apparaît comme l'instigateur de cette faute du roi
et comme la cause de la peste, infligée par Dieu à
Israël en ponition. L'épreuve que Dieu avait permise
dans sa colère fut donc considérée plus tard comme
ayant été provoquée par Satan, l'ennemi de Dieu et de
son peuple Israël. F. de Hummelauer, Commentarius
in Paralipomenon, Paris, 1905, t. i, p. 307-308. Dans
une vision, le prophète Zacharie, m, 1, 2, vit le grand-
prétre Josuéou Jésus debout devant l'ange de Jéhovah.
Satan se tenait à sa droite pour s'opposer à lui ; mais
Jéhovah ou son ange dit à Satan : « Que Jéhovah te
réprime, Satan; oui, qu'il te réprime, lui qui a fixé
son choix sur Jérusalem. » Selon la meilleure inter-
prétation de cette vision, Satan accompagne le grand-
prétre devant le tribunal de l'ange du Seigneur; il
l'accuse, non pas d'une faute personnelle, mais des
griefs que les anciens prophètes avaient reprochés au
sacerdoce Israélite. Par leurs prévarications propres,
les prêtres avaient attiré sur Juda les châtiments divins
et en particulier la captivité à Babylone. Satan, l'ad-
versaire de Juda, renouvelait au tribunal divin cette
ancienne accusation et voulait par là s'opposer à la
restauration du suprême sacerdoce. Il remplit donc le
rôle d'accusateur devant le juge. Loin d'écouter son
accusation. Dieu réprima l'accusateur. Satan cherche
donc en vain à provoquer le ressentiment de Jéhovah
contre le grand-prétre. Dieu a pardonnéàJuda et sauvé
Jérusalem de l'incendie, et Satan est débouté de sa
plainte. J. Knabenbauer, Commentarius in prophetas
minores, Paris, 1886, t. ii, p. 248-249. Marti a prétendu
que Satan (selon lui, il serait une création de Zacharie)
serait la personnification idéale de la voix accusatrice
de la conscience qui s'élève contre le retour des faveurs
divines. Dodekaprophelon, Tubingue, 1904, p. 408. No-
wak lui a emprunté cette idée, Die kleinen Propheten,
2e édit., Gœllingue, 1903, p. 352-353. Zacharie n'a pas
créé le personnage de Satan, car il lui aurait donné un
nom signifiant directement accusateur. Il a trouvé ce
nom, déjà employé avant lui; il l'a adopté et il Ta pré-
senté avec l'article haëSdtân, pour faire jouer dans la
scène actuelle, au personnage ainsi nommé, le rôle d'ac-
cusateur de Jésus. Il le voit à côté de l'ange de Jéhovah,
vraisemblablement l'ange protecteur de Juda, non
comme une simple personnification de la conscience
accusatrice, mais bien plutôt comme un ange mauvais,
subordonné à Dieu, se bornant à accuser, et rejeté par
le juge, à qui il a recours. A. Van Hoonacker, Les
douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 605-007. Dans
l'Ecclésiastique, xxi, 30, on lit : « Lorsque l'impie
maudit le diable, tov (ratocvav (le texte original de ce
verset n'a pas été retrouvé), il se maudit lui-même. »
Il s'agit du diable plutôt que d'un adversaire ordinaire,
et le sens semble être que l'impie, en maudissant celui
qui l'a tenté et l'a poussé dans son impiété, se maudit
lui-même, puisque c'est par sa propre volonté qu'il
s'est laissé séduire et tromper et qu'il est tombé dans
l'impiété. J. Knabenbauer, Ecclesiasticus, Paris, 1902,
p. 243-244. Enfin, Sap., ii, 24, le diable est celui quK
par envie, a introduit la mort dans le monde. Satan
est ainsi nettement identifié avec le serpent, qui a sé-
duit nos premiers parents et attiré sur eux le châti-
ment de la mort corporelle. Gen., m, 19. Cf. Smend,
Lehrhuch der alttestamenllichen Heligionsgeschichte,
2« édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 402-403, 454;
B. Stade, Diblische Théologie des Alten Testaments,
Tubingue, 1905, t. i, p. 327-328.
2. Dans la version des Septante. ~ Les premiers
traducteurs grecs qui ont toujours rendu le nom pro-
pre Satan par $tago).o;, ont, sous l'influence des
idées grecques, vu des anges mauvais en des passages
où le texte original n'en parlait pas, et ont traduit par
le mot 3at(i,ci>v différents noms hébreux dont le sens
est moins clairement déterminé. Leur traduction est
l'indice des idées courantes de leur temps dans le mi-
liea juif où ils vivaient. Mais ces idées, pour avoir été
adoptées par des Juifs hellénistes, ne sont pas entrées
par le fait même dans le domaine de la révélation
divine, quoiqu'elles aient la prétention d'expliquer les
livres inspirés.
Ces traducteurs avaient rendu benê ha-êïohim, Gen.,
VI, 2, m\oI toj 6eo-j. Mais quelques manuscrits présen-
taient la variante : a^ytloi toû 6eoû,et cette leçon parait
avoir été, au moins à une certaine époque, la plus
répandue. Cf. Holmes, Velus Testamentum cum variis
lectionibus, Oxford, 1798, t. i. II en résultait que des
anges, séduits par la beauté des filles des hommes, se
seraient unis à elles et auraient procréé des géants.
Comme les anges sont nommés fils de Dieu, Job, i, G ;
II, 1; Ps. xxviii, 1; lxxxix, 7; Dan., m, 9, beaucoup de
critiques en ont conclu que la traduction « les anges
de Dieu » était littérale, et que les benê ha-ëlohim
étaient réellement, dans la Genèse, des anges déchus.
Mais l'incorporéité des anges n'autorisant pas la pos-
sibilité d'un pareil commerce, ils ont pensé que le
récit biblique avait conservé la trace d'un mythe païen,
reçu dans les milieux populaires du judaïsme. F. Le-
normant, Les origines de Vhistoire, t. i, p. 291-330.
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327
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
328
L'abbé Robert, pour les mêmes raisons, a supposé que
le récit primitif, qui ne parlait que de l'alliance des
Séthites avec les filles des Caînites, avait été altéré,
sous l'influence du mythe populaire, par l'insertion
des iils de Dieu s'unissànt aux filles des hommes. Les
fils de Dieu et les filles des hommes, dans la Revue
biblique, 1895, t. iv, p. 341-348, 528-535. Ces conclu-
sions ne s'imposent pas. Quoique l'expression « fils
d'Élohim » dans le livre de Job et dans les Psaumes
cités désigne certainement les anges, il ne s'ensuit
pas qu'elle ait ce sens dans le récit de la Genèse. Le
contexte, en efl'et, ne convient qu'à des hommes et
nullement aux anges, dont le livre biblique n'avait pas
encore parlé. Il n'est question que de l'accroissement
de l'humanité sur terre. Cette humanité, accrue par
l'union des fils de Dieu avec les filles des hommes,
n'est que chair, n'a que des sentiments charnels. Aussi,
en punition. Dieu qui ne veut pas laisser mépriser sur
terre le souffle de vie dont il a animé les humains, le
retirera de ces générations charnelles et abrégera leur
vie, qui sera réduite à 120 ans. Le châtiment n'atteint
donc que des hommes, seuls visés dans tout le récit.
Les anges n'y apparaissent que dans l'hypothèse que
l'expression « fils d'Élohim » ne peut absolument dési-
gner qu'eux. Or, tous les traducteurs juifs de la Genèse
ont écarté les anges. Âquila a traduit : oî ulot tûv ôeàiv;
Symmaque, utoi tcôv ôvva(rreu6vTu)v ; et Théodotion :
yîot ToO ôeoj. Dom de Montfaucon, Hexapla, P. G,,
t. XV, col. 188-190; Field, Origenis Hexaploi^ni quœ
supersunt, Oxford, 1875, t. i, p. 22. Le targum d'On-
kelos rend l'expression hébraïque par les a fils des
puissants » ou des grands. De plus, suivant le texte
hébreu, les géants, qui sont des hommes de renom,
ne sont pas tous issus de l'union des fils de Dieu
avec les filles des hommes; ils existèrent à la même
époque, ils existèrent encore après, et quelques-uns
naquirent peut-être des unions précédemment racon-
tées. En tout cela, il n'est question que d'humains,
et on peut penser très légitimement que les fils de
Dieu étaient des descendants de Seth qui épousèrent
les filles des Caînites. M. Uoberg, Die Genesis, 2» édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 75, interprète cette ex-
pression dans le sens de «c hommes pieux ». Quoi qu'il
en soit, le récit original ne mentionne pas les anges ni
leur commerce charnel avec des femmes. Voir F. de
Hummelauer, Commentarius in Genesim, Paris, 1895,
p. 211-219; Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. II, col. 2255-2257. Les Juifs, dans leur contact avec
les Grecs, ont connu les unions des dieux païens avec
des femmes, et parce que les lecteurs grecs de la Ge-
nèse savaient que les betiê ha-elofiini désignaient
ailleurs les anges de Dieu, ils ont donné ce sens à
cette expression du récit génésiaque et ont introduit
parmi leurs coreligionnaires l'idée du mariage des anges
avec des femmes et de l'origine des géants, idée qui
devrait recevoir, nous le verrons, de nouveaux déve-
loppements. Mais elle était étrangère à la pensée des
anciens Hébreux.
Toutefois, les premiers traducteurs grecs ont vu des
démons en beaucoup d'autres passages de l'Écriture,
dans lesquels il est parlé de tout autres êtres. Ainsi ils
ont fait des démons : 1. des èe*h'îm, qui désignent ou
bien des boucs, c'est-à-dire de ces animaux honorés
comme dieux en réalité ou en images, Lev., xvii, 7;
II Par., XI, 15; ou bien des satyres, semblables à des
boucs sauvages, vivant au désert, Is., xiii, 51; xxxiv,
14; 2. des ëèdîm, ou a puissants », des idoles, pareilles
aux be'dlim, seigneurs ou dieux, Deut., xxxir, 17 ; Ps. cvi
(cv), 37, dans lesquels beaucoup de critiques modernes
reconnaissent les sedis ou génies babyloniens; 3. des
'èlilim, des choses vaines, c'est-à-dire encore des idoles,
Ps. xcvi (xcv), 37; 4. des 9yyim, animaux sauvages,
Js., xxxiv, 14; 5. d^yâsOd, ce qui dévaste, Ps. xc (xci).
6. Le texte grec de Baruch, iv, 7, 35, parle des démons
dans un contexte, où il est question des idoles ou
d'animaux sauvages habitant au milieu des ruines.
Nous ignorons quels étaient les mots hébreux ainsi
traduits. Cf. J. Knabenbauer, Commentarius in Da-
nielem prophetam, Lamentationes et Bat^ch, Paris,
1891, p. 491, 497. Les traducteurs grecs ont vu encore
des anges mauvais, Ps. Lxxvii (lxxviii), 49, dans un
passage où le texte original parle seulement d*anges de
malheur, qui sont probablement des bons anges char-
gés par Dieu de châtier les coupables.
II. Dans le monde juif postérieur. — 1® Dans les
livres apoct^yphes, — La démonologie, qui était déjà
en voie de se développer lorsque la Bible hébraïque fut
traduite en grec, prit des accroissements très considé-
rables dans la littérature apocryphe du judaïsme. Comme
elle a été connue et partiellement acceptée par les Pères
de l'Église, et comme, d'autre part, on prétend qu'elle
a influé même sur certains écrivains du Nouveau Testa-
ment, il importe de l'exposer sommairement. Le livre
éthiopien d'Hénoch, qui comprend des éléments de di-
verse nature, échelonnés du second tiers du ii« siècle jus-
qu'à l'an 64 avant Jésus-Christ, reproduit aussi des tradi-
tions difl'érentes sur les démons ou les anges déchus. Bien
que les anges, esprits immortels, n'aient pas eu besoin
de s'unir aux femmes sur la terre, pour se perpétuer,
XV, 4-7, F. Martin, Le livre d'Hénoch, Paris, 1906, p. 40-
41, cependant deux cents veilleurs, sous les ordres de
Semyaza, selon une tradition, vi, 3, p. 11, ou d'Âzazel,
suivant une autre, x, 4; xiii, 1, 2, p. 22, 31, ont été sé-
duits par la beauté des femmes. Descendus sur le som-
met de l'Hermon, avec leurs chefs de dizaines, dont
18 sont nommés, vi, 7, p. 12 (autre Jiste de 21, lxix, 2,
p. 149-150), ils prirent des femmes et en eurent des
géants, qui opprimèrent les hommes et se dévorèrent
entre eux, vi-vii, p. 10-15. Ils révélèrent à leurs femmes
les secrets éternels, découvrirent aux hommes les arts
et leur apprirent toute impiété, vu, 1 ; vui; ix, 6-8; xvi,
3, p. 14, 15-17, 21, 45. Les âmes de ceux qui avaient été
opprimés par les géants les accusèrent, ix, 3, 10, etc.,
p. 18, 21, et malgré l'intervention d'Hénoch, xiii; xiv,.
p. 31-33, 34-35, Dieu condamna les anges déchus,
d'aboi d à des châtiments temporels, la perte de leurs
enfants, x, 9-12, 15; xiv, 6, p. 24-25, 26,35, et à une
étroite captivité loin du ciel, x, 5, 12; xiv, 5; xxi, 10
p. 23, 25-26, 35, 37, puis, à partir du jugement dernier,
au supplice éternel, dans l'abîme de feu, x, 6, 13, p. 23,
2d. Cependant une autre tradition suppose que, du lieo
où ils sont réunis, ces esprits peuvent prendre toute
espèce de formes et tromper les hommes jusqu'au
jugement dernier, xix, 1, p. 33. Ailleurs, lxvii, 4-13^
p. 143-146, ils sont condamnés au supplice des eaux
brûlantes, qui communiquent leur chaleur aux sources
thermales. Dans le Livre des songes, les anges déchus
sont comparés à des étoiles descendues des deux, qui
se changent en taureaux et ont des relations coupables
avec les génisses, c'est-à-dire les filles des hommes,.
Lxxxvi, p. 200-201. Un archange fidèle les saisit, les lie
et les jette dans un abîme sous la terre, lxxxviii, 202-
203. Au jugement dernier, ils seront précipités dans un
abîme de feu, xc, 21, 24, p. 230-231. Cette tradition
connaît d'autres anges coupables : les 70 anges ou pas-
teurs à qui Dieu avait confié le soin de veiller sur
Israël à partir de l'invasion assyrienne, et qui, ayant été
infidèles à leur mission, seront condamnés, au juge-
ment dernier, à partager le supplice étemel des étoiles
tombées, xc, 23, 25, p. 231. Quant aux géants, les es-
prits sortis de leur chair, à leur mort, sont demeurés sur
terre; ce sont des esprits mauvais, qui attaqueront les
hommes jusqu'au jugement, xv, 8-12; xvi, 1, p. 41-44.
Les hommes les adorent sous l'image d'idoles, comme
ils adorent les démons, xcix, p. 261, à l'instigation des
anges déchus, xix, 1, p. 53; cf. p. 46, note. Les tradi-
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329
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
330
lions du Livre des paraboles, xl, 7, p. 87, et d'une apo-
calypse de ;Noé, i.xv, 6, p. 139, parlent des satans. Ce
sont des esprits méchants, qui ont entraîné les hommes
au mal, liv, 6, p. 110, et les accusent devant Dieu. Ils
sont chargés de chatteries coupables et sont appelés les
anges du châtiment, Liir, 3, p. 108; préparent les ins-
truments de Satan, fouets et chaînes de fer pour les rois
et les puissants de la terre, LVi, 1 ; LXii, 11 ; LXin, 1 ;
Lxvi, 1, p. 112, 133, 134, 141. Ces satans diffèrent des
anges déchus et des géants, car ils ne sont pas voués
aux tourments de l'enfer et peuvent se présenter au
ciel devant le Seigneur. Ils existaient avant la chute des
anges qu'ils ont provoquée. Leur chef est Satan; les
veilleurs ont préféré son service à celui de Dieu. Il
représente donc un pouvoir hostile au Seigneur, bien
qu'il dépende de lui, puisque ses subordonnés exé-
cutent les sentences divines. F. Martin, op. cit., p. xxviii-
XXXI. Cf. Robert, dans la Revue biblique, 1895, t. iv,
p. 366-373, 539-545. Voir aussi*, t. i, col. 1480-14S1.
Le livre slave des Secrets d'Hénoch, qui est de la fin
du ]*'' siècle ou du commencement du ii« siècle de notre
ère, parle aussi de deux sortes d'anges coupables. Au
second ciel, c. vu, il y a des ténèbres plus sombres que
celles de la terre, et dans ces ténèbres des prisonniers
qui sont gardés pour le dernier jugement. Ce sont les
anges qui n'ont pas obéi aux préceptes de Dieu, qui
ont pris conseil de leur volonté propre et qui, ayant
péché avec leur prince Satanail, ont été relégués du
5« ciel, où ils devaient être, dans les ténèbres du
2* ciel. Ils sont plongés dans la douleur et ne cessent
de pleurer. Ils demandent à Hénoch d'intercéder pour
eux auprès de Dieu ; mais Hénoch s'en défend. Leurs
frères, demeurés fidèles, restent, depuis la faute des
coupables, tristes et désolés, ils ont cessé de louer Dieu.
Trois de ces anges, relégués au second ciel, descen-
dirent sur rUermon, s'unirent à des femmes et don-
oèrent naissance aux géants. En punition de cette
faute, ils furent condamnés à habiter sous terre jusqu'à
la fin du monde. Hénoch les a vus dans leur prison et
a vainement intercédé auprès de Dieu en leur faveur,
c. xviii. Le chef des anges désobéissants avait voulu
mettre son trône au-dessus des nues et égaler Dieu en
puissance, c. xxix. Devenu Satan et l'esprit mauvais
des régions inférieures après qu'il eut quitté les cieux,
il voulut déranger l'ordre établi par Dieu, parce qu'il
voyait que tout sur la terre était soumis à l'homme.
Bien qu'il eut changé de nature, il conservait l'intelli-
gence du bien et du mal. Satan trompa Eve, et Dieu le
maudit à cause de son ignorance, c. xxxii. Voir t. i,
col. 1482-1484.
Le Livre des jubilés, composé vers le milieu du
i«r siècle de notre ère, m, 17 sq., raconte la tentation
d'Eve par le serpent, et il la place aul7<^jour du ^^ mois
de la 8* année après la création. Â la 3« semaine de la
6* année du 10* jubilé, les anges gardiens descendirent
sur terre pour apprendre aux hommes le droit et la
justice, IV, 15. Au 25« jubilé, du temps de Noé, quand
les hommes se furent multipliés et qu'ils eurent des
filles, les anges de Dieu virent qu'elles étaient belles,
se choisirent des femmes parmi elles et engendrèrent
les géants. Les hommes devinrent mauvais et Dieu ré-
solut de les détruire, à l'exception de Noé. Irrité contre
les anges qu'il avait envoyés sur terre, il décida de
leur enlever toute leur puissance, et il les fit enchaîner
dans les profondeurs de la terre. Quant aux géants, il
les fît tuer. Leurs pères, enchaînés, furent témoins de
leur extermination et restèrent liés jusqu'au jour du
jugement, v, 1-10. Plus loin, ce livre rapporte que,
dans la 3* semaine du 29« jubilé, après le déluge, les dé-
mons impurs commencèrent à tromper les fils de Noé,
à les rendre insensés et à les faire périr. Les fils de Noé
vinrent trouver leur père et lui parlèrent des démons
•qui avaient trompé, aveuglé et tué ses petits-fils. Noé
pria le Seigneur, lui demandant que les mauvais esprits
ne puissent dominer ses petits-enfants ni les faire périr
sur terre. Il rappela à Dieu que les gardiens, pères de
ces esprits, avaient vécu de son temps, et il demanda
que ces esprits, qui étaient encore en vie, fussent enfer-
més par Dieu et retenus au lieu de la damnation, pour
qu'ils ne puissent plus faire périr ses descendants. Ils
sont créés pour la perte des hommes. Que Dieu ne les
laisse pas dominer sur les esprits des vivants et ne leur
donne aucun pouvoir sur les enfants des justes pour
toujours. Dieu ordonna de les lier tous. Mastema, leur
chef, demanda qu'une partie fût laissée libre pour ac-
complir ses propres volontés, car la malice des hommes
est grande. Dieu permit que la dixième partie de ces
esprits ne fût pas enfermée au lieu de la damnation.
Ses ordres furent exécutés, et les neuf dixièmes des
démons furent emprisonnés, x, 1-11. Kautzsch, Die
Apokryphen und Pseudepigraphen des Alten Testa-
ments, Tubingue, 1900, t. ii, p. 45, 47, 48-49, 57-58.
Plus tard, Abraham, dans ses dernières recommanda-
tions à Jacob, dit à son petit-fils de ne pas agir comme
les païens, qui offrent des sacrifices aux morts et ado-
rent les démons, xxii, 16, 17. Ibid., p. 78.
Dans la préface des Oracles sybillins, citée par saint
Théophile d'Antioche, Ad Autol, ii, 36, P. G., t. vi,
col. 1109 sqs, la Sybille juive reproche aux païens d'of-
frir des sacrifices aux démons qui habitent sous terre.
Cf. Kautzsch, t. ii, p. 184.
Dans le Martyre (Vlsaîe, il est raconté que Sammael
entra dans Manassé et que ce roi servit Satan, ses
anges et puissances. Le prince de l'injustice, qui règne
sur le monde, y est aussi appelé Bélial. Kautzsch, t. ii,
p. 124-126. Dans le Testament des douze patriarches,
Béliar est le nom du diable ou de Satan. Ruben, 2, 4;
Lévi, 18; Dan, 1, 5; Kautzsch, t. ii, p. 460, 462, 471,
483, 485. Cet esprit habite dans l'air. Benjamin, 3,
p. 503. Satan lui-même y est nommé, Cad, 4, p. 493,
avec ses anges. Aser, 6, p. 496. Les anges ont été séduits
par les femmes. Ruben, 5; Nephtali, 3, p. 462, 487. Ces
écrits sont du i" et du ii« siècle de notre ère.
La Vie d'Adam et d'Eve raconte une seconde tenta-
tion que Satan fit subir à Eve après sa pénitence,
Kautzsch, t. II, p. 513, et fait raconter par Eve elle-
même sa première tentation par le serpent, qui était le
diable. Ibid., p. 520 sq. Le récit est tout légendaire.
2o Dans la doctrine du judaïsme postérieur. — Au
ler siècle de notre ère, nous avons encore les témoi-
gnages de Josèphe et de Philon. Josèphe, tant qu'il
suit les Livres saints de sa nation, est fidèle à la doc-
trine commune de son temps. Il rapporte exactement
le rôle du serpent tentateur dans l'épreuve de nos pre-
miers parents. Ant. jud., I, i, 4, Opéra, Amsterdam,
1726, t. I, p. 7. Mais il adopte aussi les idées des Juifs
hellénistes. 11 attribue l'origine des géants au commerce
charnel des anges de Dieu avec les filles des hommes.
Ant. jud., I, III, 1, p. 12. Il parle des démons qui pro-
voquaient en Saùl des suffocations et des étranglements,
dont les médecins ne pouvaient le guérir, et il ajoute que
le calme était rendu au malade par le son de la harpe
de David. Ant. jud., VI, viii, 2; xi, 2, p. 332-333, 338.
On a remarqué qu'il n'a pas nommé une seule fois
Satan. De plus, sous l'influence sans doute des idées
grecques, il appelle démons les âmes des hommes
mauvais, et il dit que ces âmes tuent les vivants qui
entrent sans précaution dans les eaux de Machéronte.
Bell, jud., VII, vï, 3, t. ii, p. 417. Philon, plus profon-
dément imbu de philosophie grecque, a mélangé, dans
sa théorie des puissances intermédiaires entre Dieu et
les créatures, la doctrine juive sur les anges et les idées
des Grecs sur les démons. Pour lui, les anges et les
démons sont des âmes pures, qui volent dans l'air et
descendent dans les corps. Aussi allégorise-t-il le récit
biblique de l'origine des géants, bien qu'il reproduise
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331
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
332
la leçon : ayrs^oi toj ôcoO. De gigantibus, dans Opéra,
Paris, 1640, p. 284-285. Sa doctrine n'a plus rien de spéci-
fiquement juif; il ne garde que le nom d*anges. Schùrer»
Geschichte des jûdischen Volkes im Zeitalter Jesu
Christi, 3» édit., Leipzig, 1898, t. m, p. 553. Il déclare
aussi que les païens ont par erreur pris les anges pour
des dieux. De py^ofugU, 48, p. 481.
Plus tard, la démonologie prit, dans le monde juif,
une très grande extension. Il importe peu à notre sujet
d*en poursuivre Tétude, soit dans les targums, soit dans
les Talmuds, soit dans les commentaires de la Bible.
Disons seulement que, selon le targum du pseudo-
Jonathan sur Num., xi, 26, c'est Samael qui tenta Eve.
Pour quelques idées populaires, voir le Talmud de Ba-
bylone, traité Berakhoth, i, 1-4; vu, 6; ix, 9, trad.
Schwab, Paris, 1871, p. 227, 239, 240, 433, 495, 490,497;
Talmud de Jérusalem, traité Trounwth, i, 4, trad.
Schwab, Paris, 1879, t. m, p. 4; traité SanhédHn, x,
2, Paris, 1889, p. 51 ; Weber, Jûdische Théologie auf
Gi^nd des Talmud und verxvandter Schriften, 2« édit.,
Leipzig, 1897, § 54. Plus tard encore, sous l'influence
de la superstition populaire et grâce aux spéculations
de la cabale, le nombre des anges et des démons ayant un
nom déterminé, et la variété des moyens inventés pour
écarter leur action néfaste formèrent toute une théolo-
gie nouvelle, sans relation avec la révélation de l'An-
cien Testament. Voir M. Schwab, Vocabulaire de l'an-
gélologie d'après les manuscrits hébreux de la Bi-
bliothèque nationale, in-4o, Paris, 1897 ; Id., Le ni». i380
du fonds hébreu à la Bibliothèque nationale, Sup-
plément au vocabulaire de Vangélologie, in-4», Paris,
1899 ; S. Karppe, Étude sur les origines et la nature
du Zohar, Paris, 1901, p. 56, 145, 447-448.
in. Dans le Nouveau Testament. — 1» Dans les
Évangiles, — La doctrine de Notre-Seigneur et des
évangélistes sur les démons ressortira^d'abord de l'étude
des relations du Sauveur avec Satan et les esprits mau-
vais, puis de la doctrine môme de Jésus sur le diable
et le monde infernal. — 1. Relations de Jésus avec
les démons. — Tout au début de sa vie publique, Jésus,
retiré au désert, fut tenté par Satan. Marc, i, 13. L'Es-
prit Ty avait conduit à celte fin. Matth., iv, 1. Satan y
remplit son rôle de tentateur. Il éprouve Jésus et l'in-
terroge sur sa nature et sa mission messianique, afin
de le détourner, s'il le pouvait, de cette mission qu'il
pressent contraire à ses mauvais desseins sur le monde.
Le récit de la triple tentation, Matth., iv, 3, 11; Luc,
IV, 3-13, montre l'habileté du tentateur, qui a recours
à l'attrait delà concupiscence pour détourner Jésus de
sa mission et l'induire en erreur. Satan y apparaît
capable d'agir, non seulehient sur l'intelligence des
hommes en suggérant des pensées, mais encore sur
leurs corps, puisqu'il transporte Jésus à Jérusalem, sur
le sommet du temple, puis sur une haute montagne.
Dans une des trois tentations, il se donne comme le
maître du monde, et veut se faire adorer. D'autre part,
Jésus résiste à ses suggestions et prouve par son
exemple que Satan n'a pas d'empire absolu sur les
hommes et qu'il influe seulement sur ceux qui cèdent
volontairement à ses suggestions. Vaincu dans sa pre-
mière tentative, il ne se relire que pour un temps,
Luc, IV, 13, avec l'intention de revenir à l'assaut et de
reprendre la lutte. Les rencontres ne manqueront pas,
et elles auront lieu par l'intermédiaire des démonia-
ques. On traitera à l'article Démoniaques de la réalité
et de la nature des possessions diaboliques; nous ne
dirons ici que ce qu'elles nous apprennent sur Satan
et les démons. Durant son premier séjour à Caphar-
naiim, Jésus fut abordé à la synagogue par un possédé
de l'esprit immonde, qui l'interrogea sur sa nature et
sa mission, qu'il devinait hostile et dirigée contre lui
pour sa perte. Jésus le chasse du possédé et la première
manifestation de ce pouvoir divin sur les esprits im-
mondes fit grand bruit dans toute la Galilée. Marc, i,
23-28; Luc, iv, 33-37. D'autres possédés acclamaient
Jésus comme Fils de Dieu ou Messie. Jésus leur impo-
sait silence elles chassait. Marc, i, 34, 39; Matth., viii,
16; Luc, IV, 41. Ces faits se reproduisaient fréquemment
et en divers lieux. Marc, m, 11, 12; v, 1-20; vii, 24-30;
Matth., VIII, 28-34; ix, 32-33; xv, 21-28; Luc, vi, 18;
IX, 37-43. Des scribes, venus de Jérusalem, en prirent
occasion pour calomnier Jésus et le dire possédé lui-
môme; ils prétendaient qu'il chassait les démons au
nom de Beelzébub, leur prince. Ce nom, emprunté à
la mythologie des Philistins, qui honoraient Baal comme
dieu des mouches, désignait dans le langage populaire
des contemporains de Jésus, le chef des habitations infer-
nales. Voir Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. I, col. 1547. Jésus réfuta cette calomnie par ce rai-
sonnement sans réplique que Satan ne peut agir contre
lui-même, ni détruire son propre empire. Marc, m,
22-26; Matth., ix, 34; xii, 22-27; Luc, xi, 14-19. Décla-
rer que Jésus est possédé de l'esprit immonde, c'est un
blasphème contre le Saint-Esprit et un péché irrémis-
sible. Marc, m, 29, 30. Voir t. ii, col. 910-916. C'est par
l'esprit de Dieu, c'est par son doigt, c'est-à-dire par sa
puissance, que Jésus chasse les démons, et l'exercice
de ce pouvoir est une marque que le royaume de Dieu
est venu sur terre. Matth., xii, 28; Luc, xi, 20. Il y
avait donc opposition entre le royaume de Dieu et le
royaume du diable, et Jésus était venu pour détruire
ce dernier. Aussi, en choisissant ses apôtres, leur con-
féra-t-il le pouvoir de chasser les démons. Marc, m,
15; Matth., x, 1, 8. Il renouvela ce pouvoir, en .les en-
voyant en mission, durant laquelle ils chassèrent beau-
coup de démons. Marc, vi, 7, 13. Les soixante-douze
disciples, chargés plus tard d'une mission spéciale pour
préparer celle de leur Maître, relatèrent avec joie à
leur retour que les démons leur étaient soumis par
la vertu du nom de Jésus, et Jésus leur déclara qu'il
avait vu Satan tomber du ciel comme l'éclair. Luc, x,
17,18. Il ajouta que le pouvoir sur les démons n'était
pas pour ceux qui le possédaient une marque de salut;
il leur était donné pour le bien des autres, et ils n'en
seront pas récompensés. Luc, x, 20. Cf. Matth., vu, 22.
Toutefois, les apôtres ne pouvaient pas chasser toute
sorte de démons et Jésus leur expliqua que quelques-
uns de ces esprits ne pouvaient être expulsés que par
le recours à la prière et au jeûne. Marc, ix, 13, 28 ;
Matth., xvii, 14-20; Luc, ix, 40. Jésus reconnaissait
donc diverses classes de démons, dont quelques-uns
avaient un pouvoir plus malfaisant que les autres. Les
Juifs, comme les Galiléens, ont traité Jésus de possédé
du démon. Joa., yiii, 48, 52. Au moment de la passion,
la puissance des ténèbres, que Jésus avait comprimée
durant sa vie publique, eut un instant pouvoir contre
lui, et les Juifs, ses suppôts, purent se saisir de Jésus
et le faire mourir. Luc, xxii,53. Judas, qui l'avait trahi,
avait agi sous l'influence de Satan. Luc, xxii, 3. Cf. Joa.,
VI, 71, 72; XIII, 2, 27. Mais Jésus, vainqueur de la mort
par la résurrection, donna de nouveau à ses apôtres le
droit de chasser les démons en son nom. Marc, xvi, 17.
2. Enseignement de Jésus sur les démons. — Jésus
ne s'est pas contenté de lutter contre Satan, qui le ten-
tait, et contre les démons, dont Satan est le prince et
qui faisaient sentir aux hommes leur puissance malfai-
sante, il a encore caractérisé, dans ses paraboles et ses
discours, la nature de cette puissance mauvaise.
Dans les Synoptiques, en décrivant sous forme para-
bolique l'avenir du royaume messianique, il a indiqué
en quelques traits l'opposition que lui fera Satan dans
les âmes et dans le monde. Si la parole de Dieu est
une semence, jetée sur divers terrains, Satan ou le
méchant vient promptement, pareil aux oiseaux du
ciel, enlever le grain tombé sur le chemin et la bonne
parole semée dans les cœurs pour qu'elle n'y germe
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333
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
334
pas el n'y porte pas de fruit, Marc, iv, 15; Matlh., xiii,
19, de peur que les auditeurs, s'ils étaient attentifs à
la parole jetée dans les cœurs, ne soient sauvés. Luc,
VIII, 12. Satan est encore Thomme ennemi qui, après
que le père de famille a semé dans son champ la
bonne semence, vient la nuit répandre Tivraie avec le
bon grain. Cette ivraie est le symbole des méchants,
semence du diable, qui, dans le royaume de Dieu, se
trouveront avec les bons et y seront conservés jusqu'au
temps de la moisson, la fin des temps, pour être alors
séparés el jetés au feu. Matth., xiii, 24-30, 36-42.
Lorsque se fera cette séparation, exposée ailleurs
comme celle des brebis et des boucs du troupeau,
Matth., XXV, 32, 33, les boucs, ou les méchants, placés
à gauche, seront maudits et envoyés au feu éternel,
qui est préparé pour le diable et pour ses anges.
Matth., XXV, 41. Les hommes mauvais partageront
donc le sort réservé aux démons. En suivant les inspi-
rations de Satan, ils appartiennent à son royaume,
et en se rangeant à sa suite, ils méritent le même
châtiment que lui. Satan avait demandé de cribler les
disciples de Jésus comme le moissonneur crible le fro-
ment. Mais, tout en lui laissant le droit de les attaquer,
Jésus a prié pour que la foi de Pierre ne défaille point
et pour qu'il confirme ses frères. Luc, xxii, 31-32.
Cependant il faut craindre cet adversaire, qui est
capable de perdre le corps et Tâme en enfer. Matth.,
X, 28. Quand l'esprit immonde est sorti d'un homme,
il erre dans les lieux arides et y cherche le repos sans
le trouver. Aussi cherche-t-il à rentrer dans la maison
qu'il a quittée, et la trouvant purifiée et ornée, il prend
avec lui sept autres esprits plus méchants que lui; ils
pénétrent ensemble dans cet homme délivré, et ren-
dent son état pire que le premier. Matth., xii, 43-45.
Marie-Madeleine avait été délivrée de sept démons.
Luc, viii, 2; Marc, xvi, 9. Parfois même les démons,
qai habitaient dans un seul homme, s'appelaient
légion, tant ils étaient nombreux. Marc, v, 9; Luc,
VIII, 30, 36. Ils demandèrent d'entrer dans un troupeau
de porcs, pour ne pas quitter la région. Marc, v, 10-16.
Dans ses discours que rapporte le quatrième Évan-
gile, Jésuë est plus précis encore sur l'origine et la
natare du diable. Il appelle les Juifs, qui refusaient de
croire à sa parole, les fils du diable, ses partisans,
décidés à réaliser les désirs de leur père. Celui-ci a été
homicide dès le commencement (allusion à la chute
de nos premiers parents et à l'introduction de la mort
en punition de leur faute). Il n'est pas demeuré dans
la T^rilé, qu'il avait possédée; aussi la vérité n'est-elle
plus en lui, et n'est-il lui-même qu'un menteur. Joa.,
Yiii, 44. Par la venue de Jésus sur terre, le jugement
da monde est commenc^, et le prince de ce monde
sera jeté dehors. Joa., xii, 31. Le Sauveur est entré en
latte avec lui. A la veille de la passion, le prince du
monde a dressé ses batteries contre lui; mais il n'a
pas poavoir sur lui, Joa., xiv, 30, et il est déjà jugé.
Joa., XVI, 11.
Conclusion, — Notre-Seigneur a donc reconnu l'exis-
tence des démons. Ses actes et ses paroles prouvent
qu'il les tenait pour des êtres réels, des esprits déchus,
impars, puissants, ennemis des hommes et ses propres
adversaires. A ses yeux, ils font partie d'un royaume,
dont Satan est le chef et les méchants sont les mem-
bres. Lear puissance est bornée, subordonnée qu'elle
est à la volonté divine et incapable de forcer la volonté
humaine qai lui résiste. Elle est appliquée au mal.
Satan, l'ancien serpent tentateur, est le prince de ce
monde, parce que le monde est mauvais et fait des
oravres de péché. Mais Jésus est venu pour détruire
sa puissance; Satan est déjà jugé et condamné à l'enfer.
Si ses suppôts gardent encore quelque droit à solliciter
les disciples de Jésus au mai, comme il a tenté Jésus
lui-même, ils ne prévaudront pas contre eux, et seuls.
les méchants, qui feront leurs œuvres, partageront
après le jugement dernier leur sort et seront con-
damnés avec eux au feu éternel, qui leur est préparé.
Noire-Seigneur a véritablement affirmé l'existence de
ces esprits mauvais, et il est impossible de prétendre,
avec quelques théologiens protestants, ou qu'il a par-
tagé sur les démons les idées erronées de son temps,
ou qu'il s'est accommodé, dans son enseignement, aux
idées régnantes pour exprimer seulement, sous cette
forme populaire la lutte du bien et du mal dans le
monde. Voir A. Polz, Das Verhàltnis Christi zu den
Dàmonen, Inspruck, 1907.
2» Dans les Actes des apôtres. — La doctrine de
Jésus sur les démons est réalisée dans les événements
de l'hidtoire de l'Église. £n application du pouvoir que
leur avait donné leur Maître, les apôtres à Jérusalem
chassent les esprits immondes. Act., v, 16. PhiUppe
faisait de même à Samarie. Act., viii, 7. Saint Paul
guérit à Philippes une jeune fille qui avait un esprit
de python, Act., xvi, 16-19, et à Éphèse, il chassa des
esprits mauvais. Act., xix, 12. Un de ces esprits frappa
les sept fils de Scevé, exorcistes juifs, dont il ne recon-
naissait pas le pouvoir, alors qu'il reconnaissait celui
de Jésus et de Paul. Act., xix, 13-16. Saint Paul déclare
à Agrippa que Jésus ressuscité, lui ayant apparu, le
chargea de retirer les gentils de la puissance de Satan
et de les ramener à Dieu. Act., xxvi, 18. Satan avait
tenté Ananie et l'avait fait mentir au Saint-Esprit. Act.,
v, 3. Barjésu était un fils du diable et l'ennemi de la
justice. Act., xiii, 10. Les Athéniens, entendant saint
Paul leur prêcher une doctrine religieuse qui leur
était inconnue, disent qu'il leur annonce de nouveaux
démons, c'est-à-dire de nouveaux dieux. C'est l'idée
grecque que les dieux païens étaient des démons ou
des esprits; elle est exprimée par des Grecs, et saint
Luc ne la prend pas à son compte, en la rapportant.
3» Dans les Épîtres de saint Patd. — Sur Satan et
les démons, l'apôtre a exprimé les idées juives et chré-
tiennes. — 1. Il s'est fait Técho de la Genèse, en rap-
pelant que le serpent avait séduit Eve. II Cor., xi^ 3;
I Tim., Il, 14. Cette première faute nous avait mis sous
la puissance des ténèbres, et Dieu le Père, par la
rédemption de son Fils, nous en a rachetés et nous a
fait passer dans le royaume de son Fils bien-ainié.
Col., 1, 13, 14. Jésus a détruit le décret qui était porté
contre nous, en l'attachant à sa croix, et il a enlevé
aux principautés et aux puissances le droit qu'elles
avaient sur nous. Col., ii, 14, 15. Par sa mort, il a
détruit celui qui avait l'empire de la mort, le diable,
et il a délivré ceux qui, par crainte de la mort, étaient
pour toute leur vie asservis à son esclavage. Heb., ii,
14, 15. Les Éphésiens, avant leur conversion, vivaient
dans le péché, marchaient selon le train du monde,
selon les inspirations du prince des puissances de
l'air, de cet esprit qui agissait encore à cette époque*
sur les hommes rebelles à la nouvelle foi. Eph., ii, 1,
2. Le diable était donc le prince de ce monde. 11 vou-
lait maintenir son empire, détruit par la mort de
Jésus, et il tendait des pièges même aux chrétiens, qui
doivent revêtir l'armure de Dieu pour résister aux
embûches du diable. Ils ont, en effet, à lutter, non
seulement contre la chair et le sang, mais encore
contre les princes et les puissances, contre les gou-
verneurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits-
de malice. Eph., vi, 11, 12. Il ne faut donc pas, dans
cette lutte, donner de prise au diable. Eph., iv, 27. Les
époux ne doivent garder la continence entre eux que'
pour un temps, de peur d'être tentés d'incontinence
par Satan. I Cor., vu, 5. Saint Paul a pardonné à un<
Corinthien qui l'avait offensé à cause des autres chré-
tiens, « pour que nous ne devenions pas les dupes de
Satan, car, ses desseins à lui, nous les connaissons. »
II Cor., II, 10, 11. Il les tromperait, en les poussant à
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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
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ne pas pardonner, car l'absence de charité fraternelle
est son œuvre. Il tient captifs dans ses pièges et Soumis
à toutes ses volontés, ceux qui résistent à la vérité et
qu*il faut tirer de l'erreur, en les reprenant avec
modestie. Il Tim., ii, 25, 26. Il faut que l'évoque ne
soit pas néophyte, et qu'il soit un homme à qui on
rend bon témoignage, de peur qu'autrement il ne tombe
dans les pièges du diable. I Tim., m, 6, 7. Ceux qui
veulent être riches sont tentés par le diable et tombent
dans ses pièges. I Tim., vi, 9. Quelques veuves sont
retournées en arrière et revenues à Satan. I Tim., v,
15. Satan, qui est esprit de ténèbres, se transforme en
ange de lumière pour mieux tromper. II Cor., xi, 14.
Saint Paul souhaite que le Dieu de la paix broie rapi-
dement Satan sous les pieds des Romains. Rom., xvi,
20. Jésus triomphera finalement de toute principauté,
pouvoir et vertu, et mettra tous ses ennemis sous ses
pieds. I Cor., xv, 24, 25. Les chrétiens seront les juges
des anges mauvais. I Cor., vi, 3. En attendant, Satan
fait obstacle J l'œuvre de l'apostolat, et il a empêché
l'apôtre d'aller à Thessalonique. I Thés., ii, 18. L'ai-
guillon que l'apôtre ressent dans sa chair est un ange
de Satan. Il Cor., xii, 7. Mais les puissances et les
vertus adverses ne pourront rien contre lui et ne le
sépareront pas de la charité de Jésus-Christ. Rom.,
XIII, 38, 39. Au cours des siècles, plusieurs abandonne-
ront la foi, croiront aux esprits trompeurs et adhére-
ront aux doctrines des démons. I Tim., vi, 1. L'avène-
ment de l'Antéchrist, à la fin des temps, sera l'œuvre
de Satan. II Thés., ii, 9. L'apôtre livrait à Satan les
chrétiens coupables, laissait leurs corps soumis à sa
puissance, pour sauver leurs âmes. I Cor., v, 5;I Tim.,
I, 20. Ainsi le serpent tentateur, Satan, était le chef du
monde pervers, le prince des puissances ténébreuses
et des esprits qui habitent dans l'air. Il tenait les
hommes captifs dans le péché, et il luttait contre les
chrétiens, en les tentant et en leur tendant des pièges.
Vaincu par Jésus, il n'a d'empire que sur ceux qui se
livrent à lui, et finalement, sa puissance sera broyée
sous les pieds de son vainqueur.
2. Saint Paul a reconnu dans le culte des païens un
culte rendu aux démons. Leurs sacriGces sont offerts
aux démons et non pas à Dieu. Les chrétiens ne doivent
pas manger des victimes immolées aux idoles, pour ne
pas s'associer aux démons. Ils ne peuvent pas boire à
la coupe du Seigneur et à celle des démons. I Cor., x,
19-21. Les chrétiens ne doivent même pas avoir de rela-
tions, sinon celles qui sont absolument nécessaires, avec
les païens. La justice ne s'allie pas à l'iniquité; la
lumière n'accompagne pas les ténèbres; le Christ ne
s'associe pas à Bélial. II Cor., vi, 15. Saint Paul prend
comme un nom propre l'expression de Bélial qui, dans
l'Ancien Testament, caractérise les méchants. En l'oppo-
sant au Christ, il désigne le mauvais par excellence,
Satan, qu'il tient, non certes pour le principe du mal
opposé au principe du bien, mais comme le chef des
méchants, le prince des païens, l'adversaire irréconci-
liable du Christ qui l'a vaincu. On peut en conclure
qu'il le regardait comme le dieu qu'adoraient les
païens. Cf. Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. I, col. 1551-1562. Voir Simar, Die Théologie des hei-
ligen, Paulus, 2« édit., Fribourg-en-Brisgau, 1883,
p. 67-71; Everling, Die paulinische Angelologie und
Dàmonologie, Gœttingue, 1888.
4« Dans les Épitres des autres apôtres, — Saint
Jacques nous apprend que les démons croient en un
seul Dieu, mais leur foi, parce qu'elle est jointe en
eux aux actes mauvais, ne leur profite pas; ils croient,
mais ils s'irritent contre le Dieu unique, auquel ils
croient, ii, 19. Il conseille de résister au diable, en
avertissant que cette résistance le fera fuir, iv, 7. Saint
Pierre, dans sa I^» Épître, v, 8, 9, recommande la
sobriété et la vigilance, vertus nécessaires pour résister
au diable, adversaire des chrétiens, qui circule comme
un lion rugissant, cherchant qui dévorer; la principale
force de résistance est de demeurer ferme dans la foi.
Dans sa II* Épltre, ii, 4, il parle des anges pécheurs, à
qui Dieu n'a pas pardonné, et qu'il a précipités dans
l'abîme, chargés des chaînes de l'enfer pour être tour-
mentés et réservés pour le jugement. La même mention
des anges prévaricateurs se retrouve dans l'Épître de
Jude, 6, qui présente d'ailleurs une si grande ressem-
blance avec la 1I« de Pierre. Ces anges n'ont pas con-
servé leur dignité première, mais ont abandonné leur
demeure. Dieu les a réservés pour le jugement du
grand jour dans des chaînes éternelles et d'épaisses
ténèbres. Or, saint Jude, 14, 15, cite presque textuelle-
ment Hénoch, i, 9. Voir F. Martin, op. cit,, p. 4. Aussi
beaucoup de critiques pensent-ils que le verset 6 est
emprunté au même livre, x, 4-6, aussi bien que le pas-
sage correspondant de II Pet., ii, 4. F. Martin, op. cit.,
p. cxvii, 22-23. Si l'on admet cette dépendance, il en
résulte que les apôtres, Pierre et Jude, parleraient, *
comme le Livre d' Hénoch, des anges prévaricateurs et
souillés avec les femmes et ayant subi une double
condamnation : une première, l'enchaînement préalable
dans une prison ténébreuse, et une seconde, la peine
du feu dans l'enfer après le dernier jugement. Cette
conclusion ne ressort pas seulement, dit-on, de la
ressemblance et de l'emprunt au Livre d'Hénoch, mais
encore du contexte des deux Épitres. Saint Jude, en
elîet, prétend-on, attribue aux anges le péché de luxure,
puisqu'il rapproche leur faute de celle des habitants de
Sodome et de Gomorrhe, 7, et menace des mêmes châti-
ments ceux qui souillent leur chair, 8. De même, saint
Pierre rattache au péché des anges le déluge produit
pour punir les impies, et le péché des Sodomites.
II Pet., Il, 5. Dans sa conclusion, 10, il renferme aussi
les hommes adonnés à l'impureté. F. Lenormant, Les
origines de Vhistoire, t. i, p. 297. Mais cette interpré-
tation ne s'impose pas, au moins pour la nature de la
faute des anges et du châtiment. Les passages cités des
deux Épitres se ressemblent, il est vrai. Les deux apô-
tres ont le même but : ils veulent préserver les fidèles
contre les faux docteurs et les impies de l'époque, et
ils citentdes exemples historiques à l'appui de la leçon
qu'ils tirent. Saint Jude, 5-7, rapporte trois faits : les
espions envoyés par Moïse au pays de Chaaaan, les
anges prévaricateurs et les crimes commis dans la Pen-
tapole. Il ne suit donc pas l'ordre chronologique. Saint
Pierre a aussi trois exemples, qui se suivent chronolo-
giquement : la faute des anges, la punition des crimes
du monde primitif par le déluge et les actes des So-
domites. Quelque soit l'ordre, les exemples sont choisis
en vue du châtiment et san% rapport direct avec la
nature des fautes. Par conséquent, on ne peut rien
conclure du rapprochement des péchés qui ont pro-
voqué le déluge et la ruine des villes de la Pentapole.
Cette faute n'a pas, dans le texte, de rapport néces-
saire avec les péchés de luxure. D'autre part, dans leurs
conclusions morales, les deux apôtres ne menacent pas
de châtiments analogues les luxurieux seuls ; ils visent
d'autres coupables : ceux qui méprisent l'autorité et
blasphèment la majesté. De la variété des coupables
visés on peut inférer celle des fautes historiques citées
en exemple. Par suite encore, le péché des anges n'est
pas nécessairement la luxure. Reste la dépendance avec
le Livre d'Hénoch, qui rapporte, lui, le châtiment des
anges qui se sont souillés avec les femmes. Mais il suffit
de rappeler que les citations ne sont pas textuelles, et
que, s'il y a emprunt, il n'existe que pour certains traits,
concernant le châtiment plutôt que la faute elle-même.
D'ailleurs, pour saint Jude, le péché des anges qui
n'ont pas conservé leur dignité première et ont aban-
donné leur demeure, correspond au mépris de la domi-
nation du Seigneur, second péché nommé au verset 8.
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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
338
Ce péché est donc plutôt la révolte contre Dieu. Quant
au châtiment^ il n*est pas double dans les deux Épttres
comme il est dans le Livre d'H.érioch; les deux apôtres
ont décrit, en des traits empruntés à ce livre eu à la
tradition qu'il reproduit, Tunique peine des anges cou-
pables : leur enchaînement dans l'abîme infernal jus-
qu'au jugement. Ils parlent donc seulement d'anges
déchus et rebelles, sans allusion à une faute charnelle,
et enchaînés dans les ténèbres de l'enfer. De la sorte,
même en admettant la dépendance littéraire de ces deux
Épitres relativement au livre d'Hénoch, on est en droit
de nier Tidenlité de doctrine sur la nature de la faute
et du châtiment des anges coupables. Voir Robert, dans
la Revue biblique, 1895, t. iv, p. 524-527, 516-550. —
Saint Jude, 9, cite un passage qu'on croit être de VAs-
soniption de Moïse, bien qu'il n'ait pas été retrouvé dans
les fragments conservés de cet écrit du i»"" siècle de notre
ère. L'archange Michel, en discutant avec Satan sur la
sépulture de Moïse, n'osa pas proférer contre son adver-
saire un jugement de malédiction; il se borna à dire :
< Que Dieu te commande ! d L'emprunt n'est pas certain,
et on ignore l'origine de ce renseignement. Lueken,
Michael, Gœttingue, 1898, p. 4i.
L'apôtre saint Jean déclare que l'homme pécheur est
fils du diable, c car le diable pèche depuis le commen-
cement. Mais le Fils de Dieu s'est manifesté précisé-
ment pour détruire les œuvres du diable. 9 Quiconque
est né de Dieu ne pèche pas et ne peut pas pécher. Les
enfants de Dieu se distinguent donc des enfants du
diable. I Joa., m, 8-10. Caïn, qui égorgea son frère
Âbel, était fils du malin, m, 12. Il y a donc deux caté-
gories d'hommes, les pécheurs et les justes. Si ceux-ci
sont fils de Dieu, ceux-là sont fils du diable, parce
qu'ils en opèrent les œuvres. Le diable a été le premier
pécheur, et tous ceux qui pèchent appartiennent à sa
race. Précédemment, l'apôtre avait dit aux jeunes gens
qu'ils avaient vaincu le Mauvais, ii, 13, li, c'est-à-dire
le diable ou Satan, contre qui ils avaient dû soutenir
des luttes pour professer la foi chrétienne.
5«> Dans V Apocalypse, — En décrivant l'état des sept
Églises d'Asie et les destinées futures de toute l'Église
chrétienne, saint Jean nous a fourni plusieurs dé-
tails sur la lutte entreprise par Satan contre cette
Église. — 1. A Smyrne, des Juifs qui forment une sy-
nagogue de Satan, persécutent les chrétiens, et le diable,
qui est leur inspirateur, fera jeter plusieurs fidèles en
prison; mais ce ne sera qu'une épreuve passagère,
qu'il faudra supporter avec courage, ii, 9, 10. Pergame
est le trône de Satan, parce que cette ville est le siège
de ridolàtrie et qu'on y portait les chrétiens à manger
des \iandes immolées aux idoles, n, 13, 14. Des chré-
tiens de Thyatire avaient connu « les profondeurs de
Satan )*, ii, 24; c'étaient ceux qui avaient partagé la
doctrine idolâtrique, professée par la soi-disant pro-
phétesse Jézabel, 20-22. Philadelphie possède, elle
aussi, une synagogue de Satan, composée de Juifs
menteurs et ennemis de la communauté chrétienne de
cette ville, m, 9. Les ennemis et les persécuteurs des
chrétiens appartiennent à Satan, parce qu'ils sont mé-
chants. — 2. A la cinquième trompette, le puits de
l'abîme fut ouvert. Ce puits est l'empire de Satan, d'où
sortent la fumée et des sauterelles. Celles-ci étaient
chargées de tourmenter les hommes qui n'avaient pas
le sceau de Dieu. Elles avaient pour chef l'ange de
Tabime, nommé en hébreu Abaddon et en grec Apol-
lyon, IX. 1-11. Ces deux noms signifient c perdition ».
iîbaddon est probablement un des noms de Satan et il
désigne son rôle d'exterminateur dans la scène de cette
vision. Après que la sixième trompette eut retenti,
J'ange reçut Tordre de délier quatre anges enchaînés
sur TEuphrate et réservés pour tuer le tiers des hommes,
IX, 13-15. Ce sont quatre génies malfaisants, liés pour
qu'ils ne paissent accomplir leur œuvre de destruction
qu'à l'heure voulue de Dieu. — 3. Le grand dragon,
l'antique serpent, qui est nommé diable et Satan et qui
a séduit le monde, se leva contre la femme qui était
prête à enfanter et qui représentait l'Église. Il vient la
combattre avec le tiers des étoiles du ciel. Mais Michel
et ses anges combattent dans le ciel le dragon et son
armée, qui sont jetés sur terre et n'ont plus de place au
ciel, xii, 1-9. Cette scène est décrite d'après les idées
du temps sur le dragon. 11 y a une simple allusion à la
chute de l'antique serpent entraînant peut-être le tiers
des anges. Mais le combat entre les bons et les mauvais
anges concerne l'Église. Il a lieu dans le ciel, parce que la
vision est céleste; mais la vision vise l'avenir terrestre de
l'Égliseetles luttes des bons anges avec les mauvais sur
terre à son sujet. Le sens en est donné par la voix céleste,
10; l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait
jour et nuit devant Dieu, a été rejeté du ciel. C'est le
diable qui est descendu sur la terre et la mer et qui
est animé d'une grande colère, parce qu'il a peu de
temps à poursuivre les chrétiens avant le jugement, 12.
Suit la description de la lutte du dragon ou serpent
contre la femme ou l'Église, 13-17. Ce dragon donna
sa puissance, son trône et une grande autorité à la
bêle qui montait de la mer, c'est-à-dire à l'Anté-
christ, XIII, 2, et les hommes adoraient le dra-
gon et la bête, 4. Des esprits impurs sortent de la
bouche du dragon, de la bête et du faux prophète, et
ces démons opèrent des prodiges et rassemblent les
rois de la terre pour le combat du grand jour du Sei-
gneur, XVI, 13, 14. Après la victoire de l'Agneau, un
ange descend du ciel avec la clef de l'abîme et une
grande chaîne à la main. Il saisit le dragon, l'antique
serpent, qui n'est autre que le diable et Satan, et le lie
pour mille ans. Il le jette dans l'abîme qu'il ferme et
scelle sur lui, afin qu'il ne séduise plus les nations.
Après mille ans, il sera délié pour quelque temps, xx,
1-3. Sorti de sa prison, il ira séduire les nations qui
sont aux quatre coins de la terre et les rassembler a
pour la guerre contre les saints. Le feu du ciel dévo-
rera son armée, et le diable séducteur sera jeté dans
le gouffre de feu et de soufre avec la bête et le faux
prophète et ils y seront tourmentés jour et nuit pendant
tous les siècles, 7-10.
Des traits de ces descriptions prophétiques il reste à
dégager la doctrine de saint Jean sur Satan et ses anges,
et aussi à en déterminer l'origine. Il est clair que le
dragon, l'ennemi de l'Église, est Satan, l'antique serpent,
le chef des anges déchus qu'il lance dans la lutte contre
les chrétiens. Les Juifs, ennemis de l'Église, et les
mauvais chrétiens lui appartiennent, suivent ses inspi-
rations et accomplissent ses œuvres. Les idolâtres
l'adorent dans leurs idoles. Dans sa lutte contre l'Église
il est combattu par l'archange Michel et les bons anges.
Ils contiennent sa fureur et finalement il sera vaincu
par eux. Enchaîné dans l'abfme. il reparaîtra sur terre
à la fin des temps, recommencera ses séductions,
renouvellera la lutte contre les saints, mais sera enfin
enfermé définitivement dans l'enfer pour y être tour-
menté éternellement. Divers critiques modernes ont
prétendu que l'origine des symboles de l'Apocalypse
était babylonienne, et qu'en particulier le dragon,
adversaire de l'Église, était Tiamat, le chaos primordial
personnifié, en lutte contre Mardouk, le dieu créateur.
Mais le monstre de l'épopée cosmologique s'est trans-
formé en puissance néfaste de l'ordre moral, qui joue le
rôle de l'adversaire de Dieu dans le drame eschatolo-
gique. La lutte entre le bien et le mal a donc passé de
l'ordre physique à l'ordre moral et de l'organisation du
monde cosmique à la fin des temps. C'est, aux deux extré-
mités des temps et dans deux ordres différents, le même
génie du mal en lutte contre Dieu. Cf. Gunkel, Schôp-
fung und Chaos in Uizeit und Endzeit, Gœttingue,
1896, p. 242-244, 320-323, 385-397 ; Calmes, V Apocalypse
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339
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
340
4evant la tradition et devant la antique, Paris, 1905,
p. 57-63. Cette opinion fait partie d'un système d'expli-
cation des symboles de TApocalypse, dont la réfutation
ne serait pas à sa place ici. Disons seulement qu'entre
l'Apocalypse et le mythe cosmologique babylonien, a il
n'y a guère de commun que l'idée du combat. Ce ne
sont pas des dieux que saint Jean nous montre en guerre
les uns contre les autres, mais des anges et de pures
créatures, et il n'entre dans aucun des détails que décrit
longuement le poète chaldéen. v F. Vigouroux, La Bible
et les découvertes modefmes, 6« édit., Paris, 1896, t. i,
p. 227. L'origine babylonienne du dragon n'est pas
démontrée et les symboles de l'Apocalypse, notamment
ceux duc. xn, sont plutôt d'origine juive. Les Septante
avaient traduit par dragon plusieurs passages de
l'Ancien Testament, où il est question du serpent.
Exod., vil, 12; Deut., xxxii, 33; II Esd., ii, 13; Ps. xci
(xc), 15; Jer., lx, 34; Dan., xiv, 22, 27. Bousset, Die
Oflenbarung Johannis,2^ édiï., Gœttingue, 1896, p.408-
413; Swete, The Apocalypse of St. John, Londres,
1906, p. 147-155. La démonologie de l'Apocalypse ne
diffère pas, pour le fond, de celle de l'Ancien Testament;
elle est appliquée seulement aux destinées futures de
l'Église, telles que les prévoit et les prédit le voyant de
Palmos. Cf. Swete, op. cit., p. clxv-clxvi.
E. Haag, Théologie biblique, Paris, 1870, p. 346-347, 356, 415-
417, 460-462, 502-506 ; Ed. Stapfer, Les idées religieuses en Pales-
tine à Vépoque de Jésus-Christ, 2* édit., Paris, 1878, p. 67-80;
Smith, Dictionary of Ihe Bible, 2' édit., Londres, 1893, art. Dé-
mon, DeviU t. I, p. 750-751, 779; art. Satan, t.jii, p. 1143-1149;
Schenkel, Bibellexikon, art. Satan und Dàmônen, t. v, p. 186-
191 ; Lindsay, Cyclopœdia of biblical literature, art. Démon,
Satan, t. i, p. 659-661; t. m, p. n^-Tll; Kirchenlexikon, art.
Teufel, 2' édit., t. xî, col. 1439-1445 ; Hauck, Realencyclop&die
fur protestantische Théologie und Kirche, art. Dàmonen,
Teufel, t. IV, p. 408-410; t. xix, p. 564-574; Hastings, Dictio-
nary of the Bible, art. Devil, Satan, t. ii, p. 590-594 ; t. iv,
p. 407-412; Cheyne, Encyclopœdia biblica, art. Démon, Satan,
1. 1, col. 1069-1074; t. iv, col. 4296-4300; J. Schwane, Histoire
des dogmes, trad. Degert, Paris, 1903, t. i, p. xviu-xxi;
H. Duhm, Die bôsen Geister im A. T.. Tubingue, 1904; Has-
tings, Dictionary of the Christ and tlie Gospels, Edimbourg,
1906, t. I, p. 438-443; Oesterley. The Demonology in the Old
Testament, dans Expositor, avril et juin 1907, p. 316-332, 527-
544; août 1907, p. 132-151 ; M. Hagen, Lexicon biblicum, art.
Daemones, Draco, Paris, 1907, t. ii, p. 3-10, 114-115; M. Hetze-
nauer, Theologia biblica, Fribourg-en-Brisgau, 1908, t. i,
p. 560-574.
E. Mangenot.
II. DÉMON D'APRÈS LES PÉRKS. — Les réflexions
que M. Bareille a faites au début de son article : Ange-
lologie d'après les Peines, t. i, col. 1192-1193, peuvent
être répétées ici. Les Pères n'ont parlé des démons
qu'en passant et n'ont publié aucun traité ex pi^ofesso
à leur sujet. Ils ont, d'ailleurs, présenté souvent des
opinions divergentes, et parfois erronées, parce que
l'Écriture et la tradition ne leur fournissaient pas d'en-
seignement fixe sur la plupart des points qui consti-
tuent la démonologie. Beaucoup ont subi l'influence
des écrits apocryphes, en particulier du livre d'Hé-
noch. Aussi plusieurs sentiments, qui semblaient avoir
d'abord prévalu sur les démons, ont-ils disparu à une
étude plus attentive de la nature des anges déchus selon
l'Écriture. — L Dans les trois premiers siècles. IL Du
iv« au vi* siècle. III. Du vi« au xi« siècle.
I. Dans les trois premiers siècles. — 1» Les Pères
apostoliques. — Ils ne disent à peu près rien sur la
nature des démons. Ils parlent du diable, de Satan et
de ses anges, mais seulement dans un but pratique pour
tenir les chrétiens en garde contre leur pernicieuse
influence. L'Épltre dite de Barnabe, parlant des deux
voies, met les anges de Dieu à la tôte de celle du bien
et les anges de Satan à la tête de celle du mal. Si Dieu
est le Seigneur des siècles, Satan est le prince du temps
présent, qui est un temps d'iniquité, xviii. Funk,
Patres apostolici, 2« édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 90.
Ses lecteurs, qu'on croit être des Juifs convertis, étaient,
avant leur conversion, un temple où régnait l'idolâ-
trie, et la maison des démons, parce qu'ils faisaient ce
qui était contraire à Dieu, xvi, 7, p. 88. Saint Ignace
met les Tralliens en garde contre les embûches du
diable. Ad TralL, viii, 1, p. 248. Selon lui, le chrétien
qui honore l'évéque est honoré par Dieu ; celui qui
secrètement agit contre l'évéque sert le diable. Ad
Smym., ix, 1, p. 282. Dans les rapports avec le pro-
chain, il faut imiter la bénignité de Notre-Seigneur,
pour qu'« aucune herbe du diable ne se trouve » en
nous. AdEph., x, 3, p. 222. Quand les fidèles sont réu-
nis nombreux pour louer Dieu, les puissances de Satan
sont sans force, et l'accord des chrétiens dans la foi
fait disparaître le mal que Satan apporte. Ibid., xiii,
1, p. 224. Ignace ne redoute par les durs tourments
du diable, c'est-à-dire les persécutions des méchants,
pourvu qu'il soit uni à Jésus-Christ. Ad Boni., v, 3,
p. 258. Satan apparaît donc comme l'adversaire de
Dieu et des chrétiens, et celui qui porte au mal et fait
le mal. Parlant des docètes, l'évéque d'Antioche semble
dire qu'après leur mort, quand ils seront sortis de
leurs corps et devenus comme des démons, ils n'au-
ront pas part à la résurrection glorieuse du Christ.
Ad Smym., ii, p. 276. Il tient donc les démons comme
incorporels. Cf. i6id., m, 2. L'auteur de la 7/» ad Cor.,
xviii, 2, p. 208, craint le jugement des impies, parce
qu'il est pécheur, qu'il n'a pas encore fui toutes les
tentations et qu'il est encore au milieu des organes du
diable. Le diable est donc pour lui l'esprit tentateur,
qui pousse au mal. Hermas, dans le Pasteur, Mand.,
Vil, I, 2, 3, p. 490, recommande de ne pas craindre
le diable; celui qui craint le Seigneur dominera le
diable, qui n'a aucun pouvoir sur lui. Mais il faut
craindre les œuvres du diable, qui sont mauvaises.
Celui qui craint le Seigneur craint les œuvres du
diable; il ne les accomplit pas, mais s'en abstient.
Ailleurs, Hermas dit que ceux qui marchent dans les
commandements du diable doivent se convertir, parce
que ces commandements sont difficiles, amers, durs
et impurs. Il répète que les chrétiens n'ont pas à
craindre le diable, qui n'a sur eux aucun pouvoir. Le
diable veut faire peur, mais la peur qu'il inspire est
vaine. Si on ne le craint pas, il s'éloigne. Mand., XII,
IV, 6, 7, p. 514, 516. Le diable est dur pour ceux qui
lui obéissent et il les opprime. Mais il ne peut domi-
ner les serviteurs de Dieu. 11 peut les attaquer, mais
pas les vaincre. Si on lui résiste, il fuit vaincu et con-
fus. Ils sont vains ceux qui le craignent comme s'il
était puissant. Le diable tente les serviteurs de Dieu.
Ceux qui ont une foi pleine lui résistent fortement, et
il s'éloigne d'eux, n'ayant plus de place par où entrer.
Il va alors vers ceux qui sont vains, il trouve un en-
droit par où entrer, et il fait en eux ce qu'il veut, et
ils deviennent ses esclaves. C'est pourquoi l'ange de la
pénitence recommande de nouveau de ne pas crain-
dre le diable. Dieu a pardonné aux coupables repentants,
et les menaces du diable ne sont pas à redouter; il est
sans force comme les nerfs d'un homme mort. Mand.,
XII, V, 1-4; VI, 1, 2, p. 516, 518. Tous ceux qui ont
lutté avec le diable et l'ont vaincu seront couronnés;
ce sont ceux qui ont soufl'ert pour la loi. Sim., VIII,
m, 6, p. 562. Ces considérations morales nous présen-
tent le diable comme l'adversaire et le tentateur des
chrétiens, mais un adversaire qu'ils peuvent ^'aincre et
qui n'a de pouvoir que sur ceux qui font ses œuvres.
2o Les Pères apologistes. — Tandis que les Pères
apostoliques ne font guère que signaler l'existence du
diable et son rôle de tentateur à l'égard des hommes,
et demeurent ainsi dans la ligne des Évangiles, les
Pères apologistes traitent explicitement de la nature
des anges déchus et de leur chute; mais ils subissent
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
342
visiblement l'influence du livre d'Hénoch et du livre des
Jubilés ainsi que des idées grecques sur les démons.
Us sont loin, du reste, d'être d'accord sur tous les
points, et ils suivent des voies différentes.
Saint Justin, s*adressant aux païens dans ses Apo
logie», ne s'exprime pas sur les démons de la même
manière que dans son Dialogue avec Tryphon, parce
que ses sources sont diverses. Il dit que les démons
manifestent leur existence par des impuretés, commises
sur des femmes et des enfants, par des terreurs répan-
dues parmi les hommes. Ceux-ci, épouvantés, ignorant
que c'étaient des démons, les appelèrent dieux et don-
nèrent à chacun d'eux un nom particulier. ApoL, i, 5,
P. G., t. VI, col. 336. Quand Justin expose la doctrine
des chrétiens sur les démons, il se réfère à l'Écriture
et il déclare que le prince des mauvais démons est le
serpent, Satan ou le diable. Jésus-Christ a affirmé qu'il
serait précipité dans le feu avec son armée et livré à
des tourments éternels. Si leur châtiment est retardé,
c'est à cause du genre humain. Ibid., 28, col. 372. Avant
Jésus-Christ, les démons ont introduit sur terre les
dieux, les fils de Jupiter, Bacchus, Proserpine, l'adora-
tion du serpent, les lustrations, par imitation de l'Écri-
ture sainte. Après l'ascension, ils ont envoyé des trom-
peurs, Simon, Ménandre, Marcion, etc., et toutes les
erreurs qui circulaient alors. Ibid., 25-27, 56-58, 62,
col. 368, 372, 413, 416, 421, 425. Dans VApol, ii, 5,
col. 452-453, Justin raconte la chute des anges. Dieu
ai'ait confié aux anges la charge de veiller sur les
hommes et sur toutes les créatures ; mais ils ont trans-
gressé Tordre que Dieu avait établi. Ils ont eu commerce
charnel avec des femmes et en ont eu des fils, nommés
démons. Ils mirent ensuite le genre humain sous leur
joug par la magie, des terreurs et les sacrifices qu'ils
se faisaient offrir, et ils répandirent dans l'humanité
les violences, les guerres, les adultères et tous les vices.
Les poètes et les fabulistes ignorant que les anges et les
démons, mâles et femelles, engendrés par eux, avaient
répandu ces maux dans les villes et parmi les nations,
ont attribué ces œuvres mauvaises aux dieux et à leurs
fils. Us appelaient dieux les anges déchus et ceux qui
étaient nés d'eux. Ces traits répondent évidemment,
saafde légères différences, aux élucubrations des Livres
de$ Jubilés et d'Hénoch et n'ont rien de commun
avec l'enseignement de la Bible. Du reste, les démons
haïssent les hommes bons et vertueux, et en particu-
lier les chrétiens qu'ils détestent. Ils provoquent contre
ceux-ci la persécution ; ils ont fait porter les lois persécu-
trices et ils poussent les magistrats à poursuivre les chré-
tiens. Mais eux et ceux qui les honorent seront enfermés
et subiront les peines qu'ils ont méritées et des supplices
dans le feu éternel. Les prophètes l'ont prédit et Jésus
l'a proclamé. ApoL, ii, 1, 8, 9, 13, col. 444, 457, 460, 465.
Dans le Dialogue avec Tryphon, la doctrine sur les
démons et sur le diable est exclusivement tirée de
l'Écriture. Le diable a recouru à des altérations pour
tromper les hommes; il a agi ainsi par le moyen des
magiciens d'Egypte et par les faux prophètes du temps
d'Élie, 69,' col. 636, Tryphon reproche à Justin de dire
que les anges ont mal agi et se sont séparés de Dieu,
et d'interpréter mal l'hcrilure. Justin prouve l'exis-
tence des mauvais anges par Is., xxx, 1-5; Zach., m,
1 ; JoL, 1, 6; le serpent de la Genèse, les mages d'Egypte,
et Ps. xcv, 5, d'après les LXX : « Les dieux des nations
sont des démons. > Pour prouver que Jésus-Christ est
le Seigneur des esprits, Justin dit que la seule adjura-
tion de son nom suffit pour vaincre les démons, 85,
col. 676. Il déclare que le serpent a amené la désobéis-
sance sur la terre, 100, col. 709. Jésus-Chrjst a prié
pour ne pas être dominé par le mauvais ange; nous
prions pour l'écarter de nous, pour qu'à notre mort,
il ne prenne pas notre âme. Il a pouvoir sur les âmes,
comme le montre l'histoire de la pythonisse d'Endor,
105, col. 721. Le texte : Sicut unus de principibus ca-
dilis, Ps. Lxxxi, 7, que Justin entend de la mort des
hommes, lui sert de point de départ pour prouver la
chute de Satan. Ce prince, qui a fait une grande chute,
c'est celui qui est appelé le serpent; et il a fait une
grande chute en trompant Eve, 124, col. 765. M. Tur-
mel. Histoire de Vangélologie, dans la Revue d'his-
toire et de littérature religieuses, 1898, t. m, p. 290,
interprète ce passage dans ce sens : « En induisant
l'homme dans le péché, Satan pécha lui-même, et en
causant la perte du genre humain, lui-môme se per-
dit. » Il attribue ainsi à saint Justin l'explication de la
chute de Satan par la jalousie, explication qui fut
«c classique », ajoute-t-il, p. 291, pendant un certain
temps. Celle interprétation est particulièrement forcée.
Saint Justin parle seulement de l'introduction de la
mort dans l'humanité, introduction qui est due à la
tromperie d'Eve par le serpent, et s'il fait consister la
chute de Satan dans celte tromperie (ce qui n'appa-
raît pas clairement), il n'en dit pas le motif et il n'in-
sinue même pas la jalousie du serpent. Quoi qu'il en
soit, M. Turmel n'a pas remarqué la référence scrip-
turaire au Ps. lxxxi, 7, pour prouver la chute de Satan.
Cf. Histoire de la théologie positive, Paris, 1904,
p. 115. Les chrétiens sont persécutés par les démons
et l'armée du diable, par le ministère des Juifs, 131,
col. 780. Si les hommes et les anges doivent être punis,
c'est parce que Dieu a prévu qu'ils seraient mauvais, et
non pas parce qu'il les a fait tels. S'ils faisaient pénitence,
ils obtiendraient miséricorde, 141, col. 797. Ce texte
signifie que les démons et les damnés ne feront pas pé-
nitence et par suite seront punis; il ne veut pas dire que
Dieu a offert aux démons le moyen de faire pénitence.
Saint Irénée, Cont, hœr., l. V, c. xxvi, n. 2, P. G.,
t. VII, col. 1194, rapporte un passage d'un ouvrage in-
connu de saint Justin. Celui-ci y déclare qu'avant
l'avènement de Jésus-Christ, Satan n'a pas osé blas-
phémer Dieu, parce qu'il ne connaissait pas encore sa
condamnation. Eusèbe a reproduit ce fragment d'après
saint Irénée, H, E., l. IV, c. xviii, P. G., t. xx, col. 376.
Ce témoignage, nous le verrons, a été souvent cité au
moyen âge par les écrivains grecs. Voir col. 377-379.
Selon Tatien, Orat, adversus Grœcos, n. 7, ibid.,
col. 820, 821, le Verbe de Dieu a créé les anges avant
les hommes; 11 a créé les uns et les autres libres. Deve-
nus mauvais, les démons sont punis de leur malice; ils
ne sont donc pas nécessairement mauvais. Les hommes
ont suivi un des mauvais anges, le plus rusé et qui est
plus ancien qu'eux, et malgré la loi de Dieu, ils l'ont
pris pour Dieu. L'homme, fait â l'image de Dieu, est de-
venu mortel, l'esprit supérieur à lui (c'est-à-dire l'image
de Dieu, cf. n. 12, col. 829), qui est en lui, s'éioignant
de lui. Le démon, qui était avant l'homme, a manifesté
son existence par la faute qu'il a fait commettre. Tatien
semble dire que le démon, qui était protogène relati-
vement à l'homme, a montré sa malice en faisant pécher
l'homme : ce qui signifierait que le démon avait péché
déjà avant la tentation de l'humanité, sans que rien
n'indique la nature de son péché. Ceux qui ont imité
la folie du démon sont devenus l'armée des démons et
ont été livrés à la folie par leur propre volonté. Les
démons ont été l'occasion de la chute des hommes.
Comment? Par l'invention de l'astrologie. Les démons
ont montré aux hommes quelle était la position des
astres, et de cette connaissance les hommes ont conclu
à l'existence du destin, n. 8, 9, col. 822, 824. Jupiter
est le chef des démons. Au lieu d'adorer les démons
qui se trompent, les chriHiens adorent Dieu qui ne se
trompe pas, n. 9, col. 825. Quant à la nature des
démons, c'étaient des êtres composés de matière et
d'esprit. Les uns se sont portés vers la matière la plus
pure, les autres vers la plus ^^le, à laquelle ils ont
conformé leur vie. Les Grecs adorent ceux qui se sont
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1
343
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
344
jécartés du bon ordre. Insensés et animés de vaine
gloire» rompant tout frein, ils se sont efforcés d'être
des voleurs de la divinité, IritTxoLi ôeÔTvjTo; (ils se sont
fait passer pour dieux). Le Seigneur a permis qu'ils
trompent les hommes jusqu*à la fîn du monde et jus-
qu'au jugement dernier. Quiconque, bien quUl ait été
attaqué par les démons, a gardé la connaissance par-
faite de- Dieu, recevra au jugement un meilleur témoi-
gnage, parce qu'il a lutlé, n. 12, col. 832. Les erreurs
des païens sont des stratagèmes des démons, col. 833.
Les démons ont subjugué les Grecs et les ont dominés,
comme un voleur se met à la tête de ses pareils. Par-
venus à une plus grande malice, ils ont trompé les
imes. Ils ne meurent pas, puisqu'ils sont sans chair;
mais, tout en vivant, ils connaissent la mort. Ils meu-
rent, lorsqu'ils apprennent à leurs sectateurs à pécher.
Parce qu'ils ne meurent pas réellement comme les
hommes, ils auront à subir un plus fort supplice : ils
n'auront pas la vie éternelle, mais ils subiront la mort
<]ans leur immortalité. Ils pèchent plus que les hom-
mes, parce qu'ils vivent plus longtemps, n. 14, col. 836,
837. D'autre part, les démons, qui commandent aux
hommes, ne sont pas les âmes des hommes. L'homme,
après sa mort, n'a pas plus de puissance que de son
vivant. C'est par malice qu'ils poursuivent les hommes,
Jes pervertissent et les portent au mal par de fausses
manœuvres très variées. Ils sont vus parfois par les
psychiques, et ils se montrent .souvent sous des appa-
rences humaines, soit afin d'être tenus pour quelque
•chose, .soit pour que leurs amis, mal inspirés par eux,
puissent nuire aux autres, soit pour amener ceux qui
leur ressemblent à les honorer. S'ils le pouvaient, ils
pervertiraient le ciel avec les autres créatures. Ne le
pouvant pas, ils attaquent la matière qui leur est sem-
ttlable et inférieure. Pour les vaincre, il faut doncrépu-
-dier la matière. Ils s'altribuenl les causes de nos mala-
dies; parfois, ils frappent notre corps par malice. Mais
atteints par la vertu de Dieu, ils s'en vont épouvantés,
et le malade est guéri, n. 16, col. 840, 841. Ils pro-
mettent en vain de rendre la santé par des moyens
magiques; ils joignent de bons remèdes aux mauvais,
ils trompent et ne guérissent personne, n. 17, 18,
co\. 841, 844. Ils flattent les passions par leurs œuvres
et leurs prédictions, n. 19, col. 849. Ils ont été exclus
du ciel, n. 20, col. 852. Tatien, en se convertissant, a
compris qu'il était délivré de beaucoup de princes et
de tyrans, n. 29, col. 868.
Athénagore, Legatio pro chrisUanis, n. 23, 24, ibid.,
•col. 941, 9H, 9fô, 9i8, compare la doctrine des païens
sur les démons à celle des chrétiens. Les païens
admettent l'existence de dieux bons et de dieux mauvais,
et ils appellent démons ceux qui agissent par le moyen
des idoles. Thaïes le premier a distingué Dieu, les
•démons, les héros : les démons sont de nature spirituelle,
oùffia; voei '{/u/ixà;; les héros sont des âmes séparées
des corps. Platon a refusé de se prononcer sur les
démons. Les chrétiens reconnaissent en dehors du Père,
du Fils et du Saint-Esprit, d'autres 5yvâi«t;, irepl ttjv
"GXtjv èxoûtxa; xa\ 8t* aÛTf)ç. Une de ces puissances est
àvTiOEov, adverse de Dieu, non pas, comme l'a dit Em-
pédocle, comme la nuit l'est au jour, mais parce qu'au
bien de Dieu, qui coexiste en elle, s'est ajoutée une pro-
priété, comme la couleur s'ajoute au corps, qui la rend
•contraire à Dieu. Cet esprit, ennemi de Dieu, a été fait
par Dieu comme les autres anges, et il avait été chargé
de veiller à la matière et aux choses matérielles. Dieu, en
«ffet, avait créé les anges pour gouverner toutes choses.
Il y en a de bons et de mauvais. Tandis que les uns
ont persévéré librement dans la charge que Dieu leur
avait confiée, d'autres ont abusé et de leur nature et de
leur charge. Ces données sont conformes à celles du
Livre des jubilés. En particulier, le prince de la nature
£t des choses de la nature, et ceux qui étaient établis
sur le premier firmament (Athénagore expose ce qu'ont
dit les prophètes; évidemment Hénoch) sont déchus.
Le prince a été négligent et coupable dans l'adminis-
tration de sa charge; les autres ont été attirés par les
femmes et dominés par l'amour charnel. D'eux sont
nés les géants, dont les poètes ont parlé. Ces anges,
tombés du ciel, vivent dans l'air et sur terre et ne
peuvent pas s'élever au ciel. Les âmes des géants, qui
errent autour du monde, sont des démons, et ils
excitent des troubles. Les géants sont démons par la
nature et la constitution qu'ils ont tirée de leur origine;
les anges tombés sont démons en raison des passions
qu'ils ont ressenties. Le principe de la matière agit, on
le voit par ses actes, à rencontre du bien de Dieu.
Euripide et Aristote l'ont dit. Parce que les démons
produisent des troubles, quelques hommes irréfléchis
ont nié l'ordre du monde, n. 25, col. 948-949. Les
démons favorisent l'idolâtrie; ils s'attachent au sang
des victimes et le lèchent. Les dieux, dont les noms
sont donnés aux idoles, furent des hommes. Les démons
ont pris leurs noms pour les donner aux idoles. Leurs
actes montrent leur malice. Ils agissent par le moyen
des statues ; ils ne sont pas ceux à qui on dresse des
statues, n. 26, col. 949, 951. Cf. n. 28, 29, col. 953-957,
où Athénagore prouve que les dieux étaient des hommes.
Les démons emploient des artifices pour faire croire
qu'ils opèrent des guérisons, n. 27, col. 952.
Pour saint Théophile d'Antioche, les dieux sont aussi
des hommes morts; on le voit par ce qu'on raconte de
leursgénérations.ilctilufo^yc.,!. I, n. 9;1. II, n. 2, i6iJ.,
col. 1037, 1049. Au sujet de la chute de l'homme et du
rôle du serpent tentateur, il se borne à citer le récit
biblique, 1. II, n. 21, col. 1084-1085. Il dit un peu plus
loin que Dieu avait prévu que la multitude des dieux,
qui n'existent pas, serait introduite dans le monde par
le serpent. Celui-ci a répandu l'erreur polythéiste, en
disant à Eve : « Vous serez comme des dieux, b Eve
fut trompée par le serpent. Le démon est donc la cause
du mal; il est Satan, puisqu'il parlait par le serpent.
Il est aussi nommé le dragon, parce qu'il s'est éloigné
de Dieu par la fuite. Il avait été ange dès le commence-
ment. Il y aurait beaucoup à dire sur lui; Théophile
l'a fait ailleurs, n. 25, col. 1096, 1097. Lorsqu'il parle
du déluge, 1. III, n. 18, 19, col. 1145, il ne dit rien de sa
cause morale et de la corruption qui l'a amené.
Sans vouloir trancher ici la date de VOciaviiu, ni la
patrie de son auteur, Minucius Félix, nous joindrons
son témoignage sur les démons à celui des apologistes
du II* siècle. Traitant des. augures, qui sont menteurs,
il parle des esprits trompeurs, vagabonds, dégradés de
leur vigueur céleste par les fautes et les passions ter-
restres. Ayant perdu la simplicité de leur nature et
chargés de vices, ils cherchent, pour se consoler de
leurs malheurs, à perdre les autres, et séparés eux-
mêmes de Dieu, à en éloigner les autres par de faux
actes de religion. Les poètes les appellent démons, les
philosophes en parlent, Socrate en avait un spécial,
les mages font par eux leurs prestiges. Octavlus, 26,
P. L., t. m, col. 321-323. Ces esprits impurs se cachent
sous les statues et les images des dieux païens. Ils
agissent par leur intermédiaire, trompent leurs secta-
teurs, mais fuient les chrétiens. Ibid., 27, col. 323-327.
Minucius Félix dépend évidemment de la tradition du
livre d' Hénoch pour ce qui concerne l'origine et la
nature des démons.
3" Les hérétiques du ii* siècle, — Les gnostiques ont
fait entrer des anges bons et mauvais, ou, au moins,
un principe du mal, dans les séries de leurs Ëons.
Leurs doctrines s'écartent tellement de l'Écriture et du
sentiment commun des chrétiens qu'il est inutile de
les exposer : elles ne nous apprendraient rien sur les
démons. Plusieurs faisaient de Satan le principe du
mal. Héracléon disait que le diable n'était pas libre, et
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
346
aa rapport d'Origène, In Joa., lom. xx, n. 22, P, Gt.,
r. XIV, col. 637, 640, qu'il était plus malheureux que
blâmable, puisqu'il était porté au mal et menteur de sa
nature. Dans un passage de son commentaire sur
l'Évangile de saint Jean, cité par Origène, In Joa,,
tom. XIII, n. 59, ibid., col. 516, Héracléon reconnaissait
dans le serviteur du centenier les anges du créateur du
monde, par conséquent des esprits mauvais, Satan et
ses anges, et il se demandait à leur sujet si quelques-
uns seront sauvés, il s'agit de ceux qui sont descendus
vers les femmes. Ainsi Héracléon admettait la faute
chamelle de quelques anges et il posait la question de
la possibilité de leur salut. Cf. P. G,, t. vu, col. 1316;
Brooke, The fragments of Héracléon, dans Textes and
Studies, Cambridge, 1891, t. i, n. 4, p. 93.
4» Saint Irénée. — L'évéque de Lyon parle souvent
de l'apostasie des anges transgresseurs. Cont. hmr.f
1. I, G. X, n. 3, P. G., t. vil, col. 556. Il distingue le
serpent maudit et les anges apostats, pour qui a été
préparé le feu éternel, quoique ce feu ait été surtout
préparé pour le séducteur, qui a été cause de la chute
de l'homme, 1. III, c. xxiii, n. 3, col. 963. Adam a été
séduit sous prétexte d'immortalité, n. 5, col. 963. Le
serpent a persuadé l'homme, l'a rendu transgresseur,
initiuni et materiam suœ aposlasiœ habens homi-
neni, n. 8, col. 965. Ces mots obscurs veulent-ils dire
que Satan a péché, en faisant pécher l'homme?
D'antres passages en préciseront le sens. Le serpent
est l'ange apostat et ennemi, qui sème l'ivraie dans le
champ du père de famille; il a jalousé la créature de
Dieu et il a cherché à la faire l'ennemie de Dieu. C'est
pourquoi Dieu l'a séparé de lui et a reporté sur le serpent
l'inimitié de l'homme, 1. lY, c. XL, n. 1, 2, col. 1113-
1114. Les anges du diable sont réservés au feu éternel,
et tous ceux qui sont séparés de Dieu appartiennent à
ce prince de la transgression. Le diable est une créature
de Dieu comme les autres anges, lia été pour lui-même
et pour les autres cause de séparation d'avec Dieu. Aussi
rÉcriture appelle-t-elle fils du diable et anges mauvais
ceux qui persévèrent dans l'apostasie, c. xu, n. 1, 2,
col. 1115. Le serpent s'est montré l'ennemi de Dieu.
Son nom de Satan est un mot hébreu qui veut dire
apostat. Après qu'il eut persuadé à l'homme de trans-
gresser le précepte de son créateur, il a eu l'homme
sons sa puissance, 1. V, c. xxi, n. 2, 3, col. 1181, 1182.
Le diable, qui est un ange apostat, à séduit l'homme, l'a
détourné d'obéir au précepte de Dieu et l'a poussé à
l'adorer lui-même comme Dieu. C'est un des anges
préposés sur l'air, comme dit saint Paul. Eph., ii, 2.
Invidens honiini, apostata a divina foetus est lege;
invidia enini aliéna est a Deo. Son apostasie a passé à
l'homme. Il a envié la vie du Verbe qui venait sauver
l'homme. C'est pourquoi le Verbe a donné à l'homme
le pouvoir de fouler aux pieds les serpents, à cause de
l'apostasie à laquelle le serpent l'a porté, 1. V, c. xxiv,
n. 3, 4, col. 11^. Le feu éternel est préparé pour tous
les apostats. A l'origine, le diable a séduit l'homme par
le serpent, qtiasi latens Deum. Après avoir cité la
parole de saint Justin, suivant laquelle Satan ne con-
naissait pas sa condamnation avant l'avènement de
Jésus, saint Irénée développe cette pensée. Par les
discours de Jésus et des apôtres, Satan a appris mani-
festement que le feu étemel lui était préparé, parce
qu'il s'était éloigné de Dieu, comme il l'était pour tous
ceux qui ne feraient pas pénitence et persévéreraient
dans Tapostasie. Par suite, il impute à Dieu lui-môme,
et pas à sa volonté propre, la faute de son apostasie,
1- V, c. xxvf, n. 2, col. 1194, 1195. C'est donc bien par
envie que, selon saint Irénée, Satan a fait pécher
l'homme. Toutefois l'objet de sa jalousie n'a pas été le
pouvoir que Dieu avait donné à Adam sur la terre,
mais l'amour que le Verbe manifestait à l'humanité, en
voulant la sauver. Sa jalousie a donc précédé la tenta-
tion de l'homme; elle est la cause de sa propre apos-
tasie, mais aussi celle de l'apostasie d'Adam, puisque la
séduction de l'homme a suivi l'apostasie de Satan.
Devenu Satan, le diable s'est servi du serpent pour
tromper l'humanité.
Quant aux anges apostats, dont Satan est le prince,
ce sont des anges déchus qui sont tombés sur terre
pour le jugement, llénoch leur a été envoyé comme
ministre et comme prophète, 1. IV, c. xvi, n. 2,
col. I(yi6. Saint Irénée semble attribuer leur apostasie
à leurs relations coupables avec des femmes. Il dit
seulement, il est vrai, que Dieu, au temps de Noé,
amena le déluge sur la terre pour détruire la race
mauvaise d'hommes qui vivaient alors et qui ne fai-
saient aucun fruit pour lui, cuni angeli transgres-
sores commixli fuissent eis, l. IV, c. xxxvi, n. 4
col. 1093. En réalité, l'évéque de Lyon affirme seule-
ment la présence des anges transgresseurs parmi les
hommes mauvais du temps de Noé ; il ne dit rien de
précis sur la nature de leur transgression. S'il fait allusion
à leur péché charnel, on peut soutenir avec dom Massuet,
diss. III, n. 103, P. G., t. vu, col. 357-358, que cette
faute n'a 'pas été la cause de leur chute, mais qu'elle
est postérieure à leur apostasie, quoique la pensée
reste obscure. Quoi qu'il en soit, saint Irénée, en par-
lant des anges transgresseurs, est le premier écrivain
ecclésiastique qui vise le récit biblique et parle du
déluge, bien qu'il y môle des renseignements puisés
au livre d'Hénoch. Les précédents, s'appuyant exclusive-
ment sur cet apocryphe, ne parlaient' ni du récit de l»
Genèse ni du déluge. Voir Massuet, diss. III, n. 106,
108, />. G., t. vil, col. 363, 364-368. Dans son ouvrage
Ec; eniSec^cv toO à7io<iTo>.cxov xTripuYti.iTo;, récemment
retrouvé dans une version arménienne, saint Irénée
appelle les démons les ennemis du Fils : ce sont de»
anges, des archanges, des puissances et des trônes, qui
ont abandonné la vérité. Karapet Ter-Méhôrttschian et
Erwand Ter-Minassiantz, Des heiligen Irenaûs Schrift
zuni Enveise der apostolischen Verkundigung, 85, dans
Texte und Untersuchungen de Harnack, Leipzig, 1907,
t. XXXI, fasc. l«s p. 44-45, 63. Ce texte semble bien
attribuer l'apostasie des anges à une autre cause qu'à
leurs relations avec des femmes. En tout cas, il compte
parmi les anges déchus des esprits ayant appartenu
aux diverses classes d'anges fidèles à Dieu. Cf. Con^ hœr,,,
1. II, c. XXX, col. 818. Voir 1. 1, col. 1206.
5» Clément d'Alexandrie. — Il distingue, lui aussi,
le serpent séducteur des anges déchus. Le serpent a
déformé l'esprit de l'homme par le désir de la gloire.
Pœd., 1. III, c. II, P. G., t. VIII, col. 562. Il a appris à
l'homme la volupté. Coh. ad Grœcos, c. xi, col. 228. Le
diable, dès qu'il a eu péché, n'a pu se convertir, parce
qu'il a persévéré à pécher. Adumbrationes in Epist, 1
Joa., P. G., t. IX, col. 738. Traitant de la volupté.
Clément dit que les anges ont abandonné la beauté de
Dieu pour la beauté qui se flétrit, et qu'ils sont des-
cendus du ciel sur terre. Leur faute précède celle des
Sichimites. Pœd., 1. III, c. ii, P. G., t. viii, col. 576. Il
cite Jud., 5, 6, ibid., c. viii, col. 616. Au sujet de la conti-
nence, il dit encore que quelques anges incontinents
ont été vaincus par la passion et sont descendus du
ciel sur terre. Stroni., III, c. vu, col. 1161. Les anges,
qui avaient un sort supérieur, ont déchu parla volupté
et ont dévoilé aux femmes les secrets qu'ils devaient
garder, et tout ce qu'ils connaissaient, tandis que les
autres anges cachaient ces secrets, ou plutôt les réser-
vaient pour l'avènement du Seigneur. Delà, sont venues
la connaissance de la providence et la révélation des
choses sublimes. Strom., V, c. i, P. G., t. ix, col. 24.
Ils ont abandonné le ciel et les étoiles et sont devenus
apostats. Ils habitent dans l'air ténébreux, proche de
la terre. Ils ont perdu leur honneur, ont convoité des
choses basses et ne peuvent se convertir. Adumbratio-
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
348
nés in Epist. Judœ, P. G., t. ix, col. 732. Clément
est en cela tributaire du livre d'Hénoch. Les anges
sont tombés à cause de la faiblesse de leur volonté.
Strom.,y\\y c. VII, col. 465. Les philosophes ont appelé
le diable le prince des démons. Strom., V, c. xiv,
col. 136. Si les démons sont des dieux, chaque ville a
les siens. Coh. ad Grœcos, c. ii, P. G., t. viii, col. 121.
Saint Paul a dit qu'il fallait s'abstenir des viandes
immolées, parce qu'elles sont offertes aux démons.
Pœd,, l. II, c. i, col. 392. On a cru que les âmes des
morts étaient des démons. Strom., VI, c. m, P. G.,
t. IX, col. 249. Le feu éternel est préparé au diable et
à ses anges. Coh. ad Grœcos, c. ix, P. G., t. viii,
col. 193. Quand nous sommes délivrés du péché, nous
sommes séparés de la conversation du diable. Ibid.
Barnabe, qu'il cite, a bien dit que les pécheurs font les
œuvres du diable, mais il n'a pas dit que les esprits
habitent dans l'âme du pécheur. Strom., II, c. xx,
col. 1060. Les pestes, les grêles, les tempêtes et choses
semblables ne viennent pas seulement de troubles ma-
tériels; ils sont produits habituellement par les mau-
vais anges. Strom., VI, c. m, P. G., t. ix, col. 248.
Voir t. i, col. 1196; t. m, col. 156, 187. Si les Eclogœ
prophéties^ sont de Clément, il y dit que les démons
avaient cru que Salomon était le Messie. Quand ils l'ont
vu pécher, ils ont su clairement qu'il ne l'était pas.
Les démons savaient tous que le Messie devait ressus-
citer des morts. Hénoch dit aussi que les anges trans-
gresseurs ont appris aux hommes l'astronomie, la divi-
nation et les auti*es arts, 53, P. G,, t. ix, col. 724.
6» V Église d* Afrique. — De Carthage, nous avons
les écrits de Tertullien et de saint Cyprien.
Selon Tertullien, l'existence de substances spiri-
tuelles ou démons a été admise par les philosophes.
Socrate avait eu dès l'enfance un démon familier,
Platon n'a pas nié l'existence des démons. Les poètes
en parlent et le peuple, par ses imprécations, maudit
Satan. Mais il y a deux catégories d'anges corrompus :
l'une, plus corrompue, dont l'Écriture nomme le prince
et dont l'activité est entièrement employée à la perte
des hommes, et l'autre, qui est moins corrompue et qui
est née d'eux. Les magiciens ont recoursaux démons qui
rendent des oracles et sont adorés dans les dieux du
paganisme. Apologet., 22, 23, P, L., t. i, col. 404-416.
Les génies sont aussi des démons. Ibid., 32, col. 447-
448. Cf. De anima, 39, P. L., t. ii, col. 718. Du reste,
l'existence des démons est sentie par l'âme en raison
des maux qu'ils produisent. On maudit Satan; on l'ap-
pelle ange de malice, ouvrier d'erreur, celui qui a jeté
le trouble dans le monde. A l'origine, en effet, l'homme
a été trompé par lui et condamné à mourir en punition
de la désobéissance que Satan lui a fait faire. De te-
stimonio animœ, 3, P. L., t. i, col. 612-613. Le diable
n'est pas toutefois le créateur du monde, comme le
prétendait Marcion; c'est un archange menteur.
Adv. Marcion., 1. V, c. xviii, P. L., t. ii, col. 518-519.
D'autre part, Dieu n'est pas le créateur du diable.
Dieu a fait un ange; il n'a pas fait le diable. Celui-ci
s'est fait lui-même, en s'éloignant de Dieu. Par malice,
il a menti et a trompé l'homme; il a diffamé Dieu.
Satan est un archange, le plus élevé des anges et le plus
sage de tous, c'est le prince de Tyr, Ezech., xxviii, 12,
tombé du ciel ; il est l'auteur du péché ; mais il est
puni par le moyen des hommes qu'il a vaincus. Il a lésé
l'homme, et ex illo deliquit, ex qno deîictum semina-
vit. Sa faute semblerait avoir existé du jour où il a fait
pécher l'homme. Ibid., 1. II, c. x, col. 296-297. Tout
a été changé par le diable. De corona, 6,idtd., col. 84.
Si Dieu est optimus, le diable est pessimus; tout le
mal vient de lui. Le mal a son origine dans l'impa-
tience du diable : il supporta impatiemment que Dieu
ait fait l'homme à son image; il en conçut de la
douleur, de l'envie, et il a trompé l'homme. Tertullien
ne veut pas rechercher s'il a été mauvais avant d'être
impatient, ou s'il a été mauvais et impatient simulta-
nément ou séparément. Ce qui est certain, c'est qu'il
a péché le premier et qu'il a profité de son expérience
pour faire pécher l'homme. De patientia, 5, P.L., 1. 1,
col. 1256-1257. Aussi Tertullien appelle-t-il le diable
semulus, le jaloux. De pœnitentia, 5, ibid., col. 1235;
De anima, 20, P. L., t. ii, col. 683. Il le dit : Noster
ob divortium œmulus et ob Dei gratiam invidtis. Il
fait persécuter les chrétiens par les païens ; mais il est
soumis aux chrétiens. Apologet., 27, P. L., 1. 1, col. 435.
La persécution vient du diable, mais par la permission
de Dieu, pour éprouver les chrétiens. De fuga, 2, P. L.,
t. II, col. 104-106. Il a envié Notre-Seigneur et l'a tenté.
De patientia, 16, P. L., t. i, col. 1285-1287. Les héré-
sies viennent du diable. De presser ip t., 40, P. L., t. ii,
col. 54-55. Satan se change parfois en ange de lumière,
Adv, Mareion., 1. V, c. xii, ibid., col. 502; mais,
alors même, il ne perd pas sa nature corrompue. De
resurreetione, 55, ibid., col. 677.
C'est au livre d'Hénoch, qu'il tient pour canonique,
que Tertullien emprunte le récit de la chute des anges.
Ils se sont précipités du ciel sur les filles des hommes.
Pour leur donner la beauté qu'elles n'avaient pas, ils
leur révélèrent les secrets de la nature, l'art de la pa-
rure, les autres arts et Tastrologie. Nous les jugerons;
nous renonçons à eux, au baptême. Ils ont abandonné
le ciel pour contracter un mariage charnel. De cultu
fœminarum, 1. I, 2-4, P. L., t. i, col. 1305-1308. Ils
ont été condamnés par Dieu pour cette faute. Ibid.,
1. II, 10, col. 1328. Ces desertores Dti, amatores fm-
nxinarum, furent proditores hujtis ettriositatis (l'as-
trologie). D'eux vient aussi l'idolâtrie. C'est pourquoi
ils ont été condamnés. Le ciel est interdit aux mathé-
maticiens comme à leurs anges : la même peine d'exil
est appliquée aux maîtres et aux disciples. De idololatna,
9, ibid,, col. 671. Les femmes doivent être voilées
propter angelos, a dit saint Paul, I Cor., xi, 8, 10, parce
que angeli propter filias hominum deseivet^unt a Deo.
Ici, Tertullien se réfère au texte de la Genèse, vij 2, et
de l'expression : « filles des hommes », il conclut que
les anges aimèrent des filles vierges, encore chez leurs
parents, et des veuves, mais pas des femmes mariées.
De oratione, ^y ibid., col. 1186-1187; De virginibus
velandis, 7, P. L., t. ii, col. 899. Voir t. i, col. 1195-
1196.
Satan et ses anges ont rempli le siècle : il y a des
idoles partout. Vénus et Bacchus sont deux démons.
Les démons sont dans les idoles, dans les théâtres, au
cirque, qui sont les pompes du diable. De speetaculis,
7, 8, 10, 12, 26, P. L., t. i, col. 639, 640, 643, 645, 657.
Dans le paganisme et le mithriacisme, ils ont imité le
christianisme. De prœseript., 40, P. L., t. ii, col. 54;
De eorona, 15, ibid., col. 102; Ad uxorem, 1. I, 6, 7,
P. L,, t. I, col. 1284. Les songes viennent souvent des
démons. De anima, 47, P. L., t. ii, col. 731-732.
Presque en chaque homme il y a un démon; aussi
faut-il recourir aux exorcismes pour échapper à son
influence. Les démons sont auteurs des prestiges des
magiciens. Ibid., 57, col. 748-750. Cf. A. d'Alès, La
théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 154, 156-161;
J. Tunnel, Tertullien, Paris, 1905, p. 123, 182-184,
188-189, 238-240.
Saint Cyprien a, sur la chute de Satan et des anges,
les mêmes idées que Tertullien. Il faut toujours être
prêt à repousser les tromperies du diable et à lutter
contre lui. Le diable est trompeur par envie. L'exem-
ple de nos premiers parents le montre. Inter initia
statim mundus et periit primus et perdidit. llle an-
geliea majestate subnixus, ille eœlo acceptus erat et
ehat*us, postquam hominem ad imaginem Dei facluni
eonspexit, in zelum malivolo livore prorupit, non
prius alteimm dejieiens instinctu zelo quam ipse zelo
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
350
ante de'iecius, captivus antequam capiens, pet'^itus
antequam perdens.,, ipse qtwque id quod pHvs erat
amisit. Et en preuve, saint Cyprien cite Sap., ii, !24.
De zelo et livove, 3, 4, P. L,, l. iv, col. 640; édit. Mar-
tel, Vienne, 1868, t. i, p. 299. Dès le commencement
dn monde, il a trompé Thomme, en mentant et en le
nattant; il a tenté Notre-Seigneur, et il se cache encore,
le vieux serpent, pour tromper les chrétiens. De ca-
tholicœ Ecclesiae unitcUe,it édit. Hartel, t. i, p. '209-
210. Ab initia mundi fallax, semper et menda^r,
nientitur ut f allât, etc. Suit la description de ses ruses.
Epist,, XLiii, 6, Vienne, 1871, t. ii, p. 596. Tous les jours,
il Taut combattre avec lui. De mortalitate, 4, 1. 1, p. 299.
Ailleurs encore, saint Cyprien parle des tentations
diaboliques, qui n'ont lieu qu'avec la permission de
Dieu et auxquelles les chrétiens peuvent résister victo-
rieusement. Si le diable a péché par jalousie à l'égard
de rhomme, les mauvais anges ont péché par luxure.
Ces anges pécheurs et apostats ont, en effet, enseigné
aux femmes à se farder et à se friser, qitando, ad ter-
rena contagia devoluti, a cselesti vigore recessemnt.
De habitu virginis, 14, P. L,, t. iv, col. 453-454. Ces
détails viennent du livre d'Hénoch.
7« A Bonté, saint Uippolyte. — Caius avait inter-
prété Apoc., XX, 2, 3, en ce sens que Satan est déjà
lié, puisque le Christ est allé à la maison du fort, l'a
enchaîné et lui a enlevé ses instruments de ruine.
Malth., XII, 29. Il est lié pour mille ans, après lesquels
il sera délié pour tromper les peuples. Saint Uippolyte
résolut cette objection de l'hérétique. Il montra par
des textes de l'Évangile que Satan n'est pas encore lié,
puisqu'il trompe les chrétiens et persécute les hommes.
Jésus a recommandé de prier pour être délivré du
malin. Il faut combattre avec les puissances mauvaises.
Eph., vr, 12. Il sème l'ivraie dans le champ du père de
famille. Matth.,xiii,19. A la fin des temps seulement, le
diable sera lié et jeté dans l'abîme selon Isaîe, xxvi, 10.
Les mille ans de l'Apocalypse ne sont pas à prendre
comme un nombre exact; ils désignent le règne éternel
du Christ, pendant lequel le diable sera lié et puni dans
les flammes de l'enfer avec tous ses adeptes. Capita
advenus Caium, frag. v ou vu, publiés par Gwynn,
dans Hermathena, 1888, t. vi, p. 415-416; cf. p. 402-
404; 2^hn, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons,
Erlangen et Leipzig, 1892, t. ii, p. 978-980; Harnack,
dans Texte und Unters., 1890, t. vi, fesc. 3, p. 125-
126; Achelis, iïi|>poIi/(u«, Leipzig, 1897, t. i, p. 246-247;
cf. fragment vieux-slave, ibid., p. 238; d'Alès, La
théologie de saint Uippolyte, Paris, 1906, p. 199. Pour
saint Hippolyte, l'enfer, ou le lac de feu inextinguible,
était vide encore, préparé seulement pour que les dé-
mons et les méchants y soient torturés dans les
flammes pendant l'éternité. A. d'Alès, p. 200-201.
8« Origène. — A Alexandrie, Origène inaugure, au
sujet des démons, une voie nouvelle qui, pour une
part, aura du succès. 11 rejette décidément les rêveries
du livre d'Hénoch, prouve l'existence des esprits mau-
vais par de nombreux textes de l'Écriture, mais il ima-
gine des explications personnelles sur la chute de ces
esprits et la possibilité de leur conversion finale. Il
traite ex professo des anges mauvais, qui sont punis,
parce qu'ils ont mal agi, au début de son De prin-
cipiis, 1. I, c. V, n. 2-5, P. G., t. xi, col. 157-165.
Il étudie d'abord les difl'érents noms qu'ils ont dans
l'Écriture, et il ne se prononce pas sur la question de
savoir si Je prince du monde est le même ou un autre
que le diable, et si les principautés du siècle, qui ont
une sagesse de destruction, sont les princes avec qui
nous devons lutter. Dieu est le créateur de tous; il ne
les a pas fait mauvais ; il a créé des esprits qui pou-
vaient devenir mauvais et qui le sont devenus par abus
de leur liberté. Pervertis, ils sont descendus de leur
condition première, et la cause éloignée de leur ma-
lice est dans leur propre volonté. Après avoir prouvé
leur existence par l'Écriture, Origène ajoutera les
raisonnements qui lui paraîtront les meilleurs. Il cite
de nombreux passages de l'Écriture*: le prince de Tyr,
ange chargé des Tyriens, mais déchu, Ezech., xxviii,
11-19; Lucifer, Is., xiv, 12; le malin, I Joa., v, 19; le
dragon pris à l'hameçon. Job, xl, 20. Ces esprits ne
sont pas mauvais par nature; ils n'ont pas été créds
tels; ils sont venus du mieux au pire et se sont tour-
nés vers le mal. Origène ne leur attribue aucun péché
spécial ; il se borne à exposer son hypothèse de la dé-
chéance inévitable et graduelle des substances spiri-
tuelles, en dehors de la seule indéfectibilité de Dieu.
Sur la théorie de la chute graduelle de toutes les na-
tures créées, cf. Prat, Origène, Paris, 1907, p. 82-86.
Voir t. I, col. 1203. Un peu plus loin, il expose qu'ils
seront rétablis dans leur premier état, 1. I, c. vi, n. 2,
3, col. 168-169. Le diable lui-même n'a pas été inca-
pable de faire le bien; les prophètes précédemment
cités le montrent. Il était bon, quand, dans le paradis,
il était parmi les chérubins; il s'est porté tout entier
vers le mal, 1. I, c. viii, n. 2, col. 178. Il ne peut main-
tenant revenir au bien; mais il y a des degrés dans les
principautés mauvaises, et d'autres se convertiront, n. 4,
col. 179-180. Origène revient plus loin sur la possibilité
de la restauration finale des démons dans leur premier
état, et après avoir laissé au lecteur le soin de conclure,
il semble bien, en finissant, affirmer la possibilité de
cette restauration, 1. II, c. i, n. 21, col. 302. Cf. Prat,
op, cit., p. 106-107. Puis, il démontre de nouveau par
l'Écriture l'existence des mauvais anges, chassés du
ciel, 1. m, c. II, n. 1, col. 303-305. Il accumule les
textes : dans l'Ancien Testament, le serpent de la Ge-
nèse, le malin, chassé du ciel, Azazel, figuré par le
bouc émissaire, Lev., xvi, 8, l'esprit mauvais de Saûl,
l'esprit de mensonge qui inspire les prophètes d'Achab,
Satan qui pousse David à dénombrer son peuple,
I Par., XXI, 11; Eccle., x, 4, la vision de Zacharie, m,
1, 2, le prince de Tyr, Lucifer, Satan du livre de Job;
dans le Nouveau Testament, la tentation de Jésus, Satan
qui pousse Judas à trahir son maître, et la nécessité
de la lutte avec les principautés mauvaises, proclamée
par saint Paul. S'il est dit que, à la fin des temps,
Satan sera détruit par Jésus-Christ, cela ne signifie pas
qu'il cessera d'exister, mais qu'il ne sera plus ennemi.
Par là, Origène semble penser que même Satan pourra
être replacé dans son premier état, car il n'y a rien
d'incurable ni rien d'impossible, 1. III, c. vi, n. 5,
col. 338.
Origène a traité encore e.r professa des mauvais anges
dans sa réfutation de Celse. Il a remarqué, d'abord,
que démon est un nom commun, appliqué le plus sou-
vent aux mauvais anges, qui n'ont pas de corps gros-
sier. Cont. Ceïsum, 1. V, n. 5, P. G., t. xi, col. 1188.
Celse avait prétendu que le Christ n'a pas été le pre-
mier àYYe)o;, envoyé par Dieu sur la terre. Il avait
entendu parler de 60 ou 70 anges, qui, devenus mauvais,
ont été enchaînés et subissent sous terre les peines de
leurs fautes, et il savait que les sources chaudes sont
leurs larmes, 1. V, n. 52, col. 1261. Origène fait obser-
ver que ces renseignements proviennent du livre
d'Hénoch, que Celse n'a pas lu et qui n'est pas tenu
pour divin dans les Églises. De ce livre, Celse ne con-
naît que ce détail. Par bienveillance, Origène lui sug-
gérerait un passage de la Genèse, vi, 2, qu'il n'a pas lu
et qui à première vue pourrait s'interpréter dans le
même sens. Mais sur ce point, Origène se réfère à un
écrivain (Philon), qui a vu dans les filles des hommes
une métaphore employée pour désigner les Ames dési-
reuses de la vie humaine. Quelle que soit l'interpréta-
tion qu'on donne à l'expression c tils de Dieu », ce récit
biblique ne fait rien au sujet. Le récit des 60 anges
tombés n'est pas lu (comme Écriture), chez les chré-
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351
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
a52
tiens. Puis, Origène se moque agréablement des larmes
de ces anges. Les larmes sont salées et les eaux chaudes
sont douces. Faudra-t-il admettre que ces anges versent
des larmes douces? N. 54, 55, col. 1268, 1269.
Quelques esprits sont liés pour des siècles à certains
édifices ou à certains lieux soit par Teffet de la magie,
soit à cause de leurs vices. L. VU, n. 5, col. 1428. Les
démons commettent des fautes. Ils ont dévié de la voie
qui conduit au bien, et se sont éloignés de Dieu. La
magie cherche à empêcher leurs mauvaises actions.
L. VII, n. 68, 69, col. 1517. Les anges devenus vicieux
sont les anges du diable. Entre eux et les démons, il
n'y a point de différence : ils sont tous mauvais. Celse
prétendait à tort qu'ils sont les anges de Dieu. Qu'on
prouve, si on le peut, qu'ils diffèrent des démons! Dieu
n'est pas leur prince; selon les Écritures, leur prince
est Beelzébub. Il ne faut pas se fier aux démons ; il faut
mourir plutôt que de leur offrir des sacrifices. Ils ne
sont pas bienveillants pour les chrétiens; les anges
veillent pour qu'ils ne leur nuisent pas. L. VIII, n. 25-
27, col. 1553 sq. Les maux de la terre sont produits
par eux, n. 31, col. 1564. L'âme d'un enfant païen est,
dès la naissance, sous l'empire d'un démon. Il y a
beaucoup de démons sur terre. Ils ont pouvoir sur les
méchants, mais pas sur les chrétiens, armés de l'ar-
mure de Dieu, n. 34, col. 1568-1569. Ils sont vaincus
par les martyrs, n. 44, col. 1581.
Satan avait été nommé par Celse. L. VI, n. 42,
col. 1360. Origène expose par suite ce qu'il pense de
lui. C'est le mauvais, qui a été chassé du ciel, le ser-
pent tentateur, Âzazel, figuré par le bouc émissaire,
Déliai, le prince de Tyr et le roi de Babylone. Son nom
signifie adversaire; il est l'adversaire du Fils de Dieu,
n. 43, 44, col. 1364-1368.
Dans ses autres écrits, Origène parle encore, mais en
passant, de Satan et dès anges déchus. Le dragon a été
créé avant l'homme. In Joa., tom. i, n. 17, P. G., t. xiv,
col. 52. Il n'a pas été créé mauvais. Ibid,, tom. xii, n. 7,
col. 136. Il a résisté à Dieu. Dan., x, 13. Il a abandonné
son état, où il était sans tache et dans lequel il aurait
persévéré, s'il l'eût voulu. In Epist, ad Philem., ibid.,
col. 1306. S'il est dit le prince de ce monde, ce n'est
pas qu'il ait créé le monde ; c'est que dans le monde il
y a beaucoup de pécheurs. Aussi est-il le prince, le
diable de la malice et de toute iniquité. Sa faute a été
un péché d'orgueil; il s'est élevé dans les cieux et a
voulu être semblable au Très-Haut. Origène, qui ne lui
avait pas appliqué expressément les paroles du prince
de Tyr, dans le De principiis, les met ici formellement
dans sa bouche. InNum., homil. xii, n. 4, P. G., t. xii,
col. 664, 665. Pécheur depuis le commencement du
monde, il ne subit ni feu ni tourment en ce monde.
Selecta in Ejcod., ibid., col. 292. Â la fin de notre vie,
le prince du siècle est comme un publicain, qui
recherche ce qui lui revient en nous. In Luc,
homil. XXIII, P. G., t. xiii, col. 1862. Les démons sont
de la même nature que les anges ; la seule différence
entre eux est celle qui existe entre un œil sain et un
œil perdu. In Joa., tom. xii, n. 20, P. G., t.,xiv, col. 625.
Ils sont princes pour la ruine, sont exécrables, et on
les invoque pour le mal, parce qu'ils sont mauvais, par
prévarication toutefois et non par nature. In Exod.,
homil. VIII, n. 2, P. G., t. xii, col. 352. Ils ont encore
leur libre arbitre, et il est nécessaire qu'ils l'aient, afin
que les chrétiens puissent être éprouvés par leurs atta-
ques. In Num., homil. xiii, n. 5-7, ibid., col. 673-675.
Ils tendaient des pièges à tous. In Matth., tom. xv, n. 5,
P. G., t. XIII, col. 1269. Origène pense cependant que
quelques anges déchus, frappés de la puissance et de
la divinité de Jésus, ont recouru à lui et l'ont prié en
leur faveur. In Joa., tom. xiii, n. 58, P. G., t. xiv, col. 512.
Mais les démons se faisaient généralement passer pour
les faux dieux du paganisme. In Exod., homil. vi, n. 5,
P. G., t. XII, col. 335. Ils restent auprès des idoles, car
ils ne sont pas encore jugés. Leur unique punition
consiste à voir les idolâtres se convertir au christia-
nisme, et les chrétiens qu'ils tentent pratiquer la vertu.
In Num., homil. xxviii, n. 8, ibid., col. 789, 790. Le
lieu qu'ils occupent est l'air épais qui entoure la terre.
Quelques-uns croient qu'ils ont besoin d'aliments. Ori-
gène pense qu'ils se repaissent de l'odeur des sacrifices.
ExhoHalio ad martyr., n. 45, P. G., t. xi, col. 621,
624. Cf. Cent. Celsum, 1. III, n. 28, 36; l. IV, n. 32;
1. VII, n. 5, 6, 35. 56, 64; 1. VIII, n. 60, 61, ibid., col. 956,
965, 1070, 1428, 1429, 1489, 1501, 1512, 1608, 1609. Voir
Huet, Origenianu, 1. II, c. ii,q. v, n. 30, P. G., t.xvii,
col. 892-893. Les démons ne sont pas punis en ce ^
monde; les supplices leur sont réservés pour l'avenir.
In Exod., homil. ix, n. 6, P. G., t. xii, col. 359-360.
Ils périront et leur empire sera détruit, quand nos corps
ressusciteront à la vie. In^ ibrum Jesu Nave,
homil. VIII, n. 4, col. 866-867 ; In Matth., tom. xiii, n. 9,
P. G., t. xiii, col. 1116-1120. Il n'est pas permis d'ad-
jurer les démons ; c'est une coutume judaïque. In Matth.
comment, séries, n. 110, ibid., col. 1269.
9« Jules l'Africain. — Ce contemporain d'Origène,
dans un fragment de sa Chronographia, qui nous a été
conservé par Georges le Syncelle, a donné une inter-
prétation, qu'Origène n'avait pas su trouver, des fils de
Dieu de Gen., vi, 2. Son texte contenait la leçon :
ayytloi toO Otoû; mais il lisait dans quelques manus-
crits : uîoi ToO ôeoC. Par ces fils de Dieu, il entendait
les fils de Seth, ainsi nommés, parce que leur race n'a
donné jusqu'à Jésus-Christ que des justes. Les filles
des hommes éuient de la race de Caïn, si éloignée de
Dieu et si dépravée. Il ajoutait toutefois que les « anges
de Dieu », si on gardait cette leçon, ne pouvaient être
que les mauvais anges, qui apprirent aux femmes le
mouvement des astres, les nombres, les choses élevées
et les arts, et qui furent les pères des géants, ensevelis
par le déluge. P. G., t. x, col. 65. Sa première inter-
prétation devait peu à peu faire disparaître la seconde.
lOo Celle-ci pourtant avait pénétré jusqu'en Syrie, et
Bardesane écrivait dans Le livre des lois du pays :
d Nous comprenons que si les anges n'avaient pas eu
aussi le libre arbitre, il« n'auraient pas eu commerce
avec les filles des hommes, n'auraient pas péché et ne
seraient pas tombés de leur place. » F. Nau, Bardesane
l'astrologue, Paris, 1899, p. 31. - Les apocryphes clé-
mentins, dont les sources sont syriennes et dont la
rédaction n'est que du iii« siècle, voir t. m, col. 213,
connaissent la faute charnelle des anges qu'ils ratta-
chent très explicitement au déluge. Dans les Récogni-
tions, IV, 26, 27, P. G., t. f, col. 1325-1326, on attribue
à ces anges déchus l'origine de l'idolâtrie, la connais-
sance des arts, la magie et la perversité humaine, qui
a été punie par le déluge. Dans les Homélies, vui, 12-
19, P. G., t. II, col. 232-237, on nous apprend que les
esprits, qui vivent dans l'air, ne peuvent plus remonter
au ciel. Ils enseignèrent aux hommes les arts et l'orne-
mentation. Les géants, qu'ils engendrèrent, sont des
anges inférieurs, qui mangent du sang. Ils furent les
premiers à manger de la chair, et leurs crimes furent
la cause morale du déluge. — Dans les Actes de saint
Thomas, œuvre gnostique du iii« siècle, l'union des
anges avec les femmes est aussi rapportée. Tischendorf,
Acta apostolorum apoct^ypha, Leipzig, 1851, p. 218;
M. Bonnet, Ac(a Philippi et Acta Thomœ,dOy Leipzig,
1903, p. 149. — Zosime de Panopolis racontait aussi la
chute des anges et la révélation des secrets aux femmes
d'après les Ecritures anciennes et divines, c'est-à-dire
d'après le livre d'Uénoch et le récit de la Genèse. Frag-
ment cité par Georges le Syncelle, Chronographia,.
édit. Dindorf, 1829, t. i, p. 24.
11^ Le plus ancien commentateur latin de l'Apoca-
lypse, dont l'ouvrage nous soit parvenu et qui est de 1»
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
354
fin du III* siècle, saint Victoria de Pettau, nous fournit
quelques traits nouveaux sur le diable et les démons.
Malheureusement, le texte original de son commentaire
ne nous est pas encore entièrement connu, et il faudra
attendre Tédition de M. Haussleiter dans le Corpus de
Vienne pour être parfaitement renseigné. On en connaît
deux recensions, dont la plus courte est une revision
faite par saint Jérôme à Taide de Ticonius, et dont la
plus longue est un remaniement de la précédente (on
la trouve P. L., t.v). Bardenhewer, Patrologie, 2*édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 19(M, p. 198-199; Id., Geschichte
der aUkirchlichen Litteratur, ibid., 1903, t. ii, p. 595-
597. Cependant, pour Victorin, le dragon de TApocalypse
est celui qui ab initio fuit homicida et amne genus
humanum non tant d^bito mortis, vei^m eliam variis
gladiis obitibusque oppressit. Le tiers des étoiles, qu'il
entraînera dans sa chute, indique le nombre des hom-
mes qu'il séduira à la fin des- temps. Dans sa revision
saint Jérôme a ajouté : Sed quod vérins intelligi debeal
angeloruni sibi subditoruni cuni adfiuc princeps esset,
€um descenderet constitutione sua, tertiam parteni
seduxisse, Bibliotheca Palruni, Lyon, 1677, t. iii,
p. 420; dom Férolin, Apringius de Bêja, Paris, 1900,
p. 49. Cf. In Apocalypsin B. Joannis, xn, 3, 4, P. L.,
t. V, col. 336. Victorin était millénariste. Voir L. Atz-
berger, Geschichte der christiichen Eschatologie, Fri-
bonrg-en-Brisgau, 1896, p. 566-573. Par conséquent, il
entendait les mille ans, durant lesquels Satan doit être
enchaîné, du règne de Jésus-Christ sur terre. Mais,
selon le remaniement de saint Jérôme, les mille ans,
durant lesquels Satan est lié, comprennent tout le temps
qui s*écoule depuis Pavènement du Christ jusqu'à la On
des siècles; mille ans sont la partie pour le tout. En
quoi consiste cet enchaînement de Satan? Diabolus,
exclusus a credentium cordibus, cœpit impios possi-
dere, in quorum quotidie cœcis cordibus tanquam in
abyssi profundo inclusus est. Parce qu'il est scellé, il
ne peut séduire ceux qui appartiennent à Jésus-Christ.
Quand le nombre des saints (des vierges) sera complété,
les hommes, séduits par le diable, entreront en même
temps que lui dans l'étang de feu. In Apocalypsin B.
Joannis, xx, 1-3, P. L., t. v, col. .341-343. Pour saint
Victorin, après le règne de mille ans, le diable sera
délié pour 1 époque de la persécution de l'Antéchrist;
mais à l'avènement de Notre-Seigneur, il sera préci-
pité avec ses anges dans l'enfer. Voir Haussleiter, Der
ehiliatische Schlussabschnitt im echlen Apokalypse-
koninientar des Bischofs Victorinus von Pet tau, dans
Theologisclies Literaturblatt, 1895, n. 17, p. 195-198.
U. Du IV» AL' vi« SIÈCLE. — Au iv« sièclc, nous con-
staterons deux directions différentes, prises par les
écrivains ecclésiastiques au sujet du diable et des dé-
mons : les uns, surtout en Occident, garderont les opi-
nions de leurs prédécesseurs; les autres, d'abord en
Orient, puis en Occident, expliqueront d'une manière
nouvelle la chute de tous les mauvais esprits.
1* Maintien des sentiments précédents. — 1, En
Orient, — Dans un fragment de son livre De resurre-
ctione, qui nous a été conservé par saint Épiphane,
Hmr., LXiv, n. 19, 21, P. G., t. xli, col. 1102, 1104, et
par Photius, Biblioth., cod. 234, P. G., t. cm, col. 1109,
1112, saint Méthode, évéque de Tyr, cite Athénagore, et
admet que le diable a péché par envie contre l'homme.
Quant aux démons, ils sont déchus par suite de leur
concupiscence charnelle et de leur mariage avec les
filles des hommes. Us avaient été créés bons et libres.
Us ont abusé de leur liberté. Dans un autre fragment,
il dit que le diable a été un imposteur et a tendu des
pièges à Adam. Fragnv^, 7, 8, P. G., t. xviii, col. 293.
Dans son Conviinuni, orat. viii, c. x, il reconnaît le
diable dans le dragon de l'Apocalypse. Ibid,, col. 152,
153.
Dans ses Acta disputationis Archelai cum Manete,
OICT. DE THÉOL. C\THOL.
que l'on rapporte à la première moitié du iv« siècle,
Hégémonius traite de l'origine du diable et des démons :
c'était un des points de doctrine, discutés entre Arché-
laûs et Manès. Celui-ci expliquait ainsi l'origine de la
mort pour les hommes. Une belle vierge se montra
aux princes, qui sont dans le firmament. Épris de sa
beauté et enflammés d'amour, ils coururent après elle,
afin de l'atteindre; mais elle disparut subitement. Alors
le chef de ces princes produisit des nuées, en assez
grand nombre pour couvrir le monde entier; le prince
de la moisson répandit la famine et fit périr les hommes
par des tremblements de terre. Beeson, Hegemonius,
9, Leipzig, 1906, p. 13-15. D'autre part, Manès préten-
dait que le prince des ténèbres était le créateur, 12,
p. 19-20. A ces erreurs, Archélaiis opposa la doctrine
chrétienne. Le diable a été homicide dès le commen-
cement; c'est le semeur d'ivraie dans le champ du
père de famille, Satan, l'auteur de tous les maux; il
mange de la chair et du sang, 15, p. 24-25. Or, il n'est
pas inengendré. Quel mal faisait-il avant la création V
18, p. 29. Que convoitait-il? Qu'enviail-il? 20, p. 31. Il
n'a pas créé l'homme; il est tombé du ciel, 23, p. 35.
Il a été créé libre, et il agit librement sur les hommes.
Quelques anges ont désobéi aux ordres de Dieu et ont
résisté à la volonté divine. L'un d'eux est tombé du
ciel sur la terre comme la foudre. D'autres, attirés par
un bonheur misérable, se sont unis aux filles des
hommes; ils ont été affligés par le dragon et ont
mérité de subir. la peine du feu éternel. Le diable a
cherché à les tromper, parce qu'ils étaient libres. Il
n'est pas de la substance de Dieu, puisqu'il a préva-
riqué. Il est tombé, parce qu'il n'a pas observé les
commandements de Dieu, et il est resté l'adversaire
des préceptes divins, 36, p. 50-52. Il a trompé Adam et
Eve, en les faisant désobéir, il est le père de tous les
méchants, 37, p. 53. Les juges de la discussion esti-
mèrent que la question de l'origine du diable avait été
suffisamment débattue.
Un des dogmes que soutenait Marinus dans le Dia-
logue d'Adamantius, qui est de la fin du iv* siècle,
était que le diable n'a pas été créé par Dieu. Adaman-
tins déclara que le diable était bon d'abord, et non
pas mauvais, mais que dès le commencement du
monde, il envia l'homme et qu'il n'a pas cessé de l'en-
vier. Van de Sande Bakhuysen, Der Dialog des Ada-
manlius, sect. i, c. xxvii, Leipzig, 1901, p. 52. Il a élé
créé par Dieu; autrement, il y aurait deux principes,
sect. II, c. I, VIII, p. 116, 126. Mais il a été mauvais
dès l'origine du monde, et il a persuadé Eve de pécher.
Dans l'Écriture, il est appelé Satan et le malin, c. ii,
p. 116. Il est jugé et condamné par Dieu, parce que,
de bon qu'il était, il est devenu mauvais, en abusant
de sa liberté, c. xi, p. 130.
Tout en rejetant le mariage des anges, De hominis
opificio, c. XVII, P. G., t. XLiv, col. 189, saint Grégoire
de Nysse pense encore que Satan est tombé par envie.
Les anges sont des êtres incorporels, opposés au bien,
qui agissent au détriment de l'homme. Ils sont sortis
d'eux-mêmes, de leur dignité primitive et se sont
engagés dans la voie contraire au bien. L'apôtre les
appelle les puissances souterraines et infernales; mais
l'air, où ils vivent, est dit parfois souterrain et in-
fernal. Quand les vices seront abolis, les anges mau-
vais seront rétablis dans leur premier état. De anima
et resurrectione, P, G., t. xlvi, col. 72. Ailleurs, saint
Grégoire de Nysse dit encore que le Christ a fait du
bien à celui qui a causé notre perte, et il ajoute que le
mal disparaîtra un jour et que toute créature rendra
grâce à Dieu. Orat. catecfiet., c. xxvi, P. G., t. xlv,
col. 68. Le diable, lui aussi, est un uveOiiia, ykp ècrriv
ào(o(iaTov, àXXà Ôià xax^av xoû {îi|/ou; àiïéit8<TCv. Par na-
ture, il est exempt de la nécessité de boire et de man-
ger. Avec ses anges, il ne cesse d'errer dans l'air jour
IV. - 12
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
356
et nuit pour faire du mal. Ils tendent aux hommes des
pièges de toute sorte^ parce qu'ils sont jaloux des
hommes qui sont unis à Dieu et qui parviendront au
bonheur dont ils sont privés. De paupeviOus amandis,
P. G,, t. XLVi, col. 456. Le diable est le malin, dont
nous demandons, dans Toraison dominicale, d'être dé-
livrés. Il eslBeelzébub, Mammon, le prince du mo&de,
l'homicide dès le commencement, le père du men-
songe, etc. De oratione doniinica, orat. v, P. G.,
t. XLiv, col. 1192. La cause de sa chute a été l'envie à
l'égard de l'homme, confirmé par la bénédiction divine.
Les dons surnaturels, faits par Dieu à Adam, ont été,
pour l'adversaire, la source et l'excitation de l'envie;
il a machiné des embûches pour empêcher la force
divine d'agir dans l'humanité. Déchu à cause de la
beauté de l'homme, il a trompé l'homme par l'attrait
de la nourriture. Ovat. catechet,, c. vi, xxvi, P. G.,
t. XLV, col. 25, 68. Cf. De morluis, P. G., t. xlvi,
col. -522.
Le péché d'envie est encore affirmé dans une homé-
lie, faussement attribuée à saint Basile. Honiilia dicta
in Lacizis, n. 8, 9, P. G,, t. xxxi, col. 1452, 1456.
L'envie est un vice propre au diable. Satan n'a pas
d'abord été diable; d'ange qu'il était, il est devenu
démon. Infecté d'envie, il s'est éloigné de Dieu. Sa
défection provint de ce qu'il vit l'homme, qui lui était
inférieur, élevé au-dessus des autres créatures. Créé
avant l'homme, il assista à la création; il vit que
rhomme était supérieur au soleil, puisqu'il a été seul
fait par les mains divines; il le vit dans les délices du
paradis, assisté par les anges, à qui il était égalé, par-
lant avec Dieu, et il l'envia. Tant que l'homme fut seul,
le diable n'eut pas d'occasion de le prendre; après la
création d'Eve, il s'attaqua à la femme, qui était plus
faible. Ennemi de l'homme, il fut aussi ennemi de
Dieu, (i.t<ràvOp(i>ico;, éicEiSrj xal Oeopiàxoç. Il a haï Dieu
d'abord, qui avait ainsi favorisé l'homme; il se révolta
contre lui, le méprisa, s'éloigna de lui. Il vit ensuite
l'homme fait à l'image de Dieu, et ne pouvant attaquer
Dieu, il s'en prit à son image.
2. En Occident, — Lactance mêle différentes tradi-
tions, et il distingue nettement le diable des démons.
Avant la création du monde. Dieu fit d'abord un esprit,
qui resta bon, le Logos, puis un autre, in quo indoles
divinm stirpis non permansit. C'est par l'envie qu'il
devint mauvais, abusant de la liberté qui lui avait été
donnée. Mais ce n'est pas l'homme qu'il envia. Invidit
enini ille anlecessori, qui Deo Patri persevei*ando,
cum probatus, Itim etiam charus est. Les Grecs
l'appellent 6ia6o>.ov; les chrétiens a^iniinatoreni, quod
crimina, in quœ ipse illicit, ad Deuni déferai, Div,
instit., 1. II, c. IX, P. L., t. vi, col. 294-296. C'est par
envie qu'il a trompé l'homme. Criminator ille, invi-
dens operihus Dei, omnes fallacias et calliditates
suas ad decipiendum hominem inlendit ut ei adime-
ret immortalilatem, c. xiii, col. 323. Quant à la chute
des démons, Lactance la raconte, en combinant la
tradition du livre des Jubilés avec celle du livre
d'Uénoch et en y ajoutant des traits de son imagina-
tion. Cum eryo nunierus honiinum cœpisset incres-
cere, providens Deus ne fraudibus suis diabolus, cui
ab initio terrœ dederat potestatem, tel con*umpei^et
homines vel disperderet, quod exordio feceral, misit
angelos ad tutelam cultunique generis humani : qui-
bus, quia liberum arbitriuni eral daium, prœcepit,
ante omhia, ne, ten*œ contagione maculati, substan-
tif cœlestis amitterent dignilateni. Il leur défendit
de faire ce qu'il prévoyait qu'Hs feraient. Itaque illos
cum hominibus commorantes dominalor ille tenues
falladssimus consuetudine ipsa paulatlm ad vitia
pellexit et mulierum congressibus inquinavit, Tuni
in cœlum ob peccata quibus se immerserant non ve-
cepti, cecidet^nt in ten^am, Siceos diabolus ex ange-
lis Dei suos fecil satellites ac'minislros. Leurs fils,
n'étant ni anges ni hommes, n'ont pas été reçus dans
les enfers. Lactance distingue donc deux genres de
démons : les uns qui viennent du ciel, les autres de
la terre. Ces derniers sont les esprits immondes,
auteurs de tous les maux, et dont le diable est le
prince. Les grammairiens croient que ce sont les dieux
du paganisme. Ils savent beaucoup de choses futures,
celles que Dieu leur permet de savoir, mais ils ne les
connaissent pas toutes; aussi leurs réponses, dans les
oracles qu'ils rendent, sont-elles ambiguës. On les
évoque par la magie. Per omnem terram vagantur
et solatium perdilionis suse perdendis hominibus ope-
ranlur. Tout le mal, qui se fait dans le monde, vient
d'eux. Adhœrent enim singulis hominibus, et omnes
ostiatim domos occupant, at sibi geniorum nomen
assumunt. On les vénère. Sunt spiHtus tenues et in-
comprehensibiles. Ils .s'insinuent dans les corps et
font du tort, c. xv, col. 330-333. L'astrologie, les arus-
pices, les arts, en particulier celui de faire des statues,
sont de leur invention. Ils rendent des oracles et se
font offrir des sacrifices humains, c. xvii, col. 336-341.
Per terrant volutantur. Ils y causent la mort, des
tromperies et y répandent l'erreur, c. xviii, col. 343.
Ils exercent leur fureur contre les chrétiens, 1. V,
c. XXII, col. 623. Ceux qui sont solides dans la foi n'ont
rien à craindre d'eux; ils ne peuvent leur nuire, 1. II,
c. XVI, col. 334-336. Dieu est patient à leur égard
jusqu'au jugement dernier, après lequel il leur ré-
serve les ténèbres, l'enfer et ses supplices éternels,
c. xviii, col. 341-342. Aussi craignent-ils le jugement
dernier, après lequel ils seront tourmentés, 1. VII,
c. XXI, col. 800-801. Au commencement du règne de
mille ans, le prince des démons sera lié par Dieu; ce
règne fini, il sera délié et il sortira de prison pour
faire la guerre contre les saints. Mais vaincu par Dieu,
il sera condamné au feu éternel avec ses ministres,
c. XXVI, col. 813-814. On le voit, Lactance a sur plu-
sieurs points un sentiment particulier, qu'aucun autre
écrivain ecclésiastique n'adoptera. Notons qu'il rap-
. porte le déluge aux crimes des hommes, mais pas
au péché des anges, l. II, c. xi, xiv, col. 313, S^.
C'est un indice qu'il ne se réfère pas au récit de la
Genèse.
L'auteur du De singularitate clericorum, que Har-
nack et dom Morin croient être Macrobius, qui écri-
vait vers 363-375, cite l'exemple des anges pour dé-
tourner de l'incontinence : Novimus et angelos cum
feminis cecidisse, P, L., t. iv, col. 857.
Aux opinions anciennes qui sont en voie de dispa-
raître, saint Ambroise joint le sentiment nouveau que
nous verrons prédominer. Il se rallie, en effet, à la
théorie d'Origène, expliquant la chute de Satan par
l'orgueil, mais il maintient la tentation d'Adam et
d'Eve par motif de jalousie et le commerce charnel
des anges avec les femmes. Le serpent au paradis ter-
restre était la figure du diable, ainsi que le prince de
Tyr. Ezech., xxviii, 13. La plupart prétendent que le
diable n'était pas au paradis; il y était réellement,
quoi qu'il soit écrit dans le livre de Job que Satan est
au ciel avec les anges. Philon disait, mais à tort, que
le serpent était la figure de la volupté. De paradUo,
c. u, n. 9, 11, P. L,, t. XIV, col. 278, 279. Le serpent
fut le véritable ennemi du genre [humain, qu'il perdit
par envie. Sap., ii, 24. Le diable ne put supporter le
bonheur dont l'homme jouissait au paradis; il envia le
sort de l'homme, qui avait été formé du limon. Lui,
qui avait été d'une nature supérieure et qui était
tombé sur terre, il jalousait l'homme qui dépassait les
choses éternelles; il voyait avec peine que l'homme
avait obtenu ce que lui-même avait perdu, c. xii, d.54,
col. 301. Satan avait donc péché avant de tenter
l'homme. L'archange n'a pas su s'abstenir du péché.
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357
DÉMOiN D'APRÈS LES PÈRES
358
Satan et ses anges n'ont pas su garder leur place.
Expositio Ev, sec. Lucam, 1. IV, n. 67, P. L., t. xv,
col. 1632-1633. Invidus et humant generis adversarivs
de statu superioH dejectus est. In ps. xxxvii enarrat.,
n. 21, P, L., t. XIV, col, 4019. Il avait péché par
oi^ueil, selon Is., xiv, 14. In ps. ixxv etiart^at,, n. 11,
col. 958. Per superbiam naturœ suœ amisit gra-
tiani..,, consortiis excidit angeloi'um. In ps. cxviii,
serm. vu, n. 8, P. L., t. xv, col. 1283. Son péché est
plus grand que celui de Thomme. Jbid., serm. viii,
n. 28, col. 1306. Il est Tauteur de ridolâtrie. De para-
disOj c. XIII, n. 61, P. L., t. xiv, col. 306. Les anges
des cieux, d'après l'Écriture, de sua xnrtute et gvatia
dejecti sunt, par la même faute que le roi David. Apo-
logia prophetm David, c. i, n. 4, col. 855. Il est écrit
que les anges ont aimé les filles des hommes, eo quod
teirenis capti detirieantur illecebris princeps niundi
istius ac ministri ejus, in quibus nequilia spintalis
veneris quibusdam camis hujus irretila et humanis
e$t infecta ctnminibus. In ps, cxvm, serm. viii, n. 58,
P. L., t. XV, col. 1319. Cf. serm. iv, n. 8, col. 1243, où
le passage de la Genèse, vi, 3, est expliqué des vierges
dans an sens spirituel, qui exclut le mariage des
anges : Qui ergo, cuni angeli tiderejjtur, capli sunt
décore fentineo, M caro sunt. Qui autenx cot^pora
feminarum capiunlur libidine, caro sunt. Ils sont
tombés du ciel dans le siècle propter inteniperantiam .
De virginibus, 1. 1, c. viii, n. 53, P. L., t. xvi, col. 203.
Ils ont engendré les géants. Cependant, saint Âmbroise
ajoute que TÉcriture appelle souvent les anges fils de
Dieu, parce que les âmes ex nullo honxine generan-
tur, et il observe que viros fidèles filios suos dicei'e
non est aspernatus Deus. De Noe et arca, c. iv, n. 89,
P. L., t. XIV, col. 366. Les anges tombés habitent dans
l'air, entre le ciel et la terre, pas au vrai ciel, bien
qu'il soit écrit que Satan a été au conseil des anges.
Pour ces esprits de malice, il n'y a pas de rémission;
le feu étemel leur est réservé. Inps. cxvm, serm. viii,
n. 58, P. L., t. XV, col. 1318-1319. Si les hommes mau-
vais sont punis tout de suite après leur mort, la puni-
lion du diable est renvoyée à plus lard. Differtur
diaboti jvdiciuni, ut sit semper in pœnis reus, sent-
per improbitatis suœ innexus catenis, conscientiœ suœ
in perpetuum sustineat ipsejudiciuni. Ibid., serm. xx,
n. 22, 23, col. 1491. Si Satan est tombé comme la
foudre, c*est qu'il a perdu ce qu'il avait. Le genre de
sa condaDQ nation n'est pas la mort, sed pœna diutw*na.
De fuga sœculi, c. vu, n. 40, 41, P. L., t. xiv, col. 588.
La légion des démons, qui demandèrent d'entrer dans
des porcs, craignait de subir avant le temps les tour-
ments qui lear sont dus. Expositio Ev. sec. Lucam,
1. VI, n. 46, P. L., t. XV, col. 1680.
Rufin semble faire allusion aux légendes des Jubilés
et d'Hénoch, quand il QiiiV9\\desea^etioribus(àe% livres
apocryphes) les renseignements suivants : que Dieu
avait préposé des anges au gouvernement du monde.
Dent., xxxii, 8, et que quelques-uns, aussi bien que
le prince de ce monde, ne remplirent pas la mission
qu'ils avaient reçue de Dieu et n'apprirent pas aux
hommes à obéir aux préceptes de Dieu, mais à imiter
leurs prévarications. Comment, in symbolum aposto-
loi^m, n. 15, P. L., t. xxi, col. 353. Il ajoute, n. 16,
col. 354, que la croix du Christ a soumis ceux qui ont
mal osé de leurs pouvoirs, et que Jésus^ en descendant
aux enfers, a pris le prince de la mort à l'hameçon,
Eiech., XXXII, 3; Ps. lxxiii, 14; Job, xl, 20, et a
rompu les clôtares de l'enfer. Rufin plaçait donc ce
démon en enfer avant le dernier jugement.
Dans son HUtoria sacra (écrite en 403), 1. I, n. 2, 3,
P. L., t. XX, col. 96-97, Sulpice Sévère raconte qu'à
l'époque de Noë, des anges, qui habitaient au ciel,
furent séduits par la beauté de vierges terrestres,
s'enflammèrent pour elles de désirs coupables, descen-
dirent du ciel, les épousèrent et en eurent des géants
dont la malice fut cause du dt^luge.
Le poète gallo-romain, Cyprien, qui vivait vers 400,
chante en vers latins la tentation de nos premiers pa-
rents par le serpent, qui est le dragon, ainsi que le
mariage des anges et la naissance des géants, qui pro-
voquèrent le déluge universel. Genesis, c. m, 72 sq.,
106 sq.; c. vi, 231-219, P. L., t. xix, col. 348, 319, 353.
Voir t. m, col. 2471-2472.
Le poète Commodien, qu'on place généralement au
m» siècle, voir t. m, col. 414-415, mais que le P. H. Bre-
wer, Kommodian von Gaza, Paderborn, 1906, croit
être un laïque d'Arles, de la seconde moitié du v» siè-
cle, admet aussi la chute charnelle des mauvais anges,
que Dieu avait envoyés visiter la terre et qui furent
séduits par la beauté des femmes. Ainsi souillés, ils
ne purent retourner au ciel, et Dieu punit leur rébel-
lion. Ils engendrèrent les géants, qui enseignèrent
aux hommes les arts, notamment celui de teindre la
laine, et l'idolâtrie. Parce qu'ils étaient de race mau-
vaise. Dieu refusa de les recevoir après leur mort. Ils
sont donc vagabonds et ils fontpérir beaucoup d'hommes.
Les païens les adorent et les prient comme leurs dieux.
Institutiones adversus gentium deos,\. I, c. m, P. L.,
t. V, col. 203-204; Dombart, Commodiani carmina,
Vienne, 1887, t. xv, p. 7. Commodien mêle, lui aussi,
la tradition du livre des Jubilés avec celle d'Hénoch,
et ses idées se rapprochent de celles de Lactance.
2^ Introduction d'une nouvelle doctrine sur la chute
des anges. — Les docteurs tendent à ne plus distinguer
Satan des autres démons et à expliquer leur chute
commune par l'orgueil. Ils rejettent le livre d'Hénoch
et ses rêveries sur le mariage des anges. Celte doctrine,
empruntée à Origène, est acceptée d'abord en Orient et
se répand progressivement en Occident, où elle finit
par devenir universelle, quoiqu'on y repousse moins
catégoriquement la légende du mariage des anges.
1. En Orient. — Eusèbe de Césarée, au début du
IV* siècle, s'occupe longuement des démons dans sa
Préparation évangélique. En exposant la doctrine des
Grecs sur les dieux, les démons, bons et mauvais, et
les génies, d'après Porphyre etPlutarque, il affirme en
passant quelques points de l'enseignement chrétien.
Dans les saintes Lettres, il n'y a pas de bons démons,
1. IV, c. V, P. G., t. XXI, col. 248. Les sacrifices païens
sont offerts aux démons, c. xiv, xv, col. 265, 268. Ces
esprits habitent dans les lieux voisins de la terre et se
nourrissent de la fumée et de l'odeur des sacrifices,
c. xxii, col. 300-304. Les prophéties et les oracles des
démons ont cessé après l'avènement de Jésus-Christ,
1. V, c. i, col. 309-313. Les puissances de l'air habitent
dans l'air ténébreux, auprès des tombeaux, des statues,
et se plaisent dans les matières impures, le sang, la
sanie, dont ils aiment l'odeur. Les sacrifices leur sont
agréables et ils favorisent l'idolâtrie. Ces Tcept'Yecot S«t-
IJLovec sont auteurs des maléfices, c. ii, col. 313, 316.
Les oracles païens étaient rendus par eux, c. iv,
col. 317-324. A propos des titans, Eusèbe se demande
si ce que l'Écriture dit des géants et de leurs pères s'y
rapporte. Il cite Gen., vi, 2, avec la leçon : avysXoi Toij
OftoO, col. 324. Il ajoute que ce que les païens ont dit
des géants, dont ils ont fait des dieux, est fabuleux,
c. V, col. 324 sq. Les Grecs croyaient que les démons
étaient adonnés à la volupté, c. vu, col. 332 sq.
Les Hébreux ont connu les esprits déchus, qui se
sont librement détournés de leur voie. Ils leur ont
donné difiérents noms. Le premier tombé, qui a en-
traîné les autres dans sa déchéance et qui est un déser-
teur volontaire de la lumière, était nommé le dragon,
le serpent, la bète cruelle, lion, reptile. Eusèbe déter-
mine la cause de sa chute d'après l'Écriture et il la
caractérise {jiavfav çpsvwv xal Siavot'a; e/.araaiv. Il ap-
plique à ce sujet le texte d'Isaïe, xiv, sur Lucifer. Avant
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359
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
360
sa chute, il était uni aux vertus les plus divines; il s'en
est séparé par son arrogance et sa rébellion contre
Dieu. Il a sous lui une nation innombrable et infinie
d*esprits, coupables des mômes crimes, exclue par son
impiété de la société des anges pieux et précipitée dans
le Tartare, que les saints Livres nomment abîme et
ténèbres. Une petite partie est demeurée autour de la
terre, de la lune, et dans Tair inférieur, pour éprouver
les athlètes chrétiens. Ils ont fabriqué la multitude des
dieux. Ils sont appelés dans TÉcriture esprits mauvais,
démons, principautés, pouvoirs, princes du monde,
esprits de malice. Au Ps. xc, 13, on leur donne les
noms symboliques d*aspic, de basilic, de serpent et de
dragon. Par haine de Dieu, ils affectent d'être dieux et
se font rendre les honneurs divins, 1. VII, c. xvi,
col. 553, 556.
Eusèbe ajoute quelques traits à cette doctrine dans
sa Démonstration évangélique. Les démons se font
olTrir des sacrifices partout. Ils trompent, en rendant
des oracles, parce qu'ils sont ignorants; ils disent des
obscénités, 1. V, proœm.,P. G., t. xxii, col. 337. Ils ont
en horreur le nom de Jésus, 1. III, n. 4, col. 233-236.
Les puissances, ennemies de Dieu, sont les esprits les
plus dépravés, qui sont sous les ordres du grand démon,
leur prince. Les premiers, ils ont chancelé dans le
culte divin, et comme ils enviaient le salut des hommes,
ils leur ont tendu des pièges. Ils sont les auteurs du
mal. Isaïe, x, 13, 14; xiv, 12, 15, a parlé du grand
démon. Les mauvais démons sont partout, disposés et
armés sous sa conduite. Ils portent les hommes aux
voluptés, 1. IV, n. 9, col. 272-273. Cf. In Jsaiam, xiv,
9, P, G., t. XXIV, col. 192.
Saint Athanase unit aussi les démons au diable. Celui-
ci est l'inventeur du mal; c'est le grand démon, le ser-
pent, le dragon, le lion qui cherche à dévorer. Il a trompé
les hommes et séduit Eve; il a mis ainsi les hommes
sous son pouvoir; mais le Christ a détruit sa puissance.
Epist. ad episc. ^gypti et Libyse, n. 1, 2, P. G.,
t. XXV, col. 540-5il. Cet ennemi du genre humain est
tombé du ciel; il erre dans l'air, où il commande aux
autres démons, qui subissent son empire; il séduit les
hommes et s'efforce de s'opposer à ceux qui tendent en
haut. Notre-Seigneur est venu le renverser, purger l'air
de sa présence et nous ouvrir le chemin du ciel. Orat.
de incamatione Verbi, n. 25, ibid., col. 140. Depuis
lors, il n'y a plus d'oracles ni de magie, n. 46, col. 177.
Comment le diable a-t-il péché? Saint Athanase est peu
précis à ce sujet; il dit seulement que le diable était
en désaccord avec Dieu, et qu'il a été expulsé du ciel,
pour n'avoir pas conservé l'accord avec son créateur.
Desynodis, n. 48, P. G., t. xxvi, col. 780. Toutefois, il
aurait admis la chute par orgueil, si le traité De vir-
ginitate était certainement de lui. Selon l'auteur de
cet écrit, Satan a été jeté hors du ciel, non pas pour
fornication, adultère ou vol; c'est l'orgueil qui l'a pré-
cipité dans le fond de l'abîme, Is., xiv, 14, et le feu
éternel est son partage, nr^ A,<i., t. xxviii, col. 257.
Dans la Vita S. Antonii, n. 24, P. G., t. xxvi, col. 877,
880, saint Athanase déclare qiie Job, xli, 9-11, 18-21, a
décrit Satan que Notre-Seigneur a pris par l'hameçon
comme le dragon marin.
Pour saint Cyrille de Jérusalem, le démon est le
premier auteur du péché et le père de tous les maux.
I Joa., m, 8. Il est le premier pécheur, et il a péché
librement et pas par nécessité. Créé bon, il est devenu
mauvais et a mérité son nom : c'est un archange devenu
diable, Satan l'adversaire. Ezech., xxviii, 12-17; Luc, x,
18. En tombant, il a entraîné beaucoup d'autres avec
lui. Cat.fii^ n. 3, 4, P. G., t. xxxiii, col. ^85, 388. Dieu
le tient sous sa puissance, mais il le supporte avec
patience et le fait contenir par les anges. Il lui a per-
mis de vivre pour deux raisons : 1^ pour lui infliger
une plus grande honte ; 2<> pour couronner les hommes.
soumis à ses tentations. Cat,, viii, n. 4, col. 628-629.
Sachant que Dieu devait naître d'une vierge, le démon,
par calomnie, a inventé les fables des idoles et des
dieux, engendrant avec des femmes. Cat., xv, n. 11,
col. 884. Il est appelé esprit, mais c'est un esprit im-
monde. La manière dont il agit sur les possédés mon-
tre qu'il n'a pas un corps épais. Cat., xvi, n. 13, 15,
col. 936, 937-940. Le prince des mauvais démons est
un tyran. Il habite à l'Occident, dans les ténèbres sen-
sibles, où il règne. C'est pourquoi les baptisés se tour-
nent vers l'Occident pour renoncer à Satan. C'est le
serpent rusé, qui a inspiré la défection à nos premiers
parents. Cat., xix, n. 3, 4, col. 1068, 1069. Il est le
mauvais, dont nous demandons d'être délivrés, en réci-
tant l'oraison dominicale. Cat., xxiii, n. 18, col. 1124.
Saint Basile, dans ses ouvrages authentiques, est
nettement partisan de la chute de Satan par orgueil.
Le diable est une substance simple, tombée du ciel; il
a perdu la véritable vie, en changeant de volonté ; il
est devenu diable par sa manière d'agir; sa sainteté
première a disparu, et sa puissance a été portée au
mal. Epist., 1. I, epist. \iii, n. 10, P. G., t. xxxii,
col. 26i. Le premier-né des démons est l'auteur de
tout mal. In Hexaenieron, homil. vi, n. 1, P. G.,
t. XXIX, col. Il7. Si le mal ne vient pas de Dieu, d'où
vient le diable? De même que l'homme, le diable est
mauvais par sa propre volonté. Il était libre et pouvait
persévérer dans le bien ou s'en éloigner. Satan était
ange comme Gabriel. Celui-ci a assisté Dieu constam-
ment; celui-là est entièrement sorti de son ordre. Il
n'est pas l'adversaire du bien par nature, mais par
volonté. Pourquoi nous fait-il la guerre? Il a eu la ma-
ladie de l'envie; il nous a envié l'honneur qui nous
était fait. Il n'a pu sans regret voir notre vie au para-
dis, et il a trompé Adam. Comme il se voyait exclu de
l'assemblée des anges, il ne put soutenir que l'homme,
formé de terre, soit élevé à la dignité des anges. Il nous
a donné son inimitié contre Dieu. Il se nomme Satan,
parce qu'il est l'adversaire du bien. Sa nature est in-
corporelle. Eph., VI, 12. Il habite l'air. Eph., ii, 2. Il
est dit le prince de ce monde, parce que sa principauté
est sur le globe, déchu qu'il est de sa principauté pre-
mière. Quod Deus non est auctor malotntm, 8-10,
P. G., t. XXXI, col. 3i5-352. L'orgueil, ô tO?o;, est le
premier des vices de l'homme; c'est le crime du diable.
Adversus Eunomium, 1. I, n. 13, P. G., t. xxix,
col. 511. C'est l'orgueil quil'a fait tomber du ciel. Quand
Adam a été créé, il l'a tenté par envie. Peut-être avant
la création de l'homme, restait-il au diable lui-même
quelque place à la pénitence. Bien que l'orgueil ait
été pour lui une maladie très invétérée, elle aurait
pu être guérie par la pénitence, et ce remède eut
fait réintégrer le diable dans son état primitif. Mais
après la création d'Adam, après l'envie portée à l'homme,
après la tentation, il n'y a plus eu pour le démon de
place à la pénitence, /n Isainm, xiv, 19, P, G., t. xxx,
col. 609. Cependant, ailleurs, saint Basile semble join-
dre l'envie à l'orgueil. C'est par esprit de fausse gloire
que le diable a trompé Thomme. En voulant nuire à
l'homme, il se montra transfuge et fut destiné à la
mort éternelle. Il fut ainsi victime de sa propre astuce
et pris dans ses pièges. Orgueilleux à l'occasion de
l'homme, il a été humilié par l'homme. Homil., xx.
De humilitate, n. 1, 2, 5, P. G., t. xxxi, col. 525, 528,
533. Dans deux ouvrages douteux, saint Basile, s'il les
a composés, aurait été résoldment partisan de la chute
du diable par envie. Ce défaut suit le diable. C'est lui
qui l'a poussé à faire la guerre aux hommes; il a été
puni par lui en luttant avec Dieu lui-même. Mécontent
de Dieu à cause de sa munificence envers l'homme et
ne pouvant se venger sur Dieu, il se vengea sur l'homme.
Il est donc tombé par envie. Homil., xi, De invidia,
n. 1. 3, 4, ibid., col. 372-376, 377.
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:«i
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
362
Saint Grégoire de Nazianze déclare que les anges ne
se marient pas. Poem, moral., sect. ii, 1, P. G., t. xxxvii,
col. 525. Il attribue à Torgueil la chute de Lucifer et de
tous les anges. Lucifer a péché le premier; il s'est élevé
et enorgueilli. Il voulait obtenir la gloire même de Dieu;
mais il a perdu sa beauté, est devenu ténèbres et est
descendu sur terre. Il hait les hommes prudents et il
clierche à les détourner du ciel, par colère causée par
son propre malheur. Par envie, il a chassé l'homme du
paradis. Il a péché par orgueil, non pas seul; il est
tombé avec beaucoup d'autres, à qui il avait appris le
mal. Il était envieux du chœur d'anges pieux, qui for-
maient la cour du roi du ciel, et il désirait comman-
der à beaucoup. Nombreux, en effet, sont les démons,
qui portent au mal. L'armée est mauvaise comme son
chef. U y eut une grande guerre entre les anges : les
uns eurent la vie éternelle; Satan indompté porta plus
tard la femme à désobéir. Le Christ l'a réprimé, et le
feu allumé de l'enfer sera sa récompense. Il souffre au-
paoavant dans ses ministres, tandis qu'eux sont tor-
turés; tel est le supplice du premier méchant. Poeni.
dognmt., sect. i, 56 sq., col. 444-445. L'envie a obscurci
Lucifer, qui est tombé par orgueil. Il s'indignait, Oeio;
wv, de n'être pas Dieu. Il a chassé Adam et Eve du
paradis. Orat., xxxvi, n. 5, P. G., t. xxxvi, col. 269.
Par l'envie du cruel dragon, l'homme a été chassé du
paradis. Poem. moral., sect. ii, 1, P. G., t. xxxvii,
col. 531. Les démons ont envié et détesté l'homme,
qu'ils poussent au mal. Oral., xxxix, 7, P. G., t. xxxvi,
col. a41.
Pour réfuter Manès, saint Épiphane dit seulement
qu'à l'origine le diable n'était pas mauvais, et que plus
tard il a pensé au mal, qu'il a réellement accompli.
Dieu Ta permis, parce qu'il avait créé le diable libre.
Hêsr., Lxvi, n. 16, P. G., t. xui, col. 52.
Tbéodoret réfutait la même erreur. Marcion, Cerdon
et Manès prétendaient que les démons n'avaient pas
été créés. S'il en était ainsi, ils auraient donc été les
égaux de Dieu en honneur. Dans ce cas, ils n'auraient
pu être créés; mais ils n'auraient pu davantage être
punis. Or, ils seront justement punis par le feu étemel,
parce qu'ils ont été les auteurs du vice. Satan a été
mauvais par volonté, lui et ses anges. Us sont tous in-
corporels. Ne se souvenant pas de la bienveillance que
Dieu leur avait témoignée, mais cédant au faste et à l'ar-
rogance, ils sont déchus de leur sort précédent. La cause
pour le diable est l'orgueil, et Tbéodoret cite en preuve
de nombreux textes des deux Testaments, entre autres
ceux d'Isaîe et d'Ézéchiel. Hœret. fabul. compendium,
I. V, n. 8, P. G., t. Lxxxiii, col. 473, 476, 477. La doc-
trine chrétienne sur les démons est contenue dans les
saintes Lettres, qui parlent des démons, de leur prince,
de Satan, l'apostat, et du diable, le calomniateur. Ils
n'ont pas été créés mauvais par Dieu; ils le sont de-
venus par le vice de leur volonté. Pas satisfaits des
dons qu'ils avaient reçus, aspirant à un sort plus élevé,
ils ont contracté la tache de l'orgueil et ont été exclus
de leur dignité. Ils ont tourné leur rage contre
rhomme, à qui ils ont déclaré la guerre. Dieu nous pro-
tège contre leurs assauts par les anges gardiens. Grœc.
affect. curât., III, ibid., col.883,896. la;doctrine chré-
tienne, il oppose celle de Platon, col. 896-897, et il
conclut que Dieu n'est pas l'auteur du mal. Isaîe com-
pare !e roi de Babylone à Lucifer, qui est tombé du
del sur terre à cause de son orgueil. In Isaiam, xiv,
12, P. G., t. Lxxxi, col. 333. Le prince de Tyr est pro-
prement le démon mauvais, qui exerçait en lui sa ma-
lice. Il est tombé par orgueil. Auparavant il étaitimma-
culé. Sa folie a consisté à dire : Quo non ascendamf
In Ezech., xxvin, ibid., col. 1096-1097. Il est tombé,
parce qu'il n'a pas voulu se contenter des biens qui lui
avaient été donnés. In ps. Lxxxi, P. G., t. lxxx,
col. 1529. Le serpent tentateur était le démon, qui,
usant de son pouvoir sur les êtres irraisonnables, a
pris cet animal comme organe. Aussi a-t-il reçu la
malédiction divine. Dieu l'avait créé, prévoyant qu'il
ferait le mal ; il l'a laissé abuser de sa liberté, pour
éprouver les autres. In Gen., q. xxxi, xxxiv, xxxvi,
ibid., col. 128, 129,132. Quelques hommes stupides ont
prétendu que les fils de Dieu, Gen., vi, 2, 4, étaient les
anges, qui pourtant sont immortels. Le père du men-
songe n'aurait pas osé le dire. Ces fils de Dieu étaient
des hommes méchants, qui ont été punis; le texte
l'exige. Du reste, les hommes sont nommés iils de Dieu
ailleurs dans l'Écriture. In Gen., q. xlvii, col. 148-149.
Avant sa chute, le diable avait la puissance de l'air.
Déchu à cause de sa malice, il est devenu le maître de
l'impiété et de l'improbilé. Il n'a pas pouvoir sur tous
les hommes, mais seulement sur ceux qui n'écoutent
pas les divins enseignements. Interpret. Epist. ad
Eph., II, 2, P. G., t. Lxxxii, col. 520. Pour Tbéodoret,
les démons sont inguérissables. In Mich., vi, 7, P. G.,
t. Lxxxi, col. 1772.
Saint Chrysostome tient pour absurde le sentiment
de ceux qui, dans les fils de Dieu de la Genèse, voient
des anges et non des hommes. Ils ne peuvent indiquer
aucun endroit de l'Écriture, où les anges soient appe-
lés fils de Dieu. Ils prétendent que les anges sont des-
cendus du ciel pour s'unir à des femmes et ont ainsi
déchu de leur dignité. Cest une fable. Voici, d'après
l'Écriture, la cause de leur ruine. Avant que l'homme
ne fût créé, le diable était tombé, aussi bien que ceux
qui, avec lui, ambitionnèrent une plus haute dignité.
Sap., Il, 24. S'il n'était pas tombé auparavant, comment,
demeurant dans sa dignité première, aurait-il pu envier
l'homme corporel? Parce qu'il avait passé de la gloire
suprême à l'ignominie extrême, quoique incorporel,
il vit l'homme honoré par le créateur, et jaloux de lui,
le trompa. Il n'a pas pu supporter le bonheur d'autrui.
C'est ainsi que lui et sa cohorte sont tombés. Une
nature incorporelle n'a pu avoir de concupiscence. Les
hommes sont dits fîls de Dieu dans l'Écriture ; dans la
Genèse, ce sont les fils de Seth. In Gen., homil. xxii,
2, 3, P. G., t. LUI, col. 187-189. Le diable n'a été rejeté
et n'est devenu diable que par son orgueil. Ce vice
l'a jeté loin de celui qui faisait sa confiance antérieure,
l'a précipité dans la géhenne et en a fait l'auteur de
tous les maux. In Joa., homil. xvi, n. 4, P. G., t. lix,
col. 106. Le diable a été bon; sa paresse et son déses-
poir l'ont fait tomber, et sa malice est telle qu'il ne
pourra jamais se relever. De pœnit., homil. i, n. 9,
P. G., t. xux, col. 279. Au paradis, le serpent a c'ié
l'instrument du diable. In Gen., homil. xvi, n. 1, 2,
P. G., t. lui, col. 126-127. Le feu éternel n'a pas été
fait pour nous, mais pour le diable et ses anges ; pour
nous, le royaume a été préparé. Mais le diable travaille
à nous faire aller avec lui dans la géhenne. Ad Théo-
dorum lapsum, i, n. 9, P. G., t. xLvii, col. 287. Dieu
a laissé le démon dans le monde, parce que ses atta-
ques sont pour nous des causes de mérites et l'objet de
couronnes. Ad Staginuni a dœmone veacatum, 1. I,
n. 4, 5, ibid., col. 432-436. Il est resté pour nous tenter.
Homil. de diabolo tenlatore, P. G., t. XLix, col. 257-
266. Cf. P. G., t. LU, col. 509. Nombreux sont ses
anges qui volent dans les airs. Exposit. in ps. xu, n. 5,
P. G., t. Lv, col. 162. Ce sont les principautés et les
puissances célestes, c'est-à-dire qui sont sous le ciel. Le
ciel leur est inaccessible, et ils exercent leur tyrannie
sur le monde seulement. De incomprehensibili Dei
natura, homil. iv, n. 2, P. G., t. xlvii. col. 730. Ils ne
gouvernent pas le monde cependant. Homil. quod des-
mones nongubemantmundum,P. G., t. XLix,col. 241-
258. Les démons, que Jésus chassait, étaient horri-
blement tourmentés par sa seule présence. Croyant que
l'époque de leur châtiment était proche et craignant
les tourments qui leur sont réservés, ils demandaient
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
364
au Sauveur de ne pas être jetés dans Tablme. Ils habi-
tent les sépulcres, parce que beaucoup pensent que
les âmes des morts sont des démons. In Matth.,
homil. xxviii, n. 2, P. G., t. lvii, col. 352. Ils aiment
l'odeur des sacrifices comme s'ils mouraient de faim, et
ils se complaiseiit dans les mystères obscènes. De
S. Babyla, n. 13, P. G., t. l, col. 553-554. Saint Chry-
sostome donne aux fidèles de nombreux conseils pour
la lutte contre Satan l'adversaire.
Pour saint Cyrille d'Alexandrie, le dragon apostat
était parmi les anges, ainsi que les autres puissances
mauvaises. Il était avec les chérubins. Ezech., xxviii, 14.
Satan est tombé avec les autres anges ; de son propre
mouvement, il a offensé Dieu. Par arrogance et par
faste, il a oublié sa propre dignité et a troublé une
création admirable. Glapliyr. in Gen., 1. I, n. 3, P» G.,
t. Lxix, col. 21, 24. Dieu a chassé le diable de la cour
céleste, parce qu'il demandait un honneur, supérieur à
celui de sa condition, Is., xiv, 14, et il l'a condamné.
Le diable s'était imaginé pouvoir s'élever à la nature
du créateur et siéger sur le même trône que Dieu,
Mais il est tombé comme la foudre. In Joa., l. V, c. iv,
P. G., t. Lxxiii, col. 809. Son envie a fait entrer la
mort dans le monde, 1. I, n. 24, col. 145. Il était un
ange excellent^ le premier de tous. Ezech., xxviii. Il est
le prince des démons. Sa tyrannie n'a pas commencé au
temps de Notre-Seigneur, et le? esprits mauvais avaient
été condamnés auparavant à s'ensevelir dans l'abîme.
Ils étaient torturés déjà cependant, et ils attendaient à
son futur avènement les supplices qui leur étaient dus.
Si l'un de leurs princes est lié, un autre a trompé Adam
et n'a pas cessé de tenter les hommes. S'il en est ainsi,
le premier n'aurait pas fait de mal parmi les hommes.
Quoi qu'il en soit, Satan est le père des méchants, ses
fils, et l'auteur du mal, Glaphyr. in Gen., 1. VI, P. G.,
t. LXix, col. 893. Julien l'Apostat avait parlé du ma-
riage des anges avec les filles des hommes. Mais les
saints anges n'ont pas de corps et ne recherchent pas
les voluptés. Julien lisait donc au c. vi de la Genèse la
leçon : o\ afreXoi toO 6soO. Mais l'Écriture véritable,
que Cyrille a entre les mains, a : ol v:o\ toO OeoC. Les
autres traducteurs grecs ont connu cette leçon, et
les fils de Dieu sont la postérité d'Énos. Cont. Julian.,
1. IX, P. G., t. Lxxvi, col. 953, 956-957. Puisque les
anges sont incorporels, comment auraient-ils pu avoir
des rapports avec les femmes? Les filles des hommes
étaient de la race de Caïn. Quatre traducteurs grecs
après les LXX ont connu la leçon : c fils de Dieu. » Il
est absurde de penser' que les anges puissent accom-
plir un acte contraire à leur nature. Quelques exem-
plaires ont bien la leçon : rHyfsXoi^ mais à la marge ; la
vraie leçon est : « fils de Dieu. » Adversus anthropomor-
philas, c. xvii, ibid., col. 1105, 1108. La même expli-
cation est répétée. Glaphyr. in Gen., 1. II, n. 2, P. G.,
t. LXix, col. 51-56. Les voluptés sont naturelles aux
hommes, qui sont de chair. Les démons sont impurs,
parce qu'ils portent à toutes sortes de turpitudes. Les
géants étaient des hommes. Pour expliquer qu'ils peu-
vent être fils d'anges, on a prétendu que les démons
étaient entrés dans le corps d'hommes méchants et par
eux avaient engendré. L'explication est absurde, et la
vraie leçon scripturaire est « fils de Dieu », qui désigne
des fils de Seth et d'Hénoch, les hommes pieux, unis
aux filles de Caïn, race perverse.
Basile de Séleucie déclare qu'avant sa chute le diable
avait la puissance de l'air, Eph., ii, 2, qu'il a perdu
par son orgueil. C'est par orgueil qu'il a machiné la
perte de l'homme. Orat., xxiii, n. 1, P, G., t. lxxxv,
col. 269, 272. Il a été envieux à la vue du pouvoir
qu'Adam avait reçu sur toute créature terrestre. Il recou-
rut au mensonge pour le tromper, et fut ainsi homi-
cide dés le commencement. Orat., m, n. 3, col. 53,
56. Dans le récit de la Genèse, vi, 2, Basile lit : ulol toO
6eoj. Quelques-uns y reconnaissent les anges; c'est leur
attribuer une action contre nature, puisqu'ils n'ont
point de corps. Les Grecs racontent bien les fables des
noces des démons; les saintes Lettres ne parlent pas
d'anges mariés; elles parlent des fils de Seth. Orat.,
VI, n. 2, col. 85, 88, 89.
Saint Isidore de Péluse enseigne que, même après la
venue de Notre-Seigneur sur terre, la peine du feu
attend encore le démon. Epist., 1. II, epist. xc, P. G.,
t. Lxxviii, col. 533.
La doctrine est donc, dans l'ensemble, identique chez
tous les Pères grecs du iv« et du v« siècle. On la retrouve
aussi dans des écrits, dont les auteurs sont inconnus et
qu'on a attribués à des écrivains de cette époque. Si
l'auteur du De passione et a^uce Domini, 27, 28, dans
les Spw*iade saint Athanase, P. G., t. xxviii, col. 232,
233, ignore la cause de la chute du diable, il en constate
le fait dans Is., xiv, 12, et Jer., L, 23, et s'en étonne.
Il sait que, par son envie, la mort est entrée dans le
monde et qu'il a trompé Eve; il dit aussi que l'empire
du diable a été détruit par la croix de Jésus.
L'auteur des Quœstiones ad Antiochum ducern, q. vu,
parmi les Spuria du même docteur, ibid., col. 604,
après avoir déclaré que les démons ne diffèrent pas
des anges par nature, se demande quand et pourquoi
le diable est tombé. Q. x. Quelques-uns disent qu'il est
tombé pour n'avoir pas voulu adorer Adam. C'est une
sottise. Il est tombé avant la création d'Adam et par
orgueil. Mais s'il est tombé du ciel, comment s'est-il
trouvé au conseil des anges? Q. xii, 'col. 605. L'Écri-
ture ne dit pas que ce conseil s'est tenu au ciel. Il a
eu lieu sur la terre, car, partout où les anges se trouvent,
ils assistent Dieu. Dieu a parlé au diable par un saint
ange, comme un roi parle à un condamné par un inter-
médiaire.
Les Dialogues, attribués à saint Césaire de Nazianze,
sont certainement inauthentiques. Leur auteur, quel
qu'il soit, a sur les démons les mêmes sentiments que
les écrivains précédemment cités. Il se demande d'abord
comment les anges, s'ils sont incorporels, ont pu avoir
commerce charnel avec des femmes et engendrer les
géants. Bien qu'il admette encore que les anges ont un
corps subtil, il tient pour une absurdité et une folie
que les démons aient pu avoir des relations charnelles.
Ils ont abandonné leur état, non leur nature. C'est donc
un blasphème de prétendre qu'ils ont corrompu des
femmes. L'Écriture n'en parle pas. Ce sont les fils de
Dieu qui ont cohabité avec les filles des hommes. Nulle
part, les anges ne sont dits fils de Dieu, tandis que
l'Écriture donne ce nom à des hommes. Il s'agit des fils .
de Seth et d'Énos, qui ont épousé des filles de Caïn.
Dial., I, q. XLviii, P. G., t. xxxviii, col. 917, 920. Si le
diable est tombé du ciel, comment a-t-il pu prendre
part au conseil des anges? Q. xlix, col. 920, 921. Il n'y
a pas assisté au ciel, d'où il a été chassé pour sa fureur.
Mais Dieu est partout, et tous, même les démons, se
trouvent en sa présence. Plus loin, cet écrivain dit que
le diable est notre adversaire, non par nature, mais
par volonté. Il a d'abord été le premier des anges; il a
été précipité en bas, parce qu'il a été l'ennemi de Dieu,
avant que l'homme n'ait été créé. Plus tard, il a séduit
l'homme, en lui suggérant l'envie contre Dieu. Dial.,
III, q. cxxiii, col. 1016.
2" En Occident. — La doctrine sur les démons,
commune en Orient, pénètre peu à peu en Occident et
finit par y devenir prédominante, bien que le mariage
des anges avec des femmes ne soit pas d'abord si caté-
goriquement rejeté.
Pour saint Hilaire, le diable est le prince des or-
gueilleux. Is., X, 13, 14. Il n'est pas seul, et il a pour
ministres les esprits mauvais. In ps. cxviii, lilt. xvi,
n. 8, P. L., t. IX, col. 608-609. Il est l'auteur de tous
les maux; il tenddes pièges aux hommes et suggère tous
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
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les crimes. In p$. cxL,ïi. 16, col. 83*2.11 parcourt en un
instant toute l'amplitude de ce monde. In ps. cxviii,
litt. I, n. 8, col. 507. Sa puissance est brisée; il n*est pas
encore brûlé tout entier; le feu éternel lui est pr^^paré
ainsi qu*à ses anges. In ps. cxLin, n. 11, col. 849. Il doit
être jugé à la résurrection. In ps. cxviii, litt. xr, n. 5,
col. 574. Les démons sont des montagnes, abaissées par
Jésus-Christ, qui leur a préparé le feu éternel. Ils sont
torturés par les paroles des croyants. Ils sont invisibles
et incompréhensibles pour nous. Puniunturt cum vates
silenl, cum muta sunt templa. In ps, Lxrv, n. 9, 10,
col. 418, 419. Ce sont des oiseaux du ciel; ils ont de
quoi vivre sans récolter, vivendi tribuitur de ssteimi
consilii potestate substantia. Comment, in Matth.,
V, n. 9; vm, n. 9, col. 947, 957.. Tombés du ciel, ils
fuient devant Dieu; mais la mort et la peine du ju-
gement suivront leur fuite. In ps. Lxvir, n. 2, col. 443-
4ii. L'évéque de Poitiers n'ignore pas ce qu'on raconte,
de quo etiam nescio cujus liber exstat, que des anges
sont descendus du ciel sur le mont Hermon, attirés
par la concupiscence des femmes. Sed hœc pi^œlermit-
tamus. Ou» enim libro legis non continentur, ea nec
nasse debemus. In ps, cxxxii, n. 6, col. 748-749.
Saint Hilaire dédaigne donc cette légende, et il ne voit
pas le mariage des anges dans la Genèse.
Saint Philastre range résolument cette légende au
nombre des hérésies, et il la réfute par des arguments
exégétiques, assez singuliers. Nemrod, le premier géant,
nommé dans l'Écriture, était né après le déluge et pas
d'un esprit, c'est-à-dire d'un ange, puisqu'il était flls
de Chus et petit-fils de Cham. Les géants étaient des
hommes puissants, forts, pillards, des monstres, comme
plus tard Goliath. Les anges, chassés du ciel, ne sont pas
semblables à la nature humaine; on ne peut en douter.
Avant le déluge, ils suggéraient le mal aux hommes,
comme plus tard à Judas, comme ils le font encore
maintenant. Croire qu'ils se sont transformés en hommes
et sont devenus charnels, c'est violenter l'histoire. C'est
un mensonge des poètes de dire que les dieux et les
déesses, changés en hommes, ont entre eux des relations.
Comme cela ne s'est pas fait, il n'y a pas d'hésitation
à avoir que c'est impossible. D'ailleurs, le nom de géant
est pris en bonne part dans l'Écriture. Ps. xviii, 6.
Liber de hœresibus, 108, P. L., t. xir, col. 1224-1226.
Une autre hérésie était celle des manichéens, qui pré-
tendaient que le corps a été fait par le diable, et qui
honoraient les démons, 61, col. 1176. C'était enfin une
hérésie de prétendre que le diable pourrait se repentir.
Loin de là, parce qu'il avait suggéré le mal à Adam, le
diable méritait un jugement plus sévère; parce qu'il
était plus réfractaire à la pénitence, il attend de Jésus-
Christ une plus grande servitude et il est réservé avec
ses satellites à un plus grand jugement et au feu éter-
nel. Matth., XXV, 41. Ibid,, 114, col. 1238-1239.
Le diacre donatiste Ticonius interprète du diable les
deux passages bibliques, Is., xiv; Ezech., xxviii. Il
attribue donc la chute du diable à l'ambition. Le prince
de Tyr voulait être semblable à Dieu; il a été expulsé
du ciel. Le roi de Babylone représente le diable, les
rois et les peuples, qui sont le corps du diable. Mundo
finito, descendet in inferos. Les anges n'ont point de
corps. Le diable est sur terre dans les hommes in con-
culcalionem, pour être broyé sous les pieds des chré-
tiens. Liber de septem reguîis, reg. vu, P. L., t. xviii,
col. 55-66.
Saint Jérôme unit aussi les démons au diable. Celui-ci
n'a pas été créé tel ; il est devenu diable par sa propre
volonté. In Epist. ad Eph,, 1. 1, c. ii, 5. P, L., t. xxvi,
col. 467-468. Chusi, fis de Jémini, représente le diable,
qui est, comme lui, éthiopien et flls de la droite. Quod
mthiops est, vitio suo est; quod filius dexVerœ est, créa-
tus a Dec. Tractatus de ps. vu, dans Anecdota Uared-
solana, Maredsous, 1897, t. lub, p. 21. Il n'a pas été
fait diable. Dieu n'a pas créé une nature mauvaise. Il
est le prince tombé, dont parle le psaume Lxxxr, 7. Il
est tombé, et il n'est pas mort. Une nature angélique
peut recevoir la ruine, mais pas la mort. Il est tombé,
Lucifer. Is., xiv, 12. Il est tombé, quia semper in cœ-
lestibus versabatur. C'est le prince de Tyr, Ezech., xxviii,
11 sq., qui primo erat in cselo, nunc faclus est prin-
ceps Tyn, hoc est tribulationis islius sœculi. Il n'est
pas tombé seul, puisqu'il est un des princes tombés.
L'Apocalypse dit que le dragon, en tombant, a entraîné
avec lui le tiers des étoiles, xii, 4. Tractatus de
ps. Lxxxf, ibid., p. 77-78. Nous avons vu plus haut,
col. 353, que saint Jérôme avait donné cette interpré-
tation dans son remaniement du commentaire de TApo-
calypse. de saint Victorin de Pettau. Diabolus unde
ceciditf quia furtum fecilf quia homicidium fecitf
quia adulteriuni fecitf Et hœc quidem mata sunt;
sed diabolus non propter hoc cecidit, sed propter lin-
guamsuam cecidit. Quidenim dûcitf In cœlum ascen-
dam, super sidéra cœli ponam thronummcum, etero
similis Altissimo. Is., xiv, 13. Tractatus de ps, cxix,
ibid., p. 284. Lucifer, en effet, est tombé par orgueil.
Ces paroles, il les a dites, ou bien avant sa chute, ou
bien après. Avant, il voulait monter plus haut au ciel
où le Seigneur habite, et il est tombé du ciel. Après, par
arrogance, il se promettait encore de grandes choses,
non ut interastra, sed supra astra Dei sit. In Isaiam,
1. VI, c XII, 12-14, P. L., t. XXIV, col. 219. Superborum
est diabolus princeps. l Tim., m, 6. Le prophète dé-
crit son orgueil. Is., x, 13 sq. Tractatus de ps. xcrii,
dans Anecdota Maredsolana, 1903, t. iiic^ p. 81-82. Le
diable orgueilleux est représenté par Ézéchiel sous le
type des princes et des rois superbes, qui, enflés d'or-
gueil, sont tombés sous son jugement et dans ses pièges.
In Ezech,, 1. IX, c. Xxviii, P. L., t. xxv, col. 267-268.
Judicium diaboli nullum est aliud nisi superbia prop-
ter quamde cœleslibus cecidit, Luc, xx, 18. Jn Isaiam,
1. II, c. m, 4, P. L,, t. xxiv, col. 63. Cf. Epist,, xxii,
n. 27, P, L., t. XXII, col. 413. Au sens mystique, le -
diable est le serpent de la Genèse; il règne sur la
terre, mais totus terra hœret. L'iniquité le presse sur
la terre; il ne pourra donc faire pénitence; son ini-
quité descendra : de cœloenim illi pœna vente t sempi-
tema. Tractatus deps. JX, dans Anecdota Maredsolana,
t. III &, p. 24. Son vêtement est souillé de sang et il ne
sera pas purifié. Ubi sunt ergo qui dant diabolo pœni-
tentiam et dicunt illum posse mundaHf Jn Isaiam,
1. VI, c. XIV, 20, P. L,, t. XXIV, col. 2U.lntempore re-
surrectionis non ent. Si autem non erit, quid respon-
debunt qui diabolo dantpœnitentiam et illi quantum
in se est archangelicum fastidium pollicenturf Ibid.,
1. VII, c. xvui, 12, col. 245. Il a été menteur dès le com-
mencement et père du mensonge. Joa., viii, 44. Qtu)d
multi non intelligentes, patrem diaboli volunt esse
draconem, qui regnet in mari (Léviathan). Ibid., 1. VI,
c. XIV, 24, col. 226. Cf. Tractatus in Marc, i, 13-31,
dans Anecdota Maredsolana, t. m 6, p. 334-335. Il est
le prince de l'air, où il habite, car il n'habite pas dans
le ciel. Lui et ses satellites, per mundum vagantur,
peccata insinuant. In Epist. ad Eph,, l. I, c. ii, 1,
P. L., t. XXVI, col. 466. Il est difficile de dire ce que
sont les principautés, les puissances et les vertus de
damnation. Il faut les prendre dans un mauvais sens.
Ce sont les anges déchus, et le prince de ce monde, et
Lucifer, sur qui marcheront les saints. En attendant le
jugement, infreni et niale libertate abutentes passim
vagaHturetperprœcipitiacorruuntpeccatoi*um,lbid.,
1. 1, c. II, 7, col. 469. Les puissances des ténèbres, les
esprits de malice qui sont dans les cieux, sont les dé-
mons, qui toutefois ne sont pas au ciel, mais dans l'air.
C'est l'opinion de tous les docteurs que l'air, qui est
entre le ciel et la terre et qui est vide, est rempli de
puissances adverses. Quelqu'un dira peut-être que c'est
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
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le diable qui a distribué à chacun de ses satellites son
office propre, et non pas Dieu. Ils sont libres, en effet,
et ils ont chacun sa province de vices, comme dans
une ville les fonctions diverses sont réparties ; c*est ainsi
qu'ils gouvernent ce monde. Jbid., 1. III, c. vi, col. 546-
547. Beaucoup de personnes du peuple prétendent qu'il
y a des démons de midi. Ps. xc, 6. Ceteinini ego dico
simpHcitev, quoniam dmmon eo tempore potestateni
habet in nos, quando peccanius. Sive mane peccaveri-
nms, dœnion ingreditur in nobis; sive vespere, sive
nocte, quacumque pecraverimus fiora, dsemon ingre-
ditur in nobis. Si auleni non peccaverimus meridie,
non ingreditur in nobis. Videlis ergo quod frivoluni
est quod vulgo dicilur. Tractatus de ps. xc, dans Anec-
dota Maredsolana, t. m 6, p. 116".
Bien que saint Jérôme ait dit que Lucifer orgueilleux
avait entraîné avec lui le tiers des étoiles, bien qu'il ait
déclaré que les démons n*ont point de sang, in /satani,
1. XVII, c. LXiii, n. 3, P. L., t. XXIV, col. 612, cepen-
dant il ne s'est pas prononcé avec netteté au sujet du
mariage des anges avec les filles des hommes. S*il ne
le rejetait pas, ce n'était pas qu'il s'appuyât sur le té-
moignage du livre d'Hénoch, qu'il rangeait résolument
parmi les apocryphes. De viris, 4, P. L., t. xxiii,
col. 615; in Epist. ad Tilum, i, 12, P. L.,i. xxvi,
col. 573. Il n'attache pas d'autorité à cet apocryphe au
sujet du mariage des anges avec les filles des hommes.
Il reproche, en outre, à Origène, sans le nommer,
d'avoir confirmé par ce passage son hérésie des âmes
descendant du ciel dans les corps ; Origène imitait en
cela les manichéens. Saint Jérôme se borne à signaler
ce mauvais argument en commentant le verset 3 du
psaume cxxxii. Trcxtatus de ps. cxxxii, dans Anecdota
Maredsolana, t. m b, p. 249-250; P, L., t. xxvi,
col. 1293. Il donne un peu plus d'attention à ce ma-
riage dans le commentaire d'Isaie, liv, 10. Il se de-
mande quelles sont ces montagnes troublées durant le
déluge : sont-ce les saints ou les démons? Quelqu'un
pourrait les entendre des démons et des puissances
adverses, gui tnderunt fdias hominum, quod essent
bonœ, et amoris jaculo vulnerati, sumpserunt sibi
uœores ex omnibus quas elegerunt et perdiderunt for-
titudineni pristinam et nequaquatti in hoc diluvio
sunt futuri. Hoc ille dixeint, cujus explanationeni
lectoris arbitrio derelinquo. In Isaiani, 1. XV, c. liv,
10, P.L.,i. XXIV, col. 521. Le saint docteur vise exclu-
sivement le c. VI de la Genèse. Il ne rejette donc pas
absolument l'interprétation appliquant aux anges cette
union avec les filles des hommes; il la laisse à la libre
appréciation de ses lecteurs. En commentant briève-
ment Gen., VI, 2-4, il indique deux interprétations,
puisqu'il voit dans les fils de Dieu, les saints ou les
anges, et dans les géants, les anges encore et les fils
des saints. Liber hebraicarum quœstionum in Gene-
sim, c. VI, n. 2, 4, P. L., t. xxiii, col. 947-949. Selon
sa coutume, le saint docteur signale, sans se pronon-
cer, les deux explications en cours. Toutefois, s'il
n'exclut pas l'interprétation des relations charnelles
des anges avec les filles des hommes, il entend le ver-
set 3 d'un répit de 120 ans laissé aux hommes cou-
pables pour faire pénitence avant le déluge. Il semble
ainsi préférer l'application du texte aux saints et aux
fils des saints, c'est-à-dire à la race sainte de Seth, per-
vertie par des mariages avec la race coupable de Gain.
Saint Jérôme, à la suite d'Origène, avait admis la
restauration finale de toutes choses, même des démons,
verbi gratia, ut angélus refuga id esse incipiat quod
creatus est. Comment, in Epist. ad Eph., l. II, c. iv,
16, P. L., t. XXVI, col. 503. Rufin le lui reprocha.
Apologia, 1. I, n. 41, P. L., t. xxi, col. 579. Saint Jé-
rôme répliqua qu'il n'avait pas parlé en son propre
nom et qu'il s'était borné à résumer l'interprétation
d'Origène, sans la faire sienne. Apologia adversus
libres Ru fini, 1. I, n. 26, P. L., t. xxiii, col. 418-419.
Il enseigne, au contraire, très expressément que le feu
éternel est dû au diable et à ses anges pour leurs
crimes. Ibid., l. II, n. 7, col. 428-430.
L'Âmbrosiaster (Hilarius Hilarianus) attribue aussi
à l'orgueil la chute du diable. Il définit l'orgueil : alta
sapere, et il ajoute : Diabolus cum alta sapuit, apo-
slalavit. In Epist. ad Phil., xii, 16, P. L., t. xvii,
col. 160. Avant la loi, le diable ne savait pas que Dieu
devait le juger; il croyait son péché mort ; la loi donnée^
son péché a revécu. Ibid., vii, 8, col. 109. Les princes
mauvais sont dans le firmament, et cependant ils
agissent sur terre. In Epist. ad Phil,, ni, 20, 21,
col. 417. Selon lui, quelques démons pouvaient se sau-
ver, car, suivant saint Paul, la sagesse multiforme de
Dieu a été manifestée par l'Église aux principautés et
aux puissances célestes, ut agnoscentes per Ecclesiam,
quse multifaHe ad vitam atlracla est, in Christo
unius Dei manere mysteHum, desinant ab errore.
La prédication ecclésiastique leur sera utile et elles
abandonneront assensum tyrannidis diaboli, qua se
adversus Dei unius fidem impia prœsumptione amia-
vit. In Epist. ad Eph., m, 10, col. .382-383.
Saint Augustin a exposé sur le diable et les démons
une doctrine très ample et très complète. Tout en unis-
sant les anges déchus au diable,* leur chef, tant pour
la chute que pour la punition, il en parle souvent sé-
parément, et il sera bon de le suivre dans ses dévelop-
pements, propres à chaque catégorie.
Les manichéens prétendaient que le diable n'était
pas une créature de Dieu. De Genesi ad lilteram, l. II,
c. xiii, XIV, n. 17,18, P. L., t. xxxiv, col. 436. Ne com-
prenant pas qu'une bonne nature pût déchoir par
orgueil, ils le disaient l'œuvre du mauvais principe,
1. XI, c. XIII, n. 17, col. 436. Avant d'être diable, il était
ange et bon. De baptismo contra donatistas, n. 13,
P. L., t. XLiii, col. 162. Il est donc tombé. Mais est-ce
ab initio mundi, ou bien a-t-il été quelque temps avec
les anges, pariter justus et beatusf Quelques-uns
disent qu'il est tombé par envie à l'égard de l'homme,
qui avait été fait à l'image de Dieu. Mais l'envie a suivi
et n'a pas précédé l'orgueil : causa invidendi, super-
bia. Pourquoi est-il tombé?. Quia amavit propriam
potestateni. Quand? L'Écriture ne le dit pas. En tout
cas, c'est avant qu'il ait envié l'homme. Peut-être est-ce
ab initio temporis, de sorte qu'il n'y eut pas de temps
où il fut bon et heureux. Si ab initio homicida fuit,
Joa., VIII, 44, ce fut à la création de l'homme; mais
a veHtate non stetit, et hoc ab initio ex quo creatus
fuit. Était-il heureux avant d'avoir péché? S'il a eu la
prescience qu'il pécherait, il n'a pas été heureux. En
tout cas, il n'a pas été heureux comme les anges de-
meurés fidèles, non œqualiter beatus, non ita plane
beatus. Ils étaient certains que leur bonheur durerait;
lui, il était incertain de la durée du sien. Quelques-
uns ont pensé qu'il n'était pas m sublimi, in supercœ-
lesti natura, mais parmi les anges inférieurs, qui pou-
vaient illicitum deleclare. De Genesi ad litteram,
c. xiv-xvii, n. 17-22, P. L., t. xxxiv, col. 436-438. Un
peu plus loin, l'évêque d'Hippone revient sur le même
sujet. Selon lui, le diable, ab initio suœ conditionis,
propria voluntate depravatus, non malus et Deo bona
creatus, factus continuo se a luce veritatis avertit,
superbia tumidus et proprisR potestalis delectatione
conniptus. Il n'a donc pas goûté la béatitude de la vi&
angclique. Continuo impius, consequenter et mente
cœcus, non ex eo quod acceperat cecidit, sed ex eo-
quod acciperet, si subdi voluisset Deo, parce qu'il n'a
pas voulu se soumettre. De nouveau, il lui applique les
textes d'Isaïe, xiv, 12-14 (au sens mystique) et d'Ézé-
chiel, xxviii, 12-13, c. xxiii, n. 30-32, col. 441-442,
attribuant sa chute à l'orgueil. Lui-même résume enfin,
c. XXVI, n. 33, col. 443, toute sa pensée en ces deux
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
370
alternatives sur la chute du diable : aut ab iniiio, tni-
pia $uperhxa cecidit,,», aut alios esse angelos infério-
ns niinisterii in hoc mundo, inter quos secundum
eoruni quanidani non prauciam beatitudinem vixeixit,
et a quorum societate cum sibi subditis angelis suis
tanquani archangelus cecidit pet* superbam impieta-
teni. Si on ne peut admettre cette dernière partie de
rallemative, il y a lieu de se demander comment tous
les saints anges, si le diable a été parmi eux aliquando
beatus, n^avaient pas encore la béatitude parfaite» qu'ils
savaient ne pas devoir perdre, ou par quel moyen le
diable, avant son péché, fuit discretus cum sociis,
puisqu'il aurait été incertain de sa chute, tandis que
les autres étaient certains de leur persévérance. Quoi
qu*il en soit de ces points non résolus, il n'y a pas de
doute que les anges pécheurs, emprisonnés dans Tair,
in judicio jntniendos seroari. II Pet., ii, 4. Le diable
a tenté Thomme qu'il enviait, par l'organe du serpent,
c. xxvii-xxx, n. 34-39, col. 443-445. Le serpent n'est pas
interrogé, et il est puni le premier, quia nec confiteri
peccatum potest, nec habet omnino unde se excuset,
La punition qu'il reçoit alors, non ea pcma, quss ul-
timo judicio reservatur, Matth., xxv, 41,. ted pœna
qum a nabis cavendus est. De Genesi contra mani'
chteos, 1. II, c. XVII, n. 26, P. L,, t. xxxiv, col. 209.
Le diable n'est donc pas puni pour adultère, ivrogne-
rie, fornication ou rapine, mais pour son orgueil seu-
lement, auquel se joint pourtant son envie. Enarrat,
in ps. Lvui, n. 5, P. L,, t. xxxvi, col. 709. Duobus
malis, superbia et invidentia, diabolus est. De sancta
virginitate, c. xxxi, n. 31, P. L., t. xl, col. 413. Jn se
exaltato corde recessit a Deo. Cont. advei^sarium legis
et prophetarum, c. xy, n. 23, P. L., t. xlii, col. 615.
Il n'est donc pas une mauvaise substance. Deserens
dilectionem, et ad sttam nimis conversus, si videri
cupit asqualis, superbiœ tumore dejectus est. Cont.
Secundinum manichœum, c. xvii, ibid., col. 592. Il
est devenu mauvais propina voluntate. Jntumuit per
superbiam et a summa essentia defecit et lapsus est.
De vei^a religione, c. xni, n. 26, P, L., t. xxxiv,
col. 133. n n'était pas l'égal de Dieu; il a voulu se faire
régal de Dieu, Is., xiv, 14, 15, et ainsi il est tombé ;
puis il a versé cet orgueil à l'homme. In Joa., tr.XVII,
16. P. L., t. XXXV, col. 1533.
Les questions de l'origine, de la nature et du péché
du diable que l'évéque d'Hippone avaient traitées, en
393-394, dans son De Gettesi ad litteram, il les a re-
prises, après 415, dans les 1. XI et XII de sa Cité de
Dieu, mais au sujet de tous les anges déchus. Au l.IX,
il avait longuement exposé la doctrine d'Apulée, de
Platon et de Porphyre sur les démons, en concluant
que, si ces païens admettaient de bons et de mauvais
démons, l'Écriture n'en connaissait que de mauvais.
P. L., t. XLi, col. 255-275. A son sentiment, ces mau-
vais anges, avant leur chute, avaient la sagesse ; mais
dans quelle mesure? Étaient-ils égaux aux bons anges?
Personne ne peut le dire. Ils se sont détournés de
ri nomination qui leur donnait la vie bienheureuse. Ils
ont conservé la vie rationnelle, bien qu'elle soit en eux
insipiens. De civitate Dei, 1. XI, c. xi, col. 327. Mais
avaient-ils, avant leur faute, la même félicité que les
anges demeurés fidèles? Saint Augustin pensait qu'ils
avaient eu quelque félicité sans avoir toutefois la
prescience qu^elle durerait pour eux. Il se pourrait
que tous les anges aient eu le même bonheur jusqu'à
la chute des mauvais et qu'après seulement les bons
aient su qu'ils étaient confirmés dans ce bonheur.
Quant au diable, ab initiosuœ conditionis, in veritate
non stetit. Ideo nunquam beatus cum sanctis ange-
Us, suo recusans esse subditum creatori et sua per
superbiam velut privata potestate lœtatus, ac per
hoc falsus et fallax. Il ne s'est jamais soumis à Dieu
per eUuionem. Dès qu'il fut créé, justitiam recusavit.
Néanmoins, on ne peut dire avec les manichéens que,
ab initio, sa nature a été mauvaise : a veritate non
stetit, c. xiii, col. 328-330. Ab initio diabolus peccat.
I Joa., III, 8. Le prince de Babylone a été sa figure.
Is., XIV, 12. Il est le prince de Tyr tombé. Ezech.,
xxYiii, 13, 14. In veritate fuit, non permansit. Il a été
péché, non ab initio quo creatus est, sed ah initio
peccati, quod ab ipsius superbia cotperit esse pecca-
tum. Au commencement, il était figmentum Domini,
C. XV, col. 330, 331. La déchéance progressive des dé-
mons est une erreur d'Origène, c. xxiii, col. 336. Les
démons ont donc péché, in ima hujus mundi detrusi,
qui est velut carcer, usque ad futuram in die judicii
ullimam damnationem. II Pet., ii, 4, c. xxxiii,col.346.
Dieu a donc prévu qu'il y aurait deux catégories
d'anges, dont l'une, éprise de sa propre beauté, a été
précipitée en bas du ciel aérien, où sont les ténèbres*
Dieu a créé les deux sociétés d'anges. Les mauvais
le sont devenus, sua potestate potius delectati, velut
bonum sibi ipsi essejit... habentes elationis fastum,
vanitatis astutiam. L. XII, c. i, n. 1, 2, col. 349. La cause
de leur misère fui' quod ab illo qui sumnie est aversi,
ad seipsos conversi sunt qui non summe sunt. Hoc
vitium, superbia,' Ecc\\. y n, 15, se illi prœferendo. C. vi,
col. 353. Dieu prévoyant quosdam per elationem qua
ipsi sibi ad bealani vitam sufficere vellent, tanti boni
desertores, leur a laissé la liberté, dont ils ont abusé.
L. XXII, c. i, n. 2, col. 751. Les démons n'ont donc pas
été fait mauvais par Dieu; ils le sont devenus peccando,
II Pet., II, 4; aussi la peine du jugement dernier leur
est-elle due pour leur malice. De natura boni contra
manichœos, c. xxxiii, P. L., t. xlii, col. 561-562. Les
anges et les hommes sont l'œuvre de Dieu sine culpa;
culpa nata est per liberum arbitrium, Cont. Julian.
pelagianum, 1. VI, c. xvi, n. 64, P. L., t.XLiv, col. 819.
Tous les anges ont été créés par Dieu; les rebelles sont
rebelles par abus du libre arbitre. Ils ont fui la bonté
qui les rendait heureux; ils n'ont pas pu fuir son juge-
ment, qui les a rendus très malheureux. De correptione
et gratia, c. x, n. 27; c. xi, n. 32, ibid., col. 932, 935.
Sans nier absolument la possibilité pour les anges
d'avoir des relations chamelles avec les femmes,
saint Augustin a cependant refusé d'expliquer la chute
des anges par la concupiscence. A propos de Vénus,
il avait posé, en passant et sans la résoudre, la question
de savoir si les esprits pouvaient coire corporaliter.
De civitate Dei, 1. III, c. v, P. L., t. XLi, col. 81-82.
Il en donna la solution, au sujet des fils de Dieu,
unis aux filles des hommes. Gen., vi, 2-4. Selon lui,
ces fils de Dieu sont des hommes. Mais comme, dans
l'Écriture, les anges sont appelés fils de Dieu, beaucoup
pensent qu'il est question d'eux dans ce récit de la
Genèse. Les anges, étant des esprits, non possunt
coire corporaliter. Toutefois, les anges ont apparu
dans des corps, et le bruit public parle de sylvains et
de faunes amoureux et d'esprits incubes. C'est pour-
quoi, non hinc aliquid audeo definire, utrum aliqui
spiritus, clemenio aerio corporati (on sent cet élé-
ment, quand on agite un /labellum), possint etiam
hanc pati libidinem, utquomodo possunt, sentientibut
feminis misceantur. Quoi qu'il en soit, ce ne sont
pas les saints anges qui sont tombés avec le diable,
leur prince. D'autre part, les hommes sont appelés
anges dans l'Écriture. Les géants ne sont pas néces-
sairement des fils des anges; il y a eu des géants
avant et après le déluge. Le contexte montre que ces
fils de Dieu étaient des hommes : c'étaient les fils de
Seth, alliés aux filles de Gain. Saint Augustin ne tient
pas compte des fables des apocryphes. Le livre d'Hénoch
n'est pas au canon des Écritures, et il n'est pas à croire,
quand il parle de la naissance des géants ex angelis.
Ibid., 1. XV, c. XXII, xxiij, col. 467-470. Cf. 1. XVIII,
c. xxxYiii, col. 598.
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
372
En 419, l'évoque d'Hippone est revenu sur ce sujet,
dans ses Quœstiones in Heptateuchum, 1. I, q. iii,
P. L., t. XXXIV, col. 549. Il se demande comment les
anges ont- ils pu conaimbere cunx filiabus hominutii
et engendrer des géants. II fait observer que beaucoup
de manuscrits latins et grecs n'ont pas angeli Dei,
m^is filii Dei. Quelques-uns résolvent la question en
disant que les hommes justes sont appelés anges de
Dieu. Cf. Mal., m, 1. Mais, si c'étaient des hommes, ont-
ils pu engendrer des géants, et si c'étaient des anges, se
niiscere cttm feniinis 9 Des géants ont pu naître des
hommes; il y en a encore aujourd'hui. D'où, il est plus
croyable que des hommes justes ont été appelés ou
anges ou Gis de Dieu et que,*cédanjt à la concupiscence,
ils ont péché avec des femmes, que d'admettre que
des anges, qui n'ont pas de chair, aient pu commettre
cette faute, quamvis de quibusdam dsenionibus, qui
sint improbimulieribus, amultis tam muîta dicckntur,
ut non facile sit de hac re definienda sententia.
Malgré ses hésitations au sujet de la possibilité de
l'union des démons avec des femmes, saint Augustin
déclare expressément que cette union n'a pas été la
cause de la chute des anges mauvais. Ils sont tombés
par orgueil. Il déclare aussi que ex uno angelo lapso
et damnato cœteri propagali non sunt. EnchiHdion,
c. xxviii, P, L., t. XL, col. 246.
Saint Augustin pensait que les démons avaient un
corps. Bien qu'ils ne soient pas nés ex femina, verum
habent corpus. Semi., xii, c. ix, n. 9, P. L., t. xxxviii,
col. lOi. Ils sont aeria animalia, quorum corporum
aeinorum natura vigent et propterea morte non
dissolventur... Si autem transgr essores illi, ahte
quam transgrederentur, cϔeslia corpora gerebant,
neque hoc mirum est, si conversa sunt ex pcena in
aeriam qualitatem. Ils auraient été changés de feu en
air. De Genesi ad Htteram, 1. III, c. x, n. 14, 15, P. L.,
t. XXXIV, col. 28i, 285. Cf. De divinalione dœmonio-
runi, c. II, P. L., t. xl, col. 584-585. Ils ont un corps
par lequel ils souffrent, puisqu'ils avouent qu'ils sont
tourmentés. De civitate Dei, 1. XXI, c. m, n. 1, P. L.,
t. XLi, col. 710.
 la question si le feu de l'enfer pourra par son
contact brûler les malins esprits, qui sont incorporels,
il faisait deux réponses. Si, avec les hommes doctes,
on dit que les démons ont des corps, formés ea; is/o aère
crasso atque fiumido, cujus impulsus vento fiante
sentilur, cet élément peut subir le feu ; comme dans
les bains, l'air chauffé brûle avant de brûler. Si on dit
que les démons n'ont pas de corps (ce que l'auteur ne
veut pas rechercher ni discuter), les démons souffriront
néanmoins du feu de l'enfer. L'âme de l'homme, qui
est incorporelle, souffre bien par le corps. Donc, bien
qu'incorporels, les démons-esprits, corporeis ignibus
cruciandi, non ut ignés ipsi, quibus adhœrebunt,
eorum junctura inspirenlur et animalia fiant, quo
constent spiritu et cor pore, sedy ut dixi, miris et
ineffabilibus modis adhœrendo, accipienles ex ignibus
pœnam, non dantes ignibus vitam. Qu'ils soient
corporels ou incorporels, les démons seront brûlés
par le feu de la géhenne. L. XXI, c. x, n. i, 2, col. 724-
725.
Ces corps aériens habitent l'air, et pas les astres;
aussi les démons sont-ils dits volatilia cœli. Senn.,
ccxxii, P. L., t. xxxviii, col. J091. Tombé des hau-
teurs des anges, le diable est descendu dans l'air,
qui lui sert de prison; il a été condamné à y vivre.
L'enfer, où il est enfermé, II Pet., ii, 4, est cette partie
inférieure du monde. Enairat.in ps. cxlviii,9jP.L.,
t. xxxvii, col. 1943. Quelques-uns pensaient que les
anges déchus avec l'archange, leur chef, étaient in
superiori parte aeris^ la plus proche du ciel; aussi
distinguaient-ils les anges en célestes et supercélestes.
Mais, après leur péché, les anges sont descendus dans
la partie inférieure de l'air. De Genesi ad litteram,
1. III, c. X, n. 14, P:L., t. xxxiv, col. 284; Enchiridion,
c. xxviii, P. L., t. XL, col. 246. L'air dans lequel ils
vivent leur sert de prison jusqu'au supplice étemel qui
leur est réservé. Epist., cii, q. m, n. 20, P. L.,
t. XXXIII, col. 378; De civitate Dei, 1. VIII, c. xv, n. 1,
2; c. XXII, P. L., t. xLi, col. 239-240, 246. Le diable
habite à l'aquilon. Is., xiv, 13, 14. Enarrat. in
ps, Lxxxin, 12, P. L., t. xxxvii, col. 1127. Si le dragon
est dans la grande mer, c'est qu'il est tombé de sublimi
habitatione cœlorum. Il lui a fallu occuper une place in
hoc marimagno et spatioso. C'est son royaume, qui est
sa prison. Il n'a de pouvoir d'y faire du mal, nisi per-
missus. Il est dans cette mer, il ne peut en sortir. Ce
siège parait grand, parce qu'on ne connaît pas les
sièges angéliques, dont il est tombé. Qum tibi videtur
ejus gloriatio, damnatio est. Il se trouve, en effet, in
infimis. Enarrat. inps. cm, n. 7, 9, 10, P. L., t. xxxvii,
col. 1382, 1385.
Bien que, en punition de leur orgueil, les démons
soient dépravés et in inferioribus ordinati, ils peuvent
néanmoins entendre la voix de Dieu, qui leur parle
comme aux bons anges. Cependant, cela ne veut pas
dire qu'entendant la voix de Dieu, ils auraient pu avoir
la foi chrétienne. Satan a pu paraître en présence de
Dieu, qui voit tout et à qui personne ne peut échapper.
11 a été aussi au milieu des anges, s'il s'agit des bons,
sicut reus in medio apparito}*um judicis ; s'il s'agit des
mauvais, comme un chef au milieu de sa troupe. Mais
il ne voyait pas Dieu, qui lui a parlé par l'intermédiaire
d'un bon ange. Les manichéens prétendaient à tort
qu'il avait vu Dieu. Il voyait le corps de Jésus, lorsqu'il
le tentait, mais il n'a pas connu sa divinité. Serm., xii,
c. iv-ix, n. 4, P. L., t. xxxviii, col. 102-lOi. Cf. De
civitate Dei, 1. IX, c. xxi, P. L., t. xli, col. 273.
Saint Augustin, De divinatione da^moniorum, c. v,
n. 9, P. L., t. XL, col. 586, pour expliquer comment
les démons connaissent l'avenir, avait dit qu'ils con-
naissent très facilement les pensées secrètes des
hommes. Dans ses Rétractations, 1. II, c. xxx, P. L.,
t. xxxir, col. 643, il déclara qu'il avait affirmé trop
audacieusement une chose très cachée, que les démons
ne lisaient pas nos pensées, mais que quelques signes
sensibles qui nous échappent étaient saisis par eux.
Voir t. I, col. 2356. Le prince de la puissance de l'air,
et ses anges, devenus ténèbres par l'abus de leur liberté,
n'ont plus la liberté de bien faire, mais en punition de
leur crime, ils ne peuvent que faire le mal. Epist.,
ccxvH, c. m, n. 9, 10, P. L,, t. xxxiii, col. 981-982. Le
diable sera lié pendant mille ans pour lui enlever le
pouvoir de séduire les nations. Il sera enchaîné dans
l'abtme, c'est-à-dire dans la multitude des impies qui
seront dans l'Église. Il était déjà en eux ; il y demeurera,
mais excludendus a credentibus : ce qui signifie que,
pendant ces mille ans, il ne pourra pas faire de nou-
velles séductions. Il sera délié pour un peu de temps
(trois ans et demi) avant le jugement. De civitate Dei,
1. XX, c. VII, viii, P. L., t. XLI, col. 667-670. Les démons,
créés immortels, seront précipités dans la seconde
mort après le jugement. L. XIII, c. xxiv, n. 6, col. 402.
Saint Augustin a rejeté très explicitement la possibi-
lité, pour les démons, de faire pénitence et d'être réta-
blis dans leur premier état. A Paul Orose, qui l'avait
interrogé si le démon pouvait mériter le pardon, comme
Origène l'avait prétendu, CommonitotHum de errore
origenistarum et priscillianistarum, P. L., t. xiai,
col. 668, l'évéque d'Hippone répond : Sapere nUtU
audeas. La dernière sentence qui les frappera les con-
damnera au feu éternel. Si, dans l'Écriture, setemum
a parfois le sens de diuturnum, ce n'est pas le cas ici.
Le feu éternel n'aura pas de fin, comme la vie éter-
nelle. Dire que le diable ne sera pas rétabli, ce n'est
pas diminuer le pouvoir de Jésus-Christ : Cuni diaboH
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
374
p€tTUU dolemus, de regno Christi non dubitamus. Ad
Oi'Oêium contra priscillianistas et origenistas, c. v,
n. 5; c. VI, n. 7, ibid., col. 672, 673. Si l'homme, qui
a été porté à la superbe par le diable, a été réconcilié
et a eu un rédempteur, angeli qui, nullo suadente,
spontanea prœvatncatione sic lapsi sunt, per media-
toreni non reconciliantur. In Gai, expositio, 24, P, L.,
t. XXXV, col. 2122. Les anges pécheurs ne nous sont
pas supérieurs, parce que nihil eis taie unde sanaren-
fur impen$um est. Étant plus élevés que nous, ils
devaient moins pécher ; ils sont d'autant plus coupa-
bles, qu'ils ont été plus ingrats et déserteurs. Il n'y a
donc pas pour eux de rémission. Jn Joa., tr. CX, n. 7,
ibid., col. 1924-1925. N'étant plus libres de bien faire,
ils sont endurcis dans le mal. Unde nemo sanm fidei
crédit aut dicit hos apostalas angelos ad 'pristinam
fieialeni correcla aliquando volunlate converti.
Epist., ccxvii, c. III, n. 10, P. L., t. xxxiii, col. 982.
Discutant enfin avec le pélagien Julien, qui soutenait
la cause du diable, saint Augustin raisonne ainsi :
Tu attribues au diable ou la nécessité ou la possibilité
de pécher. Si c'est la nécessité, tu né peux l'excuser
de crime; si c'est la possibilité, il ne peut donc avoir
la bonne volonté, ni faire pénitence et ainsi obtenir la
miséricorde de Dieu. C'est l'erreur qu'on proie à Ori-
gène. Restât igitur ut ante supplù^ium ignis œterni,
etiam nécessitas ista peccandi magna^sit diabolo
magni pcma peccati, neque inde excuselur a crimine.
Il est parvenu à cette nécessité de pécher, parce que
d'abord il a librement péché. Operis imperfecli con-
tra Julianum, 1. V, n. 47, P. L., t. XLV, col. 1483-1484.
Et encore : Si tu dis que le diable, volontairement
éloigné du bien, reviendra, s'il le veut et quand il vou-
dra, au bien qu'il a abandonné, tu renouvelles l'erreur
dOrigène, Ibid., 1. VI, n. 10, col. 1518.
Cassien a apporté d'Orient en Occident les mêmes
doctrines sur la chute des démons, et il a rejeté défi-
nitivement la légende du mariage de ces esprits avec
les femmes. Toutes les puissances spirituelles et les
vertus célestes ont été créées par Dieu. Collât., viii,
c. VII, P. L., t. XLix, col. 730-733. De leur nombre,
quelques-unes sont tombées. Ézéchiel et Isaîe parlent
d'un prince déchu. Il n'a pas été seul, puisque l'Écri-
ture dit que le tiers des étoiles a été entraîné par le
dragon. Âpoc, xii, 4. Saint Jude est plus clair encore, et
le psaume lxxxi, 6, mentionne un des princes tombés;
il y en a donc eu d'autres. Leur diversité provient ou
bien des degrés antérieurs, dans lesquels ils avaient
été créés, ou bien des degrés de leurs péchés, comme
les bons anges se diversifient par les degrés de leurs
mérites, c. viii, col. 733-735. Un des moines dit qu'il
croyait que le diable était tombé par jalousie à l'égard
d'Adam et d'Eve. Cassien répond que tel n'a pas été
le motif de sa chute. La Genèse montre que le serpent
était mauvais avant la tentation ; de angelica discesserat
sanctitate. La cause de sa chute est antérieure à sa
jalousie envers les hommes. Se meminerat conquisse.
Priorem ejus lapsum,quo superbiendo corruerat, quo
eiiam serpens meruerat nuncupaH, secunda ruina
fkfrinvidiam subsecuta est. C. ix, x, col. 736-738. Le
serpent a reçu une malédiction éternelle, c. xi, col. 7J9.
Les démons sont nombreux dans l'air : tanta spirituum
densitate constipalus est aer isle, in quo non quieti
nec otiosi pervolitanl. C, xii, col. 740-741. Ils attaquent
les hommes, et ils exercent leur domination chacun
dans son domaine. C. xiii, xiv, col. 741-746. Tout
homme a deux anges : un bon et un mauvais. L'exis-
tence de ce manx'ais ange pour chacun est prouvée
par l'exemple de Job et celui de Judas, dont il est dit
au psaume cviii, 6 : Et diabolus stet a dextris ejus.
C. XVII, col. 730-751. On demanda au conférencier, au
sujet du mariage des anges apostats, utrum hoc possit
spiritali naturœ secundum litleram convenire. Il ré-
pondit : Nullo modo credendum est spinlales naturas
coire cum feminis posse. Si cela avait été possible
autrefois, pourquoi cela ne le serait-il plus aujourd'hui?
On ne peut dire non plus qu'ils engendrent cum se-
mine viri. Le texte biblique appelle anges de Dieu des
descendants de Seth, qui ont épousé des filles de Caîn
et en ont eu des géants. Du reste, divers exemplaires
ont la leçon : « fils de Dieu. » C. xx, xxi, col. 754-760.
Il n'est pas question non plus, Joa., viii, 44, du
père du diable. SpiHlus spiritum non générât. Le
diable, qui a été créé bon, n'a pas d'autre père que
Dieu. Quand par orgueil il dit dans son cœur : In
cadum conscendam, Is., xnr, 13, factus est mendax et
in veritate non stetit. Il est devenu le père du men-
songe, quand il dit : Eritis sicut dii. Gen., m, 5,
c. XXV, col. 767-770. De la description que Cassien fait
de l'action des démons sur les hommes, relevons seule-
ment ces deux traits : ils ne connaissent nos pensées
que par des signes extérieurs, et chacun d'eux inspire
une espèce de passions exclusivement. Collât., vu,
c. XV, XVII, col. 687-690, 691-692. .
Les autres écrivains ecclésiastiques du \* siècle ne
font que répéter l'enseignement commun. Saint Pros-
per d'Aquitaine emprunte à saint Augustin ce qu'il
dit de la chute du diable par orgueil. Liber sententia-
>nim ex operibus S. Augustini detibatai*um, n. 59,
P. L., t. Li, col. 436. Cf. Epigr., 62, col. 516-517. Saint
Pierre Chrysologue attribue cette chute tantôt à l'envie,
Serm., iv, CLXxii, P. L., t. lu, col. 194-195, 649, tantôt
à l'orgueil. Serm., x%vi,co\. 272-273. Dieu, ^wi d«mo-
nes est perpétua crematurus incendio, leur inflige, en
attendant, des peines temporelles. Serm., lu, col. 345.
Saint Léon le Grand emploie les mêmes formules que
saint Augustin pour dire que le diable est tombé par
orgueil. Serm., ix, c. i; xlviii, c. h, P. L., t. liv,
col. 160-161, 299. Les priscillianistes prétendaient que
le diable n'a jamais été bon, ni l'œuvre de Dieu, mais
qu'il était sorti du chaos et des ténèbres; ils en fai-
saient le principe de tout mal. Le pape leur oppose la
foi catholique. Il serait demeuré bon, s'il était resté ce
qu'il avait été fait, mais il a mal usé de son excellence
naturelle et il s'est éloigné du souverain bien, à qui il
devait adhérer. Epist., xv, c. vi, col. 683. De nouveau,
reparaissent les formules augustiniennes. L'auteur de
VEpistolaad Demetriadem, viii, P. L., t. lv, col. 168,
dit : Superbia a diabolo sumpsit exordium, qui,
quoniam sua, quam a crealore acceperat, potentia et
dignitate sibi placuit seque auctoris sui gloHœ com
paravit, cum iis angelis quos inconsensum impietatis
tuœ traxerat a cœlesti humilitate dejectus est. Gen-
nade. De ecclesiasticis dogmatibus, c. ix, P, L.,
t. LViii, col. 983, rejette la restauration finale des dé-
mons et professe l'éternité de leur supplice dans le
feu de l'enfer. Les anges sont corporels, bien qu'ils
n'aient pas de chair, et les démons ont la substance
de la nature angélique. C. xii, col. 98i. Leur nature
était bonne, et pas mauvaise. Le diable, qui était bon,
a péché, c. lx, col. 995. Les anges mauvais sont tombés
par orgueil, c. lxi, col. 998. Ils étaient libres; unde
Satan cum sequentibus legionibus cecidit. C. Lxii,
col. 996.
Les poètes chrétiens de l'époque mettent en vers la
même doctrine. Saint Avit déclare que l'ange était cou-
pable, avant de tenter l'homme. Il décrit en ces termes
son péché :
Se semet fecisse putans, suus Ipse creator
Quod fuerit, rabido concepit corde furorem
Auctoremque negans : Divinum consequar, inquit,
Nomen, et leternam ponam super œthera sedem
Excelso similis, siimmis nec viribus impar.
Poem., 1. II, P. L., t. Lix, col. 331. Il explique le
déluge parla luxure des hommes. L. IV, col. 345-347.
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
376
Pour Prudence, Haniartigenia, 126-128, ibid,,
col. 1021, Dieu n'est pas le père des crimes; ce père
est damnandus Avemo. Dieu n'est pas l'auteur du
mal; c'est lange qui l'a inventé. Bel astre, esprit, saint
et le plus beau des anges,
nimis dum viribus auctus
Inflatur, dum grande tumens sese altios offert.
Il a cru qu'il s'était créé lui-même et qu'il était sans
principe.
Persuasit propriis genitum se viribus, ex se
Materiam sumpsisse sïbi, qua primitus esse
Inciperet, nascique suum sine principe cœptum.
Il a voulu faire une secte, et il a entraîné d'autres
avec lui. Ibid., 157-177, col. 1023-1025. Plus tard, il a
été pris de jalousie pour l'homme, 178 sq.
Conclusion. — Parvenu au terme de cette longue
enquête sur la démonologie pendant les cinq premiers
siècles, il est nécessaire de dégager les principales
pensées des Pères de cette époque sur le diable et les
démons. Si l'attribution de la chute de Satan à la ja-
lousie envers l'homme fut prédominante pendant les
trois premiers siècles, elle ne fut pas cependant uni-
verselle; quelques écrivains ne donnaient pas le motif
qui avait porté Satan à pécher ou en indiquaient d'au-
tres que celui-là. Le passage biblique sur lequel on étayait
ce sentiment était la parole de la Sagesse, ii, 24, suivant
laquelle la mort est entrée dans le monde par l'envie
du diable. La plupart des écrivains ecclésiastiques, qui
expliquaient la chute de Satan par la jalousie, rappor-
taient à la concupiscence charnelle la faute des mauvais
anges. Mais ils étaient presque tous exclusivement tri-
butaires des légendes du livre des Jubilés ou du livre
d'Hénoch ; très peu se réfèrent explicitement au récit
du c. VI de la Genèse, et ils le font, parce qu'ils suivent
la leçon « anges de Dieu ». Quelques-uns de ceux qui
lisaient c fils de Dieu » ne rejetaient pas absolument le
mariage des anges avec des femmes, parce qu'ils attri-
buaient aux anges un certain corps et parce qu'ils
admettaient les fables païennes des faunes, des sylvains,
des esprits incubes et succubes. Tous étaient imbus des
préjugés de leur temps. Mais en cela, ils ne formaient
pas une tradition ecclésiastique, et ils ne donnaient
pas une interprétation traditionnelle du récit de la
Genèse. Aussi, quand le livre d'Hénoch cessa de passer
pour une prophétie, quand les Pères admirent nette-
ment l'incorporéité des anges, quand on attribua la
chute de tous les anges à l'orgueil, c'en fut fait de la
croyance à l'union des anges avec des femmes. Des
textes de l'Écriture, notamment les oracles d'Isaîe et
d'Ézéchiel sur le prince de Tyr et le roi de Babylone,
entendus de Satan à la lettre ou selon l'esprit, et le
passage de l'Apocalypse, xii, 4, sur le tiers des étoiles,
entraîné par le dragon, déjà interprété ainsi par saint
Jérôme, amenèrent les écrivains ecclésiastiques à re-
porter la chute de tous les anges avant la création de
l'homme et à attribuer leur révolte contre Dieu à l'or-
gueil. En faut-il conclure avec M. Turmel que a dans
le cours du iv« et du v« siècle, la doctrine des démons
subit une transformation importante ». « Jusque-là,
continue-t-il, on les croyait issus du commerce des
anges avec les femmes ; on reculait par là même leur
origine vers l'époque du déluge. Â partir du iv« siècle,
l'Église grecque, puis plus tard l'Église latine, ces-
sèrent de voir dans les démons des êtres à moitié An-
géliques et à moitié humains; et elles en firent des
compagnons de Satan, tombés comme lui avant la créa-
tion du genre humain. Cette transformation avait été
provoquée par la disparition de l'ancienne doctrine
qui expliquait la chute des anges par la luxure. » His-
toire de Vangéhlogie, dans la lievue d^histoire et de
littérature religieuses, 1898, t. m, p. 302. Pour faire
essortir celte transformation, M. Turmel attribuer à
tous les anciens écrivains ecclésiastiques l'opinion de
Lactance et de Commodien, qui font des géants, issus
de l'union des anges, des démons. Mais ce sentiment a
été isolé. La plupart pensaient surtout aux anges mariés
et faisaient périr ou enchaîner leur progéniture géante.
Il y a eu donc modification seulement, et pour les rai-
sons indiquées plus haut, du motif de la faute. Si elle
est importante au sujet des démons, elle l'est moins
pour le diable lui-même, qui, tout en ayant péché par
orgueil, est demeuré jaloux de l'homme. Les deux doc-
trines sur sa chute se sont superposées plutôt que rem-
placées. La nature des anges prévaricateurs est donc
restée la même; le motif de leur faute a seul changé.
Pour tous, les anges sont des esprits déchus de leur
première constitution, des esprits, qui n'étaient pas
nécessairement mauvais, que Dieu avait créés libres et
qui avaient mal usé de leur liberté. Devenus prévari-
cateurs, ils ont été expulsés du ciel; ils habitent dans
l'air, et sont destinés à être enfermés pour toujours
dans l'enfer après le jugement dernier. Eusèbe de Ce-
sarée et quelques autres mettent déjà cependant dans
l'enfer la plupart des anges déchus. L'opinion com-
mune leur réserve seulement pour plus tard le supplice
du feu. Le sentiment de leur réintégration finale, pro-
posé par Origène, n*a été admis que par quelques
Pères; la plupart l'ont repoussé catégoriquement. Les
anges, confirmés dans le mal, sont laissés par Dieu
dans le monde pour tenter les hommes. Leur pouvoir
est dépendant de la permission divine et restreint. Plus
lard, ils seront punis dans le feu éternel et de leur pré-
varication première et des nombreux péchés qu'ils ont
commis depuis. La doctrine ecclésiastique sur le diable
et les démons est fixée dans les grandes lignes; elle ne
subira plus dans la suite que des retouches ou des
compléments de détail.
Petau, De angelis, l. III, c. i-viii, dans Dogmata theologica,
Paris, 1866, t IV, p. 57-121 , et dans Cursus completus theologim
de'.Migne, t. wi, col. 807-912 ; J. Schwane, Histoire des dogmes,
trad. Degert, Paris, 1903, t i. p. xxxvi-xlii ; Robert, Les fils de
Dieu et les filles des hommes, dans la Revue biblique, 1895.
t. IV, p. 348-366, 870-378, 535-539 (article tendancieux, écrit en
vue de prouver une thèse fausse) ; J. Turmel, Histoire de Can'^
gélologie des temps apostoliques à la fin du v siècle, dans la
Revue d^histoire et de littérature religieuses, 1898, t m,
p. 289-308 (à compléter et à corriger); Id., Histoire de la théo-
logie positive depuis Forigine jusqu'au concile de Trente,
Paris, 1904, p. 115-118; F. Martin, Le livre d'Hénoch traduit
sur le texte éthiopien, Paris, 1906, p. cxxu-cxxxvi.
III. Du VI» AU XV SIÈCLE. — Durant cette longue pé-
riode de six siècles, la doctrine sur le diable et les dé-
mons n'a fait presque aucun progrès dans l'Église. On
se bornait à conserver et à répéter, bien maigrement
encore, ce que les docteurs précédents avaient dit à ce
sujet. Nous entendrons un écho aflaibli de toutes les
opinions anciennes. Nous nous bornerons à quelques
indications, uniquement pour ne pas rompre la suite
de la tradition.
l* En Orient. — Au vi» siècle, Procope de Gaza, in-
terprétant Gen., I, 2, rapporte que, selon quelques-uns,,
les ténèbres, créées le premier jour, représentaient
le diable, et l'abîme, les mauvais démons. Il ajoute
toutefois que, par sa création, le diable était bon et que
c'est de lui-même qu'il est devenu calomniateur et
mauvais. Comment, in Gen., i, 2, P. G., t. lxxxvii,
col. 45. Il parlait par l'organe du serpent, et sa parole
à Eve : « Vous serez comme des dieux, » signifiait que
les hommes pécheurs ressembleraient aux anges, qui
étaient tombés avec lui. Dieu ne l'interrogea pas, parce
qu'il était incorrigible et inguérissable et qu'il ne méri-
tait pas le pardon. Ibid., m, 1 sq., col. 180, 184, 201.
Dans son commentaire sur Isaîe, Procope n'entend
d'aucune manière du diable le c. xiv. Sur Gen., vi, 2sq.^
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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
378
il observe que quelques exemplaires ont la leçon :
f anges de Dieu. > Quelques-uns pensent que Moïse
désignait par là les puissances déchues ou les anges
apostats. Mais ces anges ne peuvent avoir des relations
avec les femmes; cela répugne à leur nature, quoiqu'ils
abondent en malice. D'autres disent qu'ils avaient ces
relations en même temps que des hommes. Si cela est
vrai, cela ne se serait produit qu'à cette époque : ce qui
serait bien extraordinaire. Le contexte prouve qu'il
s'agit d'hommes sous ce nom d'anges de Dieu. Ibid.,
col. 265, 268. On dit que les anges transgresseurs
apprirent aux femmes, avec qui ils se souillèrent avant
le déluge, certains secrets, et qu'ils les écrivirent sur
des pierres. Cest pourquoi Dieu fit graver le décalogue
sur des pierres. Comment, in Eœod., col. 885-886.
Saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, dit seu-
lement que Lucifer, chassé par Jésus-Christ d'auprès
de la demeure des hommes, habite dans l'abîme.
Laudes in SS, Cyrum et Joannem, n. 15, P. G.,
t. LXXXYii, col. 3397. Saint Jean Climaque attribue à
l'orgueil la perte de tous les démons. Scala paradisi,
grad. XXV et schol. 40, P. G., t. Lxxxviii, col. 1001,
1012. Saint Maxime le Confesseur déclare que les liens
étemels et les ténèbres sont réservés aux anges tombés,
après le jugement seulement. Quœst, ad Thalassium,
q. XI, P. G., t. xc, col. 292-293. Il rapporte la chute du
diable à l'envie : le diable a envié l'homme, parce qu'il
participait à la gloire de Dieu, et il a envié Dieu, parce
que Dieu sauvait l'homme. Capita, cent, iv, n. 48, ibid,,
col. 1325. Anastase le Sinaîte est, sur ce point, mais à
sa façon, du même sentiment. Isaïe et Ézéchiel nous
apprennent que l'un des premiers anges, qui sont des
êtres incorporels, faisant le fanfaron envers Dieu,
tomba avec toute sa troupe. Il se croyait le maître de la
nature. Quand il vit Adam créé et constitué chef du
monde visible, brûlant de jalousie, il trompa l'homme
par Eve. Dés le principe, il s'arma donc contre l'homme.
V'wB dux, IV, P. G., t. Lxxxix, col. 90. Ailleurs, Anastase
risout la question de savoir comment le diable put se
tenir devant Dieu avec les anges. Ce n'est pas au ciel
qu'il était devant Dieu, il n'en était pas digne; Dieu
étant partout, on est devant lui partout où il est avec
ses anges ou ses ministres. Si Satan a reçu de Dieu
la mission de frapper Job, Dieu ne lui a pas parlé; les
actes que Dieu lui concède de faire contre les hommes
sont tenus pour des paroles. Quasst. ad Thalassium,
q. XXXI, col. 568-569. On avait demandé à Anastase si
les paroles de Jérémie, xxvii, 6, sur le roi de Babylone
étaient dites allégoriquement du diable. Il se borne à
répondre que le diable est l'ennemi de Dieu ; mais que,
pour nous châtier de nos péchés. Dieu lui permet
d'agir contre nous. Q. xxxii, col. 569, 572. Enfin, il
affirme que le diable ne force personne à mal faire,
qu'il suggère seulement le mal à accomplir, et il en
conclut qu'il n'est pas l'auteur de toutes les fautes des
hommes. Q. xcviii, col. 752. Un moine de la laure de
Saint^Sabas, nommé Antoine, attribue à l'orgueil la
chute du diable et cite Is., xiv, H. H omit., xlv, P, G.,
t. Lxxxix, col. 1572.
Saint André de Césarée a interprété Apoc, xii, 3 sq.,
de la première chute de Lucifer. Le tiers des étoiles,
entraîné par la queue du dragon, désigne ou bien les
anges poussés par l'envie et l'orgueil à la suite de
Satan, ou bien les hommes broyés par la queue du
monstre. Le combat avec Michel peut aussi s'accom-
moder avec cette chute. Saint Justin a dit que le diable
avait appris seulement au premier avènement du Christ
qu'il serait condamné à l'abîme et à la géhenne du feu.
Comment, in Apec, P. G., t. cvi, col. 321, 325, 328.
La citation de saint Justin est répétée, c. lx, col. 408-
409.
Au VII* siècle, Olympiodore d'Alexandrie dit que Dieu
pariait au diable par l'intermédiaire de ses anges
et qu'il dut accorder à Satan Tautorisation d'attaquer
Job. In beatum Job, P, G., t. xcii, col. 24, 28. Pour
saint Jean Damascène, De fide orthodoxa, 1. Il, c. iv,
P. G., t. xciv, col. 873-877, qui transcrit saint Grégoire
de Nysse, Oral, calech., 6, le prince des vertus angé-
liques, à qui Dieu avait donné la charge de veiller sur
la terre, n'était pas mauvais par nature; il a été créé
bon et capable de bien, sans avoir reçu du créateur
la moindre trace de malice. Il ne supporta pas la beauté
et l'honneur qu'il avait reçu; il a changé librement sa
nature, il s'est révolté contre son Dieu, et le premier, il
est devenu mauvais. Créé lumière, il s'est librement
changé en ténèbres. En même temps que lui, une
troupe innombrable d'anges s'est tournée vers le mal.
Toutefois, ils ne peuvent rien faire sans la permission
de Dieu. Ils prédisent l'avenir, qu'ils ont quelquefois
prévu dans ses causes éloignées ou par simple conjec-
ture; aussi mentent-ils souvent. Ils ne peuvent faire
violence à l'homme. Le feu inextinguible et des sup-
plices éternels leur sont préparés. La pénitence ne
leur est pas plus possible qu'elle ne l'est à l'homme
après sa mort. Dieu a créé le diable, bien qu'il ait
prévu qu'il deviendrait mauvais. Dialogus contra ma-
nichœos, n. 46, col. 1518. La défection du diable a été
libre. De diaconibus, col. 1600. Dans ses Sacra parai-
lela, litl. A, tit. vi, P. G,, t. xcv, col. 1096-1097, il
prouve que les anges pécheurs seront punis, en citant
Job, XXVI, 13; II Pet., ii, 4; Jud., 6, et des passages de
Didyme, de Nil et d'Évagre. Plus loin, litt. A, tit. xxv,
col. 1406-1409, il démontre la chute du diable par I Reg.,
xvi, 23; I Par., xxi, 1 ; Job, xl, 11, 12; xli, 21, 24, 14,
19, 30; Zach., m, 1, 2; Is., xiv, 12-20; Dan., viii, 25;
Sap., II, 24; Matth., iv, 1-10; Luc, x, 18, 19; Jac, iv,
7; I Pet., v, 8, et par une citation de saint Basile (sur
l'envie) et une autre de saint Grégoire de Nazianze (sur
l'arrogance du diable). Saint André de Jérusalem si-
gnale l'orgueil de Lucifer. Orat., xx, P. G,, t. xcvii,
col. 1256. Saint Grégoire d'Agrigente déclare qu'on ne
peut admettre que les démons lisent les pensées des
hommes; ils les découvrent seulement à l'aide de quel-
ques indices ou signes extérieurs. In Ecclesiasten,
1. IX, § 18, P. G., t. xcviii, col. 1124-1125.
Au ix« siècle, Photius répond à plusieurs questions
sur le diable et ses anges. Quel est le père du diable?
Quelques-uns disent que c'est celui qui s'est élevé à la
plus grande malice et a commis les plus grandes
fautes. D'autres répondent que c'est le serpent et qu'il
est tombé avant la création de Thomme. Mais le diable
n'a pas de père; il a des fils qui sont les pécheurs. Le
diable lui-même (et pas son frère) est homicide dès le
commencement; il ne s'est pas maintenu dans la vérité,
parce qu'il a menti contre son créateur. QusRst. ad Am-
philochium, q. XLVii, P. G., t. CI, col. 352-356. Satan
est le diable apostat. Q. ccxli, coi. lOiO-1041. Las
principautés et les puissances résident dans l'air.
Q. cxxii, col. 712-713. Ceux qui pensent que les fils de
Dieu, Gen., vi, étaient des anges, se trompent grossière-
ment; c'étaient les fils de Seth. Q. ccLV, col. 1065-1068.
Au X* siècle, saint Aréthas de Césarée reproduit par-
tiellement les explications de saint André, avec quel-
ques particularités cependant. Pour lui, la queue du
dragon est l'air; ses sept têtes sont des puissances spi-
rituelles. Comment, in Apoc, c. xxxiii, P, G., t. cvi,
col. 661, 664, 665. La parole de saint Justin est citée
encore, c. lx, col. 749. Georges Hamartolos reconnaît
le diable dans le serpent tentateur. Chronic, 1. Vil,
14, P. G., t. ex, col. 1272. Le patriarche d'Alexandrie
Eutychius entend des fils de Seth les fils de Dieu de la
Genèse, tout en ajoutant à son interprétation des dé-
tails légendaires. Ils se trompent ceux qui y voient des
anges. Ces substances simples n'ont pas de passions
voluptueuses. S'ils avaient commis cette faute, ils ne
laisseraient pas une seule fille vierge. Annales, P. G.,
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379
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
380
t. CXI, col. 911-913. Œcuménius cite à son tour la pa-
role de saint Justin. Il applique au diable Is., xiv, 14,
et il ajoute qu'une fois tombé, il a cherché à faire aux
hommes le plus de mal possible. Comment, in Epist.
1 Pétri, c. VII, P. G., t. cxix, col. 573.
Au XI* siècle, Georges Cedrenus emprunte à la Petite
Genèse, c'est-à-dire au livre des Jubilés, des détails
sur la chute des Égrégores ou des veilleurs, mais il
voit en eux des fils de Selh, nommés fils de Dieu à
cause de la beauté de Seth. Ils vécurent proche du
paradis jusqu'à l'an mille, menant la vie des anges.
L'auteur premier de tous les maux, ne supportant pas
leur genre de vie, les poussa à se souiller .vec les filles
de Caïn. De ces unions naquirent les géants. Dieu en
fit dévorer beaucoup par des globes de feu ou par la
foudre; les autres périrent dans le déluge sans s'être
repentis. Les Égrégores avaient pris leurs femmes sur
le mont Hermon; ils leur apprirent les venins et les
incantations. Âzaël, leur chef, apprit aux géants à fa-
briquer des glaives et des instruments de guerre.
Chaque prince (deux cents étaient descendus sur la
montagne) enseigna des secrets particuliers. Ces der-
niers traits qui se rattachent mal aux précédents, sont
empruntés au livre d'Hénoch. Historiarum compen-
dium,P. G., t. cxxi, col. 40-44. Michel Psellus a écritun
traité De dœmonum operatione, P. G,, t. cxxii, col. 820-
876. Sur la nature des démons, il dit qu'ils ont des corps, et
qu'ils remplissent l'air, la terre, les eaux et le monde en-
tier. C. X, col. 841. On les distingue en six genres. C. xi,
col. 844-845. Ils ne sont ni mâles ni femelles, quoiqu'ils
prennent parfois les formes extérieures des deux
sexes ; ils parlent les langues des divers pays, où ils
sont; on peut les frapper et ils soufi'rent des coups
qu'on leur administre. C. xvii, col. 860. Psellus a com-
posé un autre traité : Quœnam sint Grœcoi^m opi-
niones de dœmonibusf <^ol. 876-881. Théophylacle ex-
plique que les puissances de l'air habitent dans l'air
sans y commander ni le gouverner. Celui qui était
leur chef avant la chute est demeuré à leur tête après
leur transgression. Eocpoiitio in Epist. ad Eph., c. ii,
2, P. G., t. cxxiv, col. 1052. Il cite, lui aussi, la parole
de saint Justin. Exposit. in Epist, I S. Pétri, c. v, 8,
P. G., t. cxxv, col. 1249.
Au XII* siècle, Thi.'ophane Kerameus se demande d'où
le démon sait que Jésus peut le tourmenter. Marc,
V, 7. Il ne le sait pas de lui-même, puisque depuis sa
chute il était devenu ténèbres; il le sait par dispensa-
tion divine. Les démons demandaient de ne pas aller
dans l'abime, où ils savaient que d'autres y avaient
déjà été jetés par Jésus. Craignant un pareil sort, ils
préféraient être envoyés dans le corps des pourceaux.
Homil., IX, P. G., t. cxxxii, col. 276. Zonaras rapporte
que le dragon, qui agissait parle serpent, a fait tomber
^ les hommes par jalousie. Annales, 1. I, n. 2, P, G.,
t. cxxxiv, col. 56. Les fils de Dieu, Gen., vi, 2, sont
pour lui exclusivement des fils de Seth; il ne parle
même plus de l'interprétation qui y voyait des anges,
n. 4, col. 60. A la même époque, Michel le Syrien, pa-
triarche des jacobites (1166-1199), rapportait cependant
encore les deux explications de ce passage. Voir t. i,
col. 1255-1256.
2» En Occident, . — Dans son Thesaw^s, Eugippius
emprunte à saint Augustin sa doctrine sur la chute et
la nature du diable : tombé par orgueil, il est l'auteur
du mal. C. xxxvi-xxxviii, P, L., t. lxii, col. 631-637. Il
sera damné à la fin du monde. C. CLXxxviii, col. 643.
Saint Fulgence est aussi tributaire de saint Augustin.
Rien n'a été créé par le diable. De incamatione Filii
Dei, n. 51, P. L., t. lxv, col. 600. L'orgueil est le pre-
mier des péchés. Eccli., x, 15. Ad Monimum, 1. I,
c. xvii, col. 165. Le diable n'est pas mauvais par sa
condition première, mais par sa faute; il a commis le
premier péché, qui Ait un péché d'orgueil. Epist., m.
c. XV, col. 334. Détourné deson créateur et condamné à
la damnation éternelle, il a été jaloux de l'homme. De
fide, n. 31, col. 687. Une partie des anges désobéirent
au créateur et déchurent de leur rang. Us seront
punis au jugement, II Pet., ii, 4, et tourmentés par le
feu éternel. Us n'ont gardé rien de bon de leur condi-
tion première, et ils vivent dans l'air en attendant le
jugement. De Trinitate, c. viii, col. 504. Us ont un
corps aérien, tandis que les bons anges ont un corps
éthéré ou de feu, c. ix, col. 505. Pour saint Césaire
d'Arles, le diable est un archange. D'après les Statula
Ecclesiœ antiqua, 8, P. L., t. Lvi, col. 880, qui sont de
lui, le diable n'était pas mauvais par nature comme le
prétendaient les manichéens; mais il a péché par
orgueil. Set^i., ccxcvi, n. 4, dans l'Appendice de saint
Augustin, P, L., t. xxxix, col. 2311. Voir t. ii, col.2172-
2173; P. Lejay, Le rôle thcologique de Césaire d'Arles,
dans la Bévue d'histoire et de littérature religieuses,
1905, p. 161-162.
Dans son commentaire de l'Apocalypse, écrit sous le
règne de Theudis (531-548), Apringius de Béja parle
peu de Satan. C'est l'ennemi du genre humain, qui
tentait les habitants de la terre et que Jésus-Christ a
lié pour toujours dans l'abîme par la vertu de sa croix,
pour qu'il ne pût séduire encore les nations. Après
mille ans, il sera délié peu de temps, une heure, et
par la volonté de celui qui lui commande. Ce sera après
la résurrection, pour le jugement. Alors, l'auteur des
ténèbres sera lié pour aller aussitôt à sa perte éternelle
dans le feu éternel, où il sera reçu avec tous ceux qu'il
a entraînés dans la faute de son orgueil. Ainsi le sé-
ducteur périra avec ceux qu'il a séduits. Dom Férotin,
Apringius de Béja, Son commentaire de l'Apocalypse,
Paris, 1900, p. 63-66. Un autre commentateur du même
livre, Primasius, évêque d'Adrumète (t586), reconnaît
dans le tiers des étoiles, entraîné par le dragon, omne
corpus malo)^m, sive in angelis quos de cœlo secum
pari rttina delraxit, sive in hominibus quos seduxit.
Le combat avec Michel a lieu, non dans le ciel, mais
dans l'Église. Le dragon représente à la fois le diable
et ses anges, qui ei natura et voluntcUe similes sunt,
et les hommes mauvais. Les démons ont été jetés sur
terre, avant d'y avoir séduit les hommes. Comment, in
Apoc, 1. III, P, L., t. LXYiii, col. 873-875. Cassiodore
ne doute pas, lui, que le combat du dragon et de
Michel n'ait eu lieu au commencement du monde,
quand le dragon, prœcipitatus in tetram corruit,ita ut
locum heatitudinis ulterius non haberet. Complexiones
in Apoc, xii, P. L., t. lxx, col. 1411. Le diable a été
créé bon ; mais, après qu'il eut volontairement péché.
Dieu en a fait l'objet des moqueries des anges, quando
propter exsecrabilem perversitatem nativa dignitate
privatus est. Exposit. inpsalterium, ps. an, 26,i&td.,
col. 736. Satan ou le dragon est le plus méchant des
démons. Sa tête a été brisée, quando superbia ipsius
de cmlo dejccla est et nativam claritatem retinere non
mei'uit, qui se voluntaria obscuritate maeulavit. Ibid.,
ps. Lxxiii, 13, col. 531. Lui et ses ministres seront con-
damnés au jugement dernier. Ibid., ps. cvii, 7, col. 828.
Les hérétiques ne peuvent pas dire que le diable et ses
suivants seront rappelés un jour en grâce, puisque
leur nom est effacé in mtemum et in sssculum sœculi,
Ibid., ps. IX, 5, col. 81.
Saint Grégoire le Grirand a souvent parlé des anges
déchus et de leur chef, surtout dans ses Morales sur
Job, où il interprète du diable les descriptions de
Béhémoth et de Léviathan. Le premier ange apostat,
créé avant toutes choses, s'était promptement eni\Té
d'orgueil. In 1 Beg. expositio, 1. III, c. v, n. 9; L IV,
c. I, n. 9, P. L., t. LXXix, col. 205, 222. Créé bon, il
avait péché volontairement. Moral., ï. XXXII, n. 17, 18,
Pk L., t. Lxxvi, col. 646. Il était la première et la plus
noble des créatures, Ezech., xxxi, 8, 9, tenant le premier
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381
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
382
rang dans les neuf ordres angéliques, un chérubin,
Ezech., xxviii, H, surpassant tous les autres par sa
science, principium viarum DominL N. 47, 48, col. 664-
666. Cf. Homil. in Evangel., xxxiv, n. 7, ibid.,
col. 4250. S'il a perdu sa félicité, il a gardé la gran-
deur de sa nature. Il avait été créé, ut conditorem
8uum caste timere debuisset, mais il a perdu la
crainte de Dieu. Ne craignant plus personne par suite
de sa perversité, jtis perversss UbertatU appetiit ut et
prseesset cœteris et nulli subesset, Is., xiv, 14. Il res-
semblait à Dieu, cujus eo ipso similitudinem perdidit
quo esse ei superbe similis in celsitudinc concupivit.
Qui enini chantateni ejus imitan debuit, subditus
ambiit ejus similitudinem, et hoc quod imitari pote-
rat, aniisit elatus, Sed dum privatam celsitudinem
superbe appetiit; jure perdidit par ticipatam. Relicto
enim eo cui debuit inhœrere principio, suum sibi
appetiit quodam modo esse frincipium. Relicto eo
qui vere ilU sufficere poterat^ se siH sufficei*e posse
judicavit, L. XXXIV, n. 3942, col. 740-741. La faute du
diable a donc consisté à vouloir se rendre indépendant
de Dieu. Mais l'indépendance absolue est un bien
propre de Dieu. Le diable a donc voulu se rendre ainsi
semblable à Dieu. Ce fut là sa première folie. L. XXVIII,
n. 11, col. 452; cf. 1. XXXIV, n. 47, col. 744. Chassé
du ciel, il est dans Tair comme dans une prison, ne ad
caslestia evolare prœvaleat ; pœnœ sub pondère coarcta-
tur; il lui est interdit de tenter les bons autant qu'il le
voudrait. L. VIII, n. 39, t. lxxv, col. 824. C'est ainsi qu'il
est lié; à la fin des temps, il sera délié afin de pouvoir
séduire plus librement les hommes. L. XXXII, n. 22,
t. Lxxvi, col. 649; cf. 1. IV, n. 16, t. lxxv, col. 645-646.
A la fin du monde, il luttera avec saint Michel, extremis
supplicio perimendus, Homil. in Evangel., xxxiv,
n. 9, P. L., t. Lxxvi, col. 1251. Malgré son exclusion
de la compagnie des anges, Satan a pu aller avec eux,
parce que, tout en ayant perdu sa béatitude, il n'a pas
perdu sa nature angélique, nature subtile, quoique
chargée de crimes. Il s'est trouvé en présence de Dieu,
parce que Dieu voit tout et que rien ne lui échappe. Si
Dieu lui parle, il ne l'appelle pas à résipiscence; il lui
reproche ses actes, et le démon répond à Dieu, parce
qu'il ne peut rien lui cacher. Il ne peut agir sans la
permission de Dieu ; sa volonté est mauvaise, sa puis-
sance est juste. L. II, n. 4, 6, 8, t. lxxv, col. 557-564.
Bien que le diable et l'homme aient péché par orgueil,
1. XXIX, n. 8, t. Lxxvï, col. 487, l'homme a été racheté,
et pas l'ange, parce que ce dernier n'avait pas Jes
laiblesses de la chair et pouvait persévérer. Aussi,
librement déchu, il ne fera pas pénitence. L. IV, n. 2,
8, 9, t. LXXV, col. 642. Tous les mauvais esprits ont été
créés absque carnis infirmitate. L. VIII, n. 50, col. 795.
Us sont tombés du ciel éthéré dans le ciel atmosphé-
rique et sur terre, où ils sont errants et vagabonds.
L« II, n. 47, col. ^. C'est parce qu'ils avaient péché
par orgueil que Dieu les a précipités hors du ciel.
In I Heg. expositio, 1. II, c. i, n. 11, P. L., t. lxxix,
col. 81, 82. Ils ont ainsi perdu l'état de vie éternelle.
L. lU, c. II, n. 1, col. 160. Ils sont nombreux les anges
tombés avec le roi d'Egypte, c'est-à-dire avec le prince
des ténèbres, et ils ne veulent pas faire pénitence de
leur faute. C. iv, n.8, col. 187. Ils seront punis de toute
leur malice pendant l'éternité. Tout ce qui sert à faire
progresser la gloire des saints malignis spiritibus
crescit in damnationis augmentum, L. IV, c. iv, n. 10,
col. 241.
Selon Martin, évoque de Braga, Lucifer, le premier
des anges, est tombé par orgueil : il a cru qu'il tenait
de lui-même, et non de la bienfaisance du créateur, sa
prééminence sur tous les anges. Is., xiv, 13, 14. Hœc
enim cogitatio sola illum dejedt subito. Il perdit
ainsi ce que Dieu lui avait donné. Opusculum de super-
bia, 4, P. L., t. lxxu, col. 36-37. Taio, évoque de Sara-
gosse, déclare, après saint Augustin, que le mal n'est
pas une substance et que le diable en est l'auteur.
Sent., 1. 1, c. XV, P. L., t. lxxx, col. 748. Pour saint Isi-
dore de Séville le diable était le premier des anges, un
archange. Sa chute a été irréparable. Elle a eu lieu
avant la création de l'homme, nam, mox ut foetus
est, in superbiam erupit. Fuit quidem in veritate con-
ditus, sed non stando confestim a veritate lapsus est.
Il a péché par orgueil, se Deo œqualem exislimans.
Il ne demanda pas son pardon, parce qu'il ne voulait
pas faire pénitence. Les anges tombés n'ont pas été ra-
chetés, parce qu'ilsn'avaientpas, eux, comme l'homme,
la fragilité de la chair. Sent., 1. I, c. x, n. 5-11, P. L.,
t. Lxxxiir, col. 554-555. Ils étaient mente rationabiles,
superbia tumidi, et superbiam lapsi, nunc in aère
commorantur. Différent., 1. II, c. xiv, n. 22, col. 76.
Au VIII* siècle, le Vénérable Bède reconnaît le diable
dans le serpent tentateur. Hexaemeron, 1. I, P, L.,
t. xci, col. 53; In Pentateuch. comment., Gen., m,
col. 210-211. Dans les fils de Dieu, Gen., vi, 2, il voit
les fils de Seth. Si quelques manuscrits ont la leçon :
« anges de Dieu », il faut l'entendre des hommes.
llexae neron, 1. II, col. 82-83. Les anges déchus sont
enfermés et liés dans l'air ténébreux, qui est l'enfer;
mais ils sont réservés pour de plus grands tourments
au jour du jugement. In II Epis t. S. Pelri, c."ii, P. L.,
t. xciii, col. 75. Ces esprits superbes sont dans l'air
ténébreux. In Epist, Judm, col. 125. Le dragon de
l'Apocalypse, qui est le diable, entraîne avec sa queue
une partie des anges et des hommes. Chassé du ciel,
arctius in terrenis includitur. Explanatio Apoc,
1. II, col. 166, 167. La géhenne est faite pour le diable
et ses anges. Quelques-uns y sont déjà tourmentés;
mais tous subissent toujours et partout la peine du feu :
Qui ubicumque vel in aère volitant vel in terris aut
sub terris vaganlur sive detinentur suai^m secum
ferunt semper toi*menta flammarum, instar febrici-
tantis qui et si in lectis ebwneis et si in locis ponatur
apricis, fervorem tamen velfngus insitisibi languotis
evilcu^e nonpossunt. Expositio super Epist, catholicas,
Jac.,iiJ, 6, col. 27. Saint Julien de Tolède décrit la ter-
reur du diable, quand il sera enlevé pour être damné.
Prognosticon, 1. III, c. vi, P. L., t. xcvi, col. 500. Il sera
précipité en enfer. Apoc, xx, 12, 14, c. xxxviii, col. 515.
Saint Paulin d'Aquilée cite des textes scripturaires pour
montrer que le diable a péché par orgueil, Liber
exhortalionis ad Henricum Forojuliensem, c. xix,
P. L., t. xcix, col. 210-212, et qu'il a été chassé du
ciel. C. LXiv, col. 275.
Au ix<» siècle, Alcuin se demande pourquoi le péché
des anges est omis dans la Genèse, tandis que celui de
l'homme est raconté. La raison qu'il donne dans
sa réponse est que Dieu n'avait pas décrété de
guérir le péché des anges, mais seulement celui de
l'homme. Pourquoi le péché de l'ange est-il inguéris-
sable? Parce que l'ange n'a pas été tenté, mais a été
la propre cause de son crime. Inten^ogationes et reS'
ponsiones in Gen., int. 3, 4, P. L., t. c, col. 517. Le
diable s'est servi du serpent comme d'un instrument.
Int. 60, col. 522. Les fils de Dieu sont des fils de Seth,
ayant épousé des filles de Caïn. Int. 90, col. 526. Quant
à la cause de la misère des mauvais anges, ce fut la
suivante : Noluerunt ad illum custodire fortitudineni
suam, qui est summum bonum, sed aversi sunt ab
illo et ad seipsos conversi sunt, sua propria delectati
potestale. Aussi l'orgueil est-il le premier de tous les
vices, int. 93, col. 526. Smaragde revient à l'envie
pour expliquer la chute du diable : Diabolus inter
initia statim mundi zeli Hvore percussus, periit pri^
mus et sic perdidit alios, Postquam vero hominem
ad imaginem Dei factum conspexit, in zeli livorem
prorupit, et hominem miseruni suademdo decepit,
sed et angelicam beaiitudinem quam habebat, miser-
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383 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 384
rimus amisit, Sap., ii, 24; Via regia, c. xxii, de zelo
et livore, P. L., t. en, col. 961. Saint Âgobard de
Lyon fait du diable Tinventeur de tout mai. Il a été
homicide dès le commencement; il a fait le premier
mal par le serpent, en trompant nos premiers parents.
Semio de fidei veritate, 15, P. L., t. civ, col. 280.
Halitgar, évéque de Cambrai, est plus précis. L'orgueil,
dit-il, a été inventé par le diable. Ce superbe a amené
les anges à mépriser les préceptes de Dieu et en a
fait des démons. De pasnilenlia, 1. II, c. ii, P. L.,
t. cv, col. 659-660. Pour Jonas, évéque d'Orléans, il a
fait aussi des anges des démons, et il a rendu les
hommes égaux aux anges mauvais. De institutione
laicali, 1. III, c. iv, P. L,, t. cvi, col. 239. Fréculph,
évéque de Lisieux, sait encore que les fils de Dieu,
Gen., VI, sont des anges de Dieu. Beaucoup pensent
que les anges ont commis une pareille faute; mais
on ne peut aucunement croire que les saints anges
soient tombés à cette époque. Saint Pierre parle des
anffes qui sont tombés avec leur prince auparavant.
L*£critare appelle anges des hommes. Ces anges étaient
donc des fils de Seth. Chfonic, 1. I, t. i, c. xiv, ibid.,
col. 927. Raban Maur est peu original; il copie les
anciens. Le serpent tentateur était le diable (d'après
saint Augustin). Comment, in Gen.f 1. I, c. xv, P. L.,
t. cvii, col. 486-487. Les fils de Dieu de Gen., vi, sont
les fils de Seth (d'après saint Jérôme et saint Augustin).
Ibid., 1. II, c. V, col. 511-512. Lucifer, représenté par
le prince de Tyr, était un chérubin. Comment, in
Ezech., 1. XI, c. xxviii, P. L., t. ex, col. 790. Avant
sa chute, il avait un corps céleste, qui devint éthéré
après la chute. II habite non dans l'air pur, mais
dans l'air ténébreux, où il est enfermé comme dans
une prison jusqu'au jugement dernier. De nniverso,
1. XV, c. VI, P. L., t. CXI, col. 427. Il a commis une
double faute d'orgueil et d'envie : d'orgueil, par la-
quelle il est tombé; d'envie, par laquelle il a cherché
à faire tomber les autres. Comment, in l. I Reg.,
c. XIII, ibid., col. 42. Walafrid Strabon cite aussi les
prédécesseurs : saint Augustin au sujet du serpent
tentateur, et saint Jérôme à propos des fils dq Dieu,
qui sont des fils de Seth (les géants n'ont pas été en-
gendrés par les anges). Glossa ordinaria, Liber Ge-
nesis, III, VI, P. L., t. cxiii, col. 91, 104. Les anges
apostats ont été précipités au fond de l'abîme, d'après
le Vénérable Bède. Epist. II Pet., t. cxiv, col. 691.
Us souffrent les tourments du feu de l'enfer, partout
OM ils se trouvent d'après le même auteur. Epist.
B. Jacobi, m, 6, col. 676. Le grand dragon de potentia
et superbia loquitur. Apoc. Joa., col. 732. Angelomme,
moine de Luxeuil, voit aussi le diable dans le serpent
tentateur et déclare qu'on a faussement reconnu les
anges dans les fils de Dieu, qui sont les fils de Seth.
Comment, in Gen., m, vi, P. L., t. cxv, col. 135, 155.
Ilaymon d'Halberstadt voit en Nabuchodonosor
l'image du diable, qui a péché par orgueil, et qui est
tombé, non seulement en enfer, sed ad ultimas partes
inferi, qtiia quanto altior gradus, tanto pivfundior
castis. Comment, in haiam, 1. II, P. L., t. cxti,
col. 792. Le diable est conservé dans l'air cruciandtis.
Expositio in Epist. ad Eph., ii, P. L., t. cxvii,
col. 707. Il est Hé dans les cœurs des infidèles, où il
règne; il sera délié à la fin pour séduire davantage.
Expositio in Apoc, 1. VIII, col. 1182-1183. Les démons
ont été créés sans péché, pour servir Dieu ; ils se sont
dépravés volontairement, n'ayant pas voulu demeurer
ce qu'ils étaient. Ils se sont élevés par orgueil contre
le créateur, ont été précipités du haut du ciel et con-
damnés. Leur perdition est irréparable; ils ont perdu
le pouvoir de revenir en arrière. La géhenne a été
faite, dès le commencement du monde, pour eux, et
non pour les hommes. De varietate librorum, 1. III,
c. XLi, xLii, P, L., t. cxviii, col. 950, 951.
Pour Bérengaud, moine de Ferrières, le dragon est
le diable, dont l'envie a introduit la mort dans le
monde. Dans sa première tète, il reconnaît les ré-
prouvés qui, avant le déluge, ont été appelés fils de
l'homme et qui ont été un piège pour les fils de Dieu.
Le diable, qui est le même que le serpent, mit primo
per superbiam de cmlo, et cet ennemi de Dieu et des
hommes fut précipité sur terre avec ses anges. In Apo-
calypsin expositio, vis. iv, P. L., t. xvii, col. él6,
878. Les esprits immondes sont dans les airs, où
more ventoruni indesinenter discummt. Vis. v.
col. 916.
Au xi« siècle, saint Pierre Damien dit que le diable
est si mauvais qu'il ne peut devenir pire. Opusc, iv,
Disceptatio synodalis, P. L., t. cxlv, col. 84-85.
E. Mangenot.
III. DÉMON D*APRÉ8 LES SOOLASTIÇUKS ET LES
THÉOLOGIENS PO^ÉRIEURS. — I. Au Xll* siècle.
II. Auxiii* et au xiv« siècle. III. Depuis le xy« siècle.
I. Au xir SIÈCLE. — Le xii« siècle sert d'intermé-
diaire entre l'époque patristique et la scolastique.
Quelques écrivains de cette époque continuent la mé-
thode de simple exposition; mais bientôt les traités
spéciaux commencent, dans lesquels on emploie la
méthode scolastique. Voir t. i, col. 1222-1223. Recueil-
lons d'abord les enseignements des auteurs non sco-
lastiques.
Pour saint Bruno, fondateur des chartreux, les dé-
mons ont une certaine puissance dans l'air. Expositio
in Epist. ad Eph., ii, P. L., t. CLiii, col. 325. Guibert
de Nogent enseigne aussi que le diable et ses anges
viennent avant le jugement dans le monde qui leur est
pervius, pour tenter les hommes, car ils habitent dans
l'enfer, d'où ils ne pourront plus sortir après le juge-
ment. Le monde sera alors entièrement purifié d'eux. De
pignoribus sanctorum, 1. IV, c. m, P. L., t. clvi,
col. 672-673. Yves de Chartres, à propos de la divina-
tion, expose de combien de manières les démons con-
naissent l'avenir. Comme ils ont un corps aérien, ils
précèdent facilement l'intelligence des hommes, qui ont
un corps terrestre. Leur célérité à voler dans l'air
facilite aussi leur connaissance; ils vont incompara-
blement plus vite que les oiseaux et ils font des choses
merveilleuses. Pour ces deux raisons, ils connaissent
les événements actuels avant l'homme et peuvent les
lui prédire. D'autre part, ils ont acquis pendant leur
longue vie une expérience qui les aide à saisir plus
promptement les faits. Panormia, 1. VIII, c. Lxviii,
P. L., t. CLXi, col. 1322. Saint Brunon d'Asti, évéque
de Segni, explique de la chute de Satan le combat avec
saint Michel de l'Apocalypse, xii. Les démons n'ont
pas de place au ciel, où est le siège de Dieu. Le dragon
avec ses anges a été projeté de supetmis in teiTam, et
cette terre représente les pécheurs dans le cœur des-
quels il règne, n'ayant aucune puissance sur les saints.
Expositio in Apoc, 1. IV, P. L., t. CLXV, col. 670.
Béhémoth, tombé par orgueil, est lié pour qu'on puisse
résister à ses ruses et à son astuce. Sent., l. III, c. viii,
col. 964-965.
Hildebert du Mans peut servir de transition entre les
prédicateurs et les théologiens proprement dits. Dans
ses sermons, il parle de la création et de la chute des
anges. Lucifer a été créé dans le ciel empyrée ou igné;
inter prima Dei opéra conditus est. Stultus fuit, quia
non piwidit sibi in posterum... Conditus est in emi^
nentia et subtimitate vetm scientiœ. Il a péché par
orgueil et de cette sorte : altitudine tantum intumuit,
ut Altissimo œquari posse prmsumpsertt. Hildebert
cite Is., XIV, 13, 14; xxii, 15; Luc, x, 8. Aliis angelis
splendidior conditus (Lucifer), suo vilio cadens foetus
est hesperus. Il a été précipité de l'empyrée dans les
ténèbres de l'air. Serm., ix. De tempore, P. L., t. clxxi,
col. 387. Prœcellens aliis, valde speciosus et sapiens.
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385 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 386
Ezech., xxviu, 12, 13, subtilior nalura; le premier des
neuf chœurs, OYtinihus agminibus pt'œlatus, ex eoruni
comparatione clarior, iUe versus in superbiani ex
nimia clarilate. Is., xiv, 14. Les autres anges déchus
se sont mis d'accord avec lui, et dum Deo siniiles
volebant fieri, sont devenus inférieurs aux hommes et
aux anges demeurés fidèles. Une partie de chacun des
neuf ordres tomba. Les hommes ont été créés pour les
remplacer. Serm,, xlix, col. 582. Lucifer est dans l'air
comme dans une prison, et il y restera jusqu'à la fin
des temps, quando mitleturin igneni œtemum. Serm.,
L, col. 584-585.
Dans son Tractatus théologiens, c. xix, xx, ibid.,
col. 1110-1112, l'évéque du Mans aborde des questions
qu'il n'avait pas traitées en chaire. Il se demande s'il y
eut mora entre la création et la chute de Satan, et il
répond négativement : sine intervallo, slatini ab ini-
tio. Néanmoins, le diable n'a pas toujours été mauvais.
D'après saint Augustin, il est tombé par orgueil. Il était
le plus excellent de tous les anges. Job, XL, 14; Ezech.,
xxviii,12.Cest le sentiment de saint Grégoire le Grand
et de saint Isidore. In creatorem superbiit. Is., xiv,
13. Il a voulu lui devenir semblable, non per imitor
lioneni,sed per ssqualitatem . Il a été jeté dans l'air
ténébreux ad nostrani probationem. Il n'est donc ni
au ciel, ni sur la terre, mais dans l'air, qui est pour
lui quasi carcer usque ad tempus judicii. Alors, il ira
en enfer. Matth., xxv, 42. Cependant, dubitalio est si
tous les anges déchus sont dans l'air ou si quelques-
uns sont déjà dans l'enfer : quod de auctoritate non
multuni certuni habenius. Selon les uns, Lucifer, qui
a plus péché, a été précipité en enfer slatim après son
péché avec quelques autres. Origène pensait que ceux
qui sont vaincus par les hommes qu'ils tentent, statini
denierguntur : ce qui est assez vraisemblable. Les dé-
mons sont obstinés et ne peuvent faire que le mal.
Ont-ils prévu leur chute? Si oui, ou bien ils n'ont pas
voulu l'éviter, et ils étaient mauvais avant leur chute,
ou bien ils ont voulu l'éviter et n'ont pas pu le faire, et
ainsi ils étaient miseri antequam codèrent . C'est pour-
quoi saint Augustin dit qu'ils n'ont pas prévu leur
chute. Lucifer était le plus excellent de ordine supe-
riorum. Il y avait des anges tombés de tous les ordres,
c. XXI, col. 1114.
Honoré d'Autun résume dans son catéchisme la doc-
trine sur les démons. Lucifer, se voyant le premier de
tous, spretis omnibus, voluit Deo aequ^ilis, imo major,
existere. Il voulait avoir un meilleur sort que celui
qu'il avait reçu et commander aux autres tyrannique-
xnent. Il fut chassé du palais et enfermé en prison. Il
était le plus beau, il devint le plus noir et fut exé-
crable d'horreur. Il n'a pas prévu sa chute. Nonplenam
horani in veritate stelit ; mox ut creatus est, cecidit,
pour ne pas goûter le bonheur du ciel, qui ne lui suf-
fisait pas. Les autres anges ont péché en étant d'accord
avec lui. Placuit ejus extollentia, et erant cogitantes
quia, si Deo prsevaluisset, ipsi alii prœferrentur in
polentia prinm. Ils ont été précipités, les uns dans
l'enfer, les autres in tenebrosuni aereni, in quo tanien,
ul in infemo, ardentes luunt supplicium. Tous ne sont
donc pas en enfer, mais plusieurs vivent dans l'air
pour éprouver les justes, séduire les mauvais et être
livrés avec eux lors du dernier jugement au feu éternel.
Ils n'ont pu obtenir leur pardon, parce qu'ils avaient
péché, nulle instigante. Du reste, les anges ayant
chacun par création une nature propre, le Verbe, en
prenant une nature angélique, n'aurait racheté qu'un
ange. Enfin, les anges sont immortels, et la rédemption
devant se faire par la mort du Verbe, ayant pris la na-
ture à racheter, ils étaient irrachetables. Dieu ne les a
pas créés ne pouvant pécher; il leur a donné le libre
arbitre pour qu'ils puissent se justifier et mériter. Bien
qu'ayant prévu leur chute, il les a créés cependant
OICT. DE THÉOL. CATHOL.
propter ornamentum sui operis, comme un peintre qui
met du noir sur un tableau. Elucidarium, l. I, n. 7,
8, P. L., t. CLXXii, col. 1114-1115. Honoré s'occupe du
nombre des anges tombés, dans son Liber duodecini
qussstionibus, c. iv, v, col. 1180-1181. C'est donc, à ses
yeux, une question discutée, qui n'a pas eu entrée dans
son catéchisme. Quelques-uns pensent que la moitié
des anges a péri et qu'il y aura autant d'hommes
pour les remplacer. D'autres, à cause d'Apoc, xii. 4,
n'admettent la chute que du tiers des anges. D'autres,
reconnaissant dix ordres, disent que le lO est tombé
tout entier; ils se fondent sur la parabole des dix
dragmes; aussi dit-on couramment : Decimus chorus
angelorum cecidit. Quant à lui, s'appuyant sur l'auto-
rité de l'Écriture, il ne reconnaît que neuf ordres
angéliques et il prouve que quelques-uns de chaque
ordre sont tombés. Pour cela, il cite divers passages
de l'Écriture qui semblent faire rentrer des démons
dans chacun des neuf ordres. Il dit encore, c. xi,
col. 1183, que les anges ont un corps éthéré, et le
diable un corps aérien, ce qui permet aux démons de
se transformer en des formes diverses, de bêtes, etc.
Rupert, abbé de Deutz, exposa plusieurs fois, et très
longuement, son sentiment sur le diable et les démons,
Dans son traité De Victoria Verbi, 1. I, c. vi-xxvi,
P. L., t. CLXix, col. 1221-1240, il explique d'abord les
différents noms de l'adversaire du Verbe dans l'Écri-
ture; puis, il remonte au commencement du duel de
Satan contre le Verbe. La cause de la rébellion fut
l'orgueil et ce vice portait sur la beauté, la science et
la grandeur de la propre nature du révolté. Ezech.,
xxviii, XXIX, XXXI. C'est par orgueil qu'il devint aussi
le père du mensonge. Il introduisit la sédition parmi
les anges, troubla leur paix et fit de plusieurs des re-
belles de la lumière. Il méprisa les autres anges,
ambitionnant pour lui la majesté et l'égalité de Dieu.
Ezech., XXIX ; Is., xiv. il voulait être adoré et honoré
par l'assemblée des anges tanquam Deus et Dominus
ipsorum. Il chercha à les persuader ut se pro Deo
haberent. Ils ne cédèrent pas à cette tentation. Sed
adulati sunt ei tantumniodo..,, gloriam suani quas-
rebani, non Dei, aimant mieux servir une créature
que le créateur. Satan ayant été créé le premier, les
autres anges n'avaient pas conscience de sa condition
de créature. Aucun ne pouvait dire : J'ai vu Dieu te
créant. Seul, le Verbe pouvait le convaincre de men-
songe. Satan se donna aux anges pour ce qu'il n'était
pas réellement. Ils furent rebelles à la lumière par
orgueil ou envie. Jaloux du créateur, ils élevèrent
Satan, haïrent et repoussèrent le Verbe. Satan fut con-
damné par le Verbe, battu par les saints anges et jeté
hors du ciel. Cependant, non statini ut conditus est
cecidit, et Rupert réfute ceux qui le prétendaient. Leur
sentiment favoriserait le soupçon que Satan a été créé
mauvais tel qu'il est maintenant. Le dies conditionis
n'est pas un jour de 24 heures, puisque le soleil
n'existait pas encore. Après sa faute, la patience de
Dieu l'a attendu, lui laissant le temps de se repentir.
Non parva mora in iniquitate, pour que les bons
anges soient instruits de la justice du jugement qui le
frapperait. Dieu, qui avait prévu sa chute, l'a créé
néanmoins le plus grand, le plus sage et le plus beau
de tous les anges. Il est tombé du ciel, non du sien,
mais de celui du Seigneur. Il n'avait pas été créé dans
ce ciel; il y avait été placé après sa création. 11 fut jeté
dans l'abîme, c'est-à-dire dans le chaos et dans les
ténèbres, qui existaient seuls alors. Le firmament
n'était pas fait encore. Satan est donc tombé, non dans
l'enfer, mais dans l'air, qui est le ciel inférieur.
Rupert a repris le sujet dans son De Trinitale et
operibus ejus, Genesis, 1. I, c. xi-xvii, P. L,, t. CLXvii,
col. 208-215. Tous les anges ont été créés hors du ciel,
où ils ont été transportés après leur création ; ils
IV. - 13
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387 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 388
habitent donc par grâce, et non par nature. Ils sont
corporels. Au premier jour, la lumière a été séparée
des ténèbres, les bons anges des mauvais. Le diable
est tombé par envie ou orgueil. Is., xiv. Il éia^it plenus
sapientia, pevfectus décore, nihilo indigens sapienliœ
Dei. Ezech., xxviii; Is., xiv. Dieu avait prévu sa chute.
Il l'a jeté dans l'air pour être précipité plus tard en
enfer, II Pet., ii, 4 (où l'enfer désigne l'air). Les anges,
détournés de Dieu, ne peuvent revenir à leur premier
état, c. XXIV, col. 221. Le serpent tentateur était l'organe
du diable, 1. III, c. ii, col. 289. Les fils de Dieu sont
les descendants de Seth, 1. IV, c. xii, col. 337-338.
Rupert ne parle pas des anges, quoiqu'il sût bien que
les anges sont appelés fils de Dieu. Comment, in Job,
P. L., t. CLXViii, col. 967. Les démons, qui sont dans
l'air en attendant le jugement, seront tourmentés par
le feu qui leur a été préparé dès la création. Ils seront
tourmentés conformément à leur nature, puisqu'ils ont
des corps aériens. De S, Spiritu, 1. IX, c. xxi, P. L.,
t. CLXVii, col. 1824-1825.
Nouvel exposé dans le traité De glorificatione TrinU
latis et processione S. Spiritus, 1. III, c. viii-xvii,
jP. L., t. CLXix, col. 59-69. Les anges ont péché non
par faiblesse ou ignorance, mais par orgueil. Ezech.,
xxviii, XXIX. Le bel ange est devenu le prince des té-
nèbres. Â cause de son orgueil, il est justement jugé
par le Saint-Esprit, qui s'éloigne de lui. Non statim
cecidit. Ayant prévu sa chute, le Saint-Esprit ne Ta
pas jugé tout de suite ni condamné; il l'a éprouvé. Une
fois la lumière séparée des ténèbres, les démons ne
peuvent pas retourner à leur état primitif. Quelques-
uns pensent que beaucoup d'anges de tous les ordres
sont tombés; cela n'est pas prouvé par l'Écriture. Ils
n'étaient pas encore établis dans leurs ordres avant la
chute des démons, 'qui, autrement, n'auraient pas pu
pécher. Satan est lié pour longtemps, plus tard il sera
jeté dans l'abîme.
Les esprits mauvais enviaient la gloire du créateur.
Diabolus superbivit et sibimet ipse placuit tanquam
sibi sufficiens. Comment, in Matth., 1. XIII, P. L.,
t. CLXViii, col. 1627. Nabuchodonosor est le type du
diable orgueilleux. In Danielem prophetam, c. ii,
P. L., t. CLXVii, col. 1500-1501. Satan a été jugé par
trois fois : quand il fut chassé du ciel à cause de son
orgueil, à la malédiction du serpent, et au jugement de
l'homme de péché. In Hab., 1. II, P. L., t. clxvhi,
col. 603. Satan paraissait parmi les anges et devant
Dieu, parce que Dieu voit tout. Dieu l'interroge, parce
qu'il lui demande raison de ses actes, et Satan répond,
parce qu'il ne peut rien cacher à Dieu. Comment, in
Job, ibid,, col. 967. Rupert n'entend pas des anges le
tiers des étoiles entraîné par la queue du dragon. In
Apoc, l. VII, ibid., col. 1047.
Quelques années plus tard, saint Anselme compose
un traité spécial De çasu diaboli sous forme de dia-
logue, P. L., t. CLviii, col. 325-360. Voir t. i, col. 1338.
Les anges ont tout reçu de Dieu, qui pourtant n'a pas
donné au diable la persévérance, quia ille non accepit.
Le diable, en effet, noluit tenere quod habebat, voluit
deserere. Quomodo peccavit et voluit similis esse Dei f
Il n'a pas voulu reconnaître une volonté supérieure à
la sienne; il a voulu même que sa volonté propre soit
supérieure à celle de Dieu. L'ange déserteur n'a pas
pu revenir à la justice. Voir 1. 1, col. 1224. Il n*a pas pu
prévoir qu'il tomberait. Il savait qu'il ne devait pas
vouloir ce qu'il voulait et qu'il serait puni; il n'a pas
pu l'ignorer. Le mal est donc venu dans l'ange qui
était bon, parce que celui-ci a volontairement aban-
donné la justice. Dans son Cur Deus homo, 1. 1, c. xviii,
col. 389, saint Anselme a admis que le nombre des anges
devait être complété par les hommes. Il en tire cette
conclusion relativement au nombre des anges tombés :
Non sequitur tolangelos cecidisse quot perseverarunt.
parce que le nombre des anges n'était pas parfait avant
la chute des mauvais.
Abélard s'est peu occupé des démons. II leur attribua
la possession de la charité. Dialogus inter philosophum,
judœum et christianum, P. L., t. CLXXViii, col. 1659.
Dans son Sic et non, 47, col. 1415-1417, il a reproduit
des témoignages de saint Isidore, de saint Augustin et
d'Eugippius en faveur de la chute des anges avant la
création de l'homme, et d'autres de saint Gyprien et de
saint Jérôme, affirmant qu'elle a eu lieu au moment de
cette création. Dans le 16* de ses articles, qui ont été
condamnés en 1141, il niait l'intervention directe du
démon et bornait son action à l'emploi des forces natu-
relles, des éléments et des plantes. Voir t. i, col. 45, 47.
Hervée de Bourgdieu explique que Lucifer a voulu
être le maître des anges : il semble le faire précipiter
directement dans l'enfer. Comment, in Jsaiam, 1. II,
P. L., t. CLXxxi, col. 164-166. Cependant, il appelle
Satan le prince de l'air. Comment, in Epist. ad Eph,,
II, col. 1221.
Saint Bernard attribue la chute de Lucifer à l'orgueil.
Serm., i, de tempore, n. 3, P. L., t. Clxxxiii, col. 36;
Jn rogationibus, serm. i, n. 1, col. 296; Jn Cantica,
serm. xvii, n. 5; lxix, n. 3, 4, col. 857, 1113-1114. L'or-
gueil du diable appartient au premier degré de ce vice
qui est la curiosité. Le diable n'avait pas prévu sa chute.
Tractatus de gradibus superbias, part. II, c. x, n. 31-
36, P. L., t. CLXXXii, col. 959-962. Il a été précipité dans
l'air. In Cantica, serm. Liv, n. 4, P. L., t. CLXxxiii,
col. 1040. Il ne subira la peine du feu de l'enfer qu'après
le dernier jugement. Voir t. ir, col. 770.
Robert PuUus déclare que l'ange, créé libre, potuit
malum. Il se demande : Qualef et il répond : De
excellenti natura intumuit, au point de vouloir s'éga-
ler à Dieu. Non perduravit in veritate. Dès qu'il fut,
il vit Dieu, quoiqu'il ne l'ait pas connu complètement.
Malgré cette connaissance de Dieu, il a pu cependant
ne pas prévoir sa chute. Auparavant, il était opus Dei
bonum, optimum; après, il est devenu substantia non
bona, nec Dei creatura (en tant que mauvais). Les
démons, licet incorporel, peracto judido, subiront
dans l'enfer des peines corporelles. Ils souffrent déjà
des affections de l'air, on ils habitent, mais ils sont
réservés pour de plus grandes souffrances. Sent., 1. II,
c. IV- VI, P. L,, t. CLXxxvi, col. 721-725. Ils sont tombés
des neuf ordres; ils servent leur prince dans leur
ordre. Robert PuUus essaie d'expliquer comment il peut
en être ainsi et comment le service répond à la nature
première de ces anges déchus. Quanta leur prince, il
était summus ou inter summos, plus exactement un
chérubin, Ezech., xxviii, 12, nisi forte ordine seraph,
interpretatione cherub. Quoi qu'il en soit, magnus fuit
et plus de se quam esset sentit. Les démons étaient
d'accord avec lui et leur chute est irréparable. Quelques-
uns pensent que le prince des démons n'était pas si
élevé. Toutefois, il n'a pas goûté le bonheur de la vie
parfaite : nolendo accipere, amisit; continua cecidit.
Sent., l. VI, c. XLv-XLViiî, col. 887-891.
Roland Bandinelli, plus tard le pape Alexandre III,
affirme que les démons ont été créés bons, et bien qu'il
ait subi l'influence d'Abélard, il s'écarte du maître au
sujet de leur béatitude et il montre qu'ils n'eurent jamais
la charité qu'Abélard leur avait attribuée. Gielt, Die
Sentenzen Rolands, Fribourg-en-Brisgau, 1891, p. 89-
93. Ils n'avaient pas prévu leur chute, qui a été volon-
taire. Ils savaient qn'ils faisaient mal, aussi sont-ils
endurcis dans le mal, p. 95. Selon lui, ils ne sont pas
de tous les ordres, puisque la division hiérarchique
des anges a suivi la chute du diable et l'entrée des bons
anges dans la béatitude, p. 101.
Hugues de Saint-Victor enseigne que les anges ont
été créés bons et libres. Leur séparation en bons et en
mauvais s'est faite par la conversio des iustes et Vaversio
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s iustes et laversio
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:)89 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 390
des injiistes. Ceux-ci n^ont pas eu de grâce coopérante.
Un plus grand nombre d'anges sont demeurés Ûdéles,
qulï n*y en a eu de déchus. De 8<icramentis, 1. I,
part. V, c. XIX, xx, xxiii, xxiv, xx.\i, P. L., t. clxxvi,
col. 354-257, 261. Le diable est lié; il ne peut faire tout
ce qu'il veut; à la fin des temps, il sera délié pour un
moment, pour la dernière persécution, 1. II, part. XVII,
c. m, IV, col. 597-598.
Son disciple, auteur de la Summa sententiaruni
(voir t. I, col. 52-5i), tr. II, c. m, iv, ibid., col. 83-85,
cite textuellement le Traclatus theologictis d'Hildebert
du Mans sur la chute du diable et sur sa prééminence
avant la chute. Voir col. 385.
Enfin, Pierre Lombard connaît les sentiments diffé-
rents de ses devanciers; il les résume parfois et il
prend souvent parti. Selon lui, les démons ont été
créés nec beati nec miseri. Non erant prœscii even-
tut $ui, et ils n'avaient pas connaissance de ce qui
devait suivre. Ils n'ont pas été bienheureux, à moins
qu'on appelle béatitude leur état d'innocence. Donc,
in creoUione, boni et non mali, nec beati. Sent,, 1. II,
dist. IV, n. 1 , 3, 6, P. X., t. cxcii, col. 660, 661. Quelques-
uns ont pensé qu'il ne fallait pas leur imputer de s'être
détournés de Dieu, parce que la grâce ne leur avait pas
été donnée. Gratta non data ex meriti$ suis.., Culpa
eorum fuit, quia, cuni store possetU, noluerunt quous-
q%ie gratia apponeretur,., Poterant non cadere, sed sua
spontanea voluntate declinaverunt, dist. V, n. 5, 6,
col. 661-662. De majoribus et de minoribus quidam
ceciderunt. Le plus excellent de tous corruit. Job, xl;
Ezech., XXVIII ; S. Grégoire le Grand. Il tomba par
orgueil, c/e empyreo in caliginosum aerem, Âpoc, xii,
et beaucoup d'anges avec lui pour nous éprouver. Le
prince de l'air n'est ni au ciel ni sur terre, mais dans
l'air. Parmi les démons, il y a des chefs et des sujets ;
leur science est plus grande ou moindre. Quidam
prœsunt uni provincim, uni homini, aliqui uni vitio.
Quotidie in infemum descendunt aliqui ; verisiinile
est, qui animas illuc cruciandas deducunt. Aliqui sem-
per sunt^ altertiis forte vicibus, non pf*ocul est a vero.
Quelques-uns pensent que Lucifer a été relégué en
enfer, dès qu'il a eu tenté Jésus-Christ; d'autres, ex
quo cecidit. Pierre Lombard ne se prononce pas. Sive
in infemum demettus, sive non, il n'a pas mainte-
nant le pouvoir qu'il aura au temps de TAntéchrist. Il
sera délié alors et il aura un plus grand pouvoir de
tenter. Quant aux démons, semel victi a sanctis, non
aceedunl ampliits ad alias, et Lombard cite en preuve
Origène, Homil,, xv, ad libr. Josue, c. xii, dist. VI,
n. 1-8, col. 662-664. Obstinés dans le mal, les démons
ne peuvent pas vouloir le bien. Ils ont cependant le
libre arbitre, mais ils ne peuvent ad utrumque flecti. Ils
n'ont pas perdu leur intelligence et ils l'exercent sou-
vent de diverses manières. Ils ne peuvent pas se servir
de la matière ad nutum, ni créer (par exemple, les ser-
pents et les grenouilles que produisaient les mages).
Ils peuvent beaucoup par leurs forces naturelles et leur
subtilité, si permittantur ab angelis potentioribus ex
imperio Dei, dist. VII, n. 1, 2, 4, 7, 8, 11, col. 664-667.
Saint Augustin a appelé les démons aet^ea animalia,
dist. VIII, n. 7, col. 667.
Pierre Comestor dit un seul mot de la chute du
diable : Lucifer, dejectus a paradiso spiril'uum, invi-
dit homini quod esset in paradiso corporum. Hislo-
ria sckolastica. Liber Genesis, c. xxi, P. L., t.cxcviii,
col. 10?2. Plus loin, c. xxxi, col. 1081, il expose la
cause du déluge : le mariage des fils de Dieu ou des
fils du pieux Seth, avec les filles de Caîn. II connaît la
leçon : c anges de Dieu », mais il l'interprète encore
des fils de Seth. Il ajoute toutefois cette remarque :
Potuit etiam esse ut incubi dœmones genuissent gi-
gantes, et il emprunte à leur sujet à saint Méthode des
détails qui proviennent du livre des Jubilés.
Voir t. I, col. 1222-1226 ; A. Mignon, Les origines de la sco-
lastique et Hugues de Saint- Victor, Paris, a. d. (18^), t. i,
p. 343-349, 361-364; J. Turmel, Histoire de Vangélologie, dans
la Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. iv,
p. 289-309, 537-550, passim; Id., Histoire de la théologie posi-
tive, Paris, 1904, p. 291-292. Voir aussi, parmi les Indices de la
P. L., de Migne, l'index, xxxv, De dœmonibus, t. ii, col. 43-50.
II. Au xiii» ET AU XIV* SIÈCLE. — Les vues des théo-
logiens sur le diable et les démons vont se systémati-
sant de plus en plus pour arriver à une systématisa-
tion complète dans les œuvres de saint Thomas et de
Duns Scot. Les docteurs justifient par des arguments
de raison les données qu'ils empruntent à l'Écriture
et à la tradition et qu'ils groupent et ordonnent logi-
quement. Ils y joignent beaucoup de spéculations
philosophiques.
1» Pierre de Poitiers. — 11 pense que les anges ont
été créés dans le ciel empyrée. Une des preuves, c'est
que Lucifer, cum esset in cœlo, a voulu atteindre la
sublimité de la divinité. Sent., 1. II, c. ii, P, L.,
t. ccxi, col. 942. Quelques-uns prétendent que les
anges déchus ont été créés mauvais et ils justifient
leur sentiment par des autorités (Joa., viii, 44; Job,
XL, 14; Ps. cm, 26, et un texte de saint Augustin) et
par des raisons. Ce sont trois raisonnements portant
sur ces dilemmes : ils ont été créés justes ou injustes,
parfaits ou imparfaits, bienheureux ou non. Mais
Pierre de Poitiers conclut que si Dieu avait créé
l'ange mauvais, il serait l'auteur du mal, ce qui est
impossible. Lucifer non fuit ab initia malus, sed sta-
tint post. Puis, il réfute les arguments opposés. Au
cours de sa réfutation, il affirme qu'avant leur faute
les anges déchus non habebant naturam glorificatam,
c. III, col. 943-944. Ils ont péché, parce que la grâce
opérante ne leur a pas été donnée, et ils sont respon-
sables, parce qu'ils n'ont pas attendu qu'elle leur fût
donnée. Diabolo non est ablatum aliquod bonum na-
turale. Loin d'obtenir mitigation de sa peine, magis
ac magis punietur, parce que semper crescit posna
a culpa. D'autre part, il sera puni davantage après le
jugement ;f une Deus punietperse, non per ministros.
Quelques-uns pensent que, depuis la passion, Lucifer
a été jeté en enfer. Mais il est maintenant in aère ca-
liginoso; après le jugement, il ira dans l'enfer. Non-
dum patitur diabolus tenebras exteriores, quia non-
dum omnino obliviscilur Deum, c. iv, col. 945-951.
Les ordres angéliques étaient-ils constitués avant lu
chute? On lit : De singulis ordinibus ceciderunt.
Quelques-uns font de Lucifer un séraphin. Non ita
distincti ab initio susb creationis. Que penser du
10* ordre tombé? Un'y a pas eu dix ordres, mais neuf.
Tôt angeli ceciderunt quod ex eis posset decimus ordo
constitui. S'ils avaient persévéré, il n'y aurait cepen-
dant pas eu un 10* ordre. 11 y aora au ciel plus
d'hommes élus que d'anges tombés. Lucifer était le
plus excellent des anges, c. v, col. 953-954. Les anges
mauvais sont députés par Dieu, dit-on, pour suggérer
le mal et on cite l'exemple des prophètes d'Achab. Dieu
leur permet d'agir pour, punir ou châtier les hommes,
mais il ne veut pas le mal, et Pierre de Poitiers résout
les objections contraires, c. vi, col. 957-958.
2® Guillaume d^ Auvergne. — L'évoque de Paris, qui
condamna le sentiment de ceux qui prétendaient que
le démon a été créé mauvais, voir d'Argentré, Collectio
judiciorum, Paris, 1728, t. i, p. 186, s'est occupé lon-
guement, mais obscurément et sans ordre, des anges
et des démons dans son traité De universo. Non seule-
ment il ne distingue pas les sujets différents qu'il
traite, il mêle encore aux questions théologiques beau-
coup de légendes populaires. Pour lui, le péché du
premier ange a été l'orgueil, II» II*, c. Lvii, Opéra om-
nia, in-fol., Venise, 1591, p. 848. En quoi a consisté ce
péché? Prœesse voluit et consequenter dicere potest
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391 DÉMON D'APRÈS LES SGOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 392
ipsum Dei F'dium imitari voluisse. Unde fuit ausm
non suhesse creatori f Ipsum pvœesse tanta libidine
ei placuit ut subesse non curaverit, adhmrens ipsi
prspesse amove. Comment en est-il arrivé là? Inflam-
matus falsa pulchritudine et illusoria deleclatione
falsœ denominationis, c. LViii, p. 849, 850. Aussi a-t-il
été profondément perverti par l'orgueil. Après cela, il
a envié le Fils de Dieu, ayant vu que son règne devait
se répandre parmi les hommes. Toutefois, il n'a pas
été jaloux de sa gloire ni de sa divinité. Ambitieux
adversus creatoreni, il n'est pas loin de la probabilité
qu'il a voulu être honoré comme Dieu, c. Lix, p. 852-
85i. Quant à la multitude des anges déchus, noninlen-
debat aliquid in creatoris injuriam altentare, Cuni
sciret se contra euni penitus non posse. Bien que le
premier ange ait eu la présomption d'être obéi par
beaucoup et de commander, il ne suggéra pas aux
autres anges et il ne leur persuada pas non plus de
l'adorer comme le Très-Haut. Son ambition ne fut que
l'occasion de leur péché. Leur sédition s'est faite sans
contrat. Chacun a péché par sa volonté, l'appliquant au
faux bien, c. LX, p. 854, 855. Ils ont admiré la sagesse
prééminente naturelle du premier ange et se sont
enorgueillis, c. lxi, p. 857. Dieu ne leur permet pas de
faire tout le mal qu'ils voudraient, et leurs pouvoirs
sont limités. Sunt in aère usque in diem judicii,
c. LXii, p. 859, 871. Ils sont dans la région inférieure
et ténébreuse de l'air, a qua in cœluni ut expulsi
transcendere non valent. Leur exil est perpétuel.
Guillaume explique longuement la présence de Satan
au conseil des anges et l'envoi d'un esprit de mensonge
par Dieu aux prophètes d'Achab, ainsi que les appari-
tions des démons, qui n'empêchent pas qu'ils habitent
dans la partie inférieure de l'air, c. xciii, xciv, p. 892,
893. Ils y sont légion et ils y tentent les hommes par
permission divine, c. xcv, p. 893. Dieu leur maintient
leurs pouvoirs, qui, cependant, sont incomparable-
ment diminués, détériorés, liés et soumis aux bons
anges, c. cxvii, c\vin, p. 910-91 i. Dieu permet à ces bêtes
d'attaquer les hommes pour dévorer les impies (œuvre
de justice) et pour nous inspirer une crainte salutaire
(œuvre de piété), c. clxiii, p. 955. Dans la II» III*,
c. i-iv, p. 957-961, Guillaume montre comment chacune
des facultés naturelles des démons est diminuée et dé-
tériorée. Il explique par l'obscurcissement de l'intelli-
gence, l'infatuation du chef des démons. Maximis
bonis prœditus fuit et in donis creatoris prœstantis-
sinius. Par suite, son péché d'orgueil fut plus grand
que celui des autres anges, qui n'ont fait que partici-
per à sa faute en y consentant : Tanta quippe mali-
gnitate succensi sunt adversus creatoreni et homines,
ut libertateni arbitrii quodammodo amiserint. Ils se
réjouissent de tout le mal qu'ils font, p. 961, 962. Ils
n'ont pas toutefois de pouvoir sur les bons. Ils sont
nombreux et se trouvent partout. Ils ne tombent pas
tous les jours du ciel, ni de nouveaux ne sont pas
créés tous les jours, comme d'aucuns le disent. Ils ne
sont pas divisés en douze ordres, comme un écrivain
l'a prétendu; ils ne forment pas non plus des ordres
contraires à ceux des bons anges : il n'y a pas d'anti-
séraphins, etc., c. vi-x, p. 965-976. Comme ils sont or-
gueilleux, ils sont toujours en querelle entre eux ; ce-
pendant, leur malignité les empêche de se révolter
contre leur prince, quoiqu'ils lui soient soumis comme
à un tyran. Les démons supérieurs punissent les infé-
rieurs, c. xiv-xvi, p. 984-985. Ils souffrent des peines
coy)orelles, c. xvii, p. 987. A propos de démons in-
cubes et succubes, Guillaume signale la leçon « anges
de Dieu » de Gen., vi. Bien qu'il admette l'existence des
incubes et des succubes (voir c. ii, p. 958-959, l'expli-
cation du fait, produit non par convoitise, dont les dé-
mons ne sont pas capables, mais plutôt par malice
pour souiller leurs victimes), il déclare impossible la
génération des géants par le commerce des anges avec
des femmes, c. xxv, p. 1008.
30 Alexandre de Halès. — Le célèbre franciscain
est plus sobre et plus didactique. Il parle des démons
en passant, lorsqu'il traite des anges. A propos de la
prévoyance des anges, il déclare que les mauvais n'ont
pas prévu leur chute; tout au plus auraient-ils pu le
faire, ea saltem ratione quod judicia Dei abrjssus
multa et investigabiles viœ ejus. Il explique la raison
qu'en a donnée saint Augustin, à savoir qu'ils n'avaient
pas scienliam deiforrnem. Dieu aurait pu la leur révé-
ler, mais cela n'était pas expédient. Summa theologiœ,
part. II, q. xxv, m. ii, m, Venise, 1575, p. 46. Ils peu-
vent connaître l'avenir conjecturaliter semper et sub-
obscure, idque aut ex diuturna experientia aut ex
acumine intelligentiœ aut ex revelatione supernorum
spirituum, q. xxvi, m. iv. Ils ne sont pas devenus
mauvais au moment même de leur création; les deux
instants sont distincts. D'où on suppose qu'il y a eu
morula quœdam intertnedia, in qua moverentur
motu naturali tantum, tumsecundum dffectum, tuni
secundum intellectum, nec tamen mererentur nec
demererentur. Les instants ont pu être contigus. Néan-
moins, on dit : Non statim fuerunt mali, ce qu'il
faut expliquer : repente ou statim post. Il suffit d'un
temps imperceptible, q. xxix, m. i, a. 7, p. 54. Dœ-
nwnes naturali dilectione, etsi non actualiter, habi-
tualiter tamen Deum diligunt, se vero etiam actuali-
ter, q. XXX, m. III, p. 58. Etiam malos Deus mittit,
nec ideo perdit, sicut illi profecto perderunt. Quand
leur action est nuisible, il dirige leur mauvaise volonté
vers le bien, en permettant l'épreuve des bons, q. xxxvi,
m. Il, p. 65. Prœsunt mali sibi invicem ante diem
judicii; mais après ce jour, il n'y aura plus entre eux
de préséance, q. xxxvii, m. m, p. 66.
4o Saint Bonaventure, — Le docteur séraphique
développe davantage la doctrine sur les démons dans
son Commentaire des Sentences, Opéra, Lyon, 1668,
t. IV, p. 29-115. Il déclare impossible que Dieu ail créé
l'ange mauvais. Celui-ci n'a donc pas péché statim a
primo instanli, et saint Bonaventure admet aussi qu'il
y ait eu quœdam parvula morula. In IV Sent., l. II,
dist. III, part. II, a. 1, q. i,ii. Pas plus que les autres
anges, il n'avait été créé in statu beatitudinis, ni en
l'état de grâce sanctifiante, dist. IV, a. 1, q. i, ii. Il n'a
pas pu avoir une prescience certaine de sa chute, a. 2,
q. II. Le péché des anges a commencé par la présomp-
tion, a été complété par l'ambition et confirmé dans
l'envie et l'aversion de haine. Le premier péché a donc
été un péché d'orgueil. Lucifer, rendu présomptueux
à cause de sa beauté, appeliit quod supra se fuit et
ad quod pervenire non poterat. L'ambition l'a rendu
envieux. Kn quoi consista au juste son désir? Il a
désiré égaler Dieu quodam modo œquiparantiœ et
quodam modo imitationis. Quelle était la ressem-
blance avec Dieu qu'il désirait? Celle-ci : cum sua
auctoritate (de Dieu) aliis prœesse, et cela sine meritis
et dalore, donc propria auctoritate, nullique subesse,
dist. V, a. 1, q. i, ii. Les anges inférieurs ont aussi
péché par orgueil, non tantum consentiendo au péché
de Lucifer, sed sil)i quoque excellentiani appetendo,
ad quam non posse sine ipsius Luciferi subliniitate
pervenire' putaverunt. Les relations de leur péché
avec celui de Lucifer furent, tum quoad gravitatetn
delicti (le premier fut plus grave), tum quoad occasio-
nem (il servit d'exemple aux autres), tum quoad du-
rationem (il a précédé le leur), a. 2, q. i, ii. Quant à
leur condition antérieure, Lucifer, quantum ad capa-
citatem naturœ, futurus erat de primo beataruni
mentium ordine : qui, si stetisset, nierito gratias in-
ter primos annumeratus fuisset, dist. VI, a. 1, q. i.
Les autres anges déchus étaient de tous les ordres,
comme l'a dit Hugues de Saint- Victor (en réalité, son
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393 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 394
disciple^ auteur de la Sunima senlenliafuni, copiant
Hildebert du Mans), q. ii. Quant au lieu qu'occupent
les démons, locus, antediem judicii, non est infeimut
$ubten\ineu8, $ed aer caliginosus, licet probabile sit
ntmnullos eoruni ad lorquendas animcu eo descen-
dere, a. 2, q. i. Licet nonnuUi satis pi^obabiliter sen-
serint malo$ angelos ubique et ante extrenn judicii
dieni infemali cruciatu torqueri, aliis tameii proba-
bilior censetur sententia dicentiuni pœnam ignis
ttsqve ad novissiniuni diem ill'ts diffen'i, q. ii. Jnter
dœniones est ordo secundum prœcellentiam natura-
liuni,sed tamen per versus adjunctione culparum, Si.Sy
q. I. Inter eos est prœlatio. Us essaient d'imiter les
bons anges, mais ils le font faussement et imparfaite-
ment, et ils attaquent les hommes, q. ii. Leur volonté
ne peut être rectifiée de polentia. Dieu pourrait, abso-
lument parlant, leur rendre la bonne volonté; mais ils
ne peuvent se repentir, et le temps de la conversion
et du mérite est passé pour eux, dist. VU, part. I,a. 1,
q. I. Ils ne veulent que le mal, q. ii, m. Celte obstina-
tion dans le mal leur enlève le libre arbitre, quoad
usuni; elle ne diminue pas libertatis dominium quant
à Tessence, mais bien quant au sujet, a. 2, q. ii, m. Le
jugement de leur intelligence est un peu obscurci depuis
leur faute; leur jugement pratique est entièrement
perverti, part. II, a. 1, q. i. Ils n'ont rien oublié, sinon
la nécessité de faire leur salut et les bienfaits de Dieu,
q. II. Ils n'ont pas une connaissance certaine de l'ave-
nir; ils peuvent parfois le prédire, en raison de l'acuité
de leur esprit, de leur expérience et de leur ruse, q. m.
Ils sont incorporels, dist. VIII, part. I, a. 1, q. i. Voir
un substantiel résumé de toute la doctrine de saint
Bonaventure sur les démons dans son Breviloquium,
part. Il, c. vu, Lyon, 4568, t. vi, p. 16-17.
5» Albert le Grand. — Si de l'école franciscaine
nous passons à l'école dominicaine, nous constatons
racceptation d'opinions dilTérentes sur divers points.
Le B. Albert le Grand a traité du diable et des démons
dans son Commentaire des Sentences, 1. II, dist. III-
IX, Opet^a, Paris, 1894, t. xxvn, p. 82-208, et dans sa
Somme théologique, tr. V, q. xx-xxv; tr. VI, q. xxvi-
XXVII ; tr. X, q. xui, ibid., 1895, t. xxxii, p. 251-289,
500-503. Tous les anges ont été créés en état de grâce.
In 1 V Sent.,]. II, dist. III, a. 12, t. xxvii, p. 82-85. Dieu
n'a pas pu créer un ange mauvais, a. 13, p. 85-88. L'ange
a-t-il été mauvais simul ac a'ealusf Mora fuit, a. li.
Les bons anges seuls, confirmés en union avec Dieu,
ont été bienheureux, dist. IV, a. 2, p. 106. L'ange déchu
n'a pas pu prévoir sa chute, pour la raison donnée
par saint Anselme, a. 3, p. 107-108. L'ange a pu tomber,
dist. V, a. 1, p. 110-111. Quel fut le premier péché de
range? L'orgueil : appetitus dignitatis îndebilus,
a. 2, p. 111-113. C'est le sentiment de saint Augustin,
de saint Anselme et de saint Grégoire le Grand. Voluit
excellere in dignitate potestatis propriœ. Sum. theol.,
tr. V, q. XXI, m. ii, t. xxxii, p. 260. Quid appetiit pec-
candof Avec saint Augustin et saint Anselme, Albert
répond que le démon a désiré id ad quod pet^enisset,
si stetisset, donc la simple perfection ou béatitude. Sa
iaote a consisté en ce qu'il a voulu avoir a se quodnec
esse potest a seipso, ensuite il a voulu stalini rapere
quod ex meritis sub alterius gratia est exspectandum .
Il n'a donc pas désiré re^-sembler à Dieu ni par équi-
valence ni par égalité, quia non appetiit tantuni posse
sicut Deus, quia hoc cogitarenon potuit. Belativement
à Dieu, extulit suam voluntatem et prœtulit voluntati
Dei, puisqu'il a voulu être heureux de lui-même et
sans mérite. Et sic secundum quid voluit esse major
Dei velœqualis, 1. Il, dist. V, a. 3, p. 114. Voluit similis
esse Deo in habendo scilicet perfectam potestatem a
seipso sicut Deus. Sum. theol., tr. V, q. xxi, m. i, p. 258.
Stalim ut aversus est, infemalis ignis succensus est
in eo, et tune odio habuit judicem juste judicantem,
a. 4. p. 115. 11 fut dès lors obstiné dans le mal; il a eu
la liberté, a été in via, mais maintenant immobiliter
vult malum, a. 6, p. 120. Dicendum absque scntpulo
quœstionis, isle Lucifer fuit de superioribus vel «ini-
plici ter super i or, dist. VI, a. 1, p. 127. Princeps, exceU
lentior omnibus, tr. V, q. xx, m. i, p. 251. Quant aux
anges inférieurs, en quoi consiste leur faute? Omnes
voluerunt aliquid altius quam creati sunt, et ils ont
voulu l'obtenir par l'exaltation de Lucifer, comme des
chanoines qui élisent à l'épiscopat un indigne, parce
qu'ils en attendent des faveurs. En résumé, appetie-
runt altitudinem et consensei^nt illo (à Lucifer), a. 2,
p. 128.
Quel fut le rôle de Lucifer dans leur chute? Il
n'agit pas sur eux par acte de persuasion, sed unus-
quisque propria voluntate consensit ei. Videntes enini
decorem ejus in naturalibus, dignum œqualitate Dei
reptUaverunt et quod prop'ia poteslate regeret et se
et alios, nulli subjectus. Sa persuasion ne fut qu'occa-
sionnelle, tr. V, q. XX, m. ii, p. 255. Telle fut la queue
du dragon qui les entraîna. Ils consentirent à son désir
en même temps que ce désir était produit, simul tem-
pore, sed non causa vel natura, dist. VI, a. 3, p. 129.
In solis naturalibus condili sunt; ils perdirent donc
leur innocence; non cecideimnt a gratia quam accep-
turi erant si stetissent, tr. V, q. xxii, p. 265. Cf. tr. IV,
q. XVIII, a. 1; 1. II, dist. VI, a. 4, p. 131. Le combat de
Michel ne peut se rapporter à la chute des anges, puis-
qu'il a eu lieu dans l'^^glise, selon la Glosse, tr. V,
q. xxiii, p. 266. Quand sont-ils tombés? Incertum est
et non delerminatum . Ce qui est certain, c'est qu'ils
ont été criés bons et que, volontairement dépravés, ils
sont tombés du ciel, q. xxiv, p. 268. Ils avaient été
créés pour habiter le ciel empyrée; par leur faute ils
ont mérité d'habiter l'enfer, mais, en raison de leur
office, ils sont dans l'air ténébreux près de nous pour
nous tenter, 1. II, dist. VI, a. 6, p. 132-133. Ils sont dans
l'air usque in diem judicii, tr. V, q. xxv, m. m,
p. 285. llabent ignem corporeum sectim et in se suc-
censi sunt illo igné, 1. II, dist. VI, a. 7, p. 136. Un
démon, vaincu par un saint, peut-il en tenter un autre
pour le même péché? Ego confiteor me nescire
quid de ista quœstione sit rerum, sed judicio Dei
sit relinquendum , a. 9, p. 138. Quant à leur état ac-
tuel, les démons ont le même libre arbitre qu'avant
la chute, quoique leur liberté soit, selon saint Anselme,
moins grande que celle des anges. Ils ont une science
naturelle et acquise et ils peuvent de quelque manière
connaître l'avenir, dist. VII, a. 1-5, p. 143-149. Lucifer
se comptait toujours dans sa faute, mais il a horreur
de la peine qu'il subit. Tout ce qu'il délibère et tout ce
qu'il fait est mal; il n'a aucune vertu. La cause de son
obstination est double : son endurcissement dans le
mal et la punition de sa faute par Dieu. II n'a pas de
puissance sensible naturelle, mais bien furor irrationa-
bilis, démens concupiscentia, phantasia proterva. La
syndérèse lui reste ad affîictionem et tristitiam con-
scientiœ, tr. V, q. xxv, m. i, il, p. 271-284. Les anciens
avaient des avis dilférents sur les corps des anges; il
n'y a pas de doute qu'ils ne soient des substances spi-
rituelles et pas des corps unis à une âme, dist. VU,
a. 1, p. 168. Cependant, Albert ajoute au sujet de leur
pouvoir d'engendrer, nescio secundum vei*itatem quid
dicam; il lui parait toutefois plus probable d'admettre
l'existence des démons incubes et succubes, a. 5,
p. 175. Les ordres angéliques n'étaient pas constitués
à l'origine; donc les anges déchus n'appartenaient à
aucun ordre. Sum. theol., tr. X, q. xlii, m. i, p. 500.
Le nombre des anges tombés est connu de Dieu seul,
m. III, p. 503, ainsi que le nombre des élus qui doivent
les remplacer. Quid vei-um sit de hoc, nullus potest
probare, dist. IX, a. 8, p. 208. Comme prœlatio est a
natura, il y a des chefs et des sujets parmi les démons
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o95 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 396
secundum ordhieni lentationis. Sum, theoL, tr. VI,
q. XXVI, m. I, p. 289.
60 Saint Thomas d'Aquin. — Il adopte et développe
le plus souvent les sentiments de son maître Albert le
Grand. Sa doctrine sur les démons se trouve surtout
dans le Commentaire sur les Sentences, 1. II, dist. III-
VII, et dans la Somme théologique, !■, q. lxiii-lxiv. Il
signale trois opinions sur la question de savoir si un
ange peut être mauvais a principio suœ créât ionis.
La première prétend qu'il a été créé mauvais; elle est
hérétique et impossible, car Dieu ne peut créer que
des êtres bons. Suivant la seconde, il a été mauvais ab
initio, non pas de la part de Dieu, sed actu proprise
voluntatis; cette opinion est vaine, parce qu'elle est
sans fondement; elle est erronée, voisine de la première
opinion et condamnée par les maîtres; elle est fausse
enfin, parce qu'il est impossible qu'un être libre soit
mauvais tout de suite après sa création, car sa volonté
doit désirer le vrai bien avant le bien apparent. Il faut
donc admettre la troisième opinion, qui nie qu'un ange
puisse être mauvais dès sa création. In IV Sent., 1. II,
dist. III, q. II, a. 1; Sum. theol., I*, q. LXiii, a. 5.
L'opinion la plus probable et la plus conforme aux pa-
roles des saints est que le diable a péché aussitôt après
le premier instant de sa création. Et il faut nécessaire-
ment le dire, si on admet qu'il a fait alors un acte libre
et a été créé en état de grâce. En effet, s'il avait fait un
acte méritoire, il aurait acquis la béatitude, s'il n'y
avait mis aussitôt obstacle par son péché. Voir t. i,
col. 1238. Mais si l'ange n'a pas été créé en état de
grâce ou s'il n'a pu faire au premier instant de son
existence un acte libre, rien n'empêche d'admettre
quelque intervalle entre la création et la chute, a. 6.
Les anges déchus n'eurent pas la prévision certaine de
leur faute, qui dépendait de leur libre arbitre; ils ne
l'ont pas même conjecturée. Us pouvaient prévoir seu-
lement qu'ils pouvaient tomber. Seule, une révélation
divine aurait pu le leur apprendre; elle n'était pas
congrue. In IV Sent., 1. II, dist. IV, a. 2. Il est certain
pour tous les catholiques que des anges ont péché et
sont devenus des démons. Il est difficile de voir com-
ment ils ont péché, parce qu'on ne comprend pas
comment ils ont pu se tromper dans le. choix qui a
décidé de leur sort. Ibid., dist. V, q. i, a. 1. Dans la
Somme, !•, q. lxiii, a. 1, saint Thomas a déclaré que
l'ange, comme toute créature raisonnable, peut pécher
en raison de sa nature. Quant au péché du diable, saint
Thomas dit ce qu'il n'est pas, avant d'en déterminer
l'objet précis. Il a été un péché d'orgueil, puisque le
diable a refusé de se soumettre à son supérieur, lors-
qu'il devait le faire. L'envie toutefois a pu suivre l'or-
gueil, soit contre l'homme, par douleur de son bien,
soit contre Dieu lui-même, parce que Dieu tire sa gloire
de son excellence propre contre la volonté du diable,
a. 2. Mais l'orgueil du diable, tout en consistant à lui
faire désirer d'être comme Dieu, ne l'a pas poussé à
vouloir égaler Dieu. Le diable savait naturellement que
cette égalité était impossible, et il n'a pas pu désirer
l'impossible. Celte égalité eût-elle même été possible,
l'ange ne l'aurait pas désirée, car aucune nature ne
peut désirer s'élever à une nature supérieure. Quant à
)a ressemblance avec Dieu, il aurait pu désirer la rece-
voir de Dieu. En désirant la recevoir propria virtute
et non virtute Dei, il aurait péché. Mais il a péché, en
réalité, en désirant avoir une propriété de Dieu, non
pas toutefois celle de n'avoir aucun supérieur, qu'il est
impossible de réaliser dans une créature, mais celle de
parvenir de lui-même à sa béatitude naturelle, ne vou-
lant pas de la béatitude surnaturelle, qui lui aurait été
donnée par la grâce de Dieu, ou voulant obtenir cette
dernière béatitude, non de la grâce divine, mais de sa
propre vertu, a. 3. Cf. dist. V, q. i, a. 2, 3. Voir t. i,
col. 1238. L'opinion commune, qui tient Lucifer pour
le premier des anges, est probable, à cause des auto-
rités qui la professent, et des raisons qui l'appuient,
en particulier parce que, pour céder à l'orgueil, il faut
être supérieur aux autres, dist. VI, q. i, a. 1. Or, les
anges étant libres, leur chef n'était pas naturellement
porté au mal, et on explique sa chute avec plus de pro-
babilité, par le motif tiré de sa propre excellence : c«
qui prouve que Lucifer était le premier des anges, a. 7.
Les autres anges n'ont pu être naturellement mauvais.
Étant des substances intellectuelles, nullo modo pos-
sunt habere inclinationem naluralem in'aliquod quod-
cumque malum, a. 4. Cf. Cont. gent., 1. III, c. cvi. Ils
le sont donc devenus. Saint Thomas en démontre la
possibilité. Cont. gent., 1. III, c. cviii-cx. Ailleurs, il
en recherche la cause. C'est Lucifer, cause, nonquideni
agens, sed quadam quasi exhortatione inducens. Ils se
sont soumis à lui, parce qu'ils ont cédé à ses sugges-
tions. Toutefois, ils ont péché en même temps que lui,
parce qu'ils ont consenti (acte pour eux instantané) à
sa faute à l'instant où il la faisait, et tout en péchant
par orgueil, ils ont accepté Lucifer pour leur chef, afin
d'obtenir, comme lui, la béatitude suprême par leur
vertu naturelle. Sum. theol., I», q. lxui, a. 8; In
IV Sent., 1. II, dist. VI, q. i, a. 2. Le nombre des anges
tombés a été moindre que celui des anges demeurés
fidèles. Le péché est contraire à l'inclination naturelle.
Or ce qui est contraire à la nature se produit in pau-
cionbus, car la nature obtient son effet ou toujours ou
dans le plus grand nombre des cas. Sum. theol., I*,
q. Lxiii, a. 9. C'est ainsi qu'un raisonnement sert à
trancher une question diversement résolue par les
Pères.
En raison de leur faute, les démons doivent habiter
l'enfer, lieu horrible et ténébreux. Mais, parce que Dieu
veut se servir d'eux pour éprouver les hommes, ils sont
dans l'air ténébreux, et il y en aura jusqu'au jour du
jugement, tant que durera l'épreuve. Cependant quel-
ques-uns sont déjà dans Tenfer, pour y tourmenter les
âmes des damnés; après le jugement, tous y demeure-
ront. On ne peut pas dire que, pour eux, la peine sen-
sible soit différée jusqu'au jugement. Cela parait être
contraire aux paroles des saints et au fait que les âmes
des damnés souffrent déjà en enfer. Quant à la manière
dont ils souffrent de ce tourment, saint Thomas a en
deux opinions successives. Dans le commentaire sur
les Sentences, 1. II, dist. VI, q. i, a. 3, il pensait que le
feu de l'enfer agissait sur eux à distance. Dans la
Somme, I», q. Lxiv, a. 4, tout en continuant à nier le
contact immédiat du feu, il proposa une autre explica-
tion. Ainsi quelques-uns pensent qu'ils portent partout
avec eux le feu de l'enfer; mais, comme ils sont incor-
porels, ils ne peuvent porter un feu corporel. Il vaut
mieux dire qu'ils brùlentde ce feu, bien qu'ils n'y soient
pas liés, ou mieux, bien qu'ils n'y soient pas attachés,
leur peine n'en est pas diminuée, parce qu'ils savent
qu'elle leur est due. Il y a trois opinions sur la question
de savoir si les démons, vaincus par les hommes qu'ils
tentent, continuent à tenter d'autres hommes ou des-
cendent immédiatement en enfer. Quid tamen horum
verius sit, incerlum est, quia nec ratione nec aucto-
ritate mullum con/irmari potest, dist. VI, q. i, a. 5.
Il doit y avoir entre eux un certain ordre; c'est conforme
à leur nature, à la sagesse divine, qui les emploie à
éprouver les hommes, et à leur malice, qui les fait se
grouper pour attaquer avec ensemble et suite, a. 4.
Quant à leur situation après la chute, leur connaissance
naturelle ne leur a été ni enlevée ni diminuée; leur
connaissance spéculative et surnaturelle des secrets de
Dieu a été diminuée, et la connaissance pratique sur-
naturelle, qui leur aurait fait aimer Dieu, leur a été
totalement enlevée. Leur volonté est obstinée dans le
mal. Cependant, quelques-uns de leurs actes peuvent
être bons ex génère suo; leurs actes délibérés sont tous
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397 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 398
mauvais. Ils souffrent d*envie, en ce qu'ils voudraient
voir les élus se damner; ils sont privés de la béatitude,
qu'ils désirent naturellement et beaucoup ne font pas
tout le mal qu'ils voudraient faire. In IV Sent., 1. II,
dist. VII, q. I, a. 2; q. ii, a. i;Sum. theoL, 1% q. Lxiv,
a. 1-3. Même, quand ils ont pris un corps humain, ils
ne peuvent engendrer. Un démon, successivement suc-
cube et incube, ne peut engendrer non plus. S'il le
pouTait, per sem^n viri, il n'engendreraitqu'un homme,
ainsi qu'il est dit des géants. Gen., vi, 4. in /F SenL,
1. II, dist. VIII, q. II.
7« Dun$ Scot. — Le docteur subtil, ayant sur plu-
sieurs questions philosophiques un sentiment différent
de celui de saint Thomas, a aussi sur les démons des
opinions divergentes. Il les expose principalement dans
son Canimenlaire sur les Sentences, 1. II, dist. IV-VII,
Opéra, Paris, 1893, t. xii, p. 294-372, et dans ses Hepor-
iata, 1. II, dist. IV, VI, VII, 1904, t. xxii, p. 601-625. Il
réfute longuement les opinions de saint Thomas. 11
admet pour les mauvais anges la possibilité d'avoir été
misérables miseria pœnm et culpœ dès le premier in-
stant de leur création (ce que n'admettait pas saint
Thomas), parce que toute volonté peut mal agir dès le
premier instant. Voir t. i, col. 1236. En fait, il y a eu,
non seulement un intervalle entre leur création et leur
chute, mais plusieurs, qu'ils aient été créés ou non
dans la grâce, ce qui est problématique. Us ont commis
plusieurs péchés d'espèces différentes, avant d'être
obstinés dans le mal. Quant à l'objet du péché de Lu-
cifer, Scot estime, à rencontre de saint Thomas, que
Lucifer a pu désirer égaler Dieu, non pas sans doute
d'un vouloir efficace, qui ne pouvait. pas se réaliser,
mais d'un simple désir de concupiscence, et tanto desi-
derio quanto concupisceret, si esset sibi jiossibile. En
d'autres termes, il n'a pas cherché à devenir l'égal de
Dieu, ce qui est impossible; il l'a cependant parfaite-
ment voulu. Sa volonté est demeurée, en fait, une vel-
léité. On dit généralement que ce premier péché fut
un péché d'orgueil. Mais l'ange a désiré son avantage,
la béatitude, d'une façon immodérée et désordonnée, en
poussant l'amour de soi jusqu'à la haine de Dieu. Sa
faute n'a donc pas été une faute d'orgueil à proprement
parler, il n'a pas désiré sa propre excellence pour elle-
même, sed propter delectalioneni quam importahal.
Par conséquent, sa faute se rapporte plutôt à la luxure.
Voir t. i, col. 1239. H a fait plusieurs péchés successifs
dont il aurait pu se repentir. Il a débuté par un amour
immodéré de soi, et il a consommé sa malice par la
haine de Dieu, parce que Dieu résistait à «ses désirs.
Son obstination est résultée seulement de ce dernier
péché. Elle ne vient pas de Dieu, sinon permissive.
Dieu ne peut pas, de lege ordinaHa, donner aux dé-
mons une grÂce ad resurgendum. En fait donc, Satan
est devenu impénitent et il demeure nécessairement
dans le péché. Cependant, contrairement à l'opinion de
saint Thomas et de Henri de Gand, il peut vouloir
quelque bien et faire des actes bons, quoique par ma-
lice il n'en accomplisse probablement aucun. Il y a
doute qu'il puisse se disposer à la grâce. Il peut mériter
potentia rernota; il n'y a vpas de répugnance intrin-
sèque à son mérite. Sa volonté ne veut pas nécessaire-
ment le mal; elle ne peut pas y être toujours poussée
per habitum, quoiqu'il ne puisse pas faire un acte en-
tièrement bon au point de vue moral. Il ne peut cesser
complètement d'agir. Sa peine, même accidentelle, ne
crott pas en intensité, pour un nouveau démérite. Voir
t. I, col. 1236.
III. Depuis le xv« siècle. — A partir de celle épo-
que, les théologiens se rangent en deux catégories
distinctes, selon qu'ils appartiennent à l'école domini-
caine ou thomiste ou bien à l'école franciscaine ou
scotiste. Seul, Suarez, au xviP siècle, critiqua avec vi-
gueur les divers systèmes précédents et inaugura un
système intermédiaire, en empruntant quelques traits
à ses prédécesseurs, en y joignant des vues person-
nelles. Après lui, les docteurs adoptèrent son sentiment
ou reprirent quelqu'un de ceux qu'il avait réfutés.
1« Suarez. — Il a consacré deux livres entiers, VII
et VIII, de son traité De angelis aux mauvais anges,
étudiant successivement leur chute et leur faute, puis
leur punition et la guerre qu'ils font à Dieu et aux
hommes. Opet^ oninia, Paris, 1856, t. ii, p. 791-1099.
II est de foi catholique qu'il existe des démons ou anges
mauvais, et il n'y a pas eu d'anges terrestres qui au-
raient engendré les géants. Cf. 1. I, c. vi, n. 31. C'est
une hérésie des manichéens et des priscillianistes de
prétendre que les anges étaient mauvais de leur nature.
Les anges sont devenus mauvais par leur volonté pro-
pre; d'ailleurs, aucune créature raisonnable ne peut
être créée impeccable. Voir t. i, col. 1237. Les anges
n'ont péché ni par ignorance ni par inconsidération ;
ils ont pu pécher par orgueil et, contrairement à ce que
pense Duns Scot, ils ont réellement péché par orgueil.
Mais Suarez admet avec Scot que le point de départ de
ce péché a été l'amour désordonné de soi, amour à la
fois d'amitié et de concupiscence, et amour de sa propre
excellence (dernier point que Scot déclarait impossible).
En quoi Lucifer a-t-il recherché et désiré désordonné-
ment sa propre excellence? Suarez discute les diverses
hypothèses proposées avant lui, et d'abord, celle du
désir désordonné de la béatitude naturelle, avec les
différentes manières de l'expliquer. Aucune ne peut
rendre compte du péché d'orgueil, qui fut celui de Lu-
cifer; elles lui attribuent d'autres fautes, la pusillani-
mité ou la paresse en face de la béatitude surnaturelle,
ou la simple complaisance dans la béatitude naturelle.
Le désir désordonné de la béatitude surnaturelle n'ex-
plique pas non plus la chute de Lucifer, qu'il ait voulu
obtenir cette béatitude par ses seules forces naturelles
et sans la grâce de Dieu, ou sans l'avoir méritée ou
encore sans avoir pensé à la mériter. Ce désordre n'a
guère été possible dans l'intelligence d'un ange; l'eût-
il été, il n'aurait pas constitué un péché d'orgueil, ni
même un péché grave. L'explication de Duns Scot n'est
pas plus acceptable, aux yeux de Suarez, que celle de
saint Thomas. Il en discute les arguments. La velléité
de s'égaler à Dieu, si elle a existé, ne parait pas con-
stituer une faute grave, parce qu'elle porte sur une
chose impossible, à laquelle Lucifer se serait complu
en passant. On ne rendrait sa faute grave qu'en suppo-
sant qu'il s'est délecté dans l'objet de celte velléité : ce
qui serait possible dans un ange déjà dépravé, mais ce
qui ne peut guère constituer le premier péché d'une
intelligence non encore corrompue. En fait, le péché
de Satan n'a pas été une simple velléité, mais bien un
acte de volonté, tendant à l'exécution. Il n'a donc pu
se porter sur le désir d'égaler Dieu, dont la réalisation
était impossible. Suarez adhère ensuite, comme à la plus
probable, à l'opinion de quelques théologiens récents,
suivant laquelle Lucifer a péché en désirant désordon-
nément l'union hypostatique du Verbe de Dieu avec sa
nature angélique. Cette opinion est admissible seule-
ment dans l'hypothèse que Dieu a révélé aux anges le
mystère de l'incarnation, hypothèse à laquelle se rallia
le théologien espagnol, tout en y apportant diverses
modifications. Lucifer a désiré l'union hypostatique du
Verbe avec lui, parce qu'il y voyait une prééminence à
acquérir. Il a donc commis le péché d'orgueil au sujet
de la divinité, que les Pères lui reprochaient, sans
commettre aucune erreur d'appréciation, puisque la
révélation divine lui avait appris la possibilité de
l'union hypostatique. Il a considéré cette union comme
très convenable à sa nature, puis comme lui étant due,
enfin comme lui étant refusée injustement pour être ac-
cordée à la nature humaine. Toute autre excellence,
telle que celle de l'indépendance relativement à Dieu
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399 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 400
ou celle de l'ambition de commander aux autres, n'a
pu être l'objet de l'orgueil de Lucifer, puisqu'il savait
que, comme créature, il était infiniment au-dessous de
Dieu, et puisqu'il avait déjà le droit de commander aux
autres anges, auxquels il était supérieur par les dons
de la nature et de la grâce. Suarez examine ensuite
quels péchés, autres que l'orgueil, Lucifer a pu com-
mettre, tandis qu'il était encore in via, et il lui attribue
divers péchés d'orgueil, la présomption, l'ambition, la
vaine gloire, puis l'envie contre le Christ, devant s'unir
hypostatiquement à l'humanité, pas toutefois l'impa-
tience, mais plus probablement la colère et la haine
contre le Christ et contre le genre humain, et d'autres
péchés encore. Quant à la condition première de Lu-
cifer avant sa chute, il n'appartenait pas aux ordres
inférieurs de la hiérarchie angélique; il était de l'ordre
des séraphins, qui est le plus élevé; il n'était pas ce-
pendant le plus parfait de cet ordre, et Michel, par
exemple, pouvait être son égal.
Il est de foi que beaucoup d'anges ont péché, et il y
en eut de tous les ordres. Leur nombre fut grand,
inférieur cependant au nombre des anges demeurés
fidèles. Ils ont été induits au péché par Lucifer, non
pas seulement par l'exemple, mais par la persuasion,
exprimée en paroles. Voir t. i, col. 1240. Ils n'ont pas
péché par concupiscence, dont ils sont incapables,
cf. l. L c. V, mais par orgueil. Leur orgueil n'a eu
pour objet ni la béatitude naturelle ni la béatitude
surnaturelle; il n'a pas été non plus l'assentiment au
péché de Lucifer, qu'il soit le désir de l'indépendance
ou celui de la domination, mais l'assentiment à son
désir de l'union hypostatique. Comme lui, ils jugèrent
que cet honneur aurait dû être réservé à l'un d'eux, à
leur chef. Lucifer leur en avait donné la persuasion.
Mais s'il a péché avant eux (selon notre manière de
concevoir le temps), ils sont tombés tous ensemble.
Le péché des anges supérieurs a été plus grave que
celui des anges inférieurs, parce qu'ils étaient plus
instruits et plus forts. Il a été commis dans le ciel, où
ils avaient été créés, et aucun n'a pu le faire au pre-
mier instant de sa création (nonobstant tous les argu-
ments contraires, que Suarez discute longuement), ni
aussitôt après sa création (in secundo inslanti), sans
qu'il y ait eu quelque intervalle, au moins très court.
Si les anges ont été créés au commencement du pre-
mier jour de la création, il est plus probable aussi
qu'ils ont péché le même jour, et que l'intervalle entre
leur création et leur chute n'a compris qu'une partie
de ce jour.
Tous les anges pécheurs sont damnés et aucun d'eux
n'a fait pénitence. Ils avaient eu cependant un très court
répit pour se repentir; mais quoiqu'ils aient pu le
faire, qu'ils en aient eu la liberté, qu'ils aient même
reçu un secours suffisant, ils ont manqué du secours
spécial, qui leur était moralement nécessaire pour ne
pas s'endurcir, et ils se sont endurcis moralement, par
leur faute. Dieu n'était pas tenu de leur accorder un
répit plus long ou un secours plus grand. Voir t. i,
col. 1240. Ils ont été damnés aussitôt après leur obsti-
nation volontaire, et leur damnation n'a pas été réser-
vée au jour du jugement. Suarez ne trouve même pas
le sentiment contraire exprimé par les Pères ni par
aucun auteur catholique. Bien que les démons soient
punis par l'aveuglement de l'esprit, ils ont cependant
gardé leur intelligence naturelle, mais ils sont privés
de toute connaissance surnaturelle. Leur obstination
dans le péché rend impossible toute réintégration dans
leur premier état; ils sont dans l'incapacité de se re-
pentir et ils ne peuvent accomplir aucun acte bon ou
honnête; telle est la véritable cause de leur obstina-
tion. Us sont tourmentés par un feu corporel et sen-
sible, qui agit sur eux physiquement et matériellement
leur causant une douleur réelle, et non per aWgalio-
nem solum. Malgré la tristesse que ces souffrauces
leur apportent, ils peuvent goûter quelque petite joie
sensible. L'enfer souterrain est le lieu de leurs tour-
ments. Tous sont destinés à y soufTrir. Quelques-uns
n'en sortent jamais. Quelques autres vivent dans l'air
pour tenter les hommes jusqu'à la fin du monde. Us y
souffrent néanmoins la peine du feu, non pas parce
qu'ils portent avec eux une partie de ce feu, dans
laquelle ils seraient enfermés et à laquelle ils seraient
unis, mais parce que le feu de l'enfer, rendu par Dieu
capable de brûler un esprit, a reçu aussi la puissance
d'agir à dislance par un contact virtuel. Les anges, qui
sont dans l'air, peuvent descendre à tour de rôle dans
l'enfer. Il est probable que Lucifer lui-même est main-
tenant enchaîné, réservé qu'il est pour les combats des
derniers temps. Tous les anges déchus sont sous la
domination du chef, qu'ils ont suivi et qu'ils ont libre-
ment choisi. Il n'est donc pas un tyran qui les domine
et qui leur impose ses volontés, mais il ue peut non
plus être privé de sa principauté par une rébellion des
anges inférieurs. Il est probable aussi qu'il y a, parmi
les démons, d'autres chefs intermédiaires, chargés
d'offices différents et gradués. Ces charges ne provien-
nent ni de la nature ni de l'élection ; plus probable-
ment elles sont une peine infligée par Dieu aux dé-
mons les plus coupables. Les ministères ne diffèrent
pas suivant l'objet des tentations, mais plutôt d'après
les personnes à tenter, et chaque homme a probable-
ment, dès le moment de son .animation, un démon
spécialement chargé de le tenter. Chaque démon peut
interrompre momentanément ses tentations, surtout
lorsqu'il est vaincu. Mais il est peu probable que Luci-
fer ou un autre chef interdise à un subordonné négli-
gent de continuer à tenter. Dieu plutôt peut obliger le
démon à s'éloigner pour un temps. Les chefs, préposés
peut-être à une cité, à une province, à un pays, inter-
viennent directement, lorsque leur intervention est
nécessaire; mais ils excitent toujours leurs inférieurs
à la lutte, en les instruisant et en les appliquant à
tenter tel ou tel individu. Finalement, servata propor-
tione, on peut dire de l'action des chefs des démons et
de celle des bons anges sur les démons la même chose
que de celle des bons anges les uns sur les autres.
Voir t. I, col. 4244-1245. La seule différence consiste
en ce que les bons anges, s'ils envoient les démons, les
envoient seulement pour infliger une peine juste et
méritée, tandis que les chefs des démons envoient leurs
subordonnés pour induire au péché.
J. Schwane. Histoire des dogmes, trad. Degert, Paris, 1905,
t. IV, p. 331-338; J. Turmel, Histoire de Vangélologie. dans la
Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. iv,
p. 289-309, 537-550.
E. Mangenot.
2o Enseignement commun des docteurs. — Après
Suarez, il n'y eut plus guère d'opinion nouvelle au
sujet des démons, sinon sur quelques points de détail.
Les théologiens postérieurs se bornèrent à choisir
parmi les opinions précédentes celles qui leur parais-
saient les plus probables.
1. Chute de Satan et des démons, — Tous l'attri-
buent à l'orgueil. Quant à l'objet du péché d'orgueil,
les avis continuèrent à être partagés. Les thomistes
restèrent attachés au sentiment de saint Thomas.
Quelques scotistes cependant se rangèrent à celui de
Suarez et expliquèrent la chute par le désir de l'union
hypostatique. Ainsi Frassen. Voir 1. 1, col. 1239. Estius,
In IV Sent., 1. II, dist. VI, § 6, Paris, 1662, t. ii, p. 45,
adopte le sentiment de Duns Scot. Voir Salmanticenses,
Cursus théologiens, tr. VU, De angelis, disp. X,
dub. i-viii, n. 1-279, 21 in-8«, Paris, 1877-1883, t. iv,
p. 555-684; Petau, Dogmata iheologica, tr. De angelis,
1. UI, c. Il, n. 8, t. IV, p. 65-74; Palmieri, De Deo
créante et élevante, part. II, c. ii, a. 2, thés, lix, in-8s
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401 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 402
Rome, 1878, p. 444-446; Mazzella, De Deo créante,
disp. II, a. 8, § 1, n. 429-433, in-8», Rome, 1880, p. 295-
298.
2. Le chef des révoltés. — On le tient g^^néralement
pour le plus élevé de tous les esprits angéiiques, ou au
moins pour Tun parmi les plus élevés. Salmanticenses,
Cursxis théologiens f tr. VII, De angelis, disp. XII,
dub. III, a. 7, n. 1-3, t. iv, p. 758 sq.; Petau, Dogmata
theologica, tr. De angelis, 1. III, c. m, n. 1-8, t. iv,
p. 74-79; Palmieri, De Deo créante et elevante,pBTXAl,
c. II, a. 2, thés, lx, n. 5, p. 453 sq.
3. Le nombre des révoltés. — Il fut très considérable,
sans qu'on puisse le fixer au juste.
Ces révoltés appartiennent très probablement, sui-
vant Topinion commune, aux divers degrés de la hié-
rarchie angélique. Qu'il y ait eu des défections dans
tous les ordres et dans tous les degrés, on le conclut
de divers passages de l'Écriture. Rom., viii, 38, saint
Paul désigne parmi les démons : des anges, des prin-
cipautés, des vertus; ailleurs, des archanges et des
puissances. Eph., vi, 12. Cf. I Cor., xv, 24. Ézéchieldit
île même qu'il y eut des chérubins tombés, xxviii,
ii, 16. Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. VII,
De angelis, disp. XII, dub. m, q. Lxm, a. 9, n. 1 sq.,
t. IV, p. 761; Petau, Dogmata theologica, tr. De an-
gelis, 1. Ili, c. m, n. 7, t. IV, p. 78.
4. Durée de Vépreuve. — Il est impossible de
savoir combien de temps a duré l'épreuve à laquelle
furent soumis les anges. Les esprits purs, anges ou
démons, étant indépendants du lieu et de l'espace, ne
vivent pas dans le temps, comme l'homme. Leur exis-
tence ne saurait donc se mesurer, comme on mesure
la nôtre, en comptant les heures, les jours ou les
années. Les théologiens distinguent, dans la vie des
anges, plusieurs instants ou périodes indéterminées en
elles-mêmes, mais différentes des autres périodes par
les actes, ou séries d'actes qui les caractérisent. Le
premier instant est celui de la création des anges et de
leur sanctification première par l'infusion de la grâce
sanctifiante et des dons surnaturels qui l'accompagnent.
Puis, vient l'instant ou période d'épreuve. Ensuite, la
correspondance des bons à la grâce par leur acquies-
cement à la volonté de Dieu, et l'infidélilé des mauvais
par leur révolte contre le Maître suprême. Enfin, le
quatrième instant est celui de la récompense des bons
par le bienfait de la béatitude céleste et la punition
des méchants par l'éternelle damnation.
Chacune de ces périodes fut, en soi, ce qu'elle devait
être, par rapport au résultat produit. Mais il nous est
impossible d'avoir une notion exacte de sa durée, en
la comparant à l'une des mesures qui nous servent
pour apprécier le temps. Salmanticenses, Cursus théo-
logiens, tr. VII, De angelis, disp. XII, dub. i-iii, n. 1-86,
t. IV, p. 720-738; Petau, Dogmata theologica, tr. De
angelis, 1. III, c. m, n. 11-18, t. iv, p. 79-82; Palmieri,
De Deo créante et élevante, part. II, c. ii, a. 2,
thés. LX, p. 446-449; Mazzella, De Deo créante, disp. Il,
a. 8, îS 1, n. 425, p. 291 sq.
5. Gravité du péché commis par les démons dans
leur révolte. — De l'avis de tous les théologiens, ce
péché fut très grand. Cela ressort à la fois des noms
et des appellations que l'Écriture donne aux démons;
des peines dont les démons furent et seront éternelle-
ment punis; et de la nature même des démons. Parmi
tous les êtres raisonnables, les anges l'emportaient par
les dons naturels et surnaturels. Le péché des rebelles
revêtit donc une plus grande malice, car c'est avec plus
de force que leur volonté libre, éclairée par une plus
vive lumière, adhéra au mal. Tombés de plus haut, ils
sont tombés plus bas.
Le démon, en outre, ne peut, pour excuser sa faute,
invoquer aucune circonstance atténuante, comme on
en trouve dans la chute d'Adam et d'Eve. Il a péché de
son propre mouvement et non sous l'impulsion d'un
autre, et c'est pourquoi il est demeuré dans sa faute;
tandis que l'homme qui n'a pas péché de lui-même,
mais à l'instigation du démon tentateur, a obtenu de
Dieu les moyens de se repentir et de réparer sa faute
avec la grâce du Christ médiateur. Néanmoins, les
anges qui ont péché, entraînés par Lucifer, ne sont
pas excusables comme l'homme, qui a été tenté par un
être supérieur à sa nature. Aussi les anges coupables
ont-ils tous été punis, aussitôt après leur péché, et ils
ne peuvent faire pénitence. Salmeron cependant,
Jn 11 Epist. Pétri, disp. III, dub. m, a pensé que les.
démons pouvaient faire pénitence et que Dieu avait été
disposé à leur accorder le pardon. Il interprétait dans
ce sens II Pet., ii, 4, et il concluait qu'avant de les expul-
ser du ciel. Dieu avait accordé aux anges rebelles un assez
long répit. Cf. Suarez, Z>e anflrWi»,l. VIII,c.i,n.6-88q.,
t. Il, p. 960, Il ne les aurait condamnés définitivement
qu'après leur refus de venir à résipiscence, et le mé-
pris avec lequel ils auraient rejeté les moyens de con
version et de salut qu'il leur offrait. Mais cette opinion
singulière est opposée au sentiment presque unanime
des saints Pères et des théologiens, qui interprètent
différemment ces paroles de saint Pierre, et pensent
que le répit, s'il a été donné, a été de très courte durée.
D'autres vont même plus loin, et enseignent que Dieu
n'a pas pu vouloir pardonner aux démons, car, vu leur
nature uniquement spirituelle, exempte de cette mobi-
lité de volonté que l'âme humaine tient de son union
au corps, quand ils se sont déterminés librement à un
acte, leur volonté y adhère avec tant de force qu'elle
ne peut plus s'en détacher. Après avoir péché, ils ne
peuvent donc plus se repentir, et, par suite. Dieu ne
peut leur pardonner. Salmanticenses, Cursus théolo-
giens, tr. VII, De angelis, disp. XIII, dub. i, § 2-9,
n. 6-^, t. IV, p. 766-778; Petau, Dogmata theologica,
tr. De angelis, 1. III, c. m, n. 18, t. iv, p. 82 sq.
Tous les théologiens cependant n'admettent pas chez
les démons cette impossibilité radicale de se repentir,
après que leur volonté a adhéré au mal. Quoique in-
comparablement plus intelligents que les hommes, les
démons et les anges ne sont pas néanmoins omni-
scients. Ils pourraient donc, ce semble, en considérant
de nouveaux motifs qu'ils n'auraient pas envisagés
d'abord, tourner leur volonté d'un objet vers un autre.
Cf. Suarez, De angelis, 1. III, c. x, n. 5 sq.. Opéra
omnia, t. ii, p. 404 sq. Ce ne serait donc pas à cause
de l'impossibilité intrinsèque et essentielle de se re-
pentir, dans laquelle ils se trouvaient, que Dieu n'a
point pardonné aux démons après leur chute; mais ce
serait parce que, vu l'énormité de leur faute, beaucoup
plus grave et beaucoup moins excusable que celle de
l'homme pécheur. Dieu avait décrété de ne leur accor-
der ni le temps, ni la grâce de la pénitence, suivant
l'enseignement des saints Pères cités plus haut. Sal-
manticenses, Cursus théologiens, tr. VII, De angelis,
disp. XIII, dub. ix-xii, t. iv, p. 778-787; Mazzella, De
Deo créante, disp. II, a. 8, § 2, n. 442-444, p. 303-306.
6. Nature des démons après la chute. — Si, par leur
révolte, les démons perdirent à jamais la béatitude
éternelle et, avec elle, tous les dons surnaturels qu'ils
avaient reçus au moment de leur création, ils ne per-
dirent pas cependant les qualités essentielles à leur
nature.
a) La spiritualité des anges avait été nettement pro-
fessée par saint Thomas, voir t. i, col. 1230, et par le
IV« concile du Latran, ibid., col. 1268. On ne saurait
donc trop s'étonner de voir, au xvi« siècle, le cardinal
Cajetan, après avoir défendu la doctrine du docteur an-
gélique dans ses commentaires sur la Somme théolo-
giqne, proposer la corporéité des démons, dans ses
commentaires sur les Épllres de saint Paul, composés
douze ans plus tard, comme il en témoigne lui-même^
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403 DÉMON DIAPRÉS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 4()4
Voir Cajetan, t. ii, col. 1321, 1325. Crediderini ego dœ-
mones esse spinirvs aebeos, et id consonare verœ phi-
losophiœ rationif ut quemadnwdum invenitur vege-
tativum sine sensitivo, et sensitivuni sine secundum
locum motivo, et intellectivuyn sine secundum locutn
motivo; ita inveniatur secundum locum motivum
sine sensitivo, quod est ponere iiujus modj aereos spi-
nms, constantes ex intelleclivo et secundum locum
motivo. Et est setmo de molu progressivo, absque
sensitivo. Verum appellatione aeris, non intelligo ele-
mentum aeris, sed subtile corpus, nostris sensibus
ignotum; corpus simplex et incon*uptibile ; natum
moveri localiter ab anima ad omnes differentia^ po-
sitionis, absque pugnantia aliqua exnatura cotyoris
...ut nullus labov inveniatur in motu illo. Comment,
in Epist. ad Eph., c. ii.
Cette opinion singulière de Cajetan ne trouva aucun
adepte, et il est, dans Tordre des temps, le dernier des
théologiens de quelque valeur, ayant attribué aux dé-
mons un corps matériel, fût-il d'une nature inconnue.
Aujourd'hui la spiritualité absolue des démons, aussi
bien que celle des anges Gdèles, est considérée comme
certaine et il y aurait témérité à prétendre que les
démons ont un corps éthéré, aérien, igné : en un mol,
matériel, quelque subtil qu'on le suppose. Voir t. i,
col. 1268-1269.
b) Intelligence des démons, — Elle fut obscurcie, en
quelque façon, par la soustraction des lumières surna-
turelles, provenant de la grâce; mais non parla priva-
tion des lumières naturelles de leur entendement, car
celles-ci leur sont restées entières.
c) Volonté des démons. — S. Thomas, Sum. theol.,
I*, q. LXiv, a. 2. Elle est tellement obstinée, endurcie
et confirmée dans le mal, qu'ils ne peuvent réellement
accomplir aucun bien.
Les démons, dans tous leurs actes, ne cherchent et
ne veulent que le mal. Si, parfois, un de leurs actes
parait bon en soi, il est toujours vicié par quelque
circonstance mauvaise. Quand les démons disent la
vérité, par exemple, c'est pour mieux tromper ensuite.
Quand ils confessaient la divinité du Christ sur la terre,
ce n'était pas pour lui rendre gloire, et lui attirer des
adorateurs, mais pour mieux le combattre. Les démons,
en effet, selon la doctrine de saint Thomas, ne
peuvent faire des actes qu'en les conformant à la fin
qu'ils se sont proposée dans leur révolte première, car
ils y ont adhéré de toutes les forces de leur être, au
point que, depuis lors, ils n'en peuvent vouloir une
autre. Or, cette fin est perverse en soi : c'est la guerre
à Dieu, et, par suite, à tout ce qui est bien. Donc, tous
leurs actes, d'une façon ou d'une autre, sont dirigés
vers le mal.
Pour infirmer cet argument, Vasquez, Commenlarii
et disputationes in i»™ partem Summm theologicœ
sancti Thomœ, éisp. CCLXXXIX, dit que, si cette raison
était fondée, on aurait le droit d'en conclure que, sur
la terre, tout homme en état de péché mortel ne peut
rien faire de bon moralement, et pèche dans tous ses
actes. Mais, comme le remarquent les Salmanticenses,
Cursus theologicus, tr. VII, De angelis, disp. XIII,
dub. II, § 2, n. 60 sq., t. iv, p. 788 sq., cette conclu-
sion, vraie des damnés en enfer, est fausse pour les
hommes qui, vivant encore sur terre, n'adhèrent pas
au mal d'une manière inflexible, comme les démons,
car ils peuvent encore s'en détourner. Il en est différem-
ment après la mort. Comme le répète très souvent
saint Thomas, le péché, une fois commis, est, pour les
purs esprits, ce que la mort est pour l'homme. Après la
chute, le péché fait, en quelque sorte, partie de la
nature des démons, et n'en est plus séparable. Hoc
ipso quod dœmon adhœreat indeclinabililer ultimo
fini perverso, illa adhœsio qvodammodo vertitur is
NATURAM AycEU. Et ideo oportet, ut sicut in quovis
actu angelico débet quodammodo splendere propria
natura angelica; ita etiam virtus prœdiclss adUssio-
nis, atque adeo quivis actus, vel erit ipsa adhœsio,
sive volitio perversi finis, vel aliqua parlicipalio
illius. Loc. cit., n. 61, t. iv, p. 789.
7. Châtiment. — En punition de leur révolte, les
démons ont été condamnés, pour l'éternité, à la double
peine du dam et du feu.
a) La peine du dam. — C'est incomparablement la
plus terrible de toutes les peines de l'enfer, et, auprès
d'elle, le tourment même du feu éternel, si atroce
soit-il, n'est presque rien. Voir Dam, col. 9-11. Mais si
cette peine du dam est si épouvantable, comment les
démons peuvent-ils garder assez de liberté d'esprit,
pour tenter les hommes sur la terre, les tromper, et
travailler avec tant de persévérance et d'habileté à leur
perdition ? Les sentiments que les démons manifestent
parfois durant les exorcismes paraissent davantage
encore opposés à la douleur de leur damnation. Ils
ricanent, ils rient, et se moquent des assistants. Satan
prend plaisir à être adoré. C'est à lui qu'étaient dressés
les temples consacrés autrefois aux faux dieux. Mainte-
nant encore, là où la lumière de l'Évangile n'a pas
dissipé les épaisses ténèbres du paganisme, il règne,
et il tient à garder son empire. Au seiç même des
nations chrétiennes, que d'efforts ne fait-il pas pour
reconquérir le terrain perdu? Ces préoccupations et ces
goûts ne paraissent guère compatibles avec la torture
épouvantable que subissent les damnés, et que doit
endurer surtout le prince des légions infernales, le
plus coupable et le plus châtié de tous les maudits. La
peine du dam, plus terrible que le feu môme de l'enfer,
ne fait donc pas tant soufl'rir les démons.
Si une douleur intense suspend les opérations de nos
facultés, même intellectives, parce que notre intelligence
et notre volonté ont besoin du concours des organes
corporels même pour les opérations qui leur sont
propres, il n'en est pas ainsi des purs esprits, ni des
âmes séparées de leur corps. Leur mode de souffrir
est très différent du nôtre dans l'état présent, et la
peine du dam n'enlève aux démons ni leur activité
naturelle, ni une certaine joie à faire le mal.
b) La peine du feu. — Sur la nature de ce feu, et
sur la manière dont il peut torturer de purs esprits,
voir Enfer. On enseigna communément que les démons,
qui sont répandus dans l'air, y éprouvent la peine du
feu. Cajetan et Melchior Cano, In i*"» part. Sum. theol.,
q. XGiv, a. 4, pensèrent cependant que ce supplice leur
était réservé pour l'époque qui suivra le jugement
dernier. Toutefois Cano pensait que les démons les
plus coupables restaient continuellement en enfer, et
que les moins coupables demeuraient dans l'air pour
tenter les hommes sans être alors soumis à la peine du
feu. Le cordelier Feuardent rappela que saint Irénée
et les premiers Pères disaient que le diable ignorait
sa condamnation avant la venue de Jésus-Christ. Bel-
larmin, De béatifie, et canonisât, sanctorum, c. vi,
Controvers., IV* controv., 1. I, Milan, 1721, t. ii, p. 635,
déclara que saint Justin, saint Irénée, saint tpiphane
et Œcuménius, qui l'ont prétendu, se sont trompés.
Mais Maldonat et Petau reconnurent que la plupart des
anciens avaient ajourné le supplice de l'enfer pour les
démons après le jugement. Petau tenait cependant l'o-
pinion opposée pour vraie, parce qu'elle a prévalu dans
l'Église. Estius, In JV Sent., 1. II, dist. VI, § 12, t. li,
p. 53, rejette aussi le sentiment des anciens. Il n'admet
pas que Satan soit lié dès maintenant et ne puisse venir
sur terre; et il semble dire qu'il est ordinairement dans
l'air, quoiqu'il descende parfois en enfer et y passe
quelque temps entre deux missions. Quant à la manière
dont les démons subissent sur terre la peine du feu,
on se rallia ou bien au sentiment de saint Tho-
mas, Billuart, De angelis, diss. VI, a. 3, § 2, Lyon,
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405 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 406
1839, t. II, p. 217, 219, oo bien à celui de Suarez.
8. Hiéi*archie des dénions. — Les théologiens main-
tinrent le sentiment de Suarez sur le principat de Satan
et sur les chefs intermédiaires entre lui et les démons
inférieurs. Voir Mazzella, /)e Deo créante, dïsp. II, a. 9,
§ 2, p. 465, p. 323 sq.
9. Action des démons sur les hommes, — Les démons,
sortant de l'enfer et venant sur la terre pour faire la
guerre aux hommes et les entraîner à leur perte^
peuvent leur nuire de plusieurs façons : a) en les pous-^
sant au péché par la tentation; b) en les affligeant de
divers maux; c) en leur procurant certains avantages
matériels pour mieux les séduire; d) en usurpant auprès
d'eux la place de Oiau et en sUmposantà leur adoration.
a) L'office principal des démons sur la terre est de
tenter les hommes. Voir Tentation.
6) Les démons peuvent aussi nuire aux hommes,
en les affligeant de divers mattœ. — Souvent ce n'est
là, de leur part, qu'une forme spéciale de tentation.
S'ils font souffrir les hommes, c'est pour les faire
tomber en des péchés d'impatience, de murmure
contre Dieu, de colère, de blasphème, de découragement,
et même de désespoir. Dieu le permet, pour faire
éclater davantage la vertu de ses élus, comme il le
permit pour Job, car l'Écriture attribue à l'esprit mau-
vais tous les maux qoe ce saint homme eut à souffrir.
Cf. Job, I, 6, 8, 10; ii, 5, 7 sq. Quelquefois aussi, Dieu
se sert de cette milice des démons pour châtier les
pécheurs. Dans les maux dont ils affligent leurs vic-
times, ils ne sont alors que les instruments de sa
justice. C'est pour un motif de ce genre, semble-t-il,
que le démon Asmodée put mettre à mort, les uns
après les autres, les sept maris de Sara, fille de Haguel.
Tob., III, 8.
L'Évangile afflrme qu'une foule de maladies, dont il
fait mention fréquemment, étaient l'œuvre du démon.
Matlh., XII, 22; xvii, 1i sq. Voir Démoniaques. Aussi
rÉglise dans beaucoup de ses bénédictions, par exemple
celles de l'eau, du sel, des saintes huiles, commence
par des exorcismes, et demande ensuite que, par ces
objets dont elle a chassé le démon, les fidèles soient
préservés de ses funestes atteintes. Cf. Suarez, De
angelis, I. VIII, c. xx, t. ii, p. 1084-1088; Mazzella,
De Deo créante, disp. Il, a. 9, § 2, n. 466-469; § 3,
n. 483-486, p. 324-326, 335-337; P. Verdun, Le diable
dans la vie des saints, 2 in-12, Paris, 1895.
L'action néfaste du démon sur les hommes revêt
diverses formes. L'une des principales est l'obsession.
Par elle, le démon occupe, en quelque façon, le corps
de l'homme, et se sert de ses organes contre la volonté
même de cet homme. Il lui fait accomplir, parfois,
certains actes qui dépassent les forces de la nature
humaine. Il y a dans l'obsession plusieurs degrés.
Voir Obsession. Cette action du démon sur l'homme
s'appelle possession, si l'esprit mauvais s'empare com-
plètement de sa personne, et exerce sur lui un tel
empire que toute action humaine cesse, pour ainsi
dire. Cf. Mazzella, De Deo créante, disp. II, a. 9, § 2,
n. 466-474, 486489, p. 324-329, 337, 340. Voir Possession.
Que les démons aient ce pouvoir d'obséder ainsi les
hommes et de s'en rendre maîtres, cela ressort de
nombreux passages de l'Écriture, en particulier de
ceux où il est dit que Notre-Seigneur commandait aux
démons de sortir du corps des hommes dans lesquels
ils s'étaient introduits. Matth., xii, 22 sq.; Marc, v, 9;
Luc, IT, 33 sq., 41 ; viii, 27; x, 17 sq. Cf. Act., xvi, 16
tq.; xix, 12, etc. Voir Démoniaques.
c) Les dénions peuvent procurer aux hommes cet*-
tains avantages matériels pour mieux les séduire* —
Par leur intelligence et leur puissance, les démons, en
effet, sont supérieurs aux hommes. Ils connaissent les
secrets de la nature et les agents physiques bien mieux
que les savants ne les connaîtront jamais. Ils sont
donc capables de produire des résultats surprenants,
et même, quand cela sert à leurs desseins perfides, de
procurer des avantages matériels à ceux qui ont recours
à eux. Il peut donc y avoir un véritable commerce de
l'homme avec les démons.
Cette communication avec les démons était, dans
l'Ancien Testament, punie des peines les plus sévères^
comme, par exemple, la peine de mort, par la lapida-
tion, même pour les femmes qui s'en rendaient cou-
pables. Lev., XX, 27; Deut., xviii, 11; I Reg., xxviii,
7, 9-10, 13. Elle constitue une faute très grave. Cf. Décret
de Gratien, part. II, caus. XXVI, q. v; S. Thomas,
Sum, theol., II» II», q. xcii-xcvi. Ce commerce de
l'homme avec les démons est de diverses espèces. Voir
Magie, Superstition.
De nos jours, Tintervention du démon dans les choses
humaines est encore réelle, quoique, dans les nations
chrétiennes, elle soit beaucoup moins fréquente qu'au
sein du paganisme ancien et moderne. On ne doit
cependant l'admettre, dans les cas particuliers, qu'avec
preuves sérieuses à l'appui. Lorsque des faits extraordi-
naires sont constatés, on doit examiner avec soin si les
forces de la nature ne suffisent pas à les expliquer.
Souvent, en effet, des faits surprenants ne sont pas
solidement établis, et leur fausseté devient, plus tard,
manifeste. D'autres fois, ces faits ne sont que j'œuvre
d'habiles prestidigitateurs, ou le résultat des agents
naturels.
On aurait tort, néanmoins, de rejeter, comme des
fables puériles, tout ce qui est raconté au sujet de
pactes conclus entre l'homme et le démon. La théologie
démontre la possibilité de ce commerce de l'homme
avec le démon. Mais, comme en ces matières si com-
plexes, et si différentes de l'ordre ordinaire des choses,
les causes d'erreur sont nombreuses, l'examen des cas
particuliers demande une grande prudence et une extrême
circonspection. Seule, l'autorité ecclésiastique est com-
pétente, pour porter, en dernière analyse, un jugement
à leur sujet.
Jamblique, De mysteriiè ACgyptiorum, Chaldxorum, Aêsy-
norurn, in-fol., Oxford, 1678; fn 8% Berlin, 1857; Hebenstreit,
DeJamblichidoctrina, in-4*, Leipzig, ilQ^;WieT, Deprœstigiis
dxmonum, ln-4% Bàle, 1583 ; Bodin, Traité de la démonomanie,
in-4% Paris, 1589; Boguet, Discours des sorciers, ln-12, Rouen,
1606; Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. VII, De ange-
lis, disp. X-XIV, 21 in-8% Paris, 1877-1883, t. iv, p. 564-795;
P. d6 Lancre, Tableau de l'inconstance des démons, in-4*.
Paris, 1613; Psellus, Dialogusde dœmotium operatione, ln-8',
Paris, 1615, et P. G., t. cxxii, col. 819-883 ; BInsfeld, De con-
fessionibus maleflcorum et sagarum, in-12, Cologne, 1623; Pla-
tina, De angelis et dœmonibus, in-4*, Bologne, 1740; Calmet,
Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires,
2 in-12, Paris, 4751 ; de Sainte-Croix, Recherches historiques
et critiques sur les mystères du paganisme, 2 in-8», Paris,
1817 ; Gôrres, Christliche Myatik, 4 in-8*, Rati abonne, 1836-1842 ;
La mystique divine, naturelle et diabolique, 4 in-4% Paris,
1862; Collln de Piancy, Dictionnaire infernal, in-8*, Paris, 1844 ;
Thibaudet, Des esprits et de leurs rapports avec le monde vi-
sible d'après la tradition, in-8«, Paris, 1854 ; Lecanu, Histoire
de Satan, sa chute, son culte, ses manifestations, sesjeuvres,
in-8% Paris, 1861 ; Mœurs et pratiques des démons, in-8*. Paris,
1865; BIzouard, Des rapports de Vhomme avec le démon,
6 ln-8*, Paris, 1863-1864; A. de Saint-Albin, Le culte de Saran,
In-12, Paris, 1867; H. d'Anselme, Un avocat du diable, in-8*,
Avignon, 1870; De MIrville, Des esprits et de leurs manifesta-
tions diverses, 6 ln-8*, Paris. 1803-1868; Palmierl, De Deo
créante et élevante, in-8*, Rome, 1878, part. II, c. ii, a. 2, thés.
Lix-LX, LXlii-LXlv, p. 444-455, 471-490; Mazzella, De Deo
créante, in-8*, Rome, 1880, disp. II, a. 8, § 1, n. 429-434; § 2.
n. 442; a. 9, n. 453-474; 8 3, n. 481-489, p. 295-298, 303-306, 315-
329, 333-340; Llchtenberger, Encyclopédie des sciences reli-
gieuses, v* Démons, 13 ln-8*, Paris, 1877-1882, t. m, p. 647-656;
E. de Rajano, Gli angeli od angelico mondo nel disegno diDio,
in-8*, Naples, 1883, p. 74-175 ; Angelorum seu angelici mundi
theologia, 10 in-8*, Naples, 1884, t. ix, p. 31-94; Martigny, Dic-
tionnaire des antiquités chrétiennes, V Démons, ln-4*, Paris,
1889, p. 240 sq. ; Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi
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407 DÉMON DIAPRÉS LES DÉCISIONS OFFICIELLES DE L'ÉGLISE 40»
catholique, v Démon, in-4» Paris, 1890, p. 774-782; P. Verdun.
Le diable dans les missions, 2 ln-12, Paris, 1893 ; Le diable dans
la vie des saints, 2 ln-12, Paris, 1895; Ribet, La mystique divine
distinguée des contrefaçons diaboliques, 3 in-8% Paris, 1895;
Lescœur, La science et les fnts surnaturels contemporains,
In-8*, Paris, 1897 ; Godard, L'occultisme contemporain, in-12,
Paris, 1900 ; Pesch, Prœlectiones dogmaticœ, tr. De Deo créante,
sect. V, De angelis, a. 2, n. 397-403, 408-410; tr. De novissi-
mis, part. I, sect. iv, a. 2, n. 634; a. 3, n. 6624:65, 6683871;
9 in-8% Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. m, p. 213-216, 219-223;
t. IX, p. 3t2sq.,324-326, 327-329 ;Tixeront, if îsroiVe des dogwtf«,
La théologie anténicéenne, c. i, S 2-3 ;c. ii,§ 1, § 5; c. v, § 3;
c. XIV, § 1. ln-12, Paris, 1906, p. 38 sq., 65 sq., 108 8q..243 sq.,
447 sq. ; Kirchenlexikon, v« Teufel, 2* édit., t. xi, col. 1445-1449.
T. Ortolan.
IV. DtMON D'APRÈS LES DÉCISIONS OFFICIELLES
DE L'ÉGLISE. — L'Église n'est guère intervenue, par
Torgane de son magistère suprême, dans la détermina-
tion de la doctrine révélée sur les démons. Elle a laissé
à ses docteurs le soin de l'exposer comme la liberté
d'étudier les questions que la révélation divine ne nous
a pas fait connaître. Il s'est élevé peu d'erreurs sur le
diable et les anges, et l'Église a eu rarement l'occasion de
condamner des enseignements faux ou hérétiques. Les
points qu'elle a fixés officiellement et qu'elle impose à
notre foi sur ce sujet sont donc peu nombreux.
1© La création des démons a été définie par divers
conciles et imposée à la foi de tous les fidèles, dans les
nombreux symboles, affirmant contre les doctrines dua-
listes, qui se renouvelaient presque à chaque siècle,
que Dieu était le créateur des êtres visibles et invi-
sibles, parmi lesquels étaient rangés les anges déchus
aussi bien que les anges demeurés fidèles à Dieu. V^oir
t. I, col. 1264-1265; t. m, col. 2078-2079.
2<> Dans des réunions tenues à Constantinople avant
le V« concile œcuménique de 553,- on condamna dans
15 anathématismes diverses erreurs des origénistes du
vi« siècle. La seconde partie du 2« anathémalisme con-
damne leur opinion sur la déchéance des esprits. Les
âmes préexistantes, tout à fait identiques les unes
aux autres, lasses de contempler Dieu, se portent vers
le mal, chacune suivant sa propension propre. Par suite,
elles prennent des corps plus ou moins subtils et gros-
siers et portent des noms difl'érents; elles sont enfin
réparties dans ce qu'on a appelé les ordres célestes.
Les démons sont celles de ces âmes, qui ont atteint le
suprême degré de malice et ont été liées à des corps
froids et ténébreux (4» analhématisme). Le 5« repousse
la théorie de la métempsycose ou du changement d'un
animal ou d'un homme en ange ou en démon. Le
début du 6« repousse la distinction de deux catégories
de démons, l'une formée des âmes humaines déchues
et des anges les plus élevés, entraînés plus bas par le
poids de leurs fautes. Le 12« rejette l'union des anges,
des hommes, du diable, des mauvais esprits et de l'âme
elle-même du Christ au Logos dans le futur royaume
de Dieu. Denzinger, Enchiridion, n. 188, 190-192, 198.
Voir t. I, col. 1265-1266, et Origénisme au vi« siècle.
3<» Au concile de Braga, tenu en 561, les évoques es-
pagnols ont porté ces quatre anathématismes contre
les manichéens et les priscillianistes :
7. Si quis dicit diubolum non fuisse prius bonum angelum a
Deo factum nec Dei opificium fuisse natnram ejus, sed dicit eum
ex tenebris emersisse nec aiiquem sui babere auctorem, sed
Ipsum esse principium atque substantiam mali, sicut Manichaeus
et Priscillianus dixerunt, anathema sit.
8. Si quis crédit, quia aliquantas in mundo crcaturas diabolus
fecerit et tonitura et fulgura et tempeslates etsiccitatcs ipse dia-
bolus sua auctoritate faciut, sicut Priscillianus dixit, anathema
sit.
12. Si quis plasmationem humani corporis diaboli dicit esse
figmentum et concepliones in uteris matrum operibus dicit dae-
monum figurari, ... sicut Manicliœus et Priscillianus dixerunt, ana-
thema sit.
i'^. Si quis dicit creationem universaî camis non opificium Dei,
sed malignorum esse angelorum, sicut Priscillianus dicit, ana-
thema Bit. Cf. Denzinger, Enchiridion, 10« édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1908, n. 237, 238, 241, 242.
4« Le IV« concile de Latran, XII» œcuménique, pro-
mulgua, en 1215, une profession de foi contre le»
erreurs des albigeois, qui avaient renouvelé la doctrine
manichéenne des deux principes. Il y définissait que
Dieu est le créateur de toutes choses, puisqu'il a fait
de rien, simul ah inilio teniporis, les créatures spiri-
tuelles et corporelles, les anges et le monde. Il ajou-
tait : Diabolus enim et alii dœmones a Deo quidem
natura creati $u,nt boni, sed ipsi per se facti sunt
mali. Homo vero diaboli suggestione peccavit. Den-
zinger, n. 355 (428 de la 10« édition). De cette définition
il résulte clairement que tous les anges, même ceux qui
sont devenus mauvais, ont été créés par Dieu et qu'ils
ont été créés bons, mais qu'ils sont devenus mauvais
d'eux-mêmes, par leur propre dépravation; il en résulte
aussi que le diable a fait tomber l'homme dans le pé-
ché. La spiritualité des anges et des démons, bien
qu'affirmée par le concile, n'a pas été cependant l'ob-
jet de sa définition, pas plus que la date précise de
leur création. Voir t. i, col. 1268-1270; t. m, col. 2080-
2081.
5» Parmi les 45 articles de Wikleff, condamnés par
le concile de Constance et par le pape Martin V en
1418, le 6* est ainsi libellé : Deus débet obedire dia-
bolo, Denzinger, n. 482 (586 de la 10« édition).
60 Le concile de Trente, sess. V, can. 1, a déclaré
que, par sa transgression du précepte divin, Adam a
encouru captivitatem sub ejus potestate qui mortis
deinde habuit imperium, hoc est diaboli. Denzinger,
10* édit., n. 788.
7» Le concile du Vatican, const. Dei Filius, c. i, a
renouvelé le décret Firmiler du IV« concile de Latran
et il a défini que toutes les choses du monde, les spi-
rituelles et les matérielles, ont été produites de rien
par Dieu dans la totalité de leur substance. Denzinger,
10* édit., n. 1783. Comme il a reproduit textuellement
sur le point qui nous occupe le décret de Latran, il n'a
voulu définir, comme lui, que la création par Dieu de
tous les anges et il n'a pas imposé à la foi catholique ni
la spiritualité des démons, ni la date précise de leur
création. Voir A. Vacant, Études Ihéologiques sur les
constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. i,
p. 219-227.
£n résumé, l'autorité de l'Église nous impose
d'admettre comme de foi catholique que les démons
ont été créés par Dieu ainsi que toutes choses, qu'ils
ont été créés bons, que, s'ils sont déchus, c'est par
leur faute, et qu'ils n'ont pas créé la matière ni les
corps. Il est de foi divine qu'il y a des anges déchus,
que le diable, leur chef, a tenté l'homme et Ta fait
tomber dans le péché, que Satan et ses anges ten-
tent et persécutent les hommes et que, en punition
de leur faute, ils ont été condamnés à l'enfer éternel,
qui a été préparé pour eux. 11 est certain par ailleurs
que les démons, comme les anges, sont des esprits et
n'ont pas de corps, qu'ils ont été créés avant les hommes
et au commencement du temps, avec les êtres corpo-
rels. Mais il n'y a rien de définitif sur la nature et
l'objet du péché des anges, sur la date de leur chute,
sinon qu'elle est antérieure à la création de l'homme;
sur leur condition après la chute, sinon qu'ils sont les
ennemis de l'homme, qu'ils portent au mal et qu'ils
sont obstinés dans leur malice, sur la nature de leur
peine, sinon qu'ils sont destinés à l'enfer éternel. Les
sentiments des théologiens, que nous avons exposés
plus haut, sur les points non contenus dans la révé-
lation, sont plus ou moins probables et n'ont jamais
été sanctionnés par l'autorité de l'Église. Les docteurs
ne se sont pas crus liés par les opinions de leurs
devanciers ; ils les ont copieusement critiquées, cher-
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409
DEMON — DEMONIAQUES
410
chant à préciser davantage les points laissés à leur
libre discussion.
Hagen, Der Teufel im Licht der Glauhensquellen, 1899;
XircMicheê Handlexikon, Munich, 1907, t. i, col. 1035.
E. Mangenot.
DÉMONIAQUES. — I. Définition. II. Existence.
III, Cause. IV. Responsabilité des démoniaques.
I. DÉFi.MTiON. — On appelle démoniaques les per-
sonnes dont le corps, par une permission de Dieu, est
livré, plus ou moins complètement, à l'inAuence mal-
faisante du démon. L'Écriture las désigne sous le
nom de Soct|i.ovt^6(ievo(, ou de 6at(£^vt(rdévTe;, a dœ-
monio vexali, êa'.jiôvia ï^o^éxtij dsBmonia habentes,
asAr,vta^6(ievoi, lunatici.
Cette influence du démon sur les possédés n'est pas
simplement indirecte ou morale, comme, par exemple,
dans les tentations, même les plus fortes; elle est une
action directe et physique, exercée par les esprits de
ténèbres sur les organes corporels du malheureux
soumis à leur empire. Il en résulte pour celui-ci un
état maladif, étrange, sortant des lois ordinaires des
affections morbides, quoique souvent accompagné de
phénomènes d*ordre purement naturel que le démon dé-
termine en lui, simultanément avec ceux qui dépassent
la sphère propre aux agents physiques. Ces phénomènes
sont habituellement une surexcitation générale et pro-
fonde de tout le système nerveux; l'épilepsie, Matth.,
IV, 24; Marc., m, il; Luc, vi, 48; ou bien des paraly-
sies locales, Luc, xiii, 11, 16, causant le mutisme, la
cécité ou la surdité, bien que les organes des sens
persistent dans leur intégrité native, Matth., ix, 32; xii,
22; Marc, ix, 24; et d'autres maladies de diverses
formes. Matth., viii, 16; xv, 22; Marc, i, 32, 34, 39;
VII, 25; Luc, iv, 41; vu, 21; viii, 2.
D'autres fois, au contraire, le démon communique
à sa victime un accroissement extraordinaire de force
musculaire. Le malheureux entre en fureur, au point
d'écumer de rage, de grincer des dents, de pousser
des cris épouvantables, de se précipiter dans Teau ou
dans le feu. II devient alors redoutable pour ceux qui
l'approchent, brise, comme des fétus de paille, les
chaînes de fer dont on veut le lier; et, s'il ne peut
atteindre les autres, tourne sa fureur contre lui-même,
se déchirant avec ses ongles, et se meurtrissant avec
les pierres du chemin. Matth., viii, 28, 32; xvii, 14;
Marc, V, 2,4, 13; ix, 16, 17; Luc, vni, 27, 29,33; ix,
39; Act., XIX, 13-16.
Cette action troublante et bouleversante du démon
sur les organes corporels se continue dans les facultés
mixtes, comme l'imagination, la mémoire, la sensibi-
lité. Elle s'étend même plus loin et plus haut dans
l'être humain, car elle a sa répercussion jusque dans
l'intelligence. Les opérations intellectuelles présentent
parfois un tel caractère d'incohérence, que les démo-
niaques paraissent frappés d'aliénation mentale. Il
n'est pas rare aussi de voir se produire, dans le domaine
de l'esprit, un phénomène analogue à celui qui se passe
dans le corps et ses organes. De même que le démon,
au lieu de paralyser les énergies corporelles du démo-
niaque, en augmente parfois la puissance ; de même,
au lieu de diminuer ses lumières naturelles, il com-
munique à son intelligence des connaissances qui dé-
passent de beaucoup sa portée. Matth., viii, 29; Marc,
1, 24, 34; 111,2; v, 7; Luc,iv, 3441; viii, 28; Act.,xvi,
16, 18.
Les démoniaques peuvent être sous l'influence non
seulement d'un démon, mais de plusieurs, en même
temps; et parfois d'un si grand nombre qu'ils s'ap-
pellent eux-mêmes légion. Matth., xii, 43, 45; Marc,
V, 9; XVI, 9; Luc, viii, 30; xi, 24-26.
II. Existence. — L'Ancien Testament ne fait pas
mention explicite des démoniaques; il parle seulement
du pouvoir qu ont les esprits malins d'exercer sur les
malheureux, dont ils s'emparent, une action néfaste,
malfaisante et lyrannique. Il raconte, par exemple,
comment l'esprit mauvais se précipitait sur le roi Saûl,
l'agitait d'une façon affreuse et le rendait farouche et
sanguinaire. I Re^., xvi, 14-16; xïx, 9. Cf. Josèphe,
Ant. jud., VI, viii, 2; xi, 2.
Au temps de Noire-Seigneur, les démoniaques
étaient fort nombreux, en Palestine, voir col. 331, et
ils paraissent l'avoir été beaucoup plus que dans toute
autre période de l'histoire. Il en fut ainsi, soit parce
que la dépravation païenne avait pénétré jusqu'au sein
du peuple de Dieu; soit parce que c'était le moment
d'une lutte décisive et sans merci entre le bien et le
maL La puissance céleste qui se manifestait si claire-
ment dans les actes de Jésus, provoqua, de la part des
anges tombés, une recrudescence de haine et de rage.
De même que Dieu, par l'incarnation, se rendait visi-
ble et habitait parmi les hommes, Baruch, in, 38;
Joa., i, 14; ainsi le démon affirmait davantage son
existence et son pouvoir, essayant, lui aussi, d'habiter
d'une façon plus visible et comme tangible dans l'hu-
manité. Le contraste entre la miséricorde de Dieu et
la malice de Satan, poursuivant de sa haine jalouse
l'homme que Dieu voulait sauver, s'accentuait ainsi
davantage. Marc, v, 19. Cet antagonisme violent était
nécessaire, afin que la victoire du Sauveur sur les
puissances infernales lat plus éclatante. Cf. Delitzsch,
System der biblischen Psychologie, in-8», Leipzig,
1861, p. 305.
Depuis l'établissement de l'Église, le nombre des
démoniaques a, de beaucoup, diminué dans les nations
devenues chrétiennes. Cf. Martigny, Dictionnaire des
antiquités chrétiennes, in-4«>, Paris, 1889, p. 312. Par
le baptême et les autres sacrements, les fidèles sont
préservés de ces atteintes sensibles du démon. lia
perdu de son empire, même sur ceux qui, ayant été
baptisés, vivent cependant d'une manière peu conforme
à la foi de leur baptême. Membres de l'Église, quoique
membres morts, ils trouvent dans celte union, pour-
tant si imparfaite, au corps mystique du Christ, un se-
cours souvent suffisant pour que le démon ne puisse
s'emparer d'eux, comme il l'aurait fait, s'ils étaient
païens.
Néanmoins, non seulement dans les régions qui
n'ont pas reçu l'Évangile, mais aussi dans celles où
l'Église est établie, des démoniaques se rencontrent
encore. Leur nombre augmente en proportion du degré
de l'apostasie des nations qui, autrefois catholiques,
abandonnent peu à peu la foi, et retournent au paga-
nisme théorique et pratique.
On a tenté, de nos jours, au nom du progrès des
sciences médicales et des sciences connexes, de nier
l'existence des démoniaques. Dans leur état si étrange,
on n'a voulu voir que des affections morbides spéciales,
surtout des maladies nerveuses, d'origine toute natu-
relle. Cf. Richet, Les démoniaques d'aujourd'hui et
d'autrefois, dans la Revue des deux mondes, 15 jan-
vier, l^et 15 février 1880; Kicherj Études cliniques sur
la grande ?iy8térie,iïi-S°y Paris, 1880; Charcot, Leçons
sur les maladies du système nerveux, faites à la Sal-
pêtrière, recueillies et publiées par le docteur Bour-
neville, in-8<», Paris, 1880; Charcot et Richer, Les dé-
moniaqttes dans Vart, in-8o, Paris, 1881 ; Dourneville
et Regnard, L'iconographie photographique de la
Salpêtrière, 3 in-4o, Paris, 1878-1882.
Les Juifs, a-t<on dit, attribuaient aux démons des
phénomènes morbides qui n'étaient que l'effet de
l'épilepsie, de l'hystérie, ou de la folie. Cf. Renan, Vie
de Jésus, c xvi; Ed. Slapfer, La Palestine au temps
de Jésus Christ, 3« édit., Paris, 1885, p. 2^3-244. Cette
erreur leur était commune avec beaucoup d'anciens
peuples, qui rendaient les génies malfaisants respon-
sables d'une foule de maladies dont souffraient les
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411
DÉMONIAQUES
412
hommes. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples
de VOrient classique, 3 in-8s Paris, 1895, t. i, p. 683,
780. Chez les Grecs, d'ailleurs, le mot Saijiovâv,
avoir un démon, signifiait simplement divaguer, être
fou. Cf. Euripide, Phœnic, 888; Plutarque, Marcel.,
23; Lélut, Du démon de Socrate, in-8», Paris, 4856.
C'est dans ce sens que les Juifs accusèrent Jésus d'avoir
un démon, et, par suile, de ne savoir ni ce qu'il
disait, ni ce qu'il faisait. Matth., xi, 18; Joa., viii, 48,
52; X, 20.
Les apôtres, ajoute-t-on, auraient partagé l'erreur
des Juifs, alors si répandue ; et Notre-Seigneur, en dé-
livrant les malades de leurs infirmités, se serait, dans
la manière de s'exprimer, conformé à l'erreur de son
temps. Cf. Winer, Biblisches Realwôrterbuch, in-4»,
Leipzig, 1833, p. 191. Il n'est pas admissible que
Notre-Seigneur, par son langage, ait voulu confirmer
une erreur. Il l'aurait combattue, au contraire, tout en
guérissant les malades, comme il le fit à propos de
Taveugle-né. Ses apôtres croyaient que cette cécité
était une punition des péchés des parents, ou même
de ceux que l'aveugle aurait commis avant sa naissance,
ou pendant sa vie présente, et que Dieu aurait punis
par anticipation. Les Juifs pensaient, en effet, que
tout mal physique était un châtiment, comme l'avaient
dit à Job les amis venus pour le consoler. Cf. Exod.,
XX, 5; Deut., v, 9. Notre-Seigneur détrompa ses apô-
tres au sujet de l'aveugle-né. Joa., ix, 1-8. Comment
ne Taurait-il pas fait pour une erreur plus préjudicia-
ble encore? Non seulement il ne chercha point à
modifier cette croyance des apôtres à l'existence des
démoniaques, mais il la fortifia par son enseignement.
Bien plus, il leur communiqua le pouvoir de guérir
ces étranges malades, en chassant eux-mêmes les dé-
mons. Matth., X, 1; XII, 27, 43, 45; xv, 22; xvii, 15-20;
Marc, V, 9; vi, 7; vu, 25; ix, 27 sq.; xvi, 17; Luc.,iv,
33; VIII, 27; ix, 1, 40; x, 17, 20. Ils ont exercé aussi
ce pouvoir après l'ascension. Voir col. 334.
Le démon, il est vrai, peut causer dans l'homme des
désordres organiques desquels résultent des maladies
qui ne dépassent pas l'ordre naturel. Job, ii, 7 sq.
Mais il peut faire davantage. De nombreux exemples
prouvent que les évangélistes distinguaient très bien
entre les maladies simplement naturelles, susceptibles
d*étre produites indifl'éremment par les agents phy-
siques, ou par les agents supérieurs à la nature; et les
effets extraordinaires et autrement surprenants qui ne
pou valent être que la suite de l'intervention des démons.
Matth., IV, 24; viii, 14-17; xii, 9-14; xv, 28; Marc, m,
10, 11; Luc, VI, 18; ix, 43. Tout muet, tout homme
sourd, tout épileptique n'est pas pour eux un démo-
niaque. Leur était-il possible de concevoir comme
purement naturelle, une maladie qui, au moment de la
guérison, projette violemment à terre celui qu'elle
abandonne, et le laisse comme pour mort sur le sol ?
Marc, IX, 25; Luc, iv, 35; ou bien celle qui d'un
malade passe dans un troupeau d'animaux, et les préci-
pite dans un lac, où ils sont noyés, comme il arriva
pour les deux démoniaques du pays des Géraséniens?
Matth., VIII, 28-34. Cf. S. Thomas, Sum. theol, III»,
q. XLiv, a. 1, ad 4»». Aussi saint Matthieu, dans les
malades que Notre-Seigneur guérissait, distingue-t-il
très clairement les démoniaques des paralytiques et des
lunatiques, ou épileptiques. Cf. Yigouroux, Les Livres
saints et la critique rationaliste, 5 in-8<>, Paris, 1891,
t. V, p. 386 sq.
La croyance des évangélistes aux démoniaques se
retrouve dans les saints Pères. Très souvent ils affirment
que les démoniaques existaient, à leur époque, parmi
les païens. Cf. Tertullien, Apolog,, c xxiii, P. L,, 1. 1,
col. 413; Minucius Félix, Octavius, c. xxvii, P. L.,
t. III, col. 323; S. Cyprien, Adversus Demetrianum,
c. XV, P. L., t. IV, col. 574 sq.; Lactance, Divin, inslil.,
1. II, c. XVI ; 1. V, c. xxiii, P. L., t. vi, col. 355; S. Je-
rôme, Adversus Vigilant., c. x, P. L., t. xxiii, col. 348;
S. Justin, Apot., I, 18; Dialog. cum Tryph., n. 85,
P. G., t. VI, col. 355, 676; S. Irénée, Contra hœr., 1. II,
c. VI, n. 2; c. xxxii, n. 4, P. G., t. vu, col. 725, 829;
Origène, Jn Num., homil. xvi, P. G., t. xii, col. 690;
Eusèbe, Prmp. evangel., 1. IV, c i sq.; 1. XIV, c. x,
P. G., t. XXI, col. 229, 309; S. Athanase, De incarna-
tione Verbi, n. 46 sq., P. G., t. xxv, col. 178 sq. ;
S. Cyrille de Jérusalem, Cat., iv, 13; x, 19, P. G.,
t. xxxiii, col. 472, 685; S. Cyrille d'Alexandrie,
Comment, in Os., c. iv, P. G., t. Lxxi, col. 130; Quœ-
stiones ad orthodoxos, q. XL, P. G., t. vi, col. 1285.
L'objection faite au nom des progrès des sciences
médicales tombe d'elle-même, si l'on considère atten-
tivement les faits allégués. L'ignorance a parfois con-
fondu des cas pathologiques mal étudiés, ou mal connus,
avec des possessions démoniaques. Il est faux, cepen-
dant, que l'on puisse toujours confondre celles-ci avec
des affections simplement morbides. Les maladies
mentales, pas plus que l'hystérie ou l'état hypnotique,
ne peuvent soustraire un individu aux lois du monde
physique, ni lui communiquer des lumières intellec-
tuelles ou des forces musculaires ne présentant aucun
rapport avec celles qu'il avait dans son étal normal.
On ne peut nier, en outre, que, de nos jours encore,
l'hystérie, l'aliénation mentale, et autres maladies, ne
soient accompagnées de faits vraiment extraordinaires
qu'on ne saurait rattacher au domaine strictement
scientifique. Ces cas, qui déroutent la science impuis-
sante à les guérir, et ne peuvent s'expliquer par le
seul jeu des agents physiques, semblent bien dus à
l'intervention de causes supérieures à la nature. De
plus, comme il s'y révèle une action malfaisante et
souvent immorale, on ne saurait les faire remonter
jusqu'à Dieu ou à ses anges. Il faut donc y voir l'influen-
ce des démons; et ces prétendus malades, sont, bien
des fois, de vrais démoniaques. Cf. Jaugey, Diction^
naire apologétique de la foi catfiolique, in-4o, Paris,
1889, col. 778 sq., 2515-2541; Hélot, Nèv%*oses et posses-
sions diaboliques, in-8o, Paris, 18^.
III. Cause. — La permission donnée par Dieu an
démon de s'emparer ainsi des organes corporels et des
facultés spirituelles d'une créature humaine, est parfois
la punition de certains péchés graves commis par les
possédés, en particulier des péchés de la chair. Il n'en
est pas cependant toujours ainsi. Un démoniaque n'est
pas nécessairement coupable. Quelquefois, Dieu permet
cet état, comme il permet certaines maladies, pour en
tirer sa gloire par l'intervention ostensible de sa toute-
puissance, Joa., IX, 1-8, ou pour éprouver les possédés
eux-mêmes.
L'Évangile nous présente l'exemple de démoniaques
gémissant sur leur triste état, dont ils se rendaient
suffisamment compte pour désirer leur guérison. Il leur
restait, en effet, des intervalles de lucidité et de liberté
morale. Ils allaient alors demander à Notre-Seigneur
de les délivrer. Mais, dès qu'ils s'approchaient du Fils
de Dieu, les démons qui les possédaient, entraient en
fureur, ne voulant pas lâcher leur proie. Ces malheureux
semblaient alors soumis, en même temps, à deux forces
contraires : l'une qui les attirait vers Jésus; l'autre qoi
les en repoussait violemment. C'est à ces moments
surtout qu'ils semblaient être des fous furieux, et deve-
naient dangereux pour ceux qui les entouraient. S'ils
ne pouvaient les atteindre, ils tournaient contre eux-
mêmes leur propre fureur, se déchirant et se meurtris**
sant les chairs. Après des paroles de supplications
adressées au Messie, suivaient, sans transition, des
injures et des cris de haine, ou des reproches tels que
ceux-ci : « Qu'y a-t-il de commun entre toi et nous? —
Pourquoi viens-tu avant l'heure nous tourmenter? >
Matth., viii, 29; Marc, v, 7; Luc, viii, 28.
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413
DÉMONIAQUES — DENIFLE
414
lY. Responsabilité des démoniaques. — Malgré le
trouble apporté par la présence du démon dans les
opérations intellectuelles des démoniaques, ceux-ci
gardent parfois, en tout ou en partie, le pouvoir de
résister aux suggestions diaboliques. Ils restent, alors,
devant Dieu, responsables de leurs actes, dans la mesure
où leur liberté morale demeure. Mais si leur corps
échappe totalement, par intervalles, à Tempire de leur
âme, ils ne portent plus évidemment la responsabilité
d'actes qui ne sont pas leur œuvre, et qu'ils ne peuvent
nullement empêcher. Cette irresponsabilité persiste,
autant que dure en eux cette perturbation profonde qui
leur enlève l'usage de la liberté. L'homme n'est plus
alors qu'un instrument inerte, sous le pouvoir absolu
de l'esprit mauvais qui le possède et s'en sert.
Chose digne de remarque, en effet. Si le démon peut
s'emparer du corps des démoniaques, au point de les
soustraire' parfois plus ou moins aux lois physiques,
par exemple à celle de la pesanteur, ou de leur commu-
niquer une vigueur extraordinaire ; il ne peut pas,
cependant, à proprement parler, s'emparer de leur
âme, et pénétrer en elle contrairement à leur volonté.
C'est là un privilège de Dieu exclusivement. Cf. S. Au-
gustin, De spiHtu et anima, 27; De ecclesiculicis
dogmatibus, 50, P. L., t. XL, col. 799; t. XLii, col. 1221;
S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. VIII, q. i, a. 5,
ad 6»"; Sum. theol., I«, q. cxiv, a. 1-3. Il ne peut donc
se servir de la liberté humaine, comme il se sert des
organes corporels, pour les faire agir à sa guise. Tous
les moyens qu'il est capable de mettre en jeu, pour
amener les démoniaques à vouloir ce qu'il veut lui-
même, sont la crainte, la terreur, la fascination pro-
duite dans leur esprit par cette puissance extraordinaire
dont ces malheureux constatent les effets, dans leur
propre corps. Leur responsabilité, quand elle subsiste,
est fortement diminuée par ces circonstances atté-
nuantes. C'est pour ce motif sans doute que l'on voit si
souvent dans l'Évangile Notre-Seigneur adresser de vifs
reproches aux démons qu'il chasse, et n'avoir que des
paroles de compassion pour les démoniaques eux-
mêmes. Cf. Ribet, Jm mystique divine distinguée des
cont effaçons diaboliques et des analogies humaines,
pari. III, c. X, § 9, 10, 3 in-8^, Paris, 1895, t. m, p. 207
sq. Voir Possession.
p. Thyrée, De dsemùniaciê, in-4% Cologne, 1594; in-8*, Lyon,
1699; De BéruUe, Traité des énergumènes, in-4% Paris, 1657;
Âcta sanctorum, t. vi maii, p. 491 sq., 600, et passim ; t. vu,
p. 761 ; Esqulrol, Maladies mentales, 2 in-8% Paris, 1838; Braid,
Neurypnology or the rat tonale af nervous sleep, considered
in relation with animal magnetism, in-8*, Londres, 1843 ;
Cahneil, De la folie, 2 in-8% Paris, 1845 ; Briquet, Traité de
V hystérie, in-8*, Paris, 1847; Hue, Souvenirs d'un voyage dans
la Tartarie, le Thibet et la Chine, 2 in-8*, Paris, 1850; Sandras
et Bourguignon, Traité pratique des maladies nerveuses,
2 in-8*, Paris, 1860; Boucbut, Nervosisme, in-8*, Paris, 1860;
Briére de Bolsmont, Des hallucinations, in-8*, Paris, 1862;
Gorres, La mystique divine, naturelle et diabolique, 4 in-8*,
Paris, 1862; PaiUouz, Le magnétisme, le spiritisme et la pos-
session, in-12, Paris, 1863;Bi2ouart, Des rapports de l'homme
avec les démons, 6 in-8*, Paris, 1863-1864; Smith, Dictionary
ofthe Bible, v* Demoniacs, 3 in-S", Londres, 1863, t. i, p. 425-
427; De Mirville, Des esprits et de leurs manifestations diverses,
6 ÎD-a*, Paris, 1863-1868 ; Lenormant, La magie chez les Chai'
déens, in-8*, Paris, 1874; Ritti, Théorie physiologique des
hallucinations, in-3*, Paris, 1874; Dagonet, Nouveau traité
élémentaire et pratique des maladies mentales, in-8*, Paris,
1876; Undsay, Cyclopaediaofbiblicalliterature, v* Demoniacs,
3 in-8*, Edimbourg. 1877, t. i, p. 661-664; Palmieri, De Deo
créante et élevante, part. II, c. ii, a. 2, th. lxiii, in-8*, Rome,
1878, p. 473-479 ; de Bonniot, Le miracle et les sciences médi-
cales, in-12, Paris, 1879; Mazzella, De Deo créante, disp. II,
a. 9. n. 409-474, 486-490, in-8*, Rome, 1880, p. 326-328, 337-441 ;
Oureot, Leçons sur les nmladies du système nervewc, faites à
ta Saipétrière, recueillUrs et publiées par le docteur Boume-
viWf, in-S% Paris, 1880; Richer, Études cliniques sur la grande
hystérie, în-8*, Paris, 1880: Richet. Les démoniaques d'aujour-
d'hui et les démoniaques d'autrefois, dans la Revue des deux
mondes, 15 janvier, 1" et 15 février 1880; Charcol et Ricber, Les
démoniaques dans l'art, in-8', Paris, 1881 ; Boumeville et
Regnard, L'iconographie photographique de la SalpHriëre,
3 in-4*. Paris, 1878-1882; Petit, Une épidémie d'hystéro-démo-
nopathie à Verzegnis, dans la Revue scientifique, avril 1880;
Azenfeld et Ilucliard, Traité des névroses, in-8*, Paris, 1883;
Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, in-4**,
Paris, 1889, col. 778 sq., 2515-2541 ; FértS Les épilepsies et les
épileptiques, in-8*, Paris, 1890; Nevins, Possession and allied
thèmes being an inductive Study of Phenomena ofour own
Times, in-8*, New-Yorlc, 1896; Ribet, La mystique divine
distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies
humaines, part. III, c. ix-x, 3 in-8*, Paris, 1895, t. in, p. 175-
233; Voisin, L'épilepsie, in-8*, Paris, 1897; Hélot, Névroses et
possessions diaboliques, in-8*. Paria, 1898; Sollier, Genèse et
nature de l'hystérie, 2 in-8*, Paris, 1897; Janet, Névroses et
idées /teea, 2 in-8*, Paris, 1898; Maurice de Fleury, Introduc-
tion à la médecine de l'esprit, in-8*, Paris, 1898; Pesch,
Prmlectiones dogmaticœ, tr. De Deo créante et élevante, sect. v,
a. 2, n. 414, 9 in-8', Fribourg-en-Brisgau, 1902. t. m, p. 220;
Picard, La transcendance de Jésus-Christ, 1. IV, c. i, § 2, Les
anges et les démons, 2 in-8', Paris, 1906, t. ii, p. 61 sq., 63-67;
H. Laebr, Die Ddmonischen des N. T., Leipzig. 1894.
T. Ortolan.
DENIFLE JoMph, né à Imst, village de rOberinntal,
en Tyrol, le 16 janvier 1844, fit ses premières études au
gymnase de Hrixen. En 1861, il prend l'habit domini-
cain au couvent de Gratz et change son nom de Joseph
en celui de Heinrich, en mémoire de Henri Suso, un des
grands mystiques de Tordre. 11 étudie la philosophie et
la théologie dans Tordre, à Gratz, d'abord, puis à Rome
et à Saint-Maximin, prés de Marseille. Ordonné en 1866,
il continue ses études jusqu'en 1870. Vers cette époque,
il devint professeur de philosophie au couvent de Gratz :
il y demeura pendant dix ans. Pendant cette période,
le P. Denifle s'adonna à la prédication à Gratz et dans
d'autres grandes villes d'Autriche. Un premier livre fut
le résultat de ces prédications : Die katJwlischeJiirche
und das Ziel der Menscheit, Gratz, 1872; 2« édit., in-8»,
Gratz, 1906. En 1880, le P. Denitle est appelé à Rome
auprès du général de Tordre, en qualité de socius. Au
cours de l'hiver 1882-1883, il se rend en Espagne pour
y rechercher les manuscrits des œuvres de saint Thomas
d'Aquin, en vue de la réédition que venait de décider
Léon XllI. 11 profite de ce voyage pour poursuivre ses
travaux personnels. En 1883, à la recommandation du
cardinal Hergenrôther, il fut nommé sous-archiviste
aux Archives secrètes du Vatican. A partir de ce mo-
ment Thistoire de la vie du P. Denille se confond avec
celle de son activité littéraire. Ses travaux lui procurè-
rent de nombreux séjours en France, en particulier à
Paris où il séjourna plus de 40 fois. Les qualités de
cœur du P. Denifle lui avaient assuré partout de pré-
cieuses amitiés. Durant sa vie les plus honorables dis-
tinctions lui étaient venues de nombreux corps savants
des différents pays de l'Europe. Le P. Denille fut un
vigoureux polémiste, parfois même son ardent amour
de la vérité lui fit dépasser la mesure dans ses critiques
à ses contradicteurs. Il mourut le 10 juin 1905, à Munich,
d'une attaque d'apoplexie et fut enterré dans la crypte
de la basilique de Saint-Boniface.
Nous n'indiquerons ici que celles des œuvres du
P. Denifle qui ont rapport à la théologie. Bien que ses
recherches fussent surtout d'ordre historique, il n'en
est guère pourtant où des questions théologiques de la
plus haute importance n'aient été touchées. Au point
de vue surtout des sources de l'histoire de la théologie
médiévale, l'œuvre du P. Denifle s'impose parla richesse
et la sûreté de ses renseignements. Nous grouperons
les ouvrages se rapportant à un même sujet, sans
entrer dans 1^ détail des nombreuses polémiques se rap-
portant à ces divers ouvrages :
1» Sources de la théologie médiévale; étude des ins-
titutions. — Le centre des études théologiques au
moyen âge étant l'université, d'où procèdent tout le
mouvement théologique et la vie ecclésiastique, le
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415
DENIFLE
DÉNISOV
416
P. DeniHe s'adonna d*une façon spéciale à Tétude de ces
institutions. On a de lui : 1. Die Universitàten des Mit-
telalters bis 4400, t. i, Die Entstehung der Universi-
tàten, in-8o, Berlin, 1885. Dans la pensée de l'auteur,
Touvrage devait comprendre 4 volumes. Seul, le pre-
mier parut; dans les 3 autres, il devait traiter en particu-
lier de Tuniversité de Paris. — 2. Le plus important
pour l'étude de la vie théologique est l'ouvrage publié
en collaboration avec Emile Châtelain : Chartularium
universilatis PatHsiensis sub auspiciis consilii generalis
facultatum Parisiensiuru , 4 in-8<», Paris, 1889, t. i (de
1200 à 1286); 1891, t. ii (de 4286 à ia"50); 1894, t. ni (de
1350 à 1384); 1897, t. iv(de 1384 à 1452). Comme com-
plément au cartulaire, les deux collaborateurs publièrent
VAuclarium chartularii universitalis Parisiensis,
Paris, 4894, t. i; 1897, t. ii. Ces deux volumes contien-
nent le Liber procuratontm nationis Anglicanœ {Aie-
maniœ), de 1333 à 1466. Le cartulaire présente aux éru-
dits de la théologie médiévale deux classes de rensei-
gnements précieux : l'une regarde l'histoire de l'institu-
tion elle-même et de son développement; l'autre,
surtout constituée par les notes très abondantes des
éditeurs, renferme à peu près sur chaque personnage de
cette période des données érudites Irùs complètes.
— 3. Intéresse aussi l'étude des sources de l'histoire
de la théologie médiévale ÏArchiv fïtr Lilteratur und
Kirchengeschichte des Miltelaltevs, revue fondée en
1885, en collaboration avec le P. Ehrle, S. J. Elle com-
prend 7 vol. Dans les 6 premiers, le P. Denide a publié :
Die Sentenzen Abûlards und die Bearbeitungen sei-
ner % theologia » von Mille des i2 Jahrhunderls, 1885,
t. 1, p. 402-469, 584-624; Die Sentenzen Jlugos von
SL Victor, 1887, t. m, p. 634-640; Urspt^ng der
Hisloriades Nenio, 1888, t. iv, p. 330-348. — 4. Concer-
nant les théologiens du moyen âge, le P. Denifle
avait réuni une quantité de documents précieux : Quel-
lenzur Gelehrlengeschichte des Predigerordens im i3
und UJahrhunderl, 1886, t. ii, p. 365-248; Quellen zur
Gelehrlengeschichte des Karmelitenordens ini i3 und
d4 Jahrhunderl, 1880, t. v, p. 365-386; Quellen zur Dis-
putalion Pablo*s Chrisliani mit Mose Nachmani zu
Barcelona, 1263, dans Hislorisches Jahrbuch, 1887,
p. 225-244.
2» Études sur la théologie mystique au moyen âge,
— Le P. Denifle ne cessa jamais de s'occuper de ces
éludes par lesquelles il avait débuté. 1. Der Gottes-
freund im Oberland und Nikolaus von Basel, dans
HistofHsch'politische Blàtter, 1875, t. lxxv, p. 17 sq.,
93 sq., 245 sq., MO sq.; sur le même sujet. Die Dich-
tungen des Gottesfreundes ini Oberland, dans Zeit-
schrift fur deutscher Alterthum und deutsche Liltera-
tur, 1880, t. XXIV ; 1881, t. xxv. — 2. Une autre série
très importante sur les mystiques dominicains :
a) Henri Suso, Die Schriflen des sel. Heinrich Seuse,
1. 1, Deutsche Schriflen, 3 parties, in-80, Munich, 1880;
b) Jean Tauler, Das Buch von geistlicher Armuth, be-
kannt als Johann Taulers Nachfolgung des armen
Lebens ChHsli, Munich, 1877; c) Maître Eckhart,
Aklenstûcke zu Meister Eckharts Prozess, dans
Zeilschrift fîir deutscher Alterthum, 1885, t. xxix,
p. 259 sq.; Meister Eckharts làteinische Schriflen und
die Grundanschauung seiner Lehre, dans Archiv,
1886, t. II, p. 417-652; Das Cusanische Exemplar la-
teinischer Schriflen Eckharts in Cues, dans Archiv,
t. II, p. 673 sq.; Die Heimath Meister Eckharts, dans
Archiv, 1889, t. v, p. 349 sq.
Le P. Denifle 4it aussi dans VArchiv, 1888, t. iv,
p. 263-311, 471-601, une étude imporUnle : Die Hand-
schriflen der Bibelcorreklorien des i3 Jahrhunderls.
3* Controverse théologique, — Nous plaçons sous
cette dénomination le dernier grand ouvrage du
P. Denifle : Luther und Lutherlum in der erster Ent-
wicklung quellenmassig dargestelll. L'ouvrage com-
prend 3 parties formant le t. i : l" partie, in-S»,
Mayence, 1904; 2«édit.,1904; !!• partie, 2« édit., Weiss,
1905; I1I« partie, 2« édit., Weiss, 1906. Une traduction
italienne de la 2« édition allemande a été entreprise par
Mfl«" Mercati, Rome, 1905. Ce n'est pas une biographie
de Luther, mais plutôt une étude sur la déformation
systématique de certaines idées théologiques dans la
psychologie de Luther. La h* partie est consacrée à
la critique du célèbre ouvrage de Luther, De votis
moncLslicis judicium. Le P. DeniAe s'applique à bien
caractériser la position de Luther par rapport à la
théorie des vœux de religion, spécialement de la chas-
teté. Â la doctrine de Luther, il oppose celle de saint
Thomas d'Âquin sur la vie parfaite et les conseils
évangéliques. Cette étude est des plus importantes
pour bien comprendre les idées qui ont dominé toute
la théologie protestante depuis Luther. Le P. Denifle
lui-môme a intitulé la II* partie : Beitrag zur Ge-
schichte der Exégèse, der Lileratur und des Dogmas
im Mittelaller. L'auteur y donne l'interprétation jusqu'à
Luther du passage de saint Paul : Juslilia enim Dei
in eo revelatur ex fide in fidem, Rom., i, 17, et de la
justiflcation, en 66 grands extraits de l'Ambrosiaster et
des autres commentateurs occidentaux de l'Épltre aux
Romains jusqu'à Luther. C'est un des plus beaux spé-
cimens d'étude de théologie positive. La III« partie est
constituée par l'étude des conséquences de ses doc-
trines dans la psychologie de Luther. Ce dernier ou-
vrage souleva contre son auteur une polémique très
vive de la part des protestants, surtout de Harnack et de
Seeberg. Le P. Denifle leur répondit dans une brochure
importante : Luther in ralionalisticher und christU-
cher Beleuchtung, Pnnzipielle Auseinander^elzung
mit A. Haimack und R. Seeberg, Mayence, 1904;
cf. aussi Bévue d'histoire ecclésiastique, 1904, p. 405 sq.
Enfin le P. Weiss, 0. P., a publié sur les notes du
P. Denifle et comme complément de son ouvrage :
Lutfierpsychologie als Schlitssel zur Lulherlegende,
in-8«, Mayence, 1906.
M»' J. P. Kirsch, Le I\. P. Henri Suso Denifle, notice bio-
graphique et bibliographique (extrftit de la Revue d'histoire
ecclésiastique, Louvain, 1905, t. vi, p. 3 8q.);Hennan Grauert,
P. Heinrich Denifle, O. Pr. Ein Wort zum Gedachtnis uvd
zum Frieden. Ein Beitrag auch zum Luther- Streit, In-8*,
FrIbourg-eD-Brisgau, 1906; Dr. Martin Grabmaim, Heinrich
Denifle O. P. Eine Wiirdigung seiner Forschungsarbeit,
in-8*, Mayence, 1906. Voir aussi les diverses études faites en de
nombreux périodiques â l'époque de sa mort.
R. COULON.
DÉNISOV André et Siméon, frères, les plus féconds
écrivains du raskol russe et les initiateurs de sa théo-
logie scientifique. André, l'ainé des deux frères, naquit
en 166i à Povienetz, gouvernement d'Olonetz, et Siméon
en 1682. Leur père, Denis Evstaphiev, descendait de la
noble famille des princes Mychetsky. Dans son enfance,
André assista aux épisodes de la terrible persécution
que le gouvernement russe avait inaugurée contre les
partisans du raskol. Ceux-ci, traqués comme des bétes
fauves, étaient obligés de se cacher dans des forêts im-
pénétrables, toujours exposés au danger, si on les dé-
couvrait, de périr sur le bûcher, ou d'être envoyés
en Sibérie. Dans leur farouche mysticisme et dans
l'attente prochaine de l'Antéchrist, beaucoup de ces
fanatiques se donnaient la mort. Ces circonstances influè-
rent sur l'àme du jeune André Dénisov, naturellement
portée au mysticisme. Le diacre Ignace du monastère
de Solovetz lui inspira sa haine contre la réforme li-
turgique du patriarche Nikon, et son enthousiasme
ardent pour le raskol. En 1691, à l'insu de ses parents,
il quitta la maison paternelle et se retira au monastère
de Saroozero, fondé par Ignace. Le monastère se trou-
vait alors sous la direction de Daniel Vikouline, qui
frappé par l'érudition et le zèle d'André Dénisov, Pçn-
gagea à fonder avec lui ^'ermitage de Vyg sur le
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DENISOV — DÉNONCIATION
418
fleuve du même nom, dans la Poméranie russe. Cet
ermitage, connu sous le nom de Vygovskaia pustyna,
devint célèbre dans l'histoire du raskol russe. André y
acquit bientôt une si grande influence qu'en 1703
Daniel lui-même le pria de prendre sur lui le gouver-
nement de la nouvelle communauté. Pour défendre
avec plus de succès le raskol sur le terrain Ihéolo-
gique, il fréquenta incognito les cours de TAcadémie
ecclésiastique de Kiev, où enseignait alors Théophane
Prokopovitch. L'ancienne littérature russe lui était très
familière, et il s'en servait habilement pour défendre
les croyances du raskol. 11 avait des attaches même à
la cour du tsar, et on assure qu'il était en relations
avec la tsarine Sophie. Grâce à son inlluence, un ukase
de Pierre le Grand, du 7 septembre 1705, sanctionna
l'autonomie de l'ermitage de Vyg et reconnut ofBcielle-
ment la communauté qui y était établie. En 1697, il
avait été rejoint à Vyg par son père et ses frères
Siméon et Ivan. Il s'y adonnait aux pratiques les plus
rudes de Tascétisme et à l'étude. Il y fonda une école
de peinture religieuse et une école de calligraphes,
chargés de copier les œuvres polémistes des raskolniks,
que le gouvernement défendait d'imprimer. Leur atta-
chement au raskol était si grand que Siméon ne céda
pas à quatre années de prison (1713- 1716) subies à Nov
gorod et résista énergiquement à toutes les tentatives
du métropolite de cette ville pour le gagner à l'Église
ofGcielle. André mourut au mois de février 1730, et la
communauté de Vyg lui donna comme successeur Si-
méon. Ce dernier s'appliqua à parachever l'œuvre de
son frère, à organiser intérieurement Terraitage de
Vyg, et à le défendre contre l'hostilité de l'Église or-
thodoxe. Sa mort eut lieu en 1741.
Le bibliographe du raskol russe, Paul Lioubopytny,
mentionne 119 ouvrages de polémique théologique et
liturgique et d'ascétisme, sortis de la plume d'André
Dënisov. Le plus important sans contredit est intitulé :
Ponionkie OlvvHij {Réponses de la Poméranie). Les
raskolniks le considèrent comme le livre fondamental
de leurs croyances. Le saint synode avait suggéré à
André la composition de ce livre. £n 1722, se présenta
à Vyg le hiéromoine Néophyte, chargé par le saint sy-
node de montrer aux raskolniks de ce monastère la faus-
seté de leurs doctrines. Néophyte rédigea un recueil de
106 questions touchant les points controversés entre
l'Église orthodoxe et le raskol, et demanda aux moines
de Vyg d'y répondre. André se mité l'œuvre, avec l'aide
de ses frères, et en quelques mois il composa les Po-
niorskie Otuiety, l'apologie la plus complète et la plus
savante du raskol sous le rapport théologique, archéo-
logique et historique. A en croire les raskolniks, le
succès fut complet. Néophyte ne fut pas capable de
réfuter les arguments de ses adversaires. 11 quitta Vyg
a la dérobée, et ne se décida à répondre qu'après un
silence de vingt ans. Son OblUchenie {Réfutation) de
l'ouvrage d'André Dénisov proposait la violence comme
le seul moyen d'amener à résipiscence les adhérents
du raskol. Les Poniorskie Otviely avaient réussi à chan-
ger la tactique de l'Église ofûcielle, qui, battue sur le
terrain doctrinal, cherchait sa revanche en préchant la
persécution. Il fallut attendre presque deux siècles pour
que l'archimandrite Paul le Prussien (f 27 avril 1895),
converti du raskol à l'Église ofUcielle, publiât ses Re-
marques sur les Poniorskie Otviety : Zamietchaniia
na knigupomorskikh olvietov, UoscoUy 1891. L'ouvrage
d'André Dénisov, qui circulait en Russie, a été publié
en 1887 par les moines du monastère Manouîlevsky-
Nikolsky en Roumanie.
On doit aussi à André un autre volume fameux dans
rhistoiredu raskol russe, Diakonovy Otviety {Les répon-
ses d'un diacre), rédigées sur les instances des raskol-
niks de Xijn y-Novgorod, qui avaient leur centre de pro-
pagande dans une skité sur les bords du fleuve Kerjenetz.
DICT. DE THÉOL. CATHOL.
Pitirim, archevêque de Novgorod (1719-1738), connu
par sa cruauté contre les raskolniks, avait envoyé des
missionnaires aux moines de Kerjenetz et ceux-ci
s'adressèrent, pour leur répondre, à André Dénisov qui
rédigea les Diakonovy Otviety, Cet ouvrage a été
édité en 1907 comme supplément au SlaroobiHadetz de
Nijny-Novgorod : Otviety Aleksandr a diakona na Ker-
jentzie podannyia Nijegorodskomu episkopu IHtirimu
V iSiO godu. L'éditeur l'attribue au diacre Alexandre,
écrivain du raskol, mais il déclare lui-même que la
question d'auteur n'est pas tranchée.
Les autres écrits d'André Dénisov sont des traités de
polémique contre les orthodoxes, ou des monographies
historiques concernant le raskol, ou des sermons et
des exhortations ascétiques.
Siméon, d'après Lioubopytny, est l'auteur de
47 ouvrages d'apologie du raskol. Les plus importants
sont le Vinograd ou Vertograd {La vigne russe) et
YHistoire des pères et des martyrs du monastère de
Solovetz. On y trouve les biographies, ou plutôt les
panégyriques des raskolniks qui payèrent de leur vie
l'attachement à leurs croyances, ou qui, parleurs écrits
et leur prédication, contribuèrent à répandre le ras-
kol. Le Vinograd a été publié à Moscou en 1906 :
Vinograd rosiiskii ili opisanie postradavchikh v
Rossiiza drevnetzerkovnoe blagotchestie. On l'appelle
aussi Vertograd, p. xvi. Le second a été publié dans la
même ville par B. Ousov : Istoriia o ottziekh i stra-
daltziekh ije za blagotcJœstie i sviatyia tzerkovnyia
zakony i predaniia v nastoiachtchaia vreniena veli-
koduchno postradacha, Moscou, 1907.
Tchistovilch, Vygovskaia raskonitchtlskaia pustyna v per-
voi polovinie xviii stoUetiia, dans les Tchteniia de la Société
d'histoire et d'antiquités russes, Moscou, 1859, t. ni, p. 161 ;
Philippov, Istoriia vygovskoi slaroobriadtcheakoi pustyni,
Saint-Pétersbourg. 4862, p. 139-151 ; Bibliotheka dliia Tchteniia,
1864, t. XXXI, p. 1-32; N. Barsov, Bratiia Andrei i Semen De-
nisovy; epizod iz istorii russkago raskola, Pravoslavnoe
ObozHenie, 18€5, t. xvili, p. 55-91, 232-247, 412-438,514-528;
E. Barsov, Semen Dénisov Vtorouchine, predvoditel russkago
raskola xviii vieka, Trudy de l'Académie ecclésiastique de
A'iev, 1866, t. i, p. 174-230; t. li, p. 168-230, 285-304; t. m,
p. 570-588; Id., André» Dénisov Vtorouchine, kakvygoretzkii
propoviednik : materialy dlia istorii russkago raskola, ibid.,
1867, t. I, p. 243-262; t. Il, p. 81-95; Lioubopytny, Istoritcheskii
Slovar i katalog ili Biblioteka staroviertcheskoi tzerkvi, Mos-
cou, 1866, p. 37-51, 169-174; Nilsky, Semeinaia jizn v russkom
raskolie, Saint-Pétersbourg, 1869, t. l, p. 29-30; Ulojenie bra-
tiev Denisovykh : materialy dliia istoi-ii pomorskago raskola,
Pamiatnaia knijka Olonetzkoi gubemii za i868-1869 god,
5* année, Petrozavodsk, 1869, p. 85-119; Istoritcheskii Viest-
nik, 1885, t. xxii, n. 12, p. 715; Bratskoe Slovo, Moscou, 1886,
t. I, p. 321 ; t. II. p. 777 ; Pravoslavnaia bogoslovskaia Entzi-
klopediia, t. iv, col. 996-1001 ; Russkii biographitcheskii Slovar,
litl. D, p. 514-528; Bratia Denisovy, dans Izobornik narodnoi
gazety, Moscou, 1906, 1" année, n. 3-4, p. 11-13.
A. Palmieri.
DÉNONCIATION. — L Notion et espèces. IL Droit
naturel. IIL Droit positif.
L Notion et espèces. -— La dénonciation est la
manifestation faite à un supérieur du crime ou de la
faute de Tun de ses subordonnés. Faite à un supérieur
ut patri, uniquement ou principalement dans l'intérêt
du délinquant, c'est la dénoncidiion évangélique,V\ine
des formes de la correction fraternelle. Voir t. m,
col. 1907. Faite au supérieur ut judici, dans l'intérêt
soit du bien public soit du dénonciateur, c'est la dénon-
ciation judiciaire, la seule dont il sera ici question.
II. Droit naturel. — A quelles conditions la dénon-
ciation sera-t-elle : Illicite; 2» obligatoire?
lo Licéité. — Pour n'être pas coupable, la dénoncia-
tion doit être : 1. exacte : les faits doivent être manifestés
tels qu'ils sont connus, donnés comme certains ou
simplement comme probables lorsqu'ils sont tels;
autrement, la dénonciation devient calomnieuse ou
IV. - 14
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DÉNONCIATION
420
téméraire; 2. motivée par des raisons suffisantes; autre-
ment, elle serait médisance; 3. conforme, en ce qui
regarde Tintention, aux règles de la charité.
2o Obligation. — Pour être obligatoire, la dénoncia-
tion doit être nécessaire pour arriver à une fin — bien
à procurer ou mal à écarter — qu'on est tenu de chercher.
Ce principe s'applique évidemment à ceux qui par
devoir d'étal sont tenus de surveiller et de dénoncer
les tentatives contraires au bien public; il s'applique
aussi aux personnes qui n'y sont tenues qu'en vertu
d'une obligation générale de charité ou de justice
légale. Il vise surtout les cas d'agissements occultes,
compromettant la paix de la société ou les droits des
individus, comme sont, par exemple, les entreprises
coupables menaçant la vie ou la fortune des particu-
liers, les complots contre la société ou le chef de l'État.
La dénonciation ainsi entendue ne peut être confon-
due avec l'odieuse pratique de la délation; elle en
diffère à la fois par son but et son objet. La délation,
en effet, ne cherche point le bien public et ne manifeste
pas seulement ce qui peut le menacer; elle cherche
avant tout à nuire à la personne dénoncée et manifeste
indifféremment tout ce qui peut lui faire tort, fût-ce
la chose la plus innocente et la plus légitime. Voir
col. 24i.
in. Droit positif. — !<> Droit civil. — Le droit
romain distinguait la dénonciation de l'accusation.
L'accusation forçait le juge à procéder contre l'accusé;
mais Taccusateur était tenu de faire la preuve sous peine
d'être poursuivi comme calomniateur. Le dénonciateur
n'était pas tenu de prouver, mais le juge n'était point
tenu de donner suite à sa dénonciation.
En France, le code pénal n'oblige plus les simples
particuliers à dénoncer les crimes. La loi du 28 avril
1832 a abrogé les articles qui rendaient la dénonciation
obligatoire, en particulier les art. 103-107, 136 du code
pénal. Le législateur se borne à encourager la dénon-
ciation de certaines fautes qui d'ordinaire ne peuvent
se commettre par un seul homme. On encourage les
coupables à dénoncer leurs complices par la promesse
de ne point inquiéter ceux qui, avant toute exécution
ou tentative de ces complots ou crimes et avant toutes
poursuites commencées, auront fait des révélations à
l'autorité administrative ou judiciaire. Code pénal,
art. 108, 138 et 435. Ces dispositions suppriment le
crime ou le délit de non-dénonciation, mais pour n'être
plus une obligation légale, la dénonciation ne cesse pas
d'être prescrite par le droit naturel dans les circon-
stances indiquées plus haut.
2o Droit canon. — La nécessité de sauvegarder dans
le peuple chrétien la pureté de la foi a provoqué dans
l'Église l'établissement d'une législation spéciale contre
les hérétiques et les personnes suspectes d'hérésie. La
règle est qu'il faut les dénoncer à l'inquisiteur ou à
l'évêque. Un mois est concédé pour faire cette dénon-
ciation. Si la personne est simplement suspecte d'héré-
sie, deux causes dispensent de ce devoir : la .crainte
fondée de quelque grave dommage; puis, d'après une
opinion qui ne manque pas de probabilité, la parenté
jusqu'au quatrième degré. Si l'hérésie est formelle, la
raison de parenté ne suffit plus. On considère comme
suspects d'hérésie ceux qui contractent mariage malgré
la présence d'un empêchcmentdirimantouqui donnent
les sacrements sans avoir reçu l'ordination sacerdotale,
ou qui s'obstinent à répéter des blasphèmes hérétiques,
ou qui abusent, par des pratiques superstitieuses, de la
sainte eucharistie ou des saintes huiles; ou qui ne
veulent point dénoncer les hérétiques formels, ou qui
font partie des sectes condamnées ou qui enfin sollicilent
ad tufpia des personnes qu'ils confessent.
Comme le remarque Lehmkuhl, Tfieologia moralis,
n. 813, cette législation positive ne s'impose plus, dans
les contrées où l'hérésie est impunément professée.
avec la même rigueur qu'autrefois. La dénonciation
resterait sans effet. Il demeure pourtant que, confor-
mément au droit naturel, on doit dénoncer à l'autorité
compétente l'hérétique qui répand en secret des
erreurs et corrompt la foi des simples. S'il n'est pas
possible de l'arrêter ou de l'empêcher, on pourra du
moins mettre les fidèles en garde contre lui. Deux dis-
positions toutefois restent en pleine vigueur; elles con-
cernent : 1. les chefs de certaines sociétés secrètes;
2. les confesseurs indignes qui sollicitent ad turpia.
1. Chefs des sociétés secrètes. — Pie IX, parla bulle
Apostolicœ sedis, frappe d'excommunication non seu-
lement nomen dantes sectœ niassonicœ atttcarbonanm
aut aliis ejusdem generis, mais encore non denun-
liantes occultos coryphœos et duces... donec non de-
nuntiaverint. Pie VII, const. Ecclesiam, § 10, et
Léon XII, const. Quo graviora, § 13, obligeaient de dé-
noncer tous les membres des sociétés secrètes. L'ex-
communication aujourd'hui n'est encourue que si l'on
omet de dénoncer les chefs occultes. Cette obligation
subsiste relativement à ceux qui passent publiquement
pour avoir un grade élevé dans ces sociétés et qui l'ont
en effet, parce que la réalité ne répond pas toujours aux
apparences, et si cela est, il est bon qu'on le sache.
La dénonciation doit être faite à l'évêque ou à son dé-
légué. L'excommunication est encourue quand, durant
un laps de temps notable, on a négligé de dénoncer.
Il suffît d'un mois pour constituer cette notable période
et Ton doit compter à partir du jour où l'on connaît
l'obligation de dénoncer. Cette obligation cesse toutefois,
lorsque la dénonciation est complètement inutile ou
si difficile qu'elle est moralement impossible. Si l'ex-
communication a été encourue, elle cesse ou du moins
cesse d'être réservée quand la dénonciation est faite.
2. Les confesseurs coupables de sollicitation ad tur-
pia. — Pie IV, par la lettre Cum sicut nuper, ordon-
nait aux inquisiteurs d'Espagne de poursuivre et de
punir très rigoureusement les confesseurs coupables
de ce crime. Grégoire XV, par la bulle Universis
(10 août 1611), étendit à toute l'Église cette disposition
qui d'abord n'obligeait que l'Espagne. Il ordonna d'ins-
truire au saint tribunal les pénitents sollicités ad tur-
pia de dénoncer aux inquisiteurs ou aux évêques tout
prêtre séculier ou régulier qui personas, quœcumque
illœ sint, ad inhonesta sive inter se sive cum aliis
quomodolibet perpetranda, in actu sacramentalis
confessionis sive antea sive post, immédiate, seu occa-
sione velprœtextu confessionis etiam ipsa confessione
non secuta, sive extra occasioneni confessionis, in
confessionario aut in loco quocumqu£ ubi confes-
siones scccramentales audiuntur seu ad confessioiiem
audiendam electo simulantes ibidem confessiones
audire, sollicitare vel provocare tentaverint aut cum
eis illicitos et inhonestos sermones sive tractatus ha-
buerint. Benoit XIV, const. Sacramentum pœnitentim,
confirme et précise encore les décisions de Grégoire XV
en réprouvant, par une même condamnation, toute sol-
licitation faite sive verbis, sive signis, sivenutibus, sive
tactu, sive per scripturam aut tune aut postea legen-
dam. Deux décisions du Saint-Office, l'une du 11 février
1661, l'autre du 20 février 1867, sont relatives à ces
matières : la première, rappelée et confirmée par Be-
noit XIV, précise surtout la notion juridique de solli-
citation; la seconde, le devoir de la dénonciation. Voirie
texte dans Ballerini, Opus morale theologicum,^* ééïlt
t. IV, p. 582-583. Pie IX a confirmé cette discipline en
frappant d'une excommunication majeure non réservée
négligentes sive culpabiliter omittentes denuntiare
infra mensem confessarios sive sacerdotes a quibus
sollicitati fuerint ad turpia in quibuslibet casibuM
expressis a... Gregorio XV... et Benedicto XIV.
Xous indiquerons ici ce qui concerne la dénonciation
proprement dite. Pour les autres questions, voir SOL-
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421
DÉNONCIATION — DENS
422
uciTATiON. La dénonciation est obligatoire sub gravi,
toQS les textes le supposent ou Tafïirment. On encourt
l'excommunication , lorsqu'on omet sans motif, pendant
l'espace d'un mois, la dénonciation que Ton sait obli-
gatoire et imposée sous peine de censure. Le confesseur
ne peut donner l'absolution qu'après dénonciation faite
ou du moins sérieusement et sincèrement promise.
Sont tenus de dénoncer tous ceux qui connaissent
avec certitude le fait de la sollicitation* à moins qu'ils
ne raient appris sous le sceau du secret, sacramentel
ou non. La dénonciation est obligatoire même si la
faute est ancienne, réparée par la conversion du cou-
pable, impossible à prouver juridiquement. L'obliga-
tion cesse d'exister quand le coupable est mort, ou
même, selon une opinion probable, s'il est tout près de
la mort, c'est-à-dire si malade ou si vieux qu'il ne
pourra jamais plus confesser. Le confesseur qui a sol-
licité n'est pas tenu de se dénoncer, ni ceux qui forment
avec lui une seule personne morale, c'est-à-dire ses
parents et ses proches au premier degré. Nul, en effet,
n'est tenu de se dénoncer lui-même. Le fait d'un incon-
vénient très grave, conséquence certaine, inévitable et
extrinsèque de la dénonciation, excuse encore de ce de-
voir; si pourtant le silence gardé sur la sollicitation doit
provoquer un scandale public, il ne sera permis de se
taire que dans le cas d'un inconvénient analogue très
grave et d'ordre public. La crainte fondée de voir divul-
guer le secret de la dénonciation dispenserait encore
du devoir de révéler.
La dénonciation régulièrement doit se faire en per-
sonne et de vive voix, sous peine de nullité. S'il est
matériellement ou moralement impossible de remplir
ainsi ce devoir, on en est dispensé tant que dure l'im-
possibilité. Mais on doit tâcher d'en rendre possible
l'accomplissement, en demandant, par exemple, à
Tévêque de déléguer un clerc et de l'envoyer à l'effet
de recueillir la dénonciation.
L'imputation calomnieuse du crime de sollicitation
est un péché dont l'absolution est réservée au pape,
mais non frappé de censure.
Salmmnticenses, Theolcgia moraliê, tr. XXIX, c. ii; S. Al-
phonse, Theologia moralis, I. III, n. 123; 1. IV, n. 236-254;
L M, n. 675-693; Scavini. Theologia moralia univeraa, 10* édit.,
t- IV, n. 181 ; Ferraris, Prompta bibliotheca canonica, Rome,
1760, art. Denunciatio ; Mbtc, Inêtitutionett moraleB alphori'
tianm, 7* édîL, Rome, 1898, n. 2304-2307, 1701, 1354, 1794, 1772 et
442; Lehmkuhl, TheoL moralis, 4* édit., Fribourg-en-Brisgau,
1887, U I. n. 811-813 ; t. u, n. 952, 977, 987 ; Ballerini-Palmieri,
OpuM theologicum morale, 2* édit., Prato, t. iv, p. 417-418;
t. V, p. 580-618; t. vu, p. 250-254; les théologiens moralistes et
les canonistes dans les traités de la foi, de la pénitence et des
censures.
V. Oblet.
i. DENS Pierre, théologien belge, naquit à Boom,
près d'Anvers, le 12 novembre 1690. Il fit de brillantes
humanités au collège des Pères de la congrégation de
l'Oratoire, à Matines. 11 vint ensuite à Louvain et y
suivit les cours de philosophie, à la « pédagogie du
Lys •. Au concours général de 1711, auquel cent-quatre
concurrents avaient pris part, il sortit < second de la
première ligne », ce qui, en langage officiel de l'époque,
veut dire second de toute la série. Il entra alors au
■ Grand-Collège », pour y commencer l'étude des
sciences sacrées. Ordonné prêtre en 1715, il était, deux
ans plus tard, envoyé à l'abbaye bénédictine d'Affiighem,
avec mission d'initier les religieux de cette maison aux
connaissances théologiques. Il n'avait encore aucun
grade académique; mais, le 5 octobre 1733, il fut pro-
clamé licencié en théologie. Certains biographes se
sont trompés en rapportant cette promotion à l'année
ITiO : la date que nous indiquons ici ne saurait être
mise en doute, attestée qu'elle est par le manuscrit
2il83, fol. 2 V., delà Bibliothèque royale de Bruxelles.
Cest alors que Dens fut transféré comme professeur au
séminaire de Malines. Dans ce nouveau milieu, ainsi
que dans le précédent, il s'acquitta de son devoir avec
autant de succès que de dévouement et d'intelligence,
s'appliquant surtout à réunir et à présenter en une
forme concise et claire les principes de la morale et
les résolutions particulières qui en découlent. En 1729,
il échangea le professorat contre la charge de plél>an de
Saint-Hombaut, qu'il avait obtenue au concours et
avec laquelle il cumula, à partir de 1735, les fonctions
d'examinateur synodal et de président du grand sémi-
naire. Il renonça, en 1737, à son ministère de pléban,
pour accepter un canonicat de l'église métropolitaine;
et, la même année, il fut nommé écolâtre de Malines.
Le 4 juin 1751, il était appelé, comme chanoine gra-
dué, à l'office de pénitencier, puis, en 175i, promu à la
dignité d'archiprêtre. 11 mourut âgé de près de quatre-
vingt-cinq ans, le 15 février 1775, et il fut inhumé dans la
chapelle du séminaire, qui avait été entièrement re-
construite sous sa direction. On y voit encore, sur sa
pierre tombale, une brève épitaphe rappelant les nom-
breuses charges qu'il avait remplies successivement ou
simultanément.
Pierre Dens était un prêtre d'une piété exemplaire,
d'une bonhomie et d'une simplicité antiques, d'une
grande affabilité, assidu et ardent au travail et cher-
chant à en répandre l'ardeur autour de lui. Sa gravité
sans affectation ni morgue, sa science théologique et la
droiture de son sens pratique en avaient fait le con-
seiller très écouté de beaucoup de ses confrères dans
le sacerdoce et en particulier de beaucoup de curés.
Austère pour lui-même, il se distinguait par les lar-
gesses de sa charité. Mais à l'aumône matérielle il ai-
mait joindre celle, plus méritoire, qui s'adresse direc-
tement à l'âme et au cœur. Voilà pourquoi, imitateur
du célèbre Gerson, il avait pris l'habitude de réunir
chaque dimanche une multitude de pauvres, à qui il
expliquait les éléments du catéchisme. C'est par le
même principe qu'il s'intéressait spécialement au sort
des jeunes filles de la classe populaire : pendant qua-
rante ans, il fut le proviseur et le bienfaiteur géné-
reux d'une école vouée à leur éducation. Ses habi-
tudes de vie et de labeur tranquilles furent momen-
tanément troublées par deux incidents désagréables.
Kn 1758, le gouvernement des Pays-Bas s'avisa de pros-
crire son Supplément à la théologie de Neesen,
parce que l'auteur y revendiquait pour les églises le
droit d'asile, qui, depuis les attaques de Van Espen,
était, prétendait-on, tombé en désuétude. Vers la
même date, il fut l'objet d'attaques assez violentes de la
part d'un franciscain, Jean Tomson, contre lequel il avait
défendu et fait prévaloir une coutume alors reçue
dans certaines paroisses et motivée par des nécessités
administratives : en vertu de cet usage, les confesseurs,
au temps de Pâques, devaient demander et inscrire les
noms des pénitents qui s'adressaient à eux. Une autre
polémique, avec Maugis, religieux de Saint-Augustin,
paraît avoir été plus calme. Ici, il s'agissait surtout de
savoir si une personne qui reste attachée au péché
mortel peut cependant satisfaire à des obligations
d'actes surnaturels; Dens le niait.
On doit à Pierre Dens, sans parler de publications
moins importantes : l® Schemata practica ad usum
confessariorum, in-i», Malines, 1742; 2« Supplementa
theologiœ L. Neesen, de virtute religionis, reliquisque
virtutibus jusUtise annexis, in-4«, Malines, 1758; c'est
ce volume qui fut prohibé par le gouvernement; 3« Col'
lectio 8criptoi*um quœ separatim in lucem édita sunt
circa quœstionem theologicani an tacerdos vel bene-
ficiarius, recitans horas canonicas in affectu peccati
mortalis, satisfaciat prœcepto seu obligationi reci-
tandi horas canonicas, in-i«, Louvain, 1765; les opus-
cules dont il s'agit sont au nombre de quatre; 4® De
sacramento pœnilentiœ, in-4o, Malines, 1758; ce traité
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mtëSÊÊL.
423
DENS — DENYS (SAINT)
424
fut ensuite, avec une annexe, réimprimée sous le titre :
5<> Supplementi theologias Neesen secunda pars, cum
prosecutione pacifica animadver8io7iu'ni per Petimni
Dens ad responsioneni Em, Maugis, in-4o, Louvain,
1764; une première édition, séparée, des Animadver-
siones ad guœslioneni quodlibeticani JR. P. Maugis
avait paru antérieurement; 6" Responsio ad disserta-
lioneni et apologiani J. Tonison; attexitur pastorum
diœcesis de ea causa testimonium, in-4o, Malines,
1759; 7» Theologia ad usuni seminariortini et sacras
theologiœ alumnoimm , i\ in-S», Louvain, 1777. Ce der-
nier ouvrage est celui qui a surtout fondé la réputation
de l'auteur. Il ne fut pourtant publié qu'après sa
mort, et, à part les traités De virtute religionis et De
sacramento pœnitentiss, il n'est pas son œuvre exclu-
sive : la Theologia est partiellement tributaire des pré-
décesseurs, des collègues et des élèves de Dens. Quoi
qu'il en soit, elle est restée pendant prés d'un siècle
le résumé classique pour l'étude de la théologie, dans
plusieurs séminaires de Belgique et d'autres pays. Elle
a été souvent rééditée, notamment à Liège, en 1786;
à Malines, en 1819, 1828 et 1845. L'édition donnée
dans celte dernière ville de 1862 à 1864 est la 9*. Tout
cela sans tenir compte de réimpressions partielles.
Ce succès durable est du aux mérites caractéristiques
du recueil, qui sont principalement la solidité de la
doctrine et la clarté de l'exposition. Le plan général
est celui de la Somme théologique de saint Thomas;
et partout Ton s'est attaché surtout aux questions pra-
tiques, en passant beaucoup plus rapidement sur les
parties spéculatives, telles que le De Deo uno, De Deo
trino, etc. La théorie morale est antiprobabiliste.
L'emploi constant du procédé par demandes et réponses
et la façon nette et précise dont les unes et les autres
sont formulées n'ont pas peu contribué à la diffusion
de ce manuel pour l'enseignement élémentaire de la
théologie.
A cette liste on a parfois ajouté une Ratio hlslorica
de conduis generalibus, in-S», Anvers, 1748. Mais le
volume ainsi dénommé est en réalité l'œuvre d'un autre
écrivain, à savoir de Théodore-Emmanuel Dens, comme
en témoignent tous les exemplaires qui ont survécu.
Vita auctoris, en tète de diverses éditions, par exemple
celle de Malines, 1862; la Dédicace de l'auteur au cardinal
d'Alsace, entête du De virtute religionis; VApprobatio de
Foppens pour les deux traités De virtute religionis et De
sacramento pœnitentùe; Biographie nationale de Belgique,
Bruxelles, 1876, t. v ; Goethals, Lectures relatives à l'histoire
des sciences en Belgique, Bruxelles, 1837, t. i.
J, FORGET.
2. DENS Théodore-Emmanuel, né à Anvers le
25 décembre 1708, suivit les cours de philosophie à
l'université de Louvain et, en 1730, fut classé 30« sur
106 concurrents à la promotion de la faculté des arts.
Il étudia ensuite la théologie et prit le grade de licencié,
le 2 juin 17iO, Cette même année, il fut nommé pro-
fesseur de théologie au séminaire d'Anvers; il remplit
cette charge jusqu'au 27 décembre 175i. Devenu alors
curé d'Edeghem, petit village à une lieue environ d'An-
vers, il administra cette paroisse jusqu'à sa mort, sur-
venue le 24 février 1799. 11 composa quelques ouvrages
à l'usage de ses élèves, tandis qu'il était professeur à
Anvers : 1° Inlroductio ad scientiam theologicam,
in-8«, Anvers, 1748; 2® Rrevis conc'wnandi methodus,
sive rhetonca ecclesiasticaf in-8o, Anvers, 1748;
3« Ratio historica potissimum de coiiciliis generali-
bus, in-8», Anvers, 1748.
Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Bel-
gique, t. VI, p. 286-287; Biographie nationale, Bruxelles,
1876, t. V, col. 601-602.
E. Mangenot.
i. DENY8 (SAINT), pape, 259-268. Successeur de
saint Sixte 11, qui mourut martyr le 6 août 258, Denys,
prêtre de Rome, fut élu pape le 22 juillet 259. 11 siégea
du temps de l'empereur Gallien, sous lequel l'Église
fut en paix. Les textes ne sont pas d'accord sur la durée
de son pontificat; mais il semble qu'il vécut jusqu'au
26 ou 27 décembre 268. Duchesne, Liber pontificalis,
introduction, p. ccxlviii; JaHë-Loewenfeld, Regesia
pont, rom., t. i, p. 22. Il est surtout connu pour ses
relations épistolair^s avec son homonyme, Denys,
évéque d'Alexandrie, dans diverses affaires discipli-
naires ou doctrinales et pour sa lettre consolatoire à
l'jiglise de Césarée en Cappadoce. Son rôle est d'une
véritable importance dans le développement du pouvoir
pontifical romain, en raison d'un cas d'appel à l'Église
de Rome au sujet d'une question de doctrine, en raison
aussi de la générosité de l'Église de Rome envers les
%lises étrangères, en raison enfin du développemen
donné à l'Église de Rome elle-même.
1» Querelle baptismale. — Parmi les lettres de Denys,
évéque d'Alexandrie, à l'Église de Rome, plusieurs
étaient écrites sous Etienne et Sixte II (257-258) aux
membres les plus en vue du presbyterium romain,
entre autres à Philémon et Denys, pour les amener, dans
la querelle baptismale, à des dispositions plus douces
que celles du pape Etienne envers les Églises où l'on
s'obstinait à ne pas reconnaître le baptême donné par
les hérétiques. La quatrième de ses lettres est adressée
au seul prêtre Denys, et Eusèbe, qui nous la signale,
remarque que son correspondant l'appelle un homme
>,<iYio; T£ xai Oaypix«Tto;. H. E., vu, 7, P. G., t. XX,
col. 652. 11 est permis de croire qu'il inclina Sixte II et
tout le clergé romain à la conciliation.
2o A/faii*e du sabellianisme. — Denys d'Alexandrie
correspondit encore avec son homonyme, après son
élévation au pontificat, sur la question sabellienne.
Ayant écrit plusieurs lettres aux Églises de la Penta-
pole pour les détourner de cette doctrine cyrénaïque,
qui venait de s'y répandre, il fut dénoncé par l'une
d'elles, à son insu, au pape Denys, et accusé de six
erreurs. Celui-ci jugea l'afiaire importante, convoqua
un synode en 262, voir S. Athanase, De sententia Dio-
nysii, 13, P. G., t.xxv, col. 464; De synodis,^, P. G.,
t. XXVI, col. 749, examina la lettre incriminée, et y dé-
couvrit des impropriétés doctrinales, notamment l'em-
ploi du terme de créature, «ofyjjjLa, en parlant du Fils
de Dieu, la conception d'une trinité en trois hypostases
tellement distinctes qu'on pouvait y voir trois dieux,
enfin une répugnance marquée pour le terme d'6{jLooû-
(Tto;, consubstantiel. Cf. Duchesne, Histoire anciettne de
VÉglise, 2« édit., Paris, 1906, p. 486.
Puis, en son nom et au nom du concile, il écrivit
à toutes les Églises d'Egypte une lettre circulaire où il
condamnait, en gardant un juste milieu, tout à la fois
l'unitarisme sabellien et le- trithéisme subordinatien.
Sans nommer personne, il réfutait, avec une grande
logique, et ceux qui confondaient les trois personnes
divines à cause de l'unité de substance appelant indis-
tinctement le Père Fils ou le Fils Père, et ceux qui
affirmaient que le Verbe était une créature, qu'il étail
devenu, qu'il y avait eu un espace de temps où le Père
était avant le Fils. 11 voulait que l'on conciliât l'unité
ou la monarchie divine avec la trinité, que l'on recon-
nût en Dieu le Père tout-puissant, Jésus-Christ, son
Fils, et le Saint-Esprit, et spécialement qu'on dit du
Fils qu'il est l'auteur de toutes choses dans l'unité de
substance avec le Père. Il insistait même, à en juger
par les réponses de Denys d'Alexandrie, sur l'utilité
d'employer le terme d'^(xoo'Jo-coç pour désigner plus
exactement les rapports du Fils avec le Père. S. Alha-
nase. De decretis Nicœn. sijnod., 26, P. G., t. xxv»
col. 464-465, citant VEpistoia adversus sabelli€mos,.
de saint Denys de Home, P. L., t. v, col. 116. Cf. Den-
zinger, Enchiridion, 10« édit., n. 48-51.
Par une lettre séparée, le pap&iavita Deny& à s*ex-
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425
DENYS (SAINT) — DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT)
426
plîquer. Celui-ci envoya une juslification en quatre
livres intitulés : Réfutation et Apologie, dont saint Atha-
nase nous a conservé des extraits, et qui dut satisfaire
Torthodoxie romaine. Voir Felloe, The Letters andother
renxain* of Dionysius of Alexandria, Cambridge, 1904,
p. 182-198.
En résumé, en toute celte affaire, Denys de Rome
apparaît comme un homme de gouvernement et de
doctrine : il prémunit à jamais les Alexandrins contre
Torigénisme qui était à la base des théories de Denys,
et les prépare de loin à la lutte contre Tarianisme
lorsqu'il naîtra cinquante ans plus tard parmi eux.
3» Lettre à VÉglise de Césarée. — Denys écrivit
aussi à rÉglise de Césarée en Cappadoce, affligée par
l'invasion des Perses. Il lui envoya des secours en ar-
gent pour le rachat des fidèles, entraînés en captivité
par les barbares. Sa lettre était précieusement conser-
vée dans les archives de TÉglise, au temps de saint
Basile, qui dans sa correspondance avec le pa'pe Da-
mase la rappelle, en appelant son auteur Atovûatov
èxeîvov, ?bv piaxap^TuTaTov i7c{<nco7cov. Epist., LXX, P. G.,
t. XXXII, col. 436. Cet acte de charité, succédant aux
rapports tendus qui avaient existé peu auparavant entre
Firmilien, évéque de Césarée, et les prédécesseurs de
Denys, était de nature à resserrer Tunion des Églises
orientales avec Rome. Cf. Salmon, Infallibility of the
Church, p. 375.
On trouve encore le nom de Denys de Rome, comme
destinataire de la circulaire adressée par les évéques
à la suite du dernier concile d'Antioche contre Paul
de Samosate : elle arriva peut-être à Rome après sa
mort. Eusébe, H. E., vu, 30, P, G., t. xx, col. 709;
S.Jérôme, De viris, 71, P, L., t. xxiii. Eusèbe, H. E.,
vii, 9, P. G,, t. XX, col. 657, mentionne une autre lettre
de Denys d'Alexandrie à Denys de Rome, sur Lucien,
sans doute le prêtre d'Antioche, dont se réclamait Paul
de Samosate; cette lettre ne nous est pas parvenue.
• 4« Développement de VÉglise de Ronxe. — Le Liber
pontificalis, édit. Duchesne, t. i, p. 157, d'après quel-
que document ou quelque tradition, rapporte que De-
nys fit une nouvelle délimitation des églises et cime-
tières, sans doute désorganisés après la persécution
de Valérien. Cf. Duchesne, ibid., introduction, p. c.
Il signale aussi ses ordinations et ajoute seulement
quecepape fut enseveli au cimetière de Calixte.
Roatb, Beliquim êacrx, 1846, t. m ; Mansi, ConciL, t. i,
col. 1011; JatTé-Loewenfeld, t i, p. 22; Liber pontificalis, édit.
Duchesne, U i, p. 157 ; Hamack, Geêchichte der cUtchristlichen
Litteratur, 1893, 1 1, p. 650; Langen, GeschicfUe der rômi»-
chen Kirche, Bonn, 1881, p. 353; Duchesne, Histoire ancienne
de rÉglise, Paria, 1906. 1. 1, p. 486 ; Ui. Chevalier, Répertoire.
Biobibliographie, 2* édit., 1. 1, col. 1175. Voir l'article suivant.
A. Clerval.
2. DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT) naquit
dans la ville de ce nom probablement avant Tan ^00,
de parents païens. Amené au christianisme par de
sérieuses études, il suivit les leçons d*Origène. En 231
ou 232, il succéda à Héraclas dans la direction de
Técole catéchétique, et seize ans plus tard, sans cesser,
semble-t-il, son enseignement à Técole, dans la chaire
épiscopale. La suite de sa vie fut un enchaînement de
combats et de souffrances. Il put se soustraire par la
fuite à la persécution de Dèce (250-251), mais durant
celle de de Valérien (257-260) il se vit reléguer d*abord
à Céphro [en Libye, puis en un endroit « encore plus
rade et libyen •, dit Eusèbe, au pays de Colluthion dans
la Maréotide. De retour à Alexandrie en mars 262, il y
trouva la guerre civile, la peste et la famine. 11 mourut
pendant le premier synode d*Antioche contre Paul de
Samosate (264-265), où ses infirmités ne lui avaient pas
permis de se rendre.
Le surnom de Grand, donné à saint Denys, vient
d'Alexandrie, et peut-être lui fut-il attribué par ses I
contemporains. En tout cas, il est déjà employé par
saint Pierre d'Alexandrie, dans un fragment conservé
de sa Mystagogie, P, G., t. xviii. Ce titre a été consa-
cré par Eusèbe, //. E., 1. VU, préface, P. G., t. xx,
col. 657. Bien qu'il fût Thomme d'action plus que de
doctrine, saint Athanase le qualifie de xaOoXixr,; *Ex-
xXr,<ita; 6i^i<TxaXo;. Epist. de sentent. Dionys., c. vi,
P. G., t. XXV, col. 487. Saint Basile l'appelle xavovixôv,
attestant ainsi son autorité et l'orthodoxie de sa foi.
Epist., 1. II, epist. CLXXXViii, P. G., t. xxxii, col. 664.
Il intervint énergiquement et avec succès dans les ques-
tions qui s'agitaient alors dans l'Église, aussi décidé
contre l'erreur que doux et prévenant pour les errants.
Il ne publia guère que des écrits de circonstance, en
vue d'un besoin pratique, dans un style alerte et vivant,
non exempts d'obscurités dogmatiques, mais toujours
animés du zèle le plus pur. Nous n'en possédons mal-
heureusement que des fragments, la plupart sauvés
par Eusèbe, recueillis trop incomplètement par Migne,
P. G., t. X, col. 1233-1344, 1576-1602. Cf. Pitra, Analecta
sacra, t. m, p. 596-598; t. n, p. xxxvi-xxxvii; frag-
ments syriaques et arméniens, t. iv, p. 169-182, 413-
422; cf. Prol., p. xxiii-xxv. M. Feltoe a recueilli d'une
façon plus complète les fragments des œuvres de
saint Denys, Aiovv<riou Xet^/ava. The Letters and other
remains of Dionysitts of Alexandria, Cambridge, 1904.
Il les a groupés en six catégories :,lo les lettres, parmi
lesquelles il faut noter les cinq épltres baptismales;
2« Ilepi ènay^eXtàiv; 3» IIcpi çvo-eo};; 4» la controverse
avec Denys de Rome; 5» les fragments exégétiques;
6» des .fragments divers. Il a utilisé des fragments pu-
bliés par Holl, dans Texte und Vntersuchungen, 1900,
t. XX, et par Sickenberger, ibid., 1902, t. xxii, fasc. 4,
p. 62, 78-79, 82, 85, 86, 98. La liste des ouvrages de saint
Denys a été donnée par saint Jérôme, De viris, 69, P. L.,
t. XXIII, col. 677-681. Il faut signaler la lettre à saint De-
nys de Home, IIep\ Aovxtavoû, ri7ri<TToXirj ôiaxovixr) Ôi*
*IinroX-jTOV, l'épltre xoîç xatt' AîyvTiTov nepl iieravo^a;,
répitre à Conon, l'épltre éi«a6eoTixr„ la lettre à Origène,
TCEpl (laptup^ou, etc. On ne connaît aussi que le titre du
Livre sur les tentations, 6 ntpX Trtipadfi&v >.<Jyo;. Eu-
sèbe, op. cit., 1. VII, c. XXVI, 2, P. G., t. XX, col. 705.
Les livres sur la nature, o( Tcepl ^ùattaç Xdyot, Eusèbe,
toc. cit., et Prœp. ev., 1. XIV, c. xxm-xxvii, P. G.,
t. XXI, col. 1272-1289, probablement antérieurs à l'épis-
copat de Denys, étaient une solide réfutation du ma-
térialisme épicurien. D'un commentaire sur les pre-
miers chapitres de l'Ecclésiaste, i, l-iii, 11, Eusèbe,
H. E., 1. VII, c. XXVI, 3, col. 705, qui semble de la
même époque, une chaîne donne des fragments consi-
dérables, certainement authentiques dans l'ensemble.
Les Deux livres sur les promesses, itepl InayYsXt^jv 5jo
<n>YTpâptjxaTa, Eusèbe, op. cit., 1. VII, c. xxiv-xxv,
col. 692-704, écrits vers 253-257, étaient dirigés contre
Népos, un évoque de la région d'Arsinoë, et sa Ré-
futation des allégorisles. Voir Népos. Dans le 1. I«r,
Denys combattait les rêveries millénaristes de Népos;
il traitait, dans le 1. II«, de l'autorité de l'Apocalypse,
composée par « un saint, inspiré de Dieu », nommé
Jean, non toutefois par saint Jean l'évangéliste. Voir 1. 1,
col. 1469. L'adhésion de plusieurs évéques de Libye à
l'hérésie de Sabellius fut l'occasion du concile d'Alexan-
drie de 261 et de la lettre à Ammonius et Euphranor;
mais pendant qu'il ne songeait qu'à fuir l'écueil du mo-
dalisme, Denys faillit tomber sur celui du subordinatia-
nisme; pour exprimer avec toute la netteté possible la
distinction personnelle du Père et du Fils, il emploie
des termes et des comparaisons qui impliquent une
distinction substantielle. Accusé de six erreurs auprès
du pape saint Denys, invité par le concile romain de
262 à se justifier, il répondit d'abord par une lettre,
S. Athanase, Epist. de sentent. Dionysii, 4, P. G., t. xxv,
col. 485, et ensuite plus explicitement par une Réfuta-
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:a
427 DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT) — DENYS DE CONSTANTINOPLE 428
tion et Apologie, eXeyxo; xa\ àicoXov(a en 4 livres,
S. Âthanase, op. cit., 13, col. 500; Eusèbê, op. cit., 1. VII,
c. XXIV, t,col. 704; De synodis Arimini in llalia et
Seleucisd in Isauria celebratis, 43, P. G., t. xxvi,
col. 769, qui contenait des déclarations absolument or-
thodoxes au sujet de la Trinité. Saint Basile a connu
la dénonciation de saint Denys d'Alexandrie à saint
Denys de Rome. Il mentionne l'apologie de l'évéque
accusé et rend justice à sa foi au sujet de la trinité. Il
précise exactement l'erreur de Denys, mais il l'expli-
que et partage l'opinion indulgente de saint Denys de
Rome et de saint Athanase. De Spiritu Sancto, 72,
P. G., t. xxxii, col. 201 ; Epist., ix, ibid., col. 269. 11
a donc connu toute l'affaire et l'a jugée en théologien
compétent. Denys écrivit une série de lettres relatives
au schisme novatien et à la question des lapsi. Il exhor-
tait Novatien et ses adhérents à se soumettre au pape
légitime et recommandait à l'égard des tombés toute
rindulgence possible; particulièrement belle est la lettre
à l'antipape lui-même. Eusèbe, op. cit., 1. VI, c. xlv,
col. 634. Dans le différend sur la validité du baptême
des hérétiques, Denys travailla surtout à porter les
uns et les autres à la paix. Eusèbe, op. cit., 1. VII,
c. iv-ix, col. 641-657. L'an 264 ou 265, le vieil évêque
écrivit à l'Église d'Antioche contre la doctrine de Paul
de Samosate. Ibid., c. xxvii, 2, col. 705. La lettre à
rhérétique lui-même qu'on trouve dans Mansi, Concil.,
t. I, col. 1039-108B, est une supercherie de plus des
apollinaristes. Eusèbe a extrait des lettres pascales de
saint Denys quelques données historiques,//. E., 1. VII,
c. xx-xxir, col. 681-692; la lettre à Domilius et Didyme
pour la Pâque de 251 contenait un canon pascal de huit
années et décidait que la fête devait toujours se célé-
brer après l'équinoxe du printemps. Ibid.lJne des let-
tres à Basilide, évêque de la Pentapole, Eusèbe, 1. VII,
c. XXXI, 3, col. 705, doit sa conser\'alion intégrale à cette
circonstance qu'elle a été mise par les Grecs au nombre
des Épitres canoniques. Routh, Reliq. sacrœ, 2« édit.,
V m, p. 219-250; Pitra, Juris eccl. Grœc. hist. et mo-
num., t. I, p. 541-545, cf. p. 548 sq.
La plupart -des traités de saint Denys ont été écrits
sous forme de lettres. Eusèbe, H. E., 1. VII, c. xxvi,
P, G., t. XX, col. 704-705. Le Ilspl (ya66àTou, comme le
Ilepi YUfjivadtou, le ITepl çvaew; et le ri6p\ îreipao-pLoiv,
dédié à Euphranos, étaient des lettres.
Saint Denys a sur Tinspiration de l'Écriture les
mêmes idées qu'Origène. Il attribue formellement l'É-
pître aux Hébreux à saint Paul, et sur ce point, il va
plus loin qu'Origène. Cf. Eusèbe, 1. VI, c. xxv, col. 584
(pour Origène), et 1. VI, c. xli, col. 605, où saint Denys
cite Heb., x, 34, avec cette introduction : IlavXo; è^iap-
T-jpyjffE. Il est aussi témoin de la foi de l'Église au sujet
de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-
Christ dans l'eucharistie : toO atopiaTo; xa\ toû aipiato;
ToO Kup^ou Tijitov *Ir,<ToO XpKTxoO jietadx^vta. Eusèbe,
1. VII, c. IX, col. 656. Il nous apprend aussi qu'à Alexan-
drie la sainte eucharistie était conservée pour les ma-
lades : ^payy tti; 6uyapi<rr\a; énâîwxev xm iraîfiapfw.
Eusèbe, 1. Vl, c. xliv,*co1. 632.
Bardenhewer, Les Pères de V Église, trad. Godet et Verschaffel,
t. f, p. 283-288; Diltrich, Dionysius der Grosse von Alexan-
drien, in-8*, Fribourg,1867; Hamack, Geschichte der altchristl.
Litteratur, t. i, p. 409-427 ; Fœrsler, De doctrina et seritentiis
Dionysii MagniAlexandriniy Berlin, 1865; Roch, Dionysitcs der
Grosse ûber die Natur, Leipzig, 1882; Dictionary of Christian
Biography, arU Dionysios of Alexandria; Benson, Cyprian,
1897, passim ; Feltoe, The Letters and other reniains of Dio-
nysios of Alexandria, Cambridge, 1904; Hurter, Nomencla-
tor, 3' édit., t. i, col. 82-86; Chevalier, Répertoire. Bio-biblio-
graphie, 2* édit., t. I, col. 1168-1169.
C Verschaffpi
3. DENYS DE CORINTHE (SAINT) était évêque
de cette ville au temps du pape saint Soter (vers 166-
174). Voir Soter. Il avait une telle réputation que les
Églises les plus lointaines aimaient à le consulter. Eusèbe
connaissait de lui sept épttres « catholiques i, c'est-à-
dire adressées à des communautés diverses, et une
lettre particulière. De la vu» épitre catholique, lettre de
remerciement et réponse à la communauté de Rome,
l'historien de l'Église nous a laissé de précieux extraits.
H. E., 1. IV, c. XXIII, 10-12, P. G., t. XX, col. 383.
Il y célèbre la charité de l'Église de Rome envers celle
de Corinthe, col. 387. L'épltre aux r.phésiens était di-
rigée contre le gnosticisme de Marcion. Ibid., 1. IV,
c. XXIII, 4, ibid,, col. 381.
Routh, Reliquim sacrx, 2' édit., t. i, p. 175-201; Bardenhewer,
Les Pères de F Église, trad. Godet et Verschaffel, t. i, p. 242.
Cf. Ul. Chevalier, Répertoire. Biobibliographie, 2* édit., l. i,
col. 1174.
C. Verschaffel.
4. DENYS d'Andrinople, métropolitain de cette
ville, mérite une mention dans ce dictionnaire pour le
recueil d'homélies qu'il publia à Venise, en 1777, sous
la surveillance de Spyridion Papadopoulos. En voici le
titre : 'Ojiùt'ai Siaçopoi çiXoTiovrjÔeîo-ai, oGto); wç ôpûv-
tai {cî)6e xeifievai, auvTojioi «î ic).eiou;, xal eû<rjvoitTOi,
xipiv Tûv àTcXoudtépfiûv, in-4o, Venise, 1777. Elles sont
divisées matériellement en deux parties, la première
consacrée aux principales fêtes, la seconde au propre
du temps; mais la division n'est qu'apparente. Ici
comme là, ce sont de simples exhortations aux vertus
chrétiennes, rédigées sobrement et prononcées par
Denys au cours de ses visites pastorales. C. Sathas, qui
les signale dans sa NeoeXXrjVtxYi ^ikoXoyioi, p. 610, assure
qu'elles ont été imprimées en 1775 et en 1778 ; ces deux
dates, comme tant d'autres fournies par ce peu scrupu-
leux écrivain, sont absolument fausses.
L. Petit.
5. DENYS IV DE CONSTANTINOPLE, pa-
triarche, auteur d'une célèbre profession de foi contre
les erreurs calvinistes : c'est à ce titre qu'il figure ici,
à l'exclusion des autres patriarches de même nom#
Originaire de Constantinople, Denys Mouslim ou le
gouverneur était simple employé du patriarcat œcu-
ménique et étranger même à la cléricature, quand la
faveur de Denys III, son protecteur, l'éleva sans tran-
sition aucune à la métropole de Larissa (9 août 1662),
que Denys III venait précisément de quitter pour le
trône patriarcal. A la chute de Parthénius IV, le nou-
veau métropolitain devint patriarche lui-même au mois
d'octobre 1671. Renversé le 14 août 16T3, il réussit à
remonter sur la chaire de Photius le 24 octobre 1676;
il s'y maintint jusqu'au 2 août 1679. Trois fois encore
il revint et trois fois il dut se retirer devant l'opposition
de la clique phanariote : 31 août 1683-10 mars 1683,
7 avril 1686-17 octobre 1687, fin 1693 pour un court
pontificat de sept mois. Retiré en Valachie, il mourut à
Bucarest le 23 septembre 1696 et fut inhumé au monas-
tère de Radoulvoda. — C'est au mois de janvier 1672,
lors de son premier patriarcat, que Denys, d'accord avec
les patriarches démissionnaires et les membres du sy-
node, donna sa fameuse réponse sur*les erreurs calvi-
nistes. Elle traite, après un court préambule, du nombre
des sacrements et de leur nature, en particulier de la
sainte eucharistie et de la présence réelle, du baptême
des enfants, du sacerdoce et de sa nécessité, du mariage
et du célibat des prêtres, de l'Église orthodoxe orien-
tale, du culte des saints et de la vénération des images,
du jeûne, et, pour finir, des Livres saints et de leur
nombre. Éditée pour la première fois par le bénédictin
Michel Foucqueret à la suite du synode de Jérusalem,
in-8<>, Paris, 1676 et 1678, cette déclaration dogmatique
fut insérée par Hardouin, avec quelques amendements
dans la traduction latine, au t. xi de sa collection des
conciles, p. 273 sq., d'où elle passa dans le Supplément
de Mansi, Concilioinim collectio, t. xxxiv b, col. 1777-
1790 t. xxxvii, col. 453-464. On la trouve encore dans le
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